Cour suprême du Canada
Ernewein c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 R.C.S. 639
Date: 1979-12-13
Zofia Janina Ernewein Appelante;
et
Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration Intimé.
1979: 14 juin; 1979: 13 décembre.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
APPELANTE
Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration
INTIMÉ
La déclaration de l’appelante en date du 23 août 1977, produite conformément au paragraphe 11(2) de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration a été examinée le 30 août 1977, et, lecture faite des arguments produits;
LA COMMISSION STATUE que l’appel interjeté d’une ordonnance d’expulsion rendue contre l’appelante le 18 août 1977, n’est pas autorisé.
ET ORDONNE DE PLUS l’exécution aussi prompte que possible de l’ordonnance d’expulsion.
Décision prononcée ce 30 août 1977
(Signé) W.J. Hartley
Registraire
L’appelante a alors demandé à la Cour d’appel fédérale un ordre accordant l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Commission d’appel de l’immigration et, le 2 novembre 1977, l’ordre suivant a été rendu sans motifs oraux ou écrits:
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ORDONNANCE
Le juge en chef Jackett Le 2 novembre 1977
Le juge Pratte
Le juge Heald
La demande d’autorisation d’interjeter appel est rejetée.
L.P. j. W.R. Jackett
D.V.H.
Une formation de trois juges de cette Cour a accordé l’autorisation d’interjeter appel de cet ordre le 20 décembre 1977.
Il faut d’abord faire remarquer que l’appelante a revendiqué le statut de réfugiée conformément à des modifications à la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration (S.R.C. 1970, chap. I-3, «la Loi») apportées par la Loi de 1973, 21-22 Eliz. II, chap. 27, art. 1 et 5. (La Loi sur l’immigration de 1976 (25-26 Eliz. II, chap. 52), quoique sanctionnée le 5 août 1977, n’a été proclamée en vigueur que le 10 avril 1978.)
La première modification mentionnée a ajouté à l’art. 2 de la Loi la définition suivante:
«Convention» désigne la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et comprend tout protocole à cette Convention que le Canada a ratifié ou auquel il a adhéré;
L’autre modification a remplacé l’art. 11 par un nouvel article dont voici les parties pertinentes:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une personne frappée d’une ordonnance d’expulsion, en vertu de la Loi sur l’immigration, peut, en se fondant sur un motif d’appel qui implique une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la Commission, si au moment où l’ordonnance d’expulsion est prononcée contre elle, elle est
…
…
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la Convention; ou
(2) Lorsqu’un appel est interjeté devant la Commission conformément au paragraphe (1) et que le droit d’appel se fonde sur l’une des prétentions visées par les alinéas (1)c) ou d), l’avis d’appel présenté à la Commission doit contenir une déclaration sous serment énonçant
a) la nature de la prétention;
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b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels se fonde la prétention;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et de la preuve que l’appelant entend présenter à l’appui de la prétention lors de l’audience de l’appel; et
d) tout autre exposé que l’appelant estime pertinent en ce qui concerne la prétention.
(3) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, lorsque la Commission reçoit un avis d’appel et que l’appel se fonde sur une prétention visée par les alinéas (1)c) ou d), un groupe de membres de la Commission formant quorum doit immédiatement examiner la déclaration mentionnée au paragraphe (2). Si, se fondant sur cet examen, la Commission estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le bien-fondé de la prétention pourrait être établi s’il y avait audition de l’appel, elle doit permettre que l’appel suive son cours; sinon, elle doit refuser cette autorisation et ordonner immédiatement, l’exécution aussi prompte que possible de l’ordonnance d’expulsion.
On voit que, par renvoi dans une loi du Parlement, les dispositions de la Convention ont été adoptées et incorporées au droit canadien. Dans Hurt c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’immigration[5], le juge Heald, rendant l’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale a dit à propos d’un autre citoyen polonais réclamant le statut de réfugié:
La convention et le protocole des Nations Unies définissent ainsi le terme «réfugié»:
le terme «réfugié» s’appliquera à toute personne… craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays… (C’est moi qui souligne.) (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés HCR/INF/29/ Rev. 2, Chapitre 1, article 1, paragraphe A2).)
Dans cette affaire-là, il ressortait des motifs rendus par la Commission que l’immigrant s’était vu refuser le statut de réfugié parce qu’il avait résidé plusieurs années en Allemagne de l’Ouest d’où il était venu au Canada via les États-Unis et qu’en conséquence il n’était pas un réfugié de l’Allemagne de l’Ouest. La Cour d’appel fédérale a
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statué qu’en rendant cette décision la Commission s’était posée la mauvaise question parce que l’appelant prétendait être un réfugié polonais. La décision a été annulée et l’affaire renvoyée aux fins d’une nouvelle décision.
En l’espèce, l’appelante n’a reçu aucune indication des motifs pour lesquels sa revendication du statut de réfugiée a été rejetée et, à mon avis, cela soulève une très grave question. La Commission d’appel de l’immigration n’est pas un organisme administratif, mais une «cour d’archives» (art. 7, maintenant art. 65). Elle doit donc être soumise à la règle qu’il ne suffit pas que justice soit rendue, il doit être manifeste qu’elle est rendue. C’est aussi un principe bien établi que la règle audi alteram partem est une règle de justice naturelle que la common law a adoptée si fermement qu’elle s’applique à tous ceux qui remplissent des fonctions de nature judiciaire et ne peut être exclue que de façon expresse. Voir: L’Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal c. La Commission des relations de travail[6] où le juge en chef Rinfret a dit à la p. 154:
Le principe que nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu, et surtout sans avoir même reçu avis que ses droits seraient mis en jeu est d’une équité universelle et ce n’est pas le silence de la loi qui devrait être invoqué pour en priver quelqu’un. A mon avis, il ne faudrait rien moins qu’une déclaration expresse du législateur pour mettre de côté cette exigence qui s’applique à tous les tribunaux et à tous les corps appelés à rendre une décision qui aurait pour effet d’annuler un droit possédé par un individu.
Dans Komo Construction Inc. c. La Commission des relations de travail[7], cette Cour a confirmé une décision rendue sans qu’il y ait eu d’audition lorsque les parties avaient eu l’occasion de présenter une plaidoirie écrite et la Commission avait rendu des motifs. C’est là une situation fort différente de celle soumise en l’espèce où il n’y a pas eu d’audition et où aucun motif n’a été rendu. Dans MacDonald c. La Reine[8], cette Cour a confirmé une déclaration de culpabilité prononcée par une Cour martiale spéciale bien qu’aucun motif n’ait
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été donné, mais une audition avait eu lieu. Je ne connais aucun cas où une décision judiciaire a été confirmée lorsqu’il n’y avait pas eu d’audition ni aucun motif donné, de sorte que rien n’indique sur quoi elle se fonde. Il peut en être autrement lorsque la décision est purement discrétionnaire comme l’autorisation d’appel, mais la décision de la Commission en l’espèce statue sur le droit de l’appelante au statut de réfugiée, une question de droit en vertu de la loi et de la Convention, non une question discrétionnaire. Dans Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Hardayal[9], cette Cour a admis que lorsque la loi prévoit la délivrance d’un certificat spécial par décision administrative, celle-ci est définitive et exclut la règle audi alteram partem, mais ce n’est pas le cas à l’égard d’une décision portant sur le statut de réfugié. Celle-ci a été confiée à une commission qui est une «cour» et doit agir de façon judiciaire comme il ressort de l’arrêt Leiba c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[10].
Je suis, bien sûr, conscient que la validité du «jugement» de la Commission d’appel de l’immigration n’est pas directement en cause devant cette Cour et que la décision contestée devant nous est l’ordre de la Cour d’appel fédérale qui refuse l’autorisation d’interjeter appel. Je suis cependant d’avis que pour bien saisir ce qui est en jeu en l’espèce, il est nécessaire de tenir pleinement compte du résultat ultime, que le Canada ayant confié à une cour spéciale la décision sur toute réclamation du statut de réfugié, la décision a été rendue en l’espèce sans la moindre apparence d’application régulière de la loi. Elle ne comporte aucun motif, il n’y a pas eu d’audition, ni d’énoncé des objections du ministre, s’il en est, à la revendication par l’appelante du statut de réfugiée. En Cour d’appel fédérale, il semble que celle-ci a indiqué à l’audience qu’elle se conformait à ses précédents établis en refusant l’autorisation en pareil cas.
Un arrêt important cité à l’audition est Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration
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c. Fuentes[11]. La Cour d’appel fédérale y a infirmé, sur appel interjeté par le Ministre, une décision de la Commission d’appel de l’immigration que le juge Pratte, au nom de la Cour, a résumé ainsi (aux pp. 336-337):
Les motifs de la décision de la Commission révèlent que, de la preuve offerte lors des audiences qu’elle avait tenues, la Commission a d’abord conclu que l’intimé était bien «un réfugié que protège la Convention». Comme, suivant la Convention (telle que l’a interprétée la Commission), l’intimé ne pouvait être expulsé du Canada, la Commission a aussi conclu que l’ordonnance d’expulsion prononcée contre l’intimé était invalide et, en conséquence, elle a admis l’appel.
Voici le motif pour lequel l’appel a été accueilli et l’affaire renvoyée à la Commission (aux pp. 337 et 338):
«La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés» n’est mentionnée qu’une fois dans la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration; c’est dans la définition du mot «Convention» que donne l’article 2. Cette définition n’a d’autre but que de préciser le sens de l’expression «réfugié que protège la Convention» qui est employée à l’article 11(1)c) et à l’article 15(1)b). L’article 11(1)c), je l’ai déjà dit, accorde un droit d’appel, sous certaines conditions, à celui qui prétend être «un réfugié que protège la Convention». Quant à l’article 15(1)b), il donne le pouvoir à la Commission, dans le cas où elle rejette un appel d’une ordonnance d’expulsion, de casser cette ordonnance ou d’ordonner qu’il soit sursis à son exécution s’il existe des motifs raisonnables de croire «que la personne intéressée est un réfugié que protège la Convention». Cela étant, il m’apparaît que, en appliquant la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, la Commission peut référer à la Convention relative au statut des réfugiés dans deux buts seulement, savoir
1. pour déterminer si, suivant l’article 11 une personne dont l’expulsion a été ordonnée bénéficie d’un droit d’appel à la Commission,
2. pour déterminer si il y a lieu pour la Commission d’accorder un redressement spécial en vertu de l’article 15(1).
Le fait que la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration fasse mention de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés n’a donc pas pour effet d’incorporer au droit interne canadien l’interdiction que contient cette Convention de déporter des réfugiés. En conséquence, une ordonnance d’expul-
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sion n’est pas invalide du seul fait qu’elle a été prononcée contre un réfugié que protège la Convention.
J’ai de sérieuses réserves à faire au sujet de cet arrêt qui a pour effet de nier aux réfugiés les droits prévus à la Convention et d’y substituer le pouvoir discrétionnaire de la Commission. Avec égards, il est évident qu’en statuant dans ce sens la Cour d’appel a oublié le principe important énoncé comme suit par lord Diplock dans Post Office v. Estuary Radio Ltd.[12] (à la p. 757):
[TRADUCTION] …il y a une présomption que le gouvernement n’a pas l’intention de violer un traité international (voir Salomon v. Commissioners of Customs and Excise, [1967] 2 Q.B. 116; [1966] 3 W.L.R. 36; [1966] 2 All E.R. 340, C.A.).
Le gouvernement, pour des raisons de sécurité nationale, peut empêcher la Commission d’accueillir l’appel de certains réfugiés en produisant un certificat signé par le Ministre et par le solliciteur général conformément à l’art. 21 de la Loi (maintenant l’art. 83). Cette Cour a décidé dans Prata c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration[13] que pareil certificat est concluant. Cependant, je doute sérieusement que la Commission puisse autrement déroger validement aux dispositions de la Convention relatives aux réfugiés.
Il s’agit manifestement là d’une question de première importance mais, à moins que cette Cour ne puisse accorder l’autorisation d’interjeter appel du refus d’autorisation de la Cour d’appel fédérale, il est clair qu’elle ne pourra jamais l’étudier. La Commission doit évidemment respecter ce que la Cour d’appel fédérale a décidé et si, comme on nous l’a dit, cette dernière refuse systématiquement d’autoriser l’appel des décisions de la Commission rendues conformément à un de ses arrêts antérieurs, le fait qu’il n’a pas été interjeté appel de l’arrêt Fuentes signifie que le droit a été fixé et que cette Cour ne peut réviser la question.
Le droit d’appel à cette Cour en l’espèce repose sur l’art. 31 de la Loi sur la Cour fédérale dont voici le texte, modifié par l’art. 9 de la Loi de 1974, 23 Eliz. II, chap. 18: 31. (1) Abrogé.
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(2) Il peut être interjeté appel, devant la Cour suprême, avec l’autorisation de la Cour d’appel fédérale, d’un jugement final ou autre jugement de cette Cour lorsque la Cour d’appel estime que la question en jeu dans l’appel est une question qui devrait être soumise à la Cour suprême pour décision.
(3) Les jugements finals et toute autre décision de la Cour d’appel fédérale sont, que celle-ci ait ou non refusé l’autorisation d’en appeler, susceptibles d’appel devant la Cour suprême du Canada, lorsque cette dernière estime, étant donné l’importance de l’affaire pour le public, l’importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou sa nature ou son importance à tout autre égard, qu’elle devrait en être saisie et lorsqu’elle accorde dès lors l’autorisation d’interjeter appel de ce jugement.
(4) Abrogé.
Le paragraphe 31(1) maintenant abrogé accordait le droit d’interjeter appel à cette Cour d’un jugement final de la Cour d’appel fédérale dans certains cas et la définition de cette expression se trouve toujours à l’art. 2 dans les termes suivants:
«jugement final» désigne tout jugement ou toute autre décision qui statue en totalité ou en partie sur le fond au sujet d’un droit d’une ou plusieurs des parties à une procédure judiciaire; (C’est moi qui souligne.)
Il ressort de cette définition que l’expression «jugement final ou autre jugement» dans les par. 31(2) et 31(3) inclut toute autre «décision» de la Cour d’appel fédérale. Le texte anglais de ces deux paragraphes mentionne également toute «determination». Je ne peux voir d’après quel principe le sens large de tous ces mots pourrait être restreint de manière à exclure des décisions comme l’ordre à l’égard duquel l’autorisation d’appel a été accordée en l’espèce. A l’appui de l’objection à la compétence, on a cité tout d’abord l’arrêt de cette Cour dans Canadian Utilities Limited c. Le sous-ministre du Revenu national[14]. Dans cette affaire, l’appel qui a été rejeté avait été interjeté en vertu des dispositions de l’art. 58 de la Loi sur la taxe d’accise (S.R.C. 1952, chap. 100) dont voici la partie pertinente:
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58. (1) Toute partie aux procédures prévues par l’article 57, savoir:
…
peut, avec la permission de la Cour de l’Échiquier du Canada, ou d’un de ses juges, obtenue sur une demande formulée dans les trente jours de l’établissement de la déclaration dont on veut appeler, ou dans tel délai supplémentaire accordé par la Cour ou le juge, interjeter appel à la Cour de l’Echiquier sur toute question qui, de l’avis de la Cour ou du juge, est une question de droit.
…
(6) Il peut être interjeté appel à la Cour suprême du Canada de toute ordonnance ou de tout jugement rendu, aux termes du présent article, par la Cour de l’Echiquier, de la même manière que de tout autre jugement de ce dernier tribunal, et les dispositions de la Loi sur la Cour de l’Echiquier relatives aux appels s’appliquent à tout appel porté sous le régime du présent paragraphe.
Un juge de la Cour de l’Echiquier a refusé l’autorisation d’interjeter appel à cette cour et un pourvoi a alors été interjeté devant la Cour suprême en vertu du par. (6). Le paragraphe (6) me paraît avoir été correctement interprété, dans le contexte de l’art. 58, de façon à ne viser qu’un pourvoi à l’encontre d’une décision rendue par la Cour de l’Echiquier sur un appel, non d’un refus d’autorisation. Je ne peux voir comment cela pourrait maintenant servir dans un contexte différent à réduire la large portée des dispositions actuelles de la Loi sur la Cour fédérale. Je dois aussi noter que l’arrêt de la Chambre des lords dans Lane v. Esdaile[15] sur lequel l’arrêt Canadian Utilities s’est appuyé concernait également un appel interjeté de plein droit. Après qu’une décision eut été rendue contre plusieurs défendeurs, certains d’entre eux ont interjeté appel et un pourvoi subséquent à la Chambre des lords a été couronné de succès. Deux défendeurs qui n’avaient pas interjeté appel ont alors demandé à la Cour d’appel, plus de trois ans après le jugement de première instance, une autorisation spéciale d’interjeter appel en vertu d’une règle établissant qu’aucun appel ne pouvait être interjeté après l’expiration d’une année sauf sur autorisation spéciale. La Chambre des lords a décidé que les termes suivants de l’Appellate Jurisdiction Act 1876, [TRADUCTION] «il peut être
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interjeté appel à la Chambre des lords de tout ordre ou jugement rendu» par la Cour d’appel, n’accordaient aucun droit d’interjeter appel du refus en cause. Les considérations qui ont amené la Chambre des lords à interpréter ces dispositions de façon à ne viser qu’un ordre ou jugement rendu en appel ne me paraissent pas applicables à l’interprétation du par. 31(3) de la Loi sur la Cour fédérale qui traite de l’autorisation d’interjeter appel, non de l’appel de plein droit. Dans l’arrêt récent Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd.[16], cette Cour a accueilli un pourvoi sur autorisation contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui refusait l’autorisation d’interjeter appel en vertu de la dernière phrase de l’art. 523 C.p.c. qui se lit:
…elle [la Cour d’appel] peut même, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 494, mais pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d’appeler à la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt.
Une inscription en appel avait été produite et signifiée dans le délai voulu. Malheureusement, à cause d’une désignation erronée des procureurs de la partie adverse au bas du jugement de première instance, l’inscription n’a pas été signifiée suivant les règles. L’appel a été rejeté et la Cour d’appel a refusé d’accorder l’autorisation au motif que l’erreur n’avait pas créé une «impossibilité» d’agir dans le délai. Etant venue à la conclusion que, suivant une interprétation correcte du Code, c’était l’impossibilité pour la partie, non pour son procureur, qui devait être démontrée, cette Cour a décidé que le refus de l’autorisation était dû à une interprétation erronée de l’exigence légale plutôt qu’à l’exercice correct du pouvoir discrétionnaire; elle a donc accueilli le pourvoi bien qu’en conséquence l’affaire ait dû être renvoyée à la Cour d’appel pour décision sur le fond.
Revenant maintenant aux dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, je considère qu’il importe de souligner l’expansion continue de la disposition régissant l’appel ou le pourvoi. Dans la Loi sur la Cour de l’Echiquier avant 1949, il n’était prévu d’appel à cette Cour que «d’un jugement définitif
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ou d’un jugement sur une exception péremptoire ou sur un point de droit soulevé dans les plaidoiries». En 1949, les dispositions suivantes ont été adoptées:
82. (1) Il peut être interjeté appel à la Cour suprême du Canada
a) d’un jugement définitif ou d’un jugement sur une exception péremptoire ou un point de droit soulevé dans les plaidoiries; ou
b) avec la permission d’un juge de la Cour suprême du Canada, d’un jugement interlocutoire,
prononcé par la Cour de l’Echiquier dans une action, poursuite, cause, affaire ou autre procédure judiciaire, où le montant réel en litige dépasse cinq cents dollars.
Cette Cour a examiné cette disposition dans l’arrêt Muzak Corporation c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada Ltd.[17] La décision à l’égard de laquelle l’autorisation d’interjeter appel avait été accordée était une «ordonnance» de signification hors la juridiction. Quoiqu’il y ait eu deux dissidences sur la validité de cette ordonnance, la Cour a statué à l’unanimité qu’elle constituait un «jugement interlocutoire» au sens de l’art. 82. Le juge Cartwright a dit (aux pp. 196-197):
[TRADUCTION] Dans Ex Parte Chinery ((1884), 12 Q.B.D. 342), lord juge Cotton a dit:
…Or, dans la langue du droit, et dans les lois du Parlement, de même qu’en ce qui concerne les droits des parties, il y a une distinction bien connue entre un «jugement» et une «ordonnance». Il ne fait pas de doute que les ordonnances rendues en vertu de la Judicature Act veulent que chaque ordonnance puisse être exécutée de la même façon qu’un jugement; mais il reste que les jugements et les ordonnances sont entièrement distincts. Il n’est pas dit que le terme «jugement» inclut une «ordonnance» dans d’autres lois du Parlement. Je suis d’avis que, à moins qu’il n’y ait quelque indice de l’intention de l’employer dans un sens plus large, nous devons donner à l’expression «jugement final» dans ce paragraphe son sens propre et strict, c.-à-d. un jugement obtenu dans une action où une obligation préexistante du défendeur envers le demandeur a été déterminée ou établie.
Lord Esher, Maître des rôles, a adopté cette opinion dans l’arrêt Onslow v. Commissioners of Inland Revenue (1890), 25 Q.B.D. 465, mais dans ces deux affaires l’ordonnance dont on a décidé qu’elle n’était pas un
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jugement avait été obtenue dans une instance autre qu’une action et dans le dernier arrêt mentionné lord Esher a dit à la page 466:-
Un «jugement», est donc une décision obtenue dans une action, et toute autre décision est une ordonnance.
On notera que les jugements rendus dans les deux dernières affaires envisagent la possibilité que les dispositions de la loi examinée contiennent un indice de l’intention du Parlement d’employer le terme «jugement» dans un sens plus large. En l’espèce, je suis d’avis que cette intention est démontrée par le fait, qu’a souligné mon collègue Kerwin, que si l’on interprète l’art. 82 de façon à ne viser que les jugements qui tombent strictement dans la définition du lord juge Cotton, l’alinéa b) du paragraphe (1) de l’art. 82 n’a aucun objet. Il faut si possible éviter une interprétation selon laquelle cet alinéa n’aurait aucun effet, et, en l’espèce, on peut l’éviter en donnant au terme «jugement» un sens dans lequel il est souvent utilisé et en l’interprétant de façon à y inclure des ordonnances. Toutefois, vu l’arrêt de cette Cour dans British American Brewing Co. Ltd. c. Le Roi, [1935] R.C.S. 568, je ne veux pas dire que la disposition interprétative de la Loi sur la Cour suprême, l’alinéa d) de l’art. 2 de cette loi, fournit un exemple du sens large dans lequel le terme «jugement» est fréquemment employé. Elle se lit comme suit:
2. d) «jugement», relativement à la cour dont appel est interjeté, comprend tout jugement, règle, ordre, ordonnance, décision, décret, arrêt ou sentence de cette cour, et, relativement à la Cour suprême, comprend tout jugement ou ordre de cette dernière Cour;
A mon avis, l’emploi dans le texte anglais de l’art. 31 de l’expression «final or other judgment or determination» indique l’intention du Parlement d’élargir davantage, plutôt que de restreindre, la portée de la disposition relative aux pourvois sur autorisation. Je dois faire remarquer que dans l’arrêt Hill c. La Reine[18], cette Cour siégeant au complet a unanimement adopté l’interprétation large et absolue de la compétence de la Cour sur autorisation en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême et a explicitement contredit l’arrêt Goldhar[19] et les autres arrêts au même effet restrictif de la compétence comme Paul c. La Reine[20] (voir les motifs du juge en chef Laskin dans l’arrêt Hill à la p. 830).
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A mon avis, il importe que cette Cour dans l’exécution de son devoir général de surveillance en dernier ressort de l’application du droit à travers le Canada, évite de mettre aucune question de droit importante hors de portée de toute révision. Bien qu’il nous faille éviter soigneusement d’intervenir dans l’exercice de la discrétion judiciaire des cours d’appel à l’égard de l’autorisation d’appel, nous devons néanmoins être conscients de la nécessité d’intervenir au besoin pour garantir qu’en aucun cas l’application régulière de la loi n’est méconnue.
Je suis d’avis que la Cour a compétence et que le pourvoi doit être entendu.
Pourvoi annulé, les juges PIGEON, BEETZ et PRATTE étant dissidents.
Procureur de l’appelante: George W. Alexandrowicz, Toronto.
Procureur de l’intimé: R. Tassé, Ottawa.
[1] [1977] 2 R.C.S. 740.
[2] [1891] A.C. 210.
[3] [1964] R.C.S. 57.
[4] [1960] R.C.S. 452.
[5] [1978] 2 C.F. 340.
[6] [1953] 2 R.C.S. 140.
[7] [1968] R.C.S. 172.
[8] [1977] 2 R.C.S. 665.
[9] [1978] 1 R.C.S. 470.
[10] [1972] R.C.S. 660.
[11] [1974] 2 C.F. 331.
[12] [1968] 2 Q.B. 740.
[13] [1976] 1 R.C.S. 376.
[14] [1964] R.C.S. 57.
[15] [1891] A.C. 210.
[16] [1978] 2 R.C.S. 516.
[17] [1953] 2 R.C.S. 182.
[18] [1977] 1 R.C.S. 827.
[19] [1960] R.C.S. 60.
[20] [1960] R.C.S. 452.