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29/01/1980 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._1065

Canada | Lottman et al. c. Stanford et al., [1980] 1 R.C.S. 1065 (29 janvier 1980)


Cour suprême du Canada

Lottman et al. c. Stanford et al., [1980] 1 R.C.S. 1065

Date: 1980-01-29

Joseph Lottman et Judy Teichberg Appelants;

et

Sam Stanford et Harry Ungerman Intimés;

et

Emma Lottman Intimée.

1979: 21 et 22 mars; 1980: 29 janvier.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI à I’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a accueilli un appel du jugement du juge Galligan[2] rejetant une action par r

equête introductive d’instance intentée par la veuve, bénéficiaire viager. Pourvoi accueilli, le jugement de première instance est ...

Cour suprême du Canada

Lottman et al. c. Stanford et al., [1980] 1 R.C.S. 1065

Date: 1980-01-29

Joseph Lottman et Judy Teichberg Appelants;

et

Sam Stanford et Harry Ungerman Intimés;

et

Emma Lottman Intimée.

1979: 21 et 22 mars; 1980: 29 janvier.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI à I’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a accueilli un appel du jugement du juge Galligan[2] rejetant une action par requête introductive d’instance intentée par la veuve, bénéficiaire viager. Pourvoi accueilli, le jugement de première instance est rétabli.

D.K. Laidlaw, c.r., pour les appelants.

P.D. Isbister, c.r., et D. Hager, pour Emma Lottman, intimée.

Martin R. Kaplan, pour les intimés Stanford et Ungerman et l’exécuteur Guaranty Trust Co. of Canada.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Ce pourvoi porte sur l’application en Ontario de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth[3]. La formulation de la règle donnée par Hanbury’s Modern Equity, 4e éd. à la p. 241, a été adoptée par le juge Kerwin, juge en chef du Canada, dans l’arrêt Royal Trust Company c. McMurray et Crawford[4] et citée à la p. 185:

[TRADUCTION] Lorsqu’en vertu d’un testament, le reliquat des biens mobiliers est légué à des personnes qui doivent en jouir successivement, il incombe aux fiduciaires d’en transformer tous les éléments à caractère peu rentable, futur ou réversible, ou tous ceux constitués de valeurs mobilières non autorisées, en biens permanents et productifs de revenus.

La Cour d’appel de l’Ontario a appliqué cette règle en l’espèce et a ordonné aux fiduciaires désignés au testament de feu Sam Lottman de réaliser les biens immobiliers improductifs. Ce pourvoi attaque cette décision.

[Page 1068]

Sam Lottman est décédé laissant un testament dont les clauses les plus importantes sont ci‑après reproduites. Après avoir, comme le veut l’usage, révoqué tous testaments antérieurs et nommé les exécuteurs testamentaires et les fiduciaires, le testateur confie tous ses biens aux fiduciaires à charge pour ces derniers de payer les dettes, les frais funéraires, les dépenses relatives au règlement de la succession et les droits successoraux et de transmettre des biens déterminés à son fils Joseph, à sa fille Judy et à son épouse Emma. Il enjoint ensuite à ses fiduciaires, en vertu de la clause III d):

[TRADUCTION] De vendre et de réaliser tous mes biens mobiliers au moment, selon le mode et les conditions qu’ils détermineront à leur entière discrétion. Ils sont, de plus, autorisés à différer la réalisation de la totalité ou d’une partie de ces biens pendant la période qu’ils estimeront appropriée;

et de la clause III g):

[TRADUCTION] D’investir le reliquat de ma succession et de verser le revenu net en découlant à mon épouse, EMMA LOTTMAN, à la condition qu’elle me survive pendant trente (30) jours. Mes fiduciaires sont habilités à verser, au besoin et à leur discrétion, à mon épouse à même le capital du reliquat de ma succession, tout montant qu’ils jugeront nécessaire ou utile en vue de payer les frais médicaux, hospitaliers ou infirmiers, ou toutes autres dépenses imprévues de cette nature.

Sam Lottman lègue en parts égales à ses quatre enfants le reliquat de ses biens au décès du dernier vivant, du testateur ou de sa veuve, sous réserve que les descendants des enfants prédécédés reçoivent, par substitution, la part de leur parent défunt.

Sam Lottman est décédé le 9 mars 1972. Il laissait un patrimoine d’une valeur brute fixée approximativement à $341,000 après la réévaluation exigée par les autorités aux fins des droits successoraux. Ce montant est réparti comme suit: approximativement $285,000 au titre des biens immobiliers et le reste, au titre des biens meubles. L’actif net de la succession, une fois réglés les droits, était composé d’un bien-fonds situé au 177-181, rue Baldwin et de ce qui restait du produit de la vente d’un autre bien-fonds situé au 172, rue Baldwin. Le seul terrain restant, savoir le 177-181

[Page 1069]

rue Baldwin, a été loué à un nommé Joseph Lottman, fils du de cujus, avec un bail de dix ans à compter du 10 septembre 1972, renouvelable pour dix autres années, moyennant un loyer de $4,800 par année. Ce montant est inférieur aux taxes annuelles. De la date du décès au 31 décembre 1975, la veuve, Emma Lottman, a reçu en sa qualité de bénéficiaire viager conformément au testament, la somme de $7,000 à titre de revenu pour cette période de près de trois ans.

Insatisfaite du revenu que lui versaient les fiduciaires, la veuve a entamé des procédures par un avis de requête introductif d’instance daté du 2 février 1977 où elle demandait un redressement sous plusieurs chefs. Deux appelés, savoir Joseph Lottman et Judy Teichberg, s’y ont opposés. Les deux seules réclamations en cause dans ce pourvoi visent l’une, l’obtention d’une ordonnance obligeant [TRADUCTION] «les exécuteurs de s’acquitter immédiatement de l’obligation de vendre prévue à la clause III d) du testament du de cujus»; l’autre, l’obtention d’un jugement déclarant que la veuve [TRADUCTION] «a le droit de recevoir, de la date du décès du de cujus jusqu’à celle de son décès à elle, six pour cent de la valeur de l’actif (c’est-à-dire les éléments d’actif non réalisés) de la succession, calculée à l’expiration d’un an à compter du décès du de cujus». La plaidoirie devant cette Cour porte en grande partie sur la première réclamation qui met en cause la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth, précité.

La Cour des sessions hebdomadaires a entendu la requête et le 13 juin 1977, le juge Galligan l’a rejetée. Le juge Galligan ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth s’appliquait aux biens immobiliers en Ontario; 11 a toutefois conclu qu’elle ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce car, à son avis, l’immeuble en cause n’était ni improductif ni peu rentable.

La Cour d’appel par la voix des juges McKinnon et Wilson a accueilli l’appel, le juge Weatherston était dissident. Elle a conclu, en appliquant la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth aux biens immobiliers, qu’il incombait aux exécuteurs testamentaires de réaliser le bien immobilier en cause et en a ordonné la vente. La Cour a de plus

[Page 1070]

ordonné aux exécuteurs d’investir le produit de la vente dans des placements autorisés et de verser à la veuve, l’appelante, à titre viager, le revenu tiré de ces placements. La Cour a également ordonné qu’en attendant la réalisation du bien immobilier, la veuve bénéficie d’une charge sur ce bien, [TRADUCTION] «à compter de la date du décès (lu de cujus jusqu’à la date de la réalisation effective, une charge de sept pour cent de la valeur des biens établie un an après la date du décès du testateur, déduction faite de tout montant effectivement versé à l’appelante au cours de la période visée à titre de revenu tiré des biens en question».

Dans sa plaidoirie devant cette Cour, l’avocat des appelants a fait valoir que la seule question en litige est de savoir si la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth s’applique pour forcer la réalisation de biens immobiliers en Ontario. Il a allégué en outre que, même si la règle s’applique à des biens immobiliers, elle ne peut avoir d’effet en l’espèce parce qu’on ne peut raisonnablement conclure que le terrain est peu rentable ou improductif. La veuve intimée s’est appuyée sur les jugements de la majorité en Cour d’appel, plus particulièrement sur celui du juge Wilson. Elle a fait valoir qu’une interprétation raisonnable du testament permet de conclure à l’existence d’un pouvoir de réalisation et, subsidiairement, que l’obligation du fiduciaire en equity d’agir avec impartialité à l’égard du bénéficiaire et des appelés emporte la réalisation du bien immobilier improductif et justifie l’application de la règle.

Dans son jugement, le juge Wilson s’exprime ainsi:

[TRADUCTION] Les deux règles d’equity, savoir celle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth (précité) et son corollaire, la règle énoncée dans In re Earl of Chesterfield’s Trusts (1883), 24 Ch. D. 643, ne partent pas d’une intention présumée du testateur qu’un bien doit être réalisé. Ces règles prévoient que lorsque le reliquat d’une succession est légué à des personnes qui doivent en jouir successivement, c’est-à-dire à un bénéficiaire viager et à des appelés, les éléments de la succession qui présentent un caractère peu rentable ou qui sont de nature réversible ou improductive doivent être réalisés par les fiduciaires et le produit doit être investi dans des placements autorisés, sous réserve d’une intention contraire exprimée dans le testament.

[Page 1071]

Le juge Wilson a adopté la thèse, bien établie en jurisprudence, que la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth exige que le fiduciaire agisse avec impartialité à l’égard du bénéficiaire viager et de l’appelé et qu’à cette fin, il réalise les biens peu rentables ou improductifs et en investisse le produit dans des placements de fiduciaires ou, si le testament le permet, dans d’autres placements autorisés. Ainsi, les droits de toutes les parties sont protégés et l’actif conservé afin que les avantages prévus au testament puissent passer successivement aux bénéficiaires respectifs. Elle dispose en ces termes de la prétention des appelés que la règle ne s’applique pas aux biens immobiliers:

[TRADUCTION] Il est vrai que les tribunaux anglais ont limité l’application de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth aux biens mobiliers: In re Woodhouse [1941] Ch. 332. Par conséquent, en vertu d’un testament en droit anglais, un bénéficiaire viager n’a droit à aucune partie du produit de la vente d’un bien immobilier improductif. En revanche, même si le testament ordonne la vente du bien immobilier, le bénéficiaire viager, en Angleterre, a le droit de recevoir tous les revenus tirés de ce bien jusqu’à la vente de ce dernier. Dans l’un ou l’autre cas, il n’y a pas de répartition. Me Sheard nous a cependant renvoyés à un certain nombre de décisions de tribunaux ontariens qui ont conclu à l’application de la règle en matière de biens immobiliers improductifs: In re Cameron (1901), 2 O.L.R. 756; Re Clarke (1903), 6 O.L.R. 551; Re Prime (1924), 25 O.W.N. 522; Re Pears (No. 1) (1926), 31 O.W.N. 235; Re Rutherford [1933] O.R. 707, [1933] 4 D.L.R. 222 (C.A.). Bien que nos tribunaux aient été les seuls à s’aventurer sur le terrain de l’application de la règle à des biens immobiliers, ce qui semble bien le cas, c’est à mon avis une aventure qui reflète une attitude canadienne contemporaine vis‑à‑vis de la propriété. Les biens immobiliers ne sont pas «sacro-saints» au Canada comme c’était le cas en Angleterre lorsque ces règles d’equity ont été élaborées. La vente de l’héritage familial ne s’accompagne pas du même traumatisme et du même déshonneur. Je ne vois pas pourquoi, compte tenu du contexte social actuel au Canada, les pouvoirs et les devoirs d’un fiduciaire en matière de biens immobiliers devraient être différents de ses pouvoirs et devoirs en matière de biens mobiliers. Par conséquent, je serais d’avis d’appliquer la règle, dans un cas approprié, à des biens immobiliers improductifs ou insuffisamment productifs. A mon avis, des fiduciaires peuvent à juste titre considérer un bien immobilier comme insuffisamment productif si le revenu qu’il génère et le taux de rende-

[Page 1072]

ment des placements autorisés sont à ce point disparates qu’il devient injuste pour le bénéficiaire de le conserver.

Avec certaines réserves relativement à une autre question qui n’est pas contestée dans ce pourvoi, le juge McKinnon a souscrit aux motifs du juge Wilson.

La règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth, comme on l’a fait remarquer, exige que le fiduciaire de biens transmis successivement agisse avec impartialité à l’égard du bénéficiaire viager et des appelés. Cette règle vise à forcer le fiduciaire à réaliser les biens mobiliers peu rentables ou improductifs et à investir le produit de cette réalisation dans des placements de fiduciaires, à moins que le testateur n’en ait exclu l’application. De cette façon, le bénéficiaire viager est assuré de recevoir un revenu tiré de l’actif de la succession et le capital de la succession est préservé pour les; appelés au décès du bénéficiaire viager. Le corollaire de cette règle a été formulé dans In re Earl of Chesterfield’s Trusts[5]. Il porte sur la répartition en capital et revenu du produit de la réalisation entre le bénéficiaire viager et les appelés et s’applique lorsque l’actif d’une succession est réalisé en application de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth ou d’une clause expresse du testament. Cependant, avec égards, je ne suis pas d’accord avec la conclusion du juge Wilson que la règle peut s’appliquer en l’espèce.

On remarque que la clause IIId) du testament enjoint aux fiduciaires de réaliser, à leur discrétion, les biens mobiliers. La clause IIIg) ordonne le placement du reliquat. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer la règle qui est tout à fait inutile lorsqu’un testament ordonne de façon spécifique la réalisation de biens: voir In re Lauer and Stekl[6]. En l’espèce, une clause prévoit que les biens mobiliers doivent être réalisés et par conséquent, le recours à la règle n’est pas nécessaire. Quant aux biens immobiliers, la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth ne leur a jamais été étendue. Toute la jurisprudence et toute la doctrine auxquelles on m’a renvoyé et que j’ai pu trouver

[Page 1073]

émanant de juridictions de common law (à l’exception des États-Unis d’Amérique) en limitent l’application aux biens mobiliers. Dans l’extrait précité, le juge Wilson a reconnu le bien-fondé de cette proposition mais elle était d’avis qu’une exception avait été faite en Ontario. Elle a cité diverses décisions mais, encore une fois, j’estime, avec égards, qu’aucune de ces décisions n’étaye la proposition que la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth s’applique à des biens immobiliers en Ontario. L’affaire In re Cameron[7] portait sur l’application de la règle énoncée dans Earl of Chesterfield’s Trusts relativement à la répartition entre revenu et capital, et la réalisation des biens immobiliers n’y découlait pas de l’application d’une règle d’equity, mais du testament qui ordonnait le prélèvement d’une somme de $50,000 à même la succession; dans Re Clark[8] le testament autorisait la vente de biens immobiliers et de biens mobiliers; dans Re Prime[9] le testament prévoyait une obligation expresse de réaliser les biens immobiliers et mobiliers; dans Re Pears (No. 1)[10] le testament autorisait la réalisation du reliquat avec un pouvoir de différer cette réalisation, ce qui rendait impossible l’application de la règle; dans Re Rutherford[11], le testament prévoyait expressément une obligation de réalisation. L’affaire Re Bingham[12], une décision citée au cours de la plaidoirie, n’ajoute rien à l’argument que la règle a été appliquée en Ontario; en effet, une clause du testament autorisait la réalisation [TRADUCTION] «d’autant de mes biens qu’il sera nécessaire pour mettre à exécution les dispositions de mon testament». Ces décisions ne sont pas des illustrations de l’application de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth à la réalisation de biens immobiliers. Dans chaque cas, la réalisation, dans la mesure où elle portait sur des biens immobiliers, découlait d’une clause du testament. Ces affaires traitent toutes de la répartition du produit de cette réalisation entre capital et revenu et, quand elles s’écartent de la jurisprudence ancienne, elles le font en appliquant des principes de répartition du

[Page 1074]

genre de ceux appliqués dans Earl of Chesterfield’s Trusts[13] au produit tiré de la vente de biens immobiliers contrairement aux principes de droit en vigueur à cet égard en Angleterre: voir In re Woodhouse, Public Trustee v. Woodhouse[14].

La question qui se pose est donc de savoir si en l’espèce l’on doit innover et étendre la portée de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth aux biens immobiliers. Le juge Wilson a exprimé sa façon de voir dans son jugement précité. Je ne suis toutefois pas convaincu que l’on doive sur ce point s’aventurer aussi audacieusement dans le champ de la législation judiciaire. Tout d’abord, l’application de la règle aux biens mobiliers seulement est en soi une règle établie depuis longtemps. On doit présumer que ceux qui rédigent des testaments et constituent des fiducies testamentaires connaissent et comprennent, maintenant comme par le passé, le fonctionnement et la portée de cette règle et qu’ils ont planifié et mis en œuvre de nombreuses fiducies testamentaires sur la prémisse que la règle continuera de s’appliquer aux biens mobiliers et non aux biens immobiliers. Son élargissement soudain pourrait cause de sérieuses difficultés à de nombreux accords de fiducie existants et, à mon avis, il ne s’agit pas d’une mesure que l’on doit prendre de cette manière. Cela ne veut pas dire que les règles anciennes ne peuvent jamais être modifiées, mais que les règles de ce genre qui portent sur l’administration de succession ne doivent pas l’être à moins d’une raison précise. En ce cas, cela incomberait au législateur qui peut adopter simultanément les dispositions transitoires et protectrices nécessaires pour éviter toute atteinte aux fiducies existantes, aux droits acquis et aux obligations assumées compte tenu de la probabilité raisonnable d’une certaine stabilité des principes juridiques.

De plus, on doit garder à l’esprit que nous examinons ici des règles d’equity qui ont trait à l’administration d’une succession, et non la législation en matière d’aide aux ayants droit, qui permet à un tribunal de modifier des dispositions testamentaires afin que justice soit faite entre le testateur et les membres de sa famille. D’autres disposi-

[Page 1075]

tions législatives traitent de pareille matière et, en Ontario, on les trouve dans The Succession Law Reform Act, S.O. 1977, chap. 40, et, plus précisément, aux art. 64 à 88. Les tribunaux ne doivent pas fausser des règles comme celle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth pour contourner des dispositions testamentaires en vue de remédier à une prétendue injustice. Je ne suis pas d’avis d’étendre la portée de la règle au-delà de ses limites actuelles. Pareille mesure est du ressort du législateur lorsqu’il la jugera appropriée.

Compte tenu de ce qui précède, il devient inutile de traiter de la question de savoir si le bien immobilier en cause est productif ou peu rentable.

Le dernier point traite de la réclamation de la veuve en vue d’obtenir ce que l’on peut appeler un revenu spéculatif sous forme d’un pourcentage de la valeur du bien immobilier non réalisé. L’arrêt Lauer et Stekl, précité, est invoqué à l’appui de cette réclamation. Ce dernier n’est d’aucun secours pour la veuve en l’espèce. Dans cette affaire, les fiduciaires avaient l’obligation de réaliser tous les biens de la succession avec pouvoir de différer la réalisation. Cet arrêt décide que, dans pareille situation, l’usufruitier viager a le droit de recevoir un revenu spéculatif basé sur un pourcentage de la valeur du bien immobilier non réalisé dans l’intervalle. Il ne s’applique pas en l’espèce puisque les fiduciaires ne sont pas tenus de réaliser le bien immobilier et que, par conséquent, les droits de la veuve, sous réserve du pouvoir des fiduciaires d’entamer le capital de la succession à son profit, se limitent à toucher le revenu réel tiré du bien immobilier.

Par conséquent je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de première instance rejetant la requête. Les appelants ont droit dans toutes les cours à leurs dépens payables à même la succession.

Pourvoi accueilli, dépens payables à même la succession.

Procureurs des appelants: McCarthy & McCarthy, Toronto.

Procureurs des intimés Stanford et Ungerman: Siegal, Fogler, Toronto.

Procureurs de l’intimée Emma Lottman: Lash, Johnston, Toronto.

[1] (1978), 2 E.T.R. 1.

[2] (1977), 1 E.T.R. 11.

[3] (1802), 7 Ves. Jr. 137, 32 E.R. 56.

[4] [1955] R.C.S. 184

[5] (1883), 24 Ch. D. 643.

[6] (1974), 47 D.L.R. (3d) 286 (C.A. C.-B.) confirmé par (1975), 54 D.L.R. (3d) 159, [1976] 1 R.C.S. 781.

[7] (1901), 2 O.L.R. 756.

[8] (1903), 6 O.L.R. 551.

[9] (1924), 25 O.W.N. 522

[10] (1926), 31 O.W.N. 235.

[11] [1933] O.R. 707.

[12] (1930), 66 O.L.R. 121.

[13] (1883), 24 Ch. D. 643.

[14] [1941] Ch. D. 332.


Synthèse
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 1065 ?
Date de la décision : 29/01/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Testaments - Interprétation - Règle de Howe v. Earl of Dartmouth - Applicabilité aux biens immobiliers - Obligation des fiduciaires.

Fiducies et fiduciaires - Réalisation des bien-fonds du reliquat - Règle de Howe v. Earl of Dartmouth - Obligation des fiduciaires.

La question porte sur l’application en Ontario de la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth (1802), 7 Ves. Jr. 137, 32 E.R. 56, savoir lorsqu’en vertu d’un testament, le reliquat des biens mobiliers est légué à des personnes qui doivent en jouir successivement, il incombe aux fiduciaires d’en transformer tous les éléments à caractère peu rentable, futur ou réversible, ou tous ceux constitués de valeurs mobilières non autorisées, en biens permanents et productifs de revenus.

Après avoir, comme le veut l’usage, révoqué tous testaments antérieurs et nommé les exécuteurs testamentaires et les fiduciaires, le testateur confie tous ses biens aux fiduciaires à charge pour ces derniers de payer les dettes, les frais funéraires, les dépenses relatives au règlement de la succession et les droits successoraux et de transmettre des biens déterminés à son fils Joseph, à sa fille Judy et à son épouse Emma. Il enjoint aux fiduciaires, à leur entière discrétion, de réaliser tous les biens mobiliers, d’investir le reliquat de sa succession et de verser le revenu net en découlant à sa femme à même le capital du reliquat, tout montant qu’ils jugeront nécessaire ou utile en vue de certains paiements. A la mort de sa femme le reliquat de ses biens sera légué en parts égales à ses quatre enfants. Le testateur est décédé en 1972 laissant un patrimoine de $341,000 dont approximativement $285,000 en biens immobiliers. De la date du décès au 31 décembre 1975 la veuve en sa qualité de bénéficiaire viager a reçu la somme de $7,000. Elle a demandé un redressement par requête

[Page 1066]

introductive d’instance. La requête, opposés par deux appelés, a été rejeté par la Cour des sessions hebdomadaires où le juge ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth s’appliquait aux biens immobiliers en Ontario, car, à son avis, l’immeuble en cause n’était ni improductif ni peu rentable. La Cour d’appel a toutefois conclu que la règle s’appliquait et qu’il incombait aux exécuteurs testamentaires de réaliser le bien immobilier en cause et en a ordonné la vente.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La règle énoncée dans Howe v. Lord Dartmouth exige que le fiduciaire de biens successoraux agisse avec impartialité à l’égard du bénéficiaire viager et des appelés et vise à forcer le fiduciaire à réaliser les biens mobiliers peu rentables ou improductifs et à investir le produit de cette réalisation. Le corollaire de cette règle a été formulé dans In re Earl of Chesterfield’s Trusts (1883), 24 Ch. D. 643 qui porte sur la répartition en capital et revenu du produit de la réalisation entre le bénéficiaire viager et les appelés.

L’application de la règle dans Howe v. Lord Dartmouth aux biens mobiliers seulement est une règle établie depuis longtemps. On doit présumer que ceux qui rédigent des testaments la connaissent. Les règles de ce genre qui portent sur l’administration de succession ne doivent pas être modifiées à moins d’une raison précise et en ce cas cela incomberait au législateur qui peut adopter simultanément les dispositions transitoires et protectrices nécessaires pour éviter toute atteinte aux fiducies existantes, aux droits acquis et aux obligations assumées compte tenu de la probabilité raisonnable d’une certaine stabilité des principes juridiques. Les tribunaux ne doivent pas fausser des règles comme celle énoncée dans Howe c. Lord Dartmouth pour contourner des dispositions testamentaires en vue de remédier à une prétendue injustice.

En ce qui a trait à la réclamation de la veuve en vue d’obtenir un «revenu spéculatif» sous forme d’un pourcentage de la valeur du bien immobilier non réalisé, l’arrêt Lauer v. Stekl (1974), 47 D.L.R. (3d) 286 confirmé par [1976] 1 R.C.S. 781, ne s’applique pas en l’espèce puisque les fiduciaires ne sont pas tenus de réaliser le bien immobilier et que les droits de la veuve, sous réserve du pouvoir des fiduciaires d’entamer le capital de la succession à son profit, se limitent à toucher le revenu réel tiré du bien immobilier.


Parties
Demandeurs : Lottman et al.
Défendeurs : Stanford et al.

Références :

Jurisprudence: Howe v. Earl of Dartmouth (1802), 7 Ves. Jr. 137, 32 E.R. 56 (arrêt examiné)

Royal Trust Company c. McMurray et Crawford, [1955] R.C.S. 184

In re Earl of Chesterfield’s Trusts (1883), 24 Ch.
[Page 1067]
D. 643
In re Lauer and Stekl (1974), 47 D.L.R. (3d) 286 (C.A. C.-B.) conf. par (1975), 54 D.L.R. (3d) 159, [1976] 1 R.C.S. 781
In re Cameron (1901), 2 O.L.R. 756
Re Clark (1903), 6 O.L.R. 551
Re Prime (1924), 25 O.W.N. 522
Re Pears (No. 1) (1926), 31 O.W.N. 235
Re Rutherford, [1933] O.R. 707
Re Bingham (1930), 66 O.L.R. 121
In re Woodhouse, [1941] Ch. D. 332.

Proposition de citation de la décision: Lottman et al. c. Stanford et al., [1980] 1 R.C.S. 1065 (29 janvier 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-01-29;.1980..1.r.c.s..1065 ?
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