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03/10/1978 | CANADA | N°[1979]_1_R.C.S._275

Canada | Berardinelli c. Ontario Housing Corp, [1979] 1 R.C.S. 275 (3 octobre 1978)


Cour suprême du Canada

Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275

Date: 1978-10-03

Carmen Berardinelli (Demandeur) Appelant;

et

Ontario Housing Corporation et Sa Majesté du chef de la province de l’Ontario (Défenderesses) Intimées;

et

Paul Pickett, de la ville de Mississauga, municipalité régionale de Peel, faisant affaire sous la raison sociale Paul Pickett Landscaping (Mis en cause) Intimé.

1978: 23 février; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Dickson, Beetz,

Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ONTARIO.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême...

Cour suprême du Canada

Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275

Date: 1978-10-03

Carmen Berardinelli (Demandeur) Appelant;

et

Ontario Housing Corporation et Sa Majesté du chef de la province de l’Ontario (Défenderesses) Intimées;

et

Paul Pickett, de la ville de Mississauga, municipalité régionale de Peel, faisant affaire sous la raison sociale Paul Pickett Landscaping (Mis en cause) Intimé.

1978: 23 février; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ONTARIO.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême de l’Ontario[1] qui rejette un appel d’un jugement du juge Henry[2] déclarant que l’intimée, l’Ontario Housing Corporation, peut se prévaloir de la prescription de six mois prévue à The Public Authorities Protection Act. Pourvoi accueilli, le juge Martland étant dissident.

J. Edgar Sexton, pour l’appelant.

Duncan Finlayson, c.r., pour les intimées.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson, Beetz, Estey et Pratte a été rendu par

LE JUGE ESTEY — Ce pourvoi vise une décision rendue par les cours d’instance inférieure sur une question préliminaire de droit soulevée par la plaidoirie écrite et soumise par procédure interlocutoire en vertu de la règle 124 des Règles de la Cour suprême de l’Ontario. La règle 124 dispose:

[TRADUCTION] Chaque partie peut soulever une question de droit par sa plaidoirie écrite et, sur consentement des parties ou sur autorisation d’un juge, cette question de droit peut être tranchée lors d’une audition préalable à l’audition au fond; sinon la question doit être tranchée lors de l’audition au fond.

Aux fins de cette requête, les parties admettent les faits exposés dans la déclaration. Ils se résument comme suit. L’intimée, l’Ontario Housing Corporation, une société sans capital-actions constituée en vertu de The Ontario Housing Corporation Act, 1964 (Ont.), chap. 76, reprise par The Ontario Housing Corporation Act, R.S.O. 1970, chap. 317, est propriétaire de logements situés à Napanee Court, dans la ville de Toronto (Ontario), et l’appelant est locataire d’un de ces logements. Alors que l’appelant passait sur les terrains communs du complexe d’habitation, il a fait une chute sur de la

[Page 278]

glace ou de la neige tassée et s’est blessé. L’appelant a fait délivrer un bref d’assignation plus de six mois après la date de l’accident. L’intimée invoque l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1970, chap. 374, modifié par 1976 (Ont.), chap. 19, et soutient que la réclamation de l’appelant est prescrite, car le délai de prescription prévu à cette loi est de 6 mois.

L’intimée est propriétaire des logements en vertu de The Housing Development Act, R.S.O. 1970, chap. 213, modifié par 1974 (Ont.), chap. 31 (et 1976 (Ont), chap. 44, art. 2) et plus particulièrement du par. 6(2) qui dispose:

[TRADUCTION] Le lieutenant gouverneur en conseil peut constituer des sociétés et leur conférer les pouvoirs et devoirs jugés nécessaires à la mise en œuvre de toute disposition d’un accord conclu en vertu du paragraphe 1, de travaux de lotissement ou d’une entreprise de logement, y compris le pouvoir de planifier, de construire et de gérer pareille entreprise aux termes de l’accord ou autrement, de même que le pouvoir d’acquérir et d’aliéner des terrains en son propre nom. [C’est moi qui souligne.]

Il est pertinent à ce stade de citer l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act, précité:

[TRADUCTION] 11. Aucune action, poursuite ou autre procédure n’est recevable ou ne peut être intentée contre une personne pour un acte fait en conformité ou en exécution d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public, ou avec l’intention de l’exécuter, ou pour une prétendue négligence ou omission dans l’exécution de ce devoir ou pouvoir, à moins d’être intentée dans les six mois suivant l’acte, la négligence ou l’omission reprochés, ou, en cas de préjudice ou dommage continus, dans les six mois suivant leur cessation.

La question de droit soumise à la Cour en vertu de la règle 124 est énoncée à l’avis de requête:

[TRADUCTION]. savoir si la défenderesse, l’Ontario Housing Corporation, a le droit d’invoquer l’art, 11 de The Public Authorities Protection Act.

Le tribunal de première instance a conclu qu’étant mandataire de Sa Majesté au sens de The Crown Agency Act, R.S.O. 1970, chap. 100, l’intimée est un pouvoir public, qu’elle a donc le droit

[Page 279]

d’invoquer l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act et que l’action intentée par l’appelant est prescrite par la Loi. Dans sa décision, le juge Henry a déclaré:

[TRADUCTION] La question est réglée par l’art. 2 de The Crown Agency Act qui prévoit que la Société est, à toutes fins, mandataire de Sa Majesté la Reine et qu’elle ne peut exercer ses pouvoirs qu’à titre de mandataire de Sa Majesté.

La Cour d’appel est parvenue à la même conclusion par un autre cheminement. Elle a jugé à l’unanimité que même si l’intimée est en droit mandataire de Sa Majesté, certains de ses devoirs et pouvoirs sont de telle nature que la Société ne peut invoquer l’art. 11 à leur égard. En conséquence, la Cour d’appel a analysé ce qu’on a appelé le deuxième point litigieux, savoir si [TRADUCTION] «la négligence ou l’omission en cause a été commise dans l’exécution d’un devoir ou d’un pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public». La Cour est arrivée à la conclusion suivante:

[TRADUCTION] L’administration de logements comporte nécessairement l’obligation d’enlever la glace et la neige des voies d’accès aux logements et des terrains communs. Cela fait partie de la gestion normale d’une propriété… L’omission d’enlever la glace ou la neige des terrains communs est directement liée au pouvoir que la Loi confère à la Société à cet égard. L’appelant est un membre du public au profit duquel le pouvoir en question doit être exercé. Il ne s’agit pas d’une activité accessoire, sans caractère public.

En conséquence, il fut jugé que l’art. 11 de la Loi s’appliquait et, le délai de prescription étant expiré, l’appel fut rejeté.

La question soulevée dans ce pourvoi porte sur l’interprétation et l’interaction du par. 6(2) de The Housing Development Act et de l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act. Les dispositions habilitantes du par. 6(2) confèrent [TRADUCTION] «les pouvoirs et devoirs jugés nécessaires… et le pouvoir de planifier, de construire et de gérer pareille entreprise…». Ces termes semblent suffisamment larges pour couvrir pratiquement toutes les activités administratives et de gestion, sous toutes leurs facettes et dans tous les détails matériels, dans la construction et l’exploitation de logements. Cette disposition doit donc être lue à la

[Page 280]

lumière de l’expression suivante de l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act: «…un acte fait… en exécution d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public» pour déterminer si la protection de l’art. 11 couvre l’exercice intégral du pouvoir et devoir de «planifier, de construire et de gérer» prévu au par. 6(2), ou si elle ne s’étend qu’aux activités à caractère public plutôt que privé.

La Cour est donc aux prises avec au moins deux interprétations possibles, quoique bien différentes, de l’art. 11. L’une accorderait la protection de la prescription prévue à l’art. 11 pour tout acte, même tout à fait mineur, accompli en exécution des pouvoirs conférés au par. 6(2) de The Housing Development Act. L’imposition de cette prescription à cette classe spéciale aurait pour effet direct de créer deux catégories de logements: les logements exploités par des personnes mandatées par la Loi et protégées par la prescription de six mois et les logements exploités par des personnes sans pouvoirs conférés par la loi et à l’égard desquelles la prescription générale s’appliquerait. Bien évidemment, les membres du public dont les droits sont directement atteints par la distinction ne pourront voir de différence entre les deux sortes de complexes d’habitation.

L’autre interprétation possible aurait pour effet de restreindre l’application de la prescription de six mois aux aspects des pouvoirs exercés en vertu du par. 6(2) qui ont une connotation et un impact publics, par opposition aux nombreux actes à caractère privé ou sans vraiment de connotation ni d’impact publics.

L’article 11, qui restreint les droits d’action des citoyens, dans ses termes même, doit en conséquence être interprété strictement. Toute ambiguïté découlant de l’application des règles appropriées d’interprétation des lois doit donc être résolue en faveur de la personne dont les droits sont diminués. Il est indubitable que la disposition contestée est ambiguë et imprécise. C’est une disposition d’une loi provinciale relative à certains titulaires de fonction publique, dont les juges de paix, les agents de la paix, les shérifs, les juges

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provinciaux et les personnes pouvant être assujetties à un mandamus ou à une injonction mandataire, de même que les autres personnes dont les fonctions sont relatives à Tordre public.

L’article tire son origine d’une loi du Royaume-Uni promulguée en 1893 et maintes fois soumise aux tribunaux depuis (voir Public Authorities Protection Act, 1893 (56 et 57 Vict. chap. 61). Dans l’affaire Bradford Corporation v. Myers[3], où il s’agissait d’une municipalité qui avait commis une négligence en livrant du coke, un résidu produit dans le cadre de l’exécution de son obligation légale d’approvisionner le district en gaz, le lord chancelier Buckmaster dit (à la p. 247):

[TRADUCTION] Autrement dit, ce n’est pas parce que l’acte à l’origine d’une poursuite relève du pouvoir d’une autorité publique que cette dernière a droit à la protection de la Loi. C’est parce que l’acte découle de l’exécution directe d’une loi, de l’accomplissement d’un devoir public ou de l’exercice d’un pouvoir public. J’emploie ces mots dans le sens d’un devoir à l’égard du public en général ou d’un pouvoir exercé impartialement à l’égard du public en général. Cela suppose donc que certains devoirs et pouvoirs ne sont pas de nature publique et que la loi n’accorde pas de protection quand on les accomplit. [C’est moi qui souligne.]

La Cour a conclu que la municipalité n’était pas protégée par la prescription parce que la vente de coke par elle ne faisait pas partie de l’exécution directe de la Loi, ni d’un devoir ou pouvoir public en découlant, mais était plutôt une activité secondaire. Il est intéressant de souligner que la Cour a pris pour acquis que l’article ne s’appliquait qu’aux pouvoirs publics bien que son texte (tout comme l’art. 11 soumis à cette Cour) précise que la disposition protège «une personne pour un acte fait en conformité ou en exécution d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public…». Cette interprétation restrictive du mot «personne» peut s’expliquer par le titre de la Loi. La loi ontarienne, The Interpretation Act, (R.S.O. 1970, chap. 225) définit le mot «personne» comme suit:

[TRADUCTION] 30.28 «Personne» comprend une société, les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs

[Page 282]

ou autres représentants légaux d’une personne visée par le contexte conformément à la loi;

Il semble donc que l’art. 11 s’applique à des personnes morales constituées ou non en corporation, qu’il s’agisse ou non, dans ce cas, de mandataires de Sa Majesté ou non. Cependant, cette Cour n’a pas à trancher la question puisqu’il ne fait aucun doute que l’intimée est un mandataire de Sa Majesté, quelle que soit la pertinence ou l’importance de ce fait sur les questions soulevées dans ce pourvoi.

C’est dans l’affaire McGonegal et autres c. Gray et autres[4], que cette Cour a étudié l’art. 11 pour la dernière fois. Le juge Rand a écrit, en son nom et au nom des juges Taschereau et Cartwright (à la p. 287):

[TRADUCTION] Le lord chancelier Buckmaster souligne que le texte de l’article sous-entend que, quoique autorisés, certains actes accomplis par les pouvoirs publics ne sont pas de nature «publique», mais je ne pense pas que cela exclut la possibilité que toutes les activitiés autorisées d’une autorité publique puissent avoir un caractère entièrement public.

Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si le conseil scolaire et l’institutrice à son emploi étaient protégés par la prescription de l’art. 11 dans le cas d’une réclamation intentée au nom d’un écolier de douze ans qui s’était blessé en allumant un réchaud à gaz à la demande de l’institutrice, afin de faire chauffer le repas de cette dernière et peut-être celui de certains élèves.

Après avoir conclu à la non-application de l’art. 11, le juge Rand poursuit (à la p. 290):

[TRADUCTION] Mais l’acte à l’origine de la blessure n’a pas été accompli dans le cadre de l’exécution d’une responsabilité publique directement liée aux intérêts des enfants: il n’avait pas atteint ce caractère public; il s’agissait d’un acte de nature privée accompli en vertu d’un pouvoir de nature privée.

La Cour rendit une décision à quatre contre trois, la dissidence concluant que l’art. 11 s’appliquait puisque la demande de l’institutrice faisait partie de l’exécution des devoirs prévus à The Public Schools Act et qu’en conséquence, l’institu-

[Page 283]

trice était une autorité publique qui avait droit à la même protection que les administrateurs.

J’ai déjà indiqué que l’art. 11 tire son origine d’une loi anglaise, la Public Authorities Protection Act, 1893. Il existe cependant une différence entre l’art. 1 de la Loi de 1893 et l’art. 11; ce dernier contient le mot «autre» immédiatement avant l’expression «devoir… public». Dans la loi anglaise, la disposition se réfère à «un devoir ou pouvoir public ou conféré par la loi…» alors que les mots-clés de l’article ontarien parlent d’«un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou… un autre devoir ou pouvoir public…» [C’est moi qui souligne.] A la lumière du principe fondamental d’interprétation des lois selon lequel il faut, dans toute la mesure possible, accorder un sens à tous les mots employés dans une loi, on doit présumer que le terme «autre» a été ajouté par le législateur dans un but précis. A mon avis, le mot «autre», qui qualifie l’expression devoir public, elle-même juxtaposée aux termes «un devoir… conféré par la loi», vise clairement l’existence de devoirs légaux publics d’une part et de devoirs légaux sans caractère public d’autre part; ces derniers sont exclus de l’art. 11. En fait, il appert que le juge Rand a reconnu cette classification des fonctions dans McGonegal, précité, lorsqu’il déclare:

[TRADUCTION] La distinction faite dans Myers qui restreint la notion de service public aux actes directement liés à son exécution par opposition aux actes à caractère privé, mais accessoires à l’entreprise et aux pouvoirs considérés globalement, et dans Clarke entre les actes publics directs et essentiels et ceux qui leur sont accessoires ou incidents, nous fournit la ligne de démarcation aux fins présentes.

Il s’ensuit donc que l’expression «un devoir… conféré par la loi ou… autre devoir… public» à l’art. 11 vise, dans le contexte du par. 6(2) de The Housing Development Act, les aspects des pouvoirs et devoirs légaux qui ont une connotation ou un aspect public et ne comprend pas les responsabilités de planification, de construction et d’administration (pour reprendre le par. 6(2)) qui ont une connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires. Interpréter l’article autrement rendrait la prescription de l’art. 11 applicable à tous les aspects des pouvoirs énoncés au par. 6(2), y compris les activi-

[Page 284]

tés courantes, si insignifiantes soient-elles d’un point de vue administratif, et, comme je l’ai déjà dit, créerait deux situations distinctes en matière de responsabilité du propriétaire pour deux logements apparemment semblables. En fait, en plaidant une telle interprétation de l’article, l’avocat de l’intimée a franchement admis qu’il était en faveur de ce résultat. Mais c’est l’interprétation la plus pratique et la plus efficace qu’il faut retenir lorsque les termes utilisés par le législateur le permettent et c’est particulièrement vrai lorsque l’autre interprétation possible a pour effet de diminuer les droits d’action des citoyens lésés ou blessés.

C’est le sens de l’interprétation donnée à la loi anglaise, qui ne contient pas le mot «autre»; il faut donc en conclure que les devoirs légaux ont été divisés en deux groupes, ceux qui sont publics de façon inhérente et ceux qui ont une connotation privée. L’addition du mot «autre» dans la Loi élimine, à mon avis, tout doute qu’un tribunal aurait pu avoir en adoptant pareille interprétation. Les conditions sociales actuelles sont très différentes de celles qui prévalaient en 1893, époque de l’adoption de la Loi. L’interprétation que j’ai adoptée paraît encore plus appropriée à la lumière de cette évolution, car elle reflète le rôle accru du gouvernement et de ses mandataires dans notre société moderne, plus particulièrement dans les domaines industriel et commercial qui relevaient autrefois principalement d’intérêts privés.

Cette interprétation de l’art. 11 a pour effet de séparer en deux catégories les actes que l’intimée peut accomplir en exécution de ses pouvoirs et devoirs en vertu du par. 6(2) de sa loi constitutive; il s’agit d’une part des actes à caractère public ou de nature essentiellement publique et d’autre part d’une catégorie d’activités, dont celles de gestion, qui sont plus de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine. La jurisprudence laisse peu de doute que la séparation des pouvoirs légaux entre ce qui est privé et ce qui est public n’est pas

[Page 285]

une tâche facile (voir Griffiths v. Smith[5], lord Porter, à la p. 211; Bradford Corporation v. Myers, précité, lord Buckmaster, à la p. 250). Mais peu importe la difficulté, la présente Cour doit trouver la véritable signification de l’art. 11 à la lumière de la relation de cette disposition législative avec The Housing Development Act et déterminer à quelle catégorie appartiennent les responsabilités en cause en l’espèce.

Étant donné la nature des procédures à l’origine de ce pourvoi, nous ne disposons pas d’une preuve détaillée sur les actes accomplis par l’intimée en exécution de son pouvoir et devoir de gérer le complexe de logements en cause. L’exposé conjoint des faits révèle cependant que l’intimée a, aux fins de l’exploitation de ces logements, conclu un contrat avec un tiers pour l’enlèvement de la neige des terrains dont l’intimée a apparemment le contrôle et certainement la propriété. Aux fins de la présente requête, on a présumé que les blessures subies par l’appelant étaient dues au défaut de l’intimée ou du tiers d’enlever la neige et la glace des terrains en question.

Les pouvoirs et les devoirs conférés à l’intimée (aux fins de ces deux dispositions, j’assimile le mot «powers» (pouvoirs) à l’art. 6(2) de The Housing Development Act au mot «authority» (pouvoirs) à l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act), comprennent le pouvoir de «planifier, de construire et de gérer pareille entreprise [de logement]…». Il est évident que, dans le contexte, les mots «planifier, construire et gérer» visent non seulement les droits et les devoirs globaux, par exemple de veiller sur les biens de la société et de prendre à l’occasion les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif dans l’intérêt public, mais s’appliquent également aux activités administratives à caractère courant et plus matériel, notamment le ramassage des ordures, le nettoyage des vitres, la location initiale et la relocation des logements devenus vacants, la tonte du gazon, le financement et le refinancement des hypothèques enregistrées sur les logements ou certains d’entre eux, et diverses autres tâches administratives de tous

[Page 286]

ordres. L’enlèvement de la neige par l’intimée constitue, dans le cadre de l’exécution de son mandat en vertu du par. 6(2), une activité à caractère privé et courant par opposition à ses obligations de planifier, de construire et de gérer un complexe d’habitation, qui ont un caractère public. C’est une tâche qui incombe à presque tous les propriétaires au Canada en hiver.

L’obligation de la direction d’assurer un accès continu aux lieux durant l’hiver peut faire l’objet d’un sous-contrat, soit comme clause d’un bail, soit comme clause d’un contrat distinct. En effet, dans les grands complexes, il arrive souvent que la direction engage un employé, un tiers sous-contractant, ou un locataire pour s’acquitter de cette tâche qui, au premier chef, bénéficie surtout aux occupants des lieux. Il est bien évident qu’en bénéficient également, de façon accessoire, les personnes qui se rendent sur les lieux à titre d’invités, de personnes autorisées ou peut-être même d’intrus. En fait, le public en général bénéficie dans une certaine mesure de l’exécution de l’obligation d’enlever la neige, que ce soit pour la livraison du courrier ou autres services résidentiels. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas là d’un des principaux devoirs exercés dans l’intérêt public qui vient à l’esprit lorsqu’on envisage les diverses activités qu’impliquent la planification, la construction et l’administration d’un complexe d’habitation dans le Toronto métropolitain ou ses environs. Il ne s’agit pas à mon avis d’un aspect d’une activité qui est «une responsabilité publique directe» ou a un «caractère public», pour reprendre les expressions employées par la majorité en cette Cour dans l’arrêt McGonegal, précité. Il s’agit principalement d’un acte à caractère «accessoire», «incident» ou «privé», selon la terminologie du juge Rand dans cette affaire.

Il s’ensuit donc que les actes et omissions reprochés à l’intimée, qui auraient contribué aux blessures subies par l’appelant, ne font pas partie des «devoirs conférés par la loi ou autres devoirs publics» visés par la prescription de l’art. 11.

En conséquence, je suis d’avis de répondre par la négative à la question posée par l’appelant dans la requête présentée en vertu de la règle 124 des

[Page 287]

Règles de pratique de la Cour suprême de l’Ontario et je conclus que l’intimée n’a pas le droit d’invoquer l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act. Sauf dans la mesure où il répond à la question posée, le présent jugement ne touche en aucune façon aux droits et obligations ultimes des parties au litige.

Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi. Puisque les parties ont convenu de recourir à la règle 124 pour faire trancher la question préliminaire de la prescription et que ces procédures préliminaires ne tranchent pas les droits ultimes des parties relativement aux réclamations en l’espèce, je suis d’avis d’adjuger les dépens en première instance, en Cour d’appel et en cette Cour en faveur du demandeur.

LE JUGE MARTLAND (dissident) — Le 3 septembre 1975, l’appelant a produit une déclaration contre les intimées, l’Ontario Housing Corporation (ci-après appelée la «Société») et Sa Majesté du chef de la province de l’Ontario. Le bref avait été délivré le même mois. L’appelant allègue que la Société a été établie au nom de Sa Majesté du chef de la province de l’Ontario et qu’elle en est mandataire.

Il s’agit d’une demande de dommages-intérêts pour blessures corporelles. L’appelant allègue qu’il était locataire d’un logement de la Société, situé à Napanee Court, à Toronto. Il déclare avoir fait une chute, le 6 décembre 1974, en glissant sur une plaque de glace sur les terrains communs qui entourent les logements de Napanee Court dont la Société est propriétaire et occupant. La réclamation est fondée sur la prétendue négligence des intimées quant à l’entretien de la propriété dont elles avaient la garde.

En défense, les intimées ont notamment invoqué l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1970, chap. 374, aux termes duquel:

[TRADUCTION] 11. Aucune action, poursuite ou autre procédure n’est recevable ou ne peut être intentée contre une personne pour un acte fait en conformité ou

[Page 288]

en exécution d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public, ou avec l’intention de l’exécuter, ou pour une prétendue négligence ou omission dans l’exécution de ce devoir ou pouvoir, à moins d’être intentée dans les six mois suivant l’acte, la négligence ou l’omission reprochés, ou, en cas de préjudice ou dommage continus, dans les six mois suivant leur cessation.

La présente action a été intentée plus de six mois après la prétendue négligence.

Conformément à la règle 124 des Règles de la Cour suprême de l’Ontario, l’appelant a présenté une requête pour faire trancher une question préliminaire de droit, savoir si la Société a le droit d’invoquer cet article. Aux seules fins de la requête, les parties ont admis les faits allégués dans la déclaration. Les tribunaux d’instance inférieure ont tous deux jugé, mais pour des motifs différents, que la Société a droit à la protection de la prescription de six mois. L’appelant, sur autorisation, se pourvoit maintenant devant cette Cour.

Le juge Howland, qui a rédigé l’arrêt unanime de la Cour d’appel, écrit:

[TRADUCTION] En l’espèce, nous devons trancher deux questions:

a) la Société est-elle protégée par la prescription prévue à l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act?;

b) la négligence ou l’omission en cause a-t-elle été commise dans l’exécution d’un devoir ou d’un pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public?

L’article 11 de The Public Authorities Protection Act a été ajouté à la Loi en 1911 par 1 Geo. V, chap. 22, par. 13(1). A l’origine, cette loi protégeait principalement les juges de paix et les agents de la paix. Malgré la formulation générale de l’art. 11, il semble clairement établi que les mots «une personne» ne visent que les pouvoirs publics. Comme l’a souligné le juge Kerwin dans McGonegal et autres c. Gray et autres, [1952] 2 R.C.S. 274, à la p. 282, au sujet de l’art. 11:

«L’article de loi ontarien est en substance identique à l’art. 1 de la loi anglaise, la Public Authorities Protection Act, 1893, qui a été examinée dans de nombreuses décisions anglaises, écossaises et irlandaises. La Chambre des lords en cite certaines dans l’arrêt Bradford Corporation v. Myers, [1916] 1 A.C. 242, dans lequel elle a jugé que le mot «personne» doit être interprété comme ne s’appliquant qu’aux pouvoirs publics.»

[Page 289]

En réponse à la première question, la Cour d’appel a décidé que la Société tombe dans la catégorie de personnes qui a droit à la protection prévue à l’art. 11. Je souscris aux motifs rédigés à l’appui de cette conclusion.

Devant cette Cour, les plaidoiries ont principalement porté sur la seconde question énoncée par le juge Howland de la Cour d’appel. L’appelant soutient que la Loi n’englobe pas tous les actes d’une autorité publique et qu’un organisme public n’est protégé que lorsqu’il agit dans l’exécution d’un devoir ou pouvoir de nature publique. Il est allégué que l’autorité publique ne peut invoquer la prescription dans le cas d’actes de nature privée, purement accessoires à la réalisation directe de ses objectifs principaux, et que, comme en l’espèce l’enlèvement de la neige sur les terrains communs n’est pas un devoir expressément imposé à la Société, cette activité est purement accessoire à la réalisation de ses objectifs.

La Société invoque le par. 6(2) de The Housing Development Act, R.S.O. 1970, chap. 213, qui dispose:

[TRADUCTION] 6. (2) Le lieutenant gouverneur en conseil peut constituer des sociétés et leur conférer les pouvoirs et devoirs jugés nécessaires à la mise en œuvre de toute disposition d’un accord conclu en vertu du paragraphe 1 ou d’une entreprise de logement, y compris le pouvoir de planifier, de construire et de gérer toute entreprise de logement aux termes de l’accord ou autrement, de même que le pouvoir d’acquérir et d’aliéner des terrains en son propre nom.

Le paragraphe (1) de l’art. 6 habilite le gouvernement de l’Ontario à conclure des accords avec le gouvernement du Canada dans le cadre de programmes conjoints au sens de la Loi nationale sur l’habitation, 1954, S.C. 1953-54, chap. 23. La Société soutient que l’enlèvement de la glace et de la neige des trottoirs et terrains communs entourant les lieux en question fait partie des fonctions de gérance de la propriété et des bâtiments dans l’intérêt du public en général, conformément aux pouvoirs que la Loi lui confère.

L’appelant appuie sa prétention sur l’arrêt de la Chambre des lords, Bradford Corporation v.

[Page 290]

Myers[6]. Dans cette affaire-là, la défenderesse, une municipalité, était autorisée par une loi du Parlement à exploiter une usine à gaz et était tenue d’approvisionner en gaz les habitants du district; elle était en outre autorisée à vendre le coke, un sous-produit du gaz. La défenderesse s’était engagée par contrat à vendre et à livrer une tonne de coke au demandeur. Par suite d’une négligence de son mandataire, le coke fut déchargé dans la vitrine du demandeur. Plus de six mois plus tard, le demandeur a intenté une action contre la défenderesse. Cette dernière a plaidé l’irrecevabilité de la demande en vertu de l’art. 1 de la Public Authorities Protection Act, 1893.

Voici l’extrait pertinent de l’art. 1:

[TRADUCTION] Les dispositions suivantes s’appliquent lorsque, après l’entrée en vigueur de la présente loi, une action, poursuite ou autre procédure est intentée au Royaume-Uni contre une personne pour un acte fait en conformité ou en exécution d’une loi du Parlement, ou avec l’intention de l’exécuter, ou en conformité ou en exécution d’un devoir ou pouvoir public, ou avec l’intention de l’exécuter, ou pour une négligence ou omission dans l’exécution de cette loi, de ce devoir ou de ce pouvoir:

a) L’action, la poursuite ou la procédure n’est pas recevable et ne peut être intentée à moins de l’être dans les six mois suivant l’acte, la négligence ou l’omission reprochés ou, en cas de préjudice ou dommage continus, dans les six mois de leur cessation:

Ce texte est essentiellement le même que celui de l’art. 11 de la loi ontarienne. Je ne pense pas qu’il faille accorder de l’importance, aux fins de leur interprétation, au fait que la loi anglaise parle d’«une loi du Parlement… ou d’un devoir ou pouvoir public», alors que la loi ontarienne parle «d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public». [C’est moi qui souligne.] Ces deux lois envisagent l’exécution d’un devoir ou pouvoir public ainsi que l’exécution d’une loi. Le mot «autre» dans la loi ontarienne ne fait qu’accentuer ce point.

Il fut décidé que l’acte en cause ne découlait pas de l’exécution directe d’une loi ni de l’accomplisse-

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ment d’un devoir public ni de l’exercice d’un pouvoir public et qu’en conséquence, la défense fondée sur la Public Authorities Protection Act, 1893 (R.-U.) ne pouvait être retenue.

L’appelant a invoqué le passage suivant tiré des motifs du lord chancelier Buckmaster (à la p. 247):

[TRADUCTION] Autrement dit, ce n’est pas parce que l’acte à l’origine d’une poursuite relève du pouvoir d’une autorité publique que cette dernière a droit à la protection de la Loi. C’est parce que l’acte découle de l’exécution directe d’une loi, de l’accomplissement d’un devoir public ou de l’exercice d’un pouvoir public. J’emploie ces mots dans le sens d’un devoir à l’égard du public en général ou d’un pouvoir exercé impartialement à l’égard du public en général. Cela suppose donc que certains devoirs et pouvoirs ne sont pas de nature publique et que la loi n’accorde pas de protection quand on les accomplit.

Puis, lord Buckmasteir poursuivit en ces termes:

[TRADUCTION] La présente affaire nous donne un bel exemple de cette distinction. On peut admettre que l’autorité locale était tenue de disposer des sous-produits; elle n’était pas pour autant obligée de les vendre, même si c’était le moyen le plus évident et courant d’en disposer. A plus forte raison, elle n’était pas tenue de les vendre à l’intimé. Personne ne se serait plaint si l’intimé n’avait pas été approvisionné; personne n’avait le droit d’obliger l’autorité locale à contracter avec lui.

L’acte en cause s’est: produit lorsqu’un employé de l’appelante, agissant dans l’exercice de fonctions que cette dernière pouvait lui confier, sans pour autant y être tenue par la loi ou par un devoir ou pouvoir public, a manqué à ses obligations ordinaires à l’égard de ses concitoyens et a, par sa propre négligence, causé des dommages.

Dans l’arrêt Edwards v. Metropolitan Water Board[7], la Cour d’appel devait se prononcer sur l’application de la Public Authorities Protection Act, 1893, dans une affaire où le demandeur avait été blessé par un camion utilisé par le défendeur pour transporter des tubes d’un entrepôt central à un entrepôt régional et en rapporter des tonneaux et bidons vides, dans lesquels il y avait eu de

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l’huile. Le demandeur a été blessé alors que le camion était sur le chemin du retour. La Loi conférait au défendeur l’obligation d’approvisionner en eau les habitants d’une région donnée. Il possédait des installations de pompage et d’épuration, et des entrepôts qui devaient être équipés pour les réparations et l’extension du réseau de canalisations. Il fallait également remplacer les conduites principales lorsqu’elles éclataient, ce qui arrivait à l’occasion.

La Cour a jugé que le défendeur pouvait invoquer la protection de la Public Authorities Protection Act, 1893. Le demandeur s’était fondé sur l’arrêt Bradford Corporation v. Myers. Voici en quels termes le lord juge Bankes a tranché le débat:

[TRADUCTION] Il s’agit en l’espèce de déterminer si l’acte d’envoyer le camion en est un fait en conformité ou en exécution des dispositions législatives qui fixent les devoirs de l’intimé, ou avec l’intention de les exécuter, ou en exécution d’un devoir public. Le principal devoir de l’intimé est d’approvisionner en eau les habitants et les commerçants de la région; mais plusieurs responsabilités accessoires s’y greffent, dont celle d’entretenir les conduites et de les garder en bon état. Pensons aux diverses opérations nécessaires à l’exécution directe de ce devoir principal. Il faut creuser une tranchée pour installer la conduite maîtresse. Pour l’installer ou la remplacer, il faut que quelqu’un transporte les tubes à pied d’œuvre, peut-être à partir d’une réserve située à proximité. Les tubes doivent être transportés de l’usine ou de l’entrepôt de l’intimé à l’endroit où ils seront installés. On ne saurait nier que ces opérations visent l’exécution directe du devoir conféré par la loi à l’intimé. Si une conduite éclate et doit être remplacée immédiatement et qu’on envoie rapidement un camion de Batter-sea chargé d’un seul tube, personne ne contestera que cette opération entre dans le cadre de l’exécution directe du devoir de l’intimé. Si dans l’exercice raisonnable et prudent de son pouvoir discrétionnaire, l’intimé juge nécessaire de conserver un stock de tubes dans chaque entrepôt, l’utilisation d’un camion pour maintenir le stock ne fait-elle pas partie de l’exercice du devoir conféré par la loi à l’intimé? Il est à mon avis impossible d’établir une distinction entre le fait d’envoyer un camion chargé d’un seul tube à l’endroit où la conduite principale a éclaté et le fait d’envoyer un camion chargé de plusieurs tubes destinés à approvisionner l’entrepôt afin d’être toujours en mesure de réparer rapidement les conduites maîtresses endommagées. J’estime donc que la conclusion du savant juge de première instance est justifiée, d’après la preuve soumise.

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Me Shakespeare a soutenu que, si dans l’affaire Bradford Corporation v. Myers ([1916] 1 A.C. 242) la municipalité avait pris le coke à son usine à gaz pour s’en débarasser et ainsi enlever un obstacle à l’exécution du devoir que lui conférait la loi, la décision de la Chambre des lords aurait quand même été favorable au demandeur. Je ne suis pas d’accord. Je pense au contraire que si la municipalité avait enlevé le coke pour dégager ses installations et ainsi mieux s’acquitter du devoir conféré par la loi, la décision de la Chambre des lords aurait été en sens contraire. Le jugement repose sur le fait que le demandeur avait conclu un contrat d’approvisionnement en coke avec la municipalité et que les dommages ont eu lieu pendant l’exécution de ce contrat. La Chambre des lords a fait une distinction entre des dommages survenus lors de l’exécution directe d’un devoir ou pouvoir public et ceux survenus lors de l’accomplissement d’un acte autorisé ou toléré et que le public n’est aucunement en droit d’exiger en vertu de la loi; les juges ont parlé d’exécution «directe» pour marquer la distinction entre l’approvisionnement en gaz, dont la municipalité avait la responsabilité, et un contrat de vente de coke, que la municipalité pouvait conclure, sans toutefois y être tenue.

Le lord juge Scrutlon a déclaré, à la p. 306:

[TRADUCTION] On me demande de décider si un camion qui transporte des tubes et des outils à un entrepôt régional et en repart avec des bidons vides, ou sans chargement, est utilisé aux fins de l’exécution directe du devoir conféré par la loi à l’intimé. Après avoir analysé l’arrêt Bradford Corporation v. Myers, je conclus par l’affirmative. Je ne puis faire de distinction entre le transport de tubes pour les réparations et le transport de l’huile devant servir aux pompes, ni entre le tansport de bidons pleins d’huile à un entrepôt et le ramassage de bidons vides qui s’y trouvent. Chacun de ces actes me semble accompli dans l’exécution directe du devoir de l’intimé, car l’exécution directe d’un devoir comprend, à mon avis, tous les actes accessoires et raisonnablement nécessaires à son exécution. Cette opinion n’est d’ailleurs pas inconciliable ave l’arrêt Bradford Corporation v. Myers et elle est conforme à plusieurs décisions de la Cour d’appel que la Chambre des lords a citées dans l’arrêt Myers sans les critiquer.

La Chambre des lords a également étudié l’application de cette loi dans l’arrêt Griffiths v. Smith[8]. Les administrateurs d’une école primaire publique non subventionnée, un organisme consti-

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tué en vertu des lois relatives à l’instruction, ont invité à l’école des personnes, dont l’appelante, pour y voir une exposition des travaux des élèves, dont l’un était le fils de l’appelante. Au cours de la présentation, le plancher de la pièce a cédé et l’appelante a subi de graves blessures pour lesquelles elle a poursuivi les administrateurs.

On a jugé que les administrateurs représentaient un pouvoir public et que le fait d’autoriser une exposition à l’école entrait dans l’exercice de leurs fonctions d’administrateurs. La négligence dont ont fait preuve les administrateurs relativement à l’état du plancher constituait une négligence dans l’exercice du devoir que leur confère la loi.

Le vicomte Simon, lord chancelier, a étudié ce qu’il considérait comme le véritable critère pour déterminer si un pouvoir public peut invoquer la protection de la Public Authorities Protection Act, 1893 et, à ce sujet, a cité l’arrêt Myers. Il a déclaré (à la p. 179):

[TRADUCTION] En dernier lieu, le fait pour les administrateurs d’avoir autorisé les invitations à l’exposition scolaire constitue-t-il un acte accompli dans l’exécution de leur devoir ou pouvoir conféré par la loi? On a soutenu avec insistance au nom de l’appelante que cet acte était «volontaire» au même sens que la vente de coke dans l’affaire Bradford Corporation ([1916] 1 A.C. 242). Il est vrai que l’exposition n’était pas essentielle à la gestion de l’école St. Clement. Mais cela n’est pas le véritable critère. Il faut en effet se demander si, en autorisant l’envoi d’invitations à l’exposition scolaire en dehors des heures de classe, les administrateurs agissaient dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions d’administration de l’école. Appliquant la distinction établie par le maître des rôles, peut-on dire que l’acte des administrateurs était «accessoire à l’exercice de leur devoir conféré par la loi ou en faisait partie»? Le juge de première instance et la Cour d’appel ont tous deux jugé que l’autorisation donnée par les administrateurs faisait partie de la gestion d’une école primaire publique.

Cette Cour a étudié cette question lors d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario relativement à l’art. 11. C’était dans l’affaire McGonegal et autres c. Gray et autres[9], dont les faits se résument comme suit. L’appelante McGonegal était institutrice dans une école publi-

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que gérée par les administrateurs appelants aux termes de The Public Schools Act (Ont.), et fréquentée par l’intimé Charles Gray, un garçon de 12 ans. Pour faire chauffer une soupe, l’institutrice a demandé à l’enfant d’allumer un réchaud à gaz, propriété des administrateurs appelants. Ce faisant, l’enfant s’est gravement brûlé.

La Cour, composée d’un banc de sept juges, a jugé à la majorité que les administrateurs ne pouvaient invoquer la protection de l’art. 11. Les juges Taschereau, Rand et Cartwright se sont dits d’avis que l’acte à l’origine de la blessure n’entrait pas dans le cadre de l’exercice d’une responsabilité publique directe envers les enfants. C’était un acte autorisé du point de vue privé et la Loi ne pouvait donc s’appliquer. Les juges ont cité les arrêts Griffiths, Myers et Clarke v. St. Helen’s Borough Council[10].

Le juge en chef Rinfret et les juges Kerwin et Estey ont tous conclu à l’application de l’arrêt Griffiths. La soupe était destinée à certains enfants et l’utilisation du réchaud fourni par les administrateurs pour chauffer la soupe, également fournie par ces derniers, et que les enfants et professeurs devaient se partager, constituait un acte accompli dans l’intention d’exécuter un devoir conféré par la loi qui comprend, outre l’enseignement, le devoir de veiller à la santé et au bien-être des écoliers.

Le juge Locke a conclu que l’art. 11 ne s’appliquait pas, au seul motif que d’après lui les faits révélaient que l’institutrice faisait chauffer la soupe pour elle-même, et pas pour les enfants. Autrement, et il l’a clairement indiqué, il aurait conclu à l’application de l’art. 11. Il a déclaré, à la p. 297:

[TRADUCTION] Si l’institutrice avait voulu préparer le repas des enfants, conformément à la pratique suivie l’hiver précédent selon les directives des administrateurs, et avec leur approbation, je pense que l’article 11 constituerait une fin de non-recevoir. Toutefois, il n’est pas nécessaire de trancher cette question étant donné le point de vue que j’adopte en l’espèce.

A mon avis, le critère énoncé par le vicomte Simon, lord chancelier, dans l’arrêt Griffiths doit

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être appliqué en l’espèce. L’obligation d’enlever la glace des terrains communs du complexe d’habitation de la Société entrait-elle dans l’exercice de ses fonctions de gestion? Je conclus par l’affirmative. L’appelant prétend que la Société a fait preuve de négligence dans l’entretien de la propriété dont elle avait la garde. Le paragraphe 6(2) de The Housing Development Act habilite la Société à «gérer» toute entreprise de logement. L’entretien du complexe fait partie de la gestion et, en conséquence, l’art. 11 s’applique dans le cas d’une omission dans l’exécution de ce pouvoir.

Je ne trouve aucune jurisprudence à l’appui de la prétention que les aspects courants ou matériels de la gestion sont exclus de la protection de l’art. 11. Si l’omission alléguée se rapporte à la gestion de l’entreprise, j’en conclus que rien ne justifie la prétention qu’il ne s’agit pas d’une omission dans l’exécution d’un pouvoir au sens de l’art. 11.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge MARTLAND dissident.

Procureurs de l’appelant: Holden, Murdoch, Walton, Finlay, Robinson, Toronto.

Procureurs des defenderesses, intimées: Kings-mill, Jennings, Toronto.

Procureurs du mis en cause, intimé: Borden & Elliot, Toronto.

[1] (1977), 15 O.R. (2d) 217.

[2] (1976), 13 O.R. (2d) 354.

[3] [1916] 1 A.C.242.

[4] [1952] 2 R.C.S. 274.

[5] [1941] A.C. 170.

[6] [1916] 1 A.C. 242.

[7] [1922] 1 K.B. 291.

[8] [1941] A.C. 170.

[9] [1952] 2 R.C.S. 274.

[10] (1916), 85 L.J.K.B. 17.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 1 R.C.S. 275 ?
Date de la décision : 03/10/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Prescription - Pouvoir public - Mandataire de Sa Majesté - L’Ontario Housing Corporation exécute-t-elle un devoir conféré par la loi ou un devoir ou pouvoir public? - Agit-elle toujours à titre de mandataire de Sa Majesté? - The Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1970, chap. 374, art. 11, et ses modifications - The Crown Agency Act, R.S.O. 1970, chap. 100, art. 2 - The Housing Development Act, R.S.O. 1970, chap. 213, par. 6(2), modifié par 1974 (Ont.), chap. 31 et 1976 (Ont.), chap. 44, art. 2.

L’intimée, l’Ontario Housing Corporation (la Société), est propriétaire de logements situés à Toronto. L’appelant est locataire d’un de ces logements et, alors qu’il passait sur les terrains communs du complexe d’habitation, il a fait une chute sur de la glace ou de la neige et s’est blessé. Le bref d’assignation a été délivré plus de six mois après la date de l’accident. L’intimée a invoqué l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1970, chap. 374, et ses modifications, et a soutenu que la réclamation de l’appelant était prescrite. Cette question a été soulevée à titre de question préliminaire de droit en vertu de la règle 124 des Règles de l’Ontario. Le tribunal de première instance a conclu qu’étant mandataire de Sa Majesté au sens de The Crown Agency Act, R.S.O. 1970, chap. 100, l’intimée était un pouvoir public, qu’elle avait donc le droit d’invoquer l’art. 11 de The Public Authorities Protection Act et que l’action intentée par l’appelant était prescrite par la Loi. La Cour d’appel est parvenue à la même conclusion par un autre cheminement. Elle a notament jugé que même si l’intimée était en droit mandataire de Sa Majesté, certains de ses devoirs et pouvoirs étaient de

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telle nature que la Société ne pouvait invoquer l’art. 11 à leur égard. En conséquence, la Cour d’appel a analysé la question de savoir si la négligence ou l’omission en cause avait été commise dans l’exécution d’un devoir ou d’un pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public et elle est arrivée à la conclusion que l’omission d’enlever la glace ou la neige était directement liée au devoir que la Loi impose à la Société à cet égard.

Arrêt (le juge Martland étant dissident): Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson, Beetz, Estey et Pratte: L’expression sun devoir… conféré par la loi ou… autre devoir… public» à l’art 11 vise les aspects des pouvoirs et devoirs légaux qui ont une connotation ou un aspect public et ne comprend pas les autres responsabilités qui ont une connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires. Interpréter l’article autrement rendrait la prescription protectrice de l’art. 11 applicable à tous les aspects des pouvoirs énoncés au par. 6(2) de The Housing Development Act, R.S.O. 1970, chap. 213, et ses modifications, y compris les activités courantes, si insignifiantes soient-elles, et créerait deux situations distinctes en matière de responsabilité du propriétaire pour deux logements apparemment semblables. Cette interprétation de l’art. 11 a pour effet de créer deux catégories d’actes et de pouvoirs, ceux qui ont un caractère public ou une nature essentiellement publique et ceux qui sont de nature administrative, interne ou courante et où le caractère privé prédomine. L’enlèvement de la neige constitue donc une activité à caractère privé et courant, de nature accessoire ou incidente, non visée par la prescription protectrice de l’art. 11.

Le juge Martland, dissident. Même si la Cour d’appel a à juste titre jugé que la Société tombait dans la catégorie de personnes ayant droit à la protection prévue à l’art. 11, les plaidoiries ont principalement porté sur la seconde question énoncée par le juge Howland et qui consiste à déterminer si la négligence ou l’omission reprochée a été commise dans l’exécution d’un devoir ou d’un pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public. Il faut appliquer le critère énoncé par le vicomte Simon dans l’arrêt Griffiths v. Smith, [1941] A.C. 170, savoir l’obligation d’enlever la glace des terrains communs du complexe d’habitation de la Société entre-t-elle dans l’exercice de ses fonctions de gestion?

Il n’existe aucune jurisprudence à l’appui de la prétention que les aspects courants ou matériels de la gestion sont exclus de la protection de l’art. 11. Si l’omission alléguée se rapporte à la gestion de l’entreprise rien ne

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justifie la prétention qu’il ne s’agit pas d’une omission dans l’exécution d’un pouvoir au sens de l’art. 11.


Parties
Demandeurs : Berardinelli
Défendeurs : Ontario Housing Corp

Références :

Jurisprudence: Bradford Corporation v. Myers, - [1916] 1 A.C. 242

McGonegal et autres c. Gray et autres, [1952] 2 R.C.S 274

Griffiths v. Smith, [1941] A.C. 170

Edwards v. Metropolitan Water Board, [1922] 1 K.B. 291

Clarke v. St. Helens Borough Council (1916), 85 L.J.K.B. 17.

Proposition de citation de la décision: Berardinelli c. Ontario Housing Corp, [1979] 1 R.C.S. 275 (3 octobre 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-10-03;.1979..1.r.c.s..275 ?
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