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07/10/1980 | CANADA | N°[1980]_2_R.C.S._827

Canada | Blanco c. Commission des loyers, [1980] 2 R.C.S. 827 (7 octobre 1980)


Cour suprême du Canada

Blanco c. Commission des loyers, [1980] 2 R.C.S. 827

Date: 1980-10-07

Claribell Blanco (Intimée en Cour d’appel, requérante en Cour supérieure) Appelante;

et

Commission des loyers (Mise en cause en Cour d’appel et en Cour supérieure) Intimée;

et

Paxmill Corporation (Appelante en Cour d’appel et intimée en Cour supérieure Mise en cause.

1980: 7 mai; 1980: 7 octobre.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI cont

re un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1], qui avait infirmé le jugement de la Cour supérieure autorisant l’émission d’un bref d’...

Cour suprême du Canada

Blanco c. Commission des loyers, [1980] 2 R.C.S. 827

Date: 1980-10-07

Claribell Blanco (Intimée en Cour d’appel, requérante en Cour supérieure) Appelante;

et

Commission des loyers (Mise en cause en Cour d’appel et en Cour supérieure) Intimée;

et

Paxmill Corporation (Appelante en Cour d’appel et intimée en Cour supérieure Mise en cause.

1980: 7 mai; 1980: 7 octobre.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1], qui avait infirmé le jugement de la Cour supérieure autorisant l’émission d’un bref d’évocation. Pourvoi accueilli.

Zyskind Finkelstein et Dida Berku, pour l’appelante.

Robert Monette et Paule Lafontaine, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Il faut décider si la Commission des loyers a erré en droit et excédé sa juridiction en interprétant comme il est indiqué plus bas les al. a) et b) de l’art. 25 de la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, 1950-51 (Que.), chap. 20 et modifications (la «Loi de conciliation»):

[Page 829]

25. L’administrateur doit résilier le bail et permettre l’éviction du locataire si l’un des faits suivants lui est démontré:

a) que le locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer et que ledit loyer n’a pas été payé avant l’audition tenue devant l’administrateur;

b) que le locataire, un membre de sa famille ou quelque autre personne sous son contrôle ou habitant avec lui se comporte sur les lieux loués de façon à constituer au jugement de l’administrateur, une source sérieuse de tracasseries pour le propriétaire ou pour les voisins;

Les faits ne sont pas contestés. On en trouve l’exposé au mémoire de l’appelante qui sur ce point est admis par l’intimée.

[TRADUCTION] L’appelante était, à l’époque en cause, une mère célibataire qui vivait d’allocations de bien-être et qui occupait, à titre de locataire, un appartement sis au numéro 3718, avenue du Parc, ville et district de Montréal (Québec), en vertu d’un bail écrit entré en vigueur le 1er juin 1974 et expiré le 30 juin 1976, lequel bail a été renouvelé par l’administrateur des loyers jusqu’au 30 juin 1977 pour un loyer mensuel de $205.

Le locateur mis-en-cause étant, à l’époque en cause, propriétaire desdits lieux loués. Il s’est adressé à l’administrateur de la Commission des loyers pour demander la résiliation du bail et l’éviction de l’appelante, se fondant sur les alinéas 25a) et b) de la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, S.Q. 1950-51 chap. 20 et modifications, ci-après la Loi de conciliation.

Il a été établi à l’audience que l’appelante avait payé tout le loyer dû, avant l’audience tenue devant l’administrateur. Par conséquent, le motif d’éviction prévu à l’alinéa 25a) n’était plus applicable et a été abandonné par le locateur.

L’administrateur a alors permis qu’on lui présente une preuve concernant la manière dont l’appelante payait son loyer. La seule preuve consistait en douze (12) chèque sans provision que la locataire avait remis au locateur sur une période de 24 mois.

L’administrateur a exprimé l’avis que les retards fréquents de la locataire à payer son loyer constituaient une source importante de tracasseries pour le bailleur au sens de l’alinéa 25b) de la Loi de conciliation. Il a donc révoqué la prolongation du bail et a permis au locateur d’évincer la locataire…

[Page 830]

L’appelante a porté cette décision devant la Commission des loyers qui, par jugement en date du 13 avril 1977, a rejeté son appel et maintenu la décision de l’administrateur pour le motif que, «de l’avis de la Commission», les retards systématiques de la locataire à payer son loyer constituaient un motif suffisant d’éviction… La Cour provinciale a homologué le jugement de la Commission des loyers et la requérante a immédiatement présenté une requête à la Cour supérieure en vertu de l’article 846 du Code de procédure civile, demandant la délivrance d’un bref d’évocation contre la décision de la Commission des loyers pour excès de juridiction. Le juge J.P. Bergeron de la Cour supérieure a autorisé la délivrance du bref introductif d’instance le 17 mai 1977…

La Cour d’appel (les juges Kaufman, Bélanger et Dubé), par jugement en date du 10 janvier 1978, …a infirmé le jugement de la Cour supérieure.

D’où le pourvoi devant cette Cour sur autorisation accordée le 1er mai 1978.

Le jugement de la Cour supérieure, rendu séance tenante, n’est pas motivé.

L’arrêt de la Cour d’appel, rendu par le juge Bélanger, avec l’accord des juges Kaufman et Dubé, est à l’effet que la révision demandée par l’appelante constitue un appel déguisé et que, même si l’administrateur et la Commission des loyers ont interprété la Loi de conciliation de façon erronée, ce qu’il n’y a pas lieu de décider, ils n’ont pas excédé leur juridiction. Dans des motifs additionnels, le juge Kaufman met sérieusement en doute la proposition selon laquelle la conduite de l’appelante revient à un comportement «sur les lieux loués» mais il conclut que cette erreur, si c’en est une, ne fait pas perdre juridiction à l’administrateur et à la Commission.

Les principes qui régissent la question ne sont pas eux non plus contestés. Ils sont bien établis. C’est leur application à des espèces particulières qui donne parfois lieu à des difficultés.

L’article 17 de la Loi de conciliation contient une clause privative qui soustrait l’administrateur et la Commission des loyers au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure. Ils peuvent donc errer dans l’exercice de leur juridiction mais ils ne peuvent, par une interprétation erronée de la loi,

[Page 831]

s’approprier une compétence qu’ils n’ont pas ou décliner celle qu’ils possèdent.

Ces principes ont été nombre de fois sanctionnés par la jurisprudence. Ce sont eux que suit cette Cour, par exemple dans Jarvis c. Associated Medical Services Inc.[2] et dans Commission des Relations de Travail du Québec c. L’Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et tuyauterie des États-Unis et du Canada[3]. Ce sont eux également que la Cour d’appel observe dans Commission de contrôle des permis d’alcool du Québec c. Distribution Kinéma Ltée[4].

A mon avis, et je l’exprime avec égard pour l’opinion contraire, l’administrateur et la Commission des loyers ont erré dans leur interprétation de l’art. 25 de la Loi de conciliation et, par suite de leur erreur, se sont attribués une juridiction que la loi leur refuse.

L’alinéa a) de l’art. 25 est la seule disposition de la Loi de conciliation relative au paiement du loyer.

Lorsque la condition prescrite par cette disposition est réalisée, c’est-à-dire, lorsque le locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer, le commissaire a le devoir de résilier le bail. Il ne jouit d’aucune discrétion. Il n’a aucune discrétion non plus si le loyer est payé avant l’audition. Il perd alors son pouvoir de résilier le bail. D’ailleurs la disposition correspond sur ce point au droit commun, exprimé à l’art. 1633 du Code civil:

Dans une action en résiliation pour défaut de paiement du loyer, le locataire peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, le loyer dû, les intérêts et les frais.

Par l’alinéa a) de l’art. 25 de la Loi de conciliation, le législateur a, je pense, voulu épuiser la question du paiement du loyer et du retard à le payer. C’est nécessairement autre chose qu’il vise à l’al. b) où il confère à l’administrateur, à certaines conditions, un pouvoir d’appréciation, soit la faculté de juger si le comportement du locataire

[Page 832]

sur les lieux loués constitue une source sérieuse de tracasseries pour le propriétaire. Le retard à payer le loyer ne peut légalement équivaloir à un tel comportement. Autrement, le locataire serait privé du moyen péremptoire que lui fournit l’al. a), celui de payer avant la tenue de l’audition, et l’administrateur acquerrait une espèce de discrétion dans un domaine où le législateur n’a voulu lui en laisser aucune.

La seule preuve qui se trouve au dossier n’est relative qu’au retard du locataire à payer son loyer. C’est une erreur selon moi de qualifier ce retard de comportement sur les lieux loués pouvant constituer une source sérieuse de tracasseries pour le propriétaire.

Par le biais de cette qualification erronée, l’administrateur et la Commission des loyers après lui se donnent une juridiction qu’ils ne possèdent pas: non seulement, comme je viens de l’indiquer, ils étendent leur discrétion à un domaine qui n’en comporte aucune, mais ils s’attribuent le pouvoir de résilier un bail pour un motif d’éviction qui ne se trouve pas dans la loi et qu’ils créent de toutes pièces: celui des retards répétés, fréquents ou systématiques dans le paiement du loyer.

Ce motif suffit à justifier la délivrance du bref d’évocation.

Mais même si des retards répétés dans le paiement du loyer étaient capables d’équivaloir à un comportement sur les lieux loués susceptible de constituer une source sérieuse de tracasseries pour le propriétaire, au sens de l’al, b) de l’art. 25, encore faudrait-il prouver que ce comportement a eu lieu sur les lieux loués.

Or il n’y a aucune preuve à cet effet.

En Cour d’appel, Paxmill Corporation, propriétaire des lieux loués, était l’une des appelantes. L’appelante a demandé à la Cour d’appel la permission d’amender ses procédures pour substituer la Commission des loyers à Paxmill Corporation, comme intimée-appelante, Paxmill Corporation devenant la mise en cause. Elle a également demandé à la Cour d’appel l’autorisation de faire certains autres amendements qui me paraissent d’ordre assez mineur.

[Page 833]

La Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur cette demande d’amendement, estimant que, de toutes façons, le résultat n’en aurait pas été changé.

L’appelante a réitéré sa demande devant cette Cour.

La Commission des loyers n’a soumis aucune argumentation sur la question parce que la Cour d’appel ne s’est pas prononcée.

Quoique l’inscription en appel à cette Cour lui ait été signifiée, Paxmill Corporation n’était pas représentée devant nous et on nous a informés qu’elle se désintéressait de cette affaire.

Je ne vois pas de motifs de refuser à l’appelante la permission qu’elle demande.

J’accorderais à l’appelante la permission d’amender qu’elle demande. J’accueillerais le pourvoi, j’infirmerais l’arrêt de la Cour d’appel et je rétablirais le jugement de la Cour supérieure, avec dépens dans toutes les cours. Cependant, Paxmill Corporation ne paiera aucun dépens en cette Cour.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Finkeslstein, Fournelle, Berku & Paquin, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Bilodeau, Flynn & Roy, Montréal.

[1] [1978] C.A. 204.

[2] [1964] R.C.S. 497.

[3] [1969] R.C.S. 466.

[4] [1977] C.A. 308.


Synthèse
Référence neutre : [1980] 2 R.C.S. 827 ?
Date de la décision : 07/10/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit administratif - Commission des loyers - Eviction pour retard systématique dans le paiement du loyer - Excès de juridiction - Bref d’évocation - Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, 1 (Qué.), chap. 20 et modifications, art. 17, 25a) et b) - Code de procédure civile, art. 846.

La mise en cause, Paxmill Corporation, s’est adressée à l’administrateur des loyers pour obtenir l’éviction de son locataire, l’appelante Blanco. Sa demande était fondée sur les al. a) et b) de l’art. 25 de la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires («Loi de conciliation»). L’appelante ayant payé tous ses loyers dûs avant l’audition de la requête devant l’administrateur, le motif fondé sur l’al. a), soit le non-paiement du loyer, fut abandonné. Toutefois, l’administrateur considéra le retard systématique dans le paiement du loyer (douze chèques sans provision au cours d’une période de vingt quatre mois) comme «un comportement sur les lieux loués» qui justifiait, par l’application de l’al. b), l’éviction de la locataire. La décision de la Commission des loyers, maintenant celle de l’administrateur, fut homologuée par la Cour provinciale. L’appelante obtint alors une autorisation de la Cour supérieure pour l’émission d’un bref d’évocation à l’encontre de cette décision. La Cour d’appel infirma ce jugement, considérant qu’il n’y avait pas eu excès de juridiction de la part de la Commission. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les principes qui régissent le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure face à une clause privative, comme celle de l’art. 17 de la Loi de conciliation, sont bien établis et ils ont été sanctionnés par la jurispru-

[Page 828]

dence. Si l’administrateur et la Commission des loyers peuvent errer dans l’exercice de leur juridiction, ils ne peuvent, par une interprétation erronée de la loi, s’approprier une compétence qu’ils n’ont pas ou décliner celle qu’ils possèdent. Or, en l’espèce, en interprétant erronément l’art. 25, ils se sont attribués une juridiction que la loi leur refuse. L’alinéa b) de l’art. 25 est la seule disposition de la Loi de conciliation relative au paiement du loyer. Si le locataire a payé son loyer avant l’audition, l’administrateur ne jouit d’aucune discrétion: il ne peut résilier le bail. C’est nécessairement autre chose que le législateur vise à l’al. b) où il confère à l’administrateur un pouvoir d’appréciation, soit la faculté de juger si le comportement du locataire sur les lieux loués constitue une source sérieuse de tracasserie pour le propriétaire. Le retard à payer le loyer ne peut légalement équivaloir à un tel comportement. Par le biais de cette interprétation erronée, l’administrateur et la Commission des loyers se sont attribués le pouvoir de résilier le bail pour un motif d’éviction qui ne se trouve pas dans la Loi et qu’ils créent de toutes pièces: celui des retards répétés, fréquents ou systématiques dans le paiement du loyer.


Parties
Demandeurs : Blanco
Défendeurs : Commission des loyers

Références :

Jurisprudence: Jarvis c. Associated Medical Services Inc., [1964] R.C.S. 497

Commission des Relations de Travail du Québec c. l’Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et tuyauterie des États-Unis et du Canada, [1969] R.C.S. 466

Commission de contrôle des permis d’alcool du Québec c. Distribution Kinéma Ltée, [1977] C.A. 308.

Proposition de citation de la décision: Blanco c. Commission des loyers, [1980] 2 R.C.S. 827 (7 octobre 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-10-07;.1980..2.r.c.s..827 ?
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