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06/05/1980 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._1089

Canada | R. c. Crosthwait, [1980] 1 R.C.S. 1089 (6 mai 1980)


Cour suprême du Canada

R. c. Crosthwait, [1980] 1 R.C.S. 1089

Date: 1980-05-06

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert Crosthwait Intimé.

1979: 21, 22 novembre; 1980: 6 mai.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE TERRE-NEUVE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve[1], qui a confirmé un jugement du juge Barry, de la Cour de district[2], qui avait acquitté l’intimé

d’une accusation en vertu de l’art. 236 du Code criminel. Pourvoi accueilli, déclaration de culpabilité prononcée, affaire ...

Cour suprême du Canada

R. c. Crosthwait, [1980] 1 R.C.S. 1089

Date: 1980-05-06

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert Crosthwait Intimé.

1979: 21, 22 novembre; 1980: 6 mai.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE TERRE-NEUVE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve[1], qui a confirmé un jugement du juge Barry, de la Cour de district[2], qui avait acquitté l’intimé d’une accusation en vertu de l’art. 236 du Code criminel. Pourvoi accueilli, déclaration de culpabilité prononcée, affaire renvoyée à la Cour de district de Terre-Neuve pour sentence et adjudication des dépens en première instance et en cette cour-là.

Robert Hyslop, pour l’appelante.

Eric Facey, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE PIGEON — Ce pourvoi formé avec l’autorisation de la Cour attaque un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve1 qui confirme la décision du juge Barry, de la Cour de district, (loc. cit. à la

[Page 1091]

p. 200) qui a rejeté un appel du ministère public contre l’acquittement de l’intimé, Robert Crosthwait, par le magistrat Fowler à l’issue de procédures en déclaration sommaire de culpabilité. L’accusé a été inculpé d’avoir:

[TRADUCTION] Le 10 septembre 1977 ou vers cette date, à Gander, (Terre-Neuve), ou dans les environs, conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que la proportion d’alcool dans son sang dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, contrairement à l’art. 236 du Code criminel du Canada.

La preuve devant le magistrat a révélé que, vers lh35, l’accusé conduisait une motocyclette en zigzaguant. Il a d’abord été requis de fournir sur place un échantillon d’haleine pour une analyse préliminaire au moyen d’un alcootest. Ayant échoué à ce test, il a été requis d’accompagner l’agent au poste de police pour subir des analyses d’haleine sur un Breathalyzer Borkenstein. L’agent était un technicien qualifié dûment autorisé et il a procédé aux deux analyses d’haleine exigées, dont chacune a donné pour résultat 150 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Entre les deux analyses, l’agent a fait un test avec une solution type d’alcool et s’est assuré que le résultat de ce test, d’après la température de cette solution qu’il a notée, se situait dans les limites de la tolérance prescrite. Ayant complété les deux analyses d’haleine, l’agent en a préparé un certificat avec un avis d’intention de le produire comme preuve et a immédiatement signifié cet avis à l’intimé. Le certificat se lit comme suit:

[TRADUCTION] CERTIFICAT DES ANALYSES

Je, B. McNeil, une personne que le procureur général de Terre-Neuve a désignée comme technicien qualifié aux fins de l’article 237(6) du Code criminel du Canada,

CERTIFIE:

QUE, à Gander , province de Terre-Neuve, conformément à une sommation en vertu de l’article 235(1) du Code criminel du Canada, j’ai prélevé deux échantillons de l’haleine d’une personne identifiée devant moi comme Robert Crosthwait;

QUE j’ai reçu chacun desdits échantillons directement dans un Breathalyzer Borkenstein, modèle 900, un instrument approuvé à cette fin conformément à l’article 237(6) du Code criminel du Canada;

[Page 1092]

QUE j’ai effectué une analyse chimique de chacun desdits échantillons à l’aide dudit instrument dans lequel était utilisée une solution appropriée audit instrument, identifiée comme une ampoule de réactif au bichromate de potassium, lot #67422;

QUE j’ai effectué lesdites analyses chimiques à Gander, province de Terre-Neuve;

QU’un desdits échantillons a été prélevé à 2h18 le 10 septembre 1977 et que le résultat de l’analyse chimique appropriée de cet échantillon a été 150 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang;

QU’un autre desdits échantillons a été prélevé à 2h36 le 10 septembre 1977 et que le résultat de l’analyse chimique appropriée de cet échantillon a été 150 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.

JE CERTIFIE DE PLUS:

QUE ce certificat d’analyse est véridique d’après ma connaissance et mon habileté.

FAIT ce 10 septembre, 1977, à Gander, province de Terre-Neuve.

(J.B. McNeil)

Technicien qualifié

Au procès, l’agent qui avait fait les analyses d’haleine a été cité par le ministère public. Le certificat a été produit comme preuve et dûment reçu. On a également produit comme preuve un exemplaire du Guide d’emploi publié par le fabricant de l’éthylomètre utilisé pour le test. Dans la partie de ce manuel qui traite de l’utilisation d’une solution type d’alcool pour vérifier l’exactitude de l’instrument, se trouve la phrase suivante: [TRADUCTION] «L’écart entre la température de la solution et la température de la pièce ne doit pas dépasser 1° C si l’on veut obtenir des résultats exacts.» Le technicien a admis que lorsqu’il a fait le test avec la solution type d’alcool il a noté la température de la solution mais non celle de la pièce. Cependant, il a dit qu’il avait pris la solution dans une armoire située dans la même pièce où se trouvait l’instrument.

La défense a cité comme témoin un docteur en chimie qui n’a pas prétendu être un expert dans le fonctionnement des éthylomètres. Sa connaissance de ces instruments se limitait à la lecture attentive du Guide d’emploi qui a été produit en preuve. Voici la partie importante de son témoignage:

[Page 1093]

[TRADUCTION] R. Tout liquide pur ou solution tend à transformer un ou plusieurs de ses éléments en vapeur à la surface. La quantité de l’élément transformée en vapeur dépend directement de la température. Pour obtenir une quantité bien définie de substance à l’état de vapeur, et c’est ce que l’on fait ici, on dit qu’une quantité bien définie d’alcool se transformera en vapeur, la solution doit être en équilibre avec l’air ambiant. Il est très important que cet équilibre se fasse avec la température de l’air ambiant. Si l’on fait un relevé lorsque la solution n’est pas en équilibre avec l’air ambiant puis qu’on en fasse un autre un peu plus tard, les deux relevés de la quantité de substance transformée en vapeur seront différents et ils varieront continuellement jusqu’au moment où l’équilibre sera atteint. Sans effectuer tout un programme de recherches, je suis incapable de dire quelle serait la différence, quel serait le changement. Mais il en serait de même pour toute solution. Prenez une solution à une température différente, vérifiez sa température et faites ensuite un relevé, attendez quelques minutes ou un certain temps, faites un autre relevé, alors le chiffre de la quantité de ce que vous vérifiez à la phase vapeur sera différent. Finalement, lorsque les deux, la solution et l’air ambiant, seront en équilibre, les relevés seront toujours les mêmes quel que soit l’intervalle; une fois que l’équilibre est atteint.

Q. Maintenant, avez-vous eu la possibilité de vous familiariser avec le contenu de ce guide? R. Oui.

Q. Est-il raisonnable de présumer que deux substances, savoir l’air et l’eau, parce qu’elles se trouvent dans la même pièce, l’une étant dans une armoire moins élevée que l’autre, que la température de ces deux substances, savoir l’air ambiant et la solution, ne varierait pas plus d’un degré Celsius l’une de l’autre? R. Ce que l’on peut dire à ce sujet, Votre Seigneurie, et il faut être prudent lorsque l’on n’a pas vu l’endroit où les articles sont entreposés, etc., comme chacun de nous a pu le constater chez soi, par exemple, dans une pièce, la température relevée près du thermostat peut être de 70 degrés Fahrenheit et, pourtant, nous savons que dans une autre partie de la pièce la température n’est pas 70 degrés Fahrenheit, elle peut être plus élevée ou plus basse. Par conséquent, il est possible que la température à l’endroit où était entreposée la solution et la température à l’endroit où le test a été effectué aient été différentes, c’est possible.

R. Je n’apposerais pas ma signature à des analyses à moins de connaître les deux températures et à moins qu’elles soient identiques.

[Page 1094]

Le magistrat Fowler a énoncé, comme suit, les motifs pour lesquels il a rejeté l’accusation:

[TRADUCTION] (…) Cette affaire dépend de deux facteurs soumis en défense. Le premier est de savoir s’il est essentiel de vérifier la température de la pièce pour assurer le bon fonctionnement de l’éthylomètre. Il appert que lorsque l’appareil est prêt à recevoir le premier échantillon d’haleine humaine et le reçoit, le résultat est noté et est ensuite vérifié par un dispositif connu sous le nom d’équilibreur pour en vérifier le bon fonctionnement. Si le technicien est convaincu que l’appareil fonctionne bien, il prend ensuite le second échantillon d’haleine humaine, prépare de nouveau l’appareil et note le résultat. Il s’agit maintenant de savoir si le test effectué pour déterminer le bon fonctionnement de l’éthylomètre était lui-même un bon test en ce qui a trait aux paramètres de l’équilibreur; c’est-à-dire la température et la concentration d’alcool dans la solution. Le guide qui a été produit comme pièce 2, BM #2, le Guide d’emploi du Breathalyzer, modèle 900, explique, à la page 26, et je cite un passage de cette pièce, «de l’air ambiant qui circule dans de l’eau contenant de l’alcool retiendra une quantité définie d’alcool selon la concentration d’alcool dans la solution de la température. L’écart entre la température de la solution et la température de la pièce ne doit pas dépasser un degré Celsius si l’on veut obtenir des résultats exacts». A la page 27 du même guide, on peut lire «vérifier la température de la solution pour vous assurer qu’elle est proche de celle de la pièce.» Malgré le tableau à la page 27 du même guide, que les auteurs ont, sans aucun doute, préparé en connaissant les paramètres ou les écarts de température et de teneur en alcool, le test pour vérifier l’exactitude de l’appareil est effectué avec un «équilibreur», dans une pièce ayant une température déterminée, et cette température doit être notée afin de déterminer l’écart, le cas échéant, entre celle de l’air et celle de la solution d’eau et d’alcool. Sinon, le technicien ne sait pas si le test effectué avec l’appareil donne un résultat exact. Dans l’affaire soumise à la cour aujourd’hui, le constable McNeil, le technicien, a déclaré, et je paraphrase sa déclaration, que s’il n’obtenait pas un résultat correct, l’appareil fonctionnait mal et le résultat serait rejeté. Il a ajouté que si la procédure appropriée était suivie il ne pouvait y avoir d’erreur. Il a dit également qu’il n’a pas vérifié la température de la pièce et qu’il ne l’a pas notée mais que, puisque le test avec la solution type d’alcool a fonctionné, il ne devait pas y avoir un écart de plus d’un degré Celsius entre la température de la pièce et celle de la solution type d’eau et d’alcool. En somme il disait que puisque le test a réussi, l’appareil a fonctionné et que puisque l’appareil a fonctionné le test a réussi. La question qu’il faut évidemment se poser est «qu’arrive-

[Page 1095]

t-il si l’appareil et l’équilibreur ne sont pas exacts?» La seule réponse serait que l’on ignorerait complètement l’importance de l’erreur. La seule façon d’effectuer avec exactitude le test du bon fonctionnement de l’éthylomètre est de faire un bon test de l’équilibreur. Dans son témoignage, M. Newlands, l’expert-chimiste, a déclaré qu’il a vingt-deux ans d’expérience dans le domaine de la chimie et qu’il est chef du Département de chimie à l’Université Memorial de Terre-Neuve. Il a de plus déclaré que pour avoir une quantité bien précise d’alcool lors de l’évaporation, la solution doit être en équilibre avec la température ambiante, principalement avec l’air ambiant. Il a ajouté que l’on ne peut pas présumer que les deux températures sont les mêmes. Un bon test de l’équilibreur exige, je ne cite pas textuellement M. Newlands sur ce point mais c’est ce que j’en déduis, un bon test de l’équilibreur exige que l’on connaisse la température de la pièce de même que la concentration d’alcool dans la solution. La distinction à faire entre la présente espèce et l’affaire R. v. Dygdala en Cour suprême de l’Alberta est que dans l’affaire Dygdala le guide d’emploi n’a pas été produit en preuve et qu’aucun expert-chimiste n’a témoigné pour aider à interpréter les principes de chimie en cause. Si l’on se réfère à l’utilisation de l’équilibreur à la page 26 du Guide d’emploi du Breathalyzer, modèle 900, sous le titre «Utilisation de l’équilibreur», qui, on peut le présumer d’après cette pièce, définit le fonctionnement de cet équilibreur en particulier, le renvoi dans le guide d’emploi à l’utilisation de l’équilibreur devient inutile si la température n’est pas notée et soulève en fait un doute raisonnable quant à l’exactitude de l’alcoolémie enregistrée chez cet accusé. Il y a d’autres facteurs en l’espèce, mais l’affaire repose principalement sur la question que je viens d’examiner, et par conséquent, compte tenu de ce que je viens de dire, je suis d’avis que je ne peux prononcer une déclaration de culpabilité en l’espèce et je conclus à la «non-culpabilité». L’accusation contre M. Crosthwait est rejetée.

Le juge Barry, de la Cour de district, a endossé ces motifs et, après avoir cité de longs passages de la preuve et examiné la jurisprudence, y compris l’arrêt Dygdala[3], a conclu comme suit (à la p. 214):

[TRADUCTION] Le Code confie une grande responsabilité et un vaste pouvoir au technicien approuvé pour déterminer l’alcoolémie d’une prévenu, mais il exige également qu’il effectue son test convenablement, en

[Page 1096]

utilisant un instrument et des solutions approuvés. M. Newlands a témoigné que les tests ont été effectués d’une façon telle que les résultats sont contestables ou incertains. A mon avis, il s’agit là sans aucun doute d’une preuve contraire au sens de l’al. 237(1)c). Le savant magistrat a eu raison d’accepter son témoignage quant aux principes en jeu dans les tests avec la solution type d’alcool, et sa critique de la méthode utilisée par le technicien approuvé en l’espèce. Par conséquent, je confirme la décision du savant magistrat et rejette cet appel.

En appel, le juge Furlong, juge en chef de Terre-Neuve, et le juge Gushue ont souscrit à l’avis du juge Morgan qui a dit sur la question principale (aux pp. 198 à 200):

[TRADUCTION] A mon avis, la présomption simple de la proportion d’alcool dans le sang d’un prévenu, créée par l’al. 237(1)c), n’existe que lorsque l’on établit avec certitude que toutes les conditions prévues par cet article ont été respectées. Si je comprends bien les dispositions de l’art. 237, le prévenu peut contester les déclarations contenues dans le certificat et, si les renseignements obtenus au contre-interrogatoire révèlent que l’une ou l’autre des conditions prescrites par la loi n’a pas, en fait, été respectée, le certificat lui-même ne peut être produit comme preuve de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu.

L’une des conditions de la loi est que l’analyse chimique de chaque échantillon soit faite au moyen d’un instrument approuvé manipulé par un technicien qualifié. Un instrument approuvé est défini comme,

«……un instrument d’un genre destiné à recueillir un échantillon de l’haleine d’une personne et à en faire l’analyse chimique en vue de mesurer la proportion d’alcool dans le sang de cette personne et qui est approuvé comme instrument approprié aux fins du présent article par ordonnance du procureur général du Canada;»

Le Breathalyzer Borkenstein, modèle 900, est un instrument approuvé au sens de cet article.

En l’espèce, la compétence du technicien n’est pas en litige, mais on a soulevé une objection quant à l’exactitude de l’instrument même qu’il a utilisé.

Un guide d’emploi de l’éthylomètre est fourni avec chaque appareil pour instruire et guider les opérateurs. En plus d’indiquer la marche à suivre pour éviter toute erreur dans le test de l’échantillon d’haleine, le Guide donne des directives pour vérifier l’appareil lui-même et s’assurer de l’exactitude du résultat obtenu. Ce test

[Page 1097]

comprend l’utilisation de l’équilibreur dans lequel la solution type d’alcool est mise. Relativement à l’utilisation de l’équilibreur, le Guide dit que lorsque l’on fait le test avec la solution type d’alcool l’écart entre la température de la solution et celle de la pièce ne doit pas dépasser 1° C si l’on veut obtenir des résultats exacts.

Dans son témoignage dont j’ai déjà fait mention, M. Newlands a insisté sur l’importance de s’assurer que la différence entre la température de la solution et celle de la pièce ne dépasse pas 1° C si l’on veut obtenir des résultats exacts. Il a été admis que le technicien n’a pas noté la température de la pièce en vérifiant l’appareil. Parce que l’écart entre le résultat obtenu et le chiffre figurant au tableau était inférieur à 10 milligrammes, il a présumé que la différence entre la température de la solution et celle de la pièce se situait dans les limites prévues et qu’ainsi l’appareil fonctionnait bien. Il ne pouvait présumer ce fait sans connaître la température de la pièce.

A mon avis, l’approbation par la loi d’une catégorie d’instruments implique que chaque instrument de cette catégorie fonctionne bien. L’omission du technicien de suivre la procédure exigée et prescrite pour la vérification de l’exactitude de l’appareil laissait planer un doute sur l’exactitude de cet appareil et il ne pouvait donc certifier l’exactitude de résultat des analyses des échantillons comme l’exige la loi. On ne peut donc dire que le certificat respectait les conditions que la loi fixe pour l’admissibilité comme preuve de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu. Puisque aucune autre preuve n’a été produite, l’acquittement du prévenu était justifié et le savant juge de la Cour de district a eu raison de confirmer la décision du magistrat.

En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel.

Le paragraphe 236(1) aux termes duquel le prévenu a été inculpé se lit comme suit:

236. (1) Le conducteur d’un véhicule à moteur ou la personne en ayant la garde à l’arrêt dont le taux d’alcoolémie dépasse 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et passible,…

Relativement à la preuve dans des poursuites en vertu de cette disposition, les al. 237(1)c) et f) prévoient:

237. (1) Dans toutes procédures en vertu de l’article 234 ou 236,

[Page 1098]

c) lorsque des échantillons de l’haleine du prévenu ont été prélevés conformément à une sommation faite en vertu du paragraphe 235(1),

(i) non proclamé,

(ii) si chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction est alléguée avoir été commise et, de toute façon, pas plus de deux heures après ce moment, le second l’ayant été au moins quinze minutes après le premier,

(iii) si chaque échantillon a été reçu de l’accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un instrument approuvé, manipulé par un technicien qualifié, et

(iv) si une analyse chimique de chaque échantillon a été faite à l’aide d’un instrument approuvé, manipulé par un technicien qualifié,

la preuve des résultats des analyses chimiques ainsi faites fait preuve, en l’absence de toute preuve contraire, du taux d’alcoolémie dans le sang du prévenu au moment où l’infraction est alléguée avoir été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu’ils sont identiques, ou au plus faible d’entre eux s’ils sont différents;

f) lorsque des échantillons de l’haleine du prévenu ont été prélevés conformément à une sommation faite en vertu du paragraphe 235(1), un certificat d’un technicien qualifié énonçant

(i) que chaque analyse chimique des échantillons a été faite à l’aide d’un instrument approuvé, manipulé par lui et dans lequel a été utilisée une substance ou solution propre à être utilisée dans cet instrument approuvé et identifiée dans le certificat,

(ii) que les résultats des analyses chimiques ainsi faites, et

(iii) dans le cas où il a lui-même prélevé les échantillons,

(A) non proclamé,

(B) le temps et le lieu où chaque échantillon et un spécimen quelconque mentionné dans la disposition (A) ont été prélevés, et

(C) que chaque échantillon a été reçu de l’accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un instrument approuvé, manipulé par lui,

[Page 1099]

fait preuve des déclarations contenues dans le certificat sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve de la signature de la personne par laquelle il paraît avoir été signé ni de la qualité officielle de cette personne.

Relativement à l’al. f), il faut remarquer que le par. 24(1) de la Loi d’interprétation (S.R.C. 1970, chap. I-23) dispose:

24. (1) Quand un texte législatif déclare qu’un document constitue la preuve d’un fait sans qu’il y ait, dans le contexte, une indication que le document est une preuve concluante, ce dernier est recevable comme preuve dans toutes procédures judiciaires et le fait est alors réputé établi en l’absence de toute preuve contraire.

En l’espèce, le certificat déposé au procès respecte entièrement les conditions énoncées à l’al. f). En lui-même il faisait donc preuve des résultats des analyses. Avec égards, je ne peux accepter qu’il existe une autre condition implicite savoir, qu’il faut démontrer que l’instrument utilisé fonctionnait bien et que le technicien avait suivi les directives du fabricant pour en vérifier l’exactitude. Il ressort clairement du texte du Code que les énoncés du certificat font naître par eux-mêmes la présomption simple. La présomption peut sans doute être réfutée par la preuve du mauvais fonctionnement de l’instrument utilisé, mais le certificat ne peut être rejeté pour ce motif. Il se peut fort bien qu’un homme de science refuserait de signer un certificat d’analyse fondé sur les tests effectués par le technicien, mais cela n’est pas pertinent. Le Parlement a établi les conditions auxquelles un certificat fait preuve des résultats des analyses d’haleine et n’a pas jugé bon d’exiger la preuve que l’instrument approuvé fonctionnait bien. Le Parlement n’a pas jugé bon d’exiger qu’un test de vérification soit effectué avec une solution type d’alcool; il n’a parlé que de la solution utilisée pour le test de l’haleine. On recommande bien aux techniciens d’effectuer un test de vérification, mais ce test ou ses résultats n’ont jamais été exigés comme condition de la validité du certificat et il n’a pas été prévu que le certificat serait invalide si l’on ne prouvait pas que l’instrument avait été entretenu et utilisé conformément aux directives du fabricant.

[Page 1100]

Il n’est pas nécessaire de traiter longuement des motifs pour lesquels le Parlement n’a pas prévu ces conditions additionnelles, ils sont évidents. Dans R. c. Moreau[4], le juge Beetz a dit (à la p. 273):

… une des raisons, pour ne pas dire la seule raison, pour laquelle le Parlement a prescrit l’utilisation d’instruments approuvés devait être la volonté que l’on applique exactement une interdiction précise. Cette intention serait lettre morte si les instruments approuvés étaient traités de la même manière que les instruments ordinaires.

Cela ne signifie pas que le prévenu est à la merci du technicien: bien que le certificat constitue par lui-même une preuve, les faits qu’il établit sont «réputé(s) établi(s) seulement en l’absence de toute preuve contraire». Ainsi, toute preuve qui tend à invalider le résultat des tests peut être produite au nom de l’accusé afin de contester l’acquisition portée contre lui. Comme on l’a dit dans R. c. Proudlock[5], il n’est pas nécessaire en pareil cas que la preuve contraire soulève plus qu’un doute raisonnable et, bien sûr, cette preuve peut être puisée autant dans les dépositions des témoins du ministère public que dans celles des témoins de la défense. A mon avis, en l’espèce le certificat faisant preuve des résultats des analyses en vertu des dispositions expresses du Code criminel, cependant, une autre question demeure: existait-il une preuve contraire suffisante pour soulever au moins un doute raisonnable?

La preuve sur laquelle on s’est basé pour mettre en doute l’exactitude des résultats des analyses d’haleine peut être résumée brièvement. On ne conteste pas les tests eux-mêmes, mais bien le test de vérification avec la solution type d’alcool. On a fait remarquer que, selon le Guide d’emploi, pour obtenir des résultats exacts, l’écart entre la température de la solution et la température de la pièce ne doit pas dépasser 1°C. Le technicien a noté la température de la solution mais n’a pas vérifié si elle variait de moins d’un degré de la température de la pièce où elle était gardée, et le témoin expert de la défense a dit qu’il était possible que l’écart ait été de plus de 1°C. Quant aux répercussions

[Page 1101]

que cela peut avoir sur l’exactitude des résultats du test de vérification il dit: [TRADUCTION] «Sans effectuer tout un programme de recherches, je suis incapable de dire quelle serait la différence, quel serait le changement».

Ayant examiné tout le témoignage de M. Newlands, je conclus qu’il ne fournit aucune preuve de la probabilité d’un écart de plus de 1°C et aucune preuve de l’importance que l’écart possible a eu ou aurait pu avoir sur les résultats du test. A cet égard, il importe de souligner qu’il ne s’agit pas d’un cas limite concernant l’excès d’alcool dans le sang au-delà du maximum permis de 80 milligrammes. Le résultat des deux analyses d’haleine est 150 milligrammes, c’est-à-dire 87 pour cent de plus. Rien dans la preuve n’indique qu’il ait pu exister entre la température de la pièce et celle de la solution type d’alcool un écart tel qu’il ait pu fausser le test de vérification au point de dissimuler un mauvais fonctionnement de cette importance.

Je suis donc d’avis que le témoignage de M. Newlands ne constitue pas une preuve contraire au sens de l’ai. 237(1)c) du Code criminel. La simple possibilité d’une inexactitude n’est d’aucun secours à l’accusé. Ce qui est nécessaire pour constituer une preuve contraire est une preuve qui tend à démontrer une inexactitude de l’éthylomètre, ou de son fonctionnement à cette occasion, d’un degré et d’une nature tels qu’elle pourrait modifier le résultat des analyses au point de rendre douteux que la concentration d’alcool dans le sang du prévenu ait été supérieure au maximum permis. Il n’y a pas de preuve semblable en l’espèce devant la Cour. Le témoignage de M. Newlands ne le démontre pas. Il ne fournit la preuve que d’une possibilité d’inexactitude dans le test de vérification, sans aucune indication de l’étendue de cette inexactitude en l’espèce ou de l’effet possible ou probable de cette inexactitude sur les résultats de l’analyse d’haleine. Le certificat demeure donc non contredit.

A l’audition devant la Cour, l’avocat de l’appelante a fait mention de la décision non publiée de la Cour provinciale de Terre-Neuve dans l’affaire

[Page 1102]

R. v. Furey, où on a cité de la documentation scientifique et des expériences pour démontrer l’étendue de l’influence de l’écart entre la température de la pièce et celle de la solution type d’alcool sur un test de vérification d’un Breathalyzer Borkenstein; la différence n’était pas importante, quelques milligrammes seulement. Je m’abstiens d’examiner si l’on pourrait prendre connaissance d’office de ces faits parce qu’il s’agit d’une question scientifique. C’est qu’en l’espèce cela ne me paraît aucunement nécessaire.

A mon avis, pour conclure qu’il n’y avait aucune preuve devant le magistrat pour réfuter le certificat, il suffit de constater que la seule preuve consistait en la possibilité d’un écart de température, sans aucune indication que cela aurait pu modifier les résultats d’une façon notable. Bien qu’il appartienne au juge des faits de peser la preuve, la question de savoir s’il y a preuve est une question de droit et un acquittement fondé sur un doute découlant d’une possibilité conjecturale sera infirmé: Wild c. La Reine[6].

Puisque tous les faits requis pour la déclaration de culpabilité sont établis par la preuve, un nouveau procès n’est pas nécessaire et la conclusion appropriée est de prononcer un verdict de culpabilité comme l’a fait la Cour d’appel du Manitoba dans R. v. Fotti[7], (confirmé par cette Cour, le 7 février 1980[8]).

Pour ce qui est de la sentence, la conclusion appropriée me paraît être de renvoyer l’affaire à la première cour d’appel, soit la Cour de district de Terre-Neuve qui, après avoir entendu les parties, procédera à l’imposition de la sentence et à l’adjudication des dépens en première instance et en appel devant elle. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens sur le deuxième appel. Cependant, je dois faire remarquer que le juge Morgan a commis une erreur en statuant qu’en vertu du par. 610(3) du Code criminel il ne pouvait y avoir d’adjudication de dépens devant cette cour-là. S’agissant de procédures en déclaration sommaire de culpabilité, l’appel à cette cour-là était régi par les par. 771(2) et (3) du Code criminel, dont voici le texte:

[Page 1103]

(2) Les articles 601 à 616 s’appliquent, mutatis mutandis, à un appel prévu par le présent article.

(3) Nonobstant le paragraphe (2), la cour d’appel peut rendre toute ordonnance, quant aux frais, qu’elle estime appropriée relativement à un appel prévu par le présent article.

Dans R. c. Ouellette[9] la Cour a jugé qu’en conséquence de ces dispositions, des dépens peuvent être adjugés contre le ministère public.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les jugements des cours d’instance inférieure, de prononcer un verdict de culpabilité et d’ordonner que l’affaire soit renvoyée à la Cour de district de Terre-Neuve pour l’imposition de la sentence et l’adjudication des dépens en première instance et en appel devant elle. Il n’y aura aucune adjudication de dépens en Cour d’appel de Terre-Neuve, mais, suivant la condition de l’autorisation, l’appelante doit payer les dépens de l’intimé en cette Cour.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelante: Le procureur général de Terre-Neuve, Saint-Jean, Terre-Neuve.

Procureur de l’intimé: Eric C. Facey, Gander, Terre-Neuve.

[1] (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 191.

[2] (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 200.

[3] sub nom., R. v. Dygdala, [1977] 1 W.W.R. 104 (C.A. Alb.)

[4] [1979] 1 R.C.S. 261.

[5] [1979] 1 R.C.S. 525.

[6] [1971] R.C.S. 101.

[7] [1979] 1 W.W.R. 652.

[8] [1980] 1 S.C.R. 589.

[9] [1980] 1 S.C.R. 568.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Véhicules à moteur - Alcootest - Preuve - Certificat d’analyse - Présomption simple - Preuve concluante «en l’absence de toute preuve contraire» - Preuve requise pour constituer une «preuve contraire» - Insuffisance du «simple risque d’inexactitude» - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 236, 237(1)c),f), 771(2), (3) - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 24(1).

Vers lh35, on a vu l’intimé qui conduisait une motocyclette en zigzaguant. Il a échoué au test d’analyse d’haleine préliminaire sur place et a alors été emmené au poste de police pour subir un test sur un Breathalyzer Borkenstein. Au procès, le certificat d’analyse légal a été produit ainsi qu’un exemplaire du Guide d’emploi publié par le fabricant de l’éthylomètre. Le manuel dit notamment que «L’écart entre la température de la solution et la température de la pièce ne doit pas dépasser 1 ° C si Ton veut obtenir des résultats exacts». Le technicien a admis que lorsqu’il a fait le test avec la solution type d’alcool il a noté la température de la solution mais non celle de la pièce. La défense a cité comme témoin un docteur en chimie qui n’a pas prétendu être un expert en matière d’éthylomètre et pour qui la connaissance de ces instruments se limitait à la lecture attentive du Guide d’emploi produit en preuve par le ministère public. Ce témoin expert a expliqué qu’il y aurait une différence dans le relevé s’il n’y avait pas d’équilibre entre la température de la pièce et celle de la solution et qu’il n’apposerait pas sa signature à des analyses à moins de connaître les deux températures et à moins qu’elles soient identiques. Le magistrat a rejeté l’accusation et le juge de la Cour de district a endossé ses motifs parce que selon la preuve, le technicien approuvé a effectué les tests d’une façon telle que les résultats sont incertains. Ce jugement a été confirmé par la Division d’appel au motif que l’omission du technicien de suivre la procédure exigée et prescrite pour la vérification de l’exactitude de la machine rendait le certificat inadmissible comme preuve de la proportion d’alcool dans le sang du prévenu.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

[Page 1090]

Le certificat déposé respecte entièrement les dispositions de l’al. 237(1)f) du Code criminel et fait preuve, en lui-même, des résultats des analyses. Il n’existe pas de condition implicite qu’il faut démontrer que l’instrument utilisé fonctionnait bien et que le technicien a suivi les directives du fabricant pour en vérifier l’exactitude. Il ressort clairement du texte du Code que les énoncés du certificat font naître par eux-mêmes la présomption simple. L’argument qu’un homme de science refuserait de signer un certificat d’analyse n’est pas pertinent. Le Parlement a établi les conditions et n’a pas jugé bon d’exiger un test de vérification. Pour de bonnes raisons, il voulait que l’on applique exactement son interdiction. Le certificat constitue une preuve et la seule question est de savoir s’il existait une preuve contraire suffisante pour soulever au moins un doute raisonnable. Il ressort clairement de l’examen de la preuve que le témoin expert de la défense n’a pas démontré que les tests ont pu être faussés au point de modifier le relevé dans ce qui n’est pas un cas limite (150 mg, c.‑à-d. 87 pour cent de plus). Les faits requis pour une déclaration de culpabilité sont établis et un verdict de culpabilité doit être prononcé sans qu’un nouveau procès soit nécessaire.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Crosthwait

Références :

Jurisprudence: R. v. Dygdala, [1977] 1 W.W.R. 104

R. c. Moreau, [1979] 1 R.C.S. 261

R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525

Wild c. La Reine, [1971] R.C.S. 101

R. c. Fotti, [1979] 1 W.W.R. 652, conf. par [1980] 1 R.C.S. 589, [1980] 4 W.C.B. 238

R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568.

Proposition de citation de la décision: R. c. Crosthwait, [1980] 1 R.C.S. 1089 (6 mai 1980)


Origine de la décision
Date de la décision : 06/05/1980
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 1089 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-05-06;.1980..1.r.c.s..1089 ?
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