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30/03/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._650

Canada | La Reine c. Wheeler, [1979] 2 R.C.S. 650 (30 mars 1979)


Cour suprême du Canada

La Reine c. Wheeler, [1979] 2 R.C.S. 650

Date: 1979-03-30

Sa Majesté La Reine ex rel. Charles J. Gillespie (Requérante) Appelante;

et

Gary D. Wheeler (Intimé) Intimé.

1978: 11 décembre; 1979: 30 mars.

Présents: Les juges Ritchie, Spence, Pigeon, Beetz et Estey.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick[1], qui a rejeté une demande d’un bref de quo warranto. Le pour

voi est accueilli et il est ordonné de délivrer un bref de quo warranto destituant l’intimé de la charge de maire de la vil...

Cour suprême du Canada

La Reine c. Wheeler, [1979] 2 R.C.S. 650

Date: 1979-03-30

Sa Majesté La Reine ex rel. Charles J. Gillespie (Requérante) Appelante;

et

Gary D. Wheeler (Intimé) Intimé.

1978: 11 décembre; 1979: 30 mars.

Présents: Les juges Ritchie, Spence, Pigeon, Beetz et Estey.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick[1], qui a rejeté une demande d’un bref de quo warranto. Le pourvoi est accueilli et il est ordonné de délivrer un bref de quo warranto destituant l’intimé de la charge de maire de la ville de Moncton.

Eric Teed, c.r., pour l’appelante.

D.M. Gillies, c.r., et Irving Mitton, c.r., pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ESTEY — Le présent pourvoi est consécutif à des procédures intentées dans la province du Nouveau-Brunswick par le dénonciateur Gillespie qui demande la délivrance d’un bref de quo

[Page 652]

warranto visant à destituer l’intimé Wheeler de la charge de maire de la ville de Moncton, en raison de certains contrats passés par la ville de Moncton, lorsque l’intimé était maire, avec quatre compagnies dans lesquelles l’intimé était actionnaire et administrateur et également dirigeant de deux desdites compagnies. Il faut donc examiner la loi du Nouveau-Brunswick concernant les conditions requises du titulaire élu d’une charge municipale. Les faits ne sont pas contestés. En 1977, à toutes les époques qui nous intéressent, le maire de Moncton était actionnaire dans quatre compagnies privées, il était président de l’une d’entre elles et secrétaire-trésorier d’une autre. Rien au dossier n’indique l’importance de son portefeuille d’actions mais, pendant les plaidoiries, l’avocat de l’intimé a informé cette Cour que la participation de l’intimé comme actionnaire variait de 10 pour cent dans deux des compagnies, à 26 pour cent dans la troisième et à 49 pour cent dans la quatrième. Le dossier ne révèle pas l’identité des autres actionnaires de chacune des compagnies.

Pendant la durée du mandat du maire, s’étendant de juin 1974 à mai 1977, au moins trois des quatre compagnies énumérées dans la formule de divulgation mentionnée plus loin, ont conclu des contrats avec la ville de Moncton relativement à l’installation de conduites d’eau principales et de services d’égout, à la vaporisation d’insecticide, et à d’autres fins non mentionnées au dossier. Plusieurs contrats ont été passés dans le cadre de certaines améliorations locales par la municipalité sur des terrains appartenant à l’une de ces compagnies. Lorsque ces contrats ont été présentés au conseil de la ville de Moncton, le maire a déposé auprès du secrétaire municipal un document parfois désigné [TRADUCTION] «Formule de divulgation» qui énonçait de diverses manières que le maire avait «un conflit d’intérêts» relativement au contrat en question. Une formule de divulgation ainsi déposée par l’intimé, datée du 5 novembre 1976, se lit comme suit:

[TRADUCTION] FORMULE DE DIVULGATION

CONFORMÉMENT Á LA DIRECTIVE ADOPTÉE Á LA RÉUNION DU CONSEIL MUNICIPAL LE 27 OCTOBRE 1976, je, Gary David Wheeler, ETANT CONSEILLER/MAIRE DE LA VILLE DE MONCTON, DIVULGUE PAR LA

[Page 653]

PRÉSENTE MON INTÉRÊT DANS LES COMPAGNIES OU ORGANISATIONS SUIVANTES.

COMPAGNIE OU ORGANISATION

TITRE

Frizzel Bros. Construction Ltd.

Administrateur

Codiac Construction Ltd.

Administrateur

Codiac Helicopters Ltd.

Président

G. & G. Realty Ltd.

Secrétaire-trésorier

Lorsque le conseil a procédé à l’examen de ces questions, le maire s’est abstenu de voter ou de participer à la discussion et a, à l’occasion, cédé son fauteuil au maire suppléant ou à d’autres membres du conseil. Voici un autre exemple d’avis écrit de divulgation d’intérêts remis par l’intimé dans de telles circonstances:

[TRADUCTION] Le 7 juillet 1976

MEMBRES DU CONSEIL DE VILLE DE MONCTON

Soyez informés que je désire déclarer mon conflit d’intérêts concernant l’octroi de la soumission pour bordures et caniveaux, contrat n° 2.

(Signature) “Gary D. Wheeler” Gary D. Wheeler

Les brefs procès-verbaux révèlent de plus qu’au cours d’une assemblée du conseil, un conseiller a mis en question la conduite du maire intimé pour être intervenu auprès de fonctionnaires municipaux afin de proroger le délai pour la réception des soumissions. Selon le procès-verbal, le maire aurait déclaré avec franchise qu’il était [TRADUCTION] «membre d’une compagnie… intéressée à soumissionner…». En faisant ce résumé plutôt vague des faits au dossier soumis à la Cour, il faut, en toute justice, noter qu’il paraît n’y avoir aucune tentative de dissimuler ou camoufler les liens unissant le maire et les compagnies qui ont obtenu les contrats de la ville de Moncton. De fait, bien que cela ne figure pas au dossier, l’avocat nous a déclaré que le maire a signé certains contrats à la fois comme maire de la ville et comme dirigeant de la compagnie contractante. De plus, il est admis que c’est conformément aux recommandations du conseiller juridique de la ville et du ministère de la Justice (Nouveau-Brunswick) que le maire a rempli les différentes formules dites de divulgation. Il faut également remarquer qu’avant que cette affaire ne soit soumise aux tribunaux, les contrats et leur historique ont été portés à l’attention du ministre

[Page 654]

des Affaires municipales qui a informé le comité des citoyens de Moncton que: [TRADUCTION] «L’enquête me prouve, hors de toute doute, que le maire Wheeler n’est pas coupable des irrégularités mentionnées dans votre lettre.»

Il faut décider de l’application des lois du Nouveau-Brunswick à cet état de fait admis.

La Moncton Consolidation Act, loi du Nouveau-Brunswick, 1946, chap. 101, prévoit en partie:

[TRADUCTION] Article 6: Nul ne peut être élu ou agir en qualité de maire ou d’échevin pendant qu’il occupe une charge ou fonction lucrative sous le contrôle du Conseil ou pour lequel ce dernier peut faire des nominations, ou alors qu’il a, directement ou indirectement, autrement qu’à titre d’actionnaire d’une compagnie légalement constituée, un intérêt dans un contrat passé avec la ville de Moncton ou avec un mandataire du Conseil, ou qu’il n’a pas payé toutes ses redevances ou amendes municipales, ou qu’il est ministre, prêtre ou ecclésiastique de toute croyance religieuse, ou qu’il est responsable, autrement qu’à titre de contribuable, des revenus de la municipalité ou d’une partie de ceux-ci, et nul ne peut être ainsi élu s’il a été, dans les trois mois précédant le jour du scrutin, ou s’il peut être pendant la durée de son mandat, déclaré coupable d’avoir enfreint une loi réglementant la vente de boissons alcooliques ou trouvé coupable d’un acte criminel, ou s’il préside à l’élection du maire ou d’un échevin, pendant qu’il occupe cette fonction, de même que tout secrétaire ou assistant à son emploi à cette élection alors qu’il occupe cet emploi.

[Les italiques sont de moi]

C’était là la seule disposition de la loi applicable à ces questions pendant plusieurs années; mais, en 1967, la province du Nouveau-Brunswick a adopté une Loi sur les municipalités qui est, en ce qui nous intéresse ici, rédigée dans les mêmes termes que celle que l’on retrouve dans les Lois révisées du Nouveau-Brunswick, 1973, chap. M-22, que j’examinerai plus loin.

La Cour d’appel (et l’intimé devant cette Cour s’est rallié à la même position) s’est appuyée prinpalement sur la décision de la Chambre des lords dans Lapish v. Braithwaite[2], où il fut décidé, dans

[Page 655]

un jugement prononcé par le vicomte Cave, que la participation comme actionnaire était formellement exempte des motifs d’inhabilité et que le fait d’occuper la fonction ou la charge d’administrateur-gérant ne signifiait pas, en soi, que le conseiller avait [TRADUCTION] «une part ou un intérêt dans un contrat» avec la municipalité. La disposition de la loi alors soumise à la cour prévoyait:

[TRADUCTION] Par. 12(1). Une personne est inhabile à être élue et à agir en qualité de conseiller si

c) elle a directement ou indirectement, par elle-même ou son associé, une part ou un intérêt dans un contrat ou un emploi avec, par ou pour le conseil.

Par. 2. Mais une personne n’est pas ainsi inhabile ou réputée avoir une part ou un intérêt dans un tel contrat ou emploi, du seul fait qu’elle détient une part ou un intérêt dans —

e) une compagnie de chemins de fer ou une compagnie constituée par loi du Parlement ou charte royale ou en vertu de la Companies Act, 1862.

[Les italiques sont de moi]

Le conseiller alors devant la cour était actionnaire et administrateur-gérant de quatre compagnies qui avaient des contrats à obligations successives avec la ville de Leeds. Il recevait un salaire fixe d’une compagnie et le recueil ne révèle aucune autre rémunération des autres compagnies. Après avoir traité de l’exemption relative aux actions, le lord chancelier s’est penché sur la question de la pertinence de la fonction d’administrateur-gérant et a poursuivi à la p. 278:

[TRADUCTION] Un administrateur-gérant est le préposé de sa compagnie; et, bien qu’il soit naturellement intéressé à négocier et mettre à exécution les contrats de sa compagnie, il n’a (s’il reçoit un salaire fixe plutôt qu’une commission) aucun intérêt direct ou indirect dans les contrats eux-mêmes.

Il faut noter qu’en exemptant la participation comme actionnaire des causes d’inéligibilité, la loi anglaise formule l’exemption: «du seul fait qu’elle détient une part ou un intérêt». La Chambre des lords a rejeté toute prétention fondée sur le mot «seul» comme signifiant que tout autre lien avec la compagnie ne cadrerait pas avec l’article susmentionné. Le critère appliqué semble être que tout poste ou statut qui s’ajoute à celui d’actionnaire

[Page 656]

doit, en soi, entraîner l’inhabilité et qu’on n’y gagne rien à ajouter un statut additionnel à celui d’actionnaire. Malheureusement leurs Seigneuries n’ont pas dit pourquoi la fonction d’administrateur-gérant ne représentait pas au moins un intérêt indirect dans un contrat. La mention qu’une rémunération basée sur une commission versée à l’administrateur-gérant puisse entraîner l’inhabilité peut laisser croire que le mot «intérêt» a une connotation pécuniaire; elle peut également signifier que bien qu’un actionnaire n’ait aucun droit ou intérêt légitime dans les avoirs de la compagnie, un employé peut avoir «un intérêt» dans les activités de la compagnie touchant ces avoirs si le salaire de l’employé est relié aux bénéfices ou revenus de la compagnie.

Il est étonnant que l’arrêt Lapish, précité, n’ait pas fait l’objet de commentaires devant nos cours et, de fait, cette Cour n’a étudié le problème que dans l’arrêt J.B. Arthur Angrignon c.J. Arsène Bonnier[3], où la Cour examinait une disposition singulièrement différente de la charte de la ville de Montréal (à la p. 39):

Nul ne peut être mis en nomination pour la charge de maire ou d’échevin, ni être élu à cette charge, ni l’exercer: g) s’il est directement ou indirectement partie à un contrat, ou directement ou indirectement intéressé dans un contrat avec la cité, quelque soit l’objet de ce contrat. [Les italiques sont de moi]

Cette Cour a jugé qu’un échevin était «directement ou indirectement intéressé» dans un bail avec la ville de Montréal qui avait pour objet un immeuble, propriété de l’échevin, dont le titre avait été transféré à sa fille juste avant la signature du bail. En concluant à l’inhabilité de l’échevin, le juge en chef Duff, qui commentait l’expression de la charte «directement ou indirectement intéressé dans un contrat» a déclaré, à la p. 45:

[TRADUCTION] L’expression «intéressé dans» n’a aucun sens particulier. On doit la considérer dans son sens courant.

Ni le Juge en chef ni le juge Cannon dans ses motifs concordants n’ont prêté à l’expression «intéressé dans» un sens pécuniaire ni ne l’ont limitée à ce sens. Malgré les opérations financières intervenues entre le père et la fille, on ne pouvait dire

[Page 657]

qu’en droit, d’un point de vue technique, l’échevin avait «un intérêt» dans le contrat. Il ressort nettement de l’arrêt Angrignon, précité, qu’il n’était pas nécessaire qu’il existe une entente exécutoire en droit établissant un rapport monétaire entre le titulaire de la charge et le contrat avec la municipalité. L’arrêt Lapish, précité, rendu quelques années auparavant n’a apparemment pas été porté à l’attention de la Cour.

Dans Marcoux c. Plante[4], la Cour d’appel du Québec a examiné une autre disposition, relative à l’inhabilité à occuper une charge municipale, qui prévoit que les critères d’inhabilité [TRADUCTION] «ne s’appliquent pas aux actionnaires dans une compagnie constituée de bonne foi en corporation». Parce que le maire détenait toutes les actions de la compagnie qui passait un contrat avec la ville, le juge Casey a conclu, au nom de la Cour d’appel à la p. 743:

[TRADUCTION] La compagnie était son alter ego et le défendeur poursuivait, par l’intermédiaire de cette compagnie, les activités qu’il menait lui-même antérieurement.

L’opinion dissidente a adopté la position formaliste que l’importance de la participation comme actionnaire n’importait pas, tant que la partie contractante était, en fait, une entité juridique différente du fonctionnaire municipal.

L’appelante a beaucoup insisté sur sa prétention que les compagnies dont l’intimé est actionnaire sont des compagnies constituées par lettres patentes en vertu de la Loi sur les compagnies du Nouveau-Brunswick et qu’elles diffèrent beaucoup de la compagnie en question dans l’arrêt Lapish, précité, qui était une compagnie constituée par déclaration d’association. En bref, l’appelante prétend que l’administrateur d’une compagnie créée par lettres patentes exerce dans la compagnie une autorité qui, en contrepartie, comporte le devoir de conduire les affaires de la compagnie à l’avantage de ses actionnaires. En opposition à ce statut et aux devoirs et responsabilités qui s’y rattachent se trouve l’administrateur d’une compagnie créée par enregistrement d’une déclaration. Aux termes de la Loi en vigueur à l’époque de l’arrêt Lapish,

[Page 658]

précité, les administrateurs n’avaient pas le pouvoir exclusif de diriger la compagnie. On a soutenu, par exemple, qu’en vertu des statuts d’association ou de la déclaration d’association, les actionnaires pouvaient prendre l’initiative de proposer des règlements et des modifications aux règlements. Les actionnaires pouvaient, en demandant une réunion des actionnaires pour élire un nouveau conseil, révoquer un conseil qui, à leur avis, ne tenait pas compte des mesures qu’ils désiraient appliquer aux entreprises de la compagnie. Dans Études sur le droit canadien des compagnies, J.S. Ziegel compare ces deux types de compagnies à la p. 81 où il déclare:

[TRADUCTION] Dans le cas d’une compagnie constituée par lettres patentes, les lettres patentes nomment les premiers administrateurs et les statuts prévoient généralement qu’un conseil d’administration gérera les affaires de la compagnie. Donc, contrairement à une compagnie créée par enregistrement où les actionnaires délèguent aux administrateurs des pouvoirs et peuvent les révoquer, dans une compagnie créée par lettres patentes les pouvoirs sont prévus par la loi et sont indépendants de la volonté des actionnaires. Nous voyons donc que la fonction d’administrateur d’une compagnie constituée par lettres patentes est fondamentalement différente. Dans une telle compagnie les pouvoirs des administrateurs sont semblables à ceux du Parlement. Les électeurs élisent les membres du Parlement mais, après les avoir choisis, ils ne peuvent leur dire comment exercer leurs pouvoirs. De même, une fois élus, les administrateurs jouissent de certains droits fondamentaux dans lesquels les actionnaires ne peuvent intervenir, sauf leur pouvoir de destituer les administrateurs avant l’expiration de leur mandat.

L’efficacité de cette méthode d’analyse est réduite en l’espèce parce que dans toutes les compagnies l’intimé n’est qu’un administrateur parmi d’autres dont on ignore le nombre, et il ne paraît représenter la majorité des actionnaires dans aucune d’elles.

La difficulté d’application de l’arrêt Lapish, précité, dans notre pays, est accentuée par le fait que la fonction d’administrateur-gérant est connue principalement en Angleterre. Les lois sur les compagnies de certaines provinces reconnaissent cette fonction et on la retrouve dans la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes de 1975. Le personnage qui s’en rapproche le plus dans les

[Page 659]

compagnies canadiennes est le directeur général qui est d’habitude membre du conseil d’administration et soit président du conseil soit président de la compagnie. Le vicomte Cave a examiné le statut de l’administrateur-gérant en partant de la prémisse qu’il n’a aucun intérêt direct ou indirect dans les contrats avec sa compagnie. J’estime, respectueusement, que cette remarque n’est pas appropriée au droit ni aux règles commerciales modernes en vigueur dans notre pays. Un administrateur, et surtout celui qui agit également à titre de président, à un devoir continu et quotidien envers l’entité juridique, la compagnie, et envers les actionnaires de mener les affaires de la compagnie de façon efficace, profitable, et tout à fait légale. Si l’on applique le principe général formulé par le juge en chef Duff dans l’arrêt Angrignon, précité, ce fonctionnaire est certainement «intéressé» à ce que sa compagnie passe des contrats profitables. Dans une entreprise de services ou de construction tel peut bien être son seul intérêt véritable en dirigeant les affaires de la compagnie.

Malheureusement, la loi est loin d’être claire sur ce qui constitue «un intérêt dans un contrat». La Loi d’interprétation du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. 1973, chap. I-13, art. 17 prévoit:

Toute loi, tout règlement et toute disposition de ceux-ci sont réputés réparateurs et doivent faire l’objet de l’interprétation large, juste et libérale, la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

Pour interpréter l’art. 6 de la Moncton Consolidation Act, je préfère le principe général énoncé dans l’arrêt Angrignon, précité, et, en appliquant ce principe, je conclus qu’effectivement l’intimé «a un intérêt dans… (le) contrat…» en question au sens de cette loi. La loi ajoute «directement ou indirectement». L’exception «autrement qu’à titre d’actionnaire», prévue dans l’article, s’applique à tous les portefeuilles d’actions quelle que soit leur importance. Elle visait peut-être à soustraire à l’inhabilité les portefeuilles d’actions peu importants ou accessoires mais l’article ne précise pas cette restriction. Il ne faut cependant pas présumer que la législature a ainsi voulu limiter le sens et l’application de l’expression «intérêt indirect». Il n’est pas réaliste de croire que, du point de vue purement humain, un administrateur ou dirigeant

[Page 660]

d’une compagnie contractante n’a pas au moins un intérêt indirect dans les contrats de la compagnie. Compte tenu des faits soumis à cette Cour, la disposition a un effet encore plus clair. Un administrateur ou dirigeant d’une compagnie de construction ou de services doit, selon le langage et l’entendement ordinaires, avoir un intérêt, ne serait-ce qu’indirect, dans le bien-être de la compagnie dans la mesure où il dépend ou résulte de «contrats».

Un autre moyen de droit soulevé par l’intimé est que la Loi sur les municipalités du Nouveau-Brunswick, précitée, et ses règlements d’application, ont remplacé l’art. 6 de la Moncton Consolidation Act de 1946, précitée. La Loi sur les municipalités mentionnée est la version courante d’une loi promulguée en 1967 et qui vise toutes les municipalités dans la province. L’article 13 prévoit en partie:

Lorsqu’une disposition de la présente loi est en conflit ou en contradiction avec une disposition d’une charte municipale ou d’une loi d’intérêt privé ou particulier, c’est la disposition de la présente loi qui prévaut; mais le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre les pouvoirs d’une municipalité afin d’englober une attribution mentionnée dans sa charte municipale ou dans une loi d’intérêt privé ou particulier concernant cette municipalité. (Les italiques sont de moi.)

L’avocat n’a mentionné à la Cour aucun règlement visant à élargir la portée de la charte de la ville de Moncton. Aux termes de la Loi sur les municipalités, le lieutenant-gouverneur en conseil a édicté, en 1967, le règlement 67-10 qui prévoit:

[TRADUCTION] Lorsqu’un membre du conseil d’une municipalité a un intérêt avec une personne qui traite des affaires avec la municipalité, il doit immédiatement divulguer son intérêt par écrit au conseil.

Le texte de l’art. 13, précité, ne peut être invoqué pour accorder priorité au règlement de 1967 sur une disposition d’une autre loi et aucune autorité n’a été citée à l’appui d’une telle proposition. Reste toutefois à savoir s’il n’y aurait pas une autre disposition de la Loi sur les municipalités qui soit incompatible avec l’art. 6 de la Moncton Consolidation Act et qui ait donc préséance sur celui-ci. On prétend que les art. 71 et 72 ont cet effet. L’article 71 dispose que toute personne qui a droit de vote est admise à poser sa candidature à la

[Page 661]

fonction de maire ou de conseiller municipal. L’article 71 n’est pas rédigé en des termes qui empêchent la coexistence d’autres règlements d’application relatifs à la capacité de demeurer en fonction après élection. L’article 72 va plus loin et prévoit:

Ne sont pas admis à poser leur candidature, ne peuvent être élus et ne peuvent occuper un poste de membre du Conseil:

a) les juges de la Cour suprême ou d’une cour de comté,

b) les juges de la Cour provinciale,

c) les fonctionnaires ou employés à plein temps de la municipalité, ou en congé d’absence de cette fonction ou de cet emploi, ou

d) les personnes devant assumer les fonctions de directeur ou de sous-directeur des élections municipales, de directeur du scrutin, de secrétaire du bureau de vote, de préposé au service d’ordre ou de représentant pendant une élection.

A nouveau, les termes de cette disposition de la loi ne la rendent pas incompatible avec l’art. 6 parce qu’ils ne concernent que le statut des personnes qui ne sont pas admises à poser leur candidature ni à occuper un poste en raison de leurs fonctions ou de leur emploi. Cependant, l’art. 6 traite de l’inéligibilité de personnes en raison de leur conduite relativement à la municipalité avant ou après l’élection et de l’inéligibilité des ministres, prêtres ou ecclésiastiques de toute croyance religieuse ou de personnes déclarées coupables de certaines infractions provinciales ou de nature criminelle. Il semble y avoir chevauchement relativement au par. 72d) et aux personnes décrites dans la dernière partie de l’art. 6 mais il ne s’en dégage aucune incompatibilité ou conflit. Quoi qu’il en soit je ne crois pas que la législature ait voulu établir à l’art. 72 une liste complète et exhaustive des personnes non admises à occuper une charge municipale et, en fait, je crois que le début de l’art. 6 est essentiellement différent de la disposition limitative de l’art. 72. Je conclus donc que 1 art. 72 de la Loi sur les municipalités du Nouveau-Brunswick ne supplante pas l’art. 6.

J’examinerai maintenant la prétention de l’appelante concernant le règlement municipal n°

[Page 662]

136-13/1977 de la ville de Moncton, dont voici les dispositions pertinentes en l’espèce:

[TRADUCTION] 1. Pour les fins du présent règlement un membre du Conseil a un conflit d’intérêts si il/elle a un intérêt pécuniaire dans un contrat ou une affaire soumis au Conseil.

2. Lorsqu’un membre du Conseil a un conflit d’intérêts dans un contrat ou une affaire soumis au Conseil ou à un comité, le membre doit se conformer aux procédures suivantes:

(I) Le membre du Conseil doit immédiatement divulguer par écrit son intérêt au Conseil;

(II) Le membre du Conseil doit immédiatement quitter l’assemblée jusqu’à ce que le Conseil ait décidé de l’affaire. Si le président de l’assemblée a un conflit d’intérêts il occupera le fauteuil présidentiel seulement pendant le temps nécessaire pour nommer une personne qui présidera à sa place l’étude de l’affaire lorsqu’il se conforme aux procédures susmentionnées;

Comme je l’ai dit au début alors que j’examinais certains des faits, l’intimé a déposé auprès du secrétaire municipal une série de documents signalant différents conflits d’intérêts, lesquels, selon son affidavit, ont été déposés conformément à «la pratique de la ville de Moncton», ce qui doit être un renvoi au règlement municipal susmentionné. L’appelante prétend que ces divulgations constituent un aveu, par l’intimé, de son intérêt pécuniaire dans les contrats. L’intimé n’a fait mention d’aucune disposition de la loi qui autorise la ville de Moncton à édicter le règlement municipal n° 136-13/1977. L’examen de la Loi sur les municipalités ne révèle aucun pouvoir exprès du conseil pour agir ainsi. Un pouvoir général, accordé dans la charte de la ville, d’adopter les procédures à suivre aux assemblées du conseil ne semble pas être un fondement suffisant pour justifier ce règlement. Même si on considérait qu’une disposition aussi générale permet à la municipalité d’adopter un règlement qui exige la divulgation d’intérêt, on peut difficilement prétendre de façon sérieuse qu’un tel règlement peut définir le conflit d’intérêts de façon à le limiter à un «intérêt pécuniaire» aux fins des autres lois provinciales. De plus, aucune disposition de cette nature d’un règlement municipal ne peut avoir l’effet de justifier une violation de l’art. 6 de la charte municipale par le simple dépôt d’une déclaration d’intérêt ou de conflit d’intérêts comme l’a fait l’intimé en l’espèce.

[Page 663]

Enfin, l’intimé prétend que le litige ou le fondement des présentes procédures a disparu à l’expiration du mandat de l’intimé, le 24 mai 1977. La chronologie des événements facilitera l’analyse de cette question. En juin 1974, l’intimé a été élu maire pour un mandat de trois ans. Le 5 mai 1977, pendant la durée de ce mandat, la décision de la Cour d’appel a été prononcée. Le 9 mai 1977, l’intimé a été réélu maire et son nouveau mandat a débuté le 24 mai 1977. On dit qu’une demande de quo warranto expire avec la fin du mandat du titulaire dont la demande conteste le droit d’occuper le poste. Cette proposition trouve un certain appui dans l’arrêt rendu par cette Cour dans Sa Majesté le Roi, sur dénonciation de Carl Powis Tolfree c. James H. Clark et autres[5]. Ces procédures tiraient leur origine de l’adoption, par la législature de l’Ontario, d’une loi prolongeant l’Assemblée législative d’alors, en raison de la guerre qui sévissait. Une demande de la nature d’un quo warranto a été présentée alléguant que cette loi était ultra vires et qu’en conséquence chaque intimé usurpait illégalement la fonction ou la charge de membre de l’Assemblée législative. Lorsque la Cour d’appel de l’Ontario a été saisie de l’affaire, l’Assemblée législative, dont la loi susmentionnée avait prolongé l’existence, avait été dissoute, des élections avaient eu lieu et une nouvelle assemblée législative avait été élue. Parlant au nom de cette Cour, le juge en chef Duff à la p. 72, a refusé d’accorder l’autorisation d’appel au motif que [TRADUCTION] «l’Assemblée législative ayant été dissoute depuis le prononcé du jugement de la Cour d’appel, un tel arrêt ne pourrait plus être exécuté maintenant et ne pourrait avoir d’effet pratique, direct et immédiat entre les parties, sauf quant aux dépens.»

Ici, bien sûr, les rapports qui ont engendré les procédures persistent et, en fait, la pratique de passer des contrats entre la municipalité et les compagnies privées se poursuit pendant le mandat actuel de l’intimé. Il y a au moins deux autres réponses à cette prétention. Vu la durée généralement courte du mandat du titulaire d’une charge

[Page 664]

municipale, la population serait souvent privée du recours au quo warranto puisque le titulaire aurait terminé son mandat au moment où les cours trancheraient définitivement l’affaire. Si le mandat contesté était effectivement expiré par l’écoulement du temps ou autrement, l’ordonnance ne serait pas, dans le sens courant, non exécutoire; il n’y aurait tout simplement pas lieu de l’exécuter. Toutefois, lorsque la cause de l’inhabilité se maintient pendant un deuxième mandat, la proposition de l’intimé entraînerait le recommencement des procédures. Dire, dans de telles circonstances, que la question a perdu tout aspect pratique au moment de la réélection et exiger par le fait même le recommencement des procédures, équivaudrait souvent à la dénégation réelle du droit de la collectivité, représentée par le requérant, d’obtenir une décision des cours sur une question fondamentale à la marche du processus démocratique. Lorsque, comme en l’espèce, les circonstances initiales se retrouvent pendant le deuxième mandat en raison de parties de contrats inexécutées, et lorsque des contrats semblables ont été passés entre la municipalité et l’intimé pendant ce deuxième mandat, il n’est pas nécessaire à mon avis de renouveler les procédures ou de les recommencer. Cette Cour n’a jamais rejeté un pourvoi pour la seule raison que le point en litige était devenu théorique au moment où les faits lui étaient soumis. International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 et autres c. Winnipeg Builders’ Exchange et autres[6].

On peut toutefois avancer un motif plus fort et d’application plus directe. Le dossier des présentes procédures contient des mentions détaillées de la passation de contrats entre la ville de Moncton et des compagnies dont l’intimé était soit un administrateur soit un dirigeant, ou les deux. Aucune preuve n’établit que ces contrats ne sont plus, en partie, existants et exécutoires. En revanche il n’y a aucune preuve positive que tout a été entièrement accompli ou exécuté. Une cour peut donc présumer que la situation de fait décrite au dossier existe toujours. En qualité de maire de la ville de Moncton, l’intimé devait rencontrer les normes de

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l’art. 6 pour être réélu en mai 1977 et il doit continuer par la suite à occuper sa charge conformément à l’art. 6. De plus, le dossier du pourvoi a été complété par l’aveu très franc et pertinent de l’avocat de l’intimé que d’autres contrats ont été conclus, au moins par une des quatre compagnies, avec la ville de Moncton au cours du présent mandat de l’intimé, et on ne prétend pas que l’intérêt de l’intimé dans ces contrats est différent de celui qu’il avait dans les contrats conclus au cours du premier mandat. Cela peut soulever des questions de procédure comme celle de savoir si la première demande de quo warranto, par laquelle les présentes procédures ont été entamées, qui alléguait l’inhabilité à demeurer en fonction, peut également servir de fondement à une ordonnance de quo warranto rendue suite à la réélection de l’intimé en 1977, alors qu’il était inéligible, en raison du prolongement de la cause qui a entraîné l’inhabilité invoquée dans la demande. Une autre question de procédure peut se poser quant à savoir s’il faut formellement présenter une nouvelle demande pour saisir la Cour de ces nouveaux contrats. Cependant, toutes ces questions dans les présentes procédures deviennent théoriques puisque, dans chaque cas, le statut de l’intimé sera en substance le même. Les premiers contrats mentionnés dans le dossier devant la Cour sont encore en vigueur et exécutoires et, en raison de l’art. 6, ils font subsister l’inhabilité de l’intimé à occuper sa charge pendant le mandat actuel. Le dossier des présentes procédures ne fait aucunement mention d’un reçu final signé par les parties contractantes ni d’une décharge ou acceptation du travail signée par la ville de Moncton. L’avocat a déclaré devant cette Cour que les travaux prévus aux contrats sont maintenant terminés mais, même si cette déclaration était admise comme preuve, ce qui n’est pas le cas, elle ne peut à elle seule, être considérée comme la preuve d’une exécution complète des contrats et de leur décharge. Donc, comme je l’ai déjà dit, la Cour doit, en pareille situation, présumer que les contrats existent toujours en droit.

Quelle que soit la façon d’aborder la question, on parvient à la conclusion que la présente procé-

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dure n’est pas devenue théorique et que l’inhabilité existant au moment du dépôt de la demande existe toujours. Il faut donc statuer sur la demande conformément aux règles de droit applicables.

Comme je l’ai dit précédemment, les qualités requises pour être élu et pour occuper à tous les niveaux de gouvernement une fonction supérieure sont une question de très grande importance dans le fonctionnement de la collectivité démocratique. Il faut sauvegarder le caractère sacré de ces fonctions et le respect absolu des conditions requises pour les occuper si l’on veut que le gouvernement démocratique réponde à ce qu’on attend de lui. Donc, lorsqu’ils sont soumis à l’examen des cours à l’occasion de demandes de quo warranto ou autres, ces textes législatifs doivent être appliqués conformément au droit. Il doit en être ainsi, qu’il y ait eu ou non manquement à la morale, ou même si le dossier révèle, comme en l’espèce (j’insiste sur ce point) que l’affaire à l’étude qui, à mon avis, est en conflit avec les exigences de la loi, a été menée ouvertement par la divulgation au conseil des intérêts de l’intimé dans les compagnies contractantes. La divulgation aurait peut-être pu être plus complète, mais la preuve révèle que la divulgation a été ainsi rédigée sur les conseils de l’avocat de la ville. Il n’y a certainement aucune preuve que l’intimé a cherché à tromper par la forme et le mode de divulgation qu’il a choisis. Néanmoins il faut appliquer la loi quelle qu’en soit la rigueur.

Le principe qui a inspiré cette loi relève de la compétence de la législature et il n’appartient pas aux cours de le déterminer. Lorsque dans l’arrêt Lapish, précité, le vicomte Cave a conclu que la loi alors à l’étude ne s’appliquait pas au défendeur il l’a déploré (à la p. 279):

[TRADUCTION] Lorsque l’exception en faveur de l’actionnaire a pour la première fois été édictée en 1869, l’opinion de la législature était certainement qu’un conseil ne devrait pas renoncer aux services d’un membre compétent pour le seul motif qu’il détient quelques actions dans une compagnie avec laquelle le conseil désire contracter et elle a sans doute jugé qu’un intérêt de cette nature aurait peu de chances d’influencer indûment les actes d’un membre en sa qualité de fonctionnaire de la compagnie. Mais, depuis ce jour, la pratique de constituer des entreprises en compagnies à responsa-

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bilité limitée s’est de beaucoup accrue. Il existe maintenant beaucoup de compagnies dans lesquelles la plupart ou presque toutes les actions sont détenues par un seul homme qui peut également en être l’administrateur principal ou dominant de sorte que, sauf pour le nom, l’entreprise de la compagnie est celle de l’actionnaire; et, si en raison de l’exception prévue au par. 12(2) cet homme peut demeurer membre d’un organisme municipal qui négocie des contrats avec sa compagnie, l’article perdra beaucoup de sa force et de sa valeur. Il n’appartient pas à vos Seigneuries de proposer une solution à ce danger, mais je crois que la législature pourrait bien envisager la possibilité de donner plus de force à l’article, soit en rendant inhabiles les personnes qui détiennent un nombre important d’actions dans une compagnie qui est partie à des contrats, soit de quelque autre façon.

Certaines législatures de notre pays ont récemment abordé ce problème de façon différente, en tenant compte, peut-être, des premières remarques susmentionnées du vicomte Cave. La province de l’Ontario, par exemple, après avoir adopté un code très détaillé d’exigences et de conditions concernant les titulaires de charges publiques, a adopté en 1972 une disposition simple exigeant seulement que le titulaire de la charge divulge son intérêt à l’organisme public en question. Je renvoie à The Municipal Conflict of Interest Act, 1972 (Ont.), chap. 142. Comme je l’ai dit, toutes ces considérations sont du ressort exclusif de la législature. Il se peut fort bien que les législateurs de la province du Nouveau-Brunswick soient justifiés d’analyser les dispositions de la loi de 1946, qui régissent encore ces questions, ainsi que les dispositions correspondantes de la Loi sur les municipalités.

Pour ces motifs, je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et d’ordonner que soit délivré un bref de quo warranto destituant l’intimé de la charge de maire de la ville de Moncton, avec dépens au dénonciateur (comme le demande l’appelante) en cette Cour et en Cour d’appel.

Jugement en conséquence, avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Teed & Teed, Saint-Jean, N.-B.

Procureurs de l’intimé: Mitton & Mitton, Moncton.

[1] (1977), 18 N.B.R. (2d) 154.

[2] [1926] A.C. 275.

[3] [1935] R.C.S. 38.

[4] [1961] B.R. 742.

[5] [1944] R.C.S. 69.

[6] [1967] R.C.S. 628.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 650 ?
Date de la décision : 30/03/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit municipal - Conflit d’intérêts - Destitution de fonctions - «Intérêt dans un contrat passé avec la Ville» - Moncton Consolidation Act, 1946 (N.B.), chap. 101, art. 6 - Loi sur les municipalités, L.R.N.-B. 1973, chap. M-22, art. 71, 72.

La Moncton Consolidation Act, 1946 (N.B.), chap. 101, art. 6, prévoit que nul ne peut être élu ou agir en qualité de maire ou d’échevin alors qu’il a, directement ou indirectement, autrement qu’à titre d’actionnaire d’une compagnie légalement constituée, un intérêt dans un contrat passé avec la ville. Le pourvoi est consécutif à des procédures de quo warranto visant à destituer l’intimé Wheeler de la charge de maire de la ville de Moncton, en raison de certains contrats passés par la ville, lorsqu’il était maire, avec quatre compagnies dans lesquelles il était actionnaire et administrateur et également dirigeant de deux desdites compagnies. La participation de l’intimé comme actionnaire variait de 10 pour cent dans deux des compagnies, à 26 pour cent dans la troisième et à 49 pour cent dans la quatrième. L’intimé n’a pas essayé de dissimuler son intérêt ou sa participation dans les compagnies et, en fait, il a divulgué son intérêt et s’est abstenu de voter ou de prendre part à la discussion lorsque ces contrats ont été présentés au conseil. Le maire a aussi rempli les différentes formules dites de divulgation conformément aux recommandations du conseiller juridique de la ville et du ministère provincial de la Justice. La Division d’appel s’est appuyé sur la décision de la Chambre des lords dans Lapish v. Braithwaite, [1926] A.C. 275, et a rejeté la demande du bref de quo warranto.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Il faut établir une distinction avec l’arrêt Lapish v. Braithwaite. En particulier, la remarque sur le statut de l’administrateur-gérant, en partant de la prémisse qu’il n’a aucun intérêt direct ou indirect dans les contrats avec sa compagnie, n’est pas appropriée au droit ni aux règles commerciales modernes en vigueur dans notre pays. Un administrateur, et surtout celui qui agit égale-

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ment à titre de président, a un devoir continu et quotidien envers la compagnie et les actionnaires de mener les affaires de la compagnie efficacement. Si Ton applique le principe général formulé par le juge en chef Duff dans l’arrêt Angrignon, [1935] R.C.S. 38, ce fonctionnaire est «intéressé» à ce que sa compagnie passe des contrats profitables et, dans une entreprise de services ou de construction, tel peut être son seul intérêt véritable en dirigeant les affaires de la compagnie. Dans le cas présent, on ne doit pas considérer les dispositions de l’art. 6 de la Moncton Consolidation Act comme incompatibles avec la Loi sur les municipalités et elles ne sont pas supplantées par l’art. 72 de cette loi. En l’espèce, le litige ou le fondement de procédures n’a pas disparu à l’expiration du mandat de l’intimé en mai 1977. L’intimé a été réélu maire le 9 mai 1977 et les rapports qui ont engendré les procédures persistent. Les qualités requises pour être élu et pour occuper une fonction publique sont de très grande importance et les textes législatifs doivent être appliqués conformément au droit lorsqu’ils sont soumis à l’examen des cours. Même lorsque, comme ici, il n’y a aucune preuve que l’intimé a cherché à tromper, il faut appliquer la loi quelle qu’en soit la rigueur.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Wheeler

Références :

Jurisprudence: distinction faite avec les arrêts Lapish v. Braithwaite, [1926] A.C. 275, et Le Roi ex rel. Tolfree c. Clark et autres, [1944] R.C.S. 69

J.B. Arthur Angrignon c. J. Arsène Bonnier, [1935] R.C.S. 38

Marcoux c. Plante, [1961] B.R. 742

International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 et autres c. Winnipeg Builders’ Exchange et autres, [1967] R.C.S. 628.

Proposition de citation de la décision: La Reine c. Wheeler, [1979] 2 R.C.S. 650 (30 mars 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-03-30;.1979..2.r.c.s..650 ?
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