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21/06/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._144

Canada | Duplisea c. Compagnie d’assurance-vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144 (21 juin 1979)


Cour suprême du Canada

Duplisea c. Compagnie d’assurance-vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144

Date: 1979-06-21

Diane Rose Duplisea Appelante;

et

La Compagnie d’assurance-vie T. Eaton Intimée.

1979: 6 et 7 mars; 1979: 21 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Estey, Pratte et Mclntyre

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK, DIVISION D’APPEL

POURVOI à rencontre du jugement de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, Division d’appel[1], qui accueillait l’appel d’un jugement du juge Barry[2

] en première instance dans une action intentée par le bénéficiaire d’une police d’assurance-vie. Pourvoi accueilli.

D...

Cour suprême du Canada

Duplisea c. Compagnie d’assurance-vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144

Date: 1979-06-21

Diane Rose Duplisea Appelante;

et

La Compagnie d’assurance-vie T. Eaton Intimée.

1979: 6 et 7 mars; 1979: 21 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Estey, Pratte et Mclntyre

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DU NOUVEAU-BRUNSWICK, DIVISION D’APPEL

POURVOI à rencontre du jugement de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, Division d’appel[1], qui accueillait l’appel d’un jugement du juge Barry[2] en première instance dans une action intentée par le bénéficiaire d’une police d’assurance-vie. Pourvoi accueilli.

Davis G. Barry et Thomas G. O’Neil, pour l’appelante.

William Goss, pour l’intimée.

[Page 146]

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE DICKSON — Après l’expiration du délai de grâce accordé pour le paiement d’une prime, une compagnie d’assurances a reçu de l’assuré et déposé à son compte en banque un chèque en paiement de la prime échue. Le chèque n’a été présenté à l’encaissement qu’après un délai inexpliqué d’un mois, période durant laquelle l’assuré est décédé. En vertu de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5, le pouvoir d’une banque de payer un chèque tiré sur elle par un client prend fin par notification de la mort du client. Avisée du décès de son client, l’assuré, la banque tirée a retourné le chèque à la compagnie d’assurances avec la mention [TRADUCTION] «décédé».

La compagnie d’assurances a refusé de payer l’indemnité de décès de $20,000 prévue à la police; elle invoque à cet effet l’article de la Loi sur les assurances, L.R.N.-B. 1973, chap. I‑12, selon lequel lorsqu’un chèque est donné en paiement d’une prime et que le paiement n’est pas effectué en conformité de sa teneur, la prime n’est pas réputée avoir été payée. La compagnie d’assurances soutient qu’elle ne doit rien en invoquant l’interaction imprévue de ces deux articles. La compagnie maintient que l’on doit interpréter littéralement l’article de la Loi sur les assurances même si cela cause un préjudice ou une injustice au bénéficiaire de la police. En définitive, la compagnie se fonde sur l’événement qui fait l’objet de l’assurance, soit le décès de l’assuré, pour annuler le contrat d’assurance. Il y a donc lieu d’étudier attentivement la police, les deux dispositions législatives susmentionnées et la jurisprudence pour déterminer si elles mènent à un résultat aussi anormal.

Tout d’abord, quelques détails sur les faits et l’historique judiciaire de cette affaire. Le 1er mai 1973, la Compagnie d’assurance-vie T. Eaton a délivré la police d’assurance n° 215415-6 sur la vie de Ralph Evans Duplisea, de Central Blissville, comté de Sunbury (Nouveau‑Brunswick). Aux termes du contrat, [TRADUCTION] «la prestation de base et l’événement y donnant droit» étaient [TRADUCTION] «$20,000 advenant le décès de l’as-

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suré avant le 1er mai 1978, avec possibilité de renouvellement jusqu’à la date d’expiration le 1er mai 2006». Le bénéficiaire désigné dans la proposition est l’appelante, Diane Rose Duplisea, l’épouse de l’assuré. La prime était de $6.64 par mois payable trimestriellement, pour un total de $19.92 par trimestre. Les primes ont dûment été payées jusqu’en août 1975. Le 23 juillet, la compagnie a envoyé à M. Duplisea un avis de facturation pour le paiement trimestriel dû le 1er août 1975. Elle a envoyé un autre avis le 18 août; le 8 septembre, elle a fait parvenir un troisième avis précisant que nonobstant l’expiration du délai de grâce de 31 jours, la prime serait acceptée si elle était payée dans les 45 jours de la date d’échéance, c.‑à-d. avant le 14 septembre 1975. Le 16 septembre 1975, M. Duplisea a envoyé un chèque en paiement de la prime au siège social de la compagnie d’assurances à Toronto. Ce chèque a été reçu le 22 septembre 1975. A cette date, le délai de grâce et le délai de 45 jours étaient expirés. La compagnie a cependant accepté le chèque et l’a déposé le même jour dans son compte de banque. Quatre jours plus tard, M. Duplisea succombait soudainement à une hémorragie péritonéale à l’hôpital d’Oromocto. Le chèque a été présenté à l’encaissement suivant les voies bancaires normales depuis Toronto. Cependant, comme je l’ai déjà dit, lorsque le chèque est arrivé au Nouveau-Brunswick le 22 octobre, la banque de M. Duplisea avait été avisée de son décès. Et, conformément à l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change dont voici le texte:

Le devoir et le pouvoir d’une banque de payer un chèque tiré sur elle par son client prennent fin par

a) contre-ordre de paiement;

b) notification de la mort du client.

la banque a retourné le chèque avec la mention «décédé». A toutes les époques en cause, le compte en banque de M. Duplisea était suffisamment approvisionné pour honorer le chèque.

Le paragraphe 142(1) de la Loi sur les assurances du Nouveau-Brunswick se lit comme suit:

Lorsqu’un chèque ou une lettre de change, ou un billet à ordre ou autre promesse écrite de payer, sont donnés en paiement total ou partiel d’une prime, et que le

[Page 148]

paiement n’est pas effectué en conformité de leur teneur, la prime ou la fraction de celle-ci n’est pas réputée avoir été payée.

La compagnie d’assurances a refusé de payer l’indemnité et prétend, en se fondant sur le par. 142(1), que puisque la prime due n’a pas été payée, le contrat d’assurance n’était plus en vigueur à l’époque du décès.

En première instance l’avocat de la compagnie d’assurances a admis que si le chèque avait été honoré le 22 octobre, la compagnie aurait payé la valeur nominale de la police. Rejetant les arguments de la compagnie, le juge Barry de première instance a fondé sa décision sur deux motifs. Premièrement, rien dans les dispositions générales de la police n’exigeait spécifiquement que les primes de renouvellement soient payées «par anticipation». Cela avait l’effet de permettre le paiement de la prime pour le trimestre commençant le 1er août 1975 en tout temps durant le trimestre, même si les avis envoyés par la compagnie spécifiaient des dates d’échéance qui exigeaient le paiement par anticipation. Deuxièmement, le par. 142(1) de Loi sur les assurances s’applique essentiellement à la prime initiale et même s’il s’applique à une prime de renouvellement, il ne peut constituer un moyen de défense parce qu’en l’espèce le non-paiement ne résulte pas d’une omission ou d’une erreur de M. Duplisea mais de l’opération de la loi.

La Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick a adopté une opinion différente. Elle a jugé que la compagnie avait le droit d’exiger que M. Duplisea paie les primes trimestrielles par anticipation et que le par. 142(1) de la Loi sur les assurances ne s’applique pas uniquement aux primes initiales mais également aux paiements périodiques des primes. Au sujet de l’application du par. 142(1) dans le seul cas où le non-paiement du chèque résulte [TRADUCTION] «d’une omission ou d’une erreur du défunt-assuré», la Division d’appel a dit:

[TRADUCTION] L’avocat de l’assureur a admis en première instance qu’en acceptant et en déposant le chèque daté du 16 septembre 1975, ce dernier avait renoncé à invoquer le retard du paiement de la prime du 1er août 1975 et que si le chèque avait été payé il aurait versé le produit de la police au bénéficiaire. Même si

[Page 149]

l’assureur a accepté le chèque, cette acceptation était conditionnelle au paiement du chèque sur présentation.

Dans Falconbridge, Banking and Bills of Exchange (7e éd. 1969) 789, on peut lire:

L’acceptation d’une lettre de change ne suspend pas le recours du créancier fondé sur un contrat formel ou une dette garantie ou par saisie-gagerie, parce qu’on ne peut présumer que le créancier est privé d’un meilleur recours que l’action fondée sur la lettre de change, mais dans les autres cas, on peut présumer que le créancier qui accepte une lettre de change pour une dette antérieure l’accepte à titre de paiement conditionnel de la dette.

Comme le chèque n’a pas été payé en conformité de sa teneur, il s’ensuit que la prime n’a pas été payée et ce paiement était essentiel au renouvellement de la police; il faut donc considérer que la police a expiré à la fin du délai de grâce de 31 jours, soit le 1er septembre 1975.

La plaidoirie présentée devant cette Cour n’a porté que sur deux points. On a prétendu que la Division d’appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la prime pour le trimestre commençant le 1er août 1975 était payable par anticipation. Cette Cour a estimé que cet argument n’était pas fondé et n’a donc pas demandé à l’avocat de la compagnie d’assurances de le réfuter. Puis on a allégué que la Division d’appel avait commis une erreur en jugeant que le chèque envoyé à la compagnie d’assurances n’avait pas été payé «en conformité de sa teneur» et qu’en vertu du par. 142(1) de la Loi sur les assurances, la prime était réputée ne pas avoir été payée. Voici comment on a exposé cet argument: c’est l’événement qui fait l’objet de l’assurance, c.-à-d. le décès de Duplisea qui constitue, par l’opération de la loi, la raison pour laquelle la banque de M. Duplisea n’a pas honoré le chèque destiné à payer la prime. Le renvoi du chèque par la banque n’est pas un non‑paiement «en conformité de sa teneur» mais constitue plutôt un non-paiement exactement conforme à sa teneur. La «teneur» d’un chèque est l’ensemble du contrat auquel le tireur a voulu souscrire, ce qui comprend l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change: voir Maxon v. Irwin[3] aux pp. 88 et 91. Le paiement d’un chèque «en conformité de sa teneur» est le paiement par la banque sur présentation du

[Page 150]

chèque durant la vie du tireur ou par sa succession sur présentation du chèque après son décès. Voilà en quoi consiste l’argument de l’appelante; je préfère toutefois fonder ma décision sur un autre motif.

Le paragraphe 142(1) se trouve dans la Partie V de la Loi sur les assurances du Nouveau‑Brunswick, la Partie applicable à l’assurance-vie. Cette partie de la Loi reflète l’importante refonte contenue dans la loi d’uniformisation de l’assurance-vie rédigée en 1962 et promulguée dans les provinces de common law. La lecture du par. 142(1) indique clairement que l’acceptation d’un chèque par l’assureur ne doit pas s’interpréter comme un paiement inconditionnel de la prime simplement parce que l’assureur a accepté l’effet en paiement de la prime. Cela est conforme à la common law où le paiement par chèque, lettre de change ou billet à ordre est fortement présumé constituer un paiement conditionnel à moins que l’on puisse prouver que le débiteur a remis l’effet et que le créancier l’a accepté à titre de paiement inconditionnel: voir Chalmers on Bills of Exchange (13e éd., 1964) aux pp. 338 et 342. Si le chèque n’est pas payé «en conformité de sa teneur», c.-à-d. s’il n’est pas honoré, la prime pour laquelle il a été donné est réputée ne pas avoir été payée. Comme le souligne McVitty dans l’ouvrage The Life Insurance Laws of Canada (1976) à la p. C-34, en parlant de l’ancienne loi d’uniformisation, [TRADUCTION] «le non-paiement d’une prime dans de telles circonstances rendait le contrat nul et cette sanction inhabituelle ne figure plus dans la nouvelle loi»: voir la Life Insurance Act, 1924 (N.B.), chap. 31, par. 12(2) et la Insurance Act, R.S.N.B. 1952, chap. 113, par. 137(2), et ses modifications 1961 (N.B.), chap. 41, par. 133(1) [maintenant par. 142(1)]. En définitive, la modification prévue au par. 142(1) visait à favoriser l’assuré en évitant les conséquences injustes qui peuvent résulter d’une seule omission de payer une prime.

Il est manifeste qu’en rédigeant le par. 142(1) de la Loi sur les assurances, on n’a pas songé aux répercussions de l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change. L’article 167 a été adopté afin de régir les rapports entre une banque et son client, étant donné qu’une banque — à la différence du tiré

[Page 151]

d’une lettre de change — est tenue d’honorer le chèque de son client si le compte est suffisamment approvisionné et est en conséquence responsable envers ce dernier si elle refuse à tort d’honorer le chèque: voir Falconbridge, p. 859. L’article 167 prévoit deux exceptions: a) lorsque le client a donné un contre-ordre de paiement, ou b) lorsque la banque a reçu une notification de la mort du client. Il semble plutôt étrange qu’une compagnie d’assurances puisse invoquer cette disposition concernant la relation entre la banque et son client pour annuler rétroactivement une police d’assurance-vie.

J’en viens maintenant à l’étude de la police et de la jurisprudence. Voyons d’abord la disposition suivante de la police que l’on trouve sous l’intitulé «Prestations de décès»:

[TRADUCTION] AU décès de la Personne Assurée, pendant que cette police est en vigueur et avant la Date d’Echéance, la Compagnie paiera au Bénéficiaire la Prestation de Base stipulée dans les Conditions Particulières de la Police.

L’obligation de payer l’indemnité de décès survient «au décès de la Personne Assurée pendant que cette police est en vigueur». A mon avis, c’est de la date du décès que dépendent la validité de la police et l’obligation de l’assureur. Il faut donc déterminer si la police était en vigueur à cette date précise.

Dans son jugement, le juge de première instance dit:

[TRADUCTION] Il ne peut être question de renonciation ou de fin de non-recevoir car l’avocat de la défenderesse a admis que cette dernière avait renoncé aux conditions de paiement énoncées dans le contrat lorsqu’elle a accepté le chèque du défunt et l’a déposé dans son compte de banque le 22 septembre 1975, quatre jours avant le décès, mais après l’expiration, le 14 septembre 1975, de la dernière prorogation de délai.

Et il a ajouté plus loin:

[TRADUCTION] L’avocat de la défenderesse admet que celle-ci a renoncé aux conditions de déchéance de la police en déposant le chèque dans son compte de banque. Voir Teasdall v. Sun Life Assurance Co. (1927) 2 D.L.R. 502 (C.A. Ont.). Vu cet aveu, je n’ai pas à me prononcer sur cet aspect de la question mais j’estime qu’en acceptant le chèque, la défenderesse a renoncé à invoquer l’absence de paiement pendant le délai qu’elle prétend applicable.

[Page 152]

Devant nous, l’avocat de la compagnie d’assurances a prétendu que le juge Barry avait commis une erreur en donnant un effet aussi absolu à son aveu et que l’interprétation exposée dans l’extrait précité du jugement de la Division d’appel était plus juste. Je ne pense pas que la solution du litige dépende de la portée de l’aveu. Le juge Barry a conclu qu’en acceptant le chèque, le 22 septembre, l’assureur avait ressuscité la police et que le non‑paiement ne résultait pas d’une erreur de M. Duplisea mais de l’opération de la loi, c’est‑à-dire du par. 167(b) de la Loi sur les lettres de change. A mon avis, ces deux conclusions sont exactes.

La compagnie d’assurances prétend néanmoins (i) que l’acceptation du chèque était conditionnelle au paiement du chèque sur présentation; (ii) que le refus de payer de la part de la banque signifiait que la condition relative au renouvellement de la police n’avait pas été remplie; (iii) que la police n’était plus en vigueur le 1er septembre 1975. Je ne suis pas d’accord.

Comme le précise l’extrait de l’ouvrage de Falconbridge cité dans l’arrêt de la Division d’appel, l’acceptation du chèque par la compagnie d’assurances à titre de paiement conditionnel de la prime a pour effet de suspendre les recours de l’assureur jusqu’au paiement ou refus de paiement du chèque: voir également Byles on Bills of Exchange (23e éd., 1972) aux pp. 128 et 371 à 373; Chalmers on Bills of Exchange, aux pp. 338 à 340. Voici en quels termes le juge en chef Gale de la Haute Cour expose la situation où se trouve un créancier dans de telles circonstances dans l’arrêt Royal Securities Corp. Ltd. v. Montreal Trust Co.[4] à la p. 169:

[TRADUCTION] Je suis convaincu que, prima facie, la remise d’un chèque ou d’un autre effet négociable en paiement d’une dette ne constitue qu’un paiement conditionnel; si l’effet est honoré, le paiement devient inconditionnel mais s’il n’est pas honoré, la dette initiale subsiste. Cette proposition a comme corollaire que pendant que l’effet négociable est en circulation, les recours primitifs du créancier sont suspendus mais peuvent revivre si l’effet n’est pas honoré. Dans le cas d’un chèque payable à vue, la suspension n’est pas en vigueur pendant un délai spécifique mais uniquement jusqu’à la présentation et au refus de payer.

[Page 153]

L’arrêt In re A Debtor[5] illustre bien l’application de ces principes; dans ce cas, on a jugé que l’acceptation par le créancier d’un jugement d’une lettre de change de son débiteur l’empêchait de déposer un avis de faillite contre son débiteur et d’obtenir une ordonnance de séquestre contre lui. En l’espèce, les recours de la compagnie d’assurances fondés sur la police étaient suspendus jusqu’à la présentation du chèque pour paiement à la banque de l’assuré, la Banque de Montréal à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick).

En conséquence, au moment du décès de l’assuré, sa banque n’avait pas refusé de payer. La disposition du par. 142(1) selon laquelle la prime est «réputée» ne pas avoir été payée ne s’appliquait donc pas à cette date. Examinons la situation de la compagnie d’assurances au moment du décès. L’assureur pouvait-il, à cette date, prétendre que la police n’était plus en vigueur? Certainement pas, car à cette date le chèque de M. Duplisea était toujours en transit entre les banques et n’avait fait l’objet d’aucun refus de paiement. Comme je l’ai déjà souligné, l’obligation de payer l’indemnité en cas de décès survient «au décès de la Personne Assurée pendant que cette police est en vigueur». La disposition du par. 142(1) ne pouvait prendre effet qu’à compter du refus de payer afin de faire revivre la créance primitive et les recours de la compagnie d’assurances fondés sur cette créance. Cela ne pouvait se réaliser qu’après que le décès de M. Duplisea eut cristallisé l’obligation de l’assureur de payer l’indemnité stipulée dans la police.

La jurisprudence invoquée par l’intimée est loin d’être incompatible avec cette opinion et, en réalité, elle l’appuie.

Dans l’arrêt Neill v. Union Mutual Life Insurance Co.[6], il s’agissait d’une prime trimestrielle venant à échéance le 10 août 1879 et l’assuré avait remis un chèque à l’agent de la compagnie d’assurances le 24 septembre en lui demandant de le conserver jusqu’au 1er octobre, date à laquelle son compte serait suffisamment approvisionné. Le chèque a été présenté pour paiement à cette date

[Page 154]

mais n’a pu être honoré. Par la suite, ce chèque a maintes fois été présenté pour paiement sans être honoré. Le 21 octobre, l’agent a été informé que le compte était suffisamment approvisionné mais comme c’était après l’heure de fermeture, il n’a pu présenter le chèque pour paiement. Ce soir-là, l’assuré est mort accidentellement. La Cour d’appel a jugé que la police avait cessé d’être en vigueur le 11 août puisque rien n’avait été fait le 1er octobre pour la ressusciter et que le chèque impayé conservé par l’agent ne constituait pas un paiement véritable ni conditionnel. A la p. 176, le juge Burton de la Cour d’appel précise que le résultat aurait pu être différent si l’assuré était décédé avant le 1er octobre.

Le deuxième arrêt invoqué par l’intimée est McGeachie c. North American Life Insurance Company[7]. L’assuré a remis un billet à ordre pour la première prime, payable six mois après la délivrance de la police, le 6 décembre 1889. Le billet a été renouvelé trois fois. Le troisième renouvellement venait à échéance le 16 octobre 1890; il était échu et impayé au décès de l’assuré le 6 novembre 1890. Le jour du décès, le frère de l’assuré a reçu une demande de paiement de la part de la compagnie d’assurances mais l’agent régional ne lui a pas permis de payer le billet après le décès. La Cour d’appel a jugé que la police n’était plus en vigueur et cette Cour a rejeté le pourvoi sans entendre les intimées. Dans son court jugement, le juge King a déclaré aux pp. 151 et 152:

[TRADUCTION] Le billet a été accepté à titre de paiement conditionnel de la prime et jusqu’à son échéance la police était valide, mais lorsqu’il est devenu impayé à l’échéance, la première condition a pris effet et la police est devenue nulle. A mon avis le mot nul employé dans la condition a le sens d’annulable. La stipulation était à l’avantage de la compagnie et cette dernière pouvait décider d’annuler la police. En conséquence, peut-on considérer que la compagnie a manifesté de quelque façon son intention de laisser la police subsister malgré la violation de la condition? A mon avis, on ne peut dire que son attitude manifeste une telle intention. L’assuré a bénéficié de onze mois de protection en vertu de la police

[Page 155]

et, à mon avis, la demande de paiement du billet ne constitue pas une renonciation à la déchéance. Je souscris au rejet de l’appel.

En Cour d’appel de l’Ontario, le juge en chef Hagarty a souligné à la p. 190 du recueil que [TRADUCTION] «si l’assuré avait réagi et payé le billet et si la défenderesse avait accepté le paiement, il ne fait aucun doute que la demanderesse aurait gain de cause», si le paiement avait été accepté à titre de paiement de la prime et non du billet relatif à un risque annulé. A la page suivante, le juge en chef est allé plus loin et a statué que [TRADUCTION] «la compagnie peut renoncer à la déchéance, et que tant qu’elle continue à renouveler ou à accepter un billet, le contrat peut subsister».

L’intimée a également cité l’arrêt Millet c. La Reine[8]. Dans cette affaire, l’assuré dont la police d’assurance-vie relevait de la Loi sur l’assurance des anciens combattants, est décédé après que le chèque remis en paiement de la prime eut subi un refus de paiement, que celui-ci eut été renvoyé au ministère des Affaires des anciens combattants et que l’assuré eut été avisé du non-paiement. L’action en recouvrement a été rejetée à bon droit.

Les faits à l’origine de l’affaire Northern Life Assurance Co. of Canada c. Reierson[9], ressemblent à ceux des causes précitées. Au décès de l’assuré, la compagnie d’assurances était en possession d’un chèque sans provision donné en paiement de la prime. Un agent de la compagnie a informé un employé de l’assuré que l’assurance-groupe n’était plus en vigueur et qu’il fallait qu’un chèque de remplacement lui soit remis immédiatement. L’assuré est décédé le lendemain. Une semaine plus tard, un employé de l’assuré a tenté de payer la prime échue. On a jugé que le pourvoi était «pratiquement réglé» par l’arrêt McGeachie. Comme l’a souligné la Cour à la fin du jugement (aux pp. 397 et 398):

Si la compagnie Scobie avait donné à Shelemey [l’agent] la somme de $69.20 aussitôt après le 3 mars suivant l’expiration du délai de grâce, d’autres questions pourraient se présenter au sujet de la renonciation mais il reste, en ce qui concerne l’intimée, que rien n’a été fait

[Page 156]

pour répondre à la demande jusqu’au décès de Scobie et jusqu’à l’avis notifiant que la police d’assurance n’était plus en vigueur.

Les faits d’aucun de ces arrêts ne correspondent à ceux de l’espèce — une attitude équivalant nettement à une renonciation de la part de la compagnie d’assurances lorsqu’elle a accepté le chèque tardif et l’a déposé dans son compte, et le décès de l’assuré avant la présentation du chèque pour paiement. A mon avis, tant qu’un chèque, qui n’a encore subi aucun refus de paiement, est en possession de l’assureur ou en transit entre des banques au moment de la réalisation de l’événement qui fait l’objet de l’assurance, l’assureur ne peut invoquer pour annuler la police le non-paiement du chèque par la banque tirée, fondé sur l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change. Si la police est en vigueur lors de la réalisation de l’événement, l’indemnité est exigible.

Une autre raison motive cette conclusion. Dans Blanchette c. C.I.S. Ltd.[10], à la p. 838, mon collègue le juge Pigeon a nettement rejeté la prétention qu’une compagnie d’assurances pouvait toucher une prime sans avoir encouru de risque. Si, en l’espèce, l’argument de la compagnie était fondé, la compagnie aurait profité de l’argent provenant du chèque reçu de M. Duplisea, de la date de sa réception jusqu’à la date de sa présentation — un bon mois — sans avoir encouru de risque. Cette situation fut jugée inacceptable dans l’arrêt Blanchette.

Deux arrêts américains étayent mon opinion; il s’agit de Mutual Life Insurance Co. v. Chattanooga Savings Bank[11] et Turner v. Pilot Life Insurance Co.[12], où les cours, saisies de faits analogues, sont parvenues à des conclusions semblables.

Un examen de la police et de la jurisprudence me convainc qu’il est possible de concilier le par. 142(1) de la Loi sur les assurances du Nouveau-Brunswick et l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change tout en évitant le résultat pénible et inhabituel auquel parvient la compagnie. Au

[Page 157]

moment du décès de M. Duplisea la police était en vigueur et, en conséquence, l’indemnité de décès prévue dans la police est exigible.

Si un tireur décède pendant qu’un chèque est en circulation, le preneur du chèque, en l’occurrence l’intimée, possède un recours contre la succession pour recouvrer une prime impayée au moment du décès: Curley v. Briggs[13]. En l’espèce, le juge Barry a simplement ordonné la compensation et il n’y a pas lieu de modifier son jugement.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Division d’appel et de rétablir le jugement de première instance, le tout avec dépens en cette Cour et en Division d’appel.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Clark, Drummie & Company, St-Jean, N.-B.

Procureurs de l’intimée: McKelvey, Macaulay, Machum, St-Jean, N.-B.

[1] (1978), 86 D.L.R. (3d) 527.

[2] (1977), 19 N.B.R. (2d) 412.

[3] (1907), 15 O.L.R. 81 (H.C. Ont.).

[4] [1967] 1 O.R. 137 (H.C. Ont.).

[5] [1908] 1 K.B. 344 (C.A.).

[6] (1882), 7 O.A.R. 171 (C.A. Ont.) confirmant (1881), 45 U.C.R. 593 (B.R.).

[7] (1893), 23 R.C.S. 148 confirmant (1893), 20 O.A.R. 187 (C.A. Ont.).

[8] [1946] R.C.É. 562.

[9] [1977] 1 R.C.S. 390.

[10] [1973] R.C.S. 833.

[11] 150 P. 190 (1915, S.C. Okla.).

[12] 120 S.E. 2d 223 (1961, S.C. So. Car.).

[13] (1920), 53 D.L.R. 351 (Sask. C.A.).


Synthèse
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 144 ?
Date de la décision : 21/06/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Assurance - Assurance-vie - Primes - Délai de grâce - Avis de facturation de la prime échue envoyé après l’expiration de la période de grâce - Chèque envoyé par l’assuré - Statut de la police - Décès de l’assuré avant la présentation du chèque pour encaissement - Délai dans la présentation du chèque pour encaissement - Loi sur les assurances L.R.N.-B. 1973, chap. I-12, par. 142(1) - Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5, art. 167.

Après l’expiration du délai de grâce, la compagnie d’assurances intimée a envoyé à son assuré un avis de facturation de la prime échue. L’assuré a répondu et a envoyé un chèque en paiement de la prime échue. Le chèque a été dûment reçu et déposé; cependant, le chèque n’a été présenté à l’encaissement qu’après un délai inexpliqué d’un mois et avant sa présentation l’assuré est décédé. Avisée du décès de son client, l’assuré, la banque sur laquelle le chèque était tiré a refusé d’honorer le chèque lequel a été retourné à la compagnie avec la mention “décédé”. Par la suite, la compagnie a refusé d’honorer la police insistant sur une interprétation libérale du par. 142(1) de la Loi sur les assurances, L.R.N.-B. 1973, chap. I-12 qui prévoit en partie que lorsqu’un chèque est donné en paiement d’une prime et que le paiement n’est pas effectué en conformité de sa teneur, la prime n’est pas réputée avoir été payée. Le bénéficiaire de la police a eu gain de cause dans son action en première instance où la décision était fondée sur deux motifs. Premièrement, rien dans les dispositions générales de la police n’exigeait spécifiquement que les primes de renouvellement soient payées “par anticipation” et, deuxièmement, le par. 142(1) s’applique essentiellement à la prime initiale et même s’il s’applique à une prime de renouvellement, il ne peut constituer un moyen de défense parce qu’en l’espèce le non-paiement ne résulte pas d’une omission ou d’une erreur de l’assuré mais de l’opération de la loi. La Division d’appel a infirmé cette décision, jugeant que la compagnie avait le droit d’exiger le paiement des primes trimestrielles par

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anticipation, que le par. 142(1) ne s’applique pas uniquement aux primes initiales mais également aux paiements périodiques des primes et que l’acceptation du chèque par la compagnie était conditionnelle à son paiement sur présentation.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

En rédigeant le par. 142(1) on n’a pas songé à l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change, article adopté afin de régir les rapports entre une banque et son client. L’attitude ici équivalait nettement à une renonciation de la part de la compagnie d’assurances lorsqu’elle a accepté le chèque et l’a déposé, et le décès de l’assuré avant la présentation du chèque. Puisqu’un chèque qui n’a encore subi aucun refus de paiement est en possession de l’assureur ou en transit entre les banques au moment de la réalisation de l’événement qui fait l’objet de l’assurance, l’assureur ne peut invoquer pour annuler la police le non-paiement du chèque par la banque tirée, fondé sur l’art. 167 de la Loi sur les lettres de change. De plus, si l’argument de la compagnie était fondé, la compagnie aurait profité de l’argent provenant du chèque pour un bon mois sans avoir encouru de risque.


Parties
Demandeurs : Duplisea
Défendeurs : Compagnie d’assurance-vie T. Eaton

Références :

Jurisprudence: Maxon v. Irwin (1907), 15 O.L.R. 81 (H.C. Ont.)

In re A Debtor, [1908] 1 K.B. 344 (C.A.)

Neill v. Union Mutual Life Insurance Co. (1882), 7 O.A.R. 171 (C.A. Ont.), confirmant (1881), 45 U.C.R. 593 (Q.B.)

McGeachie c. North American Life Insurance Company (1893), 23 R.C.S. 148, confirmant (1893), 20 O.A.R. 187 (C.A. Ont.)

Millet c. La Reine, [1946] R.C.É. 562

Northern Life Assurance Co. of Canada c. Reierson, [1977] 1 R.C.S. 390

Blanchette c. C.I.S. Ltd., [1973] R.C.S. 833

Mutual Life Insurance Co. v. Chattanooga Savings Bank, 150 P. 190 (1915, S.C. Okla.)

Turner v. Pilot Life Insurance Co. 120 S.E. 2d 223 (1961, S.C. So. Car.)

Curley v. Briggs (1920), 53 D.L.R. 351 (C.A. Sask.).

Proposition de citation de la décision: Duplisea c. Compagnie d’assurance-vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144 (21 juin 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-06-21;.1980..1.r.c.s..144 ?
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