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21/12/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._695

Canada | R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695 (21 décembre 1979)


Cour suprême du Canada

R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695

Date: 1979-12-21

Sa Majesté La Reine (Défenderesse) Appelante;

et

Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited (Mise en cause)

et

Foundation Company of Canada Limited (Demanderesse) Intimées.

1979: 26 avril; 1979: 21 décembre.

Présents: Les juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695

Date: 1979-12-21

Sa Majesté La Reine (Défenderesse) Appelante;

et

Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited (Mise en cause)

et

Foundation Company of Canada Limited (Demanderesse) Intimées.

1979: 26 avril; 1979: 21 décembre.

Présents: Les juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Tribunaux - Cour fédérale - Compétence - Procédures de mise en cause intentées par Sa Majesté - Non fondées sur le droit fédéral - Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, art. 101 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap 10, art. 17(4) - Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38 - The Negligence Act, R.S.O. 1970, chap. 296, art. 2.

L’intimée Foundation Co. of Canada Ltd. («Foundation») a intenté une action contre l’appelante («Sa Majesté») en alléguant violation d’un contrat de construction et négligence dans des opérations de dynamitage effectuées par l’autre intimée, Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. («Fuller»). Avant de produire sa défense, Sa Majesté a produit contre Fuller un «avis à la tierce partie» qui réclame, en vertu de son contrat avec cette dernière, une indemnisation pour sa responsabilité envers Foundation et également une contribution de Fuller en vertu de The Negligence Act de l’Ontario. Le juge Décary de la Division de première instance de la Cour fédérale a radié l’«avis à la tierce partie». Le juge de première instance a déclaré qu’il n’y avait pas de droit fédéral impliqué qui pouvait donner compétence à la Cour fédérale pour connaître de la demande vis-à-vis de la tierce partie et donc que la Cour était incompétente, vu l’arrêt McNamara, [1977] 2 R.C.S. 654. L’appel de Sa Majesté à la Cour d’appel fédérale a été rejeté, d’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt (le juge Martland étant dissident): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre: Pour les fins de l’art. 101 de l’A.A.N.B., une action et une procédure relative à tierce partie constituent deux instances distinctes. Dans Banque de Montréal c. Banque Royale du Canada, [1933] R.C.S. 311,

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le juge en chef Duff a déclaré que «la procédure contre le tiers est une nouvelle instance et non un simple incident de l’action principale». Pour que la Cour fédérale soit compétente pour connaître de l’une et l’autre, chacune doit viser à faire appliquer un droit conféré par le droit fédéral. Dans McNamara Construction c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a jugé que Sa Majesté ne pouvait intenter devant la Cour fédérale une action pour inexécution d’un contrat de construction. En l’espèce, la Loi sur la responsabilité de la Couronne porte seulement sur la responsabilité qui est invoquée dans l’action principale et ne comprend pas le litige soulevé par l’«avis à la tierce partie». La réclamation contre Fuller découle du contrat et de The Negligence Act et, par conséquent, les lois sur lesquelles se fonde l’«avis à la tierce partie» ne sont pas celles du Canada mais celles de la province de l’Ontario. Il n’est pas certain que la réclamation en vertu de The Negligence Act ne puisse être invoquée devant les tribunaux de l’Ontario. Mais, même si le redressement demandé par Sa Majesté contre le tiers ne peut être obtenu autrement en Ontario, cela ne peut pas justifier la conclusion que Sa Majesté doit pouvoir instituer des procédures de mise en cause devant la Cour fédérale afin de ne pas être privée du bénéfice de The Negligence Act. Le principe fondamental régissant le système judiciaire canadien est la compétence des cours supérieures des provinces sur toutes questions de droit fédéral et provincial. Le Parlement fédéral a le pouvoir de déroger à ce principe en établissant des tribunaux additionnels seulement pour la meilleure administration des lois du Canada. L’application de la doctrine du pouvoir accessoire est limitée à ce qui est vraiment nécessaire à l’exercice efficace de l’autorité législative du Parlement. Si l’on estime souhaitable d’être en mesure d’invoquer une loi provinciale sur la négligence contributive, la solution appropriée est de rendre possible l’exercice de ce droit devant la Cour supérieure de la province.

Le juge Martland dissident: La grande différence entre la présente affaire et l’affaire McNamara est qu’ici, c’est à titre de défenderesse que Sa Majesté est poursuivie devant la Cour fédérale et nul ne conteste la compétence de cette dernière pour connaître de la poursuite intentée par Foundation contre Sa Majesté. Sa Majesté a été régulièrement poursuivie en Cour fédérale pour des demandes fondées sur sa responsabilité contractuelle et délictuelle. Pour réussir dans sa demande d’indemnisation ou de contribution contre un tiers, elle doit établir sa responsabilité envers la demanderesse, Foundation. Cette responsabilité peut uniquement être établie au procès contre Sa Majesté en Cour fédérale. Bien qu’il soit certain qu’une action et qu’une procédure de mise en cause sont deux instances distinctes, l’exis-

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tence ici d’un jugement rendu par la Cour fédérale contre Sa Majesté dans l’action principale est le fondement même de la demande de mise en cause formulée par Sa Majesté et ce jugement serait une déclaration de droit fédéral. Cela constitue un fondement suffisant pour établir la compétence de la Cour fédérale à connaître de la demande de mise en cause en vertu de l’al. 17(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale. En outre, si Sa Majesté ne peut engager de procédures de mise en cause devant la Cour fédérale, lorsque la réclamation contre elle est fondée sur la négligence, cela signifiera que toute la question devra être réentendue par une autre cour. Étant donné qu’une demande de contribution présentée par Sa Majesté en vertu de The Negligence Act de l’Ontario ne peut être présentée devant les cours de l’Ontario, elle n’aurait alors plus aucun recours.

[Jurisprudence: Banque de Montréal c. Banque Royale du Canada, [1933] R.C.S. 311; McNamara Construction c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, arrêts suivis; Valin c. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1; Cohen v. McCord, [1944] O.R. 568; Rickwood v. Town of Aylmer (1957), 8 D.L.R. (2d) 702; Commission de la Capitale nationale c. Pugliese, [1979] 2 R.C.S. 104]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] qui a confirmé le jugement du juge Décary de la Division de première instance de la Cour fédérale radiant un «avis à la tierce partie». Pourvoi rejeté, le juge Martland étant dissident.

T.B. Smith, c.r., et D. Sgayias, pour l’appelante.

Don Rasmussen et A.H.A. Keenleyside, pour l’intimée Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE MARTLAND (dissident) — L’intimée Foundation Company of Canada Limited («Foundation») est partie à un contrat en vertu duquel elle s’est engagée envers l’appelante («Sa Majesté») à construire un centre de recherches à Tunney’s Pasture à Ottawa.

Le 25 octobre 1974, Sa Majesté a donné ordre à Foundation de cesser les travaux sur le chantier parce que des dommages avaient été causés à

[Page 698]

l’empattement d’une partie du mur de fondation par des opérations de dynamitage effectuées par l’intimée Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited («Fuller») qui, aux termes d’un contrat avec Sa Majesté, procédait à l’installation de canalisations d’égout pour l’immeuble projeté.

Foundation a intenté une action contre Sa Majesté, fondée sur l’allégation que son contrat prévoit expressément que Sa Majesté sera responsable de toute dépense supplémentaire, perte ou dommage directement attribuable à la négligence ou au retard résultant de l’omission par Sa Majesté d’accomplir un acte qui lui incombait, conformément à l’usage du commerce, et qui était nécessaire pour que Foundation puisse s’acquitter de ses obligations contractuelles.

Les paragraphes 5 et 6 de la déclaration allèguent:

[TRADUCTION] 5. Le 25 octobre 1974 ou vers cette date, la demanderesse, conformément à des instructions écrites reçues de l’architecte de la défenderesse, a cessé les travaux sur le chantier. A cette époque, la demanderesse a été informée que des dommages avaient été causés à l’empattement d’une partie du mur de fondation par des opérations de dynamitage effectuées près du chantier par un préposé, employé ou entrepreneur en construction d’égout travaillant pour la défenderesse, Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited.

6. La demanderesse allègue que les dommages au mur de fondation ont été causés uniquement et directement par les opérations de dynamitage effectuées par ladite Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited, avec l’approbation et l’autorisation de la défenderesse.

Foundation prétend avoir été retardée dans son travail pendant une période totale de dix semaines et allègue avoir subi des dommages s’élevant à $461,636.

Foundation fonde également sa réclamation sur la responsabilité délictuelle de Sa Majesté pour négligence, vu son défaut de surveillance adéquate des travaux effectués par Fuller et son manque de précautions normales pour s’assurer que les opérations de dynamitage de Fuller n’endommageraient pas les travaux de construction de Foundation.

Sa Majesté a signifié à Fuller un «avis à la tierce partie» qui réclame, en vertu de son contrat avec cette dernière, une indemnisation pour sa respon-

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sabilité envers Foundation. Sa Majesté réclame également une contribution de Fuller en vertu de The Negligence Act, R.S.O. 1970, chap. 296, pour le motif que les dommages causés au mur de fondation résultent de la négligence de Fuller ou de celle des préposés, employés et agents de cette dernière agissant dans le cadre de leur emploi.

Sur requête pour instructions, l’«avis à la tierce partie» a été radié par un juge de la Division de première instance de la Cour fédérale. Voici quels étaient ses motifs:

A sa face même, la demande de la Couronne à l’encontre de la tierce partie n’est pas fondée sur le contrat dont la demanderesse allègue l’existence mais sur The Negligence Act de l’Ontario et sur un contrat distinct qu’elle a conclu avec celle-ci. Il n’y a pas de droit fédéral impliqué qui puisse donner compétence à la Cour pour connaître de la demande vis-à-vis la tierce partie. Vu l’arrêt McNamara, la Cour est incompétente.

Un appel de Sa Majesté à la Cour d’appel fédérale a été rejeté. Le juge en chef Jackett, exposant les motifs de jugement de la Cour, a dit:

Le recours de l’appelante à la présente cour, si je comprends bien, s’appuie en fait sur la prétention que l’arrêt McNamara de la Cour suprême du Canada ([1977] 2 R.C.S. 654) ne s’applique pas parce que la procédure relative à la tierce partie qui a été engagée concerne la responsabilité éventuelle de l’appelante dans l’action principale, laquelle est fondée sur le droit fédéral, et qu’il s’ensuit que la procédure relative à la tierce partie relève de la compétence que le Parlement pouvait attribuer à la Cour fédérale en vertu de l’article 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, en dépit de l’arrêt McNamara.

A mon avis, pour les fins de l’article 101, une action et une procédure relative à tierce partie constituent deux instances distinctes et, pour que la Cour fédérale soit compétente pour connaître de l’une et l’autre, chacune doit viser à faire appliquer un droit conféré par le «droit fédéral» (Western Caissons (Quebec) Limited c. McNamara Corporation of Newfoundland Co. Limited et autres, [1979] 1 C.F. 509). De plus, à mon avis, la procédure relative à tierce partie engagée en l’espèce vise à faire appliquer un droit soi-disant créé soit par le droit commun provincial des contrats applicable entre personnes privées, soit par The Negligence Act de l’Ontario; ni l’un ni l’autre ne font partie du «droit fédéral» et, à mon avis, ce genre de demande ne devient pas une demande fondée sur le «droit fédérale» simplement parce

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qu’il faut l’opération d’une règle de droit fédérale pour que soient réalisées les conditions nécessaires à la naissance du droit que l’on réclame en vertu de la loi provinciale.

C’est là la règle de droit établie par les motifs de l’arrêt McNamara, tels que je les comprends, et elle ne saurait être modifiée parce qu’elle cause quelque inconvénient ou même, comme il se peut que ce soit le cas en l’espèce, parce que Sa Majesté pourrait, en conséquence, ne pas avoir droit à la contribution en vertu de The Negligence Act de l’Ontario. C’est le législateur qui peut remédier à cela s’il le juge opportun.

Avec égards, je ne crois pas qu’il découle de l’arrêt McNamara que Sa Majesté soit nécessairement empêchée de joindre Fuller aux procédures devant la Cour fédérale par un «avis à la tierce partie». Dans McNamara, les procédures devant la Cour fédérale ont été intentées par Sa Majesté contre une compagnie de construction et un bureau d’architectes pour violation de leurs contrats respectifs relativement à la construction d’un immeuble, et contre une compagnie d’assurances relativement à un cautionnement. Les procédures de mise en cause ont été intentées par l’entrepreneur et la compagnie d’assurances contre les architectes et contre un sous-traitant. L’arrêt de cette Cour a radié la déclaration pour défaut de compétence de la Cour fédérale. Le fondement de cet arrêt se dégage du passage suivant des motifs du juge en chef Laskin aux pp. 658 à 660:

En bref, la principale question en litige dans ces pourvois est de savoir si le Cour fédérale du Canada a compétence sur un sujet dans une action en dommages-intérêts intentée par la Couronne du chef du Canada pour inexécution d’un contrat. Cette compétence relèverait de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui confère notamment au Parlement le pouvoir législatif d’établir des tribunaux «pour la meilleure administration des lois du Canada». Dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Le Canadien Pacifique Limitée, ([1977] 2 R.C.S. infra) (arrêt rendu après les jugements de la Cour d’appel fédérale en l’espèce), cette Cour a statué que les dispositions de l’art. 101 posent comme condition préalable à l’exercice par la Cour fédérale de sa compétence, l’existence d’une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale. Comme l’a indiqué cette Cour dans l’arrêt Quebec North Shore

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Paper Company, la compétence judiciaire en vertu de l’art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative fédérale. Il s’ensuit qu’il ne suffit pas que la compétence exclusive du Parlement s’exerce dans les domaines de «la dette et la propriété publiques» en vertu de l’art. 91(1A) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et à l’égard de «l’établissement, du maintien, et de l’administration des pénitenciers» en vertu de l’art. 91(28) et que l’objet du contrat de construction en l’espèce puisse relever de l’un ou l’autre de ces domaines législatifs, ou des deux, pour fonder la compétence de la Cour fédérale à l’égard de la présente action en dommages‑intérêts.

Le paragraphe (4) de l’art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale est invoqué comme fondement de la compétence pour connaître de l’action intentée par la Couronne. Les paragraphes (1) et (2) confèrent à la Division de première instance de la Cour fédérale la compétence pour connaître des actions intentées par la Couronne et leur validité n’est pas contestée. Il n’est pas non plus question de la validité du par. (3) qui donne compétence dans certains cas à la Cour fédérale pour connaître d’un litige opposant la Couronne et une personne, si elles en ont convenu par écrit, et des procédures en vue de trancher des réclamations contradictoires relativement à une prétendue obligation de la Couronne. Le paragraphe (4) se lit comme suit:

(4) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance

a) dans les procédures d’ordre civil dans lesquelles la Couronne ou le procureur général du Canada demande redressement; et

b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir un redressement contre une personne en raison d’un acte ou d’une omission de cette dernière dans l’exercice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.

Ce paragraphe a remplacé l’art. 29d) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1952, c. 98, qui conférait compétence à la Cour de l’Échiquier

dans toutes les autres actions et poursuites d’ordre civil, en common law ou en equity, dans lesquelles la Couronne est demanderesse ou requérante.

Dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Company, cette Cour a souligné au sujet de cette disposition que pour traduire des personnes devant la Cour de l’Échiquier, la Couronne du chef du Canada doit au préalable établir que son action relève de la législation fédérale applicable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law.

Il ne s’agit donc pas de décider en l’espèce si la demande de redressement de la Couronne relève d’un

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domaine de compétence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée sur la législation fédérale applicable. Je ne pense pas que, pris littéralement, le par. 17(4), qui vise à habiliter la Cour fédérale à connaître de tout genre d’action d’ordre civil du seul fait que la Couronne du chef du Canada fait une réclamation à titre de demanderesse, constitue une législation fédérale valide en vertu de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. La règle de common law selon laquelle la Couronne peut poursuivre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine pertinent, élaborée dans le régime unitaire anglais, ne peut s’appliquer intégralement au Canada, un état fédéral, où les pouvoirs législatifs et exécutifs sont répartis entre les législatures et gouvernements centraux et provinciaux et où, en outre, le pouvoir du Parlement d’établir des tribunaux est limité par la Constitution.

La grande différence entre la présente affaire et l’affaire McNamara est qu’ici, c’est à titre de défenderesse que Sa Majesté est poursuivie devant la Cour fédérale et nul ne conteste la compétence de cette dernière pour connaître de la poursuite intentée par Foundation contre Sa Majesté. Dans l’arrêt McNamara, le Juge en chef a dit, à la p. 662:

Il reste donc à déterminer, quant à la question de la compétence, s’il existe une législation fédérale applicable aux présents pourvois qui donne à la Cour fédérale compétence pour connaître de l’action de la Couronne concernant la demande de dommages-intérêts et la réclamation fondée sur le cautionnement. Dans l’affaire Quebec North Shore Paper Company, cette Cour a parlé de ce que j’appellerai pour plus de commodité le droit de la Couronne:

…Il est bon de rappeler que le droit relatif à la Couronne a été introduit au Canada comme partie du droit constitutionnel ou du droit public de la Grande-Bretagne; on ne peut donc prétendre que ce droit relève du droit provincial. Dans la mesure où la Couronne, en tant que partie à une action, est régie par la common law, il s’agit de droit fédéral pour la Couronne du chef du Canada, au même titre qu’il s’agit de droit provincial pour la Couronne du chef. d’une province, qui, dans chaque cas, peut être modifié par le Parlement ou la législature compétente. Il n’est pas question en l’espèce de droit de la Couronne.

On ne peut conclure de cet extrait qu’il suffit à la Couronne d’être partie à un contrat qu’elle invoque dans son action à titre de demanderesse pour que l’exigence relative à la législation fédérale applicable soit remplie. La situation est différente si la responsabilité de la

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Couronne est en cause car il existe des règles de common law en matière de responsabilité contractuelle et de non-responsabilité délictuelle de la Couronne, règles cependant considérablement modifiées par la législation. Lorsqu’il ne s’agit pas de la responsabilité de la Couronne mais de celle de l’autre partie à un contrat bilatéral, la situation n’est plus la même quant au droit de la Couronne d’obliger cette personne à agir en défense dans une action intentée en Cour fédérale.

Dans l’action principale, la Cour devra examiner les allégations de Foundation que des dommages ont été causés au mur de fondation par les travaux de Fuller, et les allégations de négligence de Sa Majesté relativement à ces travaux. Fuller n’est pas devant la Cour en tant que partie puisque Foundation ne l’a pas jointe comme défenderesse. Sa Majesté cherche, par une procédure de mise en cause, à amener Fuller devant la Cour.

Pour réussir dans sa demande contre le tiers, Sa Majesté doit d’abord établir sa propre responsabilité envers Foundation. Cette responsabilité met en jeu le «droit fédéral», comme l’indique le deuxième extrait précité de l’arrêt McNamara.

La responsabilité délictuelle de Sa Majesté résulte d’une loi fédérale, la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38. L’exercice du recours en responsabilité contractuelle contre Sa Majesté par des procédures judiciaires a évolué dans le temps et est le résultat de la législation fédérale. En common law, les cours de Sa Majesté ne pouvaient délivrer un bref dirigé contre elle. Pour surmonter cette difficulté, on a élaboré la procédure de pétition de droit. A l’époque de la Confédération, un pétitionnaire pouvait obtenir un redressement contre Sa Majesté s’il pouvait en obtenir un contre un concitoyen. En 1875, le Parlement a adopté la Loi sur les pétitions de droit. Pour exercer ce recours, le pétitionnaire devait obtenir un fiat du gouverneur général «ordonnant que l’on fasse droit à la demande». Cette loi a été remplacée par la Loi sur les pétitions de droit, 1876. L’obligation d’obtenir un fiat a existé jusqu’en 1951. Une modification de la Loi sur les pétitions de droit, cette année-là, S.C. 1951, chap. 33, a supprimé la nécessité d’obtenir le fiat.

[Page 704]

La Loi sur les pétitions de droit a été abrogée lors de l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, dont les par. 17(1) et (2) accordent exclusivement à la Cour fédérale le droit de connaître des affaires où un redressement est réclamé contre Sa Majesté, notamment dans les cas où la demande découle d’un contrat. Voici le texte de ces paragraphes:

17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas où l’on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.

(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), la Division de première instance, sauf disposition contraire, a compétence exclusive en première instance dans tous les cas où la propriété, les effets ou l’argent d’une personne sont en possession de la Couronne, dans tous les cas où la demande découle ou est née d’un contrat passé par la Couronne ou pour son compte et dans tous les cas où une demande peut être faite contre la Couronne pour atteinte défavorable.

La situation est donc que Sa Majesté a été régulièrement poursuivie en Cour fédérale pour des demandes fondées sur sa responsabilité contractuelle et délictuelle. La possibilité de la poursuivre en responsabilité contractuelle ou délictuelle découle de la législation fédérale. Pour réussir dans sa demande d’indemnisation ou de contribution contre un tiers, elle doit établir sa responsabilité envers la demanderesse, Foundation. Cette responsabilité peut uniquement être établie au procès contre Sa Majesté en Cour fédérale. La conduite de Fuller relativement au dynamitage est une question qui fait partie de l’action principale intentée par Foundation et c’est également une question en litige dans les procédures de mise en cause contre Fuller.

En outre, quand à la demande de contribution présentée par Sa Majesté, elle ne pourrait être introduite devant les cours de l’Ontario. La Cour d’appel de l’Ontario a jugé dans Cohen v. McCord[2], qu’une demande de contribution en vertu de The Negligence Act doit être faite dans l’action principale et non dans de nouvelles procédures judiciaires après le prononcé du jugement

[Page 705]

dans l’action principale. Cet arrêt a été suivi et appliqué dans Rickwood v. Town of Aylmer[3], aux pp. 703 à 705, et dans Paul Papp Ltd. v. Fitzpatrick[4], à la p. 570.

L’arrêt de la Cour d’appel dans la présente affaire conclut qu’aux fins de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, une action et une procédure de mise en cause constituent deux instances distinctes; que la Cour fédérale a compétence seulement si la procédure vise à faire appliquer un droit conféré par le «droit fédéral»; et que la procédure de mise en cause en l’espèce vise à faire appliquer des droits conférés par le droit provincial. On y dit que la demande contre le tiers ne devient pas une demande fondée sur le «droit fédéral» simplement parce qu’il faut l’opération du droit fédéral pour que soient réalisées les conditions nécessaires à la naissance du droit que l’on réclame. On y dit également que c’est la règle de droit établie par l’arrêt McNamara.

Avec égards, il faut remarquer que dans le dernier alinéa de l’arrêt McNamara, à la p. 664, après avoir dit que puisque la déclaration dans l’action principale était radiée, les procédures résultantes devaient également être tenues pour invalides, le passage suivant a été ajouté:

Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de contributions ou d’indemnités auraient été recevables, du moins entre les parties, dans la mesure où la législation fédérale pertinente s’appliquait aux questions soulevées en l’espèce.

Bien qu’il soit certain qu’une action et qu’une procédure de mise en cause sont deux instances distinctes, comme l’a déclaré cette Cour dans Banque de Montréal c. Banque Royale du Canada[5], je ne suis pas d’avis que l’on peut faire abstraction des liens entre ces procédures, lorsque l’on considère la compétence de la Cour fédérale en vertu de l’art. 101. L’existence d’un jugement rendu par la Cour fédérale contre Sa Majesté dans l’action principale est le fondement même de la demande de mise en cause formulée par Sa

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Majesté et ce jugement serait une déclaration de «droit fédéral». A mon avis, cela constitue un fondement suffisant pour établir la compétence de la Cour fédérale à connaître de la demande de mise en cause en vertu de l’al. 17(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici le texte:

(4) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance

a) dans les procédures d’ordre civil dans lesquelles la Couronne ou le procureur général du Canada demande redressement; et

b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir un redressement contre une personne en raison d’un acte ou d’une omission de cette dernière dans l’exercice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.

Mon opinion à cet égard est renforcée par un examen de la conséquence plutôt alarmante qui découlerait de l’autre point de vue. Les poursuites contre Sa Majesté doivent être intentées en Cour fédérale qui, en vertu des par. 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, a compétence exclusive à leur égard. Si Sa Majesté ne peut engager de procédures de mise en cause devant la Cour fédérale, lorsque la réclamation contre elle est fondée sur la négligence, cela signifiera que toute la question devra être réentendue par une autre cour. En Ontario du moins, si Sa Majesté fondait une demande de contribution sur The Negligence Act de l’Ontario, étant donné l’arrêt Cohen v. McCord, elle ne pourrait se faire entendre et n’aurait plus aucun recours.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et d’ordonner que l’avis de Sa Majesté à la tierce partie soit rétabli. Sa Majesté aura droit à ses dépens contre Fuller en cette Cour et dans les cours d’instance inférieure.

Version française du jugement des juges Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et McIntyre rendu par

LE JUGE PIGEON — Un trait particulier de la constitution que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a édictée pour le Canada est la disposition qui prévoit, avec la coopération de chaque province et de l’autorité fédérale, l’établissement de cours supérieures provinciales de juridiction générale. Bien qu’on ait coutume de les appeler des

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cours provinciales, elles ne le sont que dans un certain sens. En vertu de l’art. 96, c’est le gouvernement fédéral qui joue le rôle le plus important dans leur établissement: la nomination des juges dont, en vertu de l’art. 100, les salaires sont fixés et payés par le Parlement. Comme on l’a dit avec justesse dans Valin c. Langlois[6], (aux pp. 19 et 20):

[TRADUCTION]… Ces tribunaux sont certainement tenus d’appliquer toutes les lois en vigueur au Canada, qu’elles soient édictées par le Parlement du Canada ou par les législatures locales. Ce ne sont pas de simples tribunaux locaux chargés de l’application des lois locales adoptées par les législatures locales des provinces où ils ont été constitués. Ce sont les tribunaux qui existaient dans les provinces respectives avant la Confédération… Ce sont les tribunaux de la Reine, tenus de prendre connaissance de toutes les lois et de les appliquer, soit qu’elles aient été adoptées par le Parlement du Canada ou par les législatures locales…

La raison d’être de ces cours provinciales de juridiction générale est bien connue, c’est le désir d’éviter les difficultés qu’occasionne le partage de juridiction. Cependant, le Parlement peut, en vertu de l’art. 101, établir non seulement une «cour générale d’appel pour le Canada» mais également «des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada». En raison de la vaste compétence accordée à la Cour fédérale du Canada en vertu de cette disposition, il faut maintenant faire face à certaines des difficultés que l’on avait voulu éviter par un système de cours de juridiction générale. Il est établi qu’à l’art. 101, l’expression «lois du Canada» signifie les lois édictées par le Parlement. Cependant, la présente affaire montre qu’il subsiste des problèmes dans l’application de ce principe.

Foundation Company of Canada Limited («Foundation») a produit une réclamation contre le gouvernement du Canada en alléguant violation d’un contrat de construction et négligence dans des opérations de dynamitage effectuées par un autre entrepreneur, Thomas Fuller Construction Co. (1958) Limited («Fuller»). Le fondement juridique de cette réclamation est manifestement la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,

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chap. C-38, une loi du Canada. Avant de produire sa défense, Sa Majesté a produit contre Fuller un «avis à la tierce partie», dont voici l’essentiel:

[TRADUCTION] SACHEZ que la présente action a été intentée par la demanderesse contre la défenderesse et vise le recouvrement de dommages-intérêts pour la perte que la demanderesse aurait subie quand des dommages ont été causés à un mur de fondation sur le chantier de construction du centre de recherches de la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social à Tunney’s Pasture, dans la ville d’Ottawa, province d’Ontario, le 23 octobre 1974 ou vers cette date. La réclamation de la demanderesse est énoncée dans la déclaration ci-incluse, dont copie est signifiée avec le présent avis.

Le sous-procureur général du Canada, au nom de la défenderesse, soutient que la défenderesse a droit à une indemnisation de votre part pour sa responsabilité envers la demanderesse en vertu du contrat intervenu entre la défenderesse et vous-même le 8 juillet 1974 ou vers cette date, pour l’agrandissement de l’infirmerie au centre de recherches de la Direction générale de la protection de la santé, du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social à Tunney’s Pasture, ville d’Ottawa, province d’Ontario, au motif que les dommages susmentionnés au mur de fondation ont été causés, ou occasionnés par vos activités dans l’exécution des travaux visés à ce contrat, ou qu’ils en sont le résultat ou y sont reliés.

Le sous-procureur général du Canada, au nom de la défenderesse, soutient que la défenderesse a droit à une contribution de votre part en vertu de The Negligence Act R.S.O. 1970, chap. 296, pour le motif que tout dommage ou perte subi par la demanderesse résultant des dommages susmentionnés à un mur de fondation a été causé par votre négligence ou la négligence de vos préposés, employés et agents, agissant tous dans le cadre de leur emploi, dont vous êtes responsable de la négligence.

Le juge Décary a radié cet «avis à la tierce partie» pour le motif qu’aucune loi fédérale n’avait été invoquée à l’appui de la compétence de la Cour pour en connaître. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel fédérale[7], le juge en chef Jackett disant en particulier (à la p. 879):

A mon avis, pour les fins de l’article 101, une action et une procédure relative à tierce partie constituent deux instances distinctes et, pour que la Cour fédérale soit compétente pour connaître de l’une et l’autre, chacune doit viser à faire appliquer un droit conféré par le «droit

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fédéral». De plus, à mon avis, la procédure relative à tierce partie engagée en l’espèce vise à faire appliquer un droit soi-disant créé soit par le droit commun provincial des contrats applicable entre personnes privées, soit par The Negligence Act de l’Ontario; ni l’un ni l’autre ne font partie du «droit fédéral» et, à mon avis, ce genre de demande ne devient pas une demande fondée sur le «droit fédéral» simplement parce qu’il faut l’opération d’une règle de droit fédérale pour que soient réalisées les conditions nécessaires à la naissance du droit que l’on réclame en vertu de la loi provinciale. (Renvoi omis.)

A mon avis, le premier énoncé est fondé sur une autorité concluante. Dans Banque de Montréal c. Banque Royale du Canada[8], Sa Majesté réclamait à la Banque de Montréal, devant la Cour de l’Échiquier, le remboursement de chèques tirés sur elle et payés sur de faux endossements. Par «avis à tierce partie», la Banque réclamait une indemnité à la Banque Royale du Canada en tant qu’endosseur précédent. Le juge en chef Duff a dit, rendant le jugement unanime de la Cour (aux pp. 315 et 316):

[TRADUCTION]… La Cour suprême de l’Ontario est compétente, en vertu des lois et des règles qui la régissent, pour connaître et juger de demandes présentées au moyens de procédures dites de mise en cause. Les demandes d’indemnisation que, par exemple, un défendeur présente contre un tiers, relativement à la réclamation dont il fait l’objet dans l’action principale peuvent être présentées et jugées dans l’action principale. Mais il n’y a aucun doute que la procédure contre le tiers est une nouvelle instance et non un simple incident de l’action principale. Les règles sont essentiellement des règles de pratique, non des règles de droit; elles ont été introduites pour la commodité et pour éviter le circuit d’actions. Nous estimons, par conséquent, que l’art. 30, compte tenu de l’alinéa mentionné, en vertu duquel la Cour de l’Échiquier a «compétence concurrente * * * en première instance dans toutes * * * actions * * * d’ordre civil * * * dans lesquelles la Couronne est demanderesse,» ne rend pas la Cour de l’Échiquier compétente pour connaître de la demande en question.

Le dernier point concerne le texte de l’al. a) aux termes duquel la Cour a compétence dans tous les cas se rattachant au revenu où il s’agit d’appliquer quelque loi du Canada * * *

Nous ne doutons pas que les mots «appliquer quelque loi du Canada» auraient, par eux-mêmes, une portée suffi-

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sante pour inclure une réclamation en vertu de l’art. 50 de la Loi sur les lettres de change. Il n’y a aucun doute que l’action principale est précisément prévue par les mots «les cas se rattachant au revenu.» Il y a également, sans aucun doute, un sens dans lequel la réclamation contre le tiers se rattache au revenu puisqu’il s’agit d’une réclamation visant à ce que le tiers indemnise la défenderesse à l’égard d’une dette que la défenderesse est requise de payer à Sa Majesté. On pourrait également invoquer plusieurs raisons pratiques favorables à l’attribution à la Cour de la compétence pour connaître de ces demandes d’indemnisation. Tout bien considéré, cependant, nous estimons, compte tenu du contexte, que la présente demande n’entre pas dans le cadre de l’al. a). (C’est moi qui souligne.)

Dans McNamara Construction c. La Reine[9], on a jugé que Sa Majesté ne pouvait intenter devant la Cour fédérale une action pour inexécution d’un contrat de construction. Le juge en chef Laskin a dit, au nom de la Cour, (à la p. 662) après avoir cité un passage de Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée[10] (à la p. 1063):

On ne peut conclure de cet extrait qu’il suffit à la Couronne d’être partie à un contrat qu’elle invoque dans son action à titre de demanderesse pour que l’exigence relative à la législation fédérale applicable soit remplie. La situation est différente si la responsabilité de la Couronne est en cause car il existe des règles de common law en matière de responsabilité contractuelle et de non-responsabilité délictuelle de la Couronne, règles cependant considérablement modifiées par la législation. Lorsqu’il ne s’agit pas de la responsabilité de la Couronne mais de celle de l’autre partie à un contrat bilatéral, la situation n’est plus la même quant au droit de la Couronne d’obliger cette personne à agir en défense dans une action intentée en Cour fédérale.

A la fin de son jugement, après avoir conclu que les déclarations devaient être radiées, le juge en chef Laskin a ajouté (à la p. 664):

…Compte tenu de cette conclusion, les procédures résultantes entre co-défendeurs et les procédures de mise en cause doivent être tenues pour invalides et il n’est pas nécessaire de traiter de leur validité ou de leur opportunité. Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de contributions ou d’indemnités auraient été recevables, du moins entre les parties, dans le mesure où

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la législation fédérale pertinente s’appliquait aux questions soulevées en l’espèce…

A mon avis, la question en l’espèce est: «Le litige soulevé par l’«avis à la tierce partie» relève-t-il du droit fédéral?» A mon avis il n’en relève pas. La Loi sur la responsabilité de la Couronne porte seulement sur la responsabilité qui est invoquée dans l’action principale. Il est vrai qu’il n’y aurait pas de demande d’indemnisation sans cette responsabilité, mais cette demande ne découle pas de cette responsabilité mais seulement du contrat et de The Negligence Act. Le raisonnement dans l’arrêt Banque de Montréal me paraît s’appliquer a fortiori. Dans cette affaire, comme dans la présente, la défenderesse ne pouvait rien recouvrer du tiers à moins d’être jugée responsable envers la demanderesse et il était admis que la demande visant cette responsabilité relevait de la compétence de la Cour. Cependant, on a jugé que cela ne donnait pas lieu à la demande contre le tiers parce que [TRADUCTION] «c’est une nouvelle instance et non un simple incident de l’action principale». Dans l’arrêt Banque de Montréal les deux demandes découlaient du droit fédéral, la Loi sur les lettres de change et, par conséquent, la demande contre le tiers aurait pu relever de la compétence de la Cour de l’Échiquier en vertu d’un texte de loi approprié, comme l’art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale. Mais, malgré l’absence d’obstacle constitutionnel, cette Cour a refusé d’interpréter la loi qui donnait compétence sur la réclamation objet de l’action principale de façon à l’étendre à une demande d’indemnisation formée contre un tiers. Le passage que j’ai cité montre que la Cour était consciente de l’inconvénient qu’entraînait cette conlusion. Mais, elle n’a pas cru que cela lui permettait d’étendre par implication la compétence générale du tribunal fédéral. En l’espèce, l’objection à la compétence n’est pas fondée sur l’interprétation de la loi, mais découle de la restriction constitutionnelle du pouvoir du Parlement laquelle, en ce qui a trait au système judiciaire canadien, le limite à l’établissement de «tribunaux… pour la meilleure administration des lois du Canada». En l’espèce, les lois sur lesquelles se fonde «l’avis à la tierce partie» ne sont pas celles du Canada mais celles de la province de l’Ontario.

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Dans la mesure où «l’avis à la tierce partie» est fondé sur la négligence, on prétend, au nom de Sa Majesté, que le redressement demandé ne peut être obtenu autrement et on fait référence aux arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario dans Cohen v. McCord[11] et Rickwood v. Town of Aylmer[12]. Dans la première affaire, on a jugé que lorsqu’un demandeur se désiste de son action contre l’un des deux défendeurs accusés de négligence, celui qui reste ne peut, après condamnation, réclamer contribution de l’autre. Dans la deuxième affaire, le demandeur et les deux défendeurs avaient été jugés coupables de négligence à des degrés différents. L’un des deux défendeurs ayant présenté une demande reconventionnelle contre le demandeur et obtenu un recouvrement partiel en conséquence, on a statué que le demandeur ne pouvait recouvrer de l’autre défendeur une contribution proportionnelle au degré de négligence de ce défendeur pour la seule raison qu’il n’avait pas réclamé cette contribution avant le prononcé du jugement dans l’action principale. Je ne suis pas du tout certain que l’interprétation de la loi qui a entraîné ce résultat insatisfaisant soit correcte. L’article 2 de The Negligence Act énonce une règle de fond et rien à mon avis ne révèle l’intention que les dispositions de procédure contenues ailleurs dans la Loi aient pour effet d’en limiter l’application. Lorsque l’arrêt Cohen a été rendu, ces dispositions de procédure ne prévoyaient pas une demande de contribution fondée sur une transaction. Il me semble que l’addition de cette disposition montre que le droit à la contribution créé par l’art. 2 n’est pas subordonné à la procédure mais est un droit positif: il peut être exercé même lorsque la responsabilité de celui qui réclame contribution est déterminée par une transaction plutôt que par jugement. Un arrêt récent a infirmé l’interprétation stricte de l’effet d’une modification du droit à l’eau souterraine: (La Commission de la Capitale nationale c. Pugliese[13]).

Même s’il me fallait endosser l’opinion de la Cour d’appel de l’Ontario sur l’effet de The Negligence Act, je n’admettrais pas que cela puisse justifier la conclusion que Sa Majesté doit pouvoir

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instituer des procédures de mise en cause devant la Cour fédérale afin de ne pas être privée du bénéfice de The Negligence Act. Il faut tenir compte de ce que le principe fondamental régissant le système judiciaire canadien est la compétence des cours supérieures des provinces sur toutes questions de droit fédéral et provincial. Le Parlement fédéral a le pouvoir de déroger à ce principe en établissant des tribunaux additionnels seulement «pour la meilleure administration des lois du Canada». L’établissement de ces tribuanux n’est donc pas nécessaire pour mettre ces lois à exécution. Par conséquent, je ne vois aucun fondement à l’application de la doctrine du pouvoir accessoire qui est limitée à ce qui est vraiment nécessaire à l’exercice efficace de l’autorité législative du Parlement. Si l’on estime souhaitable d’être en mesure d’invoquer une loi provinciale sur la négligence contributive qui n’est susceptible d’application que devant les cours de la province, la solution appropriée est de rendre possible l’exercice de ce droit de la manière prévue à la règle générale de la Constitution du Canada, c’est-à-dire devant la cour supérieure de la province.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge MARTLAND étant dissident.

Procureur de l’appelante: Roger Tassé, sous-procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l’intimée Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd.: Hewitt, Hewitt, Nesbitt & Reid, Ottawa.

[1] [1979] 1 C.F. 877.

[2] [1944] O.R. 568.

[3] (1957), 8 D.L.R. (2d) 702.

[4] [1967] 1 O.R. 565.

[5] [1933] R.C.S. 311.

[6] (1879), 3 R.C.S. 1.

[7] [1979] 1 C.F. 877.

[8] [1933] R.C.S. 311.

[9] [1977] 2 R.C.S. 654.

[10] [1977] 2 R.C.S. 1054.

[11] [1944] O.R. 568.

[12] (1957), 8 D.L.R. (2d) 702.

[13] [1979] 2 R.C.S. 104.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695 (21 décembre 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/12/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 695 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-12-21;.1980..1.r.c.s..695 ?
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