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03/02/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._29

Canada | Paquette et autre c. Galipeau et autre, [1981] 1 R.C.S. 29 (3 février 1981)


Cour suprême du Canada

Paquette et autre c. Galipeau et autre, [1981] 1 R.C.S. 29

Date: 1981-02-03

Michel Paquette et Madeleine Brabant Appelants;

et

Yvon Galipeau et Diane Galipeau Intimés.

1980: 10 novembre; 1981: 3 février.

Présents: Les juges Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1], qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure annulant un bref d’habeas corpus. Pourvoi rejeté.

Pierre Fournie

r et David McAusland, pour les appelants.

Pierre Tessier et Marie St-Pierre, pour les intimés.

[Page 31]

Le jugement de la Co...

Cour suprême du Canada

Paquette et autre c. Galipeau et autre, [1981] 1 R.C.S. 29

Date: 1981-02-03

Michel Paquette et Madeleine Brabant Appelants;

et

Yvon Galipeau et Diane Galipeau Intimés.

1980: 10 novembre; 1981: 3 février.

Présents: Les juges Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1], qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure annulant un bref d’habeas corpus. Pourvoi rejeté.

Pierre Fournier et David McAusland, pour les appelants.

Pierre Tessier et Marie St-Pierre, pour les intimés.

[Page 31]

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LAMER — Le pourvoi attaque l’arrêt de la Cour d’appel du Québec qui maintient le jugement d’un juge de la Cour supérieure du district judiciaire de Terrebonne annulant un bref d’habeas corpus. L’émission du bref avait été obtenue par les appelants contre les intimés suite aux faits suivants (ces faits nous sont soumis du consentement des parties, et sont ceux qui avaient été soumis à la Cour d’appel):

Pendant l’été de l’année 1978, l’appelante, une résidente de l’Ontario, a appris qu’elle était enceinte et elle en a avisé l’appelant, le père, également un résident de l’Ontario.

Elle n’a pas alors confié ce fait à ses parents. Elle est allée voir le Dr Thériault, son médecin de famille, à Hawkesbury, qui l’a examinée et a confirmé son état. Les appelants ont discuté de l’avenir de l’enfant ainsi que de leur propre avenir.

Le Dr Thériault les a mis au courant du fait qu’il connaissait un couple qui serait intéressé à adopter un enfant.

A la suggestion du Dr Thériault, les appelants ont songé à l’adoption, en ont discuté entre eux et ont conclu que c’était mieux pour l’enfant qu’il soit confié à une famille adoptive.

Le couple dont leur avait parlé le Dr Thériault était les intimés. Lors d’une rencontre subséquente, le Dr Thériault leur a présenté les appelants, et les quatre ont discuté entre eux.

Éventuellement, le 1er novembre 1978, les appelants ont chacun signé un écrit qui à sa face était un consentement à ce que leur enfant à naître soit adoptée par les intimés (pièce I-1 et I-2). Ces documents ont été signés en Ontario.

Ladite enfant mineure est née le 7 décembre 1978 à l’Hôpital Général de Hawkesbury, Ontario. Deux jours après la naissance, cette enfant a reçu son congé de l’hôpital, par le Dr Thériault, au soin des intimés qui l’ont amenée chez eux, à Grenville, Québec; la procédure normale de l’hôpital selon le témoignage d’un membre de son conseil d’administration alors était de faire signer un consentement à la mère à ce que l’enfant soit confiée à une personne autre que la mère, ce qui n’a pas été fait.

Les appelants n’ont jamais vu leur enfant.

L’appelante déclare, qu’après la naissance, elle a toujours voulu avoir son enfant avec elle, et que ce senti-

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ment s’est agrandi avec le temps, mais elle était seule à le savoir avec l’appelant et sa mère et qu’ils ne savaient pas quoi faire.

Finalement, au bout de quatre mois, l’appelante a demandé l’assistance d’une de ses sœurs chez qui elle demeurait et, par la suite, les appelants ont contacté un avocat de l’Ontario…

Vers la fin d’avril 1979, les intimés ont appris que les appelants demandaient le retour de leur enfant mais cette demande a été refusée. Le 30 mai 1979, les intimés ont institué une requête en adoption devant le Tribunal de la Jeunesse du district de Terrebonne.

A l’audience on apprenait qu’une requête pour garde de l’enfant a été présentée par les appelants au Tribunal de la jeunesse et que celle-ci était toujours pendante. Les intimés refusent toujours de remettre l’enfant.

Le juge de la Cour supérieure ainsi que la majorité des juges en Cour d’appel ont décidé qu’il appartient non pas à la Cour supérieure mais au Tribunal de la jeunesse de statuer sur la question de la garde de l’enfant.

Je suis d’avis qu’ils ont raison.

Il importe dès maintenant de souligner les limites de la question. Le juge de la Cour supérieure n’avait pas à décider de l’adoption de l’enfant, ni non plus, comme on le verra, de la garde de cette enfant. Il faut aussi noter que la Cour supérieure n’exerçait point un pouvoir de surveillance et de contrôle à l’endroit du Tribunal de la jeunesse par voie d’évocation suite à l’usurpation par le Tribunal de la jeunesse d’une compétence sur un enfant qui ne serait pas de son ressort ou suite à l’assujettissement du sort d’un enfant à des lois qui ne s’appliqueraient pas à lui, et dont il résulterait que ce tribunal s’arrogerait une compétence qu’il n’avait pas. Le juge de la Cour supérieure était saisi d’un bref d‘habeas corpus qui avait été émis et subséquemment rapporté devant lui par l’application entre autres des articles suivants du Code de procédure civile:

851. Toute personne qui est emprisonnée ou autrement privée de sa liberté, si ce n’est pas en vertu d’une ordonnance rendue en matière civile par un tribunal ou par un juge compétent, ni pour une matière criminelle ou supposée telle, peut, de même qu’un tiers pour elle, s’adresser à un juge de la Cour supérieure pour obtenir

[Page 33]

un bref d’habeas corpus ordonnant à celui sous la garde de qui elle est détenue de la conduire sans délai devant un juge de la Cour et de lui rapporter la cause de la détention, pour qu’il voie si elle est justifiée.

La demande est faite par requête appuyée d’un affidavit établissant la vérité des faits sur lesquels elle est fondée. 1965 (1er sess.), c. 80, a. 851.

855. Le juge devant qui le rapport est fait doit s’enquérir, aussitôt que faire se peut, de la vérité des faits allégués. Il peut permettre de contester par écrit les allégations du rapport, autoriser les actes de procédure qu’il juge à propos, et procéder lui-même à l’instruction ou déférer la cause au tribunal. Il peut aussi permettre la libération provisoire de la personne détenue, moyennant un cautionnement à l’effet qu’elle se présentera à l’instruction et obéira aux ordres qui pourraient lui être donnés. 1965 (1er sess.), c. 80, a. 855.

La procédure choisie par les appelants, adaptée à la situation qui découle d’un litige ayant trait à la garde d’un enfant (Voir Stevenson c. Florant[2], aux pp. 538 et suiv.; Marshall c. Fournelle[3]; Kivenko c. Yagod[4]; Dugal c. Lefebvre[5]; Cheyne c. Cheyne[6]) et eu égard aux circonstances propres à la présente cause, invitait et limitait le juge de la Cour supérieure à statuer sur la question suivante:

Les intimés étaient-ils justifiés en regard de la loi de refuser de remettre l’enfant aux appelants?

L’article 245 du Code civil édicte:

Art. 245. Le titulaire de l’autorité parentale peut déléguer la garde, l’éducation ou la surveillance de l’enfant. Cette délégation est révocable en tout temps.

Au moment où le juge de la Cour supérieure fut appelé à se prononcer sur le bref, il était clair que les deux parents naturels, s’ils avaient consenti validement à déléguer la garde de leur enfant aux intimés, n’y consentaient plus; aussi incombait-il aux intimés de faire valoir l’opération d’une loi autre que le Code civil justifiant néanmoins leur refus.

Effectivement, ils ont invoqué la Loi sur l’adoption du Québec, L.R.Q. 1977, chap. A-7, pour se justifier et pour plaider, entre autres moyens, que

[Page 34]

la compétence de statuer sur le sort de l’enfant, tant sa garde que son adoption, appartenait exclusivement au Tribunal de la jeunesse. J’estime qu’ils ont raison et cette conclusion se justifie à mon avis par la mise en œuvre de certaines dispositions de la Loi sur l’adoption du Québec, dont en premier lieu un paragraphe de l’art. 17:

17. A compter de la date à laquelle un enfant est placé en vue de son adoption conformément à la présente section, son père, sa mère, ses ascendants ni son tuteur ne peuvent en obtenir la garde sans l’autorisation du tribunal.

Le tribunal dont parle l’art. 17 est défini à l’al. 1b) de la Loi comme étant la Cour de bien-être social, aujourd’hui le Tribunal de la jeunesse. (La constitutionnalité de l’art. 17 de cette loi n’a pas été contestée.)

Or, un enfant est placé en vue de son adoption lorsqu’ont été satisfaites, outre certaines conditions qui ne sont point ici en litige, celles prévues à l’art. 16 de cette loi (tel qu’il se lisait à l’époque du placement de l’enfant)[7]:

16. Un enfant dont l’adoption est permise par la présente loi peut être placé en vue de son adoption, par une personne autre qu’une société d’adoption reconnue, pourvu qu’avis en soit donné au ministre.

Toutefois, l’absence d’un tel avis n’empêche pas le tribunal de prononcer ultérieurement l’adoption pourvu qu’un rapport écrit d’une société d’odoption reconnue établisse, à la satisfaction du tribunal, qu’aucun inconvénient sérieux n’en est résulté.

Comme on le voit, il faut que l’enfant en soit un que la Loi sur l’adoption du Québec permette d’adopter; il faut aussi un avis au ministre des affaires sociales, L.R.Q. 1977, chap. A-7, al. 1d). Il importe d’examiner de plus près les effets d’un tel placement.

De façon générale la loi impose aux père et mère d’un enfant, dit naturel, l’obligation de le nourrir, de l’entretenir et de l’élever (art. 240 C.c.). Ils sont les détenteurs de l’autorité parentale. La loi leur permet par ailleurs de déléguer «la garde, l’éduca-

[Page 35]

tion ou la surveillance» de leur enfant, mais leur reconnaît le pouvoir de révoquer en tout temps cette délégation. Je suis d’avis que, sans l’opération d’une loi autre que le Code civil, les intimés n’auraient qu’à obtempérer à la demande des appelants et remettre l’enfant à ses parents et qu’il appartiendrait à la Cour supérieure de l’ordonner. Par l’effet du placement, s’il est valide en regard de la loi applicable, il n’en est plus ainsi.

En effet, les conséquences du placement sont multiples. Il en résulte en premier lieu un transfert à d’autres des principaux attributs de l’autorité parentale et, quant à l’enfant, de la filiation; en cela le placement ne diffère point par ses effets d’une délégation prévue à l’art. 245 du Code civil.

Par l’effet de l’art. 17 de la Loi sur l’adoption, le placement est attributif, et c’est sa deuxième conséquence, de compétence au Tribunal de la jeunesse, si bien que c’est désormais à ce tribunal, et non plus à la Cour supérieure, qu’il faut s’adresser pour faire valoir ses droits en regard de la garde de l’enfant. De plus, si, comme en l’espèce, le placement résulte du consentement des parents, il aura pour effet et c’est sa conséquence la plus importante, de dépouiller, au profit du Tribunal de la jeunesse, les parents de leur droit de mettre fin comme le leur reconnaissait «en tout temps» le Code civil, à la délégation qu’ils ont faite de leurs attributs parentaux. En effet, tandis que la Cour supérieure face à une simple délégation se limiterait à statuer sur l’existence d’une révocation et, le cas échéant, à y donner effet, le Tribunal de la jeunesse s’est vu conférer par le législateur le droit de ne point donner effet à la révocation et de laisser l’enfant avec ceux chez qui il a été placé.

Le placement a donc eu l’effet non seulement de transférer à d’autres les principaux attributs parentaux mais aussi de transférer par après au Tribunal de la jeunesse, à toutes fins pratiques, le droit de révoquer la délégation.

Il en résulte des modifications telles dans les rapports des parents, des adoptants et, bien sûr de l’enfant lui-même, les uns par rapport aux autres, que le placement affecte l’état de chacun de ceux-ci. Au paragraphe 4 de l’art. 6 du Code civil il est dit:

[Page 36]

L’habitant du Bas Canada, tant qu’il y conserve son domicile, est régi, même lorsqu’il en est absent, par les lois qui règlent l’état et la capacité des personnes; mais elles ne s’appliquent pas à celui qui n’y est pas domicilié, lequel y reste soumis à la loi de son pays quant à son état et à sa capacité.

Appliquant cet article en l’espèce, il s’agit donc de soumettre à la loi du domicile la condition de fond du placement, savoir, déterminer s’il s’agit d’une enfant dont l’adoption est permise. Surgit alors un problème que ne résoud point le Code: la loi du domicile de qui s’applique? Celui de l’enfant, celui de ses parents ou celui de ceux qui veulent l’adopter et à qui les parents l’avaient confiée?

Monsieur Albert Mayrand, aujourd’hui juge à la Cour d’appel du Québec, opinait, alors qu’il était professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal, dans une étude intitulée «Adoption et successibilité» (1959) 19 R. du B. 409, à la p. 464, qu’en matière d’adoption les conflits de loi quant aux conditions de fond de l’adoption devaient être résolus par l’application cumulative de la loi de l’adoptant et de celle de l’adopté, dans les termes suivants:

Le tribunal peut en effet n’accorder l’adoption que si la loi de l’adoptant et celle de l’adopté sont toutes deux observées. Il ne s’agit pas, comme le dit Battifol, de l’application à chacune des parties de sa propre loi personnelle; il faut plutôt appliquer cumulativement toutes les conditions de fond des deux lois. Il devient alors plus difficile d’obtenir une adoption; par contre, il y a l’avantage de ne pas prononcer une adoption qui viole la loi de l’adopté ou celle de l’adoptant. Cette solution est celle de la majorité des auteurs français qui peuvent citer quelques décisions à cet effet.

D’accord avec cette approche dans la mesure où il s’agit d’un cas contesté (mais sans pour autant en décider ici quant aux autres cas), j’estime par ailleurs que, si les parents se manifestent et contestent la susceptibilité d’adoption de leur enfant, la loi de leur domicile en la matière se doit d’être incluse au cumul comme venant de leur chef quand bien même s’y trouverait-elle déjà du chef de leur enfant.

En l’espèce, il faudra examiner la question de savoir si l’enfant en est une qui peut être adoptée

[Page 37]

en regard des conditions de fond prévues aux lois ontariennes et québecoises. Si oui, la condition de fond nécessaire à l’existence d’une situation de placement ayant été satisfaite, il y aura dès lors lieu de vérifier la validité de la condition de forme de ce placement, l’avis au ministre, mais en regard des lois du Québec seulement.

IL S’AGIT D’UNE ENFANT DONT L’ADOPTION EST PERMISE PAR LES LOIS DU QUÉBEC

Le cas qui nous occupe est régi par l’al. a) de l’art. 6 de la Loi sur l’adoption:

6. L’enfant mineur naturel ne peut être adopté que dans les cas suivants:

a) avec le consentement du père et de la mère si les deux en assument de fait le soin, l’entretien ou l’éducation; sinon, avec le consentement de celui qui, de son père ou de sa mère, en assume de fait le soin, l’entretien ou l’éducation, ou avec le consentement de l’un ou l’autre dans les autres cas;

Il faut prendre garde de ne point confondre le consentement à l’adoption requis pour que l’adoption puisse effectivement être prononcée avec celui requis pour qu’il y ait un placement. Il s’agit, bien entendu, dans l’un comme dans l’autre cas d’un consentement à l’adoption soumis aux mêmes conditions de validité, à la différence par contre que la validité du consentement en regard du placement doit, lorsqu’il s’agit comme en l’espèce de déterminer le tribunal compétent, et parce que le placement est lui-même attributif de compétence, être examinée à la date où les autres conditions de validité du placement ont été satisfaites.

Ces autres conditions sont: l’avis, prévu à l’article 16 dont nous avons parlé précédemment, et celles de l’art. 15:

15. Un enfant ne peut être placé en vue de son adoption qu’auprès d’une personne qui désire l’adopter, et qui peut l’adopter en vertu de la présente loi.

Comme nous l’avons dit plus tôt, le désir des intimés d’adopter l’enfant n’est pas en litige ni non plus le fait qu’ils sont en regard de la loi capables d’adopter.

[Page 38]

Un avis a effectivement été donné au ministre en date du 9 novembre 1978 par W.M.C. Steeves, l’avocat des intimés.

Le 9 novembre 1978.

ENREGISTRE Ministre de la famille et du bien-être social, Hôtel du Gouvernement, Gouvernement du Québec, Québec, P.Q.

Monsieur,

RE: JOSEPH & DIANE GALIPEAU LOI DE L’ADOPTION

1969 c. 64 art. 16

MON DOSSIER: 7528

Le 1 novembre 1978, M. Michel Paquette de Vankleek Hill, Ontario, et Mlle Madeline Brabant de Vankleek Hill, Ontario, ont, par écrit, donné la permission à M. et Mme Joseph Galipeau de R.R. # 1, Grenville, Québec, d’adopter leur enfant.

Je vous donne cet avis suivant l’article 16 de la loi d’adoption.

Bien à vous,

W.M.C. Steeves

WMCS/sw cc: M. et Mme J. Galipeau

Quoique donné avant la naissance de l’enfant cet avis me semble rencontrer les exigences de la loi. En effet la validité de cet avis dépendait de la réalisation de deux événements, soit la naissance de l’enfant et son arrivée en territoire québécois chez les intimés. Le premier de ces deux événements se produisait le 7 décembre 1978 et l’autre deux jours plus tard, soit le 9 décembre. C’est donc à la date où prenait effet l’avis qu’il fallait qu’il y ait consentement valide à l’adoption pour qu’il y ait placement, soit, le 9 décembre 1978. Si ce consentement était valide le 9 décembre 1978 il appartient depuis cette date au Tribunal de la jeunesse de statuer sur l’effet à donner, s’il en est, au retrait subséquent du consentement des parents et de statuer quant à la garde; au cas contraire, cette question relevait toujours de la Cour supérieure lors du bref au fond.

[Page 39]

En somme, en regard des lois du Québec, la question pour le juge de la Cour supérieure se résumait à la suivante:

Le consentement donné était-il valide en date du 9 décembre 1978?

Comme à cette date aucun des parents n’avait assumé de fait le soin de leur enfant, il suffisait, en vertu de l’al. 6a) de la Loi, du consentement de l’un d’eux.

Le 1er novembre 1978 Madeleine Brabant signait en Ontario le document suivant:

[TRADUCTION]

Pièce I-1

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE TERREBONNE

Dans l’affaire de l’adoption d’un enfant à naître à Madeleine Brabant et Michel Paquette.

Je, soussignée, Madeline Brabant, de la rue Main, Vankleek Hill, province d’Ontario, qui deviendrai mère d’un enfant le 15 novembre 1978, ou vers cette date, dans la ville de Hawkesbury, province d’Ontario, confie la garde de l’enfant à Joseph Antoine Yvon Maurice Galipeau et Marie Lucienne Hélène Diane Deslauriers, son épouse, tous deux de R.R. n° 1, Grenville, province de Québec.

ET JE DONNE MON AUTORISATION et consentement à l’adoption de l’enfant par lesdits Joseph Antoine Yvon Maurice Galipeau et Marie Lucienne Hélène Diane Deslauriers Galipeau.

Je comprends qu’une ordonnance d’adoption me privera de mes droits parentaux et que l’enfant portera le nom de ses parents adoptifs.

Signé à Hawkesbury, (Ontario) le 1er novembre 1978

(signature)

Madeline Brabant

En présence de

(David Shelly)

témoin

…A la même date Michel Paquette signait un document identique. De l’ensemble de la preuve faite en Cour supérieure, il ressort que la volonté

[Page 40]

des parents de reprendre et garder l’enfant n’est apparue et ne s’est manifestée que bien après le 9 décembre 1978; aussi consentaient-ils toujours à cette date au placement pour fins d’adoption de leur enfant.

En regard des lois du Québec, vu l’existence et la validité du consentement en date du 9 décembre 1978 l’enfant était à cette date une enfant dont l’adoption était permise par la loi.

IL S’AGIT D’UNE ENFANT DONT L’ADOPTION EST PERMISE PAR LES LOIS DE L’ONTARIO.

A première vue, l’enfant des appelants n’est pas en regard de la loi ontarienne susceptible d’adoption, faute de consentement.

Il est clair, et ce même en se reportant à la date du 9 décembre 1978, que le consentement donné par Madeleine Brabant n’est point valide.

Il suffit pour s’en convaincre de lire le par. 2 de l’art. 73 de The Child Welfare Act de l’Ontario (R.S.O. 1970, chap. 64, art. 73, mod. par 1971 (Ont.), vol. 2, chap. 98, par. 4(1) et 1975 (Ont.), chap. 1, art. 31):

[TRADUCTION] 73. — (1)…

(2) Aucune ordonnance portant adoption d’un enfant de moins de dix-huit ans, né hors mariage, qui n’a pas été marié, ne doit être rendue sans le consentement écrit de la mère, donné lorsque l’enfant est âgé d’au moins sept jours, et, si l’enfant réside avec le père et est une personne à la charge du père, sans le consentement écrit du père, mais la mère ou le père peut révoquer ce consentement dans les vingt et un jours qui suivent par déclaration écrite à cet effet.[8]

Par contre les par. 5 et 6 du même article donnent toujours au tribunal ontarien le pouvoir de prononcer l’adoption dans l’intérêt de l’enfant nonobstant l’absence de consentement de la mère:

[TRADUCTION] (5) En l’absence du consentement requis par le présent article, le tribunal peut, sur demande du requérant en adoption, passer outre à cette exigence si, compte tenu de toutes les circonstances de

[Page 41]

l’affaire, il est convaincu que c’est dans le meilleur intérêt de l’enfant.

(6) Le tribunal ne doit pas passer outre au consentement exigé au présent article, sauf au consentement exigé au paragraphe 4, tant qu’il n’est pas convaincu que la personne dont le consentement est requis a reçu avis de la demande de passer outre au consentement, ou que tous les efforts raisonnables, de l’avis du tribunal, ont été faits pour aviser cette personne.

L’enfant des appelants était donc en date du 9 décembre 1978 une enfant dont l’adoption était permise par les lois de l’Ontario.

J’ai déjà traité de la validité de l’avis. L’enfant étant, en date du 9 décembre 1978, au regard des lois tant ontariennes que québécoises susceptible d’être adoptée, l’avis au ministre a eu l’effet d’en faire une enfant en situation de placement. Il appartient depuis cette date au Tribunal de la jeunesse de se prononcer sur la garde de l’enfant et, éventuellement, sur son adoption. En statuant sur ces deux requêtes il appartiendra à ce tribunal de se prononcer sur l’effet à donner, s’il y a lieu, au retrait depuis cette date du consentement qui avait été validement donné à l’adoption en regard de la Loi sur l’adoption du Québec, ainsi qu’à l’absence d’un consentement valide à l’adoption en regard de la loi ontarienne précitée.

Je suis d’avis de rejeter ce pourvoi et ce, tel que suggéré par les intimés, sans frais.

Pourvoi rejeté sans dépens.

Procureurs des appelants: Byers, Casgrain, McNally, Dingle, Benn et Lefebvre, Montréal.

Procureurs des intimés: Blouin, Piché, Emery et associés, Montréal.

[1] [1980] C.A. 355.

[2] [1925] R.C.S. 532; confirmé par [1927] A.C. 211.

[3] [1927] R.C.S. 48, confirmant (1926), 40 B.R. 391.

[4] [1928] R.C.S. 421, confirmant (1928), 44 B.R. 330.

[5] [1934] R.C.S. 501.

[6] [1977] C.A. 319.

[7] Il importe d’ajouter que la loi qui régit les placements d’enfants pour fins d’adoption par des personnes autres qu’une société d’adoption a depuis les événements du cas qui nous occupe été modifiée par 1979 (Qué.), chap. 17.

[8] Il n’y a pas lieu de s’interroger sur la validité du consentement de Michel Paquette puisque l’enfant n’a jamais résidé avec lui ni été entretenue par lui.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 29 ?
Date de la décision : 03/02/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Mineurs - Adoption - Annulation d’un bref d’habeas corpus - Garde d’un enfant naturel confié aux intimés pour adoption - Validité du consentement - Retrait du consentement - Code civil, art. 245 - Code de procédure civile, art. 851, 855 - Loi sur l’adoption, L.R.Q. 1977, chap. A-7, art. 1b), 1d), 6a), 15, 16, 17 - The Child Welfare Act, R.S.O. 1970, chap. 64, art. 73, mod. Par 1971 (Ont.), vol. 2, chap. 98, art. 4(1) et 1975 (Ont.), chap. 1, art. 31.

Droit international privé - Appelants, parents naturels, résidant en Ontario - Intimés à qui la garde a été donnée, domiciliés au Québec - Code civil, art. 6(4) - Loi sur l’adoption, L.R.Q. 1977, chap A-7, art. 1b), 1d), 6a), 15, 16, 17 - The Child Welfare Act, R.S.O. 1970, chap. 64, art. 73, mod. par 1971 (Ont.), vol. 2, chap. 98, art. 4(1) et 1975 (Ont.), chap. 1, art. 31.

L’appelante, une résidente de l’Ontario, a appris qu’elle était enceinte. Elle a avisé l’appelant, le père, également résident de l’Ontario. Le 1er novembre 1978, les appelants ont chacun signé en Ontario un consentement à ce que leur enfant soit adopté par les intimés, un couple domicilié au Québec. L’enfant est née le 7 décembre 1978 et deux jours plus tard a été confiée aux soins des intimés sans autres formalités. Ultérieurement, les appelants ont regretté leur décision. Fin avril 1979, ils ont demandé le retour de leur enfant, ce que les intimés leur ont refusé. Les appelants ont obtenu la délivrance d’un bref d’habeas corpus contre les intimés.

La Cour supérieure a annulé le bref d’habeas corpus et l’arrêt de la Cour d’appel maintient ce jugement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge de la Cour supérieure était seulement saisi d’un bref d’habeas corpus. Il n’avait pas à statuer sur la question de la garde ni de l’adoption de l’enfant qui relève du Tribunal de la jeunesse. La question devient la

[Page 30]

suivante: «Les intimés étaient-ils justifiés en regard de la loi de refuser de remettre l’enfant aux appelants?»

Cette affaire soulève une question de droit international privé. Il faut que l’enfant en soit un dont l’adoption est permise en regard des conditions de fond prévues aux lois ontariennes et québécoises puisque vu l’art. 6(4) du Code civil, on doit appliquer cumulativement les lois du domicile de l’adoptant, de l’adopté et des parents.

Pour ce qui est des lois du Québec, les art. 15 et 16 de la Loi sur l’adoption ont été respectés. L’avis au ministre avait été donné et les intimés ont pris l’enfant deux jours après sa naissance exprimant ainsi leur désir de l’adopter. Le placement est donc valide. Puisqu’aucun parent n’avait assumé de fait les soins de l’enfant, il suffisait selon l’al. 6a) de la Loi sur l’adoption que l’un d’eux ait donné son consentement, ce qu’ils avaient fait dès le 1er novembre 1978. Vu l’existence et la validité du consentement le 9 décembre 1978, l’adoption de l’enfant était permise à cette date.

Pour ce qui est des lois de l’Ontario, même si le consentement de l’appelante qui a été donné avant la naissance n’est pas valide vu le par. 73(2) de The Child Welfare Act, le tribunal ontarien a le pouvoir selon les par. 73(5) et (6) de la Loi de prononcer l’adoption dans l’intérêt de l’enfant, nonobstant l’absence de consentement de la mère. En date du 9 décembre 1978, l’adoption de l’enfant était donc permise par les lois de l’Ontario.

Comme l’enfant est en situation de placement, il appartient au Tribunal de la jeunesse de se prononcer sur la garde de l’enfant et éventuellement sur son adoption compte tenu des lois du Québec et de l’Ontario.


Parties
Demandeurs : Paquette et autre
Défendeurs : Galipeau et autre

Références :

Jurisprudence: Stevenson c. Florant, [1925] R.C.S. 532, confirmé par [1927] A.C. 211

Marshall c. Fournelle, [1927] R.C.S. 48, confirmant (1926), 40 B.R. 391

Kivenko c. Yagod, [1928] R.C.S. 421, confirmant (1928), 44 B.R. 330

Dugal c. Lefebvre, [1934] R.C.S. 501

Cheyne c. Cheyne, [1977] C.A. 319.

Proposition de citation de la décision: Paquette et autre c. Galipeau et autre, [1981] 1 R.C.S. 29 (3 février 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-02-03;.1981..1.r.c.s..29 ?
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