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07/02/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._516

Canada | Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516 (7 février 1978)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516

Date : 1978-02-07

Cité de Pont Viau Appelante; et

Gauthier Mfg. Ltd. Intimée.

1977: 9 novembre; 1978:7 février.

Présents: Les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

COUR SUPRÊME DU CANADA

Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516

Date : 1978-02-07

Cité de Pont Viau Appelante; et

Gauthier Mfg. Ltd. Intimée.

1977: 9 novembre; 1978:7 février.

Présents: Les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Sens de l'arrêt : Le pourvoi contre l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel est rejeté et le pourvoi contre l’arrêt rejetant la requête pour permission spéciale d’appeler est accueilli

Analyses

Procédure civile - Appel - Inscription en appel non signifiée dans les délais - Permission spéciale d’appe­ler - Sens de «impossibilité d’agir plus tôt» - Code de procédure civile, art. 484, 494, 495, 502, 523.

L’intimée et plusieurs autres parties, dont l’Union Canadienne Compagnie d’Assurance («d’Union»), ont intenté des actions en dommages-intérêts contre l’appe­lante à la suite d’un incendie. Les actions de l’intimée et de l’Union ont été jointes, aux fins d’enquête et d’audi­tion, et, par jugement rendu le même jour, ont été accueillies. L’appelante a déposé une inscription en appel contre ces deux jugements dans les délais requis; cette inscription fut signifiée aux avocats de l’Union qui furent erronément désignés comme les procureurs à la fois de l’Union et de l’intimée. Après l’expiration du délai d’appel, l’intimée a présenté une requête pour rejet d’appel pour le motif que l’inscription n’avait pas été signifiée à l’intimée ni à ses procureurs, ainsi que le requiert l’art. 495 C.p.c. Pour sa part, l’appelante, invo­quant le bénéfice de l’art. 523 C.p.c., a présenté une requête pour lui permettre de signifier l’inscription malgré l’expiration .du délai. Les deux requêtes ont été entendues en même temps par la Cour d’appel qui a accueilli la requête pour rejet d’appel et rejeté la requête en vertu de l’art. 523 C.p.c. D’où le pourvoi en cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi contre l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel est rejeté et le pourvoi contre l’arrêt rejetant la requête pour permission spéciale d’appeler est accueilli.

La Cour d’appel devait nécessairement accueillir la requête pour rejet d’appel puisqu’il manquait un élément essentiel à la formation de l’appel soit la signification à la partie adverse ou à son procureur: il ne s’agit pas d’une formalité dont la Cour peut permettre la correction.

La seconde partie de l’art. 523 C.p.c. précise que lorsqu’il s’agit d’accorder une permission d’appeler après l’expiration des délais, le pouvoir discrétionnaire de la

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Cour est assujetti à l’existence de deux conditions préa­lables: la demande doit être faite dans les six mois du jugement et la partie doit démontrer «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». L’article 523 C.p.c. est de droit nouveau. Sous l’ancien Code de procédure civile, le délai d’appel était un délai de forclu­sion dont l’expiration entraînait la perte définitive du droit d’appel. Le nouveau Code de procédure civile a corrigé cette situation et a édicté, en matière de proroga­tion de délai, une règle moins rigoriste. En matière d’appel, le requérant n’a pas à prouver une impossibilité absolue, mais seulement une impossibilité relative. En l’espèce, la forclusion a été encourue uniquement à cause de l’erreur des procureurs de l’appelante. La partie elle-même a agi avec diligence et on ne voit pas ce qu’elle aurait pu faire elle-même pour agir plus tôt. L’impossibilité d’agir doit s’apprécier du point de vue de celui qui aura à supporter les conséquences de la forclu­sion s’il n’en est pas relevé. La Cour d’appel devait donc exercer la discrétion prévue à l’art. 523 C.p.c. de façon favorable à la partie forclose.

Arrêts mentionnés: Lord c. La Reine (1901), 31 R.C.S. 165; Blanchette c. Duval (1938), 65 B.R. 333; Girouard c. Beaudoin (1928), 35 R.L.n.s. 446; Desro­siers c. Blanchard (1924), 27 R.P. 67; Vocisano c. Canada File and Tool Works, Limited (1925), 38 B.R. 536; Morin c. Lacasse, [1953] B.R. 738; Beaubien c. Laframboise (1925), 40 B.R. 194; Joy Oil Limited c. McColl Frontenac Oil Co. Ltd., [1943] R.C.S. 127.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel accueillant la requête de rejet d’appel d’un jugement de la Cour supérieure[1]: pourvoi rejeté. Pour­voi contre un arrêt de la Cour d’appel refusant une requête pour permission spéciale d’appeler: pourvoi accueilli.

François Mercier, c.r., et Michel Dagenais, pour l’appelante.

Paul Gélinas, c.r., et Jean Guérin, c.r., pour , l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PRATTE — L’appelante se pourvoit, avec l’autorisation de cette Cour, contre les juge­ments rendus par la Cour d’appel de la province de Québec le 27 mai 1976 qui l’ont déboutée (i) de l’appel qu’elle avait formé contre le jugement final de la Cour supérieure (le juge Prévost) en date du

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12 février 1976 et (ii) de la requête qu’elle avait présentée en vue d’obtenir sous l’autorité du deuxième alinéa de l’art. 523 C.p.c. une permission spéciale d’appeler nonobstant l’expiration des délais prévus à l’art. 494 C.p.c.

Les faits pertinents, qui d’ailleurs ne font l’objet d’aucun débat entre les parties, sont les suivants:

A la suite d’un incendie survenu le 2 septembre 1964, trente et une actions en dommages-intérêts furent intentées contre l’appelante parce qu’elle n’aurait pas pris les mesures adéquates pour étein­dre l’incendie et empêcher que celui-ci ne dégénère en conflagration. Aux fins d’enquête et d’audition, l’action de l’intimée fut jointe à celle intentée par l’Union Canadienne Compagnie d’Assurance, alors que les vingt-neuf autres actions étaient laissées en suspens. Par jugement rendu le 12 février 1976, la Cour supérieure (le juge Prévost) accueillait l’ac­tion de l’intimée contre l’appelante jusqu’à concur­rence d’une somme de $304,055; le même jour, la Cour supérieure accueillait aussi l’action de l’Union Canadienne Compagnie d’Assurance pour une somme de $5,065. Les autres actions n’ont pas encore été instruites.

Dans les trente jours du jugement de la Cour supérieure, soit le 9 mars 1976, l’appelante a déposé au greffe de la Cour supérieure une inscrip­tion en appel à l’encontre de chacun des deux jugements qui avaient été rendus contre elle le 12 février; ces deux inscriptions avaient antérieurement (le 4 mars) été signifiées à Mes O’Brien, Home, Hall, Nolan, Saunders et Associés, qui étaient les avocats de l’Union Canadienne Compa­gnie d’Assurance, mais ne représentaient pas l’inti­mée. L’inscription en appel n’a donc été signifiée ni à l’intimée elle-même ni à ses procureurs, ainsi que le requiert l’art. 495 C.p.c.

Cette omission s’explique par le fait que le protonotaire, répétant une erreur commise à la dernière page du jugement de la Cour supérieure, a dans l’avis donné en vertu du deuxième alinéa de l’art. 473 C.p.c., erronément désigné Mes O’Brien, Home, Hall, Nolan, Saunders et Associés, comme les procureurs de l’intimée.

Après l’expiration du délai d’appel, soit le 26 mars 1976, l’intimée faisait signifier à l’appelante

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une requête pour rejet d’appel présentable devant la Cour d’appel le 20 avril 1976; dans cette requête, l’intimée faisait valoir que l’appel formé par l’appelante était irrégulier et nul parce que l’inscription n’avait été signifiée ni A. l’intimée elle-même ni à ses procureurs.

Par requête en date du 1er avril 1976, l’appe­lante, invoquant le bénéfice de l’art. 523 C.p.c., demandait A. la Cour d’appel de lui permettre de signifier l’inscription en appel au véritable procu­reur de l’intimée «malgré les termes de l’art. 495 C.p.c.» et dans le délai à être fixé par la Cour d’appel. Cette requête était présentable à la même date que la requête pour rejet d’appel, soit le 20 avril 1976.

Ces deux requêtes ont été entendues en même temps par la Cour d’appel qui, le 27 mai 1976, accueillait la requête pour rejet d’appel et débou­tait l’appelante de sa requête en vertu de l’art. 523 C.p.c.

En ce qui a trait à la requête pour rejet d’appel elle devait nécessairement être accueillie. En effet, un appel n’est formé que si, dans le délai prévu à l’art. 494 C.p.c., l’inscription est déposée au greffe du tribunal de première instance et signifiée A. la partie adverse ou à son procureur. Dans l’espèce, l’inscription, si elle a été déposée au greffe de la Cour supérieure, n’a cependant jamais été signifiée à l’intimée ou A. ses procureurs. L’un des deux éléments essentiels à la formation de l’appel faisait donc défaut; il ne s’agit pas d’une simple formalité dont la Cour d’appel peut permettre la correction (art. 502 C.p.c.). La Cour d’appel a donc eu raison d’accorder la requête de l’intimée pour rejet de l’appel formé par l’appelante.

Mais la Cour d’appel a-t-elle également eu raison de rejeter la requête de l’appelante «pour permission spéciale de signifier une inscription en appel selon l’art. 523 C.p.c.»?

L’intimée nous a signalé que les conclusions de cette requête n’étaient pas conformes au texte de l’art. 523 C.p.c. qui prévoit que la Cour d’appel peut, dans certaines circonstances, «accorder une permission spéciale d’appeler». Cette observation est rigoureusement exacte et les conclusions de la

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requête de l’appelante ne sont certes pas un modèle de rédaction.

L’intention de l’appelante est cependant mani­feste: elle désire qu’il lui soit permis de former appel du jugement final rendu par la Cour supé­rieure nonobstant l’expiration du délai de trente jours prescrit par l’art. 494 C.p.c. Il faut donc à mon point de vue dire que la requête de l’appelante est faite en vue d’obtenir la permission spéciale d’appeler visée à l’art. 523 C.p.c. C’est d’ailleurs de cette façon que la Cour d’appel l’a interprétée.

Cette requête, on l’a vu, a été rejetée par la Cour d’appel pour les raisons qu’exprime le juge Montgomery dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Demeure la question de savoir si nous devons accorder la permission spéciale d’appeler en vertu de l’art. 523 C.P.C. Je ne vois pas pourquoi il était absolument impossible de signifier légalement cet avis d’appel avant l’expiration du délai de trente jours. L’avocat de l’appelante devait avoir accès à tous les renseignements nécessaires pour connaître l’identifica­tion des avocats de l’intimé. La partie à un litige, qui a eu gain de cause, a le droit de considérer le jugement prononcé en sa faveur comme définitif si aucun avis d’appel ne lui est signifié dans un délai de trente jours. Le large pouvoir discrétionnaire conféré à cette cour par l’art. 523 C.p.c. est limité, lorsque le délai d’appel est expiré, aux cas où une partie peut établir qu’il lui était impossible d’agir plus tôt. Il n’est pas suffisant de prouver que l’avocat a commis une erreur; voir la décision majoritaire Nudel v. Industrial Paper Converters, [1969] Q.P.R. 255, qui a été suivie récemment dans London & Midland General Insurance Co. c. Ménard (Montréal, n° 09-001049-75, jugement rendu le 19 décembre 1975 par les juges Montgomery, Dubé et Ouimet, ad hoc.).

Il est certain qu’il n’était pas impossible aux avocats de l’appelante de faire signifier dans les délais légaux l’inscription en appel aux procureurs de l’intimée; cette absence de signification qui a entraîné le rejet de l’appel est le résultat d’une erreur professionnelle qui, quel qu’en soit le carac­tère, n’est certes pas due à des circonstances qui participent de la nature de la force majeure.

Ainsi, parce qu’il n’était pas impossible aux avocats de l’appelante de faire signifier l’inscrip­tion en appel dans les délais légaux aux procureurs de I’intimée, la Cour d’appel a jugé que l’appelante

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(la partie) n’avait pas «été, en fait, dans l’impossi­bilité d’agir plus tôt», et qu’en conséquence elle ne pouvait pas exercer la discrétion que lui confère le deuxième alinéa de l’art. 523 C.p.c. qui se lit comme suit:

Elle [La Cour d’appel] a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa juridiction, et peut rendre toutes ordon­nances propres à sauvegarder les droits des parties; elle peut même, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 494, mais pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d’appeler à la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

La première partie de cette disposition accorde à la Cour d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire qu’elle doit exercer, selon le texte même de l’arti­cle, de façon «à sauvegarder les droits des parties». Mais la discrétion de la Cour d’appel n’est pas illimitée lorsqu’il s’agit d’accorder la permission d’appeler après l’expiration des délais prévus à l’art. 494 C.p.c.; dans ce cas, le pouvoir discrétion­naire de la Cour d’appel est assujetti à l’existence de deux conditions préalables: la demande de permission d’appeler doit être faite dans les six mois du jugement et la partie doit en outre démontrer «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». C’est seulement à l’égard d’une partie qui rencontre ces deux conditions préalables que la Cour d’appel peut accorder une permission spé­ciale d’appeler; mais il ne faudrait pas croire que la permission spéciale d’appeler doit être accordée à toute partie qui en fait la demande dans les six mois et qui établit qu’il lui a été impossible, en fait, d’agir plus tôt. Le pouvoir de la Cour d’appel est ici discrétionnaire, et le verbe «peut» ne doit pas être interprété comme synonyme de «doit».

Il est facile de concevoir des cas où, par un exercice judicieux de cette discrétion, la Cour d’appel refuserait d’accorder la permission spéciale d’appeler alors que demande lui en a été faite dans les six mois du jugement par une partie qui a démontré «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». Il en serait ainsi, par exemple, si l’appel était manifestement futile ou vexatoire ou si la partie s’était elle-même placée par suite de son incurie coupable dans l’impossibilité d’agir plus tôt,

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L’application de l’art. 523 C.p.c. comporte donc deux étapes distinctes.

Dans un premier temps, la Cour d’appel doit déterminer si le requérant rencontre les deux con­ditions préalables déjà mentionnées; cette décision de la Cour d’appel ne relève pas de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire; elle exerce plutôt son rôle traditionnel qui est d’interpréter la loi et de l’appliquer à des faits prouvés. Cette Cour interviendra donc si elle est d’avis que la Cour d’appel a mal interprété ou appliqué la loi.

Mais il en va différemment en ce qui concerne la deuxième étape; après avoir décidé que le requé­rant rencontre les conditions préalables prévues à l’art. 523 C.p.c., la Cour d’appel doit décider s’il y a lieu d’accorder ou de refuser la permission spé­ciale d’appeler. C’est cette décision de la Cour d’appel qui relève proprement de l’exercice de sa discrétion et qu’en règle générale cette Cour hési­tera à modifier, à moins évidemment qu’il y ait eu violation des règles relatives à l’exercice de la discrétion judiciaire.

Dans la présente espèce, la Cour d’appel n’a pas exercé sa discrétion; elle n’a pas eu à procéder à la deuxième étape du processus décisionnel envisagé par la dernière partie de l’art. 523 C.p.c., parce qu’elle a décidé, ainsi qu’on l’a déjà vu, qu’il n’y avait pas eu, en fait, impossibilité d’agir de la part de l’appelante.

La question dans l’espèce est donc de savoir si la Cour d’appel a correctement interprété l’art. 523 C.p.c. lorsqu’elle a décidé que l’erreur de l’avocat n’avait pas entraîné l’impossibilité d’agir de la part de l’appelante.

Une telle interprétation de l’art. 523 C.p.c. est-elle fondée? C’est ce que nous allons maintenant voir.

L’article 523 C.p.c. est de droit nouveau.

Avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, la Cour d’appel, malgré l’opinion contraire exprimée par cette Cour dans l’arrêt unanime Lord c. La Reine[2], décidait que le délai

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d’appel était un délai de forclusion qui ne pouvait être prorogé et dont l’expiration entraînait la perte définitive du droit d’appel (Rivard, Manuel de la Cour d’appel, nos 518 et 520); la Cour d’appel était à cet égard plus stricte que les tribunaux français; ceux-ci, par application de la maxime «contra non valentem agere non currit praescrip­tio», reconnaissaient qu’un plaideur forclos d’en appeler pouvait être relevé de la forclusion s’il avait été dans l’impossibilité d’agir à raison d’un événement imprévisible et insurmontable qui soit véritablement de la nature d’un cas de force majeure (voir Solus et Perrot, Droit Judiciaire Privé, t. I, n° 462(b); Vasseur, «Délais Préfix, Délais de Prescription, Délais de Procédure» (1950), 48, Revue trimestrielle de Droit civil, 439).

Assez étrangement, nos tribunaux adoptaient une attitude beaucoup moins rigoriste quand il s’agissait d’interpréter les dispositions du Code de procédure civile relativement à l’opposition à jugement, et notamment les art. 1163 et 1167 qui se lisaient comme suit:

Art. 1163. Le défendeur condamné par défaut de com­paraître ou de plaider peut, s’il a été empêché de pro­duire sa défense par surprise, par fraude ou par une raison estimée suffisante par le juge, se faire relever du jugement prononcé contre lui en formant opposition.

Art. 1167. Nonobstant l’expiration des délais ci-dessus le défendeur peut être admis dans son opposition, s’il justi­fie qu’à raison d’absence, de maladie grave ou d’autre circonstance de force majeure, il n’a pu connaître l’ins­tance ni le jugement, ou former opposition dans les délais fixés.

Dans ce cas, cependant, l’opposition n’est plus receva­ble, si dès la cessation de l’obstacle ou dès la connais­sance acquise de l’instance, du jugement ou d’un acte d’exécution, le défendeur a laissé écouler, sans former opposition, s’il est présent dans la province, le délai de quinze jours, et, s’il est absent, le délai estimé nécessaire d’après la distance des lieux.

Dans la cause de Blanchette c. Duval[3], le juge Galipeault, alors juge puîné, parlant au nom de la majorité de la Cour, exprimait l’avis que l’art. 1167 C.p.c. devait se lire en regard de l’art. 1163

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qui n’était pas limitatif et accordait au juge du fond une grande discrétion. Pour appuyer son opi­nion, le juge Galipeault réfère à plusieurs précé­dents. Il cite, ente autres, le sommaire de l’arrêt Girouard c. Beaudoin[4], à l’effet que «le tribunal ne devait pas être trop rigoureux dans l’interprétation des articles relatifs aux délais pour la production des oppositions à jugement»; il mentionne également l’arrêt Desrosiers c. Blanchard[5], où le juge Bruneau, après avoir fait l’historique des art. 1163, 1164, 1 166 et 1 167 C.p.c., concluait «(1) Qu’il n’existe pas, à proprement parler, de délais d’oppo­sition en cas de défaut faute de comparaître ou de plaider; (2) Que ces articles, qui énoncent les cas d’opposition à jugement, sont démonstratifs et non pas limitatifs, «parce qu’il serait injuste de lui refuser [au défendeur], une faveur qui est accordée par l’unique motif qu’on ne doit pas condamner irrévocablement celui qui n’a pu se défendre» (Thomine-Desmazures, t. 1, à la p. 84; Carré et Chauveau, quest. 99 et 1598); ...»

La Cour d’appel avait préalablement jugé dans la cause Vocisano c. Canada File and Tool Works, Limited[6], que la nullité d’une opposition à jugement produite après les délais n’était pas d’ordre public et que le demandeur pouvait renoncer soit expressément soit implicitement au droit de se prévaloir de cette nullité.

De plus, la négligence de l’avocat a été reconnue par la Cour d’appel comme un motif suffisant pour former opposition à jugement (Morin c. Lacasse[7], décision unanime de cinq juges).

Sous l’ancien Code de procédure civile, un plai­deur qui, sans sa faute, avait été empêché de produire une opposition à jugement dans les délais prescrits, pouvait obtenir une prorogation de délai alors qu’il lui aurait été impossible, dans les mêmes circonstances, d’être relevé de la déchéance de son droit d’appel.

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La Cour d’appel était donc plus .rigoureuse à l’égard d’un plaideur qui n’avait pas interjeté appel dans le délai prescrit qu’à l’égard du défendeur condamné par défaut de comparaître ou de plaider.

Les dispositions pertinentes du nouveau Code de procédure civile visent, selon moi, à corriger cette situation puisqu’en matière de prorogation de délai, la règle est la même pour la requête en rétractation de jugement (qui a remplacé, entre autres, l’opposition à jugement) et l’appel.

Après avoir fixé à quinze jours le délai dans lequel peut être faite la requête en rétractation du jugement à la demande de l’une des parties, l’art. 484 C.p.c., édicte ce qui suit:

Ce délai de quinze jours est de rigueur; néanmoins, le tribunal peut, sur demande, et pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, relever des conséquences de son retard la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

En ce qui concerne l’appel, l’art. 494 C.p.c., après avoir prescrit dans quels délais celui-ci doit être formé, édicte que «ces délais sont de rigueur et emportent déchéance»; mais l’art. 523 C.p.c., dispose que la Cour d’appel peut, «nonobstant l’expi­ration du délai prévu à l’art. 494, mais pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d’ap­peler à la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt».

Il m’apparaît dès lors certain que le législateur a voulu que les règles régissant la permission spé­ciale d’appeler visée par l’art. 523 C.p.c., soient les mêmes que celles établies par l’art. 484 C.p.c. pour la prorogation des délais relatifs à la réception d’une requête en rétractation de jugement.

L’article 484 C.p.c., permet la production de la requête en rétractation après l’expiration des délais prescrits si la partie «démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt».

De façon générale, sous l’ancien Code, le délai de quinze jours fixé pour la production de l’opposi­tion à jugement, (art. 1166) pouvait être prorogé si

[Page 526]

le défendeur n’avait pas formé opposition dans ce délai «à raison d’absence, de maladie grave ou d’autre circonstance de force majeure» (art. 1167 C.p.c.).

Sous le nouveau Code, le législateur n’a pas retenu ce critère de la «circonstance de force majeures; il n’a pas adopté non plus celui de l’impossibilité absolue dont parle l’art. 2232 Ce. qui traite de la suspension de la prescription (voir Beaubien c. Laframboise[8], approuvé par Joy Oil Limited c. McColl Frontenac Oil Co. Ltd..[9] En référant à l’impossibilité «en fait», qui est en somme l’impossibilité relative, le législateur a choisi un critère qui est certes moins exigeant que celui de l’impossibilité absolue ou celui qui résulte d’une «circonstance de force majeure».

Les commissaires qui ont préparé le projet du Code de procédure civile se sont d’ailleurs expri­més clairement dans leur commentaire sur l’art. 484:

Cet article a pour but de préciser le délai au cours duquel une requête en rétractation peut être soumise, et d’en déterminer le point de départ en tenant compte des diverses hypothèses qui peuvent se présenter. A remar­quer que le délai est de quinze jours dans tous les cas, et qu’il est déclaré de rigueur. Il est toutefois prévu que le tribunal pourra néanmoins relever une partie des consé­quences de son défaut, si elle démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt. Les Commissai­res avaient d’abord pensé limiter cette possibilité aux seuls cas de force majeure; mais, après réflexion, ils ont cru préférable d’adopter ici une règle un peu moins rigoureuse,

Pour que la Cour supérieure puisse permettre, en vertu de l’art. 484 C.p.c. la production tardive d’une requête en rétractation de jugement, il n’est donc pas nécessaire que la partie démontre qu’elle a été empêchée d’agir par un obstacle invincible et indépendant de sa volonté; il lui suffit d’établir une impossibilité de fait, relative. La règle posée par la dernière partie de l’art. 523 C.p.c. est la même; le’ texte est identique et rien n’indique que le législa­teur ait voulu lui donner un sens différent. L’on doit donc dire que le plaideur qui demande une permission spéciale d’appeler en vertu de cet article

[Page 527]

n’a pas à prouver une impossibilité absolue, mais seulement une impossibilité relative.

Il n’est pas possible de préciser à l’avance chacun des faits d’où peut résulter l’impossibilité relative; chaque espèce doit être jugée selon les circonstances qui lui sont propres, puisque c’est vraiment d’une impossibilité de fait qu’il s’agit.

Dans l’espèce qui nous est soumise, la forclusion a été encourue uniquement à cause de l’erreur des procureurs de l’appelante. La partie elle-même a agi avec diligence et je ne vois pas ce qu’elle aurait pu faire elle-même pour «agir plus tôt».

Mais, dit-on, l’impossibilité dont parle l’art. 523 C.p.c. n’est pas celle de la partie, mais plutôt celle de ses procureurs. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. La dernière partie de l’art. 523 C.p.c. a été édictée en faveur de la partie elle-même de façon à tempérer la rigueur de la déchéance automatique du droit d’appel lorsque le titulaire de ce droit — la partie elle-même — n’a pu agir à temps. L’impossibilité d’agir doit donc s’ap­précier du point de vue de celui qui aura à suppor­ter les conséquences de la forclusion s’il n’en est pas relevé.

D’ailleurs en choisissant le critère de l’impossibi­lité «en fait», le législateur a voulu indiquer que l’impossibilité doit s’apprécier concrètement, en dehors de toute fiction. Or, c’est uniquement par suite d’une fiction légale que l’on pourrait dire que la possibilité d’agir des procureurs est celle de la partie; ce n’est clairement pas ce qu’envisage la dernière partie de l’art. 523 C.p.c.: l’on ne saurait nier l’existence d’une impossibilité réelle, «en fait», en invoquant une fiction suivant laquelle la possi­bilité d’agir d’un représentant devrait être tenue comme celle du représenté.

On ne peut non plus objecter, comme le fait le juge Montgomery que [TRADUCTION] «La partie à un litige, qui a eu gain de cause, a le droit de considérer le jugement prononcé en sa faveur comme définitif si aucun avis d’appel ne lui est signifié dans un délai de trente jours». Cette affir­mation, si elle pouvait être exacte sous l’ancien Code de procédure civile, ne l’est pas sous le

[Page 528]

nouveau Code. L’article 523 C.p.c. permet précisément d’accorder, à certaines conditions, une permission spéciale d’appeler dans les six mois de la date d’un jugement. C’est donc seulement à l’expi­ration de ce délai de six mois qu’un jugement de la Cour supérieure acquiert, en vertu du nouveau Code, la. même force de chose jugée qu’il avait sous l’ancien Code, à l’expiration d’un délai de trente, jours. ‘

Je suis donc “avis que l’appelante a démontré qu’elle avait été «na fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt».

Je suis également d’avis qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce d’accorder à l’appelante la permission spéciale d’appeler qu’elle recherche. Aucune faute ou négligence ne lui est reprochée; la requête pour permission a été présentée avec dili­gence; l’intimée ne prétend pas qu’il s’agit d’un appel futile; la cause qui a été inscrite et jugée en même temps que celle-ci a elle-même été portée en appel. Je n’ai aucune hésitation à dire qu’il s’agit bien ici d’un cas où la discrétion prévue à l’art. 523`•.. C.p.c. doit être exercée de façon favorable à la partie forclose.

Je conclus donc que (a) le pourvoi à l’encontre du jugement de la Cour d’appel qui a débouté l’appelante de son appel doit être rejeté sans dépens et (b) le pourvoi à l’encontre du jugement de la Cour d’appel qui a débouté l’appelante de sa requête pour permission spéciale de signifier doit être accueilli sans dépens, le jugement de la Cour d’appel infirmé et une permission spéciale d’appe­ler doit être accordée à l’appelante avec dépens contre elle, l’appel devant être formé dans les quinze jours de la date du jugement de cette Cour.

Pourvoi contre l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel rejeté sans dépens.

Pourvoi contre l’arrêt rejetant la requête pour permission spéciale d’appeler accueilli sans dépens.

Procureurs de l’appelante: Dagenais & Journet,. Ville de Laval

Procureurs de !’intimée: Jean Guérin, St-Jérôme, et Paul Gélinas, Ste-Agathe, Québec.

[1] [1976] C.S. 269.

[2] (1901), 31 R.C.S. 165.

[3] (1938), 65 B.R. 333.

[4] (1928), 35 R.L. n.s. 446.

[5] (1924), 27 R.P. 67.

[6] (1925), 38 B.R. 536.

[7] [1953] B.R. 738.

[8] (1925), 40 B.R. 194.

[9] [1943] R.C.S. 127.


Parties
Demandeurs : Cité de Pont Viau
Défendeurs : Gauthier Mfg. Ltd.

Références :
Proposition de citation de la décision: Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516 (7 février 1978)


Origine de la décision
Date de la décision : 07/02/1978
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 516 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-02-07;.1978..2.r.c.s..516 ?
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