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13/12/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._844

Canada | Supermarchés Dominion Ltd. c. R., [1980] 1 R.C.S. 844 (13 décembre 1979)


Cour suprême du Canada

Supermarchés Dominion Ltd. c. R., [1980] 1 R.C.S. 844

Date: 1979-12-13

Les Supermarchés Dominion Limitée Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant.

1979: 15 mars; 1979: 13 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Supermarchés Dominion Ltd. c. R., [1980] 1 R.C.S. 844

Date: 1979-12-13

Les Supermarchés Dominion Limitée Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant.

1979: 15 mars; 1979: 13 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance annulant les accusations est rétablie

Analyses

Droit constitutionnel - Répartition du pouvoir législatif - Normes de commercialisation prescrites à la fois au niveau provincial et fédéral - Pommes commercialisées sous un nom de qualité fédéral - Opération intra-provinciale - Validité/applicabilité de la loi - S’agit-il d’une loi fédérale constitutionnelle? - Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, art. 3(1), 3(2)a), 13(1) - The Farm Products Grades and Sales Act, R.S.O. 1970, chap. 161 - A.A.N.B., art. 91(2), 92(13), (16), 95.

L’appelante a été inculpée en vertu de la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, al. 3(2)a), d’avoir eu en sa possession pour la vente des pommes sous un nom de qualité établi en vertu du par. 3(1), lesquelles n’étaient pas conformes aux exigences du règlement d’application, savoir, elles avaient des meurtrissures. Le système de classification prévu à la Loi est volontaire en ce qu’il ne s’applique pas à moins que le produit en question ne soit offert en vente sous un nom de qualité prescrit par la loi. La loi provinciale pertinente a rendu obligatoire l’emploi des mêmes noms de qualité que ceux prévus par la loi fédérale. L’appelante est un détaillant et l’infraction aurait été commise dans le Toronto métropolitain, apparemment dans un point de vente au détail. Aucune preuve n’a été produite avant que soit présentée la requête en annulation et toutes les parties ont tenu pour acquis que les pommes étaient offertes en vente dans des opérations entièrement intra-provinciales. L’appelante conteste la constitutionnalité de la Partie I de la Loi dans la mesure où elle tend à réglementer ou à viser une opération qui a lieu entièrement en Ontario. Le juge de la Cour provinciale a conclu que la loi était ultra vires et

[Page 845]

a annulé la dénonciation. Sur appel par voie d’exposé de cause, l’acquittement a été infirmé et la Partie I a été déclarée intra vires. La Cour d’appel était du même avis. Le pourvoi devant cette Cour a été limité à la question constitutionnelle de savoir si la Partie I de la Loi est ultra vires en totalité ou en partie.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson et Mclntyre sont dissidents): Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance annulant les accusations est rétablie.

Les juges Martland, Pigeon, Beetz, Estey et Pratte: Selon l’interprétation donnée au par. 91(2) de l’A.A.N.B. dans nombre d’arrêts, le pouvoir de réglementation des échanges et du commerce du Parlement est limité au commerce au sens international et interprovincial, ce qui ne lui donne pas le pouvoir de réglementer le commerce local en tant que partie d’un système de réglementation du commerce international et interprovincial. De plus, le Parlement ne peut pas, sous prétexte de réglementer les échanges et le commerce, agir dans les domaines accordés aux provinces par les par. 92(13) et (16) et réglementer les opérations qui sont entièrement intraprovinciales. L’appelante en l’espèce a offert des pommes en vente conformément à une loi provinciale reconnue valide, qui impose un système de classification obligatoire. Le vendeur n’a ni choisi ni adopté un nom de qualité imposé par une loi fédérale; il s’est plutôt conformé à une loi provinciale valide et applicable. L’infraction en l’espèce, si elle existe, doit violer la loi provinciale et non la loi fédérale artificiellement étendue. Il n’est pas nécessaire de décider si la Partie I est complètement ultra vires, mais il suffit qu’elle soit jugée inapplicable aux allégations dans l’accusation portée contre l’appelante en vertu de la loi fédérale.

La possibilité évoquée par l’intimée que la Partie I puisse trouver sa source dans le droit criminel [par. 91(27)] peut être tranchée par ce qu’a dit le juge Rand dans Re la validité du par. 5a) de la Loi de l’industrie laitière, [1949] R.S.C. 1, à la p. 50.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson et Mclntyre, dissidents: L’appelante avait apparemment trois lots de pommes Spartan, sous un nom de qualité établi en vertu du par. 3(1) de la loi fédérale, catégorie «Canada Extra de fantaisie», lesquelles n’étaient pas conformes aux normes prescrites par l’al. 3(1)c) de la Loi et son règlement d’application. En l’espèce, l’appelante n’invoque en défense aucune norme de qualité provinciale et n’allègue pas non plus s’y être conformée. La loi provinciale n’est pas en litige. L’article 3 de la loi fédérale n’ordonne pas l’utilisation des noms de qualité en vertu de l’art. 1, mais inflige une sanction lorsqu’un vendeur éventuel choisit d’utiliser un nom de qualité

[Page 846]

établi par le fédéral, sans que le produit réponde aux exigences de cette classe; il en est de même pour l’application de ce nom de qualité à un produit agricole ou à l’emballage du produit. Il découle implicitement sinon explicitement de la position prise par l’appelante qu’elle pourrait utiliser un nom de qualité établi par le fédéral sans respecter les conditions en régissant l’utilisation. Ayant édicté des normes obligatoires pour les produits agricoles destinés à l’exportation et au commerce interprovincial, il est logique que le Parlement du Canada complète ces dispositions pour permettre aux marchands de s’en servir pour les opérations locales.

[Jurisprudence: Citizens Insurance Co. v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96; R. c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434; Lawson c. Interior Tree, Fruit and Vegetable Committee, [1931] R.C.S. 357; A.G. (B.C.) v. A.G. (Can.), [1937] A.C. 377; Renvoi relatif a The Farm Products Marketing Act, R.S.O. 1950, chap. 131, et modifications, [1957] R.C.S. 198; P.g. (N.-É) c. P.g. (Can.), [1951] R.C.S. 31; Renvoi sur l’applicabilité de la Minimum Wage Act de la Saskatchewan à un employé d’un bureau de poste, [1948] R.C.S. 248; Re la validité du par. 5a) de la Loi de l’industrie laitière, [1949] R.C.S. 1.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a confirmé un jugement du juge Grange[2] sur un appel par voie d’exposé de cause relatif à la constitutionnalité d’une loi fédérale. Pourvoi accueilli, le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson et Mclntyre étant dissidents, et ordonnance annulant les accusations rétablie.

P.S.A. Lamek, c.r., et C.H.H. McNairn, pour l’appelante.

T.B. Smith, c.r., L.R. Olsson, c.r., et Graham Reynolds, pour l’intimée.

D.W. Mundell, c.r., et Carol Creighton, c.r., pour l’intervenant.

Version française des motifs du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Dickson et Mclntyre rendus par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Le seul point en litige dans ce pourvoi, interjeté sur autorisation,

[Page 847]

est énoncé dans la question constitutionnelle suivante délimitée par une ordonnance du juge Pigeon:

La Partie I de la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, est-elle ultra vires en totalité ou en partie?

Le litige a pris naissance suite au dépôt d’une dénonciation contre l’appelante, dont voici le texte:

[TRADUCTION] le ou vers le 12 février 1976, dans la municipalité du Toronto métropolitain dans le district judiciaire de York [Les Supermarchés Dominion Limitée] a illégalement eu en sa possession pour la vente un produit agricole, savoir: trois lots de pommes Spartan, sous un nom de qualité établi en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, savoir: catégorie Canada Extra de fantaisie, lesquelles pommes Spartan n’étaient pas conformes aux exigences prescrites pour cette Catégorie par l’al. 3(1)c) et le sous-al. 3(2)a)(i) du Tableau 1 de l’Annexe A du Règlement sur les fruits et les légumes frais édicté par le décret C.P. 1965-1599, savoir: elles avaient des meurtrissures contrairement à l’al. 3(2)a) de la Loi, se rendant ainsi coupables d’une infraction en vertu du par. 13(1) de la Loi.

Avant toute production de la preuve, avant même la mise en accusation et les plaidoyers, l’avocat de l’appelante a présenté une requête pour faire annuler la dénonciation en contestant la validité de la Partie I de la loi fédérale, lorsqu’elle se veut applicable à une opération qui a eu lieu entièrement dans la province de l’Ontario. On a laissé entendre que les pommes visées par l’accusation provenaient de la Colombie-Britannique, mais l’accusation n’en parle pas et cela n’a pas fait l’objet d’un examen au cours du débat sur la question constitutionnelle soulevée par l’appelante, ni dans la décision du juge de première instance, ni dans son exposé de cause suite à l’appel logé contre sa décision que la Partie I, susmentionnée, est ultra vires. J’aborde donc la question constitutionnelle en tenant pour acquis que l’opération visée par l’accusation est entièrement intra-provinciale.

La Partie I de la loi fédérale se compose d’un article de droit positif, savoir, l’art. 3, qui comprend les deux paragraphes suivants:

3. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements établissant des qualités ainsi que des noms de qualité appropriés pour toute catégorie de produits agri-

[Page 848]

coles et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, il peut, par ces règlements,

a) prescrire les conditions auxquelles les produits agricoles peuvent être classés ou inspectés selon la présente Partie et le mode de classement ou de cette inspection;

b) sans restreindre la généralité de l’alinéa a), exiger, comme condition du classement ou de l’inspection d’un produit agricole sous le régime de la présente Partie, qu’il ait été préparé et classé dans un établissement qui, au moment de la préparation ou du classement du produit

(i) se conformait aux conditions prescrites, et

(ii) était enregistré d’une façon prescrite,

et à l’égard duquel les droits d’enregistrement prescrits étaient acquittés;

c) prescrire les droits exigibles pour le classement ou l’inspection de produits agricoles; et

d) prescrire le volume, les dimensions et autres caractéristiques des emballages ou contenants dans lesquels un produit agricole doit être empaqueté et la manière dont il doit être empaqueté et marqué comme condition d’application ou emploi du nom d’une qualité ainsi établie.

(2) Nul ne doit

a) vendre, offrir en vente ou avoir en sa possession pour la vente un produit agricole sous un nom de qualité établi en vertu du paragraphe (1) ou sous un nom de qualité ou une autre désignation ressemblant à un nom de qualité ainsi établi au point d’être vraisemblablement confondu avec ce nom, ou

b) appliquer à un produit agricole ou à un emballage renfermant un produit agricole un nom de qualité établi en vertu du paragraphe (1) ou un nom de qualité ou autre désignation ressemblant à un nom de qualité ainsi établi au point d’être vraisemblablement confondu avec ce nom,

sauf si le produit agricole répond aux exigences prescrites pour la qualité, s’il a été classé et inspecté comme l’exigent les règlements, et s’il est empaqueté et marqué de la manière prescrite.

Voici le titre complet de la Loi:

Loi établissant des normes nationales pour les produits agricoles et réglementant le commerce international et interprovincial de ces produits.

Il est suivi de l’art. 1, qui donne le titre abrégé, et ensuite de l’art. 2, celui des définitions, où l’on trouve, notamment, les définitions d’«emballage»,

[Page 849]

de «nom de qualité», de «produit agricole» et de «qualité». Voici, respectivement, ces définitions:

«emballage» ou «contenant» signifie une enveloppe ou un récipient, intérieur ou extérieur, employé pour contenir, emballer, empaqueter ou recouvrir un produit agricole;

«nom de qualité» comprend toute marque, description ou désignation d’une qualité ou classe;

«produit agricole» signifie le bétail (y compris les animaux à fourrure élevés en captivité), les œufs, les volailles, le lait, les légumes, les fruits, le miel et le sirop d’érable, ainsi que leurs produits, et le tabac en feuilles; «qualité» ou «classe» comprend la norme;

Il appert clairement, à la lecture de l’art. 3, que cet article n’ordonne pas l’utilisation des noms de qualité établis en vertu de l’art. 1, mais qu’il inflige une sanction lorsque le vendeur éventuel d’un produit agricole choisit d’utiliser un nom de qualité établi par le fédéral, sans que le produit réponde aux exigences de cette classe. Il en est de même pour l’application de ce nom de qualité à un produit agricole ou à l’emballage du produit. Il découle implicitement sinon explicitement de la position prise par l’appelante qu’elle pourrait utiliser un nom de qualité établi par le fédéral sans toutefois respecter les conditions en régissant l’utilisation imposées par la Partie I de la loi fédérale.

Contrairement à la Partie I, la Partie II de la Loi, qui commence à l’art. 4, ordonne l’utilisation des noms de qualité prescrits par le fédéral en vertu de la Partie I pour l’exportation et le commerce interprovincial de produits agricoles pour lesquels des qualités ont été établies en vertu de la Partie I. On ne conteste pas la validité de cette Partie et, de fait, on la reconnaît. La différence de formulation par rapport à l’art. 3 de la Partie I se dégage clairement du texte de l’art. 4:

4. Sous réserve des règlements du gouverneur en conseil, nul ne doit exporter du Canada, ni envoyer ou transporter d’une province à une autre, un produit agricole d’une catégorie pour laquelle des qualités ont été établies en vertu de la Partie I, à moins que le produit n’ait été classé et inspecté en application de ladite Partie

[Page 850]

et ne soit empaqueté et marqué conformément aux règlements édictés selon ladite Partie.

Voici la marche des procédures devant les cours d’instance inférieure. Le juge McMahon de la Cour provinciale de l’Ontario a annulé la dénonciation au motif que la Partie I, et son par. 3(2) en particulier, empiète sur les pouvoirs législatifs provinciaux aux termes du par. 92(13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, dans son application à une opération entièrement intra-provinciale. Il a formulé un exposé de cause, comme on le lui avait demandé, et l’affaire a été entendue par le juge Grange qui a statué, dans des motifs approfondis, que le juge de première instance avait commis une erreur dans sa conclusion sur la question constitutionnelle. Il a, par conséquent, infirmé l’acquittement prononcé par le juge McMahon et lui a renvoyé la cause pour qu’il se prononce sur le fond. En appel, la décision du juge Grange a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario qui a jugé, dans des motifs très brefs, qu’elle était d’accord [TRADUCTION] «en substance avec ses motifs de jugement».

La Cour d’appel de l’Ontario a complété cette conclusion en formulant un autre motif, à l’appui de la validité de la Partie I:

[TRADUCTION]…A notre avis, cette loi a pour caractère véritable la réglementation de l’exportation et du commerce interprovincial. Nous croyons que la Partie I, notamment le par. 3(2), est nécessairement accessoire au fonctionnement efficace du régime établi en assurant le maintien de l’intégrité des normes de qualité nationales, et à la prévention de la confusion et de l’emploi abusif de la qualité. Pour ces motifs, nous sommes tous d’avis que c’est un texte de loi valide, qui relève du pouvoir législatif exclusif du Parlement en vertu du par. 91.2 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

L’avocat de l’appelante a contesté ce motif de jugement. Si je comprends bien, il a soutenu que, vu l’existence de The Farm Products Grades and Sales Act, R.S.O. 1970, chap. 161, loi qui régit les opérations intra-provinciales et qui est donc une loi provinciale valide selon la jurisprudence applicable, la Partie I ne peut être amalgamée aux dispositions régissant l’exportation et le commerce international comme «nécessairement accessoire» selon la jurisprudence qui traite de ce concept. Si l’on tient cela pour acquis en l’espèce, je suis d’avis que

[Page 851]

l’arrêt en appel doit être confirmé pour les motifs retenus par le juge Grange et, par conséquent, je vais examiner ses motifs. Avant de ce faire, j’ajouterai qu’en l’espèce l’appelante n’invoque, en défense à l’accusation, aucune norme de qualité provinciale et n’allègue pas non plus s’y être conformée. La loi provinciale n’est pas en litige ici.

Le juge Grange fonde sa conclusion sur l’arrêt du Conseil privé, Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada[3] qui confirme la validité des art. 18 et 19 de la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie, 1935 (Can.), chap. 59. Ces dispositions y font de l’expression «Canada Standard» ou des initiales «C.S.» une marque de commerce nationale et invitent les gens à en faire usage en respectant les conditions prévues par la législation. Elles ne contraignent personne à l’utiliser mais, comme en l’espèce, celui qui en fait usage doit respecter les conditions de son emploi. L’avocat de l’appelante a notamment avancé dans sa plaidoirie que l’affaire du «C.S.» impliquait la délivrance de permis et, de fait, le Conseil privé a utilisé le mot «permis» comme suit, dans son dispositif (à la p. 418):

[TRADUCTION] La substance de la législation en question est de définir une marque nationale, d’en accorder l’usage exclusif au gouvernement fédéral de façon à assurer un fondement logique à un système de permis accordés par la loi aux producteurs, manufacturiers et marchands.

Cependant, comme il appert clairement d’une partie précédente de ses motifs, le Conseil privé employait le mot dans le sens d’«autorisation» ou de disponibilité de la marque pour utilisation, disant (à la p. 417) que [TRADUCTION] «En vertu du par. 19(1), tout producteur, manufacturier ou marchand peut apposer la marque nationale à n’importe quelle marchandise en autant que celle-ci réponde aux exigences prévues par la loi en l’espèce».

Comme l’a fait remarquer le juge Grange, il y a un parallèle entre les dispositions que le Conseil privé a approuvées et celles de la Partie I de la Loi en l’espèce. Le fait que dans l’arrêt Dominion Trade and Industry Commission, on précise que la

[Page 852]

marque est attribuée au gouvernement ne revêt aucune importance constitutionnelle spéciale. C’est une création de la loi tout comme le sont, ici, les noms de qualité. Le Conseil privé a jugé que le pouvoir fédéral relatif à la réglementation des échanges et du commerce fournissait un appui à ce que cette Cour a appelé une «réglementation facultative» dans MacDonald c. Vapor Canada Ltd.[4], à la p. 166. Il en est de même, ici, et il me semble parfaitement logique qu’ayant édicté des normes obligatoires pour les produits agricoles destinés à l’exportation et au commerce interprovincial, le Parlement du Canada complète ces dispositions en permettant aux marchands de tels produits de s’en servir pour les opérations locales. Cela peut être un avantage tant pour eux que pour les consommateurs.

Le procureur général de l’Ontario, intervenant, et l’appelante ont fait valoir que les interdictions prévues par le par. 3(2) de la Loi vont au-delà de la simple autorisation d’utiliser les normes nationales établies par le gouvernement fédéral et que leur effet pratique était de contrôler ou de réglementer les opérations locales sur les produits agricoles. Toutefois, ce à quoi s’opposent l’intervenant et l’appelante est le type de sanction imposée par le Parlement à une personne qui décide d’utiliser les noms de qualité du fédéral, mais qui refuse de les prendre avec les obligations. Le Parlement aurait pu choisir une autre sanction comme, par exemple, une simple ordonnance interdisant d’utiliser les noms de qualité qu’il a établis lorsque la personne qui choisit de les utiliser refuse de se conformer aux prescriptions associées à leur usage. Le type de sanction ne modifie pas le fond de la question en litige qui est simplement de mettre à la disposition des usagers qui veulent, un ensemble de normes nationales sans d’aucune façon en ordonner l’usage.

On doit décider de la présente affaire sur le seul point soulevé par l’appelante, savoir, qu’elle ne peut constitutionnellement subir de sanctions pour avoir violé la Partie I de la loi fédérale, bien qu’elle ait choisi d’utiliser un nom de qualité y prescrit. La situation juridique qui existerait si l’appelante avait fait valoir comme moyen de défense qu’elle

[Page 853]

obéissait à la loi provinciale n’est pas une question en litige ici et je la laisse en suspens.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et, comme les cours d’instance inférieure, je n’adjugerai aucuns dépens.

Version française du jugement des juges Martland, Pigeon, Beetz, Estey et Pratte rendu par

LE JUGE ESTEY — L’appelante a été inculpée en vertu de la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, al. 3(2)a). On allègue dans l’accusation qu’elle a eu en sa possession pour la vente des pommes sous un nom de qualité établi en vertu du par. 3(1) de la Loi, lesquelles n’étaient pas conformes aux exigences du règlement d’application, savoir, elles avaient des meurtrissures contrairement à l’al. 3(2)a) de la Loi, ce qui est une infraction visée au par. 13(1).

L’appelante est un détaillant et l’infraction imputée aurait été commise dans la municipalité du Toronto métropolitain, apparemment dans un point de vente au détail. Aucune preuve n’a été produite avant que soit présentée la requête en annulation devant le juge de la Cour provinciale. Toutes les parties ici et devant les cours d’instance inférieure ont abordé la question constitutionnelle qui se pose en l’espèce en tenant pour acquis que les pommes étaient offertes en vente par l’appelante dans des opérations entièrement intra-provinciales et qu’il importait peu qu’il s’agisse d’un produit de l’Ontario ou de l’extérieur. L’appelante conteste la constitutionnalité de la Partie I de la Loi dans la mesure où elle tend [TRADUCTION] «à réglementer, à régir ou à viser une opération qui a lieu entièrement dans la province de l’Ontario». Après les plaidoiries, le savant juge de la Cour provinciale a conclu que la loi était ultra vires des pouvoirs du Parlement du Canada et a annulé la dénonciation. Une demande d’exposé de cause a été présentée en vertu de l’art. 762 du Code criminel. L’appel par voie d’exposé de cause a été entendu par le juge Grange de la Haute Cour, siégeant en chambre; il a infirmé «l’acquittement» et renvoyé le dossier au juge de la Cour provinciale pour qu’il donne suite à sa conclusion que la Partie I de la Loi est un texte valide selon le par. 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

[Page 854]

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le jugement de la Haute Cour et, au sujet du par. 3(2) de la Partie I de la Loi, elle a expressément conclu qu’il est [TRADUCTION] «nécessairement accessoire au fonctionnement efficace du régime établi en assurant le maintien de l’intégrité des normes de qualité nationales, et à la prévention de la confusion et de l’emploi abusif de la qualité». Le pourvoi devant cette Cour a été limité à la question constitutionnelle suivante:

La Partie I de la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, S.R.C. 1970, chap. A-8, ultra vires en totalité ou en partie?

L’attribution du pouvoir de réglementation des échanges et du commerce dans ce pays en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été réglée, du moins jusqu’à maintenant, par les arrêts Citizens Insurance Co. v. Parsons[5]; R. c. Eastern Terminal Elevator Co.[6]; Lawson c. Interior Tree, Fruit and Vegetable Committee[7], et The Attorney-General for British Columbia v. The Attorney-General for Canada[8]. Selon l’interprétation donnée au par. 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique dans ces arrêts, le pouvoir de réglementation des échanges et du commerce du Parlement est limité au commerce au sens international et interprovincial, ce qui ne lui donne pas le pouvoir de réglementer le commerce local en tant que partie d’un système de réglementation du commerce international et interprovincial. Voici en quels termes le juge Duff a décrit les limites du pouvoir fédéral dans R. c. Eastern Terminal Elevator Co., précité:

[TRADUCTION] Il est incontestable que l’un des principaux objets de cette loi est de protéger le commerce extérieur du grain, particulièrement celui du blé, en assurant l’intégrité des certificats délivrés par la Commission des grains sur la qualité du grain, particulièrement du blé; et personne ne conteste l’effet bénéfique et la valeur du système établi par la législation dans son ensemble.

Il ne s’ensuit pas que le Parlement a le pouvoir de réaliser cet objet en prenant sur lui, comme le fait cette loi, de réglementer dans les provinces des occupations

[Page 855]

particulières, comme telles, par un système de permis et autrement, et des ouvrages et entreprises d’une nature locale, comme tels, quel qu’avantageux et important que soit le but ultime de la législation, (pp. 446 et 447).

Par conséquent, sous réserve des remarques que je fais à la fin des présents motifs, j’aborde la question posée dans ce pourvoi en tenant pour acquis que le Parlement du Canada ne peut pas, sous prétexte de réglementer les échanges et le commerce, agir dans les domaines accordés aux provinces par les par. 92(13) et (16) et réglementer les opérations commerciales qui ont lieu entièrement à l’intérieur des provinces. En réalité, les provinces et le fédéral, dans la foulée de l’arrêt précité du Conseil privé de 1937 sur la commercialisation, ont adopté des mécanismes complémentaires et solidaires pour la commercialisation des produits naturels. De fait, la loi ontarienne à l’étude ici a été édictée à l’origine en 1937 (voir S.O. 1 Geo. VI, chap. 24) immédiatement après l’arrêt du Conseil privé.

Entre parenthèses, j’ajouterai que quel que soit le pouvoir fédéral sur les échanges et le commerce, rien de ce que je dis ici ne doit être considéré comme un commentaire sur les tentatives de réglementation fédérale du texte des étiquettes apposées sur différentes marchandises (par ex. la Loi sur l’étiquetage des textiles, S.R.C. 1970, chap. 46 (1er Supp.) et son règlement d’application). La réglementation des normes des marchandises peut fort bien présenter deux aspects: la teneur réelle de ces normes et leur forme, y compris le texte qu’elles doivent suivre. Toutefois, comme la question ne nous est pas soumise, point n’est besoin d’ajouter autre chose ici.

Ce qui précède semble être l’état de notre droit constitutionnel reconnu par le Parlement lorsque le régime prescrit par la Loi sur les normes des produits agricoles du Canada, 1955, chap. 27, a été adopté. Il convient de souligner qu’à cette époque-là, la réglementation provinciale de ces mêmes produits naturels était en vigueur depuis plusieurs années. L’article 3 de la loi fédérale actuelle prévoit:

(1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements établissant des qualités ainsi que des noms de

[Page 856]

qualité appropriés pour toute catégorie de produits agricoles et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, il peut, par ces règlements,

a) prescrire les conditions auxquelles les produits agricoles peuvent être classés ou inspectés selon la présente Partie et le mode de ce classement ou de cette inspection;

b) sans restreindre la généralité de l’alinéa a), exiger, comme condition du classement ou de l’inspection d’un produit agricole sous le régime de la présente Partie, qu’il ait été préparé et classé dans un établissement qui, au moment de la préparation ou du classement du produit,

(i) se conformait aux conditions prescrites, et

(ii), était enregistré d’une façon prescrite,

et à l’égard duquel les droits d’enregistrement prescrits étaient acquittés;

c) prescrire les droits exigibles pour le classement ou l’inspection de produits agricoles; et

d) prescrire le volume, les dimensions et autres caractéristiques des emballages ou contenants dans lesquels un produit agricole doit être empaqueté et la manière dont il doit être empaqueté et marqué comme condition d’application ou emploi du nom d’une qualité ainsi établie.

(2) Nul ne doit

a) vendre, offrir en vente ou avoir en sa possession pour la vente un produit agricole sous un nom de qualité établi en vertu du paragraphe (1) ou sous un nom de qualité ou une autre désignation ressemblant à un nom de qualité ainsi établi au point d’être vraisemblablement confondu avec ce nom, ou

b) appliquer à un produit agricole ou à un emballage renfermant un produit agricole un nom de qualité établi en vertu du paragraphe (1) ou un nom de qualité ou autre désignation ressemblant à un nom de qualité ainsi établi au point d’être vraisemblablement confondu avec ce nom,

sauf si le produit agricole répond aux exigences prescrites pour la qualité, s’il a été classé et inspecté comme l’exigent les règlements, et s’il est empaqueté et marqué de la manière prescrite.

Il est pertinent de remarquer que bien que la Partie I de la Loi soit ainsi facultative, la Partie II intitulée «Commerce international et interprovincial» est obligatoire. Comme le fait remarquer le substitut du procureur général du Canada, quand le système de classification prévu par la Partie I s’applique à l’intérieur d’une province, il est volontaire en ce sens que les restrictions législatives ne

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s’appliquent pas à moins que les produits en question ne soient offerts en vente sous un nom de qualité prescrit par la loi.

Une difficulté survient du fait que par une série de lois qui, aux fins qui nous intéressent, ont abouti à The Farm Products Grades and Sales Act, R.S.O. 1970, chap. 161, la province de l’Ontario a autorisé l’adoption de règlements sur la commercialisation des produits agricoles qui font une infraction d’offrir en vente ou d’avoir en sa possession pour la vente un produit non accompagné d’une indication de qualité. Ce produit doit également être conforme à toutes les normes prescrites par le règlement promulgué en vertu de la Loi. Selon ce règlement, les qualités applicables aux pommes sont identifiées exactement par les mêmes noms de qualité que ceux adoptés par le règlement d’application de la loi fédérale dont la Cour est présentement saisie. Ainsi, lorsqu’il reçoit des pommes pour la revente, un vendeur, comme l’appelante, doit, en vertu de la loi ontarienne, vendre les pommes en leur donnant un nom de qualité prévu par le règlement et en conformité avec les normes de qualité y spécifiées. En même temps qu’il donne aux pommes un nom de qualité conformément à la loi ontarienne, le détaillant, ici l’appelante, doit faire face au par. 3(2) et à l’art. 13 de la loi fédérale.

Nonobstant ce contexte législatif, l’intimée, par la voix du procureur général du Canada, soutient que la participation de l’appelante au programme des normes de qualité du fédéral est volontaire. Si, par son propre texte, la législation fédérale créait une obligation à l’égard des opérations intra-provinciales, elle serait sans aucun doute ultra vires parce qu’elle viserait à réglementer une forme de commerce individuel dans les limites de la province, si l’on présume que l’état actuel du droit est celui que j’ai résumé précédemment. Le Conseil privé a déclaré une telle loi invalide dans Attorney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada[9]. En l’espèce, la loi provinciale actuelle est, selon le même principe, valide:

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voir le Renvoi relatif à The Farm Products Marketing Act, R.S.O. 1950, chap. 131, et modifications[10]. Ainsi, la seule option du fédéral était d’établir un régime “volontaire“ de commercialisation, ce qu’il a fait par le règlement promulgué en 1965 (voir l’annexe aux présentes). Cependant, un régime vraiment volontaire créant un système de classes distinctes de celles déjà instituées par la province n’aurait bien évidemment pas attiré beaucoup d’intéressés. Par conséquent, afin de donner une impulsion à son propre régime, le gouvernement fédéral a dû incorporer les normes provinciales dans son régime de réglementation “volontaire“. Ironiquement, c’est en vertu du programme volontaire et non du règlement obligatoire sur le commerce que l’appelante a été inculpée.

Bien sûr, il ne s’ensuit pas qu’une législation provinciale qui dans les faits vient modifier la nature essentielle d’une loi fédérale peut, par le fait même, la rendre invalide. La loi fédérale doit être constitutionnelle ou inconstitutionnelle en elle-même, indépendamment de la présence ou de l’absence d’une législation provinciale. Toutefois, la Cour peut, et en fait doit, étudier l’interdépendance des lois fédérales et provinciales s’il appert que le Parlement a incorporé des dispositions provinciales dans sa propre législation en cherchant à la «déguiser» (pour reprendre le terme du Conseil privé) pour pénétrer dans un domaine qui, aux termes de notre constitution, relève exclusivement de la compétence législative des provinces. En d’autres mots, le Parlement ne peut pas faire indirectement, avec l’aide provinciale, ce qu’il ne pourrait pas faire directement. C’est pour cette raison que je poursuivrai mon examen des deux régimes en regard l’un de l’autre.

Comme l’a dit le juge Taschereau dans Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. Procureur général du Canada[11], à la p. 40:

[TRADUCTION] C’est un principe de droit bien établi que la compétence ne peut être conférée par consentement.

Si le Parlement du Canada ne peut rien trouver dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique pour justifier sa législation, le consentement ou l’acquiescement à l’adoption d’une loi par le Parle-

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ment, que ce soit un consentement individuel ou un consentement obtenu par le mécanisme d’une loi provinciale, ne peut combler l’absence de compétence et de pouvoir. Si la Partie I de la Loi qui nous est maintenant soumise est invalide parce qu’elle cherche à établir un programme de réglementation de la commercialisation locale, l’acceptation et la participation volontaires de simples citoyens ou d’entités juridiques ne peuvent la rendre valide. En réalité, il n’y a, dans ces circonstances, aucune adoption volontaire du programme fédéral de commercialisation par le détaillant. L’adoption mécanique ou peut-être même inconsciente du programme fédéral de commercialisation est le résultat direct de la contrainte qui découle du programme provincial valide réglementant la commercialisation locale.

Si l’on fait abstraction des difficultés que présente l’argument constitutionnel et si l’on réduit l’opération à ses dimensions réelles, l’appelante en l’espèce a offert des pommes en vente conformément à une loi provinciale reconnue valide. Le vendeur n’a ni choisi ni adopté un nom de qualité imposé par une loi fédérale; il s’est plutôt conformé à une loi provinciale valide et applicable. La question précise à laquelle cette Cour doit répondre en l’espèce est de savoir si, dans ces circonstances, une accusation peut être portée en vertu de la loi fédérale. Il se peut, bien sûr, que les inspecteurs provinciaux aient eu une opinion différente de celle des inspecteurs fédéraux sur ces pommes, ce qui peut expliquer pourquoi aucune poursuite n’a été entamée en vertu de la loi provinciale. Toutefois l’infraction, si elle existe, doit à mon avis violer la loi provinciale et non la loi fédérale artificiellement étendue. Ici, dans l’ordre d’adoption des programmes de commercialisation, la loi provinciale vient en premier suivie d’une loi fédérale semblable visant à s’appliquer au commerce intra-provincial. Si, toutefois, la prétention du procureur général du Canada est bien fondée, cette dernière est valide et l’appelante aurait commis une infraction contre la loi fédérale et non contre la loi provinciale sans laquelle la première n’aurait aucune application juridique quant au commerce local. Ainsi, le parasite devient plus gros et plus important que l’hôte.

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Le juge Grange a conclu que l’arrêt du Conseil privé, Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada[12] est directement applicable à cette structure législative, thèse que l’intimée reprend devant cette Cour. Le Parlement du Canada avait créé une marque de commerce nationale «Canada Standard» que toute personne pouvait adopter pour des produits en autant que le producteur ou le marchand respectait les normes et les caractéristiques prévues par toute loi fédérale. Le Conseil privé a jugé que le programme relatif aux marques de commerce était intra vires du Parlement du Canada et que, lorsque le producteur ou le vendeur du produit en question adoptait la marque de commerce, le Parlement du Canada pouvait réglementer la qualité de la marchandise ainsi commercialisée. Il se dégage nettement des termes de l’arrêt que la législation fédérale était valide parce que l’utilisation de la marque de commerce était dévolue au gouvernement fédéral de façon à assurer un fondement juridique à son système de permis.

L’intimée accorde beaucoup d’importance à l’affaire des marques de commerce. Aucune loi provinciale cœxistante n’imposait alors au producteur l’adoption d’un permis de marque de commerce. Si par un mécanisme comparable, on avait, en réalité, rendu obligatoire le programme fédéral de permis par le canal d’une loi provinciale antérieure sur la commercialisation et que la loi fédérale soit ainsi devenue applicable à la réglementation des ventes locales à l’intérieur d’une province, les conditions dans lesquelles le Conseil privé a jugé valide la législation sur la marque «Canada Standard» n’existeraient pas. Il a jugé que la législation était intra vires parce que:

[TRADUCTION]…aucune raison ne semble s’opposer à ce que la compétence législative du Parlement fédéral s’étende à la création de droits juridiques dans des domaines nouveaux s’ils peuvent raisonnablement entrer dans les catégories de sujets confiés au Parlement par la constitution. La substance de la législation en question est de définir une marque nationale, d’en accorder l’usage exclusif au gouvernement fédéral de façon à assurer un fondement logique à un système de permis accordés par la loi aux producteurs, manufacturiers et marchands. Accorder «la propriété exclusive» de la

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marque à Sa Majesté revient sans doute à accorder «l’usage de» la marque à Sa Majesté. Cela peut assurer une protection civile utile à la marque lorsqu’elle est violée au Canada par des personnes qui n’ont pas violé l’interdiction quelque peu restreinte du paragraphe pénal (qui s’applique seulement aux personnes qui «apposent» la marque sur des marchandises), ou lorsqu’elle est violée à l’étranger, où l’on ne peut pas du tout faire appliquer les dispositions pénales de la loi canadienne.

Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, précité, à la p. 418, lord Atkin.

Ici il n’existe aucun mécanisme législatif comparable, ni en fait ni en droit. Le programme en cause n’est pas optionnel mais est, en réalité, obligatoire. Il n’existe aucun droit de propriété à l’égard duquel le gouvernement fédéral délivre un permis en vertu de la loi à la demande d’un producteur ou d’un détaillant. Ici, la loi fédérale a pour portée véritable la réglementation de la commercialisation locale, aussi bien qu’interprovinciale et internationale comme, par exemple, par la réglementation détaillée de l’emballage. Les régimes de commercialisation qui touchent effectivement au processus même de commercialisation ne se comparent aucunement en fait ou en droit à un programme de création d’un droit de propriété sous forme d’une marque de commerce reliée à un régime vraiment volontaire qui permet d’accorder un permis aux usagers de cette marque de commerce. De plus, la loi soumise maintenant à cette Cour, contrairement à celle sur la marque «Canada Standard», requiert la participation des provinces pour qu’elle devienne inévitablement applicable au commerce local. La vraie nature du programme fédéral, son caractère véritable, se dégage des circonstances et du contexte dans lesquels il a été édicté et est maintenant appliqué. La présence de la loi provinciale n’invalide pas en soi l’action fédérale, mais elle fait partie des circonstances à analyser pour discerner l’essence réelle de la législation fédérale.

La législation sur la marque «Canada Standard» a été examinée et entérinée par le Conseil privé comme une loi relative aux marques de commerce. Elle visait, de par son caractère véritable, à créer une marque de commerce et un système de permis et le Conseil privé a jugé que c’était une loi valide

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sur le fondement du par. 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Puisque le Conseil privé n’examinait pas dans cette affaire-là une loi dont le caractère véritable était la réglementation de la commercialisation locale des produits agricoles, l’application ou l’élargissement de cet arrêt aux circonstances actuelles présente nécessairement un grand risque. Il ne faut pas oublier les limites du par. 91(2) qu’énonce le juge Rand dans le Renvoi relatif à The Farm Products Marketing Act, et modifications, précité, aux pp. 208 et 209:

[TRADUCTION] Bien que l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne le prévoie pas expressément, il est admis qu’il existe un domaine de commerce relevant du pouvoir provincial… Ce pouvoir diminue la portée du texte accordant au Dominion, en vertu du par. 2 de l’art. 91, l’autorité exclusive d’adopter des lois relatives à la réglementation des échanges et du commerce. Il découle aussi d’une interprétation de l’Acte qui était nécessaire

afin de préserver de toute diminution, sinon d’extinction effective, le degré d’autonomie dont les provinces étaient destinées à jouir d’après le plan d’ensemble de l’Acte.

(Le juge Duff, dans l’arrêt Lawson c. Interior Tree, Fruit and Vegetable Committee of Direction, [précité]). En analysant la législation dans cette optique, nous devons avoir à l’esprit la déclaration de lord Atkin dans l’arrêt Attorney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada et al., [précité], portant qu’il faudra élaborer la législation

avec prudence, et ce résultat ne saurait être atteint si les parties sortent de leur propre sphère pour empiéter sur celle de l’autre.

C’est le juge en chef Duff qui a fait l’exposé décisif sur l’étendue des compétences relatives du Dominion et des provinces dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits naturels, 1934, [1936] R.C.S. 398. La réglementation de commerces particuliers limités à la province relève exclusivement de la législature, sous réserve, le cas échéant, de la réglementation générale du Dominion se rapportant à tous les échanges et d’empiétements accessoires du Dominion qui peuvent être nécessaires pour assurer l’application de sa réglementation; les échanges interprovinciaux et extérieurs relèvent donc exclusivement du Parlement. Il faut lire cet exposé en corrélation avec le jugement de cette Cour dans l’affaire R. c. Eastern Terminal Elevator Company, [précité], confirmé par le Comité judiciaire dans l’arrêt Attorney-General for British Columbia v.

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Attorney-General for Canada, précité, p. 387. Ce jugement déclarait que la réglementation du Dominion ne peut pas embrasser les échanges locaux simplement parce que, dans une matière identique, l’intérêt extérieur est prédominant.

Si une province considère inopportun le résultat de sa législation combinée avec celle du Parlement du Canada, en l’espèce la poursuite judiciaire d’un vendeur local, quel recours a‑t‑elle dans de telles circonstances? Elle pourrait, bien sûr, abolir son programme de réglementation reconnu valide. Subsidiairement, la province pourrait dégager sa législation de l’emprise de la loi fédérale en adoptant une terminologie descriptive différente pour la réglementation des produits. Une telle mesure deviendrait, bien sûr, futile si le Parlement fédéral décidait d’adopter ces termes par une loi modificatrice complémentaire ou d’autoriser à le faire par règlement. De cette façon, la vente des produits naturels à l’intérieur d’une province serait validement réglementée par une loi nationale, au moins en ce qui concerne les normes applicables à ces ventes à tous les paliers d’échange. Il semble que le pouvoir provincial de réglementer le commerce local pourrait être frustré de façon permanente par une «législation parallèle» persistante du Parlement fédéral. On pourra trouver la solution à ce problème dans d’autres procédures où ces points litigieux se poseront et devront être tranchés, mais il n’est pas nécessaire dans ce pourvoi de tirer la ligne de démarcation entre le domaine des échanges et du commerce et la réglementation du commerce local par la Législature provinciale.

En concluant à l’applicabilité de la loi fédérale, le savant juge de la Haute Cour, en chambre, a notamment dit:

[TRADUCTION] C’est la création d’une marque nationale à laquelle les marchands, y compris les marchands locaux, peuvent avoir recours. C’est uniquement lorsque la province édicte une loi obligeant ces marchands locaux à utiliser cette marque et à se conformer aux exigences de son utilisation qu’il y a réglementation des échanges et du commerce à l’intérieur de la province. Et cela, bien sûr, découle de la loi provinciale et non de la loi fédérale.

Avec égards, je crois que cela représente plus une solution de facilité qu’une différenciation. On ne peut pas plus dire que les marchands locaux ont

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«recours» à la loi nationale qu’on ne peut dire qu’une personne peut ou non exercer son droit de respirer. De plus, je crois avec égards qu’il est tout à fait erroné de considérer la loi fédérale comme une création innocente de quelque chose semblable à une marque de commerce et de présumer par le fait même qu’il s’agit d’une loi fédérale en matière de marques de commerce. En fait et en droit, il s’agit d’une loi sur la commercialisation édictée sans pouvoir souverain à cette fin dans l’espoir que cette faille sera comblée par une loi provinciale réconciliable, relevant de la souveraineté provinciale. La province a coopéré en instaurant un régime de commercialisation mais invoque, avec raison je crois, que la loi applicable à laquelle l’appelante peut avoir contrevenu n’est pas la soidisant législation sur les marques de commerce, mais la véritable législation provinciale sur la commercialisation qui vise à combler la lacune constitutionnelle relative à la commercialisation des fruits et légumes dans la province de l’Ontario.

Le lieutenant-gouverneur en conseil de la province de l’Ontario a peut-être réagi à la loi fédérale en adoptant les mêmes normes et la même terminologie dans sa loi sur la commercialisation des produits naturels. Il pourra être utile de se référer à l’annexe ci-jointe en ce qui a trait à l’histoire législative et réglementaire de ces régimes de réglementation du commerce. L’exécutif fédéral cherche maintenant à s’arroger à proprement parler la mise en application de la loi provinciale solidaire de la sienne. Il n’est pas étonnant que l’exécutif du gouvernement de l’Ontario s’y oppose. Les pouvoirs législatifs ayant coopéré de façon aussi remarquable en instaurant un programme de commercialisation global, il est aussi incongru qu’inutile que ce conflit ait pris naissance entre les deux organismes administratifs ou exécutifs. Finalement, voilà les exécutifs respectifs des deux gouvernements coopérateurs qui se disputent les droits d’administration d’un programme de commercialisation qui ne peut être mis en vigueur au niveau local que par l’exercice d’un pouvoir provincial. Si une telle coopération sur le plan législatif doit entraîner un empiétement et un chevauchement inutiles de l’administration ou des poursuites, le régime constitutionnel conçu et élaboré dans l’Acte de l’Amérique du Nord britanni-

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que et issu des arrêts du Conseil privé et de cette Cour, va sûrement être mis en échec. Des conséquences ou des résultats divergents ne peuvent évidemment pas être une source exclusive d’interprétation constitutionnelle. Cependant, s’il est possible de donner à la constitution une interprétation raisonnable et compatible avec la jurisprudence de manière à assurer ou à amener un résultat sensé et pratique, une cour doit, à mon avis, l’adopter. Cela doit être particulièrement vrai lorsque l’interprétation subsidiaire va à l’encontre du programme même que, dans la plénitude de leurs pouvoirs, les deux autorités ont institué pour la réglementation conjointe d’un secteur d’activités de la collectivité.

La loi fédérale cherche à ajouter une autre conséquence à la conduite déjà prohibée par la loi ontarienne. On allègue que le résultat est simplement que si le détaillant indique sur les pommes la catégorie «extra de fantaisie», il sera poursuivi en vertu de la loi fédérale (si la qualité ne répond pas aux normes prescrites), mais s’il n’appose pas l’étiquette, il sera poursuivi en vertu de la loi provinciale. A ce résultat, je préfère de beaucoup la solution simple voulant que la Partie I de la loi fédérale soit inapplicable au commerce local dont il est question ici et, donc, que l’accusation, le cas échéant, doive être portée en vertu de la loi provinciale.

Cela ne veut pas dire que le public n’est pas protégé car, en réalité, la loi provinciale The Farm Products Grades and Sales Act, R.S.O. 1970, chap. 161 et modifications, a la même portée que la loi fédérale. D’ailleurs, elle illustre bien ce que font les provinces pour réglementer la commercialisation des produits agricoles.

Il n’est pas nécessaire, à mon avis, de décider si la Partie I est complètement ultra vires du Parlement du Canada, l’appelante ne nous a d’ailleurs pas demandé de le faire. Il suffit qu’elle soit jugée inapplicable aux circonstances alléguées dans l’accusation portée contre l’appelante en vertu de la loi fédérale. Il se peut que la Partie I soit au moins partiellement valide parce que le régime de classification de l’art. 3 est intégré à celui du commerce international et interprovincial qui fait l’objet de la Partie II de la Loi mais, à mon avis, l’art. 3 n’est aucunement valide à l’égard des opérations pure-

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ment intra-provinciales et est à cet égard ultra vires. Tel est le raisonnement suivi par le juge Kellock pour interpréter une loi dans des circonstances assez semblables, dans le Renvoi sur l’applicabilité de la Minimum Wage Act de la Saskatchewan à un employé d’un bureau de poste[13], à la p. 268.

Il se peut bien que l’état de l’interprétation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique que j’ai résumé au début compte tenu des décisions du Conseil privé, ne soit plus maintenant une description exacte du pouvoir fédéral aux termes du par. 91(2). Il se peut bien que dans des procédures appropriées où les circonstances soulèveront la question de la portée du par. 91(2), cette Cour soit appelée à examiner l’interdépendance des pouvoirs fédéral et provinciaux relativement à la commercialisation locale des articles de commerce, tant des produits naturels que des autres, qui circulent dans le commerce international et interprovincial. Il n’est pas nécessaire, à mon avis, d’étudier ces principes pour trancher la présente affaire de façon appropriée et je me contente donc de répéter que la décision que j’envisage est entièrement fondée sur l’état du droit tel qu’il se dégage des arrêts mentionnés au début.

L’intimée a évoqué que la constitutionnalité de la Partie I pourrait trouver sa source dans le droit criminel (91(27)). Pour trancher cet argument, il suffît de se référer à ce qu’a dit le juge Rand dans Re la validité du par. 5a) de la Loi de l’industrie laitière[14], à la p. 50. L’intimée a également avancé que le pouvoir relatif à l’agriculture qui se trouve à l’art. 95 pourrait appuyer la constitutionnalité de la Partie I. Je me contente de souligner que dès qu’elles se retrouvent dans le réseau de la commercialisation, ces pommes ne font nettement plus partie du domaine de l’agriculture et je crois donc que le sort des présentes procédures ne dépend aucunement d’un recours à l’art. 95 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Voir Re Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles[15], le juge Pigeon à la p. 1294.

[1] (1978), 39. C.C.C. (2d) 127.

[2] (1977), 37 C.C.C. (2d) 20, 17 O.R. (2d) 168, 79 D.L.R. (3d) 627.

[3] [1937] A.C. 405.

[4] [1977] 2 R.C.S. 134.

[5] (1881), 7 App. Cas. 96.

[6] [1925] R.C.S. 434.

[7] [1931] R.C.S. 357.

[8] [1937] A.C. 377.

[9] [1937] A.C. 377.

[10] [1957] R.C.S. 198.

[11] [1951] R.C.S. 31.

[12] [1937] A.C. 405.

[13] [1948] R.C.S. 248.

[14] [1949] R.C.S. 1.

[15] [1978] 2 R.C.S. 1198.


Parties
Demandeurs : Supermarchés Dominion Ltd.
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Supermarchés Dominion Ltd. c. R., [1980] 1 R.C.S. 844 (13 décembre 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 13/12/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 844 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-12-13;.1980..1.r.c.s..844 ?
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