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18/07/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._294

Canada | Jack et autres c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294 (18 juillet 1979)


Cour suprême du Canada

Jack et autres c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294

Date: 1979-07-18

Joseph Daniel Jack, Harold Lewis Joe, Calvin Patrick Antoine, John Jimmy, Bernard Joe, Gordon Leon Goldsmith, Samuel Johnny Jimmy et Wilburt Joseph Canute Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1979: 1er mai; 1979: 18 juillet.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Cour suprême du Canada

Jack et autres c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294

Date: 1979-07-18

Joseph Daniel Jack, Harold Lewis Joe, Calvin Patrick Antoine, John Jimmy, Bernard Joe, Gordon Leon Goldsmith, Samuel Johnny Jimmy et Wilburt Joseph Canute Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1979: 1er mai; 1979: 18 juillet.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE


Synthèse
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 294 ?
Date de la décision : 18/07/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Indiens - Pêche au saumon pendant une période prohibée - Ils pêchaient pour se nourrir - Les droits de pêche revendiqués n’étaient pas reconnus - Même si les droits de pêche étaient reconnus ils auraient été assujettis h l’objectif de protection de la faune marine - Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 19 - Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, art. 91(12), 146 - Conditions de l’Union de la Colombie-Britannique et du Canada, 1871, art. 13 - Qualité des appelants pour invoquer l’art. 13.

Les appelants sont des Indiens auxquels s’applique la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6. Ils ont été déclarés coupables d’avoir pêché du saumon pendant une période et en un endroit prohibés, en contravention de Part. 19 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14 et modifications. L’interdiction est prévue dans une ordonnance édictée en vertu de l’art. 4 du Règlement fédéral sur la pêche en Colombie-Britannique. Certains appelants ont été trouvés en train de pêcher et d’autres en possession de poissons qu’ils avaient capturés. Il est admis qu’ils pêchaient pour se nourrir. Ils ne détenaient pas le permis exigé au par. 32(1) du Règlement de pêche.

Leur défense aux accusations est uniquement fondée sur la prétendue absence de compétence constitutionnelle du Parlement du Canada pour assujettir les appelants et les autres membres de leur bande à sa loi sur les pêcheries de façon à les priver du droit de pêcher pour se nourrir. Ils prétendent qu’il existait une ligne de conduite à cet effet dans la Colombie-Britannique avant son admission à titre de province du Canada en 1871 et que l’art. 13 des Conditions de l’Union a consacré cette ligne de conduite et a limité le pouvoir législatif fédéral sur les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur prévu au par. 91(12) de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni-

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que. Les Conditions de l’Union ont été approuvées par arrêté en conseil impérial conformément à l’art. 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et, en vertu de cette disposition, cet arrêté en conseil a le même effet que s’il avait été décrété par le Parlement impérial. En conséquence, il a valeur constitutionnelle.

Le premier alinéa de Part. 13 impose deux obligations au gouvernement fédéral: (i) assumer le soin des Indiens et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice et (ii) continuer, après l’Union, à suivre une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie par le gouvernement de la Colombie-Britannique avant l’Union. Le deuxième alinéa prévoit que, pour mettre ce projet à exécution, le gouvernement local cédera au gouvernement fédéral des étendues de terre ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique avait, avant l’Union, affectées à cet objet.

Un appel, par voie d’exposé de cause, des déclarations de culpabilité a été rejeté par la Cour d’appel et les accusés ont, avec autorisation, interjeté pourvoi devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre: L’opinion de la Cour d’appel que les appelants n’avaient pas qualité pour invoquer les Conditions de l’Union à l’appui de leur prétention qu’ils ne sont pas assujettis à la loi fédérale sur les pêcheries n’est pas acceptée. Toute partie peut répondre à une accusation en prétendant que celle-ci est fondée sur une loi contestable du point de vue juridictionnel ou inapplicable. En l’espèce, la défense est fondée sur un argument constitutionnel et les appelants avaient le droit de l’invoquer.

Rien dans l’art. 13 n’a l’effet de restreindre le pouvoir législatif fédéral en matière de pêcheries. Peu importe la ligne de conduite qui était suivie en Colombie-Britannique avant la Confédération et qui permettait aux Indiens de pêcher pour se nourrir dans les rivières ou dans d’autres eaux de l’île Vancouver comme de la Colombie-Britannique avant que l’île en fasse partie et par la suite, cette ligne de conduite ne semble assise sur aucun fondement juridique. En outre, l’art. 13 ne contient aucune reconnaissance juridique de droits de pêche des Indiens. La revendication de droits de pêche ne peut se fonder sur les mots «le soin des Sauvages» à l’art. 13 ni sur la suite de l’article.

Il a été reconnu que si l’interdiction de pêcher visait la protection des pêcheries, l’interdiction s’appliquerait au droit de pêche des Indiens. A la lumière des faits,

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l’interdiction a été imposée à des fins de protection. En conséquence, même si les droits de pêche revendiqués étaient reconnus, ils auraient été assujettis à l’objectif de protection de la faune marine dans les rivières en question.

Le juge Dickson: L’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique donne clairement aux Conditions de l’Union une plus grande valeur que celle d’une «entente intergouvernementale» et les appelants sont donc fondés à en invoquer l’art. 13 comme moyen de défense à l’accusation. En ce qui concerne l’interprétation de la loi et la preuve historique, l’expression «ligne de conduite» dans l’art. 13 va plus loin que la simple question des réserves dont traite le deuxième alinéa. Les activités de pêche des Indiens sont prévues par la ligne de conduite suivie par la Colombie-Britannique avant la Confédération et sont visées par la «ligne de conduite» mentionnée au premier alinéa de l’art. 13. Il est manifeste que les pêcheurs Indiens ont été encouragés à poursuivre leurs activités non seulement pour se nourrir mais aussi pour le troc.

L’article 13 exige qu’une protection distincte soit accordée à la pêche par les Indiens parce que la ligne de conduite suivie avant la Confédération accordait priorité aux Indiens en ce domaine. Cette priorité se comprend pleinement lorsque les Indiens pêchent pour se nourrir mais s’explique moins bien lorsqu’il s’agit de pêche à des fins de commerce local. Si la pêche au saumon doit être limitée, les restrictions imposées ne doivent pas être plus lourdes pour la pêche faite par les Indiens que pour les autres genres de pêche, c.-à-d. la pêche commerciale et la pêche sportive. En ce qui concerne la pêche du saumon, les pêcheurs indiens doivent avoir priorité, sous réserve des difficultés pratiques relatives aux eaux internationales et aux déplacements du poisson. Mais toute restriction à la pêche par les Indiens établie conformément à un objectif valide de protection des ressources l’emporte sur la protection de la pêche par les Indiens prévue à l’art. 13, au même titre que ces mesures de protection l’emportent sur les autres genres de pêche.

La remonte du saumon, bien inférieure à la moyenne, et un record ou quasi-record de sécheresse ont amené les fonctionnaires à interdire la pêche sportive dans une partie de la baie Cowichan et ensuite à interdire toute pêche dans la rivière. Dans les circonstances, il est difficile d’imaginer par quelle autre méthode la protection de la ressource aurait pu être assurée tout en accordant la priorité nécessaire à la pêche par les Indiens.

Vu le caractère constitutionnel de l’art. 13, on ne peut retenir la prétention que les mesures prises par les fonctionnaires des pêcheries sont à l’abri du contrôle

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judiciaire. Une simple ordonnance de fermeture rendue par un fonctionnaire des pêcheries de la Colombie-Britannique en vertu de l’art. 4 du Règlement peut clairement indiquer qu’elle est faite à des fins de protection des ressources, mais elle n’est pas concluante sur la question de la protection de la pêche par les Indiens. Les fonctionnaires des pêcheries devraient bénéficier d’une grande liberté d’action pour décider quand ordonner une fermeture à des fins de protection et comment l’appliquer. Mais cela ne met pas pour autant ces mesures à l’abri d’un contrôle judiciaire fondé sur la compétence constitutionnelle.

En cas de contestation, il s’agira, en révision, de déterminer si les mesures de protection prise par les autorités responsables des pêcheries étaient raisonnables et nécessaires et si on a fait des efforts en vue d’accorder la priorité à la pêche par les Indiens, compte tenu des contingences pratiques de la gestion moderne des pêcheries. En l’espèce, les fonctionnaires des pêcheries ont établi que l’interdiction de pêcher dans la rivière était raisonnable et nécessaire à des fins de protection des ressources et ne va pas à l’encontre de la priorité accordée à la pêche par les Indiens par l’art. 13 des Conditions de l’Union.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui rejetait un appel par voie d’exposé de cause d’une ordonnance du juge Heard de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté.

Douglas Sanders, pour les appelants.

Ralph Hutchinson et Paul Pearlman, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre rendu par

LE JUGE EN CHEF — Les huit appelants sont des Indiens auxquels s’applique la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6. Ils ont été déclarés coupables d’avoir pêché du saumon pendant une période et en un endroit prohibés, en contravention de l’art. 19 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14 et modifications. L’interdiction est prévue dans une ordonnance édictée en vertu de l’art. 4 du Règlement fédéral sur la pêche en Colombie‑Britannique. Certains appelants ont été trouvés en train de pêcher et d’autres en possession

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de poissons qu’ils avaient capturés. Il est admis qu’ils pêchaient pour se nourrir. Ils ne détenaient pas le permis exigé au par. 32(1) du Règlement de pêche.

Les appelants ne se fondent sur aucun titre ou droit aborigène ni sur aucun droit conféré par un traité; aucun traité n’est d’ailleurs applicable en l’espèce. Leur défense aux accusations est uniquement fondée sur la prétendue absence de compétence constitutionnelle du Parlement du Canada pour assujettir les appelants et les autres membres de leur bande à sa loi sur les pêcheries de façon à les priver du droit de pêcher pour se nourrir. Ils prétendent qu’il existait une ligne de conduite à cet effet dans la Colombie-Britannique avant son admission à titre de province du Canada en 1871 et que l’art. 13 des Conditions de l’Union a consacré cette ligne de conduite et a limité le pouvoir législatif fédéral sur les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur prévu au par. 91(12) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Les Conditions de l’Union ont été approuvées par arrêté en conseil impérial conformément à l’art. 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et, en vertu de cette disposition, cet arrêté en conseil a le même effet que s’il avait été décrété par le Parlement impérial. En conséquence, il a valeur constitutionnelle.

Voici le texte de l’art. 13:

13. Le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera constituée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférée par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

Les appelants prétendent que cet article a l’effet de conférer au Parlement le pouvoir de légiférer à

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l’égard des Indiens et des terres réservées aux Indiens; il s’agirait d’une disposition parallèle au par. 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Même si cette prétention était juste — et ce n’est pas en litige ici — rien dans l’art. 13 n’a l’effet de restreindre le pouvoir législatif fédéral en matière de pêcheries. Peu importante la ligne de conduite qui était suivie en Colombie-Britannique avant la Confédération et qui permettait aux Indiens de pêcher pour se nourrir dans les rivières ou dans d’autres eaux de l’île Vancouver comme de la Colombie‑Britannique avant que l’île en fasse partie et par la suite, cette ligne de conduite ne semble assise sur aucun fondement juridique. En outre, l’art. 13 ne contient aucune reconnaissance juridique de droits de pêche des Indiens.

L’avocat des appelants soutient que les deux alinéas de l’art. 13 doivent être interprétés séparément et que la «ligne de conduite» sur laquelle il se fonde, soit en particulier «le soin des Sauvages», n’a aucun lien avec l’expression «ce projet» à l’alinéa suivant. Je ne connais aucun principe qui étaye une telle interprétation de ce qui est un seul article selon moi. En conséquence, j’estime que la revendication de droits de pêche ne peut se fonder sur les mots «le soin des Sauvages» à l’art. 13 ni sur la suite de l’article. La preuve présentée à l’appui des droits revendiqués n’a porté que sur l’opportunité de ne pas assujettir les Indiens à la réglementation relative à la pêche dans les rivières en question et les autres eaux. En fait, pour justifier les droits revendiqués il faudrait trouver à l’art. 13 divers aspects de la ligne de conduite envers les Indiens, mais on a admis que rien ne prouvait que la ligne de conduite suivie ultérieurement n’était pas équilibrée.

Je mentionnerai un autre point important. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté les appels des condamnations au motif restreint que les appelants n’avaient pas qualité pour invoquer les Conditions de l’Union à l’appui de leur prétention qu’ils ne sont pas assujettis à la loi fédérale sur les pêcheries. Je ne suis pas d’accord avec ces vues. Toute partie peut répondre à une accusation en prétendant que celle-ci est fondée sur une loi contestable du point de vue juridictionnel ou inapplicable. En l’espèce, la défense est

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fondée sur un argument constitutionnel et les appelants avaient le droit de l’invoquer. A mon avis, contrairement à ce qu’a soutenu l’avocat de l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique, il ne s’agit pas d’un cas où les appelants tentent de se prévaloir de droits qui découlent d’une entente intergouvernementale à laquelle ils ne sont pas parties.

Vu ma conclusion sur l’art. 13, je n’estime pas nécessaire de me prononcer sur l’argument de l’intimée fondé sur la protection des pêcheries. Cependant, l’avocat des appelants a reconnu que si l’interdiction de pêcher visait la protection des pêcheries, l’interdiction s’appliquerait au droit de pêche des Indiens. A la lumière des faits, je suis enclin à penser que l’interdiction a été imposée à des fins de protection. En conséquence, même si les droits de pêche revendiqués étaient reconnus, ils auraient été assujettis à l’objectif de protection de la faune marine dans les rivières en question.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi sur le fond.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE DICKSON — La question de principe soulevée dans ce pourvoi consiste à décider si l’art. 13 des Conditions de l’Union de la Colombie-Britannique et du Canada, 1871, protège de quelque façon la pêche par les Indiens. Dans l’affirmative, il s’agit de déterminer si, en l’espèce, cet article donne une protection légale à la pêche pratiquée par les appelants. Certains des prévenus ont été accusés de pêche illégale du saumon pendant une période et en un endroit où la pêche du saumon était interdite par la loi. Les autres ont été accusés de possession illégale de saumon pendant une période et en un endroit où la pêche en était interdite par la loi. La «période» visée est septembre et octobre 1974, et l’«endroit» est la rivière Cowichan, sur l’île Vancouver en Colombie-Britannique. Les accusés sont des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens et ils sont membres inscrits de la bande indienne Cowichan. Aux termes d’une ordonnance établie par un fonctionnaire des pêcheries en vertu de l’art. 4 du Règlement de pêche de la Colombie-Britannique, édicté sous le régime de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14 et modifications, la pêche du saumon dans la

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rivière Cowichan a été interdite entre le 22 septembre 1974 et le 17 novembre 1974. Aucun des accusés ne détenait le permis exigé au par. 32(1) du Règlement de pêche. Il est admis qu’à l’époque des infractions reprochées, les prévenus accusés de pêche illégale pêchaient pour se nourrir et ceux accusés de possession illégale de saumon étaient en possession de saumon capturé pour se nourrir. Les accusés ont été déclarés coupables par le juge Heard de la Cour provinciale et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté un appel par voie d’exposé de cause.

Je précise immédiatement qu’avec égards, je ne partage pas l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle les appelants n’ont pas qualité pour invoquer l’art. 13 ou en demander l’application. La Cour d’appel a statué qu’ils n’avaient pas qualité parce que ni eux ni leurs ancêtres n’étaient parties aux ententes entre le Canada et la colonie de la Colombie‑Britannique intégrées aux Conditions de l’Union. L’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, prévoit expressément que «les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande». Les Conditions de l’Union ont été approuvées par un arrêté en conseil impérial leur donnant la même valeur constitutionnelle que si elles avaient été édictées par le Parlement impérial. Les Conditions peuvent donc assujettir l’exercice du pouvoir législatif fédéral ou provincial à certaines restrictions constitutionnelles. L’article 146 donne clairement aux Conditions de l’Union une plus grande valeur que celle d’une «entente intergouvernementale» et les appelants sont donc fondés à en invoquer l’art. 13 comme moyen de défense à l’accusation.

L’article 13 des Conditions de l’Union de la Colombie-Britannique et du Canada, 1871, dispose:

Le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

[Page 302]

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

Le premier alinéa impose deux obligations: (i) assumer le soin des Indiens et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice et (ii) continuer, après l’Union, à suivre une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie par le Gouvernement de la Colombie-Britannique avant l’Union. Le deuxième alinéa prévoit que, pour mettre ce projet à exécution, le gouvernement local cédera au gouvernement fédéral des étendues de terre ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique avait, avant l’Union, affectées à cet objet. L’expression «ligne de conduite» au premier alinéa vise à mon avis, une ligne de conduite générale relative aux Indiens et aux terres réservées à leur usage. L’expression «ce projet» au deuxième alinéa vise la même ligne de conduite et son application en ce qui concerne les terres. Le texte de l’art. 13 ne laisse aucunement entendre que la «ligne de conduite» mentionnée au premier alinéa vise uniquement les terres destinées aux réserves indiennes. En réalité, l’économie de l’article semble plutôt indiquer le contraire. J’estime en outre qu’en cas d’ambiguïté, l’article doit être interprété de façon à permettre aux Indiens de bénéficier plutôt que d’être privé des largesses dont pouvait faire preuve la ligne de conduite suivie par le gouvernement de la Colombie-Britannique avant l’Union.

La pièce 14 produite en l’espèce est intitulée [TRADUCTION] «Rapport du Gouvernement de la Colombie-Britannique sur les terres des Indiens»; il s’agit d’un rapport présenté par l’honorable George A. Walkem, le 17 août 1875, alors qu’il était procureur général de cette province. D’après les documents parlementaires de la Colombie-Britannique de 1876 — dans lesquels le rapport est publié — il a été approuvé par le Conseil exécutif et le lieutenant‑gouverneur:

[Page 303]

[TRADUCTION] Le comité du Conseil accepte les déclarations et recommandations contenues dans le mémoire de l’honorable procureur général sur les Affaires indiennes en date du 17 août 1875, et est d’avis qu’il soit adopté comme l’expression de l’opinion du présent Gouvernement quant à la meilleure façon de régler le problème des terres des Indiens.

Le procureur général voit à l’art. 13 [TRADUCTION] «quatre conditions distinctes»:

[TRADUCTION] Premièrement — Que le Canada assume le soin des Indiens et la garde et l’administration de leurs terres;

Deuxièmement — Qu’au sujet des aborigènes, le Gouvernement fédéral continue une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie (avant la Confédération) par le Gouvernement colonial de la Colombie-Britannique;

Troisièmement — Qu’après la Confédération, cette province cède au fédéral, au nom et pour le bénéfice des Indiens, des étendues de terre ayant la superficie de celles que la Colombie-Britannique avait réservées pour leur usage sous le régime impérial;

Quatrièmement — Que tout désaccord entre les deux gouvernements au sujet de l’étendue de ces terres soit tranché par le Secrétaire d’État pour les Colonies.

Aux fins de ce pourvoi, la description par Walkem de la portée de la «ligne de conduite» est intéressante:

[TRADUCTION] L’article 13 est fondé sur ces quatre conditions distinctes. Est-il besoin de préciser qu’il existe une nette différence entre une intention déclarée d’établir une ligne de conduite générale et une entente de fournir une aide destinée à «mettre ce projet a exécution»…

L’analyse des questions suivantes démontre l’importance de cette distinction. Même si, en ce qui a trait aux deux gouvernements, la véritable question consiste à déterminer quelle aide relative aux terres le Gouvernement de la Colombie-Britannique s’est engagé à fournir pour permettre au fédéral de mettre à exécution sa ligne de conduite relative aux Indiens, il paraît absolument nécessaire d’exposer sommairement la ligne de conduite relative aux Indiens suivie par la colonie de la Couronne afin de dissiper l’impression inexacte qu’a laissée au public la publication du rapport du ministre de l’Intérieur …

La ligne de conduite du fédéral vise le regroupement des Indiens sur des réserves alors que la politique suivie par la colonie de la Couronne était plutôt à l’inverse même si des réserves étaient octroyées aux Indiens lorsqu’ils le préféraient… (Les italiques sont de moi.)

[Page 304]

Puis, avant d’aborder la question des réserves, le procureur général décrit en détail la politique d’assimilation suivie par l’ancienne colonie de la Couronne.

L’article 13 est de toute évidence apparenté au par. 24 de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en ce qu’il transfère au Parlement le pouvoir de légiférer à l’égard des Indiens et des terres réservées à leur usage. Mais cette fonction est accomplie par la première des «quatre conditions distinctes». On ne peut simplement oublier la condition suivante pour sauter aux deux conditions du deuxième alinéa relatives à l’aspect de la ligne de conduite qui vise les réserves. Le deuxième alinéa est clairement subordonné au premier quant au transfert de compétence et à l’énoncé d’une norme générale relative à la ligne de conduite fédérale ayant trait aux Indiens de la Colombie-Britannique. Comme je l’ai déjà souligné, une norme semblable à la pratique suivie par la colonie de la Couronne s’applique à la cession d’étendues de terre destinées aux réserves.

Comme simple question d’interprétation de la loi, l’expression «ligne de conduite» dans le premier alinéa de l’art. 13 renvoie à la première condition de l’article, soit «le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice» et non simplement aux «étendues de terre» destinées aux réserves. Le rapport de Walkem au Conseil exécutif de la Colombie-Britannique appuie cette interprétation. Je conclus donc, en ce qui concerne l’interprétation de la loi et la preuve historique, que l’expression «ligne de conduite» dans l’art. 13 va plus loin que la simple question des réserves dont traite le deuxième alinéa.

Il s’agit ensuite de déterminer si les activités de pêche des Indiens sont visées par la «ligne de conduite» mentionnée au premier alinéa de l’art. 13 et, si c’est le cas, le contenu de la ligne de conduite suivie par la colonie avant la Confédération. A cette fin, c’est une erreur de s’en remettre à la ligne de conduite suivie après la Confédération. Le présent pourvoi porte sur l’application de la norme minimale de la ligne de conduite avant la Confédération au gouvernement fédéral après la Confédération. Comme le disent les appelants dans

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leur factum — et une abondante preuve historique appuie cet argument — [TRADUCTION] «Étant donné les lignes de conduite limitées et peu généreuses du gouvernement de la Colombie-Britannique avant la Confédération, cette norme ne pourra que rarement être invoquée contre le gouvernement fédéral. Il se peut qu’elle ne puisse être invoquée dans aucun autre domaine que celui des pêcheries».

En première instance, le juge Heard de la Cour provinciale a conclu à l’existence dans la Colonie d’une ligne de conduite relative aux activités de pêche des Indiens qu’il a décrite en ces termes:

[TRADUCTION] Avant 1871, on suivait une ligne de conduite de non-ingérence au sujet des droits de pêche des Indiens (si effectivement ils avaient des droits). Les traités conclus avec les autres Indiens les autorisaient à chasser sur les terres inoccupées et à poursuivre leurs activités de pêche comme auparavant. Il est clair que c’était la ligne de conduite suivie avant l’Union en 1871 dans la colonie de la Colombie-Britannique et tout territoire qui fait maintenant partie de la province de la Colombie-Britannique.

Le juge Heard a précisé le raisonnement sous-jacent à la ligne de conduite de non-ingérence:

[TRADUCTION] Même si la ligne de conduite en vigueur au cours de la période qui nous intéresse était de ne pas régir la pêche par les Indiens, cette ligne de conduite était fondée sur l’hypothèse que le poisson était une ressource inépuisable et que, vu qu’il était à la base du régime alimentaire des Indiens, il valait mieux ne pas limiter la pêche par eux afin de prévenir toute hostilité pendant le peuplement progressif des terres par les non-Indiens.

Il s’agit là d’une interprétation exacte de là preuve historique produite par des experts et je ne vois aucune raison de modifier les conclusions du juge de première instance sur ce point.

Selon le témoin Ralston, professeur d’histoire à l’Université de la Colombie-Britannique, [TRADUCTION] «il existait une ligne de conduite précise au sujet de la pêche par les Indiens et elle a été incluse dans le texte des traités signés par divers groupes d’Indiens et la Hudson’s Bay Company qui agissait au nom de la colonie». Dans le cas des Indiens Cowichan, aucun traité n’a été conclu vu les difficultés financières éprouvées par la colonie

[Page 306]

de l’île Vancouver à compter de la fin de la concession de la Hudson’s Bay Company en 1859 jusqu’à l’annexion de la colonie insulaire à la colonie continentale de la Colombie-Britannique en 1866. Le professeur Ralston a décrit comme suit la ligne de conduite générale suivie par l’île Vancouver, même en l’absence de traités:

[TRADUCTION] Oui, la ligne de conduite suivie sur l’île Vancouver a toujours visé à encourager la pêche par les Indiens. Voyez-vous les Blancs et les Indiens étaient en concurrence pour occuper des terres agricoles. Mais, si Ton voulait mettre des Indiens dans une réserve, il ne fallait pas qu’ils vivent des fonds publics, on s’attendait qu’ils allaient plutôt continuer à vivre de chasse et de pêche et, dans le cas précis des Indiens Cowichan, de pêche.

L’anthropologue Barbara Lane a exposé avec plus de détails la ligne de conduite coloniale:

[TRADUCTION] A l’époque coloniale, particulièrement dans le cas de la vallée Cowichan, les colons voulaient faire de l’agriculture et les Indiens jouaient un rôle dans l’économie locale, si l’on peut dire, en ce sens qu’ils approvisionnaient les colons en poisson pendant que ces derniers défrichaient les terres et les cultivaient. La ligne de conduite suivie visait à encourager les Indiens à pêcher non seulement pour eux‑mêmes de façon à ne pas vivre des fonds publics, mais également pour la population non indienne; en outre, à l’époque de la Hudson’s Bay, cette dernière comptait beaucoup sur les pêcheurs indiens pour approvisionner tous les forts du territoire qu’on appelle maintenant la Colombie-Britannique, et le saumon fumé constituait la principale denrée consommée dans tous les forts et ce sont les pêcheurs indiens qui le capturaient et, dans certains cas, le fumaient.

Les pièces produites en l’espèce étayent fortement ces opinions. La pièce 10 est un extrait d’une lettre du 14 mars 1859 du gouverneur Douglas de l’île Vancouver au Secrétaire pour les colonies où il préconise une façon de réunir des fonds pour les Indiens en louant des terres des Indiens:

[TRADUCTION] Le soin des Indiens deviendra donc chose facile, partout où les terres ont de la valeur, et dans les endroits où la population blanche est clairsemée et où les terres sont stériles, les Indiens pourront quasiment être laissés à eux-mêmes et, tout en gagnant leur vie, poursuivre en paix leur activité préférée de pêche et de chasse.

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La pièce 13 est un mémoire soumis au Cabinet fédéral par David Laird, alors ministre de l’Intérieur et ministre responsable des Affaires indiennes; ce mémoire fut adopté par le gouverneur général en conseil le 24 avril 1874. La cinquième recommandation se lit comme suit:

[TRADUCTION] Cinquièmement, il faudrait bien veiller à ne pas déposséder les Indiens, particulièrement ceux de la côte ouest, de leurs territoires de pêche traditionnels et plutôt les leur réserver avant que les colons ne s’installent dans les régions environnantes.

Vu l’entente générale entre les gouvernements respectifs relativement aux activités de pêche des Indiens et compte tenu du débat qui se poursuit au sujet des terres à être réservées aux Indiens en vertu de l’art. 13, il semble difficile sinon impossible de prétendre que l’on n’a pas considéré que la pêche par les Indiens faisait partie de la «ligne de conduite» mentionnée au premier alinéa de l’art. 13.

Si d’autres preuves sont nécessaires, le professeur Lane a souligné, en se référant aux quatre petites réserves le long de la rivière Cowichan (déclarées en 1867), que [TRADUCTION] «d’après le tableau de la réserve Cowichan publié dans le rapport de la Commission royale McKenna — McBride en 1916, les mêmes réserves Cowichan sont des postes de pêche». Selon le professeur Lane, avant 1871 les Indiens et les Blancs n’étaient pas en concurrence pour pêcher dans la région de la rivière Cowichan et cet énoncé s’accorde avec les déclarations provinciales et fédérales sur une ligne de conduite propre à encourager les Indiens à pêcher dans ces régions. Et finalement, je cite cet échange entre le professeur Lane et l’avocat du procureur général de la Colombie-Britannique:

[TRADUCTION] Q. Professeur Lane, vous avez mentionné la création de réserves le long de la rivière; sont-ce bien les petits points rouges sur la carte?

R. Oui.

Q. Et ces réserves correspondent aux emplacements où les Indiens pratiquent traditionnellement la pêche selon leurs méthodes propres?

R. Oui.

[Page 308]

Q. Diriez-vous que ces réserves ont été créées afin de protéger ces méthodes de pêche en ces endroits précis?

R. Oui, même si les Indiens n’étaient pas confinés dans ces endroits.

Q. On ne leur interdisait pas de pêcher ailleurs mais la pêche en ces endroits était néanmoins protégée?

R. Oui.

Q. La pêche selon les méthodes traditionnelles?

R. Oui.

Q. C’est ainsi que vous interprétez la création de ces petites réserves le long de la rivière Cowichan?

Q. Oui.

Puis le témoin a souligné que les quatre endroits étaient des emplacements de barrages.

Il est donc évident que les activités de pêche des Indiens étaient un élément essentiel du «soin des Sauvages» et de «la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice». Il est extrêmement difficile de séparer les activités de pêche soit des Indiens soit des terres réservées aux Indiens. Dans ce dernier cas, les terres devaient être réservées aux Indiens afin de leur permettre de continuer à pêcher aux endroits habituels sur la rivière. Dans le premier cas, les Indiens devaient être encouragés à pêcher, non seulement pour eux-mêmes mais pour les colons blancs, afin d’éviter que les Indiens ne deviennent un fardeau financier pour la colonie. Peu importe de quelle façon on envisage la «ligne de conduite» suivie avant la Confédération, il est indéniable qu’elle contient certains éléments d’une ligne de conduite sur les activités de pêche des Indiens.

Ayant donc établi comme premier point, que la pêche par les Indiens faisait partie de la ligne de conduite suivie avant la Confédération, le contenu précis de cette ligne de conduite reste à déterminer. Au départ, les éléments pertinents suivants ressortent:

(1) Avant 1871, il n’existait aucune réglementation appréciable de la pêche pour les Indiens ou pour les Blancs.

(2) Les pêcheurs indiens étaient autorisés et encouragés à pêcher pour se nourrir.

[Page 309]

(3) En outre, les autorités coloniales encourageaient les Indiens à pêcher pour nourrir les colons blancs qui consacraient toutes leurs énergies à l’agriculture.

(4) En 1871, il n’y avait pas de pêche commerciale d’envergure.

(5) La pêche sportive n’était pas encore un passe-temps important pour les Blancs de la région.

Le juge Heard de première instance avait parfaitement raison de dire que l’absence de réglementation «était fondée sur l’hypothèse que le poisson était une ressource inépuisable». Voici comment il a expliqué le peu de réglementation sur la pêche et la chasse par la colonie de l’île Vancouver avant la Confédération. En 1859, une loi intitulée [TRADUCTION] «Loi sur la protection du gibier» fut adoptée; elle ne contenait aucune disposition relative au poisson mais visait uniquement [TRADUCTION] «tout animal de la famille du cerf … ou tout canard, sarcelle, oie, bécasse ou bécassine … ou tout lagopède blanc ou caille … ou tout tétra sombre». Le juge Heard a analysé une modification de cette loi qui visait la pêche (un document qui n’a malheureusement pas été produit comme pièce):

[TRADUCTION] Une modification de la loi, en date du 5 septembre 1862, régit la façon de pêcher «à Victoria Arm, au nord de Point Ellis, et dans tout lac, étang ou eau stagnante de la colonie.»

Cela indique clairement que rassemblée considérait qu’elle avait le pouvoir de réglementer la pêche dans la colonie.

A l’exception de la modification apportée en 1862 à la loi adoptée en 1859, aucun règlement de pêche n’était en vigueur sur l’île Vancouver.

Ce n’est que le 1er juillet 1876 que la loi fédérale, la Loi sur les pêcheries, est entrée en vigueur en Colombie-Britannique. Le premier [TRADUCTION] Règlement de pêche du saumon de la Colombie-Britannique a été adopté en 1878 et la portée en était très limitée. C’est en 1888 que les Indiens ont été mentionnés pour la première fois dans le Règlement et l’article 1 relatif à la pêche au saumon dispose:

[TRADUCTION] Dans toutes les eaux de la Colombie-Britannique, il est interdit de pêcher au filet ou autre-

[Page 310]

ment sans permis ou licence du ministre de la Marine et des Pêcheries.

Cependant les Indiens ont, en tout temps, le droit de pêcher pour leur alimentation, mais non pour fins de vente, de troc ou de trafic, par tout moyen sauf le filet dérivant ou le harpon.

La modification suivante du Règlement, décrétée en 1900, apporte beaucoup plus de précision à ce qu’on pourrait appeler l’«exception pour les Indiens». C’est dans le texte de 1917 que l’on trouve la première disposition complète sur le contrôle de la pêche par les Indiens, une disposition plus ou moins indentique à l’actuel art. 32 du Règlement de la pêche de la Colombie-Britannique. Elle autorisait un Indien qui détenait un permis de l’inspecteur en chef des pêcheries à pêcher aux seules fins de son alimentation et celle de sa famille. L’inspecteur avait le pouvoir d’établir à quels endroits, par quels moyens et pendant quelle période un Indien pouvait capturer du poisson.

Comme l’a expliqué le professeur Ralston, le Règlement de 1888 est entré en vigueur en un temps où la pêche commerciale prenait de l’ampleur et à la veille de l’essor considérable qu’elle allait connaître en Colombie-Britannique. Le professeur Lane a décrit l’évolution de la pêche commerciale et sportive dans la région de Cowichan au tournant du siècle et à expliqué les conflits qu’elle a suscités entre les Indiens d’une part et les adeptes de la pêche sportive et les pêcheurs commerciaux d’autre part. Face à la popularité de la pêche commerciale puis de la pêche sportive, la réglementation fédérale est, avec le temps, devenue de plus en plus sévère à l’égard des Indiens. On a assisté à l’assujettissement croissant de la pêche par les Indiens au contrôle réglementaire. Cela a commencé par la réglementation de l’usage de filets dérivants qui a été suivie d’une restriction du droit de pêche à des fins d’alimentation, puis de l’obligation d’obtenir un permis de l’inspecteur et enfin, en 1917, du pouvoir de réglementer même la pêche à des fins d’alimentation au moyen de conditions spécifiées dans le permis.

Il me semble évident, à la lumière des témoignages des experts et de la preuve documentaire, que la «ligne de conduite» du gouvernement colonial

[Page 311]

était fondée sur deux éléments décisifs qui ont subi d’importants changements. Premièrement, la pêche commerciale et sportive était quasi inexistante en 1871. Deuxièmement, à l’époque, la pêche était généralement considérée comme une ressource inépuisable même si l’on connaissait bien les variations dans les remontes annuelles de saumon. Il est manifeste que durant les années qui ont précédé la Confédération, les pêcheurs indiens ont été encouragés à poursuivre leur activité non seulement pour se nourrir mais aussi pour le troc.

En conséquence, dans quelle mesure l’art. 13 des Conditions de l’Union protège-t-il la pêche par les Indiens? A tout le moins, on peut certainement dire qu’«une ligne de conduite aussi libérale» interdit toute discrimination à l’égard de la pêche par les Indiens, par opposition à la pêche commerciale ou sportive. On peut aussi aller plus loin — la colonie accordait la priorité à la pêche par les Indiens des régions côtières parce qu’elle leur permettait d’abord de se nourrir et, à un degré moindre, de faire du troc avec les Blancs. En conséquence, face à l’évolution de la pêche commerciale et sportive, il est permis de penser qu’on entendait par l’expression «une ligne de conduite aussi libérale», accorder la première priorité à la pêche par les Indiens à des fins d’alimentation et une certaine priorité à une pêche commerciale restreinte, partagée entre la pêche commerciale et sportive. Finalement, il est clair que les mesures destinées à la protection des ressources — totalement absentes des textes réglementaires avant 1871 — priment sur tout genre de pêche, qu’il s’agisse de la pêche par les Indiens, de pêche commerciale ou sportive. Selon le professeur Lane et Joseph Elliott, un membre âgé de la bande Cowichan, il appert que les Indiens observaient, de leur propre initiative, certaines règles en vue de la protection des pêcheries.

En conséquence, cette «ligne de conduite» en vigueur avant la Confédération assure-t-elle à la pêche par les Indiens une protection quelconque en l’absence d’une loi, d’un traité ou d’un autre texte officiel qui reconnaît la protection revendiquée? En réponse à cette question, j’estime que la négation de toute protection résulte d’une interprétation erronée de l’art. 13. La «ligne de conduite» ne se situe pas dans le vide. L’article 13 ne parle pas

[Page 312]

des «droits de pêche des Indiens» mais uniquement d’«une ligne de conduite aussi libérale». La mention de la «ligne de conduite» dans l’art. 13 fixe des limites au pouvoir législatif fédéral relativement à la pêche par les Indiens et établit une norme que la législation fédérale doit respecter. En l’espèce, les appelants n’ont pas à fonder de «droits» à l’art. 13, soit sur un titre aborigène ou un traité. Il leur suffit d’établir la ligne de conduite suivie par le gouvernement colonial avant la Confédération.

L’article 13 assujettit l’exercice des pouvoirs fédéraux à une restriction en ce qui concerne les Indiens; il oblige le gouvernement fédéral à poursuivre «une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique». Le texte de cette restriction est impératif — cette ligne de conduite «sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union». Il serait étrange que cette norme insérée dans l’art. 13 ne soit rien de plus qu’une «ligne de conduite» au sens d’énoncé opportuniste, susceptible d’être modifié unilatéralement par le gouvernement fédéral. Concevoir la restriction de cette façon lui enlèverait tout effet constitutionnel. La «ligne de conduite» peut être difficile à interpréter et la preuve historique peut être fragmentaire mais ce n’est pas une raison d’enlever tout effet à la disposition.

L’argumentation des appelants n’est pas fondée sur un «droit» qui découle d’un traité ni sur un titre aborigène qui peut être invoqué contre la loi fédérale, elle repose plutôt sur une restriction constitutionnelle du pouvoir même du fédéral de légiférer à l’égard des Indiens de la Colombie-Britannique, une restriction imposée au gouvernement fédéral par les Conditions de l’Union.

L’article 13 des Conditions de l’Union n’exige pas que le gouvernement fédéral suive «la même ligne de conduite que celle suivie jusqu’ici» mais seulement «une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici». Cela n’introduit pas seulement un élément de flexibilité mais oblige également les tribunaux à équilibrer la ligne de conduite en vigueur avant la Confédération avec les contraintes actuelles. Aux fins de l’évaluation du caractère libéral de la ligne de conduite suivie

[Page 313]

après la Confédération, il faut à la fois tenir compte d’une contrainte justifiée par le besoin de protection à cause de la diminution des bancs de poisson et le développement de la pêche commerciale et sportive après 1871. L’article 13 n’enlève pas tout pouvoir réglementaire au gouvernement fédéral et n’accorde pas à la pêche par les Indiens une priorité absolue.

La protection des ressources constitue une considération législative valide. Les appelants l’admettent. Ce qui les préoccupe c’est plutôt la répartition des ressources après la détermination et l’application des mesures de protection raisonnables et nécessaires. Ils ne réclament pas le droit de pêcher jusqu’au dernier saumon. Ils préconisent plutôt, me semble‑t-il, l’ordre de priorité suivant: (i) la protection de la ressource; (ii) la pêche par les Indiens; (iii) la pêche commerciale par les non-Indiens; ou (iv) la pêche sportive par les non‑Indiens; les Indiens ne devraient pas subir en premier lieu le fardeau des mesures de protection.

J’accepte cet argument dans ses grandes lignes. L’article 13 exige qu’une protection distincte soit accordée à la pêche par les Indiens parce que la ligne de conduite suivie avant la Confédération accordait priorité aux Indiens en ce domaine. Cette priorité se comprend pleinement lorsque les Indiens pêchent pour se nourrir mais s’explique moins bien lorsqu’il s’agit de pêche à des fins de commerce local. Si la pêche au saumon doit être limitée, les restrictions imposées ne doivent pas être plus lourdes pour la pêche faite par les Indiens que pour les autres genres de pêche. En ce qui concerne la pêche du saumon, les pêcheurs indiens doivent avoir priorité, sous réserve des difficultés pratiques relatives aux eaux internationales et aux déplacements du poisson. Mais toute restriction à la pêche par les Indiens établie conformément à un objectif valide de protection des ressources l’emporte sur la protection de la pêche par les Indiens prévue à l’art. 13, au même titre que ces mesures de protection l’emportent sur les autres genres de pêche.

Malheureusement pour les appelants, les faits de l’espèce n’entrent pas dans le cadre de l’art. 13, selon leur propre description de ce qu’il implique. En 1974, la remonte du saumon dans la baie

[Page 314]

Cowichan s’est produite plus tard que la date usuelle, la mi-août. En fait, la remonte du saumon s’est avérée bien inférieure à la moyenne, environ la moitié de la remonte normale pour la Cowichan, selon les données dont disposaient à l’époque les fonctionnaires des pêcheries. Au même moment, on a atteint ou presque un record de sécheresse et, en conséquence, le niveau de l’eau de la rivière Cowichan était bas. Les fonctionnaires ont d’abord interdit la pêche sportive dans une partie de la baie Cowichan par une ordonnance entrée en vigueur le 27 août. Puis, le 22 septembre 1974, ils ont interdit toute pêche dans la rivière. Ces interdictions ont été levées le 17 novembre 1974. Dans les circonstances, il me semble difficile d’imaginer par quelle autre méthode la protection de la ressource aurait pu être assurée tout en accordant la priorité nécessaire à la pêche par les Indiens.

Cela dit, je rejetterais néanmoins la prétention suivante de l’intimée:

[TRADUCTION] Le règlement et l’ordonnance de fermeture s’appliquent à tous et visent à conserver une quantité raisonnable de poisson …

Les décisions dans ce domaine sont prises par l’autorité législative compétente et leur opportunité n’est pas susceptible de révision par les cours.

Vu le caractère constitutionnel de l’art. 13, on ne peut retenir la prétention que les mesures prises par les fonctionnaires des pêcheries sont à l’abri du contrôle judiciaire. Une simple ordonnance de fermeture rendue par un fonctionnaire des pêcheries de la Colombie‑Britannique en vertu de l’art. 4 du Règlement peut clairement indiquer qu’elle est faite à des fins de protection des ressources, mais elle n’est pas concluante sur la question de la protection de la pêche par les Indiens. Les fonctionnaires des pêcheries devraient bénéficier d’une grande liberté d’action pour décider quand ordonner une fermeture à des fins de protection et comment l’appliquer. Mais cela ne met pas pour autant ces mesures à l’abri d’un contrôle judiciaire fondé sur la compétence constitutionnelle.

En cas de contestation, il s’agira, en révision, de déterminer si les mesures de protection prises par les autorités responsables des pêcheries étaient raisonnables et nécessaires et si on a fait des efforts

[Page 315]

en vue d’accorder la priorité à la pêche par les Indiens, compte tenu des contingences pratiques de la gestion moderne des pêcheries.

Vu les faits de l’espèce et particulièrement le témoignage de M. Armstrong, fonctionnaire supérieur des pêcheries, il me semble que les fonctionnaires des pêcheries ont établi que l’interdiction de pêcher dans la rivière était raisonnable et nécessaire à des fins de protection des ressources et ne va pas à l’encontre de la priorité accordée à la pêche par les Indiens par l’art. 13 des Conditions de l’Union.

En définitive, je suis d’avis de rejeter les pourvois.

Pourvois rejetés.

Procureur des appelants: Douglas Sanders, Victoria.

Procureur de l’intimée: Roger Tassé, Ottawa.

Procureur du Procureur-général de la Colombie-Britannique: R.M.J. Hutchinson, Victoria.


Parties
Demandeurs : Jack et autres
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Jack et autres c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294 (18 juillet 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-07-18;.1980..1.r.c.s..294 ?
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