COUR SUPRÊME DU CANADA
Heustis c. Com. d’Énergie Électrique du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 768
Date : 1979-05-22
Maynard P. Heustis Appelant; et
La Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick Intimée.
1978: 17, 18 octobre; 1979: 22 mai.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.
EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick[1] qui a accueilli un appel interjeté d’un jugement du juge Stratton[2] annulant la décision d’un arbitre en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, chap. P-25. Pourvoi accueilli.
Roy W. Dixon, pour l’appelant.
E. Neil McKelvey, c.r., et Robert G. Vincent, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DICKSON — L’appelant est un poseur de lignes au service de la Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick et est membre du local 1733 de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité. En février 1976, les membres du local 1733 ont été impliqués dans une grève illégale et ont organisé un piquet de grève à l’entrée principale de la propriété de la Commission
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appelée Marysville Service Centre and Design Centre.
A quelques reprises, un nommé Bjerkelund, également un employé de la Commission d’énergie mais membre d’un local différent de la F.I.O.E., a traversé le piquet de grève en automobile. On a allégué qu’il s’en était pris aux piqueteurs et qu’à une autre occasion son automobile avait heurté un des piqueteurs. Quoi qu’il en soit, le 25 février 1976, Bjerkelund a craint de sortir par l’entrée principale et a quitté l’édifice par la sortie arrière. C’est alors que Bjerkelund et six autres employés ont été attaqués par quinze ou vingt hommes qui les attendaient dans un bois situé derrière le Centre. Un de ces hommes, un nommé McDonald, a dit aux autres de s’en prendre à Bjerkelund. Entouré de poseurs de lignes, Bjerkelund a été assailli par derrière. Il a reçu trois coups dans le dos et a été projeté par terre. Pendant qu’il était allongé, l’appelant lui a asséné un coup de pied, lui infligeant une triple fracture du nez. C’est alors que Bjerkelund a saisi la jambe de l’appelant, le forçant par terre, ce qui a mis fin à l’altercation.
Le 5 mars 1976, la Commission d’énergie a suspendu l’appelant et McDonald. McDonald a présenté un grief à l’encontre de sa suspension. Le 12 mars 1976, les deux hommes ont reçu une lettre de congédiement. Ils ont tous deux présenté un grief à l’encontre de leur congédiement, alléguant qu’on avait mis fin à leur emploi sans cause juste et demandant leur réintégration sans perte de salaire ni de bénéfice. L’employeur a considéré que l’incident était sérieux et que la sanction disciplinaire était justifiée.
Le président de la Commission des relations de travail dans les services publics a nommé Donald McLean arbitre des griefs aux termes des dispositions de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, chap. P-25, et de la convention collective conclue par la Commission d’énergie et le local 1733 du syndicat.
Les articles suivants de la convention collective sont pertinents:
[TRADUCTION] Article V
Pratiques déloyales
d) Les mesures disciplinaires, la suspension, la rétrogradation ou le congédiement d’un employé
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doivent être fondés sur une cause juste et suffisante.
Article XVII Droits de la direction
La Commission a et conserve le droit et le pouvoir exclusifs de gérer l’entreprise et de diriger sa main-d’oeuvre, ce qui comprend, sans restreindre la généralité de ce qui précède, le droit et le pouvoir:
c) de prendre des mesures disciplinaires, de suspendre, de rétrograder ou de congédier tout employé pour une cause juste et suffisante.
Rien de ce qui précède ne doit être interprété comme dérogeant aux dispositions expresses des autres articles de la convention ou comme restreignant de quelque façon le droit de présenter un grief.
L’arbitre des griefs devait déterminer si l’employeur avait une cause juste et suffisante pour congédier l’appelant. A cette fin, il devait répondre à trois questions. Premièrement, l’employé a-t-il fait l’acte reproché? Deuxièmement, cet acte justifiait-il une mesure disciplinaire de la part de l’employeur? Troisièmement, le cas échéant, l’acte était-il suffisamment grave pour justifier un congédiement?
La décision de l’arbitre est ambiguë. Après avoir conclu que l’employeur avait établi les faits qu’il lui incombait de prouver, suivant la prépondérance des probabilités (c.-à-d. que l’appelant avait fracturé le nez de Bjerkelund et que McDonald avait identifié la victime en vociférant) l’arbitre a dit: [TRADUCTION] « ... il reste à déterminer si cela constitue une cause juste et suffisante pour congédier le plaignant.» Après une étude de l’article précité de la convention collective sur les «droits de la direction», il a ajouté: [TRADUCTION] «Je pense que pour savoir s’il y a cause juste et suffisante il faut se demander si la mesure disciplinaire était justifiée».
L’arbitre a ensuite passé en revue plusieurs décisions exposant les principes applicables pour déterminer si un acte comparable à celui reproché à l’appelant constitue une cause juste et suffisante de
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congédiement. Il a cité des décisions en matière d’arbitrage selon lesquelles la participation à une bagarre constituait en elle-même une cause suffisante de congédiement et d’autres décisions, plus récentes, selon lesquelles la transformation passagère d’un conflit de travail en violence physique ne constituait pas, en elle-même, une cause juste de congédiement. Il a conclu qu’en l’espèce, malgré certains éléments accablants, l’incident était une altercation passagère qui n’avait pas porté atteinte à la réputation et à l’autorité de la Commission d’énergie ni endommagé ses biens. A part cet incident, l’appelant avait un dossier disciplinaire vierge et était un excellent employé.
L’arbitre a cependant déclaré qu’aucune jurisprudence ne lui permettait de modifier la sanction disciplinaire imposée par l’employeur. Il s’est senti lié par l’arrêt de cette Cour dans Port Arthur Shipbuilding Co. c. Arthurs[3], et par la décision Re Treasury Board[4]. Il a poursuivi en ces termes:
[TRADUCTION] L’avocat du plaignant prétend que je dois déterminer si le congédiement est fondé sur une cause juste et suffisante et que je peux accueillir les griefs si je conclus que le congédiement constitue une mesure excessive. Cependant, à la lumière des droits de la direction reconnus par l’article XVII de la convention, je ne pense pas pouvoir faire une telle distinction. En conséquence, puisqu’il existait une cause juste et suffisante pour prendre des mesures disciplinaires contre le plaignant, je ne puis modifier la mesure disciplinaire adoptée par l’employeur.
et conclu:
[TRADUCTION] Pour tous ces motifs, je rejette le grief même si je considère que le congédiement est une sanction trop rigoureuse et sévère dans les circonstances. Si j’en avais eu le pouvoir, je l’aurais remplacé par une suspension sans solde d’un mois.
L’appelant a ensuite présenté des requêtes en certiorari et en mandamus à la Division du Banc de la Reine de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Le juge Stratton était d’avis que les conclusions de l’arbitre selon lesquelles (i) il existait une cause juste et suffisante pour prendre des mesures disciplinaires contre Heustis et McDonald, et (ii) le congédiement constituait une sanction trop rigoureuse et sévère dans les circonstances,
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étaient des conclusions sur le fond des griefs et n’étaient pas susceptibles de révision étant donné les clauses privatives de l’art. 101 de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Voici le texte de l’art. 101:
101 (1) Sous réserve des dispositions contraires de la présente loi, toute ordonnance, sentence, directive, décision ou déclaration de la Commission, du Tribunal d’arbitrage ou d’un arbitre, est définitive et ne peut être contestée devant aucun tribunal ni révisée par aucun tribunal.
(2) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucune action intentée et aucune procédure entamée devant un tribunal, par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition, de quo warranto, ou autrement, pour contester, réviser, supprimer ou restreindre les pouvoirs de la Commission, du Tribunal d’arbitrage ou d’un arbitre dans l’une quelconque de leurs procédures.
Le juge Stratton a dit:
[TRADUCTION] Il convient de souligner que l’arbitre a conclu qu’il existait une cause juste et suffisante pour prendre une mesure disciplinaire, et non pour congédier, comme semblait le penser l’avocat lorsqu’il a plaidé devant moi. En conséquence, je conclus que l’arbitre avait le pouvoir curatif de modifier la mesure disciplinaire et qu’en refusant de le faire, il a omis d’exercer une compétence lui appartenant.
A la suite d’un appel de l’ordonnance du juge Stratton devant la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, l’ordonnance a été infirmée, le juge Ryan ayant rédigé le jugement de la Cour. A son avis, l’arbitre devait décider si l’employeur avait «une cause juste et suffisante» pour congédier l’appelant et McDonald. Plus loin dans son jugement, il a cependant déclaré: [TRADUCTION] «En l’espèce, je considère que la décision de l’arbitre équivaut à une conclusion selon laquelle il existait une cause juste pour congédier les deux plaignants ...». Avec égards, je ne puis interpréter la décision de l’arbitre de la même manière. Si cette interprétation était exacte, de larges extraits de la décision de l’arbitre seraient non seulement inutiles mais également inappropriés. (Par exemple, la phrase «Si j’en avais eu le pouvoir, je l’aurais remplacé par une suspension sans solde d’un mois».) Il est à mon avis correct de conclure que l’arbitre a jugé qu’il existait une juste cause pour prendre une mesure disciplinaire. Implicitement, il a répondu «non» à
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la question posée, savoir, existait-il une cause juste et suffisante de congédiement?
Il est à mon avis indéniable que la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a commis une erreur en jugeant que l’arbitre avait conclu à l’existence d’une juste cause de congédiement. Cela ne règle toutefois pas le problème. Restent à trancher la question primordiale du pouvoir d’un arbitre en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics et la question de savoir si l’arbitre avait raison en l’espèce de conclure que cette affaire était régie par l’arrêt Port Arthur Shipbuilding Co. c. Arthurs, précité.
Selon le juge Ryan de la Cour d’appel, l’art. XVII de la convention prévoit différents [TRADUCTION] «genres de mesures disciplinaires», savoir, les mesures disciplinaires en général, la suspension, la rétrogradation ou le congédiement, applicables à un employé coupable de mauvaise conduite. Une fois que l’employeur a choisi un de ces «genres de mesures disciplinaires», l’arbitre ne peut en substituer un autre et il doit uniquement se prononcer sur l’existence d’aune cause juste et suffisante» pour l’exercice de ces pouvoirs disciplinaires. Il a donc conclu que cette affaire était régie par l’arrêt Port Arthur Shipbuilding.
L’affaire Port Authur Shipbuilding concerne trois employés qui se sont absentés de leur travail chez Port Arthur Shipbuilding Company pour accepter un emploi temporaire et saisonnier au service d’une autre compagnie. Malgré certaines circonstances atténuantes, les trois hommes contrevenaient à un article de la convention collective qui interdisait de s’absenter pour travailler au service d’un autre employeur. Ils ont tous les trois été congédiés. Le conseil d’arbitrage a conclu, à la lumière des faits allégués par l’employeur, qu’il y avait juste cause pour des mesures disciplinaires mais non le congédiement des employés et il a en conséquence remplacé les congédiements par des suspensions.
La disposition pertinente de The Labour Relations Act de l’Ontario relative à l’arbitrage se trouvait au par. 34(1), cité à la p. 91 de l’arrêt de cette Cour, comme suit:
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[TRADUCTION] Chaque convention collective doit prévoir le règlement définitif et exécutoire par arbitrage, sans arrêt de travail, de tous les différends entre les parties relatifs à l’interprétation, l’application, l’administration ou la prétendue violation de la convention, et à toute question quant à savoir si un cas peut être soumis à l’arbitrage.
Voici en quels termes était rédigé l’article de la convention collective portant sur les droits de la direction:
[TRADUCTION] 3.01 Le Syndicat reconnaît le pouvoir de la direction de gérer les affaires de la compagnie, de diriger sa main-d’oeuvre, ce qui comprend le droit d’embaucher, de muter, de promouvoir, de rétrograder, de suspendre et de congédier un employé pour une cause valable et d’augmenter ou de diminuer les effectifs de la compagnie, pourvu que la compagnie n’exerce pas ces droits de façon incompatible avec les dispositions de la présente convention.
Parlant au nom de la Cour, le juge Judson a abordé la question des droits de la direction en ces termes (aux pp. 88 et 89):
[TRADUCTION] Selon la thèse de la compagnie appelante, le conseil d’arbitrage n’a pas le pouvoir de remplacer un congédiement par une suspension. J’évite volontairement de parler de «compétence». Aux termes de l’art. III relatif aux droits de la direction, la compagnie a le droit de congédier pour une cause valable. Je ne fais pas de distinction entre cause «valable» et cause «juste», Cette dernière n’est mentionnée que dans l’art. 3,03 qui donne à l’employé le droit de soumettre son cas à la procédure de règlement des griefs. La seule limite au pouvoir de la direction est qu’elle ne doit pas l’exercer «de façon incompatible avec les dispositions de la présente convention». En l’espèce, on ne saurait prétendre que la compagnie a violé l’une des dispositions de la convention,
La seule question en litige consiste à déterminer si les trois employés ont quitté leur emploi pour travailler ailleurs et si cela constitue une cause valable de mesures disciplinaires. Ayant conclu que les faits justifiaient une mesure disciplinaire, le conseil d’arbitrage ne pouvait modifier la sanction imposée.
A mon avis, le paragraphe suivant contient la véritable ratio du jugement (aux pp. 89 et 90):
[TRADUCTION] Une convention collective lie l’employeur et les employés. Il ne s’agit pas de contraventions insignifiantes et, dans les circonstances, le conseil
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n’avait pas le pouvoir de substituer son propre jugement à celui de la direction. Si le conseil possédait un tel pouvoir de révision en vertu de l’art. 3.03, il faudrait que le pouvoir de la direction de rétrograder, de suspendre ou de congédier un employé soit expressément assujetti au pouvoir de révision du conseil d’arbitrage. La direction serait alors fixée sur ses pouvoirs. Mais dans sa formulation actuelle, la convention limite le pouvoir du conseil à déterminer si la direction a excédé son pouvoir. Les membres du conseil devaient donc se demander si, agissant en toute honnêteté, un administrateur qui doit considérer collectivement un groupe d’employés et tenir compte des intérêts de la compagnie, aurait pu en arriver à la même conclusion? En d’autres mots, la direction a-t-elle excédé ses droits? Une seule réponse s’impose et c’est «non». C’est le conseil qui a excédé ses pouvoirs en révisant la décision de la direction comme s’il avait pleins pouvoirs d’appel. [Les italiques sont de moi.]
Aux pages 95 et 96, le juge Judson a conclu ses motifs en revenant sur les pouvoirs limités du conseil d’arbitrage en vertu de la convention:
[TRADUCTION] Un conseil d’arbitrage du type de celui à l’étude n’a pas de pouvoirs inhérents de révision semblables à ceux des tribunaux. Ses pouvoirs se limitent à ceux que lui confère la convention collective qui, habituellement, les définit avec précision. II n’a aucun pouvoir inhérent lui permettant d’amender, modifier ou méconnaître la convention collective. Comme c’est exactement ce qu’a fait le conseil en l’espèce, il a commis une erreur et sa sentence est annulée.
A mon avis, dans l’affaire Port Arthur Shipbuilding, deux éléments ont incité la Cour à conclure comme elle l’a fait. Premièrement, seul l’article de la convention relatif aux droits de la direction, un article qu’aucune autre disposition de la convention ne venait limiter, exposait les pouvoirs disciplinaires de l’employeur. Deuxièmement, rien dans le par. 34(1) de la Loi ni dans les dispositions de la convention relatives à l’arbitrage, n’assujettissait le pouvoir de l’employeur de prendre des mesures disciplinaires à l’entière révision d’un conseil d’arbitrage. Aucun de ces éléments n’existe en l’espèce.
En l’espèce, la convention collective contient, outre l’article habituel relatif aux droits de la direction, une disposition portant spécifiquement sur les mesures disciplinaires que peut prendre l’employeur:
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[TRADUCTION] Vd) Les mesures disciplinaires, la suspension, la rétrogradation ou le congédiement d’un employé doivent être fondés sur une cause juste et suffisante.
Ve) Lorsque le grief d’un employé porte sur une mesure disciplinaire entraînant son congédiement, sa suspension ou une peine pécuniaire, il peut, dans les cinq (5) jours de la cause du grief, référer le grief directement au second palier.
En outre, le dernier paragraphe de l’article relatif aux droits de la direction (art. XVII, précité) contient une disposition restrictive semblable à celle de la convention étudiée dans l’affaire Port Arthur Shipbuilding:
[TRADUCTION] Rien de ce qui précède ne doit être interprété comme dérogeant aux dispositions expresses des autres articles de la convention ou comme restreignant de quelque façon le droit de présenter un grief.
Cela signifie que les autres dispositions de la convention collective, comme l’art. Vd), ont préséance sur l’article concernant les droits de la direction. L’appelant a présenté son grief en vertu de l’art. V de la convention et c’est en vertu de l’art. V, plutôt que l’art. XVII, qu’il faut déterminer les obligations de l’employeur relatives aux mesures. disciplinaires.
L’article V est plus qu’une reconnaissance des droits de l’employeur par le syndicat; il oblige la Commission d’énergie à ne pas congédier un employé sans cause juste et suffisante. Le mot «suffisante» à l’art. Vd) ne doit pas être oublié. Il exige que la sévérité de la mesure disciplinaire soit liée à l’importance de l’infraction, ou, autrement dit, que l’infraction soit suffisante et justifie la sanction. La Commission d’énergie a accepté de ne pas imposer une mesure disciplinaire qui n’aurait pas de rapport avec la gravité de l’infraction.
En fait, il m’est difficile de comprendre comment on peut établir qu’il existe une «cause juste et suffisante» sans la relier non seulement aux mesures disciplinaires en général mais à la sévérité de la sanction imposée dans le cas particulier. Si l’arbitre a bien interprété la jurisprudence, sa tâche se limitait à déterminer si une mesure disciplinaire quelconque était justifiée; le cas échéant, le type de
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mesure disciplinaire et la sévérité de la sanction relevaient uniquement de l’employeur. L’acte reproché pourrait être tout à fait insignifiant et justifier une simple réprimande mais l’employeur serait entièrement libre d’imposer la sanction ultime et de congédier l’employé. De ce point de vue, ce serait une question de «tout ou rien». Je ne puis admettre que la jurisprudence entraîne un résultat aussi absurde.
En l’espèce, il ne faut pas se demander, comme dans l’affaire Port Arthur Shipbuilding, «la direction a-t-elle excédé ses droits?» mais plutôt «l’employeur a-t-il contrevenu à l’art. Vd) de la convention collective?». Le grief présenté par les employés n’est pas, comme dans Port Arthur Shipbuilding, fondé sur l’article relatif aux droits de la direction, mais sur un article aux termes duquel l’employeur a expressément accepté de ne pas imposer de mesures disciplinaires sans «cause juste et suffisante». A la différence de la situation à l’étude dans Port Arthur Shipbuilding, on ne peut prétendre ici que l’article relatif aux droits de la direction a l’effet de protéger la mesure disciplinaire imposée par l’employeur de la révision par un arbitre.
Cette conclusion s’appuie solidement et indépendamment sur les dispositions de la convention collective relatives à l’arbitrage. L’article XXIII prévoit:
[TRADUCTION] Les dispositions de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics et les règlements, y compris l’art. 92 de la Loi relatif à l’arbitrage des griefs, s’appliquent aux griefs présents en vertu de la présente convention.
Le paragraphe 92(1) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics dispose:
Lorsqu’un employé a porté son grief au plus haut palier de la procédure applicable aux griefs, en ce qui concerne
a) l’interprétation ou l’application à son égard d’une disposition d’une convention collective ou d’une sentence arbitrale, ou
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n’a pas. été réglé de façon satisfaisante pour lui, il peut, sous réserve du paragraphe (2), renvoyer ce grief à l’arbitrage.
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Deux points méritent d’être signalés au sujet du par. 92(1). Premièrement, contrairement aux dispositions relatives à l’arbitrage à l’étude dans Port Arthur Shipbuilding, la procédure de règlement des griefs prévue dans la Loi n’est pas restreinte à «l’interprétation, l’application, l’administration ou la prétendue violation de la convention», mais prévoit expressément, à l’al. b), l’arbitrage des griefs relatifs à «une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire». Ainsi, dans une loi régissant les relations de travail dans le secteur public, la législature a expressément assujetti le pouvoir de la direction de congédier, de suspendre ou d’imposer une peine pécuniaire à l’entière révision d’un arbitre. A quelle fin cette disposition existe-t-elle si ce n’est pour donner à l’arbitre un pouvoir plus vaste que celui prévu à l’al. a), qui correspond au texte étudié dans Port Arthur Shipbuilding?
Deuxièmement, l’al. 92(1)b) semble expressément reconnaître dans la «mesure disciplinaire» une progression, à partir de la «peine pécuniaire» en passant par la «suspension» pour aboutir au «congédiement». Le texte de l’art. Ve) de la convention collective correspond à cette façon de concevoir la mesure disciplinaire, car il reprend le texte législatif relatif aux griefs et aux types de mesures disciplinaires sévères envisagés à l’art. Vd). La thèse selon laquelle l’article relatif aux droits de la direction permet à l’employeur d’exercer une entière discrétion quant au type de mesure disciplinaire semble aller à l’encontre du texte de l’art. V de la convention et surtout de l’art, 92(1) de la Loi.
Dans une affaire plus récente, Re Zolondek[5], le juge en chef Hughes de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick a étudié si, en l’absence de pouvoir spécifique dans la convention collective, l’arbitre avait le pouvoir de remplacer une suspension de durée indéterminée imposée par l’employeur par une suspension sans salaire de deux mois. Le Juge en chef a conclu que puisque la suspension d’un employé pouvait faire l’objet d’un arbitrage en vertu de l’al. 92(1)b) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics,
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précitée, la durée de la suspension pouvait également faire l’objet d’un arbitrage. Juger autrement, a déclaré le Juge en chef, (à la p. 677):
[TRADUCTION] ... équivaudrait à laisser la durée d’une suspension pour un acte justifiant une mesure disciplinaire à la seule discrétion d’un employeur sans autre recours. Il est à mon avis implicite à l’art. 92 qu’un arbitre possède des pouvoirs réparateurs et que, dans les cas de suspension, ces pouvoirs comprennent le pouvoir de modifier la durée de la suspension imposée à titre de sanction.
Il est vrai que l’affaire Zolondek portait uniquement sur le remplacement d’une suspension de durée indéterminée par une suspension de durée déterminée alors qu’ici, la suspension a été substituée au congédiement. Néanmoins, la décision reconnaît et autorise l’exercice d’un pouvoir réparateur plus vaste que celui expressément stipulé dans la convention collective. En l’espèce, la Cour d’appel a établi une distinction avec l’arrêt Zolondek au motif que [TRADUCTION] «le type de mesure disciplinaire imposé par l’employeur n’y avait pas été modifié».
Une très bonne raison de principe explique l’hésitation judiciaire A. contrôler les arbitres dans , l’exercice de leurs pouvoirs. Le but de l’arbitrage des griefs en vertu de la Loi est d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends résultant de l’interprétation et de l’application d’un convention collective ou d’une mesure disciplinaire imposée par l’employeur, le tout dans le but de maintenir la paix.
Prenons le présent cas. L’appelant s’est mal conduit. Un arbitre saisi de la question a considéré qu’une sanction disciplinaire s’imposait mais qu’une suspension suffisait. Si l’exercice du pouvoir d’arbitre ne permet pas de corriger la situation en ajustant la sanction à l’infraction, la sentence arbitrale se réduit alors à une décision presque dénuée de sens. Ou le grief est accueilli, dans quel cas l’appelant ne sera pas puni, un résultat qui semble injuste dans les circonstances, ou l’appelant est congédie, un résultat qui, selon l’arbitre, compte tenu des circonstances atténuantes qu’il a retenues, est injuste à l’égard de l’employé. Dans l’un et l’autre cas, le but de la procédure d’arbitrage aux fins de l’application de la convention collective ne sera pas atteint. Les relations entre
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l’employeur et le syndicat seront encore plus tendues. Pour que cette procédure ait un sens, le droit de modifier la sévérité de la mesure disciplinaire par l’imposition d’une peine moindre doit certainement être inhérent à l’exercice du pouvoir d’arbitre: voir Re Polymer Corporation and Oil, Chemical, and Atomic Workers International Union, Local 16-14[6].
A ce sujet, dans l’arrêt Newfoundland Association of Public Employees c. Procureur général de Terre-Neuve[7], le juge en chef Laskin (le juge Ritchie ayant souscrit à ses motifs) s’est prononcé sur les pouvoirs des arbitres. Deux extraits semblent particulièrement pertinents en l’espèce (aux pp. 529 et 530):
Le procureur de l’intimé a d’abord prétendu qu’un conseil d’arbitrage, et en particulier celui-ci, ne pouvait remettre en cause la sanction du renvoi dès lors qu’il existait quelque juste cause de sanction disciplinaire, mais il a fait marche arrière lorsqu’il a réalisé que si un conseil ne pouvait faire autre chose qu’approuver ou annuler un renvoi, cela pouvait jouer sérieusement au détriment de l’employeur puisque, s’il l’annulait, les employés renvoyés devraient être rétablis dans leurs fonctions, qu’ils auraient droit en conséquence à la rémunération perdue (peut-être pour une longue période) et que toute faute de leur part serait demeurée impunie. Il a également concédé qu’il n’était pas possible qu’un employeur qui aurait quelque raison d’imposer une sanction disciplinaire à un employé pour une infraction mineure — disons, des retards en une ou deux occasions — puisse décider de le renvoyer et défendre cette sanction contre toute ingérence d’un conseil d’arbitrage habilité à décider s’il y avait une juste cause de congédiement.
Cause et sanction sont intimement mêlées, spécialement dans les affaires de renvoi. J’estime que l’on ne doit pas donner aux conseils d’arbitrage, en tant que tribunaux privés des parties, moins de latitude que n’en donne la jurisprudence aux tribunaux administratifs statutaires, si l’on veut qu’ils exercent leurs pouvoirs de façon à réaliser leurs objectifs. Pour une cour, cela revient au même de dire que la sanction substituée par un conseil excède les pouvoirs de celui-ci ou de remettre en cause une décision de maintenir ou d’annuler la sanction imposée sans plus.
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Comme j’ai cherché à le démontrer, la convention collective à l’étude et surtout les dispositions législatives applicables relatives à l’arbitrage, se distinguent nettement de celles à l’étude dans l’arrêt Port Arthur Shipbuilding. En l’absence de quelque disposition de la convention et de la Loi interdisant expressément l’exercice de pouvoirs réparateurs par l’arbitre, je suis d’avis qu’un arbitre agissant en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick a le pouvoir de remplacer un congédiement par une sanction moindre lorsqu’il conclut qu’une cause juste et suffisante justifie une mesure disciplinaire mais non un congédiement.
Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick et de rétablir l’ordonnance du juge Stratton annulant la décision de l’arbitre et lui ordonnant de poursuivre l’arbitrage conformément aux règles applicables. L’appelant a droit à ses dépens en cette Cour et en Division d’appel.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelant: Hoyt, Mockler, Allen & Dixon, Fredericton.
Procureurs de l’intimée: McKelvey, Macaulay & Machum; St-Jean, N.-B.
[1] (1977), 19 N.B.R. (2d) 174.
[2] (1977), 17 N.B.R. (2d) 372.
[3] [1969] R.C.S. 85.
[4] (1973), 7 N.B.R. (2d) 354 (C.S.N.-B.).
[5] (1976), 15 N.B.R. (2d) 665.
[6] (1959), 10 L.A.C. 51; (1961), 26 D.L.R. (2d) 609 (H.C. Ont.); (1961), 28 D.L.R. (2d) 81 (C.A. Ont.); [19621 R.C.S. 338 (sous l’intitulé Imbleau c. Laskin).
[7] [1978] 1 R.C.S. 524.