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20/03/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._136

Canada | Arseneau c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 136 (20 mars 1979)


Cour suprême du Canada

Arseneau c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 136

Date: 1979-03-20

J. Yvon Arseneau Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 13 octobre; 1979: 20 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK

Cour suprême du Canada

Arseneau c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 136

Date: 1979-03-20

J. Yvon Arseneau Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 13 octobre; 1979: 20 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 136 ?
Date de la décision : 20/03/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Tractations malhonnêtes - Corruption - Donner ou offrir de l’argent par corruption - La personne achetée est un membre d’une législature - La personne achetée est aussi ministre du Tourisme - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.

L’appelant exerçait la profession d’avocat à Camp-bellton (Nouveau-Brunswick) avec son associé Charles Van Horne, jusqu’à ce que ce dernier soit élu à la législature provinciale. Van Horne devint ensuite ministre de Tourisme du gouvernement provincial et ce ministère retint les services de l’appelant pour négocier l’achat de terrains en vue de la création d’un parc provincial. Au cours de son mandat, l’appelant a signalé à un ami intéressé à construire un motel qu’il pouvait lui obtenir certains avantages de Van Horne, mais qu’il en coûterait $10,000, y compris les honoraires et frais, pour obtenir que Van Horne approuve la construction du motel dans le parc provincial. Cette proposition a été acceptée et, sur une période de plusieurs mois, de fortes sommes d’argent destinées à Van Horne ont été remises à l’appelant. L’appelant a été déclaré coupable, après un procès avec juge et jury, sur un seul chef d’accusation, selon lequel il a «…donné ou offert, par corruption, à une personne, alors membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. Charles Van Horne, …en sa qualité officielle, comme membre de la Législature et ministre du Tourisme …au sujet de la construction ou de la location ou de l’achat de terrains ou de l’exploitation projetée d’un motel… dans ou près de Sugarloaf Park dans lequel le gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick avait un intérêt contrairement à l’article 108(1)b) du Code criminel [du Canada] et ses amendements». La Division d’appel a rejeté à l’unanimité l’appel subséquent.

Arrêt (le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte: Il n’y a aucun doute que l’appelant a offert de l’argent à Van Horne, alors membre de la Législature du Nouveau-Brunswick, pour qu’il inter-

[Page 137]

vienne en vue de la construction d’un motel dans le parc provincial. Le chef d’accusation modifié allègue que l’argent a été versé par corruption à un membre de la Législature qui était également devenu ministre du gouvernement, et qui a donc agi en ces deux qualités. Bien qu’on ait soutenu que Van Horne n’a agi qu’en sa «qualité officielle» de ministre du Tourisme et qu’aux termes de l’art. 108, ce n’est pas une infraction de verser de l’argent à un membre de la Législature en contrepartie d’un acte accompli par ce dernier en sa qualité officielle de ministre, pareil argument reviendrait à dire qu’un membre de la législature, qui est également un ministre, est réputé ne pas agir en sa qualité officielle de député pour ses actes et décisions dans son ministère. C’est cependant parce qu’il était député que Van Horne a été nommé ministre du Tourisme; à cause de cela, de la responsabilité des ministres devant la Législature et de leur participation à ses travaux, les fonctions ministérielles ne doivent pas être distinguées des fonctions législatives pour qu’aux termes de l’art. 108, ce soit une infraction de lui payer de l’argent par corruption à titre de député, mais que ce ne le soit pas de le lui verser en sa qualité de ministre.

L’appelant prétend également que si l’accusation énoncée révèle l’existence d’une infraction, il s’agit d’une infraction au sous-al. 110(1)d) (i) dont il a déjà été acquitté. Cependant, la distinction entre les infractions est que la condamnation aux termes de l’al. 108(1)b) se rapporte à la corruption et le chef d’accusation aux termes du sous-al. 110(1)d) (i) vise le «trafic d’influence». Dans les circonstances, il n’y a aucun chevauchement entre les articles ou chefs d’accusation qui rende un acquittement sous l’art. 110 incompatible avec une déclaration de culpabilité sous l’art. 108. Le Parlement considère l’infraction à l’art. 108 plus grave et il est peu probable qu’il ait voulu que cet article ne s’applique pas dans le cas de la corruption d’un membre de la législature en tant que ministre du gouvernement.

Le juge en chef Laskin et le juge Spence, dissidents: Aux termes de l’al. 108(1)b), ce n’est pas une infraction de payer un ministre du gouvernement pour qu’il exerce son influence. Cet alinéa vise uniquement les tractations avec une personne qui occupe une charge judiciaire ou un membre du Parlement ou d’une législature provinciale. L’article 110 traite de la corruption d’un ministre. La poursuite vise uniquement la corruption de Van Horne, un ministre. Ce n’est pas un cas où l’on a donné de l’argent au député Van Horne pour qu’il exerce une influence sur le ministre Van Horne. Ce vice invalide la poursuite parce que le prévenu a été accusé d’une infraction inexistante et l’acte d’accusation doit être annulé. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner

[Page 138]

les vices possibles entachant le procès à proprement parler.

[Jurisprudence: Regina v. Bruneau (1963), 42 C.R. 93; Martineau c. La Reine, [1966] R.C.S. 103, 48 C.R. 209.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunwick, qui a rejeté un appel d’un jugement d’un juge siégeant avec jury, déclarant l’appelant coupable d’un acte criminel aux termes de l’al. 108(1)b) du Code. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents.

Patrick A.A. Ryan, c.r., et Jean-Claude Angers, c.r., pour l’appelant.

Eugene Westhaver, J.-Paul Thériault, c.r., et Gabriel Lapointe, c.r., pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et du juge Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — Pourvoi est interjeté d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, rendu le 18 février 1977, qui a rejeté l’appel interjeté par l’appelant de sa déclaration de culpabilité sur un seul chef d’accusation, prononcée le 28 mars 1975 après un procès devant juge et jury.

L’inculpé, appelant en l’espèce, a été initialement accusé en vertu d’un acte d’accusation daté du 13 novembre 1974 et déposé par le procureur général du Nouveau-Brunswick d’alors, John B.M. Baxter, conformément aux dispositions du par. 507(1) du Code criminel. Me Baxter, alors procureur général de la province, n’a pas comparu en cour pour présenter l’acte d’accusation et l’appelant en a demandé et obtenu l’annulation. Un autre acte d’accusation, daté du 14 décembre 1974, a été déposé par Me Paul Creaghan, le successeur de Me Baxter au poste de procureur général de la province. Ce dernier a comparu en personne et a présenté l’acte d’accusation.

Le premier acte d’accusation déposé par Me Baxter et le second présenté personnellement par Me Creaghan sont absolument identiques. Je cite en entier l’acte d’accusation présenté par Me Creaghan:

[Page 139]

[TRADUCTION] CANADA

PROVINCE DU NOUVEAU-BRUNSWICK

DANS LA COUR DE COMTÉ DU NOUVEAU-BRUNSWICK

ENTRE

SA MAJESTÉ LA REINE

et

J. YVON ARSENEAU

J. YVON ARSENEAU est inculpé:

(1) entre le 15 juin 1971 et le 31 juillet 1972 inclusivement, à Fredericton, comté de York, province du Nouveau-Brunswick; à Campbellton, comté de Restigouche, province du Nouveau-Brunswick; et ailleurs dans ladite province; d’avoir comploté illégalement avec CAMILLE DESCHENES, JEAN-CLAUDE LE BLANC et SUGARLOAF PARK MOTELS LIMITED et d’autres, de commettre un acte criminel, à savoir: de donner ou offrir, par corruption, à une personne, alors membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. CHARLES VAN HORNE, de l’argent ou une contrepartie valable à l’égard d’une chose que ledit CHARLES VAN HORNE, en sa qualité officielle, a accomplie ou omise ou devait accomplir ou omettre pour lesdits J. YVON ARSENEAU ou CAMILLE DESCHENES ou JEAN-CLAUDE LE BLANC ou SUGARLOAF PARK MOTELS LIMITED, en violation de l’article 108(1)b) du Code criminel du Canada et modifications, contrairement à l’article 423(1)d) dudit Code criminel.

(2) entre le 15 juin 1971 et le 31 juillet 1972 inclusivement, à Campbellton, comté de Restigouche, province du Nouveau-Brunswick; et ailleurs dans ladite province; d’avoir donné ou offert, par corruption, à une personne, alors membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. CHARLES VAN HORNE, de l’argent ou une contrepartie valable à l’égard d’une chose que ledit J. CHARLES VAN HORNE, en sa qualité officielle, a accomplie ou omise ou devait accomplir ou omettre pour lesdits J. YVON ARSENEAU ou CAMILLE DESCHENES ou JEAN-CLAUDE LE BLANC ou SUGARLOAF PARK MOTELS LIMITED, contrairement à l’article 108(1)b) du Code criminel du Canada et modifications.

(3) entre le 15 juin 1971 et le 31 juillet 1972 inclusivement, à Campbellton, comté de Restigouche, province du Nouveau-Brunswick; et ailleurs dans ladite province; ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès d’un ministre du gouvernement de cette province, à savoir: J. CHARLES VAN HORNE, ou d’un fonctionnaire du

[Page 140]

ministère du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick, d’avoir exigé, accepté ou offert ou convenu d’accepter pour lui-même ou pour une autre personne une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en considération d’une collaboration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission concernant la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick, contrairement à l’article 110(1)d)(i), en corrélation avec le sous-alinéa a)(iii) du Code criminel du Canada et modifications.

DATÉ du 14e jour de décembre 1974, province du Nouveau-Brunswick.

«Paul S. Creaghan»

PAUL S. CREAGHAN, PROCUREUR GÉNÉRAL de la province du Nouveau-Brunswick

Cet acte d’accusation est présenté par le procureur général de la province du Nouveau‑Brunswick conformément à l’article 507(3)a) du Code criminel du Canada et modifications.

«Paul S. Creaghan»

PAUL S. CREAGHAN, PROCUREUR GÉNÉRAL de la province du Nouveau-Brunswick

Au procès qui a finalement eu lieu, le jury a acquitté l’accusé, appelant en l’espèce, sur les chefs nos1 1 et 3 précités, mais l’a déclaré coupable sur le chef n° 2 et les présents motifs ne visent que celui-là.

Parmi la multitude de procédures prises relativement aux questions soulevées en l’espèce figure une demande de détails communiquée au ministère public au nom de l’appelant. Elle exige littéralement des douzaines de détails. L’un d’eux a été appelé la question 14 et portait sur le chef n° 2. Même après des recherches, on n’a pu en retrouver les termes exacts, mais la réponse est claire. A la p. 83 du volume 1 du dossier d’appel, la déclaration du substitut au procès est transcrite en ces termes:

[TRADUCTION] C) La réponse à la question 14 est la suivante: «comme membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick». Il faut insérer ces détails au milieu de

[Page 141]

la ligne 9 du chef n° 2, après les mots «qualité officielle».

A un autre moment des procédures au début du procès, le savant juge a dit:

[TRADUCTION] Dans ce cas, je suis convaincu que les deux parties sont dans la même situation et que les trois chefs de l’acte d’accusation contiennent les éléments constitutifs des trois infractions dont le prévenu est accusé, à savoir, le complot, la corruption et le trafic d’influence. Je ne crois pas qu’il soit approprié d’ordonner maintenant que d’autres détails soient inclus dans l’un de ces trois chefs de l’acte d’accusation.

Il a ajouté:

[TRADUCTION] Je dois maintenant ordonner l’enregistrement d’un plaidoyer. Je demande au greffier de demander à l’inculpé de répondre à chacun des chefs d’accusation. Je crois qu’il suffit de préciser le premier chef après modification; Me Ryan, êtes-vous d’accord?

Me Ryan a acquiescé et le juge a poursuivi:

[TRADUCTION] Je crois que les chefs d’accusation ot été lus à plusieurs reprises et l’accusé en connaît très bien le texte modifié. Les copies de la modification ont été déposées et il n’y a aucune confusion, n’est-ce pas Me Ryan?

Me Ryan a donné son accord.

(C’est moi qui souligne.)

Le greffier a dit:

[TRADUCTION] Relativement au chef n° 2, plaidez-vous coupable ou non coupable?

Me Ryan a répondu au nom de l’appelant:

[TRADUCTION] L’inculpé n’enregistre aucun plaidoyer, Votre Honneur.

LA COUR: J’ordonne à nouveau au greffier d’enregistrer un plaidoyer de non culpabilité sur le chef n° 2.

Il faut noter qu’on n’a pas lu ce chef d’accusation à l’inculpé, à ce moment-là. Beaucoup plus tôt au cours du procès, on lui avait lu les trois chefs et le texte du chef n° 2 était alors celui que j’ai cité au début des présents motifs. Les extraits cités montrent cependant que pour l’avocat de l’accusé, le chef d’accusation comprenait les mots ajoutés par la réponse à la question 14 de la demande de

[Page 142]

détails, c’est-à-dire «comme membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick» après «J. Charles Van Horne, en sa qualité officielle». Ceci est conforme à l’al. 516(3)c) du Code criminel.

Le procès à proprement parler a finalement débuté. On a procédé au choix du jury et le greffier de la cour a, comme d’habitude, demandé au jury de regarder l’inculpé et d’écouter les chefs d’accusation portés contre lui; il les a lus et le deuxième était rédigé en ces termes en français:

2) entre le 15 juin A.D., 1971, inclusivement et le 31 juillet A.D., 1972, inclusivement, à Campbellton, comté de Restigouche, province du Nouveau-Brunswick; et ailleurs dans la dite Province; donné ou offert par corruption à une personne, alors membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. Charles Van Horne, de l’argent ou une contrepartie valable à l’égard d’une chose que ledit J. Charles Van Horne, en sa qualité officielle, comme membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick, a accomplie ou omise ou à être accomplie ou à être omise pour ledit J. Yvon Arseneau ou Camille Deschenes ou Jean-Claude Leblanc ou Sugarloaf Park Motels Limited, au sujet de la construction ou de la location ou de l’achat de terrains ou de l’exploitation projetés d’un motel par Camille Deschenes ou Sugarloaf Park Motel Limited dans ou près de Sugarloaf Park dans lequel le gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick avait un intérêt contrairement à l’article 108(1)(b) du code criminel et ses amendements.

(C’est moi qui souligne.)

Yvon Jean était l’un des jurés. Il a été élu porte-parole du jury et a informé la cour du verdict. Une copie de l’acte d’accusation en français a été remise aux jurés et cette copie fait partie des documents déposés aux fins du présent pourvoi. La version française du deuxième chef de l’acte d’accusation est identique à celle, précitée, qu’a lue le greffier de la cour au jury. Sur la version française de l’acte d’accusation, il est écrit à la main, après le chef n° 2, «Yvon Jean, n° 2 coupable». Il est donc évident que l’acte d’accusation présenté au jury comme chef n° 2 et sur lequel l’accusé a été déclaré

[Page 143]

coupable allègue que l’accusé a donné ou offert, par corruption, à une personne alors «membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. Charles Van Horne, de l’argent ou une contrepartie valable à l’égard d’une chose que ledit J. Charles Van Horne, en sa qualité officielle, comme membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick, a accomplie ou omise ou à être accomplie ou à être omise». Selon son texte même, l’accusation est censée être portée en vertu de l’al. 108(1)b) du Code criminel que voici:

108. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de quatorze ans, quiconque,

b) donne ou offre, par corruption, à une personne qui occupe une charge judiciaire ou qui est membre du Parlement du Canada ou d’une législature, de l’argent, une contrepartie valable, une charge, une place ou un emploi à l’égard d’une chose qu’elle a accomplie ou omise ou qu’elle doit accomplir ou omettre, en sa qualité officielle, pour lui ou toute autre personne.

En bref, aux fins des présentes, on peut dire que le prévenu a été accusé d’avoir donné de l’argent à un membre de la législature provinciale à l’égard d’une chose que cette personne a accomplie ou omise en sa qualité officielle, c’est-à-dire, en sa qualité officielle de membre de la législature. L’accusation que le jury devait examiner est celle d’avoir donné à Van Horne de l’argent à l’égard d’une chose que ce dernier a accomplie ou omise en sa qualité officielle de membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick.

Je n’ai pas lu toute la preuve présentée, mais tous les motifs et tous les factums traitent seulement et uniformément de la question de savoir s’il y a eu corruption de Van Horne, le ministre du gouvernement, sans se demander si Van Horne était membre de la législature. On a tenté de corrompre Van Horne pour la seule raison qu’il était ministre. En fait, dans les motifs de jugement

[Page 144]

de la Division d’appel de la province du Nouveau-Brunswick, on lit:

[TRADUCTION] A notre avis, les tractations monétaires entre le Ministre, l’appelant et Deschenes, l’exercice d’influence que Deschenes cherchait à obtenir et la prétendue corruption révélée par la lettre du Ministre sont tous liés à sa qualité officielle de ministre du Tourisme et à son ingérence dans la fonction administrative du gouvernement. Nous ne pouvons approuver le dernier moyen d’appel.

Aux termes de l’al. 108(1)b), ce n’est pas une infraction de payer un ministre du gouvernement pour qu’il exerce son influence. Cet alinéa vise uniquement les tractations avec une personne qui occupe une charge judiciaire ou avec un membre du Parlement ou d’une législature provinciale. L’article 110 du Codé criminel traite de la corruption d’un ministre. Un autre alinéa de l’art. 110 faisait l’objet du troisième chef dont l’accusé a été acquitté. Mais l’al. 110(1)e) n’est pas cité au chef n° 2 et est sans lien avec lui.

Devant cette Cour, il a été longuement question de l’arrêt Regina v. Bruneau[1], une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans cette affaire, l’accusé a été déclaré coupable d’avoir accepté de l’argent par corruption pour exercer son influence en sa qualité officielle de membre du Parlement à l’égard de la vente d’immeubles au gouvernement fédéral. L’accusation était portée en vertu du sous-al. 100(1)a)(ii) d’alors, la contrepartie de l’actuel al. 108(1)a), et la question était de savoir si un simple député pouvait être déclaré coupable d’avoir accepté de l’argent alors qu’il appartenait à l’exécutif et non à un simple député d’autoriser l’achat que le corrupteur cherchait à influencer. Le juge McLennan a dit (à la p. 97):

[TRADUCTION] En l’espèce, l’entente malhonnête a été conclue avec un électeur de la circonscription pour laquelle l’appelant est député au Parlement; elle avait trait à une opération immobilière éventuelle entre le gouvernement et l’électeur dans la circonscription; il était de pratique courante que le gouvernement consulte le député local au sujet de pareilles opérations et c’est pourquoi il a été amené à donner son avis. Dans ces circonstances, il a convenu d’accepter de l’argent pour exercer son influence afin que le gouvernement achète le

[Page 145]

terrain appartenant à la personne qui lui a offert l’argent. Même si l’entente malhonnête consistait à exercer une influence sur la fonction administrative du gouvernement, cette fonction est assujettie en dernière analyse à la volonté du Parlement, dont l’appelant était membre, et en conséquence je suis d’avis qu’il a agi en «sa qualité officielle» lorsqu’il a conclu l’entente.

Le comité judiciaire du Conseil privé a rendu une décision au même effet dans des circonstances semblables dans Attorney General of Ceylon v. De Livra[2].

On ne peut, en l’espèce, faire ce genre de déduction. L’appelant Arseneau n’est pas accusé d’avoir donné de l’argent au député Van Horne pour qu’il exerce une influence sur le ministre Van Horne en vue d’obtenir le privilège désiré. La poursuite vise uniquement la corruption du ministre Van Horne. Je suis d’avis que ce vice invalide la poursuite, que le prévenu a été accusé d’une infraction inexistante et que le pourvoi doit donc être accueilli. Il serait inutile d’autoriser un nouveau procès sur le même acte d’accusation vicié et j’estime donc que l’acte d’accusation doit simplement être annulé.

Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de traiter des autres moyens d’appel invoqués au nom de l’appelant. Puisque l’acte d’accusation fait état d’une infraction qui n’existe pas, le procès relatif au deuxième chef est nul et je n’ai donc pas à examiner les vices possibles entachant le procès.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Pourvoi est interjeté d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick qui a rejeté l’appel interjeté par l’appelant de la déclaration de culpabilité prononcée en première instance par le juge G.A. Richard de la Cour de comté, siégeant avec jury, sur le deuxième des trois chefs d’accusation contenus dans un acte d’accusation présenté à l’instance du procureur général; comme nous le verrons ci-après, ce chef d’accusation a été modifié au cours des procédures.

[Page 146]

L’acte d’accusation initial est reproduit en entier dans les motifs de jugement de mon collègue le juge Spence que j’ai eu avantage de lire, mais, comme je l’ai dit, le présent pourvoi porte uniquement sur le deuxième chef puisque l’appelant a été acquitté par le jury sur les deux autres.

Pour plus de clarté, il convient à mon avis d’exposer ce que je considère comme l’allégation essentielle du deuxième chef de l’acte d’accusation initial, selon laquelle l’appelant a

[TRADUCTION] …donné ou offert, par corruption, à une personne, alors membre de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick, à savoir: J. CHARLES VAN HORNE, de l’argent ou une contrepartie valable à l’égard d’une chose que ledit J. CHARLES VAN HORNE, en sa qualité officielle, a accomplie ou omise ou devait accomplir ou omettre pour lesdits J. YVON ARSENEAU ou CAMILLE DESCHENES ou JEAN CLAUDE LE BLANC ou SUGARLOAF PARK MOTELS LIMITED, contrairement à l’article 108(1)b) du Code criminel du Canada et modifications.

Pendant toute la période pertinente, l’appelant exerçait la profession d’avocat dans la ville de Campbellton (Nouveau-Brunswick) avec son associé Charles Van Horne, jusqu’à ce que ce dernier soit élu à la législature provinciale comme député de leur circonscription. Le député devint ministre du Tourisme du gouvernement provincial et ce ministère retint les services de l’appelant pour négocier l’achat de terrains en vue de la création d’un parc provincial appelé Sugarloaf Park. Au cours de son mandat, l’appelant a informé son ami, Camille Deschenes, hôtelier et marchand de biens de la région, que s’il envisageait de construire un motel, il pourrait trouver avantageux de le faire près du parc et que, dans ce cas, il serait probablement possible d’obtenir du gouvernement des avantages, comme un bail renouvelable à long terme et d’autres privilèges, y compris le transport au site projeté du motel d’outillage et de matériaux de construction appartenant au gouvernement. A cet égard, l’appelant a informé son ami qu’il pouvait lui obtenir certains avantages de son ancien associé, mas qu’il en coûterait $10,000, y compris les honoraires et frais, pour obtenir que Van Horne

[Page 147]

approuve la construction du motel dans le parc.

Deschenes s’est empressé d’accepter cette proposition et, sur une période de plusieurs mois, il a par l’entremise de l’appelant remis de fortes sommes d’argent à Van Horne qui était alors, comme je l’ai dit, député de la circonscription où habitaient Arseneau et Deschenes, et depuis quelque temps ministre du Tourisme. Une lettre écrite à Deschenes sur une feuille de bloc‑notes du Cabinet du ministre du Tourisme montre clairement que Van Horne a prêté son concours à ce projet; datée du 24 décembre 1971, elle est rédigée en ces termes:

[TRADUCTION AU DOSSIER] Faisant suite à nos plans de construire un lodge au parc Sugarloaf, je désire confirmer que vous recevrez le premier refus quant à la construction et l’exploitation d’un lodge de 80 unités sur le terrain du parc à être conclu dans un bail à long terme. C’est pour vous permettre de compléter vos plans et trouver le financement.

On aura noté que l’appelant a été accusé d’avoir contrevenu à l’al. 108(1)b) du Code criminel que voici:

108. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de quatorze ans, quiconque,

b) donne ou offre, par corruption, à une personne qui occupe une charge judiciaire ou qui est membre du Parlement du Canada ou d’une législature, de l’argent, une contrepartie valable, une charge, une place ou un emploi à l’égard d’une chose qu’elle a accomplie ou omise ou qu’elle doit accomplir ou omettre, en sa qualité officielle, pour lui ou toute autre personne.

Vu les faits que j’ai relatés, il n’y a aucun doute, à mon avis, que l’appelant a offert de l’argent à Van Horne, alors membre de la Législature du Nou-veau-Brunswick, pour qu’il intervienne en faveur des projets de Camille Deschenes en vue de la construction d’un motel dans le parc provincial.

Le procès a été marquée par une série de requêtes présentées au nom de l’appelant portant sur des questions de forme et de procédure, dont une longue demande de détails sur chaque chef de

[Page 148]

l’acte d’accusation. Le dossier révèle que l’on n’a posé que 13 questions sur le deuxième chef, mais la réponse donnée à la 13e se lit comme si c’était la réponse à la 14e question relative au premier chef de l’acte d’accusation. Tous les intéressés ont cependant traité cette réponse comme si l’acte d’accusation avait été modifié de façon à englober le détail, conformément à l’al. 516(3)c) du Code criminel:

(3) Lorsqu’un détail est communiqué selon le présent article,…

c) le procès doit suivre son cours, à tous égards, comme si l’acte d’accusation avait été modifié de façon à devenir conforme au détail.

Le détail en cause, que l’on a traité comme s’il modifiait le chef n° 2, se lit ainsi:

[TRADUCTION] Q. Quelle était exactement la «qualité officielle» de J. Charles Van Horne?

R. La réponse à la question 14 est la suivante: «comme membre de la Législature et ministre du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick». Il faut insérer ces détails au milieu de la ligne 9 du chef n° 2, après les mots «qualité officielle».

Il me semble que l’expression «en sa qualité officielle», au chef n° 2 initial visait Van Horne en sa «qualité officielle» de «membre de la Législature de la province du Nouveau‑Brunswick», d’autant plus que l’appelant est accusé d’avoir donné ou offert par corruption de l’argent «à une personne alors membre de la Législature du Nouveau‑Brunswick».

A mon avis, la modification apportée au deuxième chef ne fait donc qu’ajouter les mots «et ministre du Tourisme» au texte initial de l’accusation de sorte que le chef d’accusation allègue maintenant que l’argent a été versé par corruption à un membre de la Législature qui était également devenu ministre du gouvernement, et qui a donc agi en ces deux qualités.

On soutient cependant au nom de l’appelant que Van Horne a agi dans l’opération en cause en sa «qualité officielle» de ministre du Tourisme et qu’aux termes de l’art. 108, ce n’est pas une infraction de verser de l’argent à un membre de la

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Législature en contrepartie d’un acte accompli par ce dernier en sa qualité officielle de ministre. Il me semble que cet argument revient à dire qu’un membre de la législature, qui est également ministre du gouvernement, est réputé ne pas agir en sa qualité officielle de député pour les actes et décisions touchant l’administration du ministère qu’il dirige temporairement.

En l’absence de preuve contraire, je pars du principe que c’est parce qu’il était député que Van Horne a été nommé ministre du Tourisme. Ce serait conforme à la règle généralement acceptée dans ce pays que les ministres sont responsables devant les élus du peuple au Parlement ou à la législature, selon le cas, et que c’est en sa qualité de membre de la législature qu’un ministre du Cabinet prend part au processus qui lui permet d’obtenir le pouvoir législatif nécessaire pour appliquer les politiques qu’il propose. En dernière analyse, c’est en tant que député et non de ministre qu’il approuve les dépenses qu’il a recommandées à titre de ministre. Compte tenu de ce qui précède, je ne peux accepter la prétention de l’appelant que la qualité de Van Horne en tant que membre de la Législature puisse être suffisamment distinguée des fonctions qu’il remplit comme ministre du Tourisme pour qu’aux termes de l’art. 108, ce soit une infraction de lui verser de l’argent par corruption à titre de membre de la législature, mais que ce ne le soit pas de le lui verser en sa qualité de ministre.

Il est incertain que l’on a versé de l’argent à Van Horne pour des actes de nature administrative et liés à sa compétence de ministre du Tourisme, mais je ne crois pas qu’on puisse conclure qu’il n’agissait pas aussi en sa qualité de membre de la Législature du Nouveau-Brunswick lorsqu’il est intervenu, à la demande de l’un de ses électeurs, pour favoriser la construction d’un motel.

La distinction entre les actes législatifs et les actes administratifs d’un membre du Parlement est illustrée dans l’arrêt Regina v. Bruneau[3], où le

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prévenu était accusé d’avoir accepté de l’argent illégalement et par corruption pour exercer son influence sur le gouvernement en sa qualité officielle de membre du Parlement relativement à une opération immobilière dans sa circonscription, contrairement au sous-al. 100(1)a)(ii) du Code criminel en vigueur à cette époque.

En défense, l’inculpé prétendait que ce n’était pas en sa qualité officielle de membre du Parlement qu’il avait accepté de l’argent pour exercer une influence sur la fonction administrative du gouvernement avec laquelle, en tant que membre du Parlement, il n’avait aucun rapport direct. Dans ses motifs de jugement rendus au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge McLennan a dit (à la p. 97):

[TRADUCTION] Même si l’entente malhonnête consiste à exercer une influence sur la fonction administrative du gouvernement, cette fonction est assujettie en dernière analyse à la volonté du Parlement, dont l’appelant était membre, et en conséquence je suis d’avis qu’il a agi en «sa qualité officielle» lorsqu’il a conclu l’entente.

De la même façon, je suis convaincu qu’en l’espèce, l’argent qui a été offert a été accepté par Van Horne en sa qualité officielle de membre de la Législature même si [TRADUCTION] «l’entente malhonnête consistait à exercer une influence sur la fonction administrative du gouvernement».

L’appelant prétend également que si l’accusation énoncée au chef n° 2 révèle l’existence d’une infraction, il s’agit d’une infraction au sous-al. 110(1)d)(i) qui fait l’objet du chef n° 3 et dont l’appelant a été acquitté. Il soutient donc que le dossier révèle l’existence de verdicts incompatibles et que la défense d’autrefois acquit devrait s’appliquer.

L’allégation essentielle du troisième chef est que l’appelant

[TRADUCTION] …ayant ou prétendant avoir de l’influence auprès d’un ministre du gouvernement de cette province, à savoir: J. CHARLES VAN HORNE, ou d’un fonctionnaire du ministère du Tourisme de la province du Nouveau-Brunswick, d’avoir exigé, accepté ou offert ou convenu d’accepter pour lui-même ou pour une autre personne une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature en considération d’une colla-

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boration, d’une aide, d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission concernant la conclusion d’affaires avec le gouvernement ou un sujet d’affaires ayant trait au gouvernement de la province du Nouveau-Brunswick…

On voit que l’accusation mentionnée au deuxième chef parle de donner ou d’offrir par corruption de l’argent à Van Horne alors que le troisième chef allègue que l’appelant a exigé, accepté ou offert ou a convenu d’accepter pour lui-même ou pour une autre personne une récompense ou un avantage de quelque nature, et je suis convaincu que l’expression «autre personne» à l’article en cause ne peut se rapporter à Charles Van Horne ni à un fonctionnaire de son ministère.

Le chef n° 2 renvoie à l’al. 108(1)b) relatif à la corruption, alors que le chef n° 3 aux termes du sous-al. 110(1)d) (i), vise ce que l’on appelle familièrement le «trafic d’influence».

La différence entre les deux articles est d’autant plus marquée qu’une personne déclarée coupable de corruption (art. 108) est passible d’un emprisonnement de quatorze ans alors que le trafic d’influence (art. 110) est punissable d’un emprisonnement d’au plus cinq ans. Il est clair que le Parlement considère que l’art. 108 crée une infraction plus grave et, avec cela à l’esprit, il est évidemment peu probable qu’il ait voulu en même temps que l’art. 108 ne s’applique pas dans le cas de la corruption d’un membre de la législature agissant en sa qualité officielle de ministre du gouvernement.

La distinction entre les deux infractions a également fait l’objet d’un jugement du juge Fauteux, alors juge puîné, qui parlait au nom de cette Cour dans Martineau c. La Reine[4], à la p. 218.

Avec égards, j’estime qu’il n’y a aucun chevauchement entre les deux articles ou les deux chefs d’accusation qui rende un acquittement sur le troisième chef incompatible avec une déclaration de culpabilité sur le deuxième.

Pour ces motifs et ceux énoncés dans les motifs de jugement de la Division d’appel de la Cour

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suprême du Nouveau-Brunswick, je suis d’avis de rejeter ce pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et le juge SPENCE étant dissidents.

Procureurs de l’appelant: Patrick A.A. Ryan, Fredericton, and Jean-Claude Angers, Edmunston.

Procureur de l’intimée: Eugene D. Westhaver, Fredericton.

[1] (1963), 42 C.R. 93.

[2] [1962] 3 All E.R. 1066.

[3] (1963), 42 C.R. 93.

[4] [1966] R.C.S. 103, 48 C.R. 209.


Parties
Demandeurs : Arseneau
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Arseneau c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 136 (20 mars 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-03-20;.1979..2.r.c.s..136 ?
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