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27/01/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._78

Canada | MacLeod Savings & Credit Union Ltd. c. Perrett, [1981] 1 R.C.S. 78 (27 janvier 1981)


Cour suprême du Canada

MacLeod Savings & Credit Union Ltd. c. Perrett, [1981] 1 R.C.S. 78

Date: 1981-01-27

MacLeod Savings & Credit Union Ltd. Appelante;

et

Bob Perrett Intimé.

1980: 25 juin; 1981: 27 janvier.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta[1], qui a rejeté un appel d’un jugement du juge Yanosik. Pourvoi rejeté.

H. Lorne Morphy, c.r., et Mary Eberts, pour l’

appelante.

Howard P.J. Heil, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE BEETZ — Les faits ne son...

Cour suprême du Canada

MacLeod Savings & Credit Union Ltd. c. Perrett, [1981] 1 R.C.S. 78

Date: 1981-01-27

MacLeod Savings & Credit Union Ltd. Appelante;

et

Bob Perrett Intimé.

1980: 25 juin; 1981: 27 janvier.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta[1], qui a rejeté un appel d’un jugement du juge Yanosik. Pourvoi rejeté.

H. Lorne Morphy, c.r., et Mary Eberts, pour l’appelante.

Howard P.J. Heil, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE BEETZ — Les faits ne sont pas contestés et la question en litige est restreinte.

Le juge Clement, qui a rendu au nom de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta

[Page 80]

l’arrêt maintenant attaqué, expose les faits comme suit:

[TRADUCTION] L’intimé Bob Perrett a signé, avec une autre personne, un effet de commerce portant la date du 7 juin 1974, aux termes duquel ils ont promis de payer à Macleod Savings & Credit Union Ltd. (la coopérative de crédit) la somme de $16,589.75 avec intérêts au taux de 12 pour cent l’an, par versements mensuels de $575, commençant le 15 juin 1974 et se terminant le 15 mars 1976, le dernier paiement devant cependant être «égal, en tout cas, au solde du prêt impayé en capital et intérêt». Perrett a fait deux paiements. Par la suite, il a manqué à ses engagements et le solde entier est devenu payable.

La promesse de payer se lit comme suit:

«Pour valeur reçue, je promets payer à l’ordre de la coopérative de crédit le montant en principal indiqué ci-dessus avec intérêt sur le principal impayé à compter de la date du prêt, tant avant qu’après échéance, au taux indiqué ci‑dessus jusqu’à complet paiement en capital et intérêt;…»

La coopérative de crédit a intenté une action fondée sur l’effet de commerce, plaidant qu’il s’agit d’un billet à ordre qu’elle détient à titre de bénéficiaire et soutenant que Perrett doit en répondre à titre de souscripteur de complaisance. Perrett soutient que la promesse faite dans l’effet de commerce n’est pas une promesse de payer une somme précise au sens de la définition d’un billet à ordre au par. 176(1) de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5:

«Un billet à ordre est une promesse pure et simple, faite par écrit par une personne à une autre, signée par le souscripteur, par laquelle celui-ci s’engage à payer, sur demande, ou dans un délai déterminé ou susceptible de l’être, une somme d’argent précise à une personne désignée ou à son ordre, ou au porteur.»

La seule question en litige est de savoir si les mots «avec intérêt sur le principal non payé à compter de la date du prêt» rendent la somme garantie imprécise de façon à empêcher l’effet de commerce d’être un billet à ordre au sens de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5, (la Loi).

Si le pourvoi de la coopérative de crédit est rejeté, elle ne peut tenir Perrett pour garant puisque les dispositions de The Guarantees Acknowledgment Act, R.S.A. 1970, chap. 163 n’ont pas été observées.

[Page 81]

Les deux cours d’instance inférieure ont conclu que l’effet de commerce en question n’est pas un billet à ordre.

en première instance, le juge Yanosik écrit:

[TRADUCTION] Comme la date du prêt ne figure pas sur le document, il est impossible de calculer le montant exact d’intérêt promis et, pour ce motif, on ne peut dire que la promesse de payer est une promesse de payer «une somme d’argent précise». Par conséquent, le document n’est pas un billet à ordre au sens de la définition de la Loi sur les lettres de change.

En Cour d’appel, le juge Clement écrit:

[TRADUCTION] Le but visé par la Loi et les termes qu’elle emploie indiquent clairement que la précision dans l’établissement du montant de l’intérêt payable est aussi nécessaire à la validité d’un billet à ordre que le sont la précision du montant principal dû et la date d’échéance du paiement …. L’effet de commerce révèle à sa lecture même une imprécision intrinsèque pour laquelle la Loi ne prévoit aucun remède.

L’avocat de la coopérative de crédit a fait valoir deux arguments.

L’argument que l’on trouve en premier dans son mémoire, mais qu’il a soulevé en dernier dans sa plaidoirie porte qu’«une somme précise», au sens de la Loi, ne se rapporte qu’au principal, non à l’intérêt.

Le second argument porte que l’effet de commerce dont il s’agit est un billet à ordre, même s’il faut présenter une preuve extrinsèque pour établir la date du prêt.

En présentant le premier argument, l’avocat de la coopérative de crédit invoque l’art. 28 de la Loi qui, par le jeu de l’art. 186, s’applique aux billets à ordre:

28. (1) La somme à payer au moyen d’une lettre de change est une somme précise au sens de la présente loi, même si elle prescrit que le paiement en doit être fait

a) avec intérêts;

b) par versements indiqués;

c) par versements indiqués, avec stipulation qu’à défaut du paiement de quelque versement la somme totale devient exigible; ou

[Page 82]

d) suivant un taux de change indiqué, ou d’après un taux de change à constater selon que le prescrit la lettre de change.

(2) Lorsque la somme à payer est exprimée en lettres, et aussi en chiffres, et qu’il y a une différence entre les deux, la somme à payer est celle qui est écrite en lettres.

(3) Si une lettre de change exprime qu’elle est payable avec intérêts, à moins que l’effet ne prescrive le contraire, les intérêts courent depuis la date de la lettre, et, si elle ne porte pas de date, à compter de son émission.

Il soutient qu’en interprétant correctement les termes de l’al. 28(1)a) selon leur sens ordinaire, les mots «somme précise» signifient le principal à payer aux termes du billet à ordre à l’exclusion de l’intérêt sur le principal, c.-à-d. «une somme à payer est une somme précise même si le paiement doit en être fait avec intérêts».

Il souligne que l’al. 28(1)a) n’exige pas qu’un billet à ordre précise le taux d’intérêt, contrairement à l’al. 28(1)d) qui exige l’indication du taux de change, s’il y a lieu.

Non seulement le premier argument ne s’appuie sur aucune jurisprudence, mais la Cour des sessions, devant laquelle il avait été expressément plaidé, l’a rejeté dans l’affaire Lamberton v. Aiken[2]. Elle a conclu qu’une promesse écrite de payer deux cent cinquante livres sterling [TRADUCTION] «avec l’intérêt couru» n’était pas un billet à ordre parce qu’elle ne précisait ni le taux d’intérêt ni la date de paiement et que la somme à payer était par conséquent imprécise. L’article 28 de la Loi est l’équivalent de l’art. 9 du Bills of Exchange Act, 1882, 45‑46 Vict., chap. 61 (R.-U.), alors en vigueur. Lord Adam écrit à la p. 139:

[TRADUCTION] Me Guy dit que la Loi de 1882 a été modifiée par rapport à la loi précédente, et qu’il suffit que le principal dû soit précisé, peu importe que le montant de l’intérêt soit indiqué. Il appuie cette prétention sur l’art. 9 de la Loi, mais selon mon interprétation, cet article signifie simplement qu’une somme «précise» peut être composée en partie du principal et en partie de l’intérêt.

Lord Adam avait déjà dit dans ses motifs, à la p. 139:

[Page 83]

[TRADUCTION] Le lord titulaire n’a pas exposé son opinion par écrit, mais on indique qu’à son avis, il était impossible de constater à la lecture de l’écrit une somme précise à payer. Je souscris à cette opinion. Qu’un document soit une lettre de change ou un billet à ordre, la loi prévoit qu’il doit indiquer une somme précise, et que cette somme doit être apparente à la lecture du document. Mais Me Smith a soutenu qu’on ne pouvait établir la somme à payer à la lecture du document parce qu’il ne précisait pas le taux d’intérêt imposé, si, par exemple, il devait s’agir de l’intérêt bancaire ou de ce qu’on appelle l’intérêt légal, et il n’indiquait pas quand on en demanderait paiement ou quel serait alors le montant dû. Il est bien vrai que la lettre de change ne révèle pas à sa lecture quel taux d’intérêt doit être payé, s’il s’agit du taux légal ou bancaire.

A la p. 139, lord M’Laren a souscrit à cette opinion:

[TRADUCTION] Je suis du même avis. La principale disposition de la Bills of Exchange Act relative à la somme à payer en vertu d’un billet à ordre exige que ce soit «une somme d’argent précise», et on nous renvoie aux articles traitant des lettres de change, d’où il ressort qu’une lettre de change ne perd pas cette qualité du seul fait qu’elle comporte une stipulation visant le paiement d’un intérêt. Ces dispositions prises ensemble montrent clairement que l’intérêt doit être fixé de façon générale dans le document même ou qu’il doit être possible de le calculer à partir des indications portées au document. Ce sera le cas lorsque le document en question précise le taux d’intérêt et la date du paiement, puisqu’il suffira alors de multiplier le taux d’intérêt par le nombre de jours pour établir le montant de l’intérêt dû. Dans le cas d’un effet de commerce payable à demande et portant un taux d’intérêt précis, la question est plus difficile parce que la date du paiement n’est pas précisée et que pour préciser le montant, il faudra suppléer au document et établir la date.

A la p. 140, lord Kinnear souscrit aussi à cette opinion:

[TRADUCTION] On ne conteste pas que, suivant la jurisprudence, une obligation rédigée selon les mêmes termes de ceux du document qui nous est soumis ne serait pas un billet à ordre ni une lettre de change, mais on dit que la Bills of Exchange Act de 1882 modifie tout cela et en fait une lettre de change valide pour une somme précise. Ce n’est pas ainsi que j’interprète la Loi. Tout ce qu’elle dit, c’est qu’une lettre de change est un ordre sans condition pour une somme d’argent précise, et que si elle comporte un intérêt, ce seul fait ne l’empêche pas d’être

[Page 84]

une lettre de change pour une somme précise. Mais avant l’adoption de la Loi, il était bien possible qu’une lettre de change indiquât qu’elle était payable avec intérêt, et pourtant que le montant total dû pût être établi clairement à la lecture de la lettre; la Loi, ce me semble, ne dit rien de plus que si une lettre de change indique qu’elle est payable avec intérêt, cela seul ne l’empêche pas d’être une lettre de change pour une somme précise au sens de la Loi si, de fait, elle est faite pour une somme précise.

J’estime que ces motifs sont convaincants.

L’avocat de la coopérative de crédit à plaidé que cette façon d’interpréter la Loi du Royaume‑Uni était erronée compte tenu de l’arrêt The Governor and Company of the Bank of England v. Vagliano Brothers[3] où l’on a dit qu’un code, telle la Loi du Royaume-Uni, devrait être interprété suivant les règles habituelles d’interprétation, sans recours aux décisions antérieures.

Je ne suis pas d’accord.

D’abord, je ne vois pas comment les motifs précités vont à l’encontre du mode d’interprétation adopté dans l’affaire Vagliano. Les juges font référence à l’état antérieur du droit parce que la plaidoirie de l’avocat les y invite, mais ils ne s’appuient pas sur les décisions antérieures pour résoudre le problème d’interprétation qui leur est soumis; si je comprends bien, ils résolvent ce problème en restant dans le cadre de la Loi du Royaume-Uni.

En outre, si péremptoires que soient les motifs exposés dans l’arrêt Vagliano, ils ne peuvent prévaloir sur l’art. 10 de la Loi:

10. Les règles de la common law d’Angleterre, y compris le droit commercial, sauf dans la mesure où elles sont opposées aux dispositions formelles de la présente loi, s’appliquent aux lettres de change, aux billets à ordre et aux chèques.

J’estime que les règles de la common law d’Angleterre, y compris le droit commercial, s’appliquent à la question de l’intérêt puisque ni l’art. 28 ni aucune autre disposition de la Loi n’y sont opposés de façon formelle. Et comme il a été admis dans l’affaire Lamberton et illustré par la jurisprudence y citée, il est clair qu’en common law, la

[Page 85]

précision exigée s’applique autant à l’intérêt qu’au principal.

L’article 28 donne des exemples de somme d’argent précise pour éliminer des doutes, mais s’il en subsiste, il serait opportun de se reporter à l’état du droit antérieur; comme le dit lord Herschell dans l’arrêt Vagliano, à la p. 145:

[TRADUCTION] Bien sûr, je suis loin d’affirmer qu’il ne faut jamais recourir à l’état du droit antérieur pour faciliter l’interprétation des dispositions du code. Si, par exemple, on doute de la signification d’une disposition, il serait tout à fait légitime de le faire.

L’ouvrage qui fait autorité de Maurice Megrah et Frank R. Ryder, Byles on Bills of Exchange, 24e éd., 1979, à la p. 18, note 70, cite l’affaire Lamberton pour appuyer une proposition qui paraphrase les motifs de lord Adam:

[TRADUCTION] 70 L’article 9 signifie simplement qu’une somme «précise» peut être composée en partie de principal et en partie d’intérêt. Lamberton v. Aiken (1899) 37 S.L.R. 138 …. Une somme précise doit figurer sur l’effet de commerce.

Le premier argument contredit aussi d’autres ouvrages majeurs selon lesquels, par exemple, une lettre de change ou un billet payable «avec intérêt bancaire» n’est pas fait pour une somme précise et par conséquent n’est pas négociable: Russell on Bills, 2e éd., 1921 (aux pp. 116 et 117); Falconbridge on Banking and Bills of Exchange, 7e éd., 1969, à la p. 501; L.J. de la Durantaye, Traité des effets négociables, 1964, à la p. 120.

Ma conclusion que le premier argument doit être rejeté se trouve renforcée par la règle voulant que l’intérêt à payer sur une lettre de change ou un billet [TRADUCTION] «est une partie de la dette et non simplement une indemnité pour la rétention de l’argent». Falconbridge, op. cit. à la p. 500. L’article 134 de la Loi établit clairement la distinction.

A l’appui du second argument, l’avocat de la coopérative de crédit invoque le par. 28(3) de la Loi.

Il plaide que la preuve extrinsèque serait nécessaire et admissible suivant cette disposition pour établir la date de l’émission d’un billet à ordre qui

[Page 86]

ne porte pas de date et que, lorsque, comme c’est le cas ici, l’effet de commerce «prescri[t] le contraire», en ce qu’il prescrit l’intérêt à compter de la date du prêt, la preuve extrinsèque est aussi nécessaire et admissible pour en établir la date.

Il a invoqué d’autres articles de la Loi qui envisagent des situations où le montant d’intérêt à payer sur un billet à ordre ne peut être fixé à la lecture même du billet, mais seulement par rapport à un événement extrinsèque, par exemple l’art. 23 concernant les effets payables à demande et l’al. 24b) qui dispose qu’un effet est payable à une époque future susceptible d’être déterminée au sens de la Loi, s’il exprime qu’il est payable

24. …

b) lors de la réalisation ou à une époque fixe après la réalisation d’un événement spécifié, qui doit certainement se produire, bien que l’époque de sa réalisation soit incertaine.

Je suis d’avis de rejeter aussi le second argument.

La Loi vise à assurer la circulation d’effets négociables. Par conséquent, la règle générale est celle de la précision de l’effet même, à moins qu’il ne soit impossible d’appliquer une disposition donnée de la Loi sans recourir à une preuve extrinsèque. Le paragraphe 28(3) est une de ces dispositions dans sa dernière partie seulement qui porte sur la date d’émission d’une lettre de change non datée, et cette partie ne s’applique pas dans le cas présent.

Je souscris à cet égard aux motifs suivants du juge Clement dans l’arrêt attaqué:

[TRADUCTION] De même, on fait valoir que la Loi comporte plusieurs articles qui envisagent le recours à des éléments de preuve extrinsèque en vue d’apporter une précision qui n’est pas par ailleurs apparente à la lecture de l’effet ou que son texte ne permet pas de calculer. C’est un fait. Alors, on plaide que le par. 28(3) en fait partie. A mon avis, la règle d’interprétation des lois appropriée contredit cet argument.

Enoncée en termes généraux, la règle d’interprétation qu’il convient d’appliquer ici est la suivante: s’il est nécessaire, pour l’application efficace d’un article de la Loi, de présenter des éléments de preuve extrinsèque qui

[Page 87]

relèvent de l’application de cet article, alors, il est nettement implicite que cette preuve est admissible.

Mais la règle d’interprétation que j’ai énoncée ne vient pas en aide à la coopérative de crédit. Il ne s’agit pas de l’omission évidente d’une date nécessaire à la mise en œuvre des dispositions de la loi qui appuient la validité d’une lettre de change. Suivant ses termes, l’effet prévoit une date depuis laquelle court l’intérêt, mais c’est une date incertaine en soi, à moins qu’on en fasse la preuve. L’application du par. 28(3) ne touche en rien cette disposition, et aucun autre article n’exige une preuve qui en permette l’application efficace. L’effet présente à sa lecture même une imprécision inhérente pour laquelle la loi ne prévoit pas de remède.

Je tiens à ajouter que si la précision à la lecture de l’effet est la règle, la précision n’est pas requise en termes absolus. Ce peut être une question de bon sens dans certains cas de savoir si une référence expresse ou implicite à des circonstances extrinsèques crée un tel degré d’imprécision qu’elle porte indûment atteinte à la circulation de l’effet et en modifie la nature.

Ainsi, on pourrait plaider que la sorte d’effet qu’envisage l’al. 24b) de la Loi ne doit pas être considéré comme un effet négociable, mais le législateur, dans sa sagesse, en a décidé autrement et, est-il besoin de le dire, son jugement fait loi.

D’autre part, un billet à ordre payable à demande est négociable en soi, même si la date d’échéance n’est pas apparente à la lecture et que le montant d’intérêt payable en fin de compte est inconnu au moment où le billet est établi. Mais le paiement peut être exigé en tout temps, ce qui est à l’avantage du preneur, et le montant exact d’intérêt dû peut aussi être calculé en tout temps, ce qui permet une précision suffisante pour assurer la circulation. On pourrait aussi dire que cette souplesse même tend à faciliter la circulation du billet.

L’avocat de la coopérative de crédit a signalé l’arrêt John Burrows Ltd. et autres c. Subsurface Surveys Ltd.[4] qu’a suivi en Irlande l’arrêt Creative Press Limited v. Harman[5]. Il s’agissait d’une pro-

[Page 88]

messe permettant au souscripteur d’effectuer à son gré, avant l’échéance, des paiements à valoir sur le principal. L’avocat a soutenu qu’en pareil cas, l’intérêt ne pouvait pas être calculé sans renseignements extrinsèques concernant les paiements anticipés possibles. Néanmoins, on a conclu que l’effet était un billet à ordre.

Cet arrêt n’est en rien utile à la coopérative de crédit. Il a été prononcé à partir du principe que l’effet en question était un billet à ordre puisqu’il ne créait rien d’éventuel et qu’il se conformait à la définition du par. 176(1) de la Loi. Le juge Ritchie, qui a rendu l’arrêt unanime de la Cour, écrit à la p. 614:

[TRADUCTION] L’effect dont il s’agit ici est une promesse pure et simple, faite par écrit par l’intimée, de payer à l’appelant ou à son ordre la somme de $42,000 à une époque future fixe et susceptible d’être déterminée, soit neuf ans et dix mois après le 1er avril 1963. C’est une promesse du genre de celles prévues au par. 176(1) et le fait que le souscripteur a obtenu le privilège d’effectuer dés paiements sur le principal, à l’occasion, n’a pas modifié la nature de sa promesse pure et simple de payer à l’époque prévue à l’effet, mais lui a simplement donné la faculté de faire des paiements anticipés.

Je suis par conséquent d’avis que l’effet dont il s’agit est un billet à ordre, …

La présente affaire porte sur la précision du montant, non sur le caractère éventuel de la promesse.

Dans l’arrêt John Burrows, cette Cour n’a pas examiné la question de la précision du montant à payer en principal ou en intérêt, simplement parce qu’on a estimé que la question ne se posait pas.

Si le souscripteur d’un billet tel celui examiné dans cette affaire-là paie une partie du principal avant l’échéance, il s’acquitte pour autant de son obligation et il serait sage d’obtenir une quittance partielle par mention écrite sur l’effet. Autrement, il risquerait de payer deux fois si le billet était remis à un détenteur régulier qui n’aurait aucun motif de croire que le souscripteur s’est prévalu du privilège de paiement anticipé.

Quant à l’époque du paiement, un tel billet est encore plus précis qu’un billet à demande puisqu’il

[Page 89]

indique une date précise d’échéance. Il n’y a pas d’incertitude quant au montant du principal à payer: à l’égard du détenteur régulier, le montant à payer est le montant total moins le montant des paiements anticipés reconnus par mention écrite sur l’effet. Comme dans le cas d’un billet à demande, le montant d’intérêt peut être calculé en tout temps à partir du montant total du principal ou de ce qui en reste tel qu’indiqué sur l’effet. Il est vrai qu’un nouveau paiement anticipé à valoir sur le principal peut être imminent, ce qui crée un degré d’incertitude quant au montant exact d’intérêt qui sera payable en fin de compte. Mais une telle incertitude s’apparente à l’incertitude du montant d’intérêt payable en fin de compte dans le cas d’un billet à demande, bien qu’elle dépende du choix du souscripteur, non du détenteur.

Le billet examiné dans l’affaire John Burrows était donc suffisamment précis en lui-même quant à ses éléments essentiels pour satisfaire aux exigences de négociabilité.

Nous serions loin de ce degré de précision si l’un ou l’autre des deux arguments de l’avocat de la coopérative de crédit était accueilli.

Suivant ces deux arguments, une promesse de payer $1,000 dans dix ans au taux d’intérêt établi par le souscripteur et le bénéficiaire dans une convention distincte serait un billet à ordre valide. Pourtant aucun tiers ne peut savoir, à la lecture de l’effet, si le taux d’intérêt à payer est, disons, une fois et demie le principal si le taux d’intérêt convenu est de quinze pour cent l’an, ou simplement $100 si le taux d’intérêt est de un pour cent l’an. Qui voudrait miser sur un pareil effet? Quel tiers, dans le cours des affaires, le prendrait contre valeur, l’endosserait, ou, s’il s’agit d’une lettre de change, l’accepterait? Comment un tel effet peut-il circuler et passer pour un effet négociable?

L’effet en cause est à peine meilleur du point de vue de la négociabilité. Rien, à sa lecture, n’indique si la «date du prêt» ne précède pas la date du document de plusieurs années, auquel cas, au taux

[Page 90]

annuel de douze pour cent, le montant d’intérêt à payer serait du même ordre que le principal. Par ailleurs, en prenant encore l’effet suivant la valeur qu’il porte, il n’est pas inconcevable que la «date du prêt» soit postérieure à celle de l’effet; alors, le montant de l’intérêt à payer pourrait n’être qu’une fraction négligeable du principal.

Le motif principal pour lequel je ne puis accepter ces arguments est qu’ils anéantissent tous deux la négociabilité et les tribunaux doivent rejeter toute interprétation mécanique de la Loi qui va ainsi à l’encontre de son but et de son économie.

L’effet dont il s’agit en l’espèce ressemble à celui que la Haute Cour d’Australie, dans l’arrêt Rosenhain and Co. v. Commonwealth Bank of Australia[6] a jugé ne pas être une lettre de change. Dans cette affaire-là, le document qui se voulait une lettre de change avait été tiré sur une société de Melbourne pour une somme déterminée payable à une date fixe [TRADUCTION] «avec intérêt au taux de 8 pour cent l’an jusqu’à l’arrivée à Londres du paiement pour couvrir la valeur reçue».

Dans l’affaire Rosenhain, la date à laquelle l’intérêt devait cesser de courir n’était pas susceptible d’être déterminée, alors qu’en l’espèce, la date à laquelle l’intérêt doit commencer à courir ne peut être établie à la lecture de l’effet. Dans les deux cas, l’imprécision quant à la date entraîne l’imprécision quant au montant d’intérêt à payer. Dans un jugement unanime d’une grande portée, la Haute Cour d’Australie affirme, aux pp. 790 et 791:

[TRADUCTION] La «somme précise» doit cependant si l’effet doit constituer une lettre de change, être payable à demande ou à une époque future déterminée ou susceptible de l’être. La «précision», comme l’a dit le juge Ashurst dans Carlos v. Fancourt, [[1794] 5 T.R., à la p. 486], «est un objectif important en matière d’effets de commerce; et à moins qu’ils n’établissent leur validité à leur lecture même, ils ne sont pas négociables». Or, le document qui nous est soumis n’a pas fixé une «époque future susceptible d’être déterminée» pour le paiement des sommes, y indiquées, mais une époque fixe, soit «à soixante jours de vue». Par conséquent, pour être con-

[Page 91]

forme aux dispositions des Bills of Exchange Acts, la somme doit être précise à cette époque fixe. Mais il est clair que la somme n’était pas précise à cette date, et qu’aucune indication apparente à la lecture du document ne peut la rendre précise, puisque l’intérêt doit courir à compter de la date prévue pour le paiement, soit «à soixante jours de vue» «jusqu’à l’arrivée à Londres du paiement», et il n’est pas du tout précisé, tant en fait qu’à la lecture du document, quand cet événement se produira, ni même s’il se produira jamais.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Conformément à l’ordonnance d’autorisation d’appel, l’intimé a droit aux dépens comme entre avocat et client.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Faber, Gurevitch, Calgary.

Procureurs de l’intimé: Huckvale, Wilde & Krushal, Lethbridge.

[1] (1978), 91 D.L.R. (3d) 612; [1978] 6 W.W.R. 178.

[2] (1899), 37 Sc. L.R. 138.

[3] [1891] A.C. 107.

[4] [1968] R.C.S. 607.

[5] [1973] I.R. 313.

[6] [1922] V.L.R. 787.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 78 ?
Date de la décision : 27/01/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Effets négociables - Billets à ordre - Somme précise - Intérêt h payer «à compter de la date du prêt» - Preuve extrinsèque nécessaire pour fixer la date - La somme imprécise empêche‑t-elle l’effet d’être un billet à ordre au sens de la Loi sur les lettres de change - Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1970, chap. B-5, art. 28, 176(1), 186.

L’intimé a signé, avec un autre, un effet de commerce aux termes duquel ils ont promis de payer à l’appelante $16,589.75, avec intérêt annuel de douze pour cent, par versements mensuels de $575, commençant et se terminant à des dates fixes, le dernier paiement devant être «égal, en tout cas, au solde du prêt impayé en capital et intérêt». Le souscripteur a convenu de payer «… le montant en principal indiqué … avec intérêt sur le principal impayé à compter de la date du prêt, tant avant qu’après échéance, au taux indiqué … jusqu’à complet paiement en capital et intérêt …». Après deux paiements, il a manqué à ses engagements et le solde entier est donc devenu payable. L’appelante a intenté une action fondée sur l’effet de commerce, plaidant qu’il s’agit d’un billet à ordre qu’elle détient à titre de bénéficiaire et soutenant que l’intimé doit répondre à titre de souscripteur de complaisance. L’intimé soutient cependant que la promesse faite dans l’effet de commerce n’est pas une promesse de payer une somme précise au sens de la définition d’un billet à ordre au par. 176(1) de la Loi sur les lettres de change. La seule question en litige est de savoir si les mots «avec intérêt sur le principal non payé à compter de la date du prêt» rendent la somme garantie imprécise de façon à empêcher l’effet de commerce d’être un billet à ordre au sens de la Loi.

Les deux cours d’instance inférieure ont conclu que l’effet de commerce en question n’est pas un billet à ordre. Afin de pouvoir tenir l’intimé pour garant, l’appelante doit avoir gain de cause en l’espèce car les dispositions de The Guarantees Acknowledgment Act n’ont par ailleurs pas été observées.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

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«Une somme précise» au sens de la Loi se rapporte au principal et à l’intérêt. Ni la jurisprudence ni les ouvrages de doctrine majeurs n’appuient le premier argument de l’appelante à l’effet contraire et son rejet est également renforcé par la règle que l’intérêt à payer sur une lettre de change ou un billet est «une partie de la dette et non simplement une indemnité pour la rétention de l’argent».

On doit rejeter le second argument que l’effet de commerce est un billet à ordre même s’il faut présenter une preuve extrinsèque pour établir la date du prêt. La Loi vise à assurer la circulation d’effets négociables. La règle générale est la précision de l’effet même, à moins qu’il ne soit impossible d’appliquer une disposition donnée sans recourir à une preuve extrinsèque. Ce peut être une question de bon sens, cependant, de savoir si une référence expresse ou implicite à des circonstances extrinsèques crée un tel degré d’imprécision qu’elle porte atteinte à la circulation de l’effet et en modifie la nature. L’effet en cause n’est ni précis ni négociable.

Le motif principal pour lequel les arguments ne peuvent être acceptés est qu’ils anéantissent tous deux la négociabilité: les tribunaux doivent rejeter toute interprétation mécanique de la Loi qui va à l’encontre de son but et de son économie.


Parties
Demandeurs : MacLeod Savings & Credit Union Ltd.
Défendeurs : Perrett

Références :

Jurisprudence: Lamberton v. Aiken (1899), 37 Sc. L.R. 138

Bank of England v. Vagliano, [1891] A.C. 107

arrêt examiné: Rosenhain and Co. v. Commonwealth Bank of Australia, [1922] V.L.R. 787

distinction faite avec l’arrêt John Burrows Ltd. c. Subsurface Surveys Ltd., [1968] R.C.S. 607

Creative Press Limited v. Harman, [1973] I.R. 313.

Proposition de citation de la décision: MacLeod Savings & Credit Union Ltd. c. Perrett, [1981] 1 R.C.S. 78 (27 janvier 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-01-27;.1981..1.r.c.s..78 ?
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