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14/06/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._1072

Canada | Maxwell c. R., [1979] 2 R.C.S. 1072 (14 juin 1979)


Cour suprême du Canada

Maxwell c. R., [1979] 2 R.C.S. 1072

Date: 1979-06-14

Dwight Cecil Maxwell (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeurs) Intimée.

1978: 30 et 31 octobre; 1979: 14 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Maxwell c. R., [1979] 2 R.C.S. 1072

Date: 1979-06-14

Dwight Cecil Maxwell (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeurs) Intimée.

1978: 30 et 31 octobre; 1979: 14 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Meurtre - Preuve - Adresse du juge au jury - Absence de directives quant à l’irrégularité de certains témoignages - Des témoins n’ont pas respecté l’ordonnance du juge de ne pas discuter des témoignages - Changement dans la déposition sous serment de certains témoins - Justesse des directives.

La victime de ce meurtre a été abattue dans un terrain de stationnement qui sépare deux hôtels de Hamilton, vers 23h50 le 21 septembre 1974. A peu près au même moment, un bruit, comme un coup de fusil ou un raté de moteur, a attiré l’attention d’un passant qui a vu un homme dans le parc de stationnement courir jusqu’à une fourgonnette de couleur brune ou cuivrée dont le flanc portait une inscription qu’il a par la suite identifiée comme étant le nom de «Barber Appliance Services». Arrivé sur le terrain de stationnement, ce témoin a trouvé le corps de la victime sur le sol avec une blessure au cou causée par la décharge d’une arme à feu, blessure qui s’est avérée mortelle. La fourgonnette avait été stationnée à environ cinq pieds du corps et on a vu un homme y courir et entrer par le côté du conducteur en laissant la porte entrebaillée. Deux autres témoins ont déclaré qu’ils avaient vu la fourgonnette quitter le parc de stationnement et l’un d’entre eux a pu noter par écrit ce qu’il a cru être le numéro de la plaque. Il semblait clair que la personne qui conduisait le camion à ce moment-là était le meurtrier. La preuve n’admet aucune autre conclusion rationnelle. Durant la soirée en cause, la fourgonnette identifiée était sous la garde de Penoffio, le gérant de cette entreprise de Hamilton. Penoffio demeurait dans une maison sise au 87 rue Augusta à Hamilton, maison qu’occupait aussi un ami du nom de Matthews et où l’accusé était en visite ce soir-là. La fourgonnette a été trouvée près de cette adresse peu après le meurtre et, à ce moment-là, se trouvaient dans la maison l’accusé, Penoffio et Matthews. Penoffio et Matthews étaient, bien entendu, tous deux dans une situation qui les rendait suspects, mais aucun d’eux n’a raconté que l’autre avait été dans le parc de stationnement de l’hôtel à l’heure fatale. La preuve du ministère public était presque entièrement indirecte, encore que

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les déclarations de l’accusé et de Penoffio, dans la mesure où elles ont été faites dans l’intérêt de leur auteur, aient été sujettes à l’évaluation par le jury de la crédibilité respective des témoins. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre et son appel a été rejeté sans motifs écrits par un arrêt unanime de la Cour d’appel. Le jugement accordant l’autorisation d’appeler a en outre limité l’examen par cette Cour à deux erreurs contenues, allègue-t-on, dans l’adresse du juge, premièrement l’omission d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews qui a modifié son témoignage après en avoir discuté au cours de la nuit avec le témoin Penoffio, contrevenant ainsi à la directive du juge de première instance interdisant pareille discussion, et deuxièmement l’omission d’avertir le jury de se défier de la déposition de Penoffio qui, notamment, avait antérieurement fait sous serment des déclarations contradictoires et dont le témoignage et le comportement ont démontré qu’il était un personnage indésirable et peu digne de foi.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte: Il existe des doutes sur la question de savoir si Matthews a entendu l’ordonnance, prononcée pendant le témoignage de Penoffio, interdisant les discussions entre témoins. Compte tenu de cela, on ne peut pas dire que le juge de première instance a fait une erreur en omettant d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews parce que ce dernier aurait agi en contravention d’une ordonnance dont il peut avoir ignoré l’existence. En outre, le changement dans le témoignage de Matthews n’avait aucun lien direct avec les allées et venues de Maxwell au moment du meurtre, son seul effet était de confirmer le témoignage de Penoffio aux dépens de celui de l’accusé. Dans ces circonstances, le changement de «je ne me souviens pas» à «on vient de me rappeler» ne comporte aucune inconsistance telle que le juge soit obligé d’insérer un avertissement spécial dans son adresse au jury.

Sans aucun doute Penoffio n’était pas fiable; cependant, la présente affaire se distingue de Binet c. La Reine, [1954] R.C.S. 52, où le témoin était un complice et un parjure. Rien ici ne laisse penser que Penoffio est un complice; au contraire, on a prétendu qu’il était un suspect. De plus, étant donné que la seule question essentielle en l’espèce porte sur l’identité du conducteur de la fourgonnette au moment du meurtre, et quant à cette question, Penoffio n’a apporté aucun élément de preuve, son parjure ne portait pas sur la seule question importante et, dans les circonstances, le juge de première instance n’a commis aucune erreur en omettant de donner plus de directives qu’il ne l’a fait en ce qui regarde le témoin.

[Page 1074]

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey, dissidents: Dans la présente affaire, la preuve de l’identité de celui qui a commis le crime est pour le moins fragile. Entièrement indirecte, la preuve nous permet de soupçonner Penoffio et Matthews aussi bien que l’accusé. La crédibilité est une question centrale quant à la preuve contre n’importe lequel d’entre eux et les directives du juge de première instance sur cette question sont capitales pour en arriver à une décision juste dans ce pourvoi, compte tenu des contradictions dans le témoignage assermenté de Penoffio et de sa désobéissance et de celle de Matthews à l’ordonnance du juge interdisant de discuter des témoignages.

L’adresse au jury a relaté la preuve, laissant au jury le soin de décider quelle théorie ou quelle présentation il devait accepter. Les déclarations contradictoires sous serment de Penoffio et sa violation de l’ordonnance du juge relative aux témoins ont été présentées au jury comme relevant simplement de la crédibilité. L’adresse était insuffisante en ce qui concerne à la fois Penoffio et Matthews. Il y a eu absence de directives équivalant à des directives erronées. Non seulement ces témoins pouvaient-ils avoir intérêt à se disculper aux dépens de l’accusé, mais leur intérêt était relié à des irrégularités de témoignage de façon à exiger un avertissement clair contre l’acceptation et l’évaluation de leur témoignage suivant les mêmes normes que celles qui s’appliquent à un témoin indépendant. La défense était que ce n’était pas l’accusé mais tout probablement Penoffio qui avait tué la victime. Penoffio avait un motif, mais pas l’accusé. Les divergences dans leur témoignage étaient frappantes et reliées à la fourgonnette, un chaînon essentiel dans le meurtre. Plus d’une version de Penoffio montre qu’il aurait eu facilement accès à la fourgonnette. Le jury aurait été justifié de conclure que Penoffio était un parjure et on aurait dû l’avertir dans les termes approuvés par l’arrêt Binet c. La Reine.

Trois circonstances de la présente affaire appelaient, du moins à cause de leur effet cumulatif, un avertissement en termes très forts par le juge de première instance quant à l’acceptation par le jury de la preuve du ministère public: premièrement, l’intérêt des témoins, deuxièmement, les déclarations contradictoires sous serment sur des questions essentielles et troisièmement, la violation de l’ordonnance du juge; un avertissement d’autant plus nécessaire qu’il n’y avait aucune corroboration indépendante des témoins suspects.

[Jurisprudence: Lucas v. The Queen, [1963] 1 C.C.C. 1; Rustad c. La Reine, [1965] R.C.S. 555 infirmant [1965] 1 C.C.C. 323] Distinction faite avec l’arrêt Binet c. La Reine, [1954] R.C.S. 52.

[Page 1075]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté sans motifs écrits un appel d’une déclaration de culpabilité par un jury lors d’un procès présidé par le juge O’Leary sur une accusation de meurtre. Pourvoi rejeté, le juge en chef laskin et les juges Spence, Dickson et Estey étant dissidents.

C.C. Ruby, pour l’appelant.

D. Watt, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson et Estey a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Sur autorisation de cette Cour, le pourvoi est interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté, sans motifs écrits, l’appel de Maxwell de sa condamnation pour meurtre par un jury présidé par le juge O’Leary. Le pourvoi a été autorisé sur la question suivante qui contient deux moyens d’appel:

La Cour d’appel de l’Ontario a-t-elle commis une erreur en refusant de conclure que le juge de première instance s’était trompé, dans les circonstances de l’espèce, en 1) omettant d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews, qui a modifié son témoignage après en avoir discuté au cours de la nuit avec le témoin Penoffio, contrevenant ainsi à la directive du juge de première instance interdisant pareille discussion; et 2) en omettant d’avertir le jury de se défier de la preuve présentée par Penoffio qui, notammenf, avait déjà fait sous serment des déclarations contradictoires?

Agé de trente-deux ans à l’époque, l’accusé exploitait une petite entreprise de peinture et de construction. Il avait servi dans les forces armées canadiennes, travaillé comme gardien de prison, comme agent de sécurité et comme constable spécial à la division de la circulation du Hamilton Police Department et ensuite comme détective privé pour un hôtel avant de se lancer à son compte. En même temps, il travaillait à temps partiel pour Barber Appliance Services et, au moment de l’infraction alléguée, un nommé Stonehouse et un nommé Penoffio l’employaient comme peintre; c’est pourquoi il avait la clef de la maison de Penoffio. Bien qu’il eût l’habitude de passer la nuit dans les maisons où il travaillait, il avait sa propre résidence.

[Page 1076]

La victime du meurtre, un nommé Maurice Rodriguez, avait été vu dans un des bars de l’hôtel Elmar à Hamilton, Ontario, le soir du 21 septembre 1974 et on l’avait également vu partir seul vers 23h30. Il a été abattu quelques minutes plus tard dans un terrain de stationnement entre l’hôtel Elmar et un autre hôtel. On a déclaré en preuve avoir entendu un bruit comme un raté de moteur ou un coup de feu dans le terrain de stationnement et avoir vu un homme courir vers une fourgonnette stationnée pour s’enfuir à son volant. Plusieurs témoins ont décrit la fourgonnette qui portait l’inscription Barber Appliance Services sur le flanc et un des témoins a pris note du numéro de la plaque comme la fourgonnette s’éloignait. Peu de temps après minuit, vers minuit et cinq ou minuit et dix, le 22 septembre 1974, la fourgonnette a été retrouvée dans l’entrée d’une maison appartenant au témoin Penoffio. Le fait que le témoin qui a noté le numéro d’immatriculation s’est trompé d’un chiffre n’a pas empêché qu’on retrouve rapidement le véhicule. La maison du 87 avenue Augusta était située à peu de distance de l’hôtel Elmar, environ trois à cinq minutes en voiture.

Il est évident, étant donné que la preuve n’admet aucune autre possibilité, que la personne qui a quitté le terrain de stationnement au volant de la fourgonnette est l’auteur du meurtre de Rodriguez.

La victime avait été un locataire de Penoffio au 87 Augusta pour environ un an jusqu’à ce que Penoffio mette fin au bail au mois d’avril 1974 par un avis de quitter les lieux, lequel alléguait sa mauvaise conduite qui aurait amené la police à la maison à plusieurs reprises. Il en est résulté un sentiment d’hostilité entre la victime et Penoffio qui a déclaré avoir été importuné par des appels téléphoniques d’une personne, qu’il a cru être la victime et qui raccrochait lorsqu’on répondait au téléphone. Il y avait d’autres incidents qu’il n’est pas nécessaire de relater qui indiquaient que les rapports entre la victime et Penoffio étaient tendus.

Penoffio, au moment des événements, était le gérant à Hamilton d’un commerce d’appareils, Barber’s Appliance Services. La fourgonnette qu’on avait vu quitter la scène du meurtre appartenait à cette entreprise et portait sa raison sociale

[Page 1077]

sur le flanc. Penoffio avait pris la fourgonnette le 20 septembre 1974 chez le propriétaire de l’entreprise et lui avait laissé sa propre voiture. Des trois ou quatre clefs de la fourgonnette, le propriétaire en avait une, Penoffio une autre et une autre était gardée par un employé à Brantford où l’entreprise exerçait aussi ses activités.

Aucune preuve n’établit que l’accusé Maxwell était à l’hôtel Elmar dans la soirée du 21 septembre. L’accusé connaissait la victime et d’après la preuve, ils étaient en bons termes. Il n’y avait aucun mobile de la part de Maxwell de faire du mal à la victime ou de la tuer. L’accusé avait couché chez un témoin, Stonehouse, la nuit du 20 septembre parce qu’il faisait des travaux de peinture pour lui. Le lendemain soir, le 21 septembre, Stonehouse et un de ses amis ont invité l’accusé à se joindre à eux pour aller prendre un verre à une taverne, le Running Pump. Il a refusé, déclarant qu’il s’en allait rendre visite à Penoffio. Stonehouse a déclaré que son ami et lui avaient offert de conduire l’accusé qui a été déposé au 87 Augusta à environ 22h25. Il a dit en les quittant [TRADUCTION] «je vous reverrai plus tard les amis». D’après Stonehouse, l’accusé ne s’est pas montré au Running Pump mais Stonehouse y a vu Penoffio ce soir-là.

L’accusé a témoigné tout comme Penoffio et le locataire de Penoffio à l’époque, un nommé Robert Matthews. C’est la divergence entre leurs témoignages, une divergence sur des points cruciaux, qui est au fond des deux questions sur lesquelles cette Cour a autorisé l’appel.

Je me reporte d’abord au témoignage de l’accusé quant à la suite des événements après son arrivée à la maison de Penoffio à 22h25 ou 22h30 le 21 septembre. Il a déclaré qu’il s’y est rendu parce que Penoffio l’avait appelé pour lui demander de le l’encontrer à 22h environ, l’accusé croyant qu’il voulait aller prendre un verre dans une taverne, le Corktown, où ils allaient deux ou trois fois par semaine. L’accusé est entré dans la maison en utilisant une clef qu’on lui avait remise alors qu’il faisait de la peinture dans la maison. Penoffio n’y était pas — l’accusé a même frappé à la porte de la chambre à coucher — il s’est donc servi une bouteille de bière et, comme Penoffio ne revenait pas,

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il a présumé qu’il s’était rendu au Corktown. Trouvant une clef de voiture sur le comptoir de cuisine, il a pris la fourgonnette et s’est rendu au Corktown pour l’encontrer Penoffio. Il a bu quelques verres de bière et après quinze ou vingt minutes, il est revenu au 87 Augusta et a stationné la fourgonnette dans l’entrée. Penoffio n’était pas là et l’accusé a pris une bouteille de bière dans le réfrigérateur. Il s’est rendu au salon pour écouter les nouvelles télévisées de 23h. Il a ensuite écouté un peu de musique et bu encore un peu de bière. C’est à peu près à ce moment qu’il a entendu et même entrevu quelqu’un qui quittait la maison par la porte de derrière. Il n’a pu identifier cette personne mais ce n’était pas Penoffio. Quelque temps après, vers minuit, Penoffio est entré par la porte de derrière. La police est arrivée quelques minutes plus tard.

Penoffio a déclaré qu’il s’est réveillé à environ 22h30 le 21 septembre et que l’accusé se trouvait chez lui avec le locataire Matthews. Il a dit qu’ils ont regardé la télévision pendant quelque temps pour ensuite aller au Corktown en fourgonnette. C’est Penoffio qui conduisait. L’endroit était bondé et Penoffio a décidé de ne pas rester; il a donné la clef de la fourgonnette à l’accusé et s’est rendu à pied au Running Pump où il a bu de la bière; il est ensuite retourné au Corktown. Il avait quitté l’accusé au Corktown à environ 23h et il était environ minuit lorsqu’il y retourna. L’accusé n’y était pas et après avoir bu une bière, Penoffio est rentré chez lui à pied et est arrivé entre minuit et cinq et minuit et dix. La fourgonnette était dans l’entrée et l’accusé était dans la cuisine en train de boire une bouteille de bière. La police est arrivée peu après.

Penoffio a déclaré au procès qu’en se rendant au Corktown, l’accusé lui avait demandé s’il pouvait emprunter la fourgonnette pour le lendemain, dimanche, pour déménager des meubles. Penoffio lui a donné la permission. A ce moment-là, le véhicule contenait un grand nombre d’aspirateurs électriques. En contre-interrogatoire, on a confronté Penoffio avec son témoignage à l’enquête préliminaire où il affirmait que l’accusé lui avait demandé d’emprunter la fourgonnette pour le mardi suivant pour déménager une cuisinière. La

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transcription qui a été certifié fidèle par le sténographe officiel montre qu’il avait effectivement dit mardi à l’enquête préliminaire mais il a déclaré au procès s’être trompé. Aussi, à l’enquête préliminaire, Penoffio a témoigné qu’après avoir pris un verre au Running Pump durant la soirée du 21 septembre (après avoir laissé l’accusé au Corktown), il s’est rendu directement chez lui sans retourner au Corktown. Il a alors déclaré, qu’à environ 23h45, il

[TRADUCTION] a emprunté la rue King jusqu’à la rue Catherine et de là jusque chez moi. J’ai remarqué le camion dans l’entrée et j’ai vu que les lumières dans ma maison étaient allumées. Je me suis alors dirigé vers la porte de derrière et je suis entré dans la cuisine.

Au procès, il a déclaré que ses réponses n’étaient pas véridiques, qu’il n’a pas remonté la rue King jusqu’à Catherine et Catherine jusqu’à sa maison mais qu’il a pris la rue Walnut du Running Pump jusqu’au Corktown.

La rue Walnut est à l’est de la rue Catherine et parallèle à cette dernière. Les deux sont traversées par la rue King et par la rue Main, cette dernière étant un peu plus loin que la rue King. La rue Caroline est parallèle à la rue Catherine mais à quelque distance à l’ouest. L’hôtel Elmar est au coin de Caroline et Main (ou près de là) et donc au nord-ouest de la maison de Penoffio sise sur Augusta au coin de Catherine. Le Running Pump est au nord de sa maison et le Corktown au sud. Son témoignage à l’enquête préliminaire signifie qu’il se serait dirigé vers le sud à partir du Running Pump pour se rendre à sa maison peu avant minuit. Un agent de police a témoigné à l’enquête préliminaire qu’alors que la maison de Penoffio était sous surveillance peu de temps après minuit, il avait vu Penoffio marcher sur la rue Catherine, direction nord, vers sa maison. Le changement de témoignage de Penoffio au procès rendait son témoignage conforme à celui du policier à l’enquête préliminaire. Il a déclaré qu’il avait demandé sans succès à un agent de police une copie de son témoignage à l’enquête préliminaire alors qu’il était en état d’arrestation durant le premier procès de l’accusé. Il avait été arrêté pour défaut de comparaître au premier procès de l’accusé qui s’est terminé par une ordonnance d’annulation et il avait été libéré après deux jours sur la

[Page 1080]

foi d’une promesse de comparaître au second procès.

On doit se souvenir toutefois que le policier surveillait la maison de Penoffio après le meurtre et son témoignage est à l’effet qu’il a vu Penoffio marcher, direction nord, vers sa maison à environ minuit et dix.

Dans son témoignage au procès, Penoffio a déclaré qu’il n’avait jamais prêté la fourgonnette à Matthews. Cette déclaration contredisait son témoignage à l’enquête préliminaire où il avait dit le contraire. Il a déclaré au procès que la clef du véhicule était généralement à un anneau accroché à un clou dans la cuisine et que diverses personnes y avaient accès.

J’en arrive au témoignage de Matthews. Il a déclaré avoir regardé la télévision jusqu’à environ 22h30 le 21 septembre après quoi il est allé se coucher. Selon lui, l’accusé est arrivé à la maison alors qu’il regardait la télévision mais ils n’ont échangé aucune parole bien que Matthews connût l’accusé. Il a dit que Penoffio était dans sa chambre à coucher (une chambre au rez-de-chaussée) et qu’il n’est pas monté pour regarder la télévision avant qu’il, Matthews, n’aille se coucher. Il a dit en interrogatoire principal qu’il ne se souvenait pas s’il avait vu Penoffio à la maison avant d’aller se coucher.

Le juge de première instance avait expressément ordonné, ce que Penoffio et Matthews savaient tous les deux, qu’à l’exception de celui qui témoignait, les autres témoins soient exclus de la salle d’audience et que les témoins qui avaient terminé leur témoignage ne devaient pas discuter du procès avec ceux qui n’avaient pas encore témoigné ou pas encore terminé leur témoignage. L’interrogatoire principal de Matthews s’était terminé à la fin d’une journée de procès et, malgré l’interdiction du juge, Penoffio a parlé à Matthews durant l’ajournement pour la nuit et avant son contre-interrogatoire. En contre-interrogatoire, Matthews, qui a admis que Penoffio lui avait parlé, a déclaré qu’il avait dîné avec Penoffio à la maison dans la soirée du 21 septembre, qu’il avait parlé avec l’accusé lorsque ce dernier est arrivé et qu’il avait vu Penoffio ce soir-là avant d’aller se coucher. La

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preuve semble démontrer que c’est Penoffio et non l’éveil de sa mémoire qui lui a fait changer son témoignage pour dire qu’il avait vu Penoffio ce soir-là.

Lorsque la police est arrivée au 87 Augusta et a interrogé l’accusé, Penoffio et Matthews, tous les trois ont été amenés au poste de police. Ni Penoffio ni Matthews n’ont été fouillés à la maison ou au poste de police pour retrouver la clef de la fourgonnette. On s’est contenté de leur demander s’ils en avaient une et on a élargi les deux hommes aux premières heures du jour.

Lorsqu’on a amené l’accusé au poste de police, on l’a interrogé sur ses allées et venues à compter de 22h de la soirée précédente. Lorsqu’on l’a informé que la police faisait enquête sur le meurtre de Rodriguez, l’accusé a déclaré qu’il était plus ou moins renversé par la nouvelle et leur a dit qu’il n’en savait rien. Plus tard lorsqu’on lui a demandé s’il avait une clef de la fourgonnette, l’accusé l’a prise sur une table où se trouvaient ses effets personnels pour la leur donner. Vers 7h, deux agents de police sont revenus pour l’interroger encore et lui ont déclaré qu’il était accusé de meurtre. Il n’y a pas eu d’agent de police à la maison entre l’heure de la première perquisition à environ lh et une seconde perquisition aux environs de 7h. Lors de la seconde perquisition, les policiers ont trouvé un fusil avec une cartouche non utilisée dans un sac de papier dans une armoire sous l’escalier de la cave. A côté, il y avait une boîte contenant des cartouches semblables. Une cartouche utilisée a été trouvée dans le jardin de la maison voisine à environ quinze pieds de la porte de derrière de la maison de Penoffio.

Le fusil, trouvé en pièces démontées, était, a-t-on allégué, l’arme du crime mais il ne portait aucune empreinte claire. Les empreintes trouvées sur la boîte de cartouches n’étaient pas celles de l’accusé et les empreintes de Penoffio n’ont pas été prélevées à cette occasion. L’accusé a nié toute connaissance du fusil ou de l’armoire sous l’escalier. Penoffio a déclaré qu’il ne gardait jamais un fusil dans la maison, et que d’après lui, Matthews n’avait pas non plus de fusil dans la maison.

[Page 1082]

La seule empreinte identifiable, parmi celles qu’on a prélevées sur la fourgonnette, était une empreinte de la victime. On a trouvé un peu de sang mais on n’a pu en identifier le groupe. Les vêtements de l’accusé montraient des taches de sang qu’il a attribuées à une querelle antérieure avec d’autres, ou à des coupures qu’il avait subies durant son travail en peinturant près des gouttières mais là encore, il n’y en avait pas suffisamment pour qu’on puisse identifier le groupe sanguin.

Le conducteur n’a pas été identifié lorsque la fourgonnette a quitté les lieux du crime. Bien qu’un des témoins, Janice Brady, voisine du 87 Augusta, ait déclaré qu’elle a entendu la fourgonnette arriver dans l’entrée de Penoffio aux environs de minuit et dix le matin du 22 septembre, elle n’a vu ni la fourgonnette ni son conducteur. Elle a cependant déclaré qu’elle a vu l’accusé et Penoffio ensemble devant la maison de Penoffio à environ 22h20 le 21 septembre. Le témoignage de l’accusé est à l’effet qu’elle s’est trompée sur ce point et, de même, il conteste les témoignages de Penoffio et de Matthews qu’il avait été avec eux dans la maison de Penoffio ce soir-là.

Il s’agit d’une affaire où la preuve de l’identité de celui qui a commis le crime est pour le moins fragile. Entièrement indirecte, la preuve nous permet de soupçonner Penoffio et Matthews aussi bien que l’accusé. La crédibilité est une question centrale quant à la preuve contre n’importe lequel d’entre eux et les directives du juge de première instance sur cette question sont, à mon avis, capitales pour en arriver à une décision juste dans ce pourvoi, compte tenu des contradictions dans le témoignage assermenté de Penoffio et de sa désobéissance et de celle de Matthews à l’ordonnance du juge interdisant de discuter des témoignages.

Dans son adresse au jury, le juge a relaté la preuve en s’inspirant largement de la présentation qu’en avaient faite l’avocat du ministère public et l’avocat de l’accusé. Il a terminé en disant [TRADUCTION] «maintenant, membres du jury, voilà les deux côtés tels qu’ils vous ont été présentés. Il votis appartient de décider quelle théorie vous acceptez et quelle théorie vous rejetez et la décision vous appartient en propre». En ce qui regarde les déclarations contradictoires sous serment de Penoffio et

[Page 1083]

sa violation de l’ordonnance relative aux témoins, le juge de première instance n’a pas prémuni spécialement le jury mais il leur a présenté la question comme relevant simplement de la crédibilité. Je cite tout ce qu’il a dit à cet égard:

[TRADUCTION] On lui [l’accusé] a demandé si Penoffîo et Matthews avaient fabriqué leur témoignage et il a répondu oui et aussi qu’ils pouvaient être confus et Janice Brady également s’est trompée ou a confondu lorsqu’elle a déclaré qu’elle avait vu Penoffîo et Maxwell ensemble ce soir-là.

Anne Nutting, sténographe officielle, a déclaré que ses notes sténographiques rapportent que le témoin Penoffîo a dit à l’enquête préliminaire que Maxwell voulait emprunter le camion pour le mardi alors que Penoffîo a déclaré devanft nous qu’à l’enquête préliminaire il avait dit dimanche et non pas mardi.

Anne Nutting a déclaré aussi que ses notes rapportent que Penoffio a déclaré à l’enquête préliminaire qu’il avait prêté le véhicule à Matthews tandis qu’il a dit à la barre des témoins qu’il n’avait pas déclaré cela à l’enquête préliminaire.

Il appartient au jury de décider si la sténographe officielle n’a pas bien entendu Penoffio ou bien rapporté ses paroles ou si au contraire il a véritablement prononcé mardi et non dimanche et qu’à l’enquête préliminaire il a dit avoir prêté le véhicule à Matthews. C’est à vous de dire qui s’est trompé, est-ce la sténographe ou est-ce Penoffio et si vous décidez que Penoffio est dans l’erreur sur la question de savoir s’il a fait ces déclarations à l’enquête préliminaire, c’est à vous de décider si cette erreur aura un effet sur sa crédibilité et quel sera cet effet. Ce sont des questions qui relèvent de vous et vous devriez considérer, naturellement, si les gens se trompent de bonne foi ou si leurs erreurs sont délibérées et s’ils se trompent de bonne foi, à tout événement, si leur capacité de se souvenir des choses fait défaut. Ce sont là des questions dont vous tiendrez compte; s’ils sont dignes de foi.

Une chose qui appelle un commentaire, c’est le fait que durant le témoignage de Penoffîo, j’ai rendu une ordonnance excluant les témoins de la salle d’audience et cette ordonnance continue — le greffier l’a lue pour aviser ceux qui avaient témoigné de ne pas parler du procès avec les témoins qui n’avaient pas encore témoigné. Maintenant, malgré cette ordonnance, il appert que Penoffio a parlé à Robert Matthews durant l’ajournement pour la nuit. En d’autres termes, alors que Matthews était encore à témoigner et le lendemain Matthews a rendu un témoignage qui différait de celui du soir précédent.

[Page 1084]

Il a déclaré avant l’ajournement qu’il ne savait pas s’il avait vu Penoffîo au 87 rue Augusta avant d’aller se coucher le soir du 21 septembre et il a déclaré qu’il est allé se coucher à environ 22h30. Le lendemain il a déclaré «après dîner, je crois que Penoffîo est allé dormir et je l’ai vu encore à environ 22h ou 22h30 pour environ quinze minutes». Le changement dans son témoignage consiste donc à ne plus se souvenir d’avoir vu Penoffîo pour affirmer qu’il l’a vu environ quinze minutes entre 22h et 22h30 et il a déclaré de plus que Dwight Maxwell y était lorsqu’il a parlé à Penoffîo durant cette période de quinze minutes ou lorsqu’il l’a vu quinze minutes et ensuite il a admis qu’il avait parlé à Penoffîo hier soir — soit durant l’ajournement — au sujet de son témoignage et Penoffîo, dit-il, m’a rappelé que je l’avais vu avant d’aller me coucher.

Il est bien évident que le but d’une ordonnance excluant les témoins est d’éviter la possibilité que le témoignage d’un témoin soit contaminé, pourrait-on dire, ou indûment influencé du fait que le témoin aurait entendu ce que les autres témoins ont à dire. Néanmoins, c’est à vous de décider quel effet le défaut de se conformer à mon ordonnance peut avoir sur la crédibilité de Matthews ou de Penoffîo. Comme l’avocat du ministère public l’a déjà proposé, s’il projetait d’inventer une histoire, on peut penser qu’il l’aurait inventée bien avant l’ajournement durant lequel Penoffîo a parlé à Matthews mais il y a des arguments dans les deux sens et il ne s’ensuit pas que parce que l’un d’entre eux ou tous les deux n’ont pas respecté l’ordonnance que vous devriez automatiquement écarter la preuve; cependant, c’est une question dont vous devrez tenir compte et je vous l’ai signalée et vous avez entendu les plaidoyers des deux avocats quant à la conclusion que vous devriez en tirer.

Il est évident que l’ordonnance a un but qui est d’empêcher la contamination par les suggestions et il n’y a aucun doute que le témoignage de Matthews a été ainsi influencé par le comportement de Penoffîo. La question de savoir s’il est digne de croyance est une toute autre affaire et c’est de vous qu’elle relève.

II

A mon avis, l’adresse du juge de première instance au jury était insuffisante en ce qui concerne à la fois Penoffîo et Matthews. Il y a eu absence de directives équivalant à des directives erronées en ce qui regarde ces deux témoins dont le témoignage était essentiel dans la preuve du ministère public

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contre l’accusé. Je dis ceci non seulement parce qu’ils étaient des témoins dont on peut dire qu’ils avaient intérêt à se disculper aux dépens de l’accusé, mais aussi parce que leur intérêt était relié à des irrégularités de témoignage de façon à exiger un avertissement clair contre l’acceptation et l’évaluation de leur témoignage suivant les mêmes normes que celles qui s’appliquent à un témoin indépendant.

Avant de passer en revue les autorités pertinentes, je dois signaler que le juge de première instance, bien qu’il ait mentionné les déclarations contradictoires de Penoffio et sa violation de l’ordonnance du juge concernant les communications hors cour entre les témoins, n’a pas mentionné le défaut de Penoffio de se présenter au premier procès de l’accusé, procès qui s’est terminé par une annulation avant verdict.

Il reste un point à étudier. Le fait que l’avocat de l’accusé, dans son plaidoyer au jury, peut avoir plaidé que celui-ci ne devait pas accepter le témoignage d’un ou de plusieurs témoins clefs du ministère public, ne peut valablement suppléer à une directive nécessaire du juge de première instance sur la prudence qu’appelle pareil témoignage lorsque, comme c’est le cas dans la présente affaire, les circonstances et la preuve l’exigent. Comme l’a déclaré le juge Cartwright dans l’arrêt Binet c. La Reine[1], à la p. 54, (un arrêt dont je reparlerai), [TRADUCTION] «je ne crois pas que le fait que l’avocat de la défense ait souligné qu’on avait fait des déclarations contradictoires ait exempté le savant juge de première instance de son devoir d’en traiter».

Les avocats ont cité à cette Cour une série d’arrêts anglais, par exemple R. v. Prater[2], et R. v. Russell[3], qui traitent de l’opportunité de mettre en garde contre un témoignage non corroboré lorsqu’on peut dire que le témoin a des intérêts personnels à promouvoir, tout: en ajoutant que l’omission de la directive n’entraînera pas nécessairement un déni de justice. Lord Hailsham, dans l’arrêt Direc-

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tor of Public Prosecutions v. Kilbourne[4], à la p. 447, a expressément approuvé une telle directive en exprimant toutefois certaines réserves du moins dans les cas où l’intérêt propre d’un témoin de là Couronne est manifeste: voir R. v. Whitaker[5].

Cependant, les tribunaux au Canada ont clairement établi que l’avertissement relatif au complice n’est pas exigé et son défaut ne rend pas un verdict sujet à être infirmé en ce qui concerne un témoin dont on peut dire qu’il a un intérêt personnel mais sans être lui-même complice: voir R. v. Dutrisac[6]. Le juge de première instance n’est toutefois pas exempté du devoir qui dépend des circonstances particulières de l’affaire, d’attirer l’attention du jury sur un témoin qui peut faire valoir ses intérêts au dépens de ceux d’un accusé et de conseiller la prudence dans l’évaluation de ce témoignage.

La présente affaire, comme je l’ai déjà signalé, dépasse le cas d’un témoin à charge dont la déposition sert ses propres intérêts, puisqu’elle implique un témoin à charge qui a également fait des déclarations contradictoires sous serment sur une question essentielle. En ce qui regarde un tel témoin, la directive juste devrait être celle que mentionne l’arrêt Binet c. La Reine, précité. La divergence d’opinion des membres de la Cour dans cette affaire portait seulement sur la question de savoir s’il fallait ordonner un nouveau procès (comme le croyait la majorité) ou si on devait acquitter (comme l’estimait la minorité formée du juge Cartwright, alors juge puîné, et du juge Rand qui a souscrit à son opinion). Le juge Cartwright a dit ce qui suit (à la p. 54):

[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a averti le jury en des termes irréprochables du danger de condamner sur la preuve non corroborée d’un complice mais il a omis de donner quelque directive que ce soit quant au fait que Giroux avait, deux fois par le passé, fait des déclarations assermentées qui étaient en conflit direct avec son témoignage au procès sur une question essentielle.

Je suis d’accord avec les juges Barclay et Hyde que, dans les circonstances de la présente affaire, l’omission

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de donner au jury des directives sur cette question constituait une erreur tellement grave en droit qu’elle appelait l’infirmation de la condamnation. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de me reporter à toutes les autorités dont ont fait état les avocats. Je suis d’accord avec le juge Hyde que la règle applicable est correctement formulée par le juge Errol McDougall qui a rendu le jugement majoritaire dans l’arrêt Rex v. Stack and Pytell [1947] 3 D.L.R. 747, à la p. 762; 88 C.C.C. 310, à la p. 327, dans les termes suivants:

Lorsque la déposition d’un témoin principal à charge vient en conflit direct avec une déclaration assermentée faite par lui antérieurement, le juge de première instance doit avertir le jury en termes très clairs du danger d’accepter son témoignage et l’omission de le faire appellera un nouveau procès, même si le juge de première instance a donné des directives correctes au jury en ce qui regarde le témoignage de ce témoin dans l’éventualité où le jury déciderait qu’il était un complice.

Ce principe a été suivi dans R. v. Dutrisac, précité, un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario et antérieurement, par le même tribunal dans l’arrêt R. v. Rosenberg[7].

Deux autres jugements de cette Cour méritent d’être cités eu égard à ce que l’on a dit dans l’arrêt Binet. Ces arrêts sont Lucas v. The Queen[8] et Rust ad c. La Reine[9]. Je signalerai d’abord que la majorité dans l’arrêt Binet, s’exprimant très brièvement par la voix du juge Taschereau, alors juge puîné, a déclaré à la p. 52 qu’elle était d’accord avec le juge Cartwright [TRADUCTION] «que le savant juge de première instance n’a pas donné au jury les directives qui s’imposaient quant au danger considérable qu’il y avait à accepter le témoignage d’un complice qui, de son propre aveu, s’était parjuré sur une question essentielle». Cependant, il ressort clairement des motifs du juge Cartwright que le devoir d’un juge de première instance à l’égard d’un complice qui a fait des déclarations contradictoires sous serment sur une question essentielle est non seulement de donner aux jurés l’avertissement ordinaire quant à la corrobaration s’ils estiment que le témoin était un complice mais aussi de les avertir en termes très clairs du danger d’accepter son témoignage, et ce,

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abstraction faite de la position du témoin comme complice possible. J’estime que le juge Taschereau était d’accord avec le juge Cartwright que le témoin ait été complice ou non. Voilà sur quoi se sont fondés les deux arrêts ontariens précités.

Dans Lucas, une affaire de meurtre, le juge en chef Kerwin s’est référé à Binet dans le passage suivant de ses motifs (à la p. 10):

[TRADUCTION] Je rejette l’argument de l’avocat de l’appelant que le savant juge de première instance a commis une erreur sur une question de droit en ne donnant pas de directives conformément à l’arrêt Binet c. La Reine, [1954] R.C.S. 52, à l’effet qu’il est très dangereux d’accepter le témoignage d’un complice qui, de son propre aveu, s’est parjuré sur une question vitale. Thomas n’était pas complice. De nombreux éléments de preuve impliquant l’accusé interdisent de conclure, comme le proposait l’avocat, que le témoignage de Thomas portait sur une question essentielle et enfin, la preuve, à bien des égards, corroborait Thomas. La question a été laissée à la décision du jury comme relevant du poids de la preuve et de la crédibilité et, à mon avis, cela a été fait à bon droit.

Il suffit pour distinguer Lucas de la présente affaire de signaler que dans l’arrêt Lucas, le témoin dont la déposition aurait appelé sous peine d’erreur de droit un avertissement quant au danger d’y donner effet, a été jugé ne pas avoir témoigné sur une question essentielle. Le juge Cartwright, qui a rendu une opinion dissidente dans l’arrêt Lucas, a reconnu cette différence avec l’arrêt Binet mais était prêt à aller plus loin que l’arrêt Binet comme il ressort de la partie suivante de ses motifs (aux pp. 20 et 21):

[TRADUCTION] Je suis d’accord avec l’argument de l’avocat de l’appelant qu’il était du devoir du savant juge de première instance d’avertir le jury du danger qu’il y avait à accepter le témoignage de Thomas étant donné son parjure avoué et son casier judiciaire défavorable. L’avocat de l’appelant a cité un grand nombre d’arrêts. Je me reporterai seulement aux suivants:

Dans l’arrêt R. v. Stack and Pytell (1946), 88 C.C.C. 320, à la p. 337, [1947] 3 D.L.R. 747, à la p. 762, le juge Errol McDougall, rendant le jugement majoritaire de la Cour du Banc du Roi, a dit:

Lorsque la déposition d’un témoin principal à charge vient en conflit direct avec une déclaration assermentée faite par lui antérieurement, le juge de première instance doit avertir le jury en termes très

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clairs du danger d’accepter son témoignage et l’omission de le faire appellera un nouveau procès, même si le juge de première instance a donné des directives correctes au jury en ce qui regarde le témoignage de ce témoin dans l’éventualité où le jury déciderait qu’il était un complice.

Le juge Rand et moi-même avons approuvé ce passage dans l’arrêt Binet c. La Reine, [1954] R.C.S. 52, à la p. 54, et à mon avis, le jugement de la majorité rendu par le juge Taschereau ne jette aucun doute sur ce passage. La Cour a unanimement infirmé la déclaration de culpabilité; la divergence portait sur la question de savoir s’il fallait ordonner un acquittement ou un nouveau procès. L’arrêt Binet se distingue de l’espèce pour les motifs qu’il n’y avait rien pour indiquer que Thomas était complice du meurtre de Crater et que son témoignage ne constituait pas une preuve directe sur la question essentielle de l’identité du meurtrier. Par contre le témoignage de Thomas portait sur des circonstances qui, si on les avait tenues pour établies, auraient eu un grand poids auprès du jury.

En résumé, comme il appert aussi de sa référence à R. v. Ferguson[10], un autre jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Cartwright estimait que l’avertissement qu’on avait approuvé dans l’arrêt Binet devrait aussi s’appliquer dans le cas d’un témoin de mauvaise réputation. Il a signalé également que, dans ses motifs dans Deacon c. Le Roi[11], à la p. 536, le juge Kerwin, alors juge puîné, avait donné son accord à un passage extrait de l’arrêt Ferguson qui était au même effet.

Il n’est pas nécessaire ici de considérer l’élargissement qu’entend donner le juge Cartwright au genre d’avertissement qu’exige l’arrêt Binet dans le cas du témoin qui fait des déclarations contradictoires sous serment sur une question essentielle. La situation de Penoffio est différente de celle du témoin dans l’arrêt Lucas tandis qu’elle se rapproche de celle du témoin dans l’arrêt Binet, mis à part l’élément de complicité.

Dans l’arrêt Rustad c. La Reine il fallait, notamment, décider si l’adresse du juge de première instance était juste ou acceptable quant à deux témoins qui, dans des déclarations non assermentées faites à la police avant le procès, avaient omis de dire que l’accusée leur avait raconté

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qu’elle avait tué la victime. Un des témoins qui avaient déposé sous serment à une enquête, n’avait pas fait mention, à ce moment-là, de l’aveu de l’accusée. Les témoins ont toutefois relaté l’aveu au procès. Le juge de première instance dans une adresse longue et chargée de détails (que j’ai lue) n’a pas donné au jury l’avertissement en termes clairs qu’exige la règle de l’arrêt Binet. Le juge Ritchie qui a rendu le jugement de cette Cour (le juge Cartwright étant du même avis que lui) a dit sur ce point (à la p. 560):

[TRADUCTION] Bien qu’il soit vrai que le juge Mclnnes aurait eu raison d’employer des termes plus clairs pour décrire les faiblesses inhérentes aux dépositions de ces deux témoins, je reste quand même d’avis qu’il en a dit assez pour indiquer que le jury en pesant les témoignages, doit accorder une importance considérable aux contradictions dans les déclarations de Mme Shannon et aux déclarations tardives des deux femmes. Je crois que la théorie de la défense à l’effet que ces deux témoins n’étaient pas dignes de foi a été exprimée assez clairement dans l’adresse du juge pour satisfaire aux exigences que la Cour a indiquées dans l’arrêt Deacon c. Le Roi et dans les autres arrêts mentionnés dans les motifs de jugement rendus par le juge Sheppard au nom de la majorité en Cour d’appel. Je n’infirmerais pas la déclaration de culpabilité pour ce motif; il y a cependant des omissions plus graves que l’on doit considérer.

En l’occurrence, la déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable a été informée et on a ordonné un nouveau procès sur cette accusation à cause de l’omission par le juge de donner des directives au jury quant à l’effet de l’ivresse de l’accusée sur la véracité des déclarations incriminantes qu’elle aurait faites aux deux témoins.

Il se peut bien que, vu l’ordonnance de nouveau procès et les motifs qui l’ont justifiée, les aveux aient été liés à la question de l’ivresse et que partant l’adresse était défectueuse dans le contexte de l’affaire. De plus, dans l’arrêt Rustad, l’adresse au jury était beaucoup plus complète et exhaustive que dans la présente affaire et elle contenait un avertissement quoique pas expressément formulé. On pourrait faire la même observation au sujet de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Agawa and Mallet[12]. Le juge Martin a dit au nom de la Cour (à la p. 394):

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[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a exposé pleinement et en toute équité au jury la défense de chacun des appelants. Dans son adresse, il a passé en revue les témoignages rendus par chaque détenu précédemment mentionné, et il a presque invariablement signalé au jury le fait que le casier judiciaire du témoin avait été déposé au dossier comme pièce et il s’est référé aux déclarations antérieures contradictoires qu’avaient faites certains des témoins à l’enquête préliminaire.

Dans la présente affaire, les détenus qui ont témoigné n’étaient d’aucune façon impliqués dans l’infraction et il n’appartenait pas au juge de première instance d’avertir le jury qu’il serait dangereux de tenir compte de leur témoignage non corroboré à cause de leur moralité douteuse: R. v. Bouffard, [1964] 2 O.R. 111, à la p. 127, [1964] 3 C.C.C. 14, à la p. 30, 43 C.R. 124. Il n’était pas non plus nécessaire de donner cette directive à cause du mobile qu’auraient pu avoir ces témoins d’obtenir la clémence ni, vu toutes les circonstances, à cause du fait qu’ils avaient fait des déclarations contradictoires sous serment à l’enquête préliminaire: R. v. Dutrisac, [1971] 3 O.R. 412, aux pp. 417 et 418, 4 C.C.C. (2d) 13, aux pp. 19 et 20, 15 C.R.N.S. 15; Lucas c. La Reine, [1963] 1 C.C.C. 1, à la p. 10, [1963] R.C.S. vi, 39 C.R. 101.

Bien que je ne conteste pas qu’il peut y avoir des affaires où le juge de première instance devrait, comme question de prudence, avertir le jury de se méfier d’un témoignage à cause par exemple de la moralité douteuse du témoin, des mobiles intéressés ou des déclarations antérieures contradictoires, dans la présente affaire, à mon avis, considérant l’adresse du juge de première instance dans son entier, le jury a reçu des directives suffisantes quant aux questions dont il devait tenir compte pour l’évaluation de la crédibilité des détenus qui ont témoigné.

Si l’on considère les motifs de jugement rendus par le juge Sheppard de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, auxquels a souscrit le juge Norris dans l’arrêt Rustad[13], ainsi que ceux du juge Davey qui a abondé dans le même sens (c’est-à-dire le rejet de l’appel contre la déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable), on retrouve entre les deux opinions une divergence de point de vue en ce qui regarde l’effet de l’arrêt Binet et je voudrais m’y arrêter.

Le juge Sheppard a interprété l’arrêt Binet comme si cet arrêt ne visait que la directive que l’on doit donner au jury dans le cas d’un complice

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qui se parjure; puisque le témoin qui avait fait des déclarations contradictoires avant le procès et aussi sous serment n’était pas un complice, l’avertissement dont il est question dans Binet n’était pas nécessaire. Encore une fois, il a rejeté la règle jurisprudentielle anglaise prescrivant qu’on doit considérer comme de crédibilité négligeable un témoin qui a fait des déclarations contradictoires. Le juge a signalé que ce point de vue avait été rejeté par cette Cour dans l’arrêt Deacon c. Le Roi[14]. L’arrêt Deacon ne s’applique pas ici puisqu’il portait sur un témoin à charge qui avait été déclaré hostile et que par conséquent le ministère public avait pu contre-interroger sur des déclarations contradictoires. Bien qu’un juge de première instance eût été justifié de signaler ce fait au jury en rapport avec la question de la crédibilité, il n’était aucunement tenu de dire au jury de ne pas tenir compte de la déposition de ce témoin.

Je ne conteste pas la règle établie par l’arrêt Deacon, mais je ne crois pas que le juge Sheppard ait bien interprété l’arrêt Binet. Il semble avoir oublié dans ses motifs de jugement, comme n’ayant aucune pertinence, la contradiction dans les déclarations faites sous serment et avoir considéré l’affaire qu’il avait à juger comme s’il n’était question que des déclarations antérieures faites par les témoins aux agents de police. Il a dit (à la p. 338):

[TRADUCTION] Comme les déclarations antérieures de Mme Shannon et leur effet sur son témoignage sont des questions de valeur probante et de crédibilité qui relèvent du jury, l’absence de directives peut équivaloir à une directive erronée seulement si elle n’est pas conforme à Azoulay c. La Reine, [1952] 2 R.C.S. 495, à la p. 497, où le juge Taschereau a dit:

La règle qui a été établie et toujours suivie est que dans un procès par jury, le juge qui préside doit, sauf les rares occasions où il ne serait pas nécessaire de le faire, passer en revue les parties importantes de la preuve et exposer au jury la théorie de la défense de façon à ce qu’il puisse apprécier la valeur probante et l’effet de cette preuve et comment la loi s’applique aux faits comme il les juge établis.

Les déclarations antérieures de Mme Shannon ne font pas partie de la théorie de la défense mais, dans les

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circonstances de l’espèce, elles constituent tout au plus un élément de la preuve ou de l’argumentation. Cet accusé n’a pas fait de preuve et le savant juge de première instance a instruit le jury quant au fardeau de preuve qui incombait au ministère public, quant à la présomption d’innocence et quant aux faits que devait prouver le ministère public en ce qui concerne l’infraction de meurtre et l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable.

Le juge Davey était d’avis que l’arrêt Binet n’établit pas une règle générale de droit ou de pratique et de plus, il n’a vu aucun désaccord entre la majorité et la minorité dans cet arrêt d’après ce qu’a dit le juge Cartwright en citant les motifs du juge Errol McDougall dans R. v. Stack and Pytell. Il a considéré que les motifs rendus par le juge Taschereau au nom de la majorité étaient fondés non pas sur le fait que le témoin de la Couronne qui avait commis un parjure était un complice mais plutôt que l’avertissement requis dans cette affaire s’appliquait à tous les parjures qui témoignaient au sujet d’une question essentielle, qu’ils aient été ou non complices. Comme je l’ai déjà dit, c’est également mon interprétation des motifs de la majorité dans Binet.

Le juge Davey s’est également référé aux motifs du juge Cartwright dans l’arrêt Lucas, précédemment cités, et aux arrêts mentionnés dans ces motifs et a conclu que le principe fondant la règle de l’arrêt Binet se retrouve dans ces arrêts. Il a résumé de la façon suivante:

[TRADUCTION] D’après ces précédents, il me semble que l’obligation de donner une telle directive ne vient pas d’une règle spécifique de droit ou de pratique, mais de la règle établie par Azoulay c. La Reine, [1952] 2 R.C.S. 495, et Kelsey c. La Reine, [1953] 1 R.C.S. 220, qui oblige le juge à passer en revue les parties importantes de la preuve et à expliquer au jury la théorie de la défense de façon à ce qu’il puisse apprécier la valeur probante et l’effet de la preuve et comment la loi doit s’appliquer aux faits comme il les juge établis; et aussi de présenter clairement au jury les questions essentielles qui fondent la défense. Et bien que le juge de première instance n’ait pas à passer en revue tous les faits, il ne doit quand même pas laisser toute la preuve en vrac au jury pour sa considération.

Il s’ensuit donc que le besoin d’une telle directive dépend des circonstances de l’affaire et de la nature de la défense. Un juge de première instance devrait relever

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toutes les faiblesses substantielles de la preuve du ministère public. Lorsque l’un des moyens principaux de la défense est le manque de confiance que doit inspirer la preuve du ministère public et que le témoignage essentiel est celui d’un parjure avoué, complice ou non, je ne vois pas comment on peut exposer convenablement une telle défense au jury sans l’avertir du danger de se fier sur un tel témoignage pour condamner parce que, par son comportement, le témoin a démontré qu’il n’a aucun respect de son serment et qu’il est tout aussi probable qu’il mente au procès comme avant. Telle était la situation dans Binet c. La Reine. Le même besoin est présent mais peut-être pas dans la même mesure, s’il s’agit d’un témoin qui a fait des déclarations contradictoires mais non assermentées sur une question essentielle ou dont le casier judiciaire démontre qu’il n’est pas digne de foi. Lorsque le témoignage ne porte pas sur une question essentielle ou lorsqu’il y a de nombreux autres éléments de preuve qui impliquent l’accusé ou lorsque l’on peut expliquer la fausse déclaration antérieure, la nature de la directive variera suivant les circonstances; elle doit suffire à permettre au jury d’apprécier la valeur probante et l’effet de la preuve à la lumière de la théorie de la défense; elle doit présenter au jury les questions principales sur lesquelles la défense se fonde. Si l’expérience judiciaire démontre qu’il est dangereux de condamner en se fondant sur une telle preuve, le jury devrait l’apprendre. Si les circonstances sont telles qu’on peut équitablement exposer au jury la preuve de la défense sans donner l’avertissement, il n’est pas nécessaire de le donner.

Lorsqu’au procès on donne une explication plausible des déclarations antérieures contradictoires, qu’elles aient été faites sous serment ou non, il peut suffire de laisser cette défense au jury ainsi que les points saillants concernant les déclarations antérieures et l’explication, et cela sans avertissement, de façon à permettre au jury de dire s’il est satisfait de la preuve du ministère public au procès et de l’explication des déclarations antérieures contradictoires, si d’après l’avis du juge de première instance cette preuve peut justifier une condamnation par le jury. On ne devrait pas dire à un jury qu’il est dangereux de condamner en se fondant sur une telle preuve si en réalité il n’est pas dangereux de le faire.

D’après moi, soit que la règle de l’arrêt Binet concernant la nécessité d’une directive se fonde sur la nature des circonstances et la nature de la défense, comme le pense le juge Davey, soit qu’elle constitue une règle de droit ou de pratique comme il découle des deux arrêts ontariens qui ont appli-

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qué l’arrêt Binet, les faits de la présente affaire appellent clairement une telle directive.

La défense était que ce n’était pas l’accusé mais tout probablement Penoffio qui avait tué la victime. En ce qui concerne le mobile, Penoffio en avait un, mais pas l’accusé. Les divergences dans leur témoignage étaient frappantes. La fourgonnette constituait un chaînon essentiel dans le meurtre. Penoffio a déclaré qu’il avait prêté le véhicule à l’accusé environ une heure ou moins d’une heure avant le meurtre après qu’ils l’avaient utilisé ensemble. Cela contredisait le témoignage de l’accusé qu’il avait pris la fourgonnette à la maison pour aller chercher Penoffio qui était absent de la maison et l’avait garée dans l’entrée de la maison de Penoffio environ une heure avant le meurtre.

L’accusé, Penoffio et Matthews étaient tous au 87 de la rue Augusta lorsque la police est arrivée, et la fourgonnette était alors stationnée dans l’entrée. Penoffio a fait des déclarations contradictoires non expliquées concernant ses allées et venues au moment du crime; une version de son témoignage à l’enquête préliminaire l’aurait laissé sur la rue sans alibi au moment du crime; l’autre version, au procès, a été conforme à la preuve faite par la police de ses allées et venues peu après le meurtre mais sans plus. Dans les deux cas, il aurait facilement pu avoir accès à la fourgonnette.

Il y eut encore une fois une contradiction restée sans explication dans ce qu’il a dit au sujet de la demande par l’accusé d’emprunter la fourgonnette, il a d’abord dit mardi (on a dû faire comparaître la sténographe officielle lorsque Penoffio a nié ce qu’il avait dit à l’enquête préliminaire) et au procès, il a dit dimanche. De plus, Penoffio a déclaré au procès qu’il avait permis seulement à l’accusé d’emprunter la fourgonnette tandis qu’à l’enquête préliminaire, il avait dit que Matthews s’en était servi. Dans ce cas aussi on a dû faire entendre la sténographe officielle lorsque Penoffio a nié au procès avoir fait cette déclaration à l’enquête préliminaire.

Ce sont là des questions essentielles et le jury aurait été justifié de conclure que Penoffio était un parjure et on aurait dû l’avertir dans les termes

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approuvés par l’arrêt Binet pour des situations semblables. Bien sûr, il n’est pas nécessaire que l’avertissement suive une formule déterminée (comme le laissent entendre selon moi les motifs de cette Cour dans l’arrêt Rustad) dès que le juge de première instance explique clairement au jury qu’il est dangereux de fonder une déclaration de culpabilité sur la déposition d’un témoin qui a fait des déclarations contradictoires sur une question essentielle, surtout, comme c’est le cas dans la présente affaire, lorsque c’est la déposition de ce seul témoin ou de ce témoin et d’un partenaire, Matthews, deux suspects possibles, qui tend à incriminer l’accusé. Bref, puisque le témoignage de Penoffïo était essentiel à la preuve du ministère public, le juge de première instance aurait eu raison de signaler avec insistance qu’il était dangereux de fonder une déclaration de culpabilité sur ce témoignage, particulièrement lorsqu’en plus des contradictions dans son témoignage, Penoffïo a délibérément violé l’ordonnance du juge de première instance prohibant les communications hors cour avec les autres témoins et a persuadé Matthews de changer son témoignage.

Rien dans l’adresse du juge au jury ne ressemble à un pareil avertissement. En fait, lorsque le juge de première instance a passé en revue les contradictions dans le témoignage de Penoffïo, il n’a pas tenu compte de la contradiction quant à la direction de sa marche le soir du meurtre. Également, le juge de première instance n’a pas traité correctement de la preuve présentée par Matthews sur la question de savoir s’il avait vu Penoffïo lorsque l’accusé est arrivé à la maison à environ 22h30 le 21 septembre.

La violation de l’ordonnance du juge de première instance concernant les communications entre témoins constitue un motif distinct appelant un avertissement au jury du danger de donner foi à la déposition d’un témoin qui a accepté aussi facilement de changer son témoignage sur les instances d’un autre témoin de façon à ce que la déposition de cet autre témoin soit corroborée. L’avocat du ministère public a concédé que le juge de première instance aurait dû déclarer au jury qu’il devait donner foi à la déposition fondée sur les souvenirs propres du témoin et non à celle qui

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relatait ce que quelqu’un d’autre avait dit au témoin; or, le juge ne l’a pas fait. Il est même probable que le témoignage qui ne constitue pas la relation de ce dont le témoin se souvient de façon indépendante est inadmissible: voir à ce sujet R. v. Muise[15], à la p. 497. L’adresse du juge s’est approchée de ce point mais, à mon avis, elle ne constituait pas une mise en garde suffisante contre le danger de croire Matthews sur la question essentielle de savoir où se trouvait l’accusé au moment du meurtre.

La première version de Matthews qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu Penoffio dans la maison à 22h30 au moment où lui, Matthews, est allé se coucher, est compatible avec le témoignage de l’accusé sur cette question. Le changement de témoignage de Matthews a eu pour effet de corroborer Penoffio et de contredire l’accusé.

Il n’y a pas lieu ici de s’arrêter sur la question de l’admissibilité du témoignage de Matthews. Dans la mesure où il a fait des déclarations contradictoires sous serment sur une question essentielle, la règle Binet s’appliquerait autant à lui qu’à Penoffio. Dans la mesure où il a violé l’ordonnance du juge interdisant les communications entre témoins, le juge de première instance n’était pas tenu d’exclure son témoignage (voir à ce sujet les arrêts cités dans l’arrêt Dobberthien c. La Reine[16]; il était par contre tenu de mettre le jury en garde contre un témoignage relié à une question essentielle et changé en violation de l’ordonnance du juge. Si le témoignage n’avait pas eu rapport à une question essentielle, on aurait pu considérer que l’adresse était passable; voir Lucas v. The Queen[17], à la p. 10.

Avant de terminer, j’estime important de souligner deux points. Le premier a trait à ce qui constitue une question essentielle lorsqu’un suspect a fait des déclarations contradictoires sous serment en témoignant contre l’accusé de façon à ce que son témoignage appelle un avertissement au jury d’être prudent en acceptant un témoignage incriminant de la part de ce témoin. L’avertissement n’est pas requis seulement lorsque le témoignage constitue une preuve directe. Lorsque la preuve

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contre l’accusé est exclusivement indirecte (et même assez fragile) comme c’est le cas dans la présente affaire, on ne devrait pas considérer essentielles seulement les questions qui touchent directement au fond de l’affaire, comme une question d’identité, de façon à exempter le juge d’avoir à donner un avertissement parce que le témoin à charge n’a pas témoigné directement quant à l’identité. Le témoin ne pouvait forcément le faire lorsque toute la preuve contre l’accusé n’était qu’indirecte. Dans l’affaire Binet, il y avait une preuve par un témoin oculaire mais ceci ne veut pas dire qu’on doit définir une question essentielle seulement en termes d’une preuve directe de façon à exiger seulement dans ce cas un avertissement quant à la déposition d’un témoin qui a fait des déclarations contradictoires sous serment.

Lorsque la seule preuve importante contre un accusé consiste en des dépositions de la part de témoins qui sont eux-mêmes soupçonnés du crime ou qui ont des intérêts propres à promouvoir et que cette preuve est indirecte, on doit considérer la notion de question essentielle à la lumière de ces faits et on doit qualifier d’essentielle une preuve qui établit un élément capital dans la série de circonstances sur lesquelles l’accusation se fonde. L’arrêt Lucas ne contredit pas ce point de vue compté tenu des faits différents et, surtout, de la preuve contre l’accusé qui ne reposait pas sur la déposition d’un témoin suspect comme c’est le cas dans la présente affaire.

Le second point qu’il faut souligner a trait à la violation de l’ordonnance du juge interdisant les communications entre témoins qui n’ont pas encore témoigné ou dont le témoignage n’est pas terminé. Il est vrai que le juge de première instance, lorsqu’il a rendu l’ordonnance, s’est demandé si tous les témoins, y compris ceux qui n’avaient pas encore témoigné, l’avaient entendue. Penoffio était en train de témoigner lorsque l’ordonnancé a été rendue et que Matthews l’ait su ou non ne change rien, à mon avis, à l’effet dommageable du changement de témoignage de ce dernier lorsqu’il est revenu le lendemain après l’ajournement durant lequel Penoffio l’a induit à modifier sa version. La violation délibérée de l’ordonnance par Penoffio appelait, de la part du juge de pre-

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mière instance, plus qu’une directive déclarant que la question ne portait que sur la crédibilité, comme si Penoffîo et Matthews étaient des témoins impartiaux et intègres.

De plus, Matthews n’a pas dit qu’il ignorait l’ordonnance du juge. On lui a demandé en contre‑interrogatoire:

[TRADUCTION] Vous avez entendu les directives de Sa Seigneurie de ne parler à personne du procès après avoir quitté la cour et avant que je ne vous contre-interroge?

Il a répondu:

[TRADUCTION] J’ai trouvé ça assez confus par la suite, je crois.

Lorsqu’on associe cela au fait que son changement de témoignage l’a amené à relater les souvenirs de Penoffio plutôt que les siens sur la question des allées et venues de Penoffio et de l’accusé avant le meurtre, question essentielle dans la série des circonstances, il m’apparaît évident qu’il fallait donner au jury un avertissement en termes très forts quant à l’acceptation du témoignage de Matthews.

Pour résumer, trois circonstances de la présente affaire appelaient, sinon séparément, du moins à cause de leur effet cumulatif, un avertissement en termes très forts par le juge de première instance quant à l’acceptation par le jury de la preuve du ministère public. Il y avait premièrement l’intérêt de Penoffio et de Matthews à se disculper aux dépens de l’accusé; deuxièmement les déclarations contradictoires sous serment sur des questions essentielles; troisièmement la violation de l’ordonnance expresse du juge interdisant les communications avec les témoins qui n’avaient pas encore témoigné ou dont le témoignage n’était pas terminé. Cet avertissement était d’autant plus nécessaire qu’il n’y avait aucune corroboration indépendante de la déposition des témoins suspects.

Vu les graves lacunes de l’adresse au jury, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès.

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Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Pratte a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de la province de l’Ontario rejetant l’appel de l’appelant à l’encontre de sa déclaration de culpabilité par un jury lors d’un procès présidé par le juge O’Leary sur l’accusation d’avoir commis un meurtre sur la personne d’un nommé Maurice Rodriguez.

La Cour d’appel n’a pas jugé nécessaire de motiver par écrit sa décision qui était unanime et dont on appelle à cette Cour en soulevant les moyens très circonscrits mentionnés dans l’autorisation d’appeler.

J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés par le Juge en chef qui passe en revue la preuve de façon tellement complète que je peux me contenter d’en rappeler les points principaux.

La victime de ce meurtre a été abattue dans un terrain de stationnement qui sépare l’hôtel Town Manor de l’hôtel Elmar dans la ville de Hamilton, à environ 23h50 le 21 septembre 1974. A peu près au même moment, un bruit fort comme un coup de fusil ou un raté de moteur a attiré l’attention d’un passant qui a vu un homme dans le parc de stationnement courir jusqu’à une fourgonnette pour y monter. La fourgonnette était de couleur brune ou cuivrée et le flanc portait une inscription, il l’a par la suite identifiée à partir d’une photographie avec le nom de «Barber Appliance Services». Arrivé sur le terrain de stationnement, ce témoin a trouvé le corps de la victime étendu sur le sol avec une blessure au cou causée par la décharge d’une arme à feu, blessure qui s’est avérée mortelle. La fourgonnette avait été stationnée à environ cinq pieds de l’endroit où on a trouvé le corps et on a vu un homme y courir et entrer par le côté du conducteur en laissant la porte entrebaillée. Deux autres témoins ont déclaré qu’ils avaient vu la fourgonnette quitter le parc de stationnement et l’un d’entre eux a pu noter par écrit ce qu’il a cru être le numéro de la plaque. Je suis d’accord avec le Juge en chef que la personne qui conduisait le camion à ce moment-là était sans aucun doute le meurtrier

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et je crois que la décision dans la présente cause porte essentiellement sur l’identité de cet individu. Ainsi, l’homme qui a quitté les lieux pour monter dans la fourgonnette est l’auteur du crime; sous ce rapport, la preuve n’admet aucune autre conclusion rationnelle.

La preuve m’a également convaincu que la fourgonnette, comme l’indiquait la raison sociale inscrite sur son côté, appartenait à Barber Appliance Services, une entreprise ayant son siège social à Brantford, et que durant la soirée en cause, un nommé Penoffio en avait la garde. Penoffio était le gérant de cette entreprise à Hamilton et il avait laissé son propre véhicule au propriétaire contre l’usage de la fourgonnette.

Penoffio demeurait dans une maison sise au 87 rue Augusta à Hamilton, maison qu’occupait aussi un ami du nom de Matthews et où l’accusé était en visite ce soir-là. La fourgonnette brune a été trouvée par la police peu après le meurtre dans l’aire de stationnement attenant à la maison de Penoffio. A ce moment-là, se trouvaient dans la maison l’accusé, Penoffio et un nommé Matthews qui semble y avoir passé toute la soirée à regarder la télévision, à boire de la bière et à dormir. Penoffio et l’accusé ont donné des versions différentes de l’emploi de leur temps durant la soirée et ces versions sont résumées de façon précise par le Juge en chef dans ses motifs. Les deux hommes étaient, bien entendu, dans une situation qui les rendait suspects, mais aucun d’eux n’a raconté que l’autre avait été dans le parc de stationnement de l’hôtel Elmar à l’heure fatale.

La preuve du ministère public est presque entièrement indirecte, encore que les déclarations de l’accusé et de Penoffio, dans la mesure où elles ont été faites dans l’intérêt de leur auteur, soient entièrement sujettes à l’évaluation par le jury de la crédibilité respective des témoins.

Le juge de première instance a donné des directives justes et suffisantes quant à la façon dont le jury devait considérer la preuve indirecte et il n’appartient pas à un second tribunal d’appel d’examiner de nouveau la crédibilité des témoins. Je suis d’avis qu’il y a lieu ici de maintenir le verdict du jury à moins qu’on ne puisse démontrer

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une erreur de la part du juge de première instance dans les directives qu’il a données dans son adresse.

Le jugement accordant l’autorisation d’appeler à cette Cour nous limite à seulement deux erreurs contenues, allègue-t-on, dans l’adresse du juge. Il me semble opportun de les étudier séparément.

La première erreur qu’on allègue aurait été commise «en omettant d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews, qui a modifié son témoignage après en avoir discuté au cours de la nuit avec le témoin Penoffio, contrevenant ainsi à la directive du juge de première instance interdisant pareille discussion».

Au cours du procès, le savant juge avait ordonné l’exclusion de la salle d’audience de tous les témoins qui n’étaient pas en train de témoigner; il avait de plus interdit toute communication entre témoins si le témoignage de l’un d’entre eux n’était pas terminé.

On voit que la première question sur laquelle l’autorisation d’appeler a été accordée traite du défaut par le juge de première instance d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews, en partie parce que ce dernier avait violé l’interdiction du juge relative aux discussions entre témoins et en partie parce qu’il avait par la suite modifié son témoignage.

J’estime respectueusement que l’on ne peut répondre dans l’affirmative à cette question que si le témoin Matthews savait ou aurait dû savoir que le juge avait donné la directive mentionnée et si l’on peut montrer que la modification de son témoignage influait directement sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, c’est-à-dire sur la question de savoir où se trouvait l’accusé à environ 23h50 durant la soirée en question.

L’ordonnance du juge de première instance dont il est question dans le moyen d’appel a été rendue alors que Penoffio témoignait encore, mais la propre déclaration du juge soulève des doutes sérieux sur la question de savoir si le témoin Matthews était à portée de voix quand l’ordonnance a été prononcée. A cet égard, le savant juge a dit à la fin du témoignage de Matthews:

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[TRADUCTION] Les paroles qui ont été échangées entre ce témoin et un témoin antérieur contreviendraient à l’ordonnance d’exclusion des témoins, l’ordonnance générale, mais malheureusement je ne sais pas si les témoins ont entendu prononcer cette ordonnance. Ils étaient déjà absents de la salle d’audience et je ne sais pas s’il y a un haut-parleur qui transmet ces ordonnances aux témoins. Il s’agit peut-être d’un manque de communication.

L’avocat de la défense a ensuite dit que [TRADUCTION] «Penoffio savait qu’il ne devait parler à personne qui avait encore à rendre témoignage»; et le juge de première instance a alors répliqué:

[TRADUCTION] Nous présumons que tous les témoins le savent mais je me demande si le message s’est rendu jusqu’à eux. Il y a l’ordonnance d’exclusion des témoins qui contient l’interdiction supplémentaire de discuter du procès, mais il serait peut-être sage de placer dans la salle des témoins une copie de l’ordonnance pour que tous les témoins sachent qu’il existe un ordre explicite de ne pas discuter de la preuve avec une personne qui est encore en train de témoigner ou qui n’a pas encore témoigné et je vais donc demander au greffier d’avoir soin de faire placer dans la salle des témoins une copie de l’ordonnance qui a été rendue parce que je sais que la plupart des témoins, sinon tous, n’étaient pas dans la salle d’audience lorsque l’ordonnance a été rendue. (Les italiques sont de moi.)

Compte tenu de cette circonstance, je ne crois pas que le juge de première instance a fait une erreur en omettant d’avertir le jury de se défier du témoin Matthews parce que ce dernier aurait agi en contravention d’une ordonnance dont il peut avoir ignoré l’existence.

Les motifs de jugement du Juge en chef résument bien le changement dans le témoignage de Matthews après sa discussion avec Penoffio:

La première version de Matthews qu’il ne se souvient pas d’avoir vu Penoffio dans la maison à 22h30 au moment où lui, Matthews, est allé se coucher, est compatible avec le témoignage de l’accusé sur cette question. Le changement de témoignage de Matthews a eu pour effet de corroborer Penoffio et de contredire l’accusé.

Selon moi, cette modification n’avait aucun lien direct avec les allées et venues de Maxwell au moment de la perpétration du meurtre; son seul

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effet était de confirmer le témoignage de Penoffîo aux dépens de celui de l’accusé.

Pour tous ces motifs et avec le plus grand respect pour ceux qui peuvent penser autrement, je suis d’avis qu’on devrait répondre par la négative à la première question mentionnée dans l’ordonnance accordant l’autorisation d’appeler et qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter un avertissement supplémentaire concernant le témoignage de Matthews que le juge de première instance a bien résumé en disant:

[TRADUCTION] Le changement dans son témoignage consiste donc à ne plus se souvenir d’avoir vu Penoffîo pour affirmer qu’il Ta vu environ quinze minutes entre 22 h et 22h30 et il a déclaré de plus que Dwight Maxwell y était lorsqu’il a parlé à Penoffîo dans cette période de quinze minutes ou lorsqu’il l’a vu quinze minutes…

En tant que la version modifiée du témoignage de Matthews situe Maxwell et Penoffîo au 87 rue Augusta ou dans les environs entre 22 h et 22h30, elle est corroborée par le témoignage de Janice Brady qui a vu les deux hommes ensemble à l’extérieur de la maison à environ 22h20. Je ne crois pas que le changement de «je ne me souviens pas» à «on vient de me rappeler» comporte une inconsistance telle que le juge soit obligé d’insérer un avertissement spécial dans son adresse au jury.

La deuxième allégation d’erreur mentionnée dans l’autorisation d’appeler porte toutefois sur le témoignage de Penoffîo et soulève la question de savoir si le savant juge de première instance a erré en «omettant d’avertir le jury de se défier de la déposition de Penoffîo qui, notamment, avait antérieurement fait sous serment des déclarations contradictoires».

Il n’y a aucun doute que le témoignage et le comportement de Penoffîo ont démontré qu’il était un personnage indésirable et peu digne de foi. D’abord, Penoffîo a certainement entendu le juge prononcer l’ordonnance contenant une interdiction de communiquer avec les témoins et il a volontairement désobéi. De plus, il a fait des déclarations contradictoires sous serment comme l’indique le Juge en chef dans ses motifs de jugement et enfin, il a manifesté son indifférence pour toute l’affaire en s’absentant du premier procès de Maxwell de

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façon à ce qu’il soit nécessaire de délivrer un mandat d’arrestation pour qu’il comparaisse au second procès.

Tout cela indique sans aucun doute que Penoffio n’était pas fiable mais la présente affaire est différente de Binet c. La Reine[18], où un témoin avait souscrit avant le procès un affidavit attestant que l’accusé n’avait pas commis l’infraction de voies de fait dont on l’accusait et qui ensuite, au procès, avait témoigné sous serment que l’accusé avait participé directement à l’infraction. Le témoignage n’avait été rendu au procès qu’après la condamnation du témoin pour l’infraction dont l’accusé et le témoin avaient été inculpés séparément pour être jugés dans des procès distincts. Il n’y a aucun doute que dans l’affaire Binet, le témoin était un complice et un parjure et c’est pour ce motif que cette Cour a jugé [TRADUCTION] «que le savant juge de première instance n’a pas donné au jury les directives qui s’imposaient quant au danger considérable qu’il y avait à accepter le témoignage d’un complice qui, de son propre aveu, s’était parjuré sur une question essentielle». La distinction que l’on peut faire entre cet arrêt et la présente cause est que rien ici ne laisse penser que Penoffio est un complice; au contraire, on a prétendu qu’il était un suspect. De plus, il n’y a dans la présente cause qu’une seule «question essentielle» qui porte sur l’identité du conducteur de la fourgonnette au moment du meurtre et quant à cette question, Penoffio n’a apporté aucun élément de preuve et bien que l’on puisse dire qu’il s’est parjuré, son parjure ne portait pas sur la seule question qui est au fond de toute la présente affaire.

Les circonstances de l’espèce ressemblent fort à celles dont traitait le juge en chef Kerwin dans l’arrêt Lucas v. The Queen[19], comme en témoigne le passage suivant qui a déjà été cité dans les motifs de l’actuel Juge en chef:

[TRADUCTION] Je rejette l’argument de l’avocat de l’appelant que le savant juge de première instance a commis une erreur sur une question de droit en ne donnant pas de directives conformément à l’arrêt Binet c. La Reine, [1954] R.C.S. 52, à l’effet qu’il est très

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dangereux d’accepter le témoignage d’un complice qui, de son propre aveu, s’est parjuré sur une question essentielle. Thomas n’était pas complice. De nombreux éléments de preuve impliquant l’accusé interdisent de conclure, comme le propose l’avocat, que le témoignage de Thomas portant sur une question essentielle et enfin, la preuve, à bien des égards, corrobore Thomas. La question a été laissée à la décision du jury comme relevant du poids de la preuve et de la crédibilité et, à mon avis, cela a été fait à bon droit.

L’arrêt Rustad v. The Queen[20] abonde dans le même sens. On prétend qu’il est possible de distinguer la présente affaire de celles-là pour le motif que dans l’arrêt Lucas, on a décidé que la question de preuve n’avait pas trait à un point essentiel; mais d’après ce que j’ai déjà dit, il m’apparaît évident que la question de l’identité de l’homme qui est monté dans la fourgonnette dans le terrain de stationnement de l’hôtel constitue la seule question essentielle dans la présente affaire et comme je suis convaincu que le témoignage de Penoffîo n’a pas porté directement ni indirectement sur cette question, je suis d’avis que le savant juge de première instance n’a commis aucune erreur en omettant de donner plus de directives qu’il ne l’a fait en ce qui regarde ce témoin.

Comme je l’ai déjà indiqué, la présente cause dépend en grande partie d’une preuve indirecte et à cet égard, il me semble qu’une des circonstances les plus frappantes est que l’accusé lui-même a déclaré qu’il avait pris la clef de la fourgonnette alors qu’il attendait Penoffîo dans sa maison aux environs de 22h, tandis que Penoffîo déclare qu’il a donné la clef à l’accusé alors qu’ils étaient ensemble dans une taverne quelque temps plus tard. Peu importe la version retenue, l’accusé était en possession de la clef lui permettant de conduire la fourgonnette quelque temps avant la perpétration du meurtre et il n’y a aucune preuve que la clef était en la possession de quelqu’un d’autre jusqu’à ce que la police arrive à la maison de la rue Augusta peu après le meurtre pour trouver la clef dans la poche de l’accusé. Le témoignage de l’accusé était à l’effet qu’il n’avait pas quitté la maison depuis peu avant 23h jusqu’après l’arrivée de la police. Si cela était vrai, cela voudrait dire qu’il ne conduisait pas la fourgonnette quand elle est sortie du

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terrain de stationnement à 23h50 et, par conséquent, qu’il n’était pas l’homme qui avait abattu Rodriguez, mais il est clair que le jury ne l’a pas cru et, comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas prêt à substituer mon évaluation du témoignage de ce témoin à celle du jury.

Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et les juges SPENCE, DICKSON et ESTEY étant dissidents.

Procureurs de l’appelant: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

[1] [1954] R.C.S. 52.

[2] (1960), 44 Cr. App. R. 83.

[3] (1968), 52 Cr. App. R. 147.

[4] [1973] 1 All E.R. 440.

[5] (1976), 63 Cr. App. R. 193.

[6] (1971), 4 C.C.C. (2d) 13.

[7] [1969] 2 O.R. 54.

[8] [1963] 1 C.C.C. 1.

[9] [1965] R.C.S. 555.

[10] (1944), 83 C.C.C. 23.

[11] [1947] S.C.R. 531.

[12] (1975), 28 C.C.C. (2d) 379.

[13] [1965] 1 C.C.C. 323.

[14] [1947] R.C.S. 531.

[15] (1974), 22 C.C.C. (2d) 487.

[16] [1975] 2 R.C.S. 560.

[17] [1963] 1 C.C.C. 1.

[18] [1954] R.C.S. 52.

[19] [1963] 1 C.C.C. 1.

[20] [1965] 1 C.C.C. 323.


Parties
Demandeurs : Maxwell
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Maxwell c. R., [1979] 2 R.C.S. 1072 (14 juin 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/06/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 1072 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-06-14;.1979..2.r.c.s..1072 ?
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