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21/12/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._869

Canada | Laforet c. R., [1980] 1 R.C.S. 869 (21 décembre 1979)


Cour suprême du Canada

Laforet c. R., [1980] 1 R.C.S. 869

Date: 1979-12-21

Roland Laforet (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1979: 8 mars; 1979: 21 décembre.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Laforet c. R., [1980] 1 R.C.S. 869

Date: 1979-12-21

Roland Laforet (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1979: 8 mars; 1979: 21 décembre.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Procès par jury - Lésions corporelles avec intention de blesser - Possession d’une arme, un cric d’automobile - Infraction incluse - Vérification du verdict - Réponse d’un juré - Réponse ambiguë - La façon de procéder du juge est-elle appropriée? - Verdict unanime finalement rendu.

L’appelant a été inculpé sur deux chefs d’accusation: d’avoir causé des lésions corporelles avec l’intention de blesser et d’avoir eu en sa possession une arme, savoir un cric d’automobile, dans un dessein dangereux pour la paix publique. Il a subi un procès devant jury. Sur le chef n° 1, il a été trouvé non coupable, mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Il a été trouvé coupable sur le chef n° 2. Son appel à la Cour d’appel a été rejeté sans motifs écrits.

Les moyens que l’appelant invoque dans ce pourvoi se fondent sur ce qui s’est passé lors de la vérification du verdict auprès de chaque juré, une fois le verdict de culpabilité rendu. Quant au chef n° 1, la troisième jurée a d’abord répondu lors de la vérification «Non coupable de 1...». La cour a alors essayé d’éclaircir ce qu’on lui demandait. La jurée a alors répété «Non coupable sur le premier. Quelqu’un peut expliquer». A la suite d’un autre bref dialogue, le jury s’est retiré pendant que le juge entendait les arguments des avocats. Ensuite, le jury est revenu et le juge s’est adressé à la jurée en question; le jury s’est de nouveau retiré et est revenu plus tard avec un verdict unanime. L’appelant fait essentiellement valoir que le juge du procès a erré dans sa façon de procéder suite à la vérification du verdict, à un stade où il était douteux que le verdict donné par le président fût bien unanime.

Arrêt (les juges Dickson et Estey sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Mclntyre: Le devoir du juge du procès en pareil cas est de s’assurer avec soin qu’il n’y a aucun malentendu de la part des jurés quant à l’effet de leur verdict et qu’ils s’entendent sur la décision. Pour réussir dans le présent

[Page 870]

pourvoi, l’appelant doit démontrer que le juge du procès a manqué à ce devoir. Le juge en l’espèce a pris des mesures pour s’en assurer: il a demandé au jury de se retirer puis a entendu les arguments des avocats; il a questionné la jurée quant à sa compréhension de l’affaire, ce à quoi elle a répondu qu’elle comprenait. Le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit. Les réponses de la jurée, quoique embrouillées, ont adéquatement montré qu’elle réalisait la différence entre le chef n° 1 et l’infraction incluse, mais qu’elle avait de la difficulté à l’expliquer. Le juge du procès a vu et entendu la jurée et il a exercé son pouvoir discrétionnaire.

L’autre moyen invoqué, savoir que les nouvelles directives du juge sur la question du verdict unanime auraient pu raisonnablement amener un juré à conclure que le jury n’avait pas le droit d’être en désaccord, n’est pas justifié. Examinées dans le contexte, les nouvelles directives ne sont rien de plus qu’une demande aux jurés d’examiner de nouveau si leur verdict était en fait unanime et s’il était valide.

Enfin, le juge n’a pas commis d’erreur en omettant de faire vérifier le verdict quant au chef n° 2. Pareille vérification n’est pas juridiquement requise. On fait habituellement droit à une demande de vérification lorsqu’il paraît y avoir un doute sur l’unanimité. A la demande de l’avocat, on a vérifié individuellement le verdict sur le chef n° 1, mais aucune demande n’a été présentée quant au chef n° 2 et rien n’indiquait que la jurée entretenait un doute quant à son verdict sur ce chef.

Les juges Dickson et Estey, dissidents: La seule question en litige est de savoir si, suivant le dossier qui découle de la transcription, l’appelant a bien été déclaré coupable par une cour composée d’un juge et d’un jury qui a reçu des directives appropriées et a rendu son verdict unanime conformément à la loi. La difficulté vient de la réponse initiale de la jurée. Elle a déclaré que l’accusé n’était pas coupable sur «le premier»; probablement le premier chef. On peut se demander si la jurée a voulu dire non coupable du chef et de toutes infractions moindres incluses ou du chef seulement. Une autre ambiguïté provient de la seconde réponse, c.-à-d. si elle fait référence au second chef ou à une infraction moindre incluse dans le premier chef lorsqu’elle parle «du second». De plus, les remarques des avocats indiquent qu’ils ont tous deux eu l’impression que la jurée ne comprenait pas la première accusation et la question de l’infraction moindre et incluse. Nonobstant la situation entre les avocats et le juge et entre celui-ci et la jurée, que révèle le dossier, le juge a donné aux jurés des directives non sur les accusations au sujet desquelles la

[Page 871]

jurée avait manifesté au moins une certaine confusion, mais plutôt sur la nécessité d’un verdict unanime. Il revient au tribunal d’appel de décider si les circonstances révélées par le dossier exigeaient que le juge du procès donne au jury de nouvelles directives sur les points de droit que le juré semble soulever et sur tous les éléments pertinents de la preuve. Dans la présente affaire, il semble que le juge n’a pas répondu adéquatement aux besoins de la jurée et, en conséquence, un nouveau procès devrait être ordonné.

[Jurisprudence: R. v. Ford (1853), 3 U.C.C.P. 209; R. v. Bryan (1971), 1 C.C.C. (2d) 342; R. v. Recalla, [1935] O.R. 479.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté sans motifs écrits un appel des déclarations de culpabilité de voies de fait causant des lésions corporelles et de possession d’une arme dangereuse pour la paix publique. Pourvoi rejeté, les juges Dickson et Estey étant dissidents.

A.Z. Kerekes, pour l’appelant.

W.J. Blacklock, pour l’intimée.

Version française du jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et Mclntyre rendu par

LE JUGE MARTLAND — L’appelant a été inculpé sous deux chefs d’accusation d’avoir:

1. …à Windsor dans le comté d’Essex, le 22 août 1975 ou vers cette date, avec l’intention de blesser Brian Maskery, causé à Brian Maskery des lésions corporelles contrairement au Code criminel du Canada;

2. …à Windsor dans le comté d’Essex, le 22 août 1975 ou vers cette date, eu en sa possession une arme, savoir: un cric d’automobile, dans un dessein dangereux pour la paix publique contrairement au Code criminel du Canada.

Il a subi un procès devant jury. Sur le chef n° 1, il a été trouvé non coupable de l’infraction dont il avait été inculpé, mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Il a été trouvé coupable sur le chef n° 2.

Son appel à la Cour d’appel a été rejeté sans motifs écrits. Il se pourvoit devant cette Cour sur autorisation.

[Page 872]

Les moyens que l’appelant invoque dans ce pourvoi se fondent sur ce qui s’est passé lors de la vérification du verdict auprès de chaque juré, une fois le verdict de culpabilité rendu. Je cite les passages pertinents de la transcription:

[TRADUCTION] LE GREFFIER: Les jurés sont tous présents, M. le juge. Membres du jury vous êtes-vous entendus sur votre verdict? M. le président, trouvez-vous l’accusé coupable ou non coupable sur le chef n° 1?

LE PRÉSIDENT: Non coupable de l’infraction imputée, mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles.

LE GREFFIER: Et sur le chef n° 2.

LE PRÉSIDENT: Coupable.

LE GREFFIER: Membres du jury, écoutez le verdict que la Cour a enregistré. Vous déclarez l’accusé non coupable de l’infraction imputée au chef n° 1, mais coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et coupable sur le chef n° 2. C’est là ce que vous dites tous?

LE JURY: Oui.

LA COUR: Me Cottrell, voulez-vous une vérification individuelle du verdict?

Me COTTRELL: J’aimerais bien, M. le juge.

LE GREFFIER: Membres du jury, à l’appel de votre nom, voulez-vous répondre coupable de voies de fait causant des lésions corporelles sur le chef n° 1 ou non coupable si tel est votre verdict.

1er JURÉ — Coupable de voies de fait causant des lésions corporelles.

2e JURÉ — Coupable de voies de fait causant des lésions corporelles.

3e JURÉE — Non coupable de 1 —

LA COUR: Mme Sfalcin, on vous demande si sur le premier chef de l’acte d’accusation, vous avez trouvé l’accusé non coupable de l’infraction imputée mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles.

3e JURÉE — Non coupable sur le premier. Quelqu’un peut expliquer.

Me COTTRELL: Franchement, M. le juge, avec égards, cette jurée a peut-être eu une certaine difficulté à comprendre.

3e JURÉE: Je peux comprendre le second, pas le premier.

LA COUR: Mme Sfalcin, levez-vous s’il-vous-plaît.

[Page 873]

(La jurée se lève)

LA COUR: Avez-vous compris la preuve, Mme Sfalcin?

3e JURÉE — Je comprends, mais lorsqu’ils ont dit, pas la première chose, en fait essayer de faire quelque chose, pas coupable mais seulement pour faire peur à l’homme, dans la deuxième ligne du n° 2 et le Bl dit pas —

LA COUR: Avez-vous compris, avez-vous compris les différents verdicts que j’ai lus au jury?

3e JURÉE — Oui. Est-ce que le premier n’est pas en fait essayer de faire quelque chose mais le second essayer de faire peur à — (interposition)

LA COUR: Mesdames et messieurs, je vais vous demander de vous retirer dans la salle du jury quelques instants.

NOTE: Le jury se retire dans la salle du jury.

Le juge du procès a alors entendu les arguments des avocats, notamment ce qui suit:

[TRADUCTION] Me COTTRELL: Avec égards, M. le juge, sans vouloir manquer de respect à cette jurée, il ressort de la conversation jusqu’ici qu’elle ne comprend pas. Ce qu’elle a dit, elle l’a appelé A et B et a eu de la difficulté à l’expliquer. Je crois qu’il y a un doute sérieux qu’elle ait compris la preuve, de toute évidence elle a — encore une fois sans lui manquer de respect, elle a de la difficulté à expliquer son point de vue.

LA COUR: Elle a de la difficulté à s’exprimer, il n’y a aucun doute là-dessus. Elle m’inquiète beaucoup; je me demande si elle a bien compris la preuve qui a été présentée, et bien compris la distinction entre l’accusation originale et l’infraction incluse.

Une fois les plaidoiries des avocats terminées, le jury est revenu et le juge s’est adressé à Mme Sfalcin et au jury en ces termes:

[TRADUCTION] LA COUR: Mme Sfalcin, je vais vous poser une seule question. Je ne veux pas engager de discussion avec vous. Je désire seulement que vous répondiez à la question que je vais vous poser. Avez-vous compris clairement la preuve qui a été présentée au cours de ce procès?

LA JURÉE: Oui.

LA COUR: Mesdames et messieurs du jury, comme je vous l’ai expliqué au départ, il faut que ce verdict soit unanime. Je veux qu’il soit clair que chacun doit être d’accord avec le verdict que vous allez rendre afin de garantir qu’il y a un verdict valide. Je vais vous demander d’être patients et de vous retirer dans la salle de délibérations pendant quinze autres minutes et, si vous

[Page 874]

êtes alors d’avis que vous êtes complètement unanimes sur le verdict, vous reviendrez et rendrez le verdict de nouveau.

L’avocat de l’accusé a fait valoir d’autres arguments à la suite desquels le juge a dit:

[TRADUCTION]…A mon avis cette cour se trouve dans une situation où je ne suis pas convaincu que le verdict du jury est unanime, et j’estime avoir le droit de demander au jury de retourner dans la salie de délibérations pour examiner la question qui lui est soumise et arriver à un verdict unanime, si c’est possible, et c’est là mon intention.

Le jury est revenu plus tard et la transcription se lit ainsi:

[TRADUCTION] LE GREFFIER: Membres du jury vous êtes-vous entendus sur votre verdict? M. le Président, trouvez-vous l’accusé coupable ou non coupable sur le chef n° 1?

LE PRESIDENT: NOUS le trouvons non coupable de l’infraction imputée, mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles, et coupable sur le chef n° 2. Et nous sommes unanimes.

LA COUR: Me Cottrell, voulez-vous une vérification individuelle du verdict?

Me COTTRELL: Oui, M. le juge.

LE GREFFIER: Membres du jury, à l’appel de votre nom, voulez-vous répondre coupable si tel est votre verdict, ou non coupable de l’infraction imputée mais coupable de voies de fait causant des lésions corporelles ou non coupable.

TOU S LES JURÉS ONT DIT: Non coupable de l’infraction imputée, mais coupable de l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles.

LA COUR: Mesdames et messieurs du jury, je désire vous remercier de l’attention que vous avez apportée à la preuve dans cette affaire. Je dois dire que, suivant mon appréciation de la preuve, je partage le verdict auquel vous êtes arrivés. Merci encore d’avoir pris part à l’administration de la justice dans ce comté. Vous pouvez vous retirer.

L’appelant a soulevé plusieurs moyens, mais les principaux sont essentiellement que le juge du procès a erré dans sa façon de procéder pour régler la difficulté posée par la réponse de Mme Sfalcin, ci-après appelée «la jurée», au greffier lors de la vérification du verdict. A ce stade, il était douteux que le verdict de culpabilité de l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles, donné par le

[Page 875]

président, fût bien unanime.

Le juge en chef Macaulay a énoncé il y a de nombreuses années le devoir du juge du procès en pareil cas dans R. v. Ford[1], à la p. 217:

[TRADUCTION] Il ressort clairement d’une abondante jurisprudence qu’un jury peut corriger son verdict, ou qu’un juré peut réserver son accord ou exprimer son désaccord à tout moment avant que le verdict ne soit définitivement enregistré et confirmé; et le juge qui préside une cour de juridiction, criminelle ne peut faire preuve de trop de prudence en s’assurant que, lorsqu’on arrive à un résultat aussi lourd de conséquences pour l’accusé qu’un verdict de culpabilité, tous les jurés en comprennent l’effet et souscrivent à la décision; et si, à quelque moment, avant qu’il ne soit trop tard, il se produit quoi que ce soit qui soulève un doute sur ce point, il doit s’assurer avec soin qu’il n’y a pas de malentendu à cet égard.

Il ressort de ce passage que le juge du procès a pour tâche de s’assurer avec soin qu’il n’y a aucun malentendu à cet égard. Le juge McFarlane, en Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, a adopté cet énoncé dans R. v. Bryan[2], à la p. 344.

Il s’agissait dans cette affaire d’un appel interjeté par le ministère public suite à un acquittement sur une accusation d’attentat à la pudeur. Lorsque le greffier lui a demandé si le jury était arrivé à un verdict, le président du jury a répondu par l’affirmative et que le verdict était non coupable. Le greffier a alors demandé aux jurés si c’était là leur verdict à tous et de se lever pour indiquer qu’ils étaient unanimes. Une jurée a déclaré [TRADUCTION] «Je ne le suis pas» mais s’est ensuite levée avec les autres. Le juge du procès a décidé que le verdict avait été rendu. Le ministère public a fait valoir en appel que le juge du procès avait erré en statuant qu’un verdict avait été rendu alors qu’une jurée avait déclaré ne pas être d’accord. L’appel a été rejeté.

Le juge McFarlane, après avoir mentionné l’énoncé de l’arrêt Ford, a. poursuivi en disant qu’aucune règle ne lie le juge quant à la manière

[Page 876]

de s’assurer qu’il n’y a pas de malentendu. Dans cette affaire on a souligné que l’on aurait pu faire une vérification du verdict mais que cette procédure n’était pas requise par la loi. Le juge McFarlane a poursuivi en ces termes, aux pp. 344 et 345:

[TRADUCTION] J’estime que pour réussir dans cet appel, le ministère public doit convaincre cette cour que le savant juge du procès ne s’en est pas assuré. Rien ne m’aide à trancher cette question dans le rapport soumis à cette Cour conformément à l’art. 588 du Code [modifié 1960-61, chap. 44, art. 10; 1968-69, chap. 38, art. 58] dans lequel le savant juge du procès dit avoir accepté le verdict:

…mais après réflexion, je crois que je n’aurais pas dû; il aurait sans doute été préférable de demander au jury de délibérer davantage.

Si après réflexion le juge croit qu’une autre solution eût probablement été préférable, ce n’est pas une preuve qu’au moment où il a accepté le verdict il n’était pas intimement convaincu que le doute sur l’unanimité s’était dissipé. Il peut être révélateur de noter que le verdict a été rendu le 13 février 1969 et que le rapport du savant juge est daté du 11 mars 1970.

L’avocat de l’intimé a souligné, avec raison, que le substitut du procureur général au procès est demeuré muet et n’a pas demandé de vérification individuelle du verdict ni aucune autre procédure. A mon avis, l’attitude du substitut n’est pas concluante, mais elle m’indique que lui aussi était d’avis que la jurée qui avait dit «Je ne le suis pas» avait, en se levant avec les autres jurés et par son attitude, donné son accord au verdict d’acquittement. Il est impossible de conjecturer sur ses gestes et sur l’expression de son visage lorsqu’elle s’est levée et s’est trouvée debout avec les autres jurés. Le savant juge du procès les a observés et la transcription n’en fait pas état.

La remarque du savant juge «Bon, je crains que le verdict ait été rendu» est importante. Elle a été faite après un certain délai. J’en ignore la durée. Les mots «je crains» sont équivoques. Je ne pense pas devoir en déduire qu’il subsistait un doute dans l’esprit du juge sur l’unanimité du verdict, surtout parce qu’ils sont immédiatement suivis de la proposition non équivoque «le verdict ait été rendu».

Tout doute n’est pas dissipé à cet égard, mais dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que le juge ne s’est pas assuré que le doute soulevé par la remarque de la jurée n’a pas vraiment été dissipé par sa conduite subséquente. L’appel du ministère public doit donc être rejeté.

[Page 877]

Pour réussir dans le présent pourvoi, l’appelant doit démontrer que le juge du procès a omis de s’assurer qu’il n’y avait aucun malentendu à cet égard. En l’espèce, contrairement à l’affaire Bryan, le juge du procès a pris des mesures pour s’en assurer. Il a demandé au jury de se retirer puis a entendu les arguments des avocats. Avant que le jury se retire la jurée lui avait affirmé, en réponse à sa question, qu’elle comprenait la preuve.

Au début de sa discussion avec les avocats, le juge a dit que la jurée avait de la difficulté à s’exprimer et qu’il s’inquiétait de savoir si elle avait compris la preuve et bien compris la distinction entre l’accusation originale et l’infraction incluse. Il a alors entendu les arguments des deux avocats. L’avocat de l’appelant a fait valoir que la jurée ne comprenait pas les accusations et qu’elle avait de la difficulté à comprendre la preuve.

L’audience a alors été levée et le juge du procès a eu la possibilité d’examiner la situation, savoir qu’il avait clairement dit au jury dans son exposé que si la preuve du ministère public ne l’avait pas persuadé de l’existence de l’élément d’intention de blesser, ou s’il avait un doute raisonnable sur ce point, il devait se demander si l’appelant avait commis des voies de fait causant des lésions corporelles. Il avait clairement défini cette infraction. Le jury a rendu un verdict de culpabilité de cette infraction, mais la réponse de la jurée lors de la vérification individuelle du verdict a soulevé un doute sur son assentiment à ce verdict.

Le jury a été rappelé. On a de nouveau demandé à la jurée si elle comprenait bien la preuve et elle a répondu «oui». Le juge a alors expliqué au jury que tous devaient s’entendre pour qu’il y ait un verdict valide. Le jury s’est retiré. L’avocat de l’appelant a fait valoir de nouveaux arguments. Le juge a alors dit:

[TRADUCTION] A mon avis cette cour se trouve dans une situation où je ne suis pas convaincu que le verdict du jury est unanime, et j’estime avoir le droit de demander au jury de retourner dans la salle de délibérations pour examiner la question qui lui est soumise et arriver à un verdict unanime, si c’est possible, et c’est là mon intention.

[Page 878]

Le jury est revenu plus tard avec un verdict de culpabilité de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Il a aussi trouvé l’accusé coupable sur le chef n° 2. On a vérifié individuellement le verdict sur le chef n° 1 auprès des jurés et ils l’ont confirmé.

A mon avis, le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit en adoptant cette façon de procéder. Il a pris les mesures qui, à son avis, étaient nécessaires pour s’assurer que ce jury rendait un verdict de culpabilité unanime quant à l’infraction incluse. Après examen des arguments des avocats, il a décidé qu’il n’était pas nécessaire de donner d’autres directives au jury sur l’infraction incluse. La décision lui appartenait. Le jury avait déjà reçu des directives appropriées sur ce point. Les réponses de la jurée, quoique embrouillées, ont bien montré qu’elle réalisait la différence entre l’infraction énoncée dans le chef n° 1 et l’infraction incluse, mais qu’elle avait de la difficulté à l’expliquer.

[TRADUCTION] Non coupable sur le premier. Quelqu’un peut expliquer.

Est-ce que le premier n’est pas en fait essayer de faire quelque chose mais le second essayer de faire peur.

A mon avis cela révèle qu’elle ne trouvait pas l’appelant coupable sur le premier chef, mais n’indiquait pas clairement une déclaration de culpabilité de l’infraction incluse bien qu’elle ait tenté de la distinguer du premier chef.

Le juge du procès a vu et entendu la jurée et pouvait conclure à la nécessité de donner de nouvelles directives en droit à tout le jury. Après mûre réflexion, il a exercé son pouvoir discrétionnaire. Je ne trouve pas qu’il a commis d’erreur de droit en prenant la décision qu’il a prise.

C’est là l’opinion unanime de la Cour d’appel.

L’appelant a invoqué comme autre moyen d’appel que les nouvelles directives du juge sur la question du verdict unanime auraient pu raisonnablement amener un juré à conclure que le jury n’avait pas le droit d’être en désaccord.

A mon avis, on ne peut dire que les nouvelles directives du juge sur l’unanimité ont eu cet effet.

[Page 879]

Examinées dans le contexte des événements qui y ont donné lieu, et à la lumière des remarques du juge du procès dans ses directives initiales, les nouvelles directives ne peuvent être considérées comme rien de plus qu’une demande aux jurés d’examiner de nouveau si leur verdict est unanime afin de garantir que le verdict rendu en est un valide en conformité avec leur devoir de jurés. Le juge du procès leur avait déjà clairement expliqué dans ses remarques initiales qu’ils avaient le droit d’être en désaccord.

On a de plus prétendu que le juge du procès a commis une erreur de droit en ne faisant pas vérifier le verdict quant au chef n° 2. La vérification auprès du jury après le verdict n’est pas juridiquement requise (R. v. Recalla[3]). On fait habituellement droit à une demande de vérification lorsqu’il paraît y avoir un doute sur l’unanimité. A la demande de l’avocat de l’appelant, on a vérifié individuellement le verdict sur le chef n° 1. Aucune autre demande de vérification n’a été présentée quant au chef n° 2. Rien n’indiquait que la jurée entretenait un doute quant à son verdict sur le chef n°2.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs des juges Dickson et Estey rendus par

LE JUGE ESTEY (dissident) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement du juge Martland dans le présent pourvoi et, pour les motifs qui suivent, je dois, avec égards, en venir à une conclusion différente. Le juge Martland a exposé les principales parties de la preuve relatives à la question en litige ici de même que les chefs sur lesquels l’appelant a été jugé et déclaré coupable.

La seule question en litige, bien sûr, est de savoir si, suivant le dossier qui découle de la transcription, l’appelant a effectivement été déclaré coupable par une cour composée d’un juge et d’un jury qui a reçu des directives appropriées et a rendu son verdict unanime conformément à la loi.

[Page 880]

Les difficultés ont commencé lorsqu’à la demande de l’avocat de la défense, on a vérifié le verdict auprès de chaque juré. Au cours de cette vérification, la troisième jurée, Mme Sfalcin, a répondu ce qui suit:

[TRADUCTION] 3e JURÉE — Non coupable de 1 —

LA COUR: Mme Sfalcin, on vous demande si sur le premier chef de l’acte d’accusation, vous avez trouvé l’accusé non coupable de l’infraction imputée mais coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles.

3e JURÉE — Non coupable sur le premier. Quelqu’un peut expliquer.

Me COTTRELL: Franchement, M. le juge, avec égards, cette jurée a peut-être eu une certaine difficulté à comprendre.

3e JURÉE — Je peux comprendre le second, pas le premier.

LA COUR: Mme Sfalcin, levez-vous s’il-vous-plaît.

(La jurée se lève)

LA COUR: Avez-VOUS compris la preuve, Mme Sfalcin?

3e JURÉE — Je comprends, mais lorsqu’ils ont dit, pas la première chose, en fait essayer de faire quelque chose, pas coupable mais seulement pour faire peur à l’homme, dans la deuxième ligne du n° 2 et le Bl dit pas —

LA COUR: Avez-vous compris, avez-vous compris les différents verdicts que j’ai lus au jury?

3e JURÉE — Oui. Est-ce que le premier n’est pas en fait essayer de faire quelque chose mais le second essayer de faire peur à — (interposition)

Après ces propos, on a demandé au jury de se retirer et une discussion a suivi entre le juge et les avocats. Quand le jury est revenu le dialogue suivant a eu lieu:

[TRADUCTION] LA COUR: Mme Sfalcin, je vais vous poser une seule question. Je ne veux pas engager de discussion avec vous. Je désire seulement que vous répondiez à la question que je vais vous poser. Avez-vous compris clairement la preuve qui a été présentée au cours de ce procès?

LA JURÉE: Oui.

Il s’agit donc de déterminer si le juge du procès a réagi aux remarques ou aux réponses de la troisième jurée conformément aux principes du droit criminel. La difficulté vient de la réponse initiale de la jurée. Elle a d’abord déclaré que l’accusé n’était pas coupable «sur le premier». Cela signifie probablement le premier chef,

[Page 881]

mais n’indique en rien si la jurée veut dire non coupable du chef et de toutes infractions moindres incluses ou du chef seulement. A deux occasions, elle a déclaré d’une façon ou d’une autre que l’accusé n’était pas coupable du «premier».

On suppose que sa deuxième réponse visait le second chef qu’elle a apparemment déclaré comprendre. Cependant, en disant cela, elle a laissé entendre qu’elle ne saisissait pas le «premier». L’ambiguïté à laquelle donne lieu cette remarque a trait bien sûr à la question de savoir si elle fait référence au second chef ou à une infraction moindre incluse dans le premier chef lorsqu’elle parle «du second». Le problème se complique lorsque l’on tente de dégager le sens de ses dernières remarques. Le greffier de la Cour a causé ou considérablement aggravé la difficulté à s’assurer du véritable sens de la réponse de la jurée lorsque, s’adressant au jury lors de la vérification, il a limité sa question au premier chef seulement. La première fois, le greffier a employé les termes suivants:

[TRADUCTION] LE GREFFIER: Membres du jury, à l’appel de votre nom, voulez‑vous répondre coupable de voies de fait causant des lésions corporelles sur le chef n° 1 ou non coupable si tel est votre verdict.

La deuxième fois le greffier s’est exprimé ainsi:

[TRADUCTION] LE GREFFIER: Membres du jury, à l’appel de votre nom, voulez-vous répondre coupable si tel est votre verdict, ou non coupable de l’infraction imputée mais coupable de voies de fait causant des lésions corporelles ou non coupable.

TOUS LES JURÉS ONT DIT: Non coupable de l’infraction imputée, mais coupable de l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles.

On n’a donc jamais fait de vérification individuelle du verdict rendu sur le chef n° 2.

Il est intéressant de noter la réaction tant du juge que des avocats à la réponse inattendue de la jurée n° 3 lors de la vérification par le greffier. En l’absence du jury, la discussion suivante a eu lieu:

[TRADUCTION] Me COTTRELL [avocat de l’accusé]: Avec égards, M. le juge, sans vouloir manquer de respect à cette jurée, il ressort de la conversation jusqu’ici qu’elle ne comprend pas. Ce qu’elle a dit, elle l’a appelé A et B et a eu de la difficulté à l’expliquer. Je crois qu’il y a un doute sérieux qu’elle ait compris la preuve, de toute évidence elle a — encore une fois sans lui manquer de respect, elle a de la difficulté à expliquer son point de vue.

[Page 882]

LA COUR: Elle a de la difficulté à s’exprimer, il n’y a aucun doute là-dessus. Elle m’inquiète beaucoup; je me demande si elle a bien compris la preuve qui a été présentée, et bien compris la distinction entre l’accusation originale et l’infraction incluse. (C’est moi qui souligne.)

Me COTTRELL: Elle a indiqué, je crois, que le premier signifiait tenter de le tuer et le second, lui faire peur. Je crois qu’elle a dit que B signifiait faire peur, ce qui n’équivaut certainement pas à voies de fait causant des lésions corporelles, ce n’est pas un élément de pareilles voies de fait. Je crois que nous devons nous demander si elle a compris la preuve, car elle ne comprend certainement pas l’accusation elle-même visée au premier chef.

LA COUR: Me Hunter.

Me HUNTER [substitut du procureur général]: Elle a déclaré très clairement qu’elle comprenait la preuve. Je crois qu’elle a déclaré très clairement, il n’y a aucun doute dans son esprit que l’accusé est coupable sur le chef n° 2. Je crois qu’elle a indiqué qu’il était coupable sur le chef n° 2.

LA COUR: Le chef n° 2 n’est pas l’infraction incluse.

Me HUNTER: J’ai compris qu’elle était d’accord sur le chef n° 2.

LA COUR: Mais nous discutons du chef n° 1. C’est ce que j’ai compris, on ne lui a pas posé de question sur le chef n° 2.

Me HUNTER: Dans ce cas, il s’agit de savoir s’il est non coupable sur le chef n° 1, mais coupable de l’infraction incluse dans le chef n° 1, ou si elle fait référence au chef n° 2.

LA COUR: Je ne sais pas à quoi elle fait référence. (C’est moi qui souligne.)

Me HUNTER: Peut-être si nous pouvons approfondir un peu plus sur ce point, elle réalise que le chef n° 1 comprend une infraction incluse.

LA COUR: Je ne veux pas la contre-interroger sur ce qu’elle veut dire, cela est évidemment difficile, le jury étant revenu, les autres jurés ont au moins dû avoir l’impression qu’ils étaient arrivés à un verdict unanime. La cour peut difficilement commencer à lui poser des questions.

Me HUNTER: Bien, M. le juge, lorsque le jury reviendra, je pourrais vous demander d’expliquer de nouveau l’infraction incluse dans le chef n° 1 et vous pourriez demander au jury de délibérer de nouveau.

LA COUR: Merci, Me Hunter. Me Cottrell.

Me COTTRELL: Avec égards pour Me Hunter, il appert qu’ils sont arrivés à un verdict, ils sont revenus et ont dit

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non coupable de l’infraction principale du chef n° 1 mais coupable de voies de fait causant des lésions corporelles. Ils ont joué leur rôle et, lors de la vérification, cette jurée a indiqué à la Cour, elle a dit, non coupable sur le premier, parce que cela signifie le tuer, et n° 2 ou B qui signifie lui faire peur.

LA COUR: Je ne l’ai pas entendu dire que cela signifie le tuer. Je l’ai entendu dire que cela signifie lui faire peur.

Me COTTRELL: Je crois qu’elle a dit le chef n° 1, l’accusation principale de le blesser ou de tenter de le tuer, je dirais qu’il ressort de ce qu’elle a dit devant vous, avant que vous n’ordonniez au jury de se retirer la deuxième fois, qu’elle ne comprend pas les accusations. Il faut ajouter, de nouveau sans manquer de respect à cette jurée, qu’elle a une difficulté évidente à communiquer en anglais. Il est également fort possible qu’elle ait pu avoir de la difficulté à comprendre la preuve. Je crois que la Cour fait face à un problème réel, vu la conversation que vous avez eue avec elle il y a quelques minutes, je ne suis pas sûr — je crois que le sténographe pourrait le vérifier, lorsqu’elle a commencé à s’expliquer, je crois qu’elle a dit quelque chose comme non coupable, ce qui signifie tenter de le tuer, mais coupable soit de deux ou B, parce que cela signifie simplement lui faire peur. Cela peut indiquer qu’elle dit pas tout à fait coupable sur le chef n° 1, mais coupable sur le chef n° 2.

Ces remarques des avocats et des remarques au même effet, que révèle le dossier, et qui ont été faites après la conversation entre la jurée et le juge, indiquent que les deux avocats ont eu l’impression que la jurée ne comprenait pas la première accusation et la question de l’infraction moindre et incluse. Nonobstant la situation ainsi révélée par la discussion entre les avocats et le juge, et même entre celui-ci et la jurée n° 3, le savant juge du procès a donné aux jurés des directives non à l’égard des accusations au sujet desquelles la jurée avait de toute évidence manifesté au moins une certaine confusion, mais plutôt sur la nécessité d’un verdict unanime.

C’est sur la façon dont le juge du procès a réglé la situation issue de ces échanges qu’il faut juger si le jury a, en droit, rendu un verdict unanime sur les accusations. Dans l’examen du dossier du procès en pareilles circonstances, une cour d’appel doit constamment garder à l’esprit l’avantage dont jouissait le juge du procès de voir la jurée en question et de mesurer sa réaction aux questions

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qu’il lui posait. D’autre part, le droit du défendeur à un procès équitable à toutes les étapes et sous tous les aspects des procédures judiciaires est primordial et quelque involontaire qu’une remarque, un commentaire ou une directive puisse être, s’il est susceptible d’une interprétation qui mette en doute l’authenticité de la décision du juré, la cour d’appel ne peut, à mon avis, présumer que la réponse du juré à la vérification reflétait sans équivoque son état d’esprit.

Il y a de nombreuses situations où le comportement d’un juré peut neutraliser la tentative du juge d’obtenir un verdict clair et unanime du jury. Par exemple, le verdict doit être infirmé si l’on démontre qu’un juré ne comprend pas l’anglais. Voir Ras Behari Lal et al. v. The King‑Emperor[4]. Une situation à peu près semblable s’est présentée en Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Ellison (9 février 1976, inédit), où un juré, lors de la vérification, a dit [TRADUCTION] «Coupable, M. le juge, mais avec certains doutes». En réponse au juge du procès qui lui demandait s’il voulait dire coupable ou non coupable, le juré a répondu [TRADUCTION] «Coupable, M. le juge». La cour a alors enregistré le verdict du jury comme un verdict de culpabilité. La Cour d’appel a ordonné un nouveau procès, étant d’avis que le juge du procès n’aurait pas dû accepter le verdict du jury rendu dans ces conditions sans autres questions. Le juge Kelly, au nom de la Cour, a dit:

[TRADUCTION] Dans certains cas le problème peut être résolu par une simple question du juge du procès au jury. Il n’est cependant pas souhaitable que le juge du procès engage une discussion avec les membres du jury. Il est préférable que le juge du procès leur donne de nouvelles directives sur les points qui ont pu, selon lui, être mal compris dans ses directives antérieures et leur demande de se retirer pour réexaminer la preuve à la lumière des nouvelles directives.

Il est évident qu’une autre source de confusion dans l’esprit de la jurée a été le lien entre le premier chef et les accusations y incluses. L’état d’esprit incertain révélé par ses remarques lors de la vérification exigeait à mon avis que le juge du procès donne au jury de nouvelles directives de la

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manière suggérée dans l’affaire Ellison, précitée. Le savant juge du procès d’autre part a rappelé aux jurés la nécessité d’un verdict unanime. Cependant je ne trouve rien dans les remarques de la jurée qui indiquerait quelque confusion sur la nécessité de l’unanimité. En réalité, il est possible d’interpréter les remarques de Mme Sfalcin de façon tout à fait contraire, c.-à-d. qu’il n’y a pas unanimité au moins sur une partie d’un des chefs d’accusation. Il se peut fort bien qu’un jury qui rend son verdict devant un tribunal civil, puisse, dans des circonstances analogues, se retirer puis prononcer un verdict inattaquable. En matière criminelle, où la liberté d’une personne est en jeu, il n’existe traditionnellement pas pareille latitude en droit. Le tribunal en cause est une cour composée d’un jury et du juge président le procès. Le jury qui est le juge ultime des faits doit rendre son verdict de la manière précise que prescrit la loi. En l’espèce il y a un doute sérieux sur l’unanimité du verdict du jury à l’égard de chacune des deux accusations. En pareil cas, quel est le rôle du tribunal d’appel? Comme je l’ai mentionné, il n’a pas la possibilité dont jouit le juge du procès d’observer le comportement du juré. De plus, inévitablement, le juge du procès doit jouir d’une latitude dans la manière de communiquer avec le jury. A mon avis, ce que le tribunal d’appel n’a pas le droit de faire, est de conjecturer sur ce que le juré voulait dire en communiquant son vote sur le verdict lors de la vérification. A ce stade, je fais miennes les opinions exprimées dans l’affaire Ellison, précitée. En principe, le tribunal d’appel doit décider si les circonstances révélées par le dossier exigaient que le juge du procès donne de nouvelles directives sur les points de droit que les remarques du juré semblent soulever et sur tous les éléments de preuve qui peuvent s’y rattacher. C’est évidemment une fonction semblable à celle de donner de nouvelles directives, normalement à la demande de l’avocat de la poursuite ou de celui de la défense. Il ne fait pas de doute que, dans certaines circonstances, une très brève répétition de l’explication déjà donnée quant au droit applicable aux accusations en cause suffira. Dans les circonstances révélées par ce dossier, je suis d’avis que le savant juge du procès n’a pas répondu adéquatement aux besoins que révèlent les commentaires de la jurée

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et qu’un nouveau procès devrait être ordonné.

Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de traîter longuement de l’attaque des nouvelles directives sur la question de l’unanimité que l’appelant a formulée. Si je devais le faire, je ferais miennes, avec égards, les remarques du juge Martland. Dans des arrêts antérieurs (Hébert c. La Reine[5]; Harrison c. La Reine[6] et Latour c. Le Roi[7]), cette Cour a traité à fond du devoir qui incombe au juge qui donne des directives sur la nécessité de l’unanimité, et un nouvel examen de ces arrêts n’ajouterait rien au droit.

Cette conclusion sur les directives relatives à l’unanimité est facilitée par le fait que dans ses directives initiales, le savant juge du procès a traité du sujet en profondeur, avec équité et justesse, et que dans ses remarques générales, il a prévu la possibilité de nouvelles directives et a dit au jury de considérer les directives et toutes nouvelles directives comme des instructions globales, ou, pour employer ses termes, de considérer [TRADUCTION] «la totalité des directives».

L’avocat de l’appelant a fait référence à l’art. 573 du Code criminel qui prévoit la libération d’un juré par suite de «maladie ou pour une autre cause raisonnable». Cet article commence par les mots «Lorsque, au cours d’un procès.». En l’espèce, la difficulté ne s’est présentée qu’au dernier acte des procédures, l’enregistrement du verdict du jury. L’appelant n’est cependant pas allé jusqu’à prétendre que la difficulté qu’éprouve un juré à communiquer son verdict durant une vérification constitue une «cause raisonnable» de libération de ce juré en vertu de cet article. Cette disposition du Code n’apporte pas à mon avis la solution dans les circonstances.

Enfin, l’appelant a dit que dans ses remarques finales au jury: [TRADUCTION] «Je vais vous demander d’être patients et de vous retirer dans la salle de délibérations pendant quinze autres minu-

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tes…», le savant juge du procès imposait une limite de temps au jury. Pareille pratique a été condamnée dans R. v. McKenna[8] et dans R. v. Davidson[9]. Dans la présente espèce cependant, on ne peut raisonnablement interpréter la mention de temps comme imposant une limite aux délibérations que le jury pouvait alors souhaiter entreprendre. Elle faisait plutôt écho à la préoccupation primordiale du juge du procès à propos de la question de l’unanimité dont j’ai traité. Je ne parviendrais pas, si cela était nécessaire à la solution du présent pourvoi, à une conclusion différente de celle du juge Martland sur cet aspect du pourvoi.

Pour les motifs énoncés ci-dessus, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le verdict de culpabilité enregistré en première instance, et d’ordonner un nouveau procès.

Pourvoi rejeté, les juges DICKSON et ESTEY étant dissidents.

Procureurs de l’appelant: Kerekes, Collins, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de la province de l’Ontario, Toronto.

[1] (1853), 3 U.C.C.P. 209.

[2] (1971), 1 C.C.C. (2d) 342.

[3] [1935] O.R. 479.

[4] (1933), 50 T.L.R. 1.

[5] [1955] R.C.S. 120.

[6] [1975] 2 R.C.S. 95.

[7] [1951] R.C.S. 19.

[8] [1960] 1 Q.B. 411.

[9] (1975), 24 C.C.C. (2d) 161.


Parties
Demandeurs : Laforet
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Laforet c. R., [1980] 1 R.C.S. 869 (21 décembre 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/12/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 869 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-12-21;.1980..1.r.c.s..869 ?
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