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07/03/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._818

Canada | Leblanc et autre c. Soeurs de l’Espérance et autres, [1978] 2 R.C.S. 818 (7 mars 1978)


Cour suprême du Canada

Leblanc et autre c. Soeurs de l’Espérance et autres, [1978] 2 R.C.S. 818

Date: 1978-03-07

Fernand Leblanc et Guy Montpetit (Demandeurs) Appelants;

et

Les Sœurs de l’Espérance, La Congrégation des Sœurs de Ste-Famille de Bordeaux en Canada et Hôpital Notre-Dame de l’Espérance (Défenderesses) Intimées.

1977: 8 novembre; 1978: 7 mars.

Présents: Les juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC.

Cour suprême du Canada

Leblanc et autre c. Soeurs de l’Espérance et autres, [1978] 2 R.C.S. 818

Date: 1978-03-07

Fernand Leblanc et Guy Montpetit (Demandeurs) Appelants;

et

Les Sœurs de l’Espérance, La Congrégation des Sœurs de Ste-Famille de Bordeaux en Canada et Hôpital Notre-Dame de l’Espérance (Défenderesses) Intimées.

1977: 8 novembre; 1978: 7 mars.

Présents: Les juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC.


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 818 ?
Date de la décision : 07/03/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Prescription - Honoraires pour services professionnels - Travail non terminé - Point de départ de la prescription - Code civil, art. 2260(6) - Tarif des honoraires des ingénieurs professionnels de la province de Québec, A.C. 891 du 4/9/57, (1957) 89 G.O. 3475.

Les intimées (l’Hôpital) ont retenu les services d’architectes aux fins de préparer les plans et devis d’un agrandissement. Ces derniers ont fait appel aux services des appelants (les Ingénieurs) pour la préparation des plans et devis des travaux électriques et mécaniques. Le litige porte sur les services professionnels rendus par les Ingénieurs pour la préparation d’un projet qui a été suspendue au mois d’avril 1961 avant que les travaux des Ingénieurs aient été terminés. En 1965, les Ingénieurs apprirent par les journaux qu’ils avaient été remplacés par d’autres. Ayant adressé leur compte à l’Hôpital qui a refusé de le payer, ils ont intenté leur action en août 1968. La Cour d’appel, infirmant un jugement de la Cour supérieure, a déclaré que la demande des Ingénieurs était prescrite, la prescription ayant commencé de courir en 1961, soit plus de cinq ans avant la signification de l’action. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Les honoraires des Ingénieurs étant calculés à partir d’un pourcentage du coût estimatif des travaux de construction, le juge de première instance a eu raison d’assimiler leur contrat à un contrat d’entreprise et de statuer que la prescription ne pouvait commencer de courir qu’au moment où les honoraires sont exigibles, c’est-à-dire soit «à la fin des travaux, soit au moment de leur suspension après décision clairement communiquée» aux Ingénieurs. En l’espèce, les travaux n’étant pas terminés et les Ingénieurs n’ayant appris la décision de leur suspension qu’en 1965, soit trois ans avant la signification de l’action, la défense de prescription est mal

[Page 819]

fondée. Le point de départ de la prescription n’est pas modifié non plus par la lettre adressée par les Ingénieurs en février 1966 dans laquelle ils demandent le paiement de leurs honoraires qui, selon eux, sont alors «dus depuis plusieurs années». Des honoraires peuvent être dus sans être exigibles. De plus, le Tarif des honoraires des ingénieurs professionnels de la province de Québec vient étayer l’interprétation du premier juge en déterminant à quel moment les honoraires des Ingénieurs deviennent exigibles. En vertu de ce tarif, lorsque les honoraires des Ingénieurs sont payés selon la méthode de pourcentage, comme en l’espèce, ce pourcentage est calculé sur la valeur des travaux de construction qui est déterminée à l’appel des soumissions. Il s’ensuit que tant que les Ingénieurs n’avaient pas appris qu’il n’y aurait pas de soumissions, ou encore, n’avaient pas été informés qu’on avait mis fin à leur contrat, il leur était impossible d’exiger leurs honoraires puisqu’ils ne pouvaient en déterminer la quotité conformément aux prescriptions du tarif.

Arrêt mentionné: Lalonde c. La Ville de Mont-St-Hilaire, [1970] C.S. 568.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli.

Perrault Cas grain, c.r., et J. Vincent O’Donnell, pour les appelants.

Denise Chalifoux, pour les intimées.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Le pourvoi, déposé de plein droit suivant l’art. 36 (ancien) de la Loi sur la Cour suprême, attaque un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui infirme un jugement de la Cour supérieure condamnant les intimées à payer aux appelants la somme de $28,000 avec intérêts à compter de l’assignation et les dépens.

Les appelants, ingénieurs-conseils régulièrement inscrits au Registre des ingénieurs professionnels de Québec, exercent leur profession en société.

Les Sœurs de l’Espérance étaient propriétaires de l’hôpital Notre-Dame de l’Espérance. En 1960, elles ont vendu tous leurs biens, y compris l’hôpital, à La Congrégation des Sœurs de Ste-Famille de Bordeaux en Canada, la Congrégation assumant les obligations des Sœurs de l’Espérance. En

[Page 820]

1965, la Congrégation a cédé ses droits relatifs à l’hôpital à une autre corporation formée en 1963, Hôpital Notre-Dame de l’Espérance, cette dernière corporation assumant les obligations des deux autres relativement à l’hôpital.

Les appelants (les Ingénieurs) réclament $28,000 d’honoraires des intimées (l’Hôpital) pour les services professionnels qu’ils leur ont rendus. Les parties ont convenu que, si l’action doit être maintenue, elle doit l’être pour la somme de $28,000.

Vers le 19 janvier 1952, l’Hôpital retient les services des architectes Duplessis, Labelle et Derome, aux fins de préparer les plans et devis d’un agrandissement. Le contrat, qui est verbal, ne comprend pas la surveillance des travaux. Les architectes font appel aux services des Ingénieurs pour la préparation des plans et devis des travaux électriques et mécaniques comprenant les systèmes de plomberie, de chauffage, de ventilation, de climatisation, de réfrigération et d’électricité.

L’agrandissement prévu comporte trois projets. Les Ingénieurs travaillent à la préparation des plans et devis du premier projet du 19 janvier 1952 au mois d’août 1953, sur les plans et devis du deuxième projet, du 2 octobre 1953 au 10 décembre 1954, et enfin, sur les plans et devis du troisième projet entre les années 1960 et 1962. Le litige découle du troisième projet: les Ingénieurs ont été payés pour les deux premiers.

La préparation des plans et devis relatifs au troisième projet est temporairement suspendue vers le mois d’avril 1961, en attendant une décision gouvernementale concernant un octroi destiné à financer l’agrandissement. A ce moment, les travaux des Ingénieurs sont fort avancés mais, selon le premier juge, ils ne sont pas terminés. Ils demeurent suspendus jusque vers la fin de l’année 1965 alors que les architectes et les Ingénieurs apprennent par les journaux qu’ils ont été remplacés par d’autres. Ils n’ont pas été autrement informés de leur révocation. Les Ingénieurs adressent leur compte à l’Hôpital qui refuse de les payer. L’action est intentée en août 1968.

Le premier moyen de défense invoqué par l’Hôpital est l’absence de contrat le liant aux Ingé-

[Page 821]

nieurs: le contrat serait intervenu entre les architectes et les Ingénieurs. Ce moyen a été écarté par la Cour supérieure et par la Cour d’appel dont les conclusions concordantes sur ce point n’ont pas été contestées par l’Hôpital devant cette Cour.

Le second moyen de défense et le moyen principal, c’est la prescription extinctive de cinq ans que prévoit l’art. 2260(6) C.c. Personne ne met en doute qu’elle a commencé de courir à compter du moment où la créance des Ingénieurs est devenue exigible mais la Cour supérieure et la Cour d’appel ne s’entendent pas sur la détermination de ce moment.

La Cour supérieure (le juge Carignan) est d’avis que les honoraires des Ingénieurs, qui ont été calculés à partir d’un pourcentage du coût estimatif des tavaux de construction, et non pas sur une base horaire ou au jour le jour, sont le prix global de services rendus durant une période indéterminée. Voici comment le juge Carignan s’exprime relativement à l’exigibilité de ces honoraires:

Le mandat confié aux demandeurs par les défenderesses entraînait l’obligation par ces dernières de payer les honoraires des demandeurs:

a) soit à la fin des travaux;

b) soit au moment de leur suspension après décision clairement communiquée aux demandeurs.

Que les travaux n’aient pas été complétés ressort clairement des faits prouvés.

La date de la suspension définitive communiquée aux demandeurs est clairement une matière à la charge de la défense; elle devait démontrer par une preuve précise à quelle date définitive sa décision de suspendre les travaux a été communiquée aux demandeurs.

La défense n’a pas fait cette preuve; de plus, elle n’a même pas mis en doute la preuve des demandeurs à l’effet qu’ils n’ont appris la suspension des travaux qu’en lisant dans les journaux que d’autres ingénieurs avaient été choisis pour continuer les plans relatifs aux agrandissements. Il va de soi que cette date est carrément dans les cinq (5) années qui ont précédé l’institution des procédures.

La Cour supérieure décide donc que le second moyen de défense est mal fondé, la prescription ayant commencé de courir en 1965 au plus tôt, trois ans avant la signification de l’action.

[Page 822]

La Cour d’appel (les juges Owen, Turgeon et Lajoie) est d’avis que l’action des Ingénieurs est prescrite, la prescription ayant commencé de courir en 1961. Ce n’est que par interprétation que l’on peut trouver les raisons de cette conclusion dans les motifs du juge Owen et ceux du juge Turgeon: ou bien la Cour d’appel tient, contrairement au premier juge, que les plans et devis du troisième projet étaient complètement terminés en 1961, et que les honoraires des Ingénieurs devenaient alors exigibles; ou bien elle décide implicitement que ces honoraires devenaient exigibles au fur et à mesure que progressait la préparation des plans et devis. Le juge Lajoie ajoute que des écrits émanant des Ingénieurs justifient à eux seuls la conclusion que leur action est prescrite. Le juge Lajoie réfère sans doute à une lettre en date du 25 février 1966 adressée à l’Hôpital par les Ingénieurs avec leur compte de $28,000 et dans laquelle les Ingénieurs écrivent que «ces honoraires sont dus maintenant depuis plusieurs années». A mon avis, cette lettre n’est pas concluante: des honoraires peuvent être dus sans être exigibles.

En jugeant que les travaux des Ingénieurs n’ont pas été complétés, le premier juge ne commet aucune erreur: la preuve révèle qu’en 1961, les plans des architectes étaient complétés à 90 pour cent et ceux des Ingénieurs à 80 pour cent environ. L’ingénieur Guy Montpetit atteste sans être contredit qu’il aurait fallu un mois de travail pour terminer les plans et devis et «aller aux soumissions».

Enfin, en tenant que les honoraires des Ingénieurs devenaient exigibles soit à la fin de leurs travaux soit au moment où les Ingénieurs apprenaient que leurs services n’étaient plus requis, le premier juge assimile en pratique leur contrat à un contrat d’entreprise, et je crois que c’est à bon droit. Les plans et devis que les Ingénieurs se sont engagés à livrer, comprenant des plans d’ensemble de travaux électriques et mécaniques et le cahier des charges, constituent un ouvrage intellectuel déterminé qui fait l’objet du contrat. Comme le dit Mignault au sujet du contrat de louage de service par devis et marché:

C’est moins son travail et son industrie que l’ouvrier promet, que l’ouvrage qui est l’objet du contrat et c’est

[Page 823]

pour cette raison que le droit de l’ouvrier à son salaire est subordonné à la livraison de l’ouvrage qu’il a entrepris. (Droit civil canadien, t. 7, à la p. 401.)

(Voir également le jugement du juge Bélanger — aujourd’hui de la Cour d’appel — dans Lalonde c. La Ville de Mont-St-Hilaire[1], aux pp. 569 et 570.)

Selon les principes généraux qui régissent les contrats synallagmatiques, le contractant qui ne s’est pas encore acquitté de l’obligation qu’il a contractée ne peut, à moins de convention contraire, demander que l’autre partie s’acquitte de la sienne. Si l’on s’en tient à ces principes, le premier juge a eu raison, à mon avis, de conclure que la prescription n’a pas commencé de courir avant 1965.

Durant l’audition, cette Cour a soulevé un point qui ne paraît avoir été discuté ni devant la Cour supérieure ni devant la Cour d’appel, peut-être parce que le montant des honoraires réclamés n’est pas contesté. Il s’agit de l’effet du Tarif des honoraires des ingénieurs professionnels de la province de Québec, Arrêté en Conseil Numéro 891 du 4 septembre 1957, Gazette officielle de Québec, 5 octobre 1957, Tome 89, n° 40, p. 3475, adopté conformément à l’art. 4(2) de la Loi des ingénieurs civils, S.R.Q. 1941, c. 270.

Voici les dispositions pertinentes du tarif:

Introduction

La rémunération des services professionnels de l’ingénieur-conseil peut se déterminer selon deux méthodes principales:

1° Paiement basé sur le temps consacré au travail, plus le remboursement de certains déboursés déterminés. C’est cette méthode dite «horaire» qu’on décrit dans la première section.

2° Paiement d’un pourcentage du coût des travaux, plus remboursement de certains frais déterminés. Cette méthode du pourcentage est expliquée dans la deuxième section.

[Page 824]

PREMIÈRE SECTION

Méthode Horaire

Les honoraires basés sur le temps requis sont recommandés pour les travaux et services tels que: consultations, conseils, établissement des données et conditions nécessaires à la préparation des plans et devis, recherches, enquêtes, inspection de matériaux ou de machines, expertises judiciaires et autres services semblables.

DEUXIÈME SECTION

Méthode de pourcentage

La méthode du pourcentage est recommandée pour tous les travaux dont le coût est déterminé à même les calculs de l’ingénieur. Les pourcentages prévus au tableau englobent deux grandes divisions mais ils ne comprennent pas les enquêtes préliminaires menées pour préparer les plans et devis. Voici ces deux grandes divisions: a) Préparation des plans et devis; b) Surveillance durant la construction.

Chaque section comprend les services suivants:

a) Préparation des plans et devis:

i. analyse des données basées sur les exigences du client;

ii. préparation des dessins préliminaires et du projet de devis;

iii. préparation des cahiers des charges et des plans de construction;

iv. l’appel des soumissions.

Tableau des honoraires minimums à pourcentage

Les honoraires à base de pourcentage établis pour la préparation des plans et devis et la surveillance durant la construction se calculent en appliquant le pourcentage prévu au coût des travaux en question.

Coût des travaux

Pourcentage

$200,000 à $1,000,000

5.0

Plans et devis

Le tarif minimum pour seulement la préparation des plans et devis sera, dans le cas des travaux électriques et mécaniques relatifs aux édifices de 70% des honoraires à pourcentages indiqués au tableau qui précède, et de 60% dans le cas de tous autres travaux.

[Page 825]

STIPULATIONS GÉNÉRALES DU CONTRAT

Les clauses, conditions et termes suivants s’appliquent dans tous les cas:

1. …

2. Coût des travaux

a) Par «coût des travaux», il faut entendre le coût total, pour le propriétaire des ouvrages, de toutes les dépenses nécessaires pour exécuter complètement les travaux dont l’ingénieur est responsable ou pour lesquels il a rendu des services professionnels.

b) …

c) …

d) …

e) …

3. Paiement des honoraires à l’ingénieur

a) Si on a recours à la méthode du pourcentage, le montant dû pour la préparation des plans et devis sera basé sur la valeur totale des travaux pour lesquels l’ingénieur a fourni ces plans et devis plus la valeur de tout autre ouvrage qui pourrait être ajouté après l’adjudication du contrat de construction et pour lequel l’ingénieur serait responsable. La portion des honoraires à pourcentage due pour la surveillance sera basée sur le «coût des travaux» réellement construits ou installés.

b) Si on a recours à la méthode du pourcentage et qu’une partie des travaux de l’ingénieur soit terminée et payable sans que l’appel des soumissions ait été proclamé, les honoraires de l’ingénieur pour ladite partie de son travail seront basés soit sur son estimation du «coût des travaux» soit d’après la méthode basée sur le temps, selon ce que conviendront l’ingénieur et son client. Une fois qu’on aura reçu les soumissions et pu déterminer la valeur des travaux, les honoraires seront basés sur cette valeur et ajustés en conséquence.

Dans leur déclaration, les Ingénieurs réfèrent expressément à ce tarif, établissant comme suit le compte de leurs honoraires:

a) Coût estimé des travaux

$1,000,000

b) Tarif applicable, selon l’arrêté en conseil 891, du 4 septembre 1957, pour la préparation des plans et devis (70% du pourcentage prévu pour la préparation des plans et devis et la surveillance, soit 70% de 5%)

3.5%

c) Honoraires complets pour la préparation des plans et devis — (3.5% x $1,000,000)

35,000

[Page 826]

d) Honoraires réclamés pour la partie complétée (80%) des plans et devis (80% x $35,000)

28,000

Les dispositions du tarif ne sont pas seulement importantes parce qu’elles prescrivent «les clauses, conditions et termes» du contrat des Ingénieurs; à mon avis, elles sont déterminantes car elles prescrivent aussi, de façon implicite mais nécessaire, à quel moment les honoraires des Ingénieurs devenaient exigibles.

Le tarif précise les quatre catégories de services que l’ingénieur est appelé à rendre lorsqu’il n’est engagé que pour la préparation des plans et devis, ce qui est le cas des Ingénieurs. La quatrième catégorie vise l’étape de «l’appel des soumissions». Or il ne fait aucun doute que cette étape n’a pas été atteinte en l’instance. Le premier juge a donc indubitablement raison de tenir que les Ingénieurs n’avaient pas complété les travaux pour lesquels ils avaient été engagés. Au surplus, faute de stipulation contraire, les Ingénieurs ne pouvaient normalement exiger leurs honoraires avant que l’étape de l’appel des soumissions ne soit franchie car ils n’avaient pas rendu tous les services que comporte, selon le tarif, un contrat pour la préparation des plans et devis.

Quant aux autres dispositions précitées du tarif, voici comme je les comprends. Les honoraires minimums auxquels un ingénieur-conseil a droit pour la seule préparation des plans et devis et sans compter la surveillance des travaux de construction, sont 70 pour cent ou 60 pour cent (selon qu’il s’agit de travaux électriques et mécaniques ou d’autres travaux) du pourcentage fixé par le tarif pour des travaux de construction d’un coût donné. Le coût des travaux de construction qui doit servir de base de calcul n’est ni le coût estimatif et fait à l’avance des travaux de construction, ni le coût effectif des travaux «réellement construits ou installés»: c’est le coût des travaux de construction suivant les soumissions et, quoiqu’il ne soit pas nécessaire de le décider, c’est vraisemblablement le coût des travaux qui est déterminé par «l’adjudication du contrat de construction».

[Page 827]

Telles sont à mon avis les seules conclusions que l’on puisse tirer de l’art. 3 de la partie du tarif intitulée «Stipulations générales du contrat». L’alinéa b) de cette disposition vise le cas où une partie seulement des plans et devis est terminée et où les services de l’ingénieur sont payables avant l’appel des soumissions. Dans ce cas, les honoraires peuvent être calculés à partir du coût estimatif des travaux de construction. Mais il s’agit là d’un calcul provisoire sujet à rajustement. Le reste de la disposition le postule, le coût des travaux de construction qui doit servir de base de calcul reste, dans ce cas comme dans les autres cas, celui que l’on aura pu déterminer «une fois qu’on aura reçu les soumissions».

D’autre part, lorsque l’ingénieur est engagé pour la surveillance des travaux, le coût des travaux qui sert de base de calcul pour cette portion de ses honoraires est le coût des travaux de construction «réellement construits ou installés» et non pas le coût des travaux suivant les soumissions. C’est ce que prescrit l’al. a) de l’art. 3 des «Stipulations générales du contrat».

Il s’ensuit qu’à moins de stipulation contraire, la partie des honoraires d’un ingénieur-conseil qui est destinée à payer la préparation des plans et devis n’est pas exigible avant que l’on ait reçu les soumissions et pu déterminer la base de calcul de ces honoraires qui est prescrite par le tarif. Quant à la portion des honoraires à pourcentage due pour la surveillance des travaux, elle sera pour la même raison exigible après la fin des travaux de construction, quand on pourra déterminer le coût des travaux «réellement construits ou installés». Avant ces moments, il manque à l’ingénieur un élément indispensable au calcul des honoraires minimums que la loi lui impose d’exiger.

Puisqu’il y a accord entre les parties en l’instance sur le montant de la réclamation des Ingénieurs, nous n’avons pas à décider ce que prescrit le tarif à ce sujet quand il n’y a pas d’appel de soumissions, ni si le montant réclamé est conforme au tarif. Mais une chose est certaine: tant que les Ingénieurs n’ont pas appris qu’il n’y aurait pas de soumissions sur les plans et devis qu’ils avaient préparés, ou encore, tant qu’ils n’ont pas été infor-

[Page 828]

més que l’on avait mis fin à leur contrat, il leur était impossible d’exiger leurs honoraires puisqu’ils ne pouvaient en déterminer la quotité conformément aux prescriptions du tarif.

Or, suivant la preuve non contredite des Ingénieurs, retenue par le premier juge, c’est en 1965 que les Ingénieurs ont appris que l’Hôpital avait mis fin à leur contrat et qu’il n’y aurait pas de soumissions sur les plans et devis qu’ils avaient préparés. Le tarif confirme donc le résultat auquel le premier juge est arrivé en suivant les principes généraux: la prescription n’a pas commencé de courir avant 1965.

L’ Hôpital plaide également, à propos de la prescription, que le contrat des Ingénieurs a pris fin vers 1961 lorsque les plans ont été soumis au gouvernement et ils invoquent l’art. 3 de la Loi des Hôpitaux, S.R.Q. 1964, c. 164, en vigueur à l’époque pertinente car il reproduit la Loi des Hôpitaux, S.Q. 1962, c. 44, art. 3:

Nul ne peut établir, transformer, agrandir ou cesser d’exploiter un hôpital sans l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil.

L’établissement d’un hôpital comprend l’acquisition ou l’utilisation de terrains ou de bâtiments et la construction nouvelle ou la transformation.

Je ne suis pas d’accord avec cette prétention de l’Hôpital. La nécessité d’une autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil n’implique pas que la préparation des plans et devis soit terminée. Il pourrait en être autrement si l’on avait essuyé un refus définitif qui aurait été porté à la connaissance des Ingénieurs, mais la preuve d’un tel refus n’a pas été faite. Au contraire, suivant la déposition non contredite de l’administratrice de l’Hôpital, témoignant pour ce dernier, l’Hôpital gardait l’espoir que l’autorisation gouvernementale finirait par être accordée.

Le pourvoi doit être accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel, cassé, et le jugement de la Cour supérieure, rétabli, avec dépens en cette Cour comme en Cour d’appel.

Pourvoi accueilli avec dépens.

[Page 829]

Procureurs des appelants: Lavery, Johnston, O’Donnell, Clark, Carrière, Mason & Associés, Montréal.

Procureurs des intimées: Chapados, Chevalier & Gaul, Montréal.

[1] [1970] C.S. 568.


Parties
Demandeurs : Leblanc et autre
Défendeurs : Soeurs de l’Espérance et autres
Proposition de citation de la décision: Leblanc et autre c. Soeurs de l’Espérance et autres, [1978] 2 R.C.S. 818 (7 mars 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-03-07;.1978..2.r.c.s..818 ?
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