La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/03/1980 | CANADA | N°[1980]_2_R.C.S._2

Canada | Rockland Industries, Inc. c. Amerada Minerals Corporation of Canada, [1980] 2 R.C.S. 2 (18 mars 1980)


Cour suprême du Canada

Rockland Industries, Inc. c. Amerada Minerals Corporation of Canada, [1980] 2 R.C.S. 2

Date: 1980-03-18

Rockland Industries, Inc. (Demanderesse) Appelante;

et

Amerada Minerals Corporation of Canada Ltd. (Défenderesse) Intimée.

1979: 1 novembre; 1980: 18 mars.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz et Estey.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA

Cour suprême du Canada

Rockland Industries, Inc. c. Amerada Minerals Corporation of Canada, [1980] 2 R.C.S. 2

Date: 1980-03-18

Rockland Industries, Inc. (Demanderesse) Appelante;

et

Amerada Minerals Corporation of Canada Ltd. (Défenderesse) Intimée.

1979: 1 novembre; 1980: 18 mars.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz et Estey.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1980] 2 R.C.S. 2 ?
Date de la décision : 18/03/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et le jugement de première instance est rétabli

Analyses

Contrats - Mandat - Mandataire paré du pouvoir exprès de négocier une vente de soufre et de la conclure - Diminution du pouvoir exprès du mandataire à l’insu de l’acheteur - Acheteur se fiant à l’attitude du mandant quant au pouvoir - Refus de livrer le soufre promis - Rupture de contrat - Dommages-intérêts.

Ce pourvoi résulte d’une action en dommages-intérêts intentée par l’appelante contre l’intimée par suite du refus de cette dernière de lui livrer 50,000 tonnes de soufre conformément à un contrat de vente avec délivrance qui, selon l’appelante, serait intervenu entre les parties.

En vue d’acheter du soufre, l’appelante a été mise en contact avec Kurtz qui travaillait pour la compagnie-mère de l’intimée comme directeur du secteur des produits pétrochimiques et spéciaux, chargé, notamment, de la vente du soufre. Kurtz a mené les négociations au nom de l’intimée et a notamment formulé les conditions de vente. Le 5 septembre 1974, au cours d’un appel téléphonique entre Kurtz et deux négociateurs pour l’appelante (Powers et Leaderman), deux objections mineures à propos des questions discutées au cours d’une conversation téléphonique précédente ont été soulevées par Kurtz. Leaderman, parlant au nom de l’appelante, s’est rallié aux propositions de Kurtz. Ce dernier a alors dit: «Marché conclu». Lorsqu’on lui a demandé quand le contrat écrit serait prêt, Kurtz a affirmé qu’il s’agissait là d’une simple formalité, qu’il ne pouvait y avoir de retard.

Entre-temps et avant la conversation téléphonique du 5 septembre, Kurtz avait rédigé et parafé un sommaire de la transaction à l’intention de son supérieur (Deverin). Le sommaire est daté du 5 septembre 1974, date à laquelle il a été dactylographié. Il avait été dicté le 3 septembre 1974 et Kurtz en avait communiqué la teneur de vive voix à Deverin ce jour-là. A cette occasion, Deverin a dit à Kurtz qu’il lui faudrait obtenir l’appro-

[Page 3]

bation du comité de gestion pour cette vente. De fait, Deverin lui avait demandé de rédiger le sommaire afin qu’il puisse soumettre au comité de gestion dont il était membre, les détails de la vente.

Le juge de première instance a conclu que Kurtz possédait le pouvoir exprès de conclure la vente le 3 septembre 1974; qu’à cette date, son pouvoir a été restreint en ce sens que Kurtz devait obtenir l’approbation du comité de gestion et que cette restriction n’a pas été communiquée à l’appelante. Il a jugé qu’un contrat était intervenu entre les parties. Il a également conclu que le sommaire dicté par Kurtz le 3 septembre, dactylographié le 5 septembre et parafé par lui remplissait les conditions prévues à l’art. 7 de The Sale of Goods Act, R.S.A. 1970, chap. 327.

Le juge de première instance a accueilli le témoignage de Powers selon lequel il aurait entendu parler du comité de gestion pour la première fois le 6 septembre 1974 lorsqu’au cours d’une conversation téléphonique avec Kurtz et Deverin, il a été informé que le comité avait approuvé la transaction mais que, par respect des habitudes du milieu des affaires, toutes les transactions devaient être signées par le président du conseil d’administration bien qu’il ne s’agisse là que d’une simple formalité.

L’intimée a refusé de fournir le soufre promis. L’appelante a tenté de remplacer les 50,000 tonnes promises en vertu du contrat, mais n’a réussi à en trouver que 25,000 tonnes. Comme cette autre source d’approvisionnement était située dans une région plus éloignée, l’appelante a donc dû faire face à des coûts de transport plus considérables. Le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de $161,838.45 par suite du défaut de livrer les premières 25,000 tonnes.

En ce qui concerne les 25,000 tonnes que l’appelante n’a pu se procurer ailleurs, le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de $525,000 et en sus une somme de $2,490 à titre de frais de surestaries. Le juge a donc accordé une somme totale de $689,328.45 avec dépens.

En appel, les juges Prowse et Moir ont tous deux, dans des jugements distincts, accueilli l’appel. Le juge Morrow a souscrit à chacun des jugements. Le juge Moir a ajouté que si sa conclusion quant à la responsabilité était mal fondée, alors les dommages-intérêts ne devraient être que de $313,328.45. Les deux autres membres de la Cour étaient d’accord.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et le jugement de première instance est rétabli.

[Page 4]

La Division d’appel n’a pas modifié la conclusion du juge de première instance que Kurtz était expressément autorisé à conclure le marché avec l’appelante, avant sa conversation avec Deverin, le 3 septembre 1974. Il n’incombait pas à l’appelante de se renseigner sur l’étendue du pouvoir de Kurtz le 5 septembre lorsqu’il dit «Marché conclu». Compte tenu du fait qu’il avait un pouvoir exprès jusqu’au 3 septembre, l’appelante aurait dû être avisée de la restriction apportée au pouvoir ce jour-là. L’intimée a laissé croire à l’existence du pouvoir de Kurtz de négocier une vente, et l’appelante s’y est fiée.

Quant à l’application de l’art. 7 de The Sale of Goods Act, le jugement du juge de première instance ne doit pas être infirmé.

La Cour d’appel n’aurait pas modifié les dommages-intérêts accordés en raison du défaut de livrer les premières 25,000 tonnes fortes. Quant aux secondes 25,000 tonnes fortes, le juge de première instance a conclu que l’appelante a subi un manque à gagner de $525,000. Pour obtenir ce montant, le juge de première instance a fait la moyenne des prix de vente de la tonne de soufre pendant la période où l’appelante aurait dû prendre livraison du soufre de l’intimée; selon le juge, cela représente ce que l’appelante aurait pu raisonnablement tirer de la revente des 25,000 tonnes de soufre. La différence entre cette somme et ce que l’appelante aurait dû débourser par tonne de soufre pour le chargement à bord d’un navire à Québec, s’il n’y avait pas eu rupture du contrat, représentait la perte du profit par tonne que l’appelante estimait pouvoir raisonnablement réaliser.

Les deux parties au contrat sont des commerçants expérimentés. Les deux savaient que l’appelante souhaitait acheter du soufre afin de le revendre et qu’elle tenterait d’obtenir le meilleur prix possible. La Division d’appel s’est fondée sur la preuve que, parce que l’appelante, à l’époque de la conclusion du contrat, prévoyait réaliser un profit de $6 par tonne, sa perte, vu la rupture du contrat, devait être limitée à ce montant. La situation serait différente si l’appelante s’était fermement engagée à cette époque à vendre à des prix lui assurant un profit de $6 la tonne. Mais l’appelante n’avait pas pris de tels engagements. L’intimée ne peut donc se plaindre si le manque à gagner de l’appelante a été calculé de la manière adoptée par le juge de première instance.

POURVOI formé par la demanderesse à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1], qui a accueilli un appel interjeté par la défenderesse d’un jugement

[Page 5]

accordant $639,328 en dommages-intérêts pour rupture de contrat. Pourvoi accueilli et jugement de première instance rétabli.

A.D. Hunter et M.K. Machida, pour la demanderesse, appelante.

R.S. Dinkell, c.r., pour la défenderesse, intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MARTLAND — Ce pourvoi résulte d’une action en dommages-intérêts intentée par l’appelante contre l’intimée par suite du refus de cette dernière de lui livrer 50,000 tonnes de soufre conformément à un contrat de vente avec délivrance qui, selon l’appelante, serait intervenu entre les parties.

L’appelante, dont le siège social est situé à Brooklandville (Maryland), fabrique des textiles et vend ses produits dans le monde entier. En 1974, elle se livrait également à l’achat et à la revente de soufre sur le marché mondial. A.J. Leaderman présidait le conseil d’administration de l’appelante et C.J. Powers en était le directeur des exportations, section internationale. L’appelante a chargé J.K. Kirkpatrick d’agir en son nom pour acheter du soufre sur le marché canadien.

L’intimée est une filiale canadienne d’Amerada Hess Corporation («Amerada»). Cette dernière se livre à l’exploration pétrolière, à la production et à la commercialisation de produits pétroliers à l’échelle mondiale. En 1976, ses ventes se sont chiffrées à quatre milliards de dollars. Son effectif complet est de 6,600 employés et son siège et bureau principal sont situés à New York. L’intimée extrait du gaz naturel en Alberta et possède une participation dans une usine de traitement du gaz à Olds (Alberta). Au cours du traitement, on extrait le soufre du gaz naturel non désulfuré afin de le rendre propre à la commercialisation. Le soufre brut est entreposé en bloc à l’usine.

A l’époque en cause, J. Kurtz travaillait chez Amerada à titre de directeur du secteur des produits pétrochimiques et spéciaux. Les attributions de ce poste sont décrites dans le Guide des postes

[Page 6]

de direction d’Amerada qui a été déposé comme pièce en première instance. Les extraits pertinents de ce guide sont ci-après reproduits:

[TRADUCTION] Objectifs essentiels du poste:

Le titulaire est chargé de l’ensemble de la commercialisation nationale et internationale et des ventes de cargaisons — des échanges — de l’acquisition de produits pétrochimiques (benzène, toluène, xylène) et de produits spéciaux (soufre, coke, propane de Ste-Croix) — ce qui comprend la planification, la promotion et l’essor des ventes et la conquête de nouveaux marchés conformément aux politiques, pratiques, buts et objectifs de la compagnie.

Attributions fondamentales:

A. De façon globale, planifier, promouvoir et faire progresser les ventes de marchandises en vrac de produits pétrochimiques et spéciaux.

B. Diriger la commercialisation du benzène, du toluène, du xylène, du soufre, du coke et du propane de Ste-Croix. A cet effet, le titulaire rend visite aux clients; il prépare, négocie et administre les contrats de vente, prend des engagements et donne suite à ces contrats.

Relations principales:

Compagnie extérieure

Le titulaire établit et entretient des relations professionnelles étroites avec les acheteurs, les cadres supérieurs d’entreprises, et autres directeurs chargés de l’acquisition de charges d’alimentation pour l’industrie pétrochimique. Ces contrats ont lieu avec les clients, l’industrie pétrochimique, les autres compagnies et les organismes gouvernementaux compétents.

Au cours de son témoignage, Kurtz a affirmé qu’il était au service d’Amerada à titre de directeur du secteur des produits pétrochimiques et spéciaux et a ensuite répondu en ces termes aux questions suivantes:

[TRADUCTION] Q. Pouvez-Vous nous dire en termes généraux quelles fonctions vous exercez?

R. Je suis essentiellement chargé de l’ensemble de la commercialisation et des ventes nationales et internationales de produits pétrochimiques, savoir le benzène, le toluène et le xylène et de produits spéciaux dont le soufre, le coke et le propane.

Q. Vos fonctions comprennent-elles la gestion des stocks de soufre en Alberta?

R. Oui.

[Page 7]

Kurtz devait rendre compte à B.T. Deverin, vice-président principal, membre du conseil d’administration et membre du comité de gestion d’Amerada chargé de l’obtention de contrats de vente pour les produits de la compagnie dont le soufre. Kurtz et Deverin travaillaient tous deux à New York.

En 1974 et à l’époque en cause, R.E.A. Logan, président de Real Marketing Ltd., une compagnie albertaine de commercialisation du soufre qui possède des données sur ceux qui ont du soufre à vendre, a vu en l’intimée un vendeur éventuel de soufre. Logan a communiqué ce renseignement à Kirkpatrick par l’intermédiaire des avocats de Real Marketing Ltd., une fois établi que cette dernière toucherait 50¢ par tonne forte de soufre vendue à Rockland. Real Marketing Ltd. a convenu de partager cette somme avec un nommé Bozman qui avait «découvert» l’acheteur éventuel.

Logan est entré en contact avec Kurtz. Le 30 juillet 1974, Kurtz lui faisait parvenir par télex le message suivant:

[TRADUCTION] LA PRÉSENTE CONFIRME NOTRE CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE DE CE JOUR RELATIVEMENT À L’OFFRE SUIVANTE FAITE PAR AMERADA HESS SOUS RESERVE DE L’APPROBATION DÉFINITIVE D’AMERADA HESS ET DE REAL MARKETING.

1974 — 50,000 TONNES FORTES DE SOUFRE À $8 LA TONNE FORTE — STOCK D’AMERADA HESS FOB, CHEMIN DE FER C.P. (ALBERTA). REAL MARKETING, LTD. CHARGÉE DE L’EXPÉDITION, DE TOUTE OPÉRATION DE NETTOYAGE NÉCESSAIRE ET TENUE DE SATISFAIRE AUX IMPÉRATIFS D’ENVIRONNEMENT.

1975 — 50,000 TONNES FORTES PRIX À NÉGOCIER

1976 — 50,000 TONNES FORTES PRIX À NÉGOCIER

VEUILLEZ FAIRE CONNAITRE VOTRE ACCEPTATION CONDITIONNELLE SOUS RESERVE DE DISCUSSIONS ULTÉRIEURES PAR RETOUR DE TÉLEX AU PLUS TARD LE 1er AOÛT 1974, À L’HEURE DE FERMETURE DES BUREAUX 17H, HEURE DE NEW YORK.

Logan a répondu par télex le 1er août:

[TRADUCTION] SOUS RESERVE DE DISCUSSIONS ULTÉRIEURES, NOUS ACCEPTONS CONDITIONNELLEMENT VOTRE OFFRE.

[Page 8]

Une fois dévoilée l’identité du vendeur éventuel, les négociateurs de l’appelante, Powers et Leader-man, ont discuté par téléphone, le 22 août 1974, avec Kurtz, qui était chez Amerada, de la quantité de soufre prête à être livrée; ils ont compris qu’il y en avait 50,000 tonnes au prix net de $8 la tonne pour Amerada. Le transport du soufre par l’appelante a été discuté et il a été convenu que Kurtz rencontrerait Kirkpatrick aux bureaux de l’intimée à Calgary en Alberta la semaine suivante. Kurtz a qualifié cette visite à Calgary de visite d’affaires normale et courante.

Kurtz a rencontré Kirkpatrick aux bureaux de l’intimée à Calgary pendant la semaine du 26 août et a discuté avec ce dernier du prix, des méthodes d’enlèvement et de transport du soufre, et de la capacité de l’appelante de mener à bien cette opération. Kurtz a également présenté Kirkpatrick à R.C. McReynolds, le chef de district d’Amerada, et a invité Kirkpatrick à visiter l’usine de l’intimée où le soufre était entreposé. Kirkpatrick a par la suite visité l’usine et s’est entretenu un certain nombre de fois par téléphone avec McReynolds au sujet des méthodes de transport du soufre.

Les discussions et échanges entre Kurtz et McReynolds ont porté sur les méthodes de transport et sur l’obtention de l’autorisation des services de l’environnement pour le transport du produit. A la connaissance de Kurtz, McReynolds a obtenu cette autorisation.

Après la réunion à Calgary entre Kurtz et Kirkpatrick, deux autres conversations téléphoniques ont eu lieu entre Kurtz et MM. Powers et Leader-man. Powers et Leaderman ont fait le premier appel le 30 août 1974. Ils ont appelé Kurtz qui était alors à New York. Il y a été question des modalités d’un accord formel. Powers a affirmé au cours de son témoignage que Kurtz avait promis de faire expédier un projet d’accord, ce que Kurtz a nié.

Le 5 septembre 1974, Kurtz téléphonait à Powers qui était alors à Baltimore (Maryland), c’est la seconde conversation téléphonique. Au cours de cette dernière, à laquelle participait également Leaderman, Kurtz a formulé deux objec-

[Page 9]

tions mineures à propos des questions discutées au cours de la conversation téléphonique précédente, soit celle du 30 août. Leaderman, parlant au nom de l’appelante, s’est rallié aux propositions de Kurtz. Ce dernier a alors dit: [TRADUCTION] «Marché conclu». Lorsqu’on lui a demandé quand le contrat écrit serait prêt, Kurtz a affirmé qu’il s’agissait là d’une simple formalité, qu’il ne pouvait y avoir de retard.

Entre-temps et avant la conversation téléphonique du 5 septembre, Kurtz avait rédigé et parafé un sommaire de la transaction à l’intention de son supérieur, Deverin. Le sommaire est daté du 5 septembre 1974, date à laquelle il a été dactylographié. Il avait été dicté le 3 septembre 1974 et Kurtz en avait communiqué la teneur de vive voix à Deverin ce jour-là. A cette occasion, Deverin a dit à Kurtz qu’il lui faudrait obtenir l’approbation du comité de gestion pour cette vente. De fait, Deverin lui avait demandé de rédiger le sommaire afin qu’il puisse soumettre les détails de la vente au comité de gestion dont il était membre.

Le témoignage de Kurtz et ceux de Powers et de Leaderman sont contradictoires quant aux propos de Kurtz au sujet de son pouvoir. Le juge de première instance a rejeté le témoignage de Kurtz et accueilli ceux de Powers et de Leaderman. Il a conclu que Kurtz possédait le pouvoir exprès de conclure la vente le 3 septembre 1974; qu’à cette date, son pouvoir a été restreint en ce sens que Kurtz devait obtenir l’approbation du comité de gestion et que cette restriction n’a pas été communiquée à l’appelante. Il a jugé qu’un contrat était intervenu entre les parties. Il a également conclu que le sommaire dicté par Kurtz le 3 septembre, dactylographié le 5 septembre et parafé par lui remplissait les conditions prévues à l’art. 7 de The Sale of Goods Act, R.S.A. 1970, chap. 327.

Le juge de première instance a accueilli le témoignage de Powers portant qu’il aurait entendu parler du comité de gestion pour la première fois le 6 septembre 1974 lorsqu’au cours d’une conversation téléphonique avec Kurtz et Deverin, il a été informé que le comité avait approuvé la transaction mais que, par respect des habitudes du milieu

[Page 10]

des affaires, toutes les transactions devaient être signées par le président du conseil d’administration bien qu’il ne s’agisse là que d’une simple formalité.

L’intimée a refusé de fournir le soufre promis. L’appelante a tenté de remplacer les 50,000 tonnes promises en vertu du contrat, mais n’a réussi à en trouver que 25,000 tonnes. Comme cette autre source d’approvisionnement était située dans une région plus éloignée, l’appelante a donc dû faire face à des coûts de transport plus considérables. Le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de $161,838.45 par suite du défaut de livrer les premières 25,000 tonnes.

En ce qui concerne les 25,000 tonnes que l’appelante n’a pu se procurer ailleurs, le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de $525,000 et en sus une somme de $2,490 à titre de frais de surestaries.

Le juge a donc accordé une somme totale de $689,328.45 avec dépens.

En appel, les juges Prowse et Moir ont tous deux, dans des jugements distincts, accueilli l’appel. Le juge Morrow a souscrit à chacun des jugements. Le juge Moir a ajouté que si sa conclusion quant à la responsabilité était mal fondée, alors les dommages-intérêts ne devraient être que de $313,328.45. Les deux autres membres de la Cour étaient d’accord.

Le jugement de première instance renferme d’importantes conclusions sur les faits au sujet des questions de droit soulevées dans le présent pourvoi. Les extraits suivants du jugement en font état et exposent également les motifs du jugement en faveur de l’appelant:

[TRADUCTION] Je suis convaincu que la preuve établit clairement que la défenderesse a effectivement confié à Kurtz le pouvoir de négocier la vente de soufre et de la lier. La preuve démontre de façon évidente que non seulement Kurtz détenait ce pouvoir mais qu’il était chargé et tenu d’agir ainsi.

Il ressort toutefois de la preuve de la défenderesse que le pouvoir et la responsabilité de Kurtz ne s’étendaient pas à une vente aussi importante que celle proposée à la demanderesse, plus précisément, à la vente de la plus grande partie du stock de soufre de la défenderesse

[Page 11]

entreposé à son usine de gaz à Olds (Alberta). Kurtz et son supérieur, un nommé Deverin, ont tous deux déclaré, dans leur témoignage, que pour une vente de l’envergure de celle envisagée par la demanderesse, il fallait obtenir l’approbation du comité de gestion.

J’accepte la preuve selon laquelle le pouvoir de Kurtz relativement au projet de vente à la demanderesse faisait l’objet de pareille restriction, mais j’estime en même temps que cette restriction n’a pris effet qu’à partir du 3 septembre 1974, au cours d’une discussion intervenue entre Kurtz et Deverin alors que Kurtz a annoncé la vente à Deverin et que ce dernier a, à son tour, avisé Kurtz qu’il faudrait obtenir l’approbation du comité.

Toutefois, nonobstant cette conclusion, j’estime que puisque la défenderesse avait effectivement accordé à Kurtz le pouvoir exprès de négocier généralement pour elle et de la lier relativement aux ventes de soufre, il ne peut résulter d’une limitation ou restriction de ce pouvoir qu’elle n’est pas liée si un contrat conclu par Kurtz relève de cette restriction, à moins que le cocontractant n’en ait été avisé.

Comme on l’a souligné, la défenderesse prétend que les représentants de la demanderesse avaient été bien informés de la restriction apportée au pouvoir de Kurtz. Kurtz a déclaré dans son témoignage qu’en de nombreuses occasions au cours des négociations, y compris les négociations du 5 septembre 1974, il avait informé les représentants de la demanderesse que tout projet de contrat devait être approuvé par le comité de gestion avant d’être ferme. Je rejette la partie du témoignage de Kurtz voulant que ce dernier ait avisé les représentants de la demanderesse avant le 5 septembre 1974 de la restriction apportée à son pouvoir.

Dans ses motifs, le juge Prowse de la Division d’appel examine la preuve portant sur le pouvoir de Kurtz et poursuit en ces termes:

[TRADUCTION] Ce qui précède est un bref résumé de la preuve relative aux liens juridiques entre Kurtz et Amerada et, plus précisément, son pouvoir d’agir au nom de cette dernière. A partir de cette preuve, le juge de première instance a conclu que M. Kurtz avait un pouvoir exprès de lier Amerada pour la vente de 50,000 tonnes de soufre jusqu’au 3 septembre, qu’à cette date, le pouvoir de Kurtz a fait l’objet d’une restriction et que, par conséquent, Kurtz n’avait plus, le 5 septembre, le pouvoir exprès de la lier.

A mon avis, compte tenu de la preuve étudiée, il était loisible au juge de première instance de conclure d’une

[Page 12]

part, que M. Kurtz avait le pouvoir général de conclure une entente avec Rockland avant sa conversation avec M. Deverin le 3 septembre, et, d’autre part, que M. Deverin était autorisé à révoquer le pouvoir de M. Kurtz en décidant que le projet devrait être soumis au comité de gestion.

Comme on l’a mentionné, le juge Morrow a souscrit à ces conclusions. Les tribunaux d’instance inférieure ont donc tous conclu que Kurtz, qui négociait la vente de soufre à l’appelante au nom de l’intimée, avait le pouvoir exprès de lier cette dernière en ce qui concerne la vente du soufre jusqu’au 3 septembre.

Le juge Prowse étudie ensuite la question de savoir si Kurtz avait un pouvoir apparent de lier l’intimée le 5 septembre. Selon lui, la question à examiner est de savoir si Kurtz, compte tenu de la nature et de l’étendue de son pouvoir avant le 3 septembre, [TRADUCTION] «… pouvait se parer d’un pouvoir apparent» de manière à lier l’intimée, une fois son pouvoir révoqué mais avant que cette révocation ne soit communiquée à l’appelante.

Voici la conclusion du juge Prowse:

[TRADUCTION] De fait, Rockland ne s’est pas renseignée au sujet de M. Kurtz et si les actes de ce dernier peuvent être considérés comme des démarches, alors ces dernières ne peuvent lier Amerada. Elles ne constituent pas une divulgation complète du pouvoir exprès de M. Kurtz et c’est uniquement cela qu’il était autorisé à divulguer. A mon avis, si Rockland avait demandé des renseignements à Amerada sur la nature et l’étendue du pouvoir de M. Kurtz, elle aurait appris que son pouvoir faisait l’objet des restrictions susmentionnées, qui ont prix effet le 3 septembre. Pareille divulgation de la part d’Amerada ou de M. Kurtz n’aurait pas laissé croire au pouvoir apparent de M. Kurtz le 5 septembre 1974, soit, selon le juge de première instance, la date à laquelle Kurtz aurait lié Amerada.

Le juge Moir a été un peu réticent à appuyer la conclusion du juge de première instance portant que le pouvoir exprès de Kurtz a subsisté jusqu’au 3 septembre. Il s’est exprimé en ces termes:

[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a conclu que Kurtz ne possédait pas de pouvoir «exprès» le 5 septembre, soit la date de la conclusion du contrat. Il a conclu que Deverin avait mis fin au pouvoir de Kurtz le 3 septembre. Comme je l’ai mentionné, il m’est difficile

[Page 13]

de souscrire à cette conclusion compte tenu du télex et du témoignage de Logan; mais il demeure que Kurtz n’avait pas le pouvoir «exprès» de lier l’appelante le jour où, selon le savant juge de première instance, il a conclu le contrat. A mon avis, cela clôt le débat sur le pouvoir «exprès» pour ce qui est de l’engagement de l’appelante.

Dans le témoignage dont on vient de parler, Logan (de Real Marketing Ltd.) dit [TRADUCTION] «je pensais que comme à l’accoutumée avec cette société (c.-à-d. Amerada), toute transaction avec elle devait être approuvée par les autorités compétentes de la compagnie».

Le télex auquel renvoie le juge Moir est celui, déjà cité, échangé entre Kurtz et Logan. Il renferme la phrase suivante: [TRADUCTION] «… sous réserve de l’approbation définitive d’Amerada Hess et de Real Marketing».

Quelle que puisse être la connaissance que Logan ait eue de la pratique d’Amerada, il n’en a pas avisé l’appelante. Le texte du télex ne révèle aucunement que le pouvoir de Kurtz de vendre du soufre au nom de l’intimée a été restreint; il indique seulement, qu’à ce stade, les négociations n’étaient pas encore définitives.

Quoi qu’il en soit, selon le juge Moir, Kurtz ne possédait pas, le 5 septembre, de pouvoir exprès.

Après avoir tranché la question du pouvoir exprès, le juge Moir a conclu quant au pouvoir apparent que la preuve ne satisfaisait pas aux critères établis par le lord juge Diplock (alors juge puîné) dans Freeman & Lockyer v. Buckhurst Park Properties (Mangal) Ltd.[2], aux pp. 505 et 506:

[TRADUCTION] Si l’analyse précédente des règles de droit pertinentes est exacte, on peut dire que quatre conditions doivent être remplies pour qu’un cocontractant puisse obliger une compagnie à exécuter le contrat conclu en son nom par un mandataire qui ne possédait pas de pouvoir exprès à cette fin. On doit prouver:

(1) qu’on a donné à entendre au cocontractant que le mandataire avait le pouvoir de conclure, au nom de la compagnie, le type de contrat dont il demande l’exécution;

[Page 14]

(2) que cela vient d’une ou de personnes possédant le pouvoir «exprès» de gérer les affaires de la compagnie, soit de façon générale, soit de façon se rapportant spécifiquement aux questions dont relève le contrat;

(3) qu’il (le cocontractant) a été amené, par cela, à conclure le contrat, c.-à-d. qu’il s’y est fié; et

(4) que la compagnie, en vertu de ses statuts, était habilitée à conclure un contrat du type dont on demande l’exécution ou à déléguer au mandataire le pouvoir de conclure un tel contrat.

Comme on l’a déjà souligné, le juge Moir et les autres membres de la Cour sont en désaccord avec le juge de première instance quant au montant des dommages-intérêts. Ils n’auraient accordé que la somme de $313,328.45 en cas de responsabilité.

Je vais traiter en premier lieu de la question de la responsabilité. Sur ce point, la conclusion du juge de première instance, confirmée par les juges Prowse et Morrow en Cour d’appel, que Kurtz était expressément autorisé à négocier une vente jusqu’au 3 septembre 1974, est de toute première importance.

Je ne suis pas disposé à modifier cette conclusion. Le juge Moir n’a pas manifesté expressément son désaccord avec elle, tout en expliquant pourquoi il lui était difficile de s’y rallier. A mon avis, ces motifs ne sont pas suffisants pour infirmer cette conclusion.

L’appelante faisait affaire avec Amerada, une compagnie très importante. En vue d’acheter du soufre, l’appelante a été mise en contact avec le directeur du secteur des produits pétrochimiques et spéciaux, chargé, notamment, de la vente du soufre. Kurtz a mené les négociations au nom d’Amerada et a notamment formulé les conditions de la vente. Il a préparé un sommaire de ces conditions et, le 5 septembre, après que Leader-man eut donné son accord aux propositions de Kurtz, ce dernier a déclaré: «Marché conclu».

Dans ce contexte, je ne souscris pas à la thèse qu’il incombait à l’appelante de se renseigner sur l’étendue du pouvoir exprès de Kurtz le 5 septembre pour conclure le marché. J’estime plutôt,

[Page 15]

compte tenu du pouvoir exprès dont Kurtz avait été détenteur jusqu’au 3 septembre, que l’intimée aurait dû aviser l’appelante, avant la conclusion du marché, de la restriction apportée au pouvoir de Kurtz.

Ce point de vue a été énoncé dans Bowstead on Agency, 14c éd., p. 434. Voici ce que l’auteur écrit au paragraphe 139 de la page en question sous le titre [TRADUCTION] «Mandat apparent en cas de révocation du mandat exprès»:

[TRADUCTION] Lorsqu’un mandant, par ses paroles ou son comportement, donne à entendre ou permet que Ton croie qu’il a autorisé un mandataire à agir en son nom, il est alors lié par les actes du mandataire, nonobstant la fin du mandat si ce n’est par le décès ou la faillite du mandant, comme si le mandat n’avait pas pris fin; le mandant est lié vis-à-vis des tiers qui font affaire avec le mandataire sur la foi des démarches de ce dernier, alors que le mandat a pris fin à leur insu.

Les motifs de jugement de la Cour d’appel indiquent que, puisque la question du pouvoir exprès est tranchée par la conclusion de la cour de première instance portant que pareil pouvoir n’existait plus le 5 septembre, la seule question est de savoir s’il y avait un pouvoir apparent à cette date-là. La Cour d’appel s’emploie alors à examiner la preuve afin de vérifier si elle remplit les conditions énoncées par le lord juge Diplock dans l’arrêt Freeman & Lockyer, précité. Il appert qu’à son avis, l’existence d’un pouvoir exprès jusqu’au 3 septembre a peu ou pas de rapport avec la question en litige.

Je ne partage pas ce point de vue. Le lord juge Diplock écrit ceci dans l’arrêt Freeman & Lockyer, aux pp. 503 et 504:

[TRADUCTION] L’origine d’un pouvoir «apparent» peut prendre diverses formes dont la plus courante est le comportement, c.-à-d. lorsque le commettant permet au mandataire d’agir d’une certaine façon dans la conduite de ses affaires vis-à-vis d’autres personnes. Ce faisant, le commettant donne à entendre à celui qui constate cette façon d’agir du mandataire que ce dernier a le pouvoir de passer avec d’autres personnes, au nom du commettant, des contrats qui, normalement, sont passés en conformité d’un pouvoir «exprès».

[Page 16]

Il n’est sûrement pas de meilleur exemple du cas où l’on donne à entendre qu’un mandataire est autorisé à agir dans la conduite des affaires du mandant vis-à-vis d’autres personnes que celui où l’on permet à un mandataire, qui possède un pouvoir exprès à cet égard, de négocier. Kurtz, qui avait le pouvoir exprès de négocier la vente du soufre et d’exécuter cette vente, a été autorisé par l’intimée à négocier avec l’appelante à cette fin. Nous ne sommes pas devant un cas où un mandataire, qui n’a pas de pouvoir, donne à entendre qu’il en a un, alors qu’en réalité il n’en a pas. Si Kurtz n’avait pas de pouvoir le 5 septembre, c’est par suite d’une diminution de son pouvoir réel à l’insu de l’appelante. A mon avis, l’intimée a laissé croire à l’existence d’un pouvoir et l’appelante s’y est fiée.

Sur ce point, avec égards, je souscris à l’opinion du juge de première instance plutôt qu’à celle de la Division d’appel.

En première instance, l’application de l’art. 7 de The Sale of Goods Act était en litige. La Division d’appel n’a pas étudié cette question, puisque ses conclusions sur la question principale rendaient cet examen inutile. L’intimée dans le présent pourvoi n’a soulevé ce moyen de défense ni dans son factum ni dans sa plaidoirie orale. Je ne suis pas disposé à infirmer la décision du juge de première instance sur cette question.

La question qui reste à examiner concerne le quantum des dommages-intérêts.

Le juge de première instance a accordé comme suit des dommages-intérêts de $689,328.45 pour rupture du contrat:

1. Quant aux premières 25,000 tonnes fortes

— $ 161,838.45;

2. Quant aux secondes 25,000 tonnes fortes

— $ 525,000.00;

3. Frais de surestaries

— $ 2,490.00.

La Division d’appel n’a pas modifié les dommages-intérêts accordés sous les postes 1 et 3, mais elle aurait remplacé par un montant de $150,000 les dommages-intérêts de $525,000 accordés relativement aux secondes 25,000 tonnes fortes.

[Page 17]

Le juge de première instance a étudié la question des dommages-intérêts en séparant en deux lots de 25,000 tonnes fortes chacun les 50,000 tonnes fortes de soufre, objet du contrat. En ce qui concerne les premières 25,000 tonnes, la preuve établit que l’appelante a été en mesure d’obtenir du soufre de remplacement. Le juge de première instance a conclu comme suit:

[TRADUCTION] Dès qu’il est devenu évident que la défenderesse maintiendrait son refus de livrer la quantité de soufre stipulée au contrat, les représentants de la demanderesse ont, dans un effort concerté, tenté de trouver une autre source d’approvisionnement en soufre et je suis convaincu qu’ils ont fait toutes les démarches raisonnables à cet effet. Ces efforts n’ont toutefois conduit qu’à la conclusion de deux contrats d’achat de soufre, de 12,500 tonnes chacun au prix de $7.50 la tonne. Même si la demanderesse n’a reçu que 23,200 tonnes de soufre de remplacement, j’estime devoir tenir pour acquis, dans l’évaluation des dommages-intérêts, qu’elle a reçu les 25,000 tonnes au complet, puisqu’en vertu des deux contrats elle était en droit de les recevoir.

L’appelante a vendu tout son soufre de remplacement. Le juge de première instance a examiné la preuve et conclu que les dommages-intérêts dus à l’appelante en raison du défaut de livrer les premières 25,000 tonnes fortes se chiffraient à $164,328.45. La Division d’appel n’aurait pas modifié ce montant.

Quant aux secondes 25,000 tonnes fortes, le juge de première instance, après avoir examiné la preuve, a conclu que si l’appelante avait pris livraison du soufre de la date prévue à janvier 1975, elle aurait pu le vendre sur un marché à la hausse: en effet, de $52 en août 1974, la tonne de soufre est passée à $73 au début de 1975. Selon lui, l’appelante a par conséquent subi un manque à gagner de $525,000. Pour obtenir ce montant, le juge de première instance a fait la moyenne des prix de vente de la tonne de soufre pendant la période où l’appelante aurait dû prendre livraison du soufre de l’intimée; selon le juge, cela représente ce que l’appelante aurait pu raisonnablement tirer de la revente des 25,000 tonnes de soufre. La différence entre cette somme et ce que l’appelante aurait dû débourser par tonne de soufre pour le chargement à bord d’un navire à Québec, s’il n’y avait pas eu

[Page 18]

rupture du contrat, représentait la perte du profit par tonne que l’appelante estimait pouvoir raisonnablement réaliser.

Le juge Moir de la Division d’appel a réduit les dommages-intérêts de $525,000 à $150,000; les juges Prowse et Morrow ont souscrit à cette décision. La Division d’appel s’est fondée sur le motif que l’appelante avait déjà conclu des contrats de vente pour le soufre qu’elle achetait à l’intimée, contrats qui devaient lui permettre de réaliser un profit de $6 la tonne et qu’en conséquence, l’appelante n’avait droit qu’à $6 la tonne pour les secondes 25,000 tonnes.

Le juge Moir s’est exprimé en ces termes:

[TRADUCTION] L’intimée ne s’engageait à acheter du soufre que si elle avait trouvé un acheteur à un prix de vente ferme. L’intimée [maintenant appelante] établissait ensuite ses coûts totaux de manutention en collaboration avec des compagnies reconnues dans le domaine du chargement, du transport et de l’arrimage. Si l’opération rapportait un profit, elle convenait d’acheter et de vendre la marchandise à peu près en même temps. A partir d’un prix d’achat connu de $8.50 la tonne (y compris les frais du courtier), elle arrivait à un prix initial approximatif FOB Québec de $44.50 la tonne. Le prix de vente prévu était de $50.50 la tonne, soit le prix que l’intimée [maintenant appelante] ne voulait pas confirmer avant que l’achat soit ferme. Le profit anticipé était de $150,000 (soit 25,000 tonnes à $6 la tonne). Ceci représenterait ordinairement les dommages que les parties pouvaient prévoir. Par conséquent, je suis d’avis de fixer la réclamation à cette somme.

La preuve n’étaye pas la conclusion que l’appelante s’était fermement engagée à vendre les secondes 25,000 tonnes. Au moment de la conclusion du contrat d’achat, l’appelante a rempli ses engagements en se procurant du soufre d’autres sources et le coût additionnel qu’elle a subi est compensé par les dommages-intérêts accordés pour les premières 25,000 tonnes de soufre. Quant aux secondes 25,000 tonnes de soufre, elles faisaient l’objet d’autres transactions mais leur prix de vente n’avait pas été déterminé.

L’arrêt de la Division d’appel a pour effet de restreindre les réclamations de l’appelante pour manque à gagner aux prix de revente de septembre 1974, même si la livraison de la marchandise

[Page 19]

devait, conformément aux termes du contrat, s’étendre sur une période de cinq mois. Le juge de première instance a conclu:

[TRADUCTION] Selon les prévisions des parties, la demanderesse devait commencer à prendre livraison du soufre de la défenderesse peu de temps après la conclusion du contrat, au rythme d’environ 10,000 tonnes par mois. Pour en prendre livraison, la demanderesse devait broyer le soufre et ensuite le charger à bord de wagons de chemin de fer puisqu’il y avait une voie de garage tout près de l’endroit où était entreposé le soufre de la défenderesse. La demanderesse avait projeté de transporter le soufre par chemin de fer jusqu’au port de Québec où il serait ensuite chargé à bord d’un ou de plusieurs navires. Elle entendait ensuite le vendre, FOB, à des acheteurs éventuels. La défenderesse était au courant de tous ces projets sauf probablement de l’intention de vendre le soufre FOB.

Il a également conclu:

[TRADUCTION] Il ressort très clairement de la preuve présentée devant moi que la demanderesse a, de fait, subi un manque à gagner très important en ce qui a trait au soufre dont il est question ici. La tonne de soufre achetée à la défenderesse, chargée sur le navire à Québec et donc prête à être revendue FOB navire, aurait coûté à la demanderesse environ $44.50 la tonne. J’accepte la preuve produite par la demanderesse et non contestée par la défenderesse, que d’août 1974 au début de 1975, il y avait, d’une part, pénurie de soufre à vendre et, d’autre part, un très grand nombre d’acheteurs, ce qui a entraîné une augmentation constante des prix. Le prix de vente du soufre, FOB Québec, au cours de cette période, a été à peu près le suivant:

Début août 1974

— $52 à $55 la tonne

Fin septembre 1974

— $58 à $62 la tonne

Fin 1974 et début 1975

— $70 à $73 la tonne

Les deux parties au contrat sont des commerçants expérimentés. Les deux savaient que l’appelante souhaitait acheter du soufre afin de le revendre et qu’elle tenterait d’obtenir le meilleur prix possible. La Division d’appel s’est fondée sur la preuve que, parce que l’appelante, à l’époque de la conclusion du contrat, prévoyait réaliser un profit de $6 par tonne, sa perte, vu la rupture du contrat, devait être limitée à ce montant. La situation serait différente si l’appelante s’était fermement engagée à cette époque à vendre à des prix lui assurant un profit de $6 la tonne. Mais l’appelante n’avait pas pris de tels engagements. L’intimée ne

[Page 20]

peut donc se plaindre si le manque à gagner de l’appelante a été calculé de la manière adoptée par le juge de première instance.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Division d’appel et de rétablir le jugement de première instance, avec dépens en cette Cour et dans les cours d’instance inférieure.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de la demanderesse, appelante: Code, Hunter, Calgary.

Procureurs de la défenderesse, intimée: McLaws & Co., Calgary.

[1] [1979] 2 W.W.R. 209.

[2] [1964] 2 Q.B. 480.


Parties
Demandeurs : Rockland Industries, Inc.
Défendeurs : Amerada Minerals Corporation of Canada
Proposition de citation de la décision: Rockland Industries, Inc. c. Amerada Minerals Corporation of Canada, [1980] 2 R.C.S. 2 (18 mars 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-03-18;.1980..2.r.c.s..2 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award