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06/05/1980 | CANADA | N°[1980]_2_R.C.S._89

Canada | R. c. Mousseau, [1980] 2 R.C.S. 89 (6 mai 1980)


Cour suprême du Canada

R. c. Mousseau, [1980] 2 R.C.S. 89

Date: 1980-05-06

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Lawrence Matthew Mousseau Intimé.

1980: 24 mars; 1980: 6 mai.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a accueilli un appel du jugement de la Cour de comté de Minnedosa et a annulé les déclarations de culpabilité. Pourvoi accueilli.

A.G. Bowering e

t M.J. Conklin, pour l’appelante.

Harvey I. Pollock, c.r., M.B. Nepon et Brenda Keyser, pour l’intimé.

Version française du...

Cour suprême du Canada

R. c. Mousseau, [1980] 2 R.C.S. 89

Date: 1980-05-06

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Lawrence Matthew Mousseau Intimé.

1980: 24 mars; 1980: 6 mai.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a accueilli un appel du jugement de la Cour de comté de Minnedosa et a annulé les déclarations de culpabilité. Pourvoi accueilli.

A.G. Bowering et M.J. Conklin, pour l’appelante.

Harvey I. Pollock, c.r., M.B. Nepon et Brenda Keyser, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE DICKSON — Le soir du 15 octobre 1976 vers 21h40, l’intimé, Lawrence Mousseau, un Indien visé par un traité, circulait en voiture sur la route provinciale n° 265 à environ six milles à l’ouest de Plumas (Manitoba). Il a aperçu un chevreuil qui traversait la route et s’est arrêté. A l’aide d’une torche électrique, il a repéré le chevreuil et l’a abattu dans le fossé. Pendant qu’il

[Page 91]

vidait l’animal, la police est arrivée sur les lieux. Pendant l’année 1976, il n’y a pas eu de saison de chasse au chevreuil au Manitoba. Bien que l’exposé conjoint des faits ne le dise pas, les parties semblent reconnaître qu’à l’époque, Mousseau chassait pour se nourrir, et c’est sur ce fondement que j’aborde cette affaire.

Mousseau est accusé d’avoir: i) chassé illégalement un animal sauvage hors saison, contrairement au par. 16(1) de The Wildlife Act, R.S.M. 1970, chap. W140; et, ii) d’avoir illégalement utilisé, la nuit, un appareil lumineux ou réfléchissant pour chasser, contrairement au par. 19(1) de la même loi. Il a été déclaré coupable en Cour des juges provinciaux de Neepawa et les déclarations de culpabilité ont été confirmées en appel à la Cour de comté de Minnedosa. En appel à la Cour d’appel du Manitoba, les déclarations de culpabilité ont été annulées; les juges Monnin et Guy étaient dissidents.

Le paragraphe 46(1) de The Wildlife Act protège expressément les droits de chasse spéciaux des Indiens enchâssés dans la clause 13 de la Convention, approuvée par The Manitoba Natural Resources Act, 20 George V, chap. 30. Le paragraphe 46(1) dispose:

[TRADUCTION] Rien dans la présente loi ne restreint, ni ne supprime les droits et privilèges conférés par la clause 13 de la convention approuvée par The Manitoba Natural Resources Act.

La Convention a été conclue entre le Dominion et la province du Manitoba à l’époque du transfert, du Dominion à la province, des ressources naturelles situées dans les limites de celle-ci. Elle a été confirmée par la Législature de la province, par le chap. 30 des lois de 1930, et par le Parlement du Canada, par le chap. 29 des Statuts du Canada de 1930. Elle a également été confirmée par le Parlement du Royaume-Uni par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, 20-21 George V (R.-U.), chap. 26.

Si en chassant comme il l’a fait, Mousseau relève de la clause 13 de la Convention, les interdictions énoncées dans The Wildlife Act ne lui sont pas applicables. La clause 13 dispose:

[Page 92]

Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès.

L’effet général de la cause 13 est de rendre applicable aux Indiens, qui se trouvent dans les limites de la province, les lois provinciales sur la chasse et la pêche qui y sont en vigueur, et ceci pour assurer leur approvisionnement continu de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance. Il y a cependant une réserve importante à ce qui précède. Les Indiens qui chassent, prennent le gibier au piège et pêchent le poisson «pour se nourrir» ne sont pas soumis aux lois provinciales lorsqu’ils chassent, piégent ou pêchent sur i) les terres inoccupées de la Couronne, ou ii) toutes autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un «droit d’accès». Dans le présent pourvoi, la portée territoriale de la réserve est en cause, plus particulièrement la question de savoir si, au sens de la clause 13, on peut dire qu’une route provinciale est une terre inoccupée de la Couronne ou une autre terre à laquelle les Indiens ont un droit d’accès.

Une fois que Sa Majesté du chef de la province a réservé ou mis de côté une terre aux fins de la route provinciale n° 265, il est difficile de considérer qu’il s’agit là d’une terre inoccupée de la Couronne au sens de la clause 13, et, d’ailleurs, l’avocat de Mousseau n’a pas avancé pareil argument. Son principal argument a été que les Indiens qui se trouvent au Manitoba ont un droit d’accès aux chemins publics et aux bas-côtés et que, par conséquent, conformément à la clause 13 de la Convention, ils peuvent légalement y chasser.

Que signifie l’expression «toutes autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès»? Les décisions auxquelles on a renvoyé la Cour ne lui sont pas particulièrement utiles. Dans

[Page 93]

la première, R. v. Wesley[2], feu le juge McGillivray fait un excellent historique des droits de chasse des Indiens. Au nom de la majorité de la Cour, il a dit:

[TRADUCTION] …des Indiens qui chassent pour se nourrir peuvent abattre toutes sortes d’animaux sauvages sans se soucier de l’âge ou de la taille, partout sur les terres inoccupées de la Couronne ou d’autres terres auxquelles ils ont un droit d’accès, en toute saison; ils peuvent chasser ces animaux avec des chiens ou de toute autre façon qu’ils jugent appropriée et ils n’ont à invoquer d’autre autorité que le texte de la clause 12 pour avoir droit de le faire, (à la p. 277)

Dans l’affaire Wesley, la cour avait à interpréter la clause 12 de la Convention confirmée par The Alberta Natural Resources Act, 1930, (Alta.) chap. 21. La clause 12 de la Convention avec l’Alberta est identique à la clause 13 de la Convention avec le Manitoba. Dans l’affaire Wesley, l’accusé avait été inculpé de trois infractions à The Game Act de l’Alberta, R.S.A. 1922, chap. 70, savoir, d’avoir chassé et tué un chevreuil ayant des cornes ou bois de moins de quatre pouces de longueur, d’avoir chassé le chevreuil sans permis et d’avoir chassé le chevreuil avec des chiens. Cet arrêt est d’une utilité limitée dans un débat sur la dernière partie de la clause 13, vu qu’il était admis que les infractions imputées avaient été commises sur une terre inoccupée de la Couronne.

Le deuxième arrêt que l’on nous a cité est R. v. Smith[3]. Un Indien visé par un traité, nommé John Smith, fils, a été accusé de port d’armes à feu dans la réserve pour gibier de Fort La Corne en Saskatchewan. Le paragraphe 69(1) de The Game Act, R.S.S. 1930, chap. 208, de cette province interdisait de tuer, de chasser, de piéger ou de porter des armes à feu dans les limites de la réserve. La cour a dû interpréter la clause 12 de la Convention avec la Saskatchewan, qui est identique à la clause 13 de la Convention avec le Manitoba. Feu J.G. Diefenbaker, avocat de l’accusé, a soutenu que la réserve pour gibier était une terre à laquelle les Indiens avaient un droit d’accès, et qu’ils avaient donc le droit d’y tirer. A cet argument, le juge Turgeon (avec lequel le juge McKenzie était d’accord) a répondu:

[Page 94]

[TRADUCTION] …Le seul prétendu «droit» d’accès à cette réserve dont peuvent jouir les Indiens est simplement le privilège accordé à toute la population d’entrer dans la réserve sans transporter d’armes à feu. On ne nous a pas signalé que les Indiens aient reçu un droit d’accès spécial, particulier à cette réserve ou qu’ils jouissent de pareil droit. Les Indiens ont sans doute un droit d’accès particulier à certaines terres de la Couronne, comme, par exemple, les réserves où ils vivent qui appartiennent à la Couronne, mais il ne semble pas qu’ils aient un droit d’accès semblable à la terre de cette réserve pour gibier. (à la p. 707)

L’autre membre de la cour, le juge Martin, a souscrit au rejet de l’appel. A propos du droit d’accès des Indiens à la réserve pour gibier, il a dit:

[TRADUCTION] …Les Indiens ont sans aucun doute un droit d’accès à certaines reserves mises de côté pour eux et qu’ils habitent, mais ils n’ont pas plus de droit d’accès aux réserves pour le gibier que celui accordé au reste de la population et ils sont, comme lui, soumis aux dispositions de l’art. 69 de The Game Act. (à la p. 710)

Le troisième arrêt est R. ex rel. Clinton v. Strongquill[4]. Un Indien visé par un traité, qui chassait pour se nourrir, a tué un orignal dans la réserve de Porcupine Forest à une époque où l’on pouvait chasser le gibier autre que l’orignal avec un permis de chasse provincial. De nouveau, la clause 12 de la Convention avec la Saskatchewan a dû être examinée. La cour, à la majorité (les juges Gordon, Procter et McNiven; le juge en chef Martin et le juge Culliton étant dissidents), a annulé la déclaration de culpabilité. Le juge Gordon a distingué cette affaire de l’arrêt R. v. Smith, précité, au motif que la réserve de Porcupine Forest n’était pas dans la même situation qu’une réserve pour gibier où la chasse est absolument interdite. Le jour où Strongquill a commis l’infraction en question, des personnes autres que des Indiens pouvaient légalement chasser le gros gibier dans la réserve de Porcupine, pendant la saison de la chasse. Strongquill avait par conséquent un droit d’accès à cette terre de la Couronne et, de ce fait, il pouvait tuer un orignal pour se nourrir dans les limites de la réserve. Le juge Procter a fait la distinction suivante d’avec l’affaire Smith:

[Page 95]

[TRADUCTION] Dans l’affaire Smith, précitée, à propos de la seconde question posée par le juge Turgeon, savoir — «S’agit-il de terres inoccupées de la Couronne auxquelles les Indiens ont un droit d’accès?» — il en a disposé très brièvement en un alinéa, décidant que le seul droit d’accès dont jouissent les Indiens est simplement le privilège accordé à toute la population d’entrer dans la réserve sans transporter d’armes à feu, soulignant les quatre derniers mots. L’accusation portée dans l’affaire Smith était «le port d’armes à feu» dans la réserve pour gibier. Personne, Indien ou non, n’avait un droit d’accès à la réserve pour gibier s’il transportait une arme à feu et on a par conséquent décidé que c’est à bon droit que Smith a été déclaré coupable de l’infraction. (à la p. 278)

Plus loin dans ses motifs, il a ajouté:

[TRADUCTION] Je n’ai que très peu à ajouter au jugement solide du juge McGillivray dans Wesley auquel je souscris entièrement.

Un examen attentif de l’arrêt Smith, précité, me convainc que la question du droit d’un Indien visé par un traité de chasser le gibier pour se nourrir sur les terres inoccupées de la Couronne ou sur les terres de la Couronne auxquelles il a accès n’a pas été tranchée. Dans cet arrêt, cette cour ne s’est penchée que sur l’interdiction de transporter des armes à feu dans une réserve pour gibier dont on a conclu qu’elle est une terre occupée de la Couronne. (à la p. 280)

Le juge McNiven a jugé que, dans la mesure où tout chasseur visiteur, détenteur d’un permis, avait accès à la réserve forestière, les Indiens jouissaient du même droit. Par conséquent, Strongquill pouvait légalement tuer l’orignal pour se nourrir, en vertu du droit spécial que lui réserve la clause 12, même si la chasse à l’orignal dans la province était généralement interdite.

L’arrêt de la majorité de la cour dans la présente espèce a été rendu par le juge O’Sullivan qui a dit:

[TRADUCTION] La chasse a eu lieu sur le bas-côté d’un chemin public qui est une terre occupée de la Couronne. Les juges d’instance inférieure ont jugé que tant les Indians que les autres ont un droit d’accès aux chemins publics et aux bas-côtés, mais que ce droit est limité et ne s’étend pas à la chasse.

Le cœur du jugement se trouve dans le passage suivant:

[Page 96]

[TRADUCTION] A mon avis, décider que les Indiens n’ont pas le droit de chasser sur le bas-côté des chemins publics sous-entendant que personne, Indien ou non, n’a pareil droit. Je crois qu’il est de notoriété publique que, pendant la saison de la chasse, les non-Indiens sont autorisés à chasser sur les bas-côtés des chemins publics lorsqu’il est possible de le faire sans danger pour le public. Ce que les non-Indiens peuvent faire pendant la saison de la chasse, les Indiens peuvent le faire hors saison. S’il en était autrement, leurs droits protégés par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, seraient illusoires. Je suis par conséquent d’avis que les juges d’instance inférieure ont commis une erreur de droit à l’égard de l’appel interjeté par Mousseau et que celui-ci devrait être accueilli sans réserve.

L’affaire a été jugée sur la base d’un exposé conjoint des faits, muet sur cette «notoriété publique» dont parle le juge O’Sullivan. L’accusé n’a pas témoigné. La position de la majorité en Cour du Manitoba diffère de celle de la minorité dans sa perception du droit d’accès aux chemins dont jouit le public non-Indien en général.

Sa Majesté appelante fait valoir que les non-Indiens n’ont aucun droit d’accès aux chemins pour y chasser. Ceci étant, les limites qui régissent le droit d’accès général du public s’appliquent aux Indiens. Les citoyens n’ont pas de droit d’accès aux chemins pour y chasser et la clause 13 ne l’accorde pas non plus aux Indiens. Lorsque l’accès au sens général existe à des fins autres que la chasse, il ne s’agit pas d’une terre à laquelle les Indiens ont accès au sens de la clause 13.

La position de l’intimé Mousseau s’énonce simplement. Il fait valoir principalement qu’au Manitoba, les Indiens ont un droit d’accès aux chemins publics et aux bas-côtés et, par conséquent, qu’ils peuvent légalement y chasser. Subsidiairement, il fait valoir que si les non‑Indiens ont effectivement un droit d’accès aux chemins publics et aux bas-côtés pour y chasser pendant la saison de la chasse, les Indiens ont parallèlement au Manitoba un droit d’accès aux chemins publics et aux bas-côtés afin d’y exercer les droits que leur confère la clause 13, que la chasse soit ouverte ou non. Cet argument subsidiaire se fonde sur le passage de l’opinion du juge O’Sullivan que j’ai cité.

[Page 97]

L’argument de l’intimé que puisqu’il existe un droit d’accès restreint, non relié à la chasse, cela donne naissance et sert de fondement à un droit d’accès illimité pour chasser en vertu de la clause 13, est indéfendable. On ne peut donner comme signification à la clause 13 que dès qu’un Indien peut pénétrer sur une terre pour une fin non reliée à la chasse, par exemple pour le travail ou les loisirs, il peut aussi y chasser. L’argument de l’intimé donnerait aux Indiens des droits de chasse en toute saison de l’année, et par tous les moyens, dans tous les lieux auxquels le public a accès, comme les routes, parcs, champs communaux, terrains de golf publics, terrains de jeu et de pique-nique. Il faut restreindre le sens du terme «accès» dans la réserve à ce qui fait l’objet de l’ensemble de la clause où elle se trouve, savoir, la chasse par les Indiens. A mon avis, les Indiens ont le droit de chasser, de prendre du gibier au piège et de pêcher du poisson pour se nourrir, en toute saison de l’année, sur: a) toutes les terres inoccupées de la Couronne; b) toutes les terres occupées de la Couronne auxquelles les Indiens, ou d’autres personnes, ont, en vertu de la loi, de la common law ou autrement, un droit d’accès pour chasser, piéger ou pêcher; c) toutes les terres privées occupées auxquelles les Indiens ont, de par la coutume, l’usage ou du consentement du propriétaire ou de l’occupant, un droit d’accès pour chasser, piéger ou pêcher. Voir R. v. Little Bear[5]. Lorsqu’il existe un droit d’accès pour chasser sur une terre, les Indiens profitent de ce droit général qui ne peut être restreint par des lois provinciales qui imposent des restrictions saisonnières, des limites de prise, des exigences de permis ou pareilles conditions: le critère important est que la chasse soit pour se nourrir.

Passons maintenant à l’argument subsidiaire de l’intimé, fondé sur la conclusion du juge O’Sullivan que [TRADUCTION] «pendant la saison de la chasse, les non-Indiens sont autorisés à chasser sur les bas-côtés des chemins publics lorsqu’il est possible de le faire sans danger pour le public». Sur ce point, l’appelante dit simplement que la Cour d’appel s’est trompée en concluant qu’il existe un droit d’accès général aux chemins pour y chasser. Rien

[Page 98]

au dossier ne permet à cette Cour de déterminer si au Manitoba, le public a effectivement un droit d’accès aux chemins pour y chasser pendant la saison de la chasse. Aucune preuve n’appuie cette prétention. The Wildlife Act et son Règlement d’application, nous dit-on, sont muets sur ce sujet. Tout ce que nous savons, c’est que le juge O’Sullivan en a pris connaissance d’office comme d’une chose de «notoriété publique». Le juge Monnin, par une sorte de connaissance d’office, vient à la conclusion opposée. Cela nous renvoie donc à la common law.

Dans l’affaire Harrison v. Duke of Rutland[6], le demandeur s’était rendu sur la route, non dans le but de l’utiliser comme route, mais uniquement dans celui de nuire à la jouissance par le défendeur de son droit de tirer sur une terre contiguë. On a décidé que comme le demandeur se trouvait sur la route à des fins autres que son utilisation comme route, il était un intrus. Le lord juge Lopes, à la p. 153 du recueil, a dit: [TRADUCTION] «Mais il me paraît clair que si, dans les faits, un individu se trouve sur une terre où le public a le droit de circuler, non pour y circuler mais à d’autres fins, il est, en droit, un intrus,…». Le maître des rôles, lord Esher, dans la même affaire a appliqué le critère du [TRADUCTION] «mode habituel et raisonnable» d’utilisation de la route (aux pp. 146 et 147). Voir aussi Hickman v. Maisey[7]. A mon avis, la chasse n’est pas une des fins pour lesquelles les chemins sont ouverts au public. Je suis d’accord avec le juge Monnin, lorsqu’il dit en l’espèce:

[TRADUCTION] Un chemin public au Manitoba est une terre occupée de la Couronne. Les citoyens, y compris les Indiens, ont un droit d’accès aux chemins publics et aux bas‑côtés, mais ce droit se limite à s’y engager et à en sortir, à y circuler et à s’y déplacer, mais il ne s’étend pas à la chasse. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une terre à laquelle les Indiens ont un droit d’accès pour y chasser.

Pour une autre raison, on est obligé de résister au point de vue qu’a retenu la majorité en Cour d’appel du Manitoba. Ce point de vue reconnaît aux non-Indiens le droit de chasser sur les bas-côtés des chemins publics [TRADUCTION] «lorsqu’il

[Page 99]

est possible de le faire sans danger pour le public». De ce droit, dit-on, il découle que les Indiens peuvent jouir d’un droit semblable, à vrai dire un droit plus étendu. L’application pratique d’un critère aussi mal défini présente des difficultés évidentes. Le droit de chasser varierait selon la région et le tronçon de chemin en cause, selon l’heure du jour, la circulation, la proximité d’habitations et de non-chasseurs, et de beaucoup d’autres facteurs. Le droit de chasser dépendrait de l’opinion que chacun peut avoir du danger inhérent à la chasse. Pareil critère est manifestement impraticable.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba et de rétablir les déclarations de culpabilité.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelante: Le sous-procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureurs de l’intimé: Pollock & Company, Winnipeg.

[1] [1979] 2 W.W.R. 545, 46 C.C.C. (2d) 566, sub. nom. R. v. McKinney et al.

[2] (1932), 58 C.C.C. 269 (C.A. Alta).

[3] [1935] 3 D.L.R. 703 (C.A. Sask.).

[4] (1953), 105 C.C.C. 262 (C.A. Sask.).

[5] (1958), 122 C.C.C. 173.

[6] [1893] 1 Q.B. 142.

[7] [1900] 1 Q.B. 752.


Synthèse
Référence neutre : [1980] 2 R.C.S. 89 ?
Date de la décision : 06/05/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Indiens - Chasse pour se nourrir - Terres inoccupées de la Couronne - Droit d’accès aux terres - Chemin public - The Wildlife Act, R.S.M. 1970, chap. W140, art. 19(1), 46(1) - The Manitoba Natural Resources Act, 1930 (Man.), 20 Geo. V, chap. 30, 1930 (Can.), Geo. V, chap. 29, 1930 (R.-U.), Geo. V, chap. 26, clause 13.

L’intimé, un Indien visé par un traité, circulait en voiture sur la route provinciale n° 265 au Manitoba, lorsqu’il a aperçu un chevreuil qui traversait la route. Il s’est arrêté et à l’aide d’une torche électrique, il a repéré le chevreuil et l’a abattu dans le fossé. Pendant l’année 1976, il n’y a pas eu de saison de chasse au chevreuil au Manitoba. L’intimé, qui à ce moment-là chassait pour se nourrir, est accusé d’avoir: i) chassé illégalement un animal sauvage hors saison, contrairement au par. 16(1) de The Wildlife Act, et, ii) d’avoir illégalement utilisé, la nuit, un appareil lumineux ou réfléchissant pour chasser, contrairement au par. 19(1) de la même loi. Il a été déclaré coupable en Cour des juges provinciaux de Neepawa et les déclarations de culpabilité ont été confirmées en appel à la Cour de comté de Minnedosa. En appel à la Cour d’appel du Manitoba, les déclarations de culpabilité ont été annulées; les juges Monnin et Guy étaient dissidents.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le paragraphe 46(1) de The Wildlife Act protège expressément les droits de chasse spéciaux des Indiens enchâssés dans la clause 13 de la Convention, approuvée par The Manitoba Natural Resources Act. Si en chassant comme il l’a fait, l’intimé relève de la clause 13 de la Convention, les interdictions énoncées dans The Wildlife Act ne lui sont pas applicables parce que les Indiens qui chassent «pour se nourrir» ne sont pas soumis aux lois provinciales lorsqu’ils chassent sur les terres inoccupées de la Couronne, ou toutes autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un «droit d’accès». L’intimé a soutenu que les Indiens qui se trouvent au Manitoba ont un droit d’accès aux chemins publics et, par conséquent, ils peuvent légalement y chasser.

[Page 90]

On ne peut donner comme signification à la clause 13 que dès qu’un Indien peut pénétrer sur une terre pour une fin non reliée à la chasse, il peut aussi y chasser; décider le contraire donnerait aux Indiens des droits de chasse en toute saison de l’année dans tous les lieux auxquels le public a accès. La véritable interprétation de la clause 13 est que les Indiens ont le droit de chasser pour se nourrir, en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne, sur toutes les terres occupées de la Couronne auxquelles les Indiens, ou d’autres personnes, ont en vertu de la loi, de la common law ou autrement, un droit d’accès pour chasser et sur toutes les terres privées occupées auxquelles ils ont, de par la coutume, l’usage ou du consentement du propriétaire ou de l’occupant, un droit d’accès pour chasser. La chasse n’est pas une des fins pour lesquelles des chemins sont ouverts au public et comme un chemin public est une terre occupée de la Couronne, l’intimé ne relève pas de la clause 13 et a, à bon droit, été déclaré coupable en première instance.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mousseau

Références :

Jurisprudence: R. v. Wesley (1932), 58 C.C.C. 269

R. v. Smith, [1935] 3 D.L.R. 703

R. ex rel. Clinton v. Strongquill (1953), 105 C.C.C. 262

R. v. Little Bear (1958), 122 C.C.C. 173

Harrison v. Duke of Rutland, [1893] 1 Q.B. 142

Hickman v. Maisey, [1900] 1 Q.B. 752.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mousseau, [1980] 2 R.C.S. 89 (6 mai 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-05-06;.1980..2.r.c.s..89 ?
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