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05/12/1978 | CANADA | N°[1979]_1_R.C.S._476

Canada | Cité de Hull c. Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc., [1979] 1 R.C.S. 476 (5 décembre 1978)


Cour suprême du Canada

Cité de Hull c. Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc., [1979] 1 R.C.S. 476

Date: 1978-12-05

La Cité de Hull Appelante;

et

Le Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc. Intimé.

1978: 23 octobre; 1978: 5 décembre.

Présents: Les juges Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Cité de Hull c. Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc., [1979] 1 R.C.S. 476

Date: 1978-12-05

La Cité de Hull Appelante;

et

Le Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc. Intimé.

1978: 23 octobre; 1978: 5 décembre.

Présents: Les juges Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1979] 1 R.C.S. 476 ?
Date de la décision : 05/12/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit du travail - Lock-out dans un service public - Avis de huit jours non envoyé au ministre par le syndicat - Acquisition et légalité d’exercice du droit de grève - Code du travail, S.R.Q. 1964, chap. 141, art. 42, 43, 97, 99, 124.

L’appelante, qui exploite un service public, a décrété un lock-out après l’expiration du délai de soixante jours prévu à l’art. 46 du Code du travail, mais avant que l’intimé n’ait donné au ministre l’avis préalable de huit jours prescrit par l’art. 99. L’appelante a été accusée devant le Tribunal du travail d’avoir commis l’infraction prévue à l’art. 124 en déclarant un lock-out contrairement à l’art. 97 selon lequel «le lock-out est interdit sauf dans les cas où une association des salariés a acquis le droit de grève». Le Tribunal du travail et la Cour supérieure (chambre criminelle) ont rejeté la plainte mais la Cour d’appel, majoritairement, a infirmé ces décisions et condamné l’appelante à $100 d’amende pour chaque journée de la durée du lock-out. D’où le pourvoi devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Même si, règle générale, l’acquisition du droit de grève se confond avec la légalité de son exercice, il n’en est pas ainsi dans le cas des salariés à l’emploi d’un service public. Lorsque ces derniers veulent déclencher une grève, ils doivent se conformer à une obligation additionnelle qui leur a été imposée par le législateur, soit celle de donner au ministre un avis préalable de huit jours. Par contre, le législateur n’a pas assujetti le droit au lock-out aux mêmes modalités. Il s’ensuit que le lock-out cesse d’être interdit en vertu de l’art. 97 lorsque l’association des salariés a acquis droit à la grève suivant l’art. 46, même si cette association n’a pas encore donné l’avis de huit jours prévu à l’art. 99.

Arrêt désapprouvé: Commission scolaire régionale de Chambly c. Marier et autres, [1976] R.D.T. 129.

[Page 477]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] infirmant un jugement de la Cour supérieure[2] laquelle avait confirmé une décision du Tribunal du travail[3].

Jean-Paul Legault et Michel Dupuy, pour l’appelante.

Jean-François Munn, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PRATTE — L’appelante se pourvoit contre l’arrêt majoritaire de la Cour d’appel de la province de Québec (les juges Lajoie et Bélanger; le juge Owen, dissident) qui, infirmant le jugement de la Cour supérieure (chambre criminelle) du district de Hull (le juge Jacques Boucher) et celui du Tribunal du travail (le juge Victor Melançon), l’a trouvée coupable d’avoir commis l’infraction prévue à l’art. 124 du Code du travail en déclarant un lock-out contrairement aux dispositions de l’art. 97 de ce Code, et l’a condamnée à payer une amende de $100 pour chaque journée de la durée de ce lock-out.

Les faits ne sont pas contestés.

L’appelante est un service public au sens du Code du travail et l’intimé, qui est une association accréditée en vertu de ce Code, représente un groupe de salariés de l’appelante.

Dans le cours de l’été de 1974, les parties négocient entre elles en vue du renouvellement de leur convention collective précédente expirée depuis le 30 avril 1974; elles ne s’entendent pas.

Le 4 septembre 1974, l’appelante donne au ministre du Travail et à l’intimé l’avis de désaccord prévu à l’art. 42 du Code; suivant l’art. 43, le ministre nomme un conciliateur qu’il charge de tenter d’effectuer une entente. Les démarches du conciliateur sont infructueuses; les parties ne soumettent pas leur différend à l’arbitrage.

Le 9 novembre 1974, soit plus de soixante jours après que l’avis de désaccord eut été donné au ministre (art. 46), l’appelante déclare un lock-out qui dure jusqu’au 4 décembre.

[Page 478]

La seule question que pose ce pourvoi est celle de la légalité de ce lock-out.

Contrairement au Tribunal du travail et à la Cour supérieure, la Cour d’appel a jugé majoritairement que ce lock-out était interdit par l’art. 97 du Code:

97. Le lock-out est interdit sauf dans le cas où une association de salariés a acquis droit à la grève.

Selon la majorité de la Cour, le lock-out serait illégal parce qu’il a été déclaré alors que la grève était interdite à l’intimé en vertu du premier alinéa de l’art. 99; c’est un fait que lorsque le lock-out a été déclenché, l’intimé n’avait pas donné l’avis de huit jours prévu à cette disposition:

99. La grève est interdite aux salariés à l’emploi d’un service public à moins que l’association des salariés en cause y ait acquis droit suivant l’article 46 et ait donné par écrit au ministre avis préalable d’au moins huit jours lui indiquant le moment où elle entend y recourir.

L’arrêt majoritaire de la Cour d’appel s’appuie essentiellement sur son arrêt antérieur dans Commission scolaire régionale de Chambly c. Marier et Association des enseignants de Chambly et autres[4], où le juge Lajoie parlant pour la Cour disait ce qui suit:

Je ne saurais faire la distinction que nous suggère l’appelante entre les conditions préalables requises pour l’acquisition du droit de grève et celles nécessaires à son exercice. A mon avis, l’article 99, par dérogation aux articles 46 et 47, suspend l’acquisition du droit à la grève par une association d’employés d’un service public jusqu’à ce qu’elle se soit conformée à ses prescriptions. Il serait inutile d’avoir le droit de grève et ne pas pouvoir l’exercer. Lorsque la loi dit que la grève est interdite, l’on n’a pas le droit à la grève.

La Cour d’appel interprète l’art. 97 comme si l’interdiction qui y est énoncée devait s’appliquer chaque fois que la grève est interdite plutôt que dans les cas «où une association de salariés n’a pas encore acquis droit à la grève».

Cette façon de voir est erronée. D’abord, elle est contraire au texte même de l’art. 97 qui impose

[Page 479]

l’interdiction «sauf dans le cas où association de salariés a acquis droit à la grève» et non pas «dans le cas où la grève est interdite». Ensuite, elle ignore la distinction faite par le législateur entre l’acquisition du droit de grève et les modalités préalables à son exercice. Je veux bien admettre qu’en règle générale l’acquisition du droit de grève se confond avec la légalité de son exercice; il n’en est cependant pas ainsi dans le cas des salariés à l’emploi d’un service public. Le législateur a imposé une obligation additionnelle aux salariés d’un service public qui veulent déclencher la grève; il n’est pas suffisant qu’ils aient acquis le droit de grève, ils doivent de plus donner au ministre un avis écrit d’au moins huit jours lui indiquant le moment où ils entendent exercer leur droit. L’article 99 indique que l’acquisition du droit de grève n’est pas, dans le cas de salariés à l’emploi d’un service public, la seule condition nécessaire à la légalité de la grève. Le texte de l’article fait ressortir clairement la distinction faite par le législateur dans le cas des employés d’un service public entre l’acquisition du droit de grève d’une part et l’exercice de ce même droit d’autre part. Il apparaît dès lors que l’acquisition du droit de grève ne se confond pas toujours avec la légalité de l’exercice de ce même droit; il n’y a pas nécessairement équivalence entre l’acquisition du droit de grève et la tombée de l’interdiction prononcée contre la grève.

Par ailleurs, si le Législateur a réglementé de façon spéciale le droit de grève dans les services publics, il n’a pas assujetti à des règles particulières le droit au lock-out des employeurs qui exploitent des services publics; dans le cas du lock-out, il n’a pas imposé de modalités spéciales à l’exercice de leur droit; il n’a pas fait, comme dans le cas de la grève, de distinction entre l’acquisition du droit et l’exercice de ce droit. L’on ne peut interpréter autrement les art. 97 et 46.

L’on a prétendu que le droit au lock-out dans les services publics devait être assujetti aux mêmes conditions que le droit à la grève, de façon à maintenir entre employeurs et salariés des services publics le même équilibre que le législateur a établi dans le secteur privé. Ceci est peut-être vrai, mais il est manifeste que le législateur, pour des raisons qui lui sont propres, a préféré un régime où

[Page 480]

dans les services publics le droit à la grève et le droit au lock-out sont réglementés de façon différente. Qui pourrait prétendre par exemple que le texte des autres dispositions de l’art. 99 relatives à l’injonction pourraient s’appliquer également en cas de lock-out? Il faut se garder, sous prétexte d’interprétation, de fausser complètement le sens d’un texte dans le but d’atteindre un objectif peut-être louable mais qui est contraire à celui que le législateur avait manifestement en vue. Je suis d’accord avec le juge Owen lorsqu’il dit dans ses motifs de dissidence:

[TRADUCTION] On peut prétendre qu’il aurait été plus conforme à l’esprit de l’ensemble de la législation du travail si le législateur avait prévu l’interdiction de déclarer la grève et le lock-out dans les services publics sans donner, dans l’un et l’autre cas, l’avis de soixante jours et l’avis de huit jours. Les employés et les employeurs seraient ainsi sur un pied d’égalité. Il est parfaitement évident, en outre, qu’il importe peu au public de savoir s’il est privé d’un service public en raison d’une grève ou s’il en est privé par un lock-out. Toutefois, ces considérations ne sauraient justifier, à mon avis, d’altérer sous le couvert d’«interprétation» les dispositions claires et sans équivoque du Code du travail.

Selon moi, le lock-out cesse d’être interdit en vertu de l’art. 97 lorsque l’association de salariés a acquis droit à la grève suivant l’art. 46, même si cette association n’a pas encore donné l’avis écrit de huit jours prévu à la dernière partie du premier alinéa de l’art. 99.

Je suis d’opinion que le pourvoi doit être accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel infirmé et les jugements de la Cour supérieure et du Tribunal du travail rétablis, le tout avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Viau, Bélanger, Hébert, Mailloux, Pinard, Denault & Legault, Montréal.

Procureur de l’intimé: Doyon, Laplante & Munn, Montréal.

[1] [1977] C.A. 342.

[2] [1976] R.D.T. 150.

[3] [1975] T.T. 111.

[4] [1976] R.D.T. 129.


Parties
Demandeurs : Cité de Hull
Défendeurs : Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc.
Proposition de citation de la décision: Cité de Hull c. Syndicat des employés municipaux de la Cité de Hull Inc., [1979] 1 R.C.S. 476 (5 décembre 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-12-05;.1979..1.r.c.s..476 ?
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