La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/1978 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._43

Canada | A.V.G. Management Science Ltd. c. Barwell Developments Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 43 (21 décembre 1978)


Cour suprême du Canada

A.V.G. Management Science Ltd. c. Barwell Developments Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 43

Date: 1978-12-21

A.V.G. Management Science Ltd. (Demanderesse) Appelante;

et

Barwell Developments Ltd., Cambie Construction Ltd., Canada Permanent Trust Company et Raymond Outtrim (Défendeurs) Intimés.

1978: 23 novembre; 1978: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence, Dickson et Estey.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de

la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté

[Page 46]

l’appel interjeté par l’appelante du jugem...

Cour suprême du Canada

A.V.G. Management Science Ltd. c. Barwell Developments Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 43

Date: 1978-12-21

A.V.G. Management Science Ltd. (Demanderesse) Appelante;

et

Barwell Developments Ltd., Cambie Construction Ltd., Canada Permanent Trust Company et Raymond Outtrim (Défendeurs) Intimés.

1978: 23 novembre; 1978: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence, Dickson et Estey.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté

[Page 46]

l’appel interjeté par l’appelante du jugement du juge McKenzie, où il a été décidé que la règle de Bain v. Fothergill s’applique de façon à limiter les dommages-intérêts recouvrables par l’appelante par suite de l’incapacité des intimés de remettre le titre de propriété d’un immeuble qu’ils s’étaient engagés à lui vendre. Pourvoi accueilli.

G.K. Macintosh, pour la demanderesse, appelante.

W.B. MacAllister, pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ce pourvoi soulève deux questions. La première est de savoir si le juge McKenzie de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique à la majorité ont appliqué à bon droit la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. A cet effet, les deux cours ont limité les dommages-intérêts recouvrables par l’acheteur appelant en raison de ce que les vendeurs intimés ont été incapables de livrer le titre de propriété d’un immeuble qu’ils s’étaient engagés à lui vendre. La seconde question est de savoir si la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ne devrait pas être abrogée en common law canadienne, qu’elle ait été ou non appliquée à bon droit en l’espèce.

Les faits ne sont pas contestés et peuvent se résumer brièvement à partir des conclusions concordantes des cours d’instance inférieure. Le 21 novembre 1973, les intimés ont accepté l’offre de Jordan Development Corporation Ltd. d’acheter un immeuble d’appartements au prix de $495,000. L’entente était assujettie à une condition à l’avantage de l’acheteur Jordan, à remplir au plus tard à midi le 28 novembre 1973. Le 23 novembre 1973, l’appelante a fait une offre d’achat du même immeuble au prix de $515,000; l’offre devait être acceptée avant 23h le 29 novembre 1973. Le 28 novembre 1973, après midi, les vendeurs ont cru par erreur que le marché conclu avec Jordan était caduc parce que cette dernière n’avait pas rempli la condition de son contrat, et ils ont accepté l’offre de l’appelante à 14h le même jour. Jordan a refusé de reprendre le dépôt que les vendeurs lui remettaient et, le 10 décembre 1973, elle a inscrit

[Page 47]

une opposition contre le terrain en vertu de la Land Registry Act, R.S.B.C. 1960, chap. 208 et modifications. Par la suite, Jordan a obtenu gain de cause dans une action en exécution intégrale après avoir enregistré une litispendance contre l’immeuble.

Le contrat conclu avec l’appelante fixait le 23 janvier 1974 comme date limite de la signature et, le 14 janvier, les parties ont convenu de la reporter au 15 février 1974. Jordan a enregistré la litispendance le 23 janvier 1974 et elle a obtenu jugement en exécution intégrale le 18 août 1975. L’appelante est restée prête à conclure l’opération pendant tout ce temps-là et était en mesure de le faire. Par la suite, elle a intenté une action en dommages-intérêts. Ceux-ci ont été fixés à $37,000 s’ils pouvaient être recouvrés selon les principes ordinaires du droit des contrats. Toutefois, vu la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, l’appelante s’est vu refuser les dommages-intérêts pour la perte d’une bonne affaire et ceux-ci furent réduits à $6,628.50, soit la remise du dépôt, les frais de recherche de titre et les honoraires de l’avocat avec ses dépenses engagées en vue de la conclusion du contrat.

Dans l’arrêt Bain v. Fothergill[2], la Chambre des lords, après avoir [TRADUCTION] «convoqué les juges» (dont six sont venus), a en fait confirmé la règle énoncée initialement dans l’arrêt Flureau v. Thornhill[3], qui limite le montant des dommages-intérêts que peut obtenir un acheteur par suite de la violation d’un contrat de vente d’un terrain. Sauf le cas de fraude ou de mauvaise foi, l’acheteur ne peut obtenir de dommages-intérêts pour la perte d’une bonne affaire si la vente a avorté parce que le vendeur a été incapable de fournir un titre incontestable.

L’affaire Bain v. Fothergill a été entendue par trois membres de la Chambre des lords dont l’un, lord Colonsay, est décédé avant le prononcé du jugement. Dans ses motifs, lord Chelmsford (qui siégeait avec lord Hatherley) a convenu que l’exception qui empêche d’accorder des dommages-intérêts pour la perte d’une bonne affaire imputable à un vice de titre, si le vendeur agit de bonne foi, ne peut se justifier en principe. Cependant,

[Page 48]

après avoir adopté la règle énoncée dans l’arrêt Flureau v. Thornhill, la Chambre des lords n’en est pas restée là et a rejeté une exception à cette règle qui avait été reconnue dans des arrêts plus récents. Cette exception, établie dans Hopkins v. Grazebrook[4], ne permettait pas au vendeur de tirer profit de la règle si, au moment de la conclusion du contrat de vente, il savait qu’il n’avait pas de titre et ne pouvait l’obtenir avant la date fixée pour la signature de l’acte de transfert. L’arrêt Bain v. Fothergill a renversé la jurisprudence établie par l’arrêt Hopkins v. Grazebrook et décidé que le principe de la limitation, sauf en cas de fraude du vendeur, s’appliquait à la situation en cause dans cette affaire-là.

La règle de l’arrêt Bain v. Fothergill va à l’encontre des principes ordinaires du droit des contrats quant aux dommages-intérêts pour violation de contrat et elle fait appel à une notion de responsabilité délictuelle, en l’occurrence la fraude, comme moyen de se soustraire à cette règle, bien que les dommages puissent être différents selon que la perte de la bonne affaire résulte de la fraude et non de la violation du contrat. La raison d’être de cette règle réside dans l’incertitude des titres anglais, l’absence de système d’enregistrement fiable (sans parler du système Torrens) et la nécessité d’utiliser et de rassembler les documents pertinents établissant les titres. (L’enregistrement était volontaire en Angleterre à l’époque de l’arrêt Bain v. Fothergill, aux termes de la Transfer of Land Act, 1862 (Imp.), chap. 53, un système très inefficace.) Lord Hatherley a fait état de cette situation dans ses motifs (aux pp. 210 et 211 du recueil) et il ne m’est pas nécessaire de le citer. Je n’ai même pas besoin d’examiner ici l’origine, l’évolution et l’application de la règle et de ses exceptions (des exceptions à une exception) vu le rapport très complet publié en 1976 par la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique à ce sujet. Celui-ci mentionne les exceptions à la règle; il s’agit (1) de la fraude du vendeur; (2) de la mauvaise foi du vendeur; (3) de tout vice relatif au transfert de la propriété (par exemple, le refus d’un vendeur de rembourser une hypothèque lorsqu’il peut le faire) et (4) de la

[Page 49]

violation des termes d’un transfert. La troisième exception comprend évidemment tout défaut manifeste du vendeur de parfaire le contrat lorsqu’il est en son pouvoir de le faire. Cette exception a donné naissance, en corollaire, à l’exception de mauvaise foi, comme dans l’arrêt Day v. Singleton[5] où un locataire vendeur n’avait pas fait son possible pour obtenir le consentement du bailleur à la cession de bail. Goffin v. Houlder[6] étend également l’exception; le vendeur, qui détenait le titre à la signature du contrat accordant une option d’achat, a vendu la propriété à un tiers avant l’expiration de l’option. On peut dire cependant que cette affaire sort totalement du cadre de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill parce qu’il n’y avait aucun vice de titre au moment de la signature de l’option.

Dans ses motifs de jugement rendus en l’espèce, le juge McKenzie s’est largement référé au jugement du juge Megarry (maintenant vice-chancelier) dans Wroth v. Tyler[7], qui décidait pourtant que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ne s’appliquait pas. En résumé, il s’agissait d’un vendeur dont le titre était grevé d’une hypothèque et qui s’était engagé à vendre son droit et à transmettre la libre possession des lieux à un acheteur. Par la suite, l’épouse du vendeur a enregistré contre la propriété, à titre de privilège, son droit matrimonial d’occupation en vertu de la Matrimonial Homes Act de 1967. Après avoir examiné la demande d’exécution intégrale et l’avoir rejetée, le juge Megarry est passé à la question des dommages-intérêts et a refusé d’appliquer l’arrêt Bain v. Fothergill au motif que c’était une exception qu’il ne fallait pas étendre. Les avocats des parties différaient d’opinion sur la question de savoir si le titre était vicié à la date du contrat. Le savant juge s’est prononcé sur la question en ces termes (à la p. 917):

[TRADUCTION] …La meilleure façon d’aborder la question est de procéder par étapes. Premièrement, si la simple existence du privilège de l’épouse, avant l’enregistrement, vicie le titre au sens de la règle, alors le Parlement a rendu d’un seul coup défectueux le titre de plusieurs milliers de maisons appartenant à l’un ou l’autre conjoint. Le 1er janvier 1968, des millions de

[Page 50]

titres tout à fait valides sont devenus défectueux. J’hésiterais à imputer cette intention au Parlement. C’est d’autant plus frappant dans le cas des terrains enregistrés, vis-à-vis desquels il paraîtrait normal que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ait peu d’effet puisque les lois relatives à l’enregistrement des terrains ont principalement pour but de simplifier les titres et les transferts. En outre, si la simple existence d’un privilège non enregistré en vertu de la Loi de 1967 vicie un titre, c’est un vice singulièrement dépouvu d’effet puisqu’une fois la vente parachevée, il sera inopposable à l’acheteur pour défaut d’enregistrement. Si par contre le vendeur refuse de signer, il se trouve simplement à refuser de prendre une mesure qui permettrait de faire disparaître le vice de son titre; compte tenu du principe de l’arrêt Day v. Singleton, il invoquerait en vain l’arrêt Bain v. Fothergill: Je ne peux voir comment la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill pouvait s’appliquer à la date du contrat en l’espèce. En d’autres termes, si l’on examine la situation immédiatement après la conclusion du contrat, on ne peut dire que cette affaire relève de l’esprit ni de la lettre de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill.

Dans le cas présent, l’enregistrement des droits de l’épouse le lendemain de la signature du contrat a modifié la situation, car ses droits ne pouvaient plus être annihilés par le parachèvement de la vente. A supposer que les droits de l’épouse pouvaient alors entraîner l’application de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, la règle s’applique-t-elle dans les cas où, à la date du contrat, les conditions nécessaires à l’application de la règle ne sont pas réunies mais se réalisent après la conclusion du contrat? On n’a pas suggéré qu’il existe une jurisprudence sur ce point. Il s’agit d’une action en dommages‑intérêts pour violation de contrat et je ne suis pas disposé à juger que la survenance d’un événement peut rendre la règle applicable à une affaire hors de son champ à l’origine. En outre, la règle a été élaborée pour des contrats conclus sur un arrière-plan d’incertitude des titres de propriété en Angleterre; …Comme je l’ai indiqué, une règle établie pour remédier à la défectuosité de titres qui sont souvent, pour reprendre l’expression attribuée à lord Westbury, «difficiles à lire, repoussants et incompréhensibles», perd toute pertinence devant l’effet d’une loi moderne sur l’enregistrement des biens-fonds qui assure la certitude et la clarté des titres.

Tout en se fondant sur l’analyse du juge Megarry dans Wroth v. Tyler, au sujet de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, le juge McKenzie est d’avis que cette affaire-là est différente, car le droit d’occupation de l’épouse ne viciait pas le titre au moment de la signature du contrat de vente. Au

[Page 51]

contraire, il a jugé que l’entente conclue avec Jordan, quoique non enregistrée, constituait un vice au sens de la règle, bien qu’il eût été possible d’enregistrer un transfert en faveur de l’appelante avant que Jordan ne déposât son opposition. Le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait ni fraude ni mauvaise foi de la part des intimés et qu’ils pouvaient bénéficier de la règle.

Il a jugé également que ni l’art. 35, ni l’art. 38 de la Land Registry Act n’empêche ce résultat. Les parties pertinentes de ces articles se lisent ainsi:

[TRADUCTION] 35. Sauf à l’égard de la personne qui le passe, nul acte… réputé transférer, grever, viser ou toucher un bien-fonds, un droit ou un intérêt dans celui-ci n’a pour effet de transmettre un droit ou un intérêt dans le bien-fonds, ni en droit ni en equity, …s’il n’est pas enregistré…

38. (1) Tout certificat de titre irrévocable délivré en vertu de la présente loi sera reçu en preuve devant toutes les cours de justice de la province sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve du sceau ou de la signature y apposés et, tant qu’il sera en vigueur et non révoqué, attestera, à l’égard de Sa Majesté et de toute personne, que la personne y désignée détient un droit absolu dans le bien-fonds décrit, opposable à tous, sous réserve

a) de toutes réserves ou exceptions contenues dans la concession primitive du bien-fonds par le Souverain;

b) de toute taxe, contribution ou cotisation fédérale ou provinciale imposée sur le bien-fonds au jour de la demande d’enregistrement ou constituant un privilège ou pouvant par la suite être imposée ou constituer un privilège;

c) de toute charge, contribution ou cotisation municipale au jour de la demande d’enregistrement imposée sur le bien-fonds ou pouvant l’être, ou qui a déjà été imposée pour les améliorations locales ou autres, sans être encore due et exigible, y compris toute charge, contribution ou cotisation imposée par un organisme public détenant un pouvoir de taxation dans la zone où le bien-fonds est situé;

d) de tout bail, ou toute convention de bail, n’excédant pas trois ans, lorsqu’il y a occupation réelle aux termes de celui-ci;

e) de toute voie publique ou droit de passage, cours d’eau ou servitude de captation d’eau ou toute autre servitude publique;

f) de tout droit d’expropriation accordé par une loi;

[Page 52]

g) de toute litispendance ou privilège de fournisseur de matériaux, jugement, opposition, ou autre privilège ou transfert à l’avantage de créancier, ou ordonnance de séquestre ou cession aux termes de la Loi sur la faillite enregistrée depuis la date de la demande d’enregistrement;

h) de toute condition, exception, réserve, privilège ou droit qui y est noté ou inscrit;

i) du droit qu’a toute personne de démontrer qu’à cause d’une description erronée des limites ou des parcelles, c’est de manière injustifiée que le bien-fonds ou une partie de celui-ci figure dans ledit certificat;

j) du droit qu’a toute personne de démontrer qu’il y a eu fraude à laquelle a participé le propriétaire enregistré ou la personne de qui le propriétaire enregistré détient son droit ou son titre, autrement que de bonne foi et à titre onéreux;

k) de toute condition restrictive, droit de retour ou obligation imposés sur le bien‑fonds par la Forest Act, lorsqu’il y est noté ou inscrit.

[Le juge McKenzie a souligné que le contrat de vente n’était pas visé par les exceptions.] Selon le juge McKenzie, l’entente conclue avec Jordan, quoique non enregistrée, était, aux termes de l’art. 35, exécutoire à l’encontre des intimés et viciait donc leur titre relativement à leur entente subséquente avec l’appelante. Il a considéré que l’art. 38 signalait simplement aux acheteurs l’importance d’obtenir un acte et de l’enregistrer rapidement et qu’ainsi, l’appelante aurait pu faire obstacle à toute demande de titre de Jordan en la précédant au bureau d’enregistrement et lui laissant ainsi (à supposer qu’aucune opposition n’ait été déposée auparavant) un recours en dommages-intérêts.

La Cour d’appel à la majorité (le juge Hinkson avec l’accord du juge Taggart) a conclu, comme le juge de première instance, à l’absence de fraude ou de mauvaise foi de la part des intimés et a refusé de statuer que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ne s’appliquait pas si les vendeurs avaient fait preuve de négligence ou même d’imprudence en acceptant de vendre leur immeuble à des acheteurs différents. La Cour a critiqué l’arrêt A.S.A. Construction Pty. Ltd. v. Iwanov[8], où les faits étaient semblables. Deux contrats successifs de vente de la même propriété y avaient été conclus avec des

[Page 53]

acheteurs différents. Chacun d’eux a intenté une action en exécution intégrale et les actions ont été jugées ensemble. Le second acheteur a admis que le premier avait priorité sur lui et a obtenu des dommages-intérêts pour la perte de la bonne affaire. On a jugé que la règle limitative de l’arrêt Bain v. Fothergill ne s’appliquait pas lorsque le vendeur était l’artisan de son propre malheur. Le juge Hinkson a estimé que l’on essayait de faire revivre Hopkins v. Grazebrook.

Ici, la Cour d’appel a statué que le juge de première instance avait conclu à bon droit que l’entente avec Jordan, bien que non enregistrée, viciait le titre au sens de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Elle a rejeté la prétention de l’appelante selon laquelle, puisqu’au moment de la conclusion de l’entente avec les intimés il n’y avait rien d’enregistré à l’encontre de leur titre, l’entente antérieure avec Jordan ne pouvait prévaloir contrairement à l’art. 38 de la Land Registry Act.

Dissident, le juge Robertson a analysé différemment l’arrêt Iwanov de la Nouvelle-Galles du Sud et a considéré qu’il étayait son opinion quant à la portée de l’arrêt Bain v. Fothergill. Il s’en rapporte aux trois considérations invoquées par lord Chelmsford, savoir, le fait que le vendeur n’était coupable d’aucune fraude, qu’il n’y avait eu aucun acte délibéré pour faire obstacle à l’exécution de l’obligation, mais plutôt un défaut de titre imprévu et insurmontable. Les appliquant à la présente affaire, il a dit:

[TRADUCTION] En l’espèce, le titre des défendeurs n’est pas entaché d’un «vice imprévu». Ils possédaient un certificat de titre irrévocable dans le bien-fonds attestant, en droit et en equity, à l’égard de tous, qu’ils détenaient un droit absolu dans le bien‑fonds, opposable à tous. Le vice, loin d’être imprévu, vient de ce que les défendeurs se sont engagés à vendre le bien-fonds à Jordan. Ce geste constitue en outre un «acte délibéré de leur part.»

Je me suis donné de la peine pour démontrer que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill a été élaborée pour faire face à des circonstances qui n’existent pas ici. On doit donc limiter son application aux cas qui correspondent vraiment et exactement à ce qu’elle vise précisément: on ne doit pas en utiliser les termes généraux pour en étendre la portée réelle. Les circonstances en l’espèce ne relèvent pas de ce qu’elle comporte réellement.

[Page 54]

Je partage l’avis du juge Robertson que la présente affaire ne relève pas de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, et celui du juge Megarry, dans Wroth v. Tyler, selon lequel le caractère exceptionnel de la règle justifie une application restrictive. Même si la Cour d’appel, à la majorité, a estimé qu’écarter la règle aurait pour effet de rétablir l’arrêt Hopkins v. Grazebrook, les faits sont très différents dans ce cas-ci. Il ne s’agit pas en l’espèce du cas d’un vendeur qui, sachant qu’il n’a pas de titre (par exemple, lorsqu’il a seulement une promesse de vente), prétend vendre à un tiers. Dans ce cas-ci, les vendeurs en possession d’un titre, mais un peu cupides comme l’a constaté le juge McKenzie, en sont venus à accepter de vendre le même immeuble deux fois. Je ne dis pas qu’il y a eu fraude ou manque de bonne foi (sauf peut-être à l’égard de Jordan) mais, à mon avis, il suffit, pour écarter la règle limitative de l’arrêt Bain v. Fothergill, que le vendeur, en possession d’un titre, se soit volontairement privé de la possibilité de le céder ou ait risqué et perdu son pouvoir de le faire par suite d’opérations effectuées simultanément avec deux acheteurs différents.

Cela suffit pour trancher la première question posée au début des présents motifs. En conséquence, la deuxième question ne se pose pas vraiment. Les trois membres de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont pourtant invité expressément cette Cour à déclarer son refus de suivre la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Évidemment, ils ne parlent que de son application en Colombie-Britannique.

Il importait d’abord à l’appelante d’établir que la règle ne s’appliquait pas; elle a réussi à le faire et ce n’est que subsidiairement que son avocat a préconisé que la règle ne soit plus suivie. De son côté, l’avocat des intimés a fait valoir que la règle, qui survit depuis si longtemps, devait être suivie par les tribunaux et qu’il incombe aux législatures de décider de son abolition. C’est ce qu’a fait la Colombie-Britannique en édictant récemment, le 20 juin 1978, la Conveyancing and Law of Property Act dont l’art. 33 abolit expressément la règle, mais cette loi n’a pas encore été proclamée.

[Page 55]

Comme on pouvait s’y attendre, une règle dont l’histoire est aussi ancienne que celle de l’arrêt Bain v. Fothergill, a donné naissance à d’autres justifications que celle de l’incertitude des titres qui est à son origine. Vu la complexité du droit des biens immobiliers et les difficultés auxquelles doit faire face un vendeur de bonne foi qui met sa propriété en vente, on ne doit pas, a-t-on dit, lui infliger toutes les conséquences d’une violation ordinaire de contrat, si son titre est entaché d’un vice: voir Sikes v. Wild[9]; Di Castri, Canadian Law of Vendor and Purchaser (2e éd. 1976), à la p. 748. Lord Hatherley avait donné un appui à ce point de vue par ses motifs dans l’arrêt Bain v. Fothergill en disant (à la p. 211) qu’on devait considérer que l’acheteur avait traité sur cette base.

Selon 5 Corbin on Contracts (1964), par. 1098, à la p. 531, une autre justification de la règle se fonde sur le fait que [TRADUCTION] «les biens-fonds [n’étaient] pas soumis en Angleterre à de rapides fluctuations de prix, que les contrats étaient presque toujours conclus rapidement et que le prix prévu au contrat [était] habituellement le même que la valeur marchande au moment de la violation du contrat». Le savant auteur cite, pour étayer cette proposition, un arrêt de cette Cour, Ontario Asphalt Block Co. c. Montreuil[10], et j’y reviendrai. La remarque suivante de Corbin s’applique également au Canada:

[TRADUCTION] Ce n’est certainement pas une raison que l’on doit admettre aux États‑Unis. Si la valeur marchande et le prix prévu au contrat coïncident, peu importe quelle règle est adoptée. Mais aux États-Unis, les contrats à long terme prévoyant un transfert ultérieur sont innombrables et souvent le prix des biens-fonds fluctue rapidement. En conséquence, la règle anglaise serait préjudiciable à l’acheteur quand elle n’est pas inutile.

Dans 5 Corbin on Contracts, à la p. 530, l’auteur énonce en ces termes une autre justification de la règle:

[TRADUCTION] Quelques arrêts [américains] suivent entièrement la règle anglaise, disant parfois que comme l’on ne peut recouvrer des dommages-intérêts importants en se fondant sur l’engagement quant au titre dans un

[Page 56]

acte de transfert, on ne devrait pas en recouvrer davantage pour la violation d’un avant‑contrat de transfert.

L’assertion qu’on ne peut recouvrer des dommages-intérêts importants pour la violation d’un engagement quant au titre dans un transfert est discutable, dans le cas, par exemple, où l’acheteur est contraint de renoncer à la possession, par opposition au cas où le défaut en cause n’entraîne pas de résultat aussi grave: voir McGregor on Damages, (13e éd. 1972), à la p. 484 qui cite l’arrêt Lock v. Furze[11]; et voir les arrêts canadiens cités dans le rapport de la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique, à la p. 11.

Bien que certaines juridictions américaines suivent la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill et ses restrictions, y compris le cas où un vendeur passe sciemment un contrat qu’il est incapable d’exécuter, la thèse qui prévaut généralement est le rejet de la règle et l’application des principes ordinaires des contrats relativement à l’indemnisation pour la perte d’une bonne affaire: voir 3 American Law of Property (1952), par. 11.67, aux pp. 169 et 170.

Malgré les autres motifs à l’appui de la règle que j’ai mentionnés, le fondement en est l’incertitude des titres en l’absence d’un système uniforme d’enregistrement qui permette de vérifier un titre plus facilement que par la production d’actes, sans le soutien d’un registre étatisé. La règle devait servir de pilier à la négociabilité des biens-fonds et il est à croire qu’il appartenait à l’acheteur d’obtenir, s’il le pouvait, une promesse contractuelle pour l’éviter.

Même si les exceptions n’ont pas profondément modifié la règle, j’estime que sa principale raison d’être a disparu là où le système Torrens a été adopté, par exemple en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba (en vertu de The Real Property Act, R.S.M. 1970, chap. R30) et, de la même façon, en Colombie-Britannique où la Loi régissant l’enregistrement, la Land Registry Act, se rapproche du système Torrens. Il en est de même pour l’Ontario, là où s’applique The Land Titles Act, R.S.O. 1970, chap. 234. Dans ces ressorts et régions, où le titre est celui inscrit au registre

[Page 57]

officiel, le vendeur ne peut faire valoir que le titre est incertain ou qu’il lui est nécessaire de rassembler les actes et les documents qui l’établissent.

A mon avis, on ne peut considérer l’ancienneté de la règle et le fait que malgré tout les législatures ne l’ont pas encore abolie comme une raison décisive pour empêcher cette Cour de refuser de la suivre. Il s’agit après tout d’une règle jurisprudentielle, fondée sur des considérations qui n’ont pas cours au Canada. Le fait qu’elle n’ait pas été écartée plus tôt vient peut-être de la décision de cette Cour dans l’affaire Ontario Asphalt Block, précitée, qui date de l’époque où cette Cour était encore subordonnée au Conseil privé et en conséquence à la Chambre des lords en matière de common law. La situation a changé et cette Cour s’est déclarée libre non seulement d’écarter ses propres décisions mais également les décisions canadiennes du Conseil privé: voir McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine[12]; Renvoi sur la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles[13].

L’arrêt Ontario Asphalt Block fut porté en appel devant cette Cour qui s’est prononcée, à quatre contre deux, sur la question de savoir si la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill s’appliquait aux faits en cause. Le litige portait sur un bail de dix ans qui accordait au locataire une option d’achat de la propriété et qui lui imposait de faire des améliorations pendant la durée du bail, ce qu’il fît. Le juge en chef Fitzpatrick et le juge Davies, dissidents, étaient d’avis que vu les faits, la règle ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce puisqu’à la levée de l’option, le bailleur ne pouvait donner de titre comme il s’était engagé à le faire. Le Juge en chef a statué que, tout en adoptant la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, [TRADUCTION] «la présente cause sort des cas auxquels s’applique, dans son interprétation la plus large, la règle créant une exception au droit général des contrats» (à la p. 548). Il a cité l’extrait suivant de Sedgwick on Damages (9e éd. 1913), t. 3, à la p. 2121:

[TRADUCTION] Si le défendeur ne peut faire le transfert parce qu’il n’a pas de titre valable, il est toujours

[Page 58]

passible de dommages-intérêts importants. Cette règle est communément appelée la règle de la Cour suprême des États-Unis et constitue un extrême d’une série de principes dont la plus haute cour anglaise a adopté l’autre extrême. Elle semble juste en principe.

Les deux juges dissidents étaient partisans d’une interprétation restrictive de la règle, car ils souhaitaient la maintenir dans les limites du raisonnement qui Ta engendrée. La majorité (en fait, seul le juge Anglin a traité de l’application de la règle et donné ses motifs à cet égard) a conclu qu’aucune preuve ne permettait de déduire que le cédant, après avoir découvert les défauts de son titre (c’était un légataire grevé), n’avait fait aucun effort pour obtenir le consentement des appelés, ce qui aurait permis de suivre l’arrêt Day v. Singleton, précité. Les motifs du juge Davies montrent clairement que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ayant été suivie en Ontario, on ne devait pas mettre en doute qu’elle faisait partie du droit de cette province, et pour lui, la seule question était de savoir si elle s’appliquait dans cette affaire-là.

Cette Cour, comme toutes les autres cours du Canada, était autrefois soumise à la même restriction et toute invitation à rejeter la règle équivalait à demander une intervention législative. Dans Stephens v. Bannan[14], le juge Beck de la Cour suprême de l’Alberta, en banc, a dit (à la p. 431) que [TRADUCTION] «la règle anglaise concernant les dommages‑intérêts dans le cas d’une violation de contrat de vente d’un bien-fonds doit s’appliquer ici même si nous avons le système Torrens». D’autre part, dans O’Neil v. Drinkle[15], une affaire de la Saskatchewan, le juge Lamont (qui devint plus tard membre de cette Cour), a adopté un point de vue plus audacieux (à la p. 944):

[TRADUCTION] Les raisons qui ont motivé l’adoption de cette exception à la règle de common law relativement aux dommages-intérêts n’existent pas dans cette province. Au lieu des règles de droit complexes qui régissent les titres de biens-fonds en Angleterre, nous bénéficions d’un système très simple de transfert de bien-fonds en vertu duquel quiconque détient un certificat de titre a un titre irrévocable dans son bien-fonds. Ce titre n’est pas frappé des incertitudes et des vices qui ont amené l’adoption de l’exception énoncée dans Flureau v.

[Page 59]

Thornhill et, comme Ta dit le juge en chef Cockburn dans Engel v. Fitch, L.R. 3 Q.B. 314: «On trouve la limite de l’exception dans le motif sur lequel elle se fonde; si le motif disparaît, la règle doit également disparaître.»

Comme les conditions sont tout à fait différentes en l’espèce et que les motifs qui ont amené l’adoption de l’exception sont complètement absents, je suis d’avis qu’il n’y a aucune raison d’adopter quant à l’évaluation des dommages-intérêts pour violation de contrat de vente de bien-fonds, un principe différent de celui qui existe pour la violation d’autres contrats.

Il n’a cependant pas insisté sur ce point parce qu’il était convaincu que, vu les faits, la règle ne s’appliquait pas.

Soixante-dix ans après O’Neil v. Drinkle, je n’hésite pas à dire que je me rallie entièrement aux propos du juge Lamont relativement à la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Il suffit de se reporter à une disposition commune des lois Torrens de l’Alberta et de la Saskatchewan (The Land Titles Act, R.S.A. 1970, chap. 198, art. 203 et The Land Titles Act, R.S.S. 1965, chap. 115, art. 237) et du Manitoba (The Real Property Act, R.S.M. 1970, chap. R30, art. 77) que voici (je cite celle de l’Alberta):

[TRADUCTION] 203. Sauf en cas de fraude, aucune personne qui contracte ou traite avec le propriétaire d’un bien-fonds au nom duquel a été accordé un certificat de propriété ou qui en fait ou se propose de s’en faire consentir une cession, une hypothèque, une charge ou un bail, ne sera tenue de quelque façon de s’informer ou de s’assurer des circonstances ou de la cause pour lesquelles le propriétaire ou tout propriétaire antérieur du bien-fonds est ou a été enregistré ni de s’enquérir de l’emploi de tout ou partie du prix d’achat; pas davantage n’est-elle affectée par la connaissance directe, implicite ou présumée qu’elle peut avoir de toute fiducie ou droit non enregistré sur le bien-fonds, nonobstant toute règle de droit ou d’equity contraire, et le fait qu’elle connaisse l’existence d’une fiducie ou d’un droit non enregistré ne sera pas en soi imputé comme fraude.

L’article 44 de la Land Registry Act de la Colombie-Britannique contient une disposition semblable. Cependant, l’art. 28 de cette loi est également pertinent aux fins de l’abolition de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. En voici le texte:

[TRADUCTION] 28. Quiconque vend ou transmet un bien-fonds ou conclut une entente ou une cession de

[Page 60]

contrat de vente de bien-fonds, prévoyant que le prix d’achat est payable par versements ou à terme, doit enregistrer son propre titre afin que toute personne à qui le bien-fonds ou une partie de ce dernier est transféré, ou toute personne qui revendique un droit en vertu de l’entente, stipulation accessoire ou transfert puisse enregistrer son titre; quiconque ne se conforme pas au présent article ne peut intenter d’action fondée sur une stipulation de cette entente ou stipulation accessoire.

Comme le souligne le rapport de la Commission de réforme du droit de la Colombie‑Britannique (à la p. 20), cette sanction imposée au vendeur doit être complétée par un recours en dommages-intérêts accordé à l’acheteur que ne permet pas actuellement l’arrêt Bain v. Fothergill.

En Ontario, il n’existe pas dans The Land Titles Act, R.S.O. 1970, chap. 234 et modifications, de disposition équivalente à l’art. 203 de la loi albertaine, précité, et cette Cour a jugé que les droits non enregistrés dont un acheteur à titre onéreux a connaissance ne sont pas mis en échec par l’enregistrement antérieur des droits de l’acheteur, lorsque aucune disposition législative ne prévoit expressément que la connaissance n’est pas pertinente: voir United Trust Co. c. Dominion Stores Ltd. et autres[16]. Ceci ne milite pas contre l’inadéquation de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill, vu le fait qu’en général le registre est le seul miroir du titre.

Compte tenu de ce qui précède, je serais d’avis, si cela était nécessaire pour trancher la présente affaire, de conclure sur ce point que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ne doit plus être suivie relativement aux opérations immobilières dans les provinces qui ont un système Torrens d’enregistrement des titres ou un système similaire.

Il me semble qu’en principe, on devrait adopter un point de vue semblable en ce qui concerne les opérations immobilières régies par un système d’enregistrement d’actes et de documents, comme c’est le cas dans les provinces maritimes et dans certaines régions de l’Ontario et du Manitoba. Les lois des provinces maritimes prescrivent la tenue de registres publics d’actes et de documents (y compris les plans) et accordent en général le rang

[Page 61]

suivant l’ordre ou la date d’enregistrement: voir la Loi sur l’enregistrement, L.R.N.-B. 1973, chap. R-6; The Registration of Deeds Act, R.S.Nfld. 1970, chap. 328; The Registry Act, R.S.N.S. 1967, chap. 265; The Registry Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. R-11. Les actes et documents enregistrés n’ont pas de force juridique plus grande que celle qui est intrinsèquement la leur; en résumé, il n’y a aucune garantie publique des titres comme dans un système Torrens, mais si ces titres ont une valeur juridique intrinsèque, leur enregistrement leur donne priorité sur les actes non enregistrés qui n’ont pas fait l’objet d’un avis. L’enregistrement équivaut évidemment à un avis, d’où la nécessité d’examiner le registre et la valeur intrinsèque des actes et des documents qui y sont enregistrés, y compris la chaîne de titres. La Loi de l’Île-du-Prince-Édouard va plus loin; son article 43 est rédigé en ces termes:

[TRADUCTION] 43. La connaissance présumée ou autre d’un acte ou d’une hypothèque non enregistré n’a pas pour effet de mettre en échec un acte ou une hypothèque, enregistré en vertu de la présente loi, visant la totalité ou une partie des mêmes biens-fonds, fonds de terre ou héritages, d’en permettre la contestation, d’y porter atteinte, ni d’être interprétée en ce sens, mais un tel acte ou hypothèque non enregistré est réputé frauduleux et nul vis-à-vis d’acheteurs à titre onéreux ou créanciers hypothécaires subséquents dont les actes et hypothèques sont préalablement enregistrés, que les acheteurs ou créanciers hypothécaires en aient eu connaissance ou non; mais rien dans la présente loi n’a pour effet de porter atteinte, ni ne doit être interprété comme tel, à un testament ou à la sûreté d’une créance du Souverain, même non enregistré ni constaté au bureau du registraire.

En Ontario, le système traditionnel d’enregistrement des actes (The Registry Act, R.S.O. 1970, chap. 409 et ses modifications) a été modifié par The Certification of Titles Act, R.S.O. 1970, chap. 59 et ses modifications. Il s’applique aux biens-fonds non enregistrés aux termes de The Land Titles Act et prévoit la recherche et la vérification du titre de ces biens-fonds. Lorsqu’un certificat de titre est délivré et enregistré, il a, conformément à l’art. 15, un effet probant à l’encontre du Souverain et de tous, sous réserve des exceptions, réserves, conditions, stipulations, privilèges, hypothèques ou autres charges qui y sont

[Page 62]

mentionnés. En résumé, la Loi donne un point de départ pour la recherche du titre et établit un registre semblable à celui qui existe en vertu d’un système d’enregistrement de titres des biens-fonds.

The Manitoba Registry Act, R.S.M. 1970, chap. R50 et ses modifications est semblable aux lois d’enregistrement déjà mentionnées, mais elle prévoit, à l’art. 47, que les biens-fonds subdivisés sont soumis à The Real Property Act, soit au système Torrens.

Malgré les différences qui existent entre le système Torrens, les systèmes analogues (comme ceux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario) et les systèmes d’enregistrement des actes, je ne vois pas pourquoi on ferait une distinction entre eux pour écarter l’arrêt Bain v. Fothergill dans le premier cas et ne pas le faire dans le dernier. On doit considérer que l’existence de registres publics où les transferts de droits doivent être inscrits pour être protégés élimine le fondement même de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Cependant, il n’est pas nécessaire d’étudier davantage cette question en l’espèce.

En définitive, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions des cours d’instance inférieure et d’ordonner que jugement soit rendu en faveur de l’acheteur pour un montant de $37,000, plus $6,628.50, pour un total de $43,628.50, soit les dommages-intérêts fixés et confirmés par les cours d’instance inférieure si l’arrêt Bain v. Fothergill ne s’appliquait pas. L’appelante a droit à ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de la demanderesse, appelante: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.

Procureurs des défendeurs, intimés: Boughton & Co., Vancouver.

[1] [1978] 1 W.W.R. 730.

[2] (1873), L.R. 7 H.L. 158.

[3] (1776), 2 Wm. Bl. 1078.

[4] (1826), 6 B. & C. 31.

[5] [1899] 2 Ch. 320.

[6] (1920), 90 L.J. Ch. 488.

[7] [1973] 1 All E.R. 897.

[8] [1975] 1 N.S.W.L.R. 512.

[9] (1861), 1 B. & S. 587, conf. (1863), 4 B. & S. 421.

[10] (1916), 52 R.C.S. 541.

[11] (1866), L.R. 1 C.P. 441.

[12] [1977] 2 R.C.S. 654.

[13] [1978] 2 R.C.S. 1198.

[14] (1913), 6 Alta L.R. 418.

[15] (1908), 8 W.L.R. 937.

[16] [1977] 2 R.C.S. 915.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 43 ?
Date de la décision : 21/12/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli, les décisions des cours d’instance inférieure infirmées et jugement doit être rendu en faveur de l’acheteur pour un montant de $37,000 plus $6,628.50, pour un total de $43,628.50

Analyses

Vente de biens-fonds - Incapacité des vendeurs de donner le titre - Ils ont en fait accepté de vendre à deux acheteurs différents - Ni fraude ni mauvaise foi de la part des vendeurs - Dommages-intérêts - Règle de Bain v. Fothergill non applicable - La règle de Bain v. Fothergill ne doit-elle plus être suivie en common law au Canada? - Land Registry Act, R.S.B.C. 1960, chap. 208, art. 38 [mod. 1971, chap. 30, art. 7].

Le 21 novembre 1973, les intimés ont accepté l’offre de Jordan Development Corporation Ltd. d’acheter un immeuble d’appartements au prix de $495,000. L’entente était assujettie à une condition à l’avantage de l’acheteur Jordan, à remplir au plus tard à midi le 28 novembre 1973. Le 23 novembre 1973, l’appelante a fait une offre d’achat du même immeuble au prix de $515,000; l’offre devait être acceptée avant 23h le 29 novembre 1973. Le 28 novembre 1973, après-midi, les vendeurs ont cru par erreur que le marché conclu avec Jordan était caduc parce que cette dernière n’avait pas rempli la condition de son contrat, et ils ont accepté l’offre de l’appelante à 14h le même jour. Jordan a refusé de reprendre le dépôt que les vendeurs lui remettaient et, le 10 décembre 1973, elle a inscrit une opposition contre le terrain en vertu de la Land Registry Act, R.S.B.C. 1960, chap. 208 et modifications. Par la suite, Jordan a obtenu gain de cause dans une action en exécution intégrale après avoir enregistré une litispendance contre l’immeuble.

Le contrat conclu avec l’appelante fixait le 23 janvier 1974 comme date limite de la signature et, le 14 janvier, les parties ont convenu de la reporter au 15 février 1974. Jordan a enregistré la litispendance le 23 janvier 1974 et elle a obtenu jugement en exécution intégrale le 18 août 1975. L’appelante est restée prête à conclure l’opération pendant tout ce temps-là et était en mesure de le faire. Par la suite, elle a intenté une action en dommages-inté-

[Page 44]

rêts. Ceux-ci ont été fixés à $37,000 au procès, s’ils pouvaient être recouvrés selon les principes ordinaires du droit des contrats. Toutefois, vu la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill (1873), L.R. 7 H.L. 158, l’appelante s’est vu refuser des dommages-intérêts pour la perte d’une bonne affaire et ceux-ci furent réduits à $6,628.50, soit la remise du dépôt, les frais de recherche de titre et les honoraires de l’avocat avec ses dépenses engagées en vue de la conclusion du contrat. (Dans l’arrêt Bain v. Fothergill, la Chambre des lords a en fait confirmé la règle énoncée initialement dans l’arrêt Flureau v. Thornhill (1776), 2 Wm. Bl. 1078, qui limitait le montant des dommages-intérêts que pouvait obtenir un acheteur par suite de la violation d’un contrat de vente. Sauf le cas de fraude ou de mauvaise foi, l’acheteur ne peut obtenir de dommages-intérêts pour la perte d’une bonne affaire si la vente a avorté parce que le vendeur a été incapable de fournir un titre incontestable.)

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (le juge Robertson étant dissident) a rejeté l’appel interjeté par l’appelante du jugement de première instance. La Cour d’appel a statué que le juge de première instance avait conclu à bon droit que l’entente avec Jordan, bien que non enregistrée, viciait le titre au sens de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Sur autorisation de la Cour d’appel, l’appelante se pourvoit devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli, les décisions des cours d’instance inférieure infirmées et jugement doit être rendu en faveur de l’acheteur pour un montant de $37,000 plus $6,628.50, pour un total de $43,628.50.

Cette Cour partage l’opinion du juge Robertson que la présente affaire ne relève pas de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill. Même si la Cour d’appel, à la majorité, a estimé qu’écarter la règle aurait pour effet de rétablir l’arrêt Hopkins v. Grazebrook (1826), 6 B. & C. 31, les faits sont très différents dans ce cas-ci. (Une exception à la règle énoncée dans l’arrêt Flureau v. Thornhill, exception reconnue dans des arrêts plus récents, ne permettait pas au vendeur de tirer profit de la règle si, au moment de la conclusion du contrat de vente, il savait qu’il n’avait pas de titre et ne pouvait l’obtenir avant la date de la signature. Cette exception, établie dans Hopkins v. Grazebrook, a été rejetée par la Chambre des lords dans Bain v. Fothergill.) Il ne s’agit pas en l’espèce du cas d’un vendeur qui, sachant qu’il n’a pas de titre (par exemple, lorsqu’il a seulement une promesse de vente), prétend vendre à un tiers. Dans ce cas-ci, les vendeurs en possession d’un titre, mais un peu cupides comme l’a constaté le juge du procès, en sont venus à accepter de vendre le même immeuble deux fois. Il n’y a eu ni fraude ni manque de bonne foi (sauf peut-être à l’égard de Jordan) mais il suffit, pour écarter

[Page 45]

la règle limitative de l’arrêt Bain v. Fothergill, que le vendeur, en possession d’un titre, se soit volontairement privé de la possibilité de le céder ou ait risqué et perdu son pouvoir de le faire par suite d’opérations effectuées simultanément avec deux acheteurs différents.

La question de savoir si la règle de Bain v. Fothergill ne devrait plus être suivie en common law au Canada ne se pose pas vraiment ici. Toutefois, s’il était nécessaire de conclure sur ce point pour trancher la présente affaire, la Cour est d’avis que la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill ne doit plus être suivie relativement aux opérations immobilières dans les provinces qui ont un système Torrens d’enregistrement des titres ou un système similaire. Dans ces ressorts et régions, où le titre est celui inscrit au registre officiel, le vendeur ne peut faire valoir que le titre est incertain ou qu’il lui est nécessaire de rassembler les actes et les documents qui l’établissent.

La Cour est aussi d’avis qu’en principe, on devrait adopter un point de vue semblable en ce qui concerne les opérations immobilières régies par un système d’enregistrement d’actes et de documents, comme c’est le cas dans les provinces maritimes et dans certaines régions de l’Ontario et du Manitoba. Malgré les différences qui existent entre le système Torrens, les systèmes analogues et les systèmes d’enregistrement des actes, il n’y a pas de raison de faire une distinction entre eux pour écarter l’arrêt Bain v. Fothergill dans le premier cas et ne pas le faire dans le dernier. On doit considérer que l’existence de registres publics où les transferts de droits doivent être inscrits pour être protégés élimine le fondement même de la règle de l’arrêt Bain v. Fothergill.


Parties
Demandeurs : A.V.G. Management Science Ltd.
Défendeurs : Barwell Developments Ltd. et autres

Références :

Jurisprudence: arrêt examiné: Ontario Asphalt Block Co. c. Montreuil (1916), 52 R.C.S. 541

décisions mentionnées: Day v. Singleton, [1899] 2 Ch. 320

Goffin v. Houlder (1920), 90 L.J. Ch. 488

Wroth v. Tyler, [1973] 1 All E.R. 897

A.S.A. Construction Pty. Ltd. v. Iwanov, [1975] 1 N.S.W.L.R. 512

Sikes v. Wild (1861), 1 B. & S. 587, conf. par (1863), 4 B. &. S. 421

McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654

Renvoi sur la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198

Stephens v. Bannan (1913), 6 Alta. L.R. 418

O’Neil v. Drinkle (1908), 8 W.L.R. 937

United Trust Co. c. Dominion Stores Ltd., [1977] 2 R.C.S. 915.

Proposition de citation de la décision: A.V.G. Management Science Ltd. c. Barwell Developments Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 43 (21 décembre 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-12-21;.1979..2.r.c.s..43 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award