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02/03/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._640

Canada | Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640 (2 mars 1981)


Cour suprême du Canada

Rothman c. R., [1981] 1 R.C.S. 640

Date: 1981-03-02

Robert Rothman (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1980: 5 mai; 1981: 2 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Rothman c. R., [1981] 1 R.C.S. 640

Date: 1981-03-02

Robert Rothman (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1980: 5 mai; 1981: 2 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Recevabilité d’une confession - Un policier déguisé est-il une «personne ayant autorité»? - La confession est-elle volontaire? - Voir dire.

L’appelant a été accusé de possession de résine de cannabis pour en faire le trafic. La question en litige porte sur la recevabilité d’une confession que la poursuite a cherché à mettre en preuve au procès. L’appelant a été mis en état d’arrestation, a reçu une mise en garde et avant d’être envoyé en cellule, on lui a demandé s’il voulait faire une déclaration, ce qu’il a refusé de faire. Quelques heures plus tard, un policier agissant en qualité d’agent double a été placé dans la même cellule en vue d’obtenir des renseignements de l’appelant. Il ne s’est pas identifié comme agent de police et l’appelant ne paraît pas l’avoir considéré comme tel. Le policier a dit à l’appelant qu’il était un conducteur de camion et qu’il était en prison à cause d’une contravention aux règles de la circulation. Au cours de la conversation, l’appelant a fait au policier une déclaration que la poursuite a tenté de produire en preuve.

Après un voir dire, le juge du procès a statué que compte tenu des circonstances, l’agent double était une «personne ayant autorité», que la déclaration a été incorrectement obtenue et qu’elle était irrecevable.

La Cour d’appel à la majorité a infirmé la décision du juge du procès et a ordonné un nouveau procès.

Arrêt (Le juge en chef Laskin et le juge Estey sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, McIntyre et Chouinard: Il faut trancher la présente affaire dans le contexte des règles spéciales qui se sont élaborées relativement à la preuve obtenue au moyen d’une confession. Le principe applicable est qu’aucune déclaration faite par un accusé à une personne ayant autorité n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c.-à-d. qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne ayant autorité.

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Il faut d’abord décider si le policier était une «personne ayant autorité». Les deux parties ont reconnu qu’il faut appliquer un critère subjectif, savoir, lorsqu’il a fait sa déclaration, l’appelant croyait-il que le policier était une personne ayant autorité? Absolument aucune preuve n’indique que l’appelant croyait que le policier était une personne ayant autorité. Il s’agit donc d’une confession comme celle qui aurait été faite à une personne autre qu’un agent de police et c’était une erreur de la déclarer irrecevable. Le privilège contre l’auto‑incrimination ne s’applique pas dans les circonstances de l’espèce puisque nul n’a tenté de contraindre l’appelant à faire une divulgation.

La seconde question est de savoir si la confession était volontaire même en prenant pour acquis que le policier était une personne ayant autorité. Les confessions peuvent être irrecevables, malgré l’absence de la crainte d’un préjudice ou de l’espoir d’un avantage promis par une personne ayant autorité, en raison d’un doute raisonnable quant à savoir si la confession en question était «les propos d’un esprit totalement conscient». On ne prétend pas que l’esprit de l’accusé ait été troublé par le comportement de l’agent de police. Sa déclaration a été faite librement et volontairement.

Le juge Lamer: La règle de la confession découle d’une règle de droit et d’une règle de prudence: le droit pour l’accusé de ne pas être contraint à témoigner à son procès, et la protection du système de justice pénale.

Les règles concernant la recevabilité des déclarations que fait un accusé à des personnes ayant autorité peuvent être énoncées de la façon suivante:

1. Une déclaration est irrecevable à moins que le juge soit convaincu hors de tout doute raisonnable qu’aucune personne ayant autorité n’a fait ou dit quoi que ce soit qui ait pu inciter l’accusé à faire une déclaration qui soit ou puisse être fausse;

2. Une déclaration, même si elle a été obtenue dans des circonstances qui ne la rendent pas irrecevable, doit néanmoins être exclue si, par suite de ce qu’aurait pu dire ou faire une personne ayant autorité dans le but d’obtenir la déclaration, l’utilisation qu’on en ferait dans l’instance ternirait l’image de la justice.

La seconde partie de la règle ne confère pas un véritable pouvoir discrétionnaire. Il doit y avoir d’abord un lien étroit entre l’obtention de la déclaration et la conduite; en outre, cette conduite doit être si indigne que la magistrature qui administre la justice pénale soit justifiée de croire que, à moins de se dissocier de cette conduite en rejetant la déclaration, sa réputation et, par conséquent, celle de tout le système judiciaire, sera ternie. Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et

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d’autres formes de supercherie et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application de la règle. Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une conduite qui choque la collectivité. Mais se prétendre, comme en l’espèce, conducteur de camion pour obtenir la condamnation d’un trafiquant ne choquerait pas la collectivité.

Le juge en chef Laskin et le juge Estey, dissidents: La préoccupation à l’égard de l’intégrité du système de justice pénale est la raison fondamentale de la règle de l’exclusion des confessions. L’appui et le respect de la collectivité à l’égard de ce système ne peut se conserver que si les personnes ayant autorité se conduisent de façon à ne pas ternir l’image de la justice. Dans le domaine des confessions, cette norme de conduite se manifeste dans l’exigence que la déclaration de l’accusé soit faite «volontairement».

Lorsque la personne qui fait une déclaration a déjà, comme en l’espèce, refusé de faire une déclaration aux autorités, l’examen du caractère volontaire doit comprendre une appréciation des conditions dans lesquelles la déclaration est faite, y compris une conscience que sa déclaration est offerte «spontanément» à une personne ayant autorité. Appliquer la règle d’une autre façon, dans un cas comme celui en l’espèce, ne permettrait pas simplement à l’autorité de se soustraire intentionnellement à l’exercice, que l’accusé a exprimé, de son droit de ne faire aucune déclaration à l’autorité, mais encouragerait l’autorité à le faire. Ici, l’accusé avait pris la position suivant laquelle il ne voulait pas faire de déclaration à la police. Au moyen d’une ruse, la police a alors contrecarré son désir et ainsi l’accusé a fait sa déclaration après qu’il eut cru s’être assuré qu’il ne parlait pas, en fait, à une personne ayant autorité. Ce renversement volontaire, par la police, du droit formel de refuser de faire une déclaration ternit l’image de la justice. Par conséquent, une déclaration faite dans ces conditions ne peut surmonter l’obstacle de la règle d’exclusion.

[Ibrahim v. The King, [1914] A.C. 599; Boudreau c. Le Roi, [1949] R.C.S. 262; R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958, infirmant [1956] O.R. 696; Marcoux et Solomon c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763; Piché c. La Reine, [1971] R.C.S. 23; Ward c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 30; Horvath c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 376; Nagotcha c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 714; Alward et Mooney c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 559; R. v. McLeod (1968), 5 C.R.N.S. 101.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a accueilli l’appel, par la

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poursuite, d’un verdict d’acquittement et a ordonné un nouveau procès. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et le juge Estey étant dissidents.

Scott T. Milloy, pour l’appelant.

E.G. Ewaschuk, c.r., et J.A. Pethes, pour l’intimée.

Version française des motifs du juge en chef Laskin et du juge Estey rendus par

LE JUGE ESTEY (dissident) — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement qu’ont préparés mes collègues les juges Martland et Lamer, mais pour des motifs que je vais tenter d’exposer brièvement, je suis arrivé, avec égards, à une conclusion différente et je suis par conséquent d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir l’acquittement ordonné au procès. Mes collègues ayant exposé les faits, je puis me limiter en grande partie à expliquer les motifs de la conclusion que je propose.

Ce pourvoi soulève la question de la recevabilité d’une déclaration qu’a faite un accusé à une personne ayant autorité. La déclaration a été obtenue dans les circonstances décrites à l’exposé des faits du mémoire de l’appelant, auquel l’intimée souscrit:

[TRADUCTION] 3. L’intimé [accusé] a reçu une mise en garde puis a été amené, avec Bonner et Hrehoriak au poste de la police municipale d’Ottawa au 60, rue Waller. Avant de l’envoyer en cellule, l’agent Gervais a demandé à l’intimé s’il désirait faire une déclaration, mais ce dernier a refusé. Plus tard l’intimé a été amené hors de sa cellule, inculpé de possession de hachisch pour en faire le trafic et renvoyé à la même cellule.

Le lendemain, la police a obtenu une déclaration, et les circonstances dans lesquelles elle a été obtenue sont décrites à l’exposé des faits par l’appelant, auquel l’intimée a souscrit:

[TRADUCTION] 4. Le 10 novembre 1976, vers 1 h 00, l’agent McKnight de la police municipale d’Ottawa, agissant en qualité d’agent double, a été placé dans une cellule de huit pieds sur huit pieds, occupée par l’intimé seul, au poste de la police municipale d’Ottawa. L’agent McKnight a été placé dans la cellule conformément aux directives de l’agent Gervais, l’agent enquêteur, afin d’obtenir des détails de l’in-

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timé concernant l’inculpation contre lui. …A ce moment-là, l’agent McKnight n’était pas armé; il portait un blue-jean, une veste bleue et des bottes brunes et avait une barbe de quatre à cinq jours.

5. L’intimé s’est adressé à l’agent McKnight dès son entrée dans la cellule en disant que ce dernier «ressemblait à un mouchard». L’agent McKnight a ri et l’intimé a ajouté qu’il ressemblait à un mouchard en raison de son habillement. L’agent McKnight a expliqué qu’il était habillé ainsi parce qu’il était allé pêcher. L’intimé a alors demandé à l’agent McKnight pourquoi il était en prison et ce dernier a répondu que c’était à cause d’une contravention aux règles de la circulation… Au cours de la conversation, l’agent McKnight a informé l’intimé qu’il était un conducteur de camion de la région de Pembroke et qu’il était allé à la pêche de sorte que l’intimé ait l’impression qu’il n’était pas un mouchard et qu’il ne s’y connaissait pas vraiment en stupéfiants. L’agent McKnight a fait observer que des gens de la région de Pembroke s’intéressaient aux stupéfiants et qu’il aimerait en obtenir; toutefois, aucun marché n’a été conclu. L’intimé a demandé à l’agent McKnight quand il serait libéré et il a répondu qu’un copain viendrait payer l’amende…

Par conséquent, on ne conteste pas que l’accusé ne savait pas qu’il parlait à un agent double, et que le policier l’a trompé en faisant une fausse déclaration quant à son identité et en niant être un policier. En conséquence, l’accusé a fait une déclaration après son arrestation, et après avoir reçu une mise en garde de la police et avoir refusé de faire une déclaration à la police. Devant ce choix formel de l’accusé, en présence d’un policier en uniforme, de garder le silence, la police a employé la supercherie et le mensonge pour obtenir la déclaration maintenant en litige. Il est évident que lorsque l’accusé a annoncé son refus de faire une déclaration, il savait qu’il faisait part de sa décision de garder le silence à une personne ayant autorité, soit à un policier. La question est donc de savoir si une déclaration que la police a obtenue par la suite de l’accusé, dans les circonstances, est recevable suivant les règles de la confession.

Les termes «confession» et «aveu» ont semé une grande confusion en droit de la preuve et en droit pénal en général depuis deux siècles. Nous n’avons

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pas toujours défini «une confession» en termes précis, ni établi le rapport entre ce terme et l’autre terme «aveu». De fait, on emploie parfois ces mots indifféremment l’un pour l’autre. Une confession paraît parfois n’être qu’une sorte d’aveu. Wigmore affirme qu’une confession était autrefois:

[TRADUCTION]… une reconnaissance en termes formels, par l’inculpé dans une affaire criminelle, de l’exactitude du fait coupable reproché ou d’une partie essentielle de celui‑ci.

3 Wigmore, Evidence (1970), paragraphe 821.

Selon ce savant auteur, un aveu se définit comme une déclaration [TRADUCTION] «faite hors de cour par une partie opposée»: 4 Wigmore, précité, paragraphe 1048. Quelques auteurs anciens sont allés plus loin et ont employé le mot «confession» pour décrire une déclaration qui admet la culpabilité absolue de l’accusé, et ont émis l’avis que le terme «aveu» comprend tout ce qui est en deçà. Bien sûr, cela a mené à une grande confusion quant à l’application des règles strictes de recevabilité qui s’établissaient pour les confessions. La définition d’une confession faisait alors une distinction entre les déclarations justificatives et les déclarations incriminantes. Pour nous, cette distinction a pris fin avec la déclaration du juge Hall dans l’arrêt Piché c. La Reine[2] à la p. 36:

A mon avis, c’est l’occasion propice pour cette Cour de dire que la recevabilité, à titre de preuve, de toutes les déclarations d’un inculpé à des personnes ayant autorité, que ces déclarations soient incriminantes ou justificatives, est soumise à la même règle, et de mettre fin de la sorte à une controverse continuelle et à l’obligation pour les juges de première instance de déterminer si chacune des déclarations que le ministère public veut utiliser, soit lors de l’interrogatoire, soit lors du contre-interrogatoire, est incriminante ou justificative.

La distinction entre ces termes, «confession» et «aveu», a aussi été examinée dans Commissioners of Customs and Excise v. Harz et al.[3], dans laquelle lord Reid dit, aux pp. 817 et 818:

[TRADUCTION] On a alors prétendu qu’il y a une différence entre les confessions et les aveux qui ne constituent pas une confession complète. Une telle différence paraît être admise dans certains autres pays. En

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Inde et au Ceylan, des dispositions législatives restreignent strictement la recevabilité des confessions, et les tribunaux ont interprété ces dispositions de manière à ne pas exclure la recevabilité en preuve d’autres déclarations incriminantes obtenues par des moyens licites, même si ce n’est pas de la façon requise pour les confessions. Et pour une raison qui n’est pas évidente, une distinction de cette sorte paraît être reconnue au moins dans certains états des États-Unis. Mais il ne semble pas y avoir eu en Grande‑Bretagne depuis plus d’un siècle de précédent où l’on ait admis comme preuve un aveu obtenu par menace ou promesse lorsqu’une confession complète aurait été écartée. Si cela s’était produit depuis qu’il est possible de faire appel devant la Court of Criminal Appeal, j’estime très difficile de croire qu’il n’y aurait pas eu appel. Rien ne justifie en principe cette distinction. Dans des circonstances semblables, une personne, sous l’influence d’une menace, fait une confession complète; une autre, sous l’influence de la même menace, fait un ou plusieurs aveux incriminants. Sous peine de réduire la loi à un simple ensemble de règles disparates, je ne vois pas de différence entre ces situations.

Les savants auteurs de Phipson on Evidence (12e éd., 1976) énoncent au paragraphe 671:

[TRADUCTION] Dans les affaires criminelles, les déclarations que fait l’accusé hors de cour sont également recevables contre lui, même si elles sont assujetties à des conditions particulières si elles sont faites à une personne ayant autorité; elles sont alors habituellement appelées «confessions».

Graduellement, le droit a évolué de façon à séparer du domaine général des aveux les déclarations faites par un accusé à une personne ayant autorité: on parle alors de confessions, et c’est à elles que s’appliquent des règles particulières de recevabilité au procès.

Les règles de la preuve en droit pénal, et même en droit civil, portent toutes sur la pertinence, la véracité et l’impartialité, ainsi que sur d’autres préoccupations telles l’économie relative et l’efficacité du procès. Les règles relatives aux confessions ont un élément supplémentaire, soit la préoccupation du public pour l’intégrité du système de l’administration de la justice. Si la véracité des déclarations d’un accusé était le seul aspect à examiner pour établir leur recevabilité, les cours n’auraient pas adopté des principes applicables uniquement aux déclarations faites aux personnes ayant auto-

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rité et non aux déclarations incriminantes en général. La véracité ne peut être le seul critère de recevabilité, parce que des déclarations peuvent paraître assez véridiques pour assurer que le juge des faits s’y réfère, et être quand même écartées suivant les normes de la confession. Dans l’affaire Piché, précitée, la déclaration que la poursuite voulait produire était ostensiblement fausse, mais on cherchait à la produire pour attaquer la crédibilité de l’accusée. La déclaration était de nature justificative et la poursuite devait établir que cette déclaration antérieure incompatible était volontaire. Le juge en chef Cartwright a dit à la p. 26:

A mon avis, c’est une étrange façon de raisonner que de prétendre qu’une déclaration extorquée et préjudiciable à la défense de l’accusé doit être écartée parce qu’elle risque d’être fausse, tandis qu’une déclaration extorquée et préjudiciable, qui non seulement risque d’être fausse mais que la poursuite tient pour fausse, doit être reçue tout simplement parce que, considérée isolément, elle est apparemment justificative.

Cette Cour avait déjà étudié cette question plus à fond auparavant dans l’arrêt DeClercq c. La Reine[4] où le juge en chef Cartwright dit à la p. 906:

[TRADUCTION] Même si on dit que la raison d’être de cette règle est le danger que la confession, obtenue par des menaces ou des promesses faites par une personne ayant autorité, puisse être fausse, je crois qu’il faut maintenant tenir comme reconnu que lorsqu’on examine, au cours d’un procès, la recevabilité d’une déclaration incriminante que la poursuite veut produire, la question qu’il faut décider est de savoir si la déclaration a été faite volontairement, et non si elle est exacte.

Le juge Martland ajoute à la p. 911:

[TRADUCTION]… il [est] reconnu en droit que la déclaration incriminante de l’accusé est irrecevable contre lui à moins qu’elle ait été faite volontairement, et …la preuve sur le voir dire porte sur cette question, et non sur la véracité de la declaration…

Pourquoi alors la loi adopte-t-elle la règle du «caractère volontaire» et non la règle de la «véricité»? Il n’y a pas de doute que les personnes qui s’intéressent à l’administration de la justice se méfient depuis toujours des confessions. Il est certain que la torture et d’autres formes de violence ont amené des confessions, et le refus de les rece-

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voir était peut-être un des moyens adoptés pour éliminer ces pratiques. De nombreux motifs viennent d’abord à l’esprit pour rejeter ces déclarations: la déclaration peut être fausse; elle peut être incomplète; et l’obtention de cette déclaration empiète sur le droit de l’accusé de garder le silence. Il se peut que l’adoption et le maintien des règles de la confession sont, de la part des tribunaux, une reconnaissance fermement établie du besoin d’appliquer, dans la conduite des procès criminels, des principes qui inspireront le respect et l’appui du public à l’égard du système de justice pénale. Il est certain que le système ne peut subsister sans cette acceptation et cet appui. Dans un article savant intitulé «Admissions and Confessions», reproduit à l’ouvrage de Salhany et Carter, Studies in Canadian Criminal Evidence, (1972), chap. 4, le juge en chef Freedman a analysé la présence de la règle d’exclusion dans notre droit. Il fait remarquer que le rejet d’une confession obtenue au moyen de menaces et de coups trouve son fondement non pas dans les règles relatives aux personnes ayant autorité mais peut être issu [TRADUCTION] « …du pouvoir discrétionnaire de tenir compte de la question générale de l’intérêt public dans l’administration de la justice pénale», (à la p. 120). Le savant Juge en chef avait déjà dit, à la p. 99:

[TRADUCTION] Sans nul doute, comme je l’ai déjà dit, le danger qu’elles soient fausses est le motif principal de leur rejet. Mais il y a d’autres motifs, que certains juges refusent résolument d’admettre, que d’autres déclarent ouvertement, et que d’autres encore reconnaissent tacitement — ce dernier cas en étant peut-être un où une règle fondamentale non écrite joue un rôle dans la prise de décision. Tous ces motifs ont leur racine dans l’histoire. Ils portent le souvenir de la torture et du supplice, ils sont liés à la cause de la liberté individuelle, et ils sont l’expression d’une préoccupation profonde pour l’intégrité de la justice.

Voir également 8 Wigmore, Evidence, 3e éd., paragraphe 2251.

Aux États-Unis, des auteurs ont étudié les fondements des règles de la confession. Dans un texte intitulé Evidence of Guilt, (1959), le professeur Maguire souligne à la p. 109:

[TRADUCTION] Deux raisons évidentes incitent à la prudence lorsque se pose la preuve de confessions:

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Premièrement, la raison invoquée le plus souvent est la crainte qu’une confession «involontaire» de culpabilité soit fausse.

La seconde raison est l’intention bien arrêtée d’élever les autorités publiques à une norme de conduite humanitaire et honorable quant au traitement accordé aux personnes soupçonnées ou accusées. Même si elle n’est pas tout à fait incompatible avec la première, cette seconde raison peut être invoquée de façon complètement indépendante du risque qu’une confession précise soit entachée de fausseté.

Voir en ce sens l’article de Allen, «Due Process and State Criminal Procedures: Another Look», (1953) 48 Nw.U.L. Rev. 16, à la p. 19.

Dans Horvath c. La Reine[5], la question de la recevabilité d’une confession s’est posée à cette Cour, et dans son analyse de la nature générale des confessions en droit, notre collègue le juge Beetz a dit (à la p. 433):

Mis à part la suspicion que soulèvent des aveux extorqués par la menace ou les promesses, on a également invoqué d’autres raisons de principe pour expliquer le rejet d’aveux obtenus incorrectement. Mais la raison fondamentale demeure le droit absolu de l’accusé de garder complètement ou partiellement le silence et de ne s’incriminer que s’il le veut. C’est pourquoi il est important que l’accusé comprenne ce qui est en jeu dans cette procédure.

Ce motif supplémentaire comporte depuis toujours, de la part des tribunaux, une reconnaissance de l’avantage et même de la nécessité d’adopter, dans l’administration de la justice, un ensemble de principes qui sera accepté par la collectivité et qui recevra son appui. Ainsi, on peut dire que les confessions ne sont pas recevables lorsque le fait de les recevoir discréditerait l’administration de la justice ou, en d’autres mots, porterait atteinte à l’intérêt du public dans l’intégrité de la justice.

On peut trouver tout cela sous diverses nuances et teintes dans la jurisprudence, à commencer avec l’arrêt Ibrahim v. The King[6], qui pose le principe que, pour être recevable dans une cour de justice, la déclaration d’un accusé doit être volontaire,

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c.-à-d. qu’elle ne doit pas avoir été obtenue par la crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage. L’obligation qu’une confession soit volontaire, pour être recevable, ne se limite pas aux exemples donnés dans l’arrêt Ibrahim, précité. Dans l’arrêt Horvath, précité, le juge Spence a conclu (à la p. 402):

Bien que plusieurs tribunaux l’aient fait, je ne déduis pas de l’arrêt Ibrahim que le sens propre du mot «volontaire» doit être limité aux cas où il y a espoir d’un avantage ou crainte d’un préjudice.

Il a poursuivi (aux pp. 409 et 410):

On a souvent dit que pour que la déclaration faite par un accusé à des personnes ayant autorité soit recevable en preuve au procès, il suffit d’établir qu’elle est libre et volontaire. Ce sont deux termes courants en anglais et je crois qu’ils signifient à peu près la même chose. Le Shorter Oxford English Dictionary définit [TRADUCTION] «volontaire»: «prenant naissance ou se développant dans l’esprit sans contrainte extérieure…; d’un acte: accompli ou fait de son propre gré, impulsion ou choix; qui n’est pas imposé, inspiré ou suggéré par une autre personne».

Dans le même arrêt, le juge Beetz a souligné (à la p. 424):

Il faut alors se demander si cette énumération des cas de déclarations extorquées est restrictive.

Elle ne peut être restrictive puisque la règle prend sa source dans la jurisprudence et que les propos d’un juge sur un point qu’il ne lui est pas nécessaire de trancher constituent un obiter. En outre, le principe qui a inspiré la règle est positif; c’est le principe du caractère volontaire.

Bien sûr, le principe lui-même exige, et cette exigence est absolue, que la déclaration, en fait, soit faite à une personne ayant autorité; et si cette exigence n’est pas remplie, il n’importe pas alors que l’accusé sache que la personne est une personne ayant autorité. Et ce parce que le principe adopté en vue de protéger l’intégrité de l’administration de la justice s’appuie sur la conception que les personnes ayant autorité, étant les instruments de l’Etat, doivent observer certaines règles de base. Il en est ainsi pour la simple raison que leur autorité même peut, au moyen de promesses ou de menaces, formelles ou tacites, provoquer une dé-

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claration peu importe que l’accusé soit vraiment disposé à la faire, et peut à l’occasion amener des déclarations qui soient entièrement ou partiellement fausses. Il est en outre nécessaire d’adopter ces règles de base pour la raison plus importante que les préceptes éthiques sont un élément primordial d’un système de justice qui veut s’attirer le respect et l’appui de la collectivité qu’il sert, en particulier dans un système judiciaire, qui englobe le concept du jury. En l’espèce, la première rencontre importante a été avec une personne ayant autorité; c.-à-d. l’autorité à laquelle l’accusé a fait part de sa décision ou de son choix de ne faire aucune déclaration. C’est cet incident qui, en l’espèce, a mis en marche le processus qui, à mon avis, mène à exclure les déclarations que les autorités ont obtenues par la suite.

Cette analyse n’a plus qu’un pas à franchir. Pour qu’elle soit volontaire, une déclaration doit être offerte spontanément par celui qui la fait, en ce sens qu’elle doit être le fruit d’une volonté consciente de la part de celui qui la fait. La volonté doit se rapporter non seulement au mécanisme de la parole, c.-à-d. l’articulation des idées de la personne qui parle. Lorsque la personne qui fait une déclaration a déjà, comme en l’espèce, refusé de faire une déclaration aux autorités, l’examen du caractère volontaire doit comprendre une appréciation des conditions dans lesquelles la déclaration est faite, y compris une conscience que sa déclaration est offerte «spontanément» à une personne ayant autorité. Appliquer la règle d’une autre façon dans les circonstances en l’espèce ne permettrait pas simplement à l’autorité de se soustraire intentionnellement à l’exercice, que l’accusé a exprimé, de son droit de ne faire aucune déclaration à l’autorité, mais encouragerait l’autorité à le faire. Dans l’arrêt R. c. Fitton[7], à la p. 963, le juge Rand adopte cette idée:

[TRADUCTION] Même le mot «volontaire» prête à débat; dans quel cas peut-on dire que la déclaration n’est pas volontaire en ce sens qu’elle est l’expression d’un choix, qu’on a voulu la faire? Mais c’est le caractère de l’influence de l’idée ou du sentiment derrière cet acte de volonté et sa source que la règle saisit.

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Le juge Spence, qui a rendu l’arrêt unanime de cette Cour dans Ward c. La Reine[8], ajoute à la p. 40:

A mon avis, il faut en outre, même lorsqu’on ne peut établir qu’il y a eu espoir d’un avantage ou crainte d’un préjudice, se demander si les déclarations ont été faites librement et volontairement, compte tenu de l’état mental de l’accusé au moment où il les a faites pour déterminer si elles reflètent l’état d’esprit conscient de l’accusé.

Si on n’inclut pas ce dernier élément, la signification de caractère volontaire se réduit alors à se soucier de la simple articulation des mots de la déclaration que fait l’accusé. Je ne trouve aucune jurisprudence qui appuie une réduction arbitraire et destructive du degré de spontanéité qu’exige le principe de base établi dans l’arrêt Ibrahim, précité, appliqué littéralement. De fait, de la façon dont je vois l’enchaînement des événements, la déclaration est exclue à bon droit par la simple application du principe établi dans les arrêts Horvath et Ward, précités, aux faits en l’espèce.

Suivant les faits en l’espèce, l’autorité s’est donné la peine de s’assurer que l’accusé, en faisant sa déclaration, ne sache pas qu’elle était faite à une personne ayant autorité. Comme je l’ai indiqué, il avait déjà refusé de faire une déclaration à la police. Je ne vais pas examiner d’autres situations, comme celle où l’accusé aurait dû savoir que l’auditeur était une personne ayant autorité au sens que la loi donne à ce mot, ou s’il n’avait pas déjà refusé de faire une déclaration. Il s’agit ici du fait que la déclaration a été faite par un accusé à une personne ayant autorité déguisée sous une autre identité, et après que l’auditeur eut renié expressément cette qualité afin de dissiper les soupçons d’un accusé qui avait déjà exprimé le désir de ne pas faire de déclaration à la police.

Il n’est pas nécessaire de retracer l’origine des règles particulières applicables aux déclarations d’un accusé à une personne ayant autorité. Si, de fait, ces règles émanent du désir des tribunaux et de la collectivité d’adopter des politiques qui assureront une administration équitable, impartiale et honorable de la justice, alors nous n’avons pas à

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aller plus loin. D’autre part, on a dit que les principes qui entourent la recevabilité d’une confession émanent d’un droit que notre jurisprudence accorde à l’accusé de garder le silence. Bien sûr, l’accusé n’a pas besoin de témoigner. Il ne peut être contraint à le faire, et le droit qu’il exerce de garder le silence ne peut faire l’objet de commentaires de la part de la poursuite devant le jury (Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, par. 4(5)). D’autre part, si, pour une raison quelconque, l’accusé choisit de témoigner, il est sur le même pied que tout autre témoin. Il peut être contre-interrogé sur toute question que la cour estime pertinente. Par l’opération de la loi (par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, précitée), ce que l’accusé dit à la barre des témoins ne peut être utilisé contre lui dans aucune autre procédure. Mais bien sûr, ce paragraphe ne s’applique pas en ce qui a trait au procès principal. A mon avis, le droit de l’accusé de choisir de ne pas témoigner à son propre procès est un des éléments essentiels de notre théorie générale du droit pénal, au même titre que la présomption d’innocence et le fardeau qu’a la poursuite de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable suivant la loi. Son droit de garder le silence ne vient pas du fait qu’il est un témoin, mais du fait qu’il est un accusé. Bien sûr, comme le juge Dickson l’a dit dans Marcoux et Solomon c. La Reine[9] à la p. 769, une fois que l’accusé est à la barre des témoins, il n’a plus ce droit à l’égard de toute question que la cour estime pertinente. Dans The Proof of Guilt, (2e éd., 1958), le professeur Glanville Williams affirme (aux pp. 37 et 38):

[TRADUCTION] Selon la règle, ni le juge ni la poursuite n’a le droit en aucun temps d’interroger l’accusé à moins qu’il ne choisisse de témoigner. «En common law» dit Blackstone, memo tenebaiur prodere seipsum: et sa faute ne devait pas lui être arrachée, mais elle devait plutôt être révélée par d’autres moyens et par d’autres hommes». On peut appeler cette règle le droit de l’accusé de ne pas être interrogé; en Amérique, on l’appelle le privilège contre l’auto-incrimination. Cette dernière expression convient davantage comme appellation d’une autre règle, le privilège d’un témoin de refuser de répondre à une question incriminante; cette règle diffère de la règle à l’étude, laquelle, s’appliquant uniquement aux personnes accusées d’un crime, empêche qu’une question

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soit posée. La personne accusée d’un crime n’a pas simplement la liberté de refuser de répondre à une question pouvant l’incriminer; on la libère même de l’embarras de se voir poser la question. Le privilège contre l’auto-incrimination, appliqué aux témoins en général, doit être invoqué expressément par le témoin lorsque la question lui est posée à la barre; alors que l’immunité dont jouit l’accusé quant à l’interrogatoire empêche la poursuite de lui demander (ce qui est beaucoup moins contraignant) de se présenter à la barre et de lui poser des questions sur le banc des accusés. [C’est moi qui souligne.]

La question se pose naturellement: doit-on recevoir en cour, suivant le même principe, les déclarations que l’accusé a faites hors de cour? C’est-à-dire, cette déclaration, si elle est faite à une personne ayant autorité, doit-elle être une déclaration volontaire (telle que décrite précédemment), faite d’une façon consciente à cette personne, dans des conditions qui montrent clairement que l’accusé voulait qu’elle constitue un témoignage en cour ou qu’elle puisse servir comme tel; ou faite dans des conditions qui ne terniront pas l’image de la justice? La question qui se pose ici se rapporte uniquement aux déclarations faites à une personne ayant autorité et non simplement en sa présence, aux déclarations que l’on veut faire à cette personne en particulier, aux déclarations faites après avoir choisi de garder le silence, et lorsqu’elles sont faites dans les circonstances déjà décrites. Il s’ensuit sûrement que si notre droit continue à reconnaître le droit d’un accusé de ne pas être contraint à venir à la barre, son témoignage indirect sous la forme de déclarations faites hors de cour à une personne ayant autorité ne devrait pas être recevable parce que, après qu’il a invoqué le droit de garder le silence, ce témoignage sape ou frustre le droit de ne pas témoigner. Un auteur a exposé ainsi cette idée:

[TRADUCTION]… s’il existe des motifs de ne pas contraindre un accusé à témoigner à son procès, il faudrait aussi tenir compte de ces motifs à l’égard des déclarations faites avant le procès.

Ratushny, Self-Incrimination in the Canadian Criminal Process, 1979, à la p. 97.

En raisonnant de cette façon, on peut facilement concilier la règle de l’arrêt Ibrahim et les objectifs sous-jacents du traitement particulier accordé aux

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confessions, soit l’intérêt primordial qu’il y a à ce que la collectivité accepte le système de l’administration de la justice. Ainsi, l’admission d’une déclaration qui a été obtenue par une personne ayant autorité d’une façon telle qu’elle peut être fausse n’est qu’un exemple d’une conduite qui peut ternir l’image de la justice. Une telle déclaration est donc irrecevable. Ce principe s’applique en toute circonstance, peu importe que l’on puisse conclure que la déclaration peut être vraie, lorsque la conduite d’une personne ayant autorité a pour effet d’éliminer l’élément fondamental qu’est le «caractère volontaire». En bref, la possibilité ou la probabilité de l’exactitude ou de la fausseté d’une déclaration n’est qu’un élément du mécanisme visant à établir le caractère volontaire de la déclaration dans tout le sens que la jurisprudence et la doctrine attribuent à cette expression. A mon avis, les remarques de lord Diplock dans l’arrêt R. v. Sang[10] à la p. 436, conviennent aux circonstances du présent pourvoi:

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, je propose d’exclure, comme le fait la question fixée, l’examen détaillé du rôle du juge du procès à l’égard des confessions et de la preuve qui a été obtenue du défendeur après la perpétration de l’infraction et qui équivaut à une confession. Son origine remonte à l’époque antérieure à l’existence d’un corps policier structuré, lorsqu’un prisonnier accusé d’un acte criminel ne pouvait être représenté par un avocat et n’avait pas le droit de témoigner en sa faveur ni de nier avoir fait une confession, qui était généralement verbale, ou d’en nier le contenu. La raison d’être sous-jacente de cette partie du droit pénal, même si elle peut à l’origine avoir eu pour fondement de s’assurer de la véracité des confessions, peut maintenant, à mon avis, se trouver dans la maxime nemo debet prodere se ipsum, nul ne peut être tenu de se trahir lui-même, ou, dans une mauvaise version française, «le droit de garder le silence». C’est pourquoi il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire pour exclure une preuve obtenue à la suite d’une perquisition illégale mais il existe un pouvoir discrétionnaire permettant d’exclure une preuve que l’accusé a été amené à fournir volontairement si le moyen par lequel elle a été obtenue n’était pas loyal.

A l’exception de ce domaine restreint dans lequel, pour des motifs historiques, le rôle du juge du procès allait jusqu’à l’imposition de sanctions dans le cas de conduite répréhensible de la part de la poursuite, avant le début du procès, pour avoir amené, au moyen de

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menaces, de faveurs ou d’artifices, l’accusé à fournir des preuves contre lui-même, Vos Seigneuries doivent, je pense, déclarer clairement que, dans un procès criminel, le rôle du juge à l’égard de la recevabilité de la preuve est de s’assurer que l’accusé subit un procès impartial conformément à la loi.

Lorsque la cour se trouve en présence d’une déclaration que l’accusé en l’espèce a faite hors de cour, elle doit d’abord décider si sa première déclaration, soit son refus de parler à la police, a été faite à une personne ayant autorité. Ce geste de l’accusé constitue une étape objective et ne dépend donc pas de la compréhension du seul accusé, mais du fait réel de l’identité de la personne qui entend la déclaration. Si la personne qui entend la déclaration est une personne ayant autorité au sens que la loi a donné à cette expression, l’étape suivante est d’établir, suivant toutes les circonstances qui ont suivi, si la déclaration faite en dernier lieu (et qui est présentée au procès) est volontaire dans le plein sens de ce terme. Les éléments dont il faut tenir compte dans l’établissement du caractère volontaire de cette déclaration comprennent toutes les circonstances qui appuient l’exigence primordiale que la recevabilité de la déclaration ne rendra pas l’administration de la justice pénale inacceptable aux yeux de la collectivité. Tout cela se distingue nettement de la décision relative à la recevabilité d’une déclaration que l’accusé a faite à une personne n’ayant pas autorité. Dans ce cas, la présence ou l’absence de menaces, de violence, de crainte, d’espoir, d’artifices, de drogues, etc. touche à la valeur, non à la recevabilité. En outre, il faut alors appliquer le principe d’une façon différente de la façon habituelle lorsque l’accusé n’a pas, au cours de rencontres antérieures avec les autorités, refusé de faire une déclaration.

Dans l’examen de l’utilisation des stratagèmes par des personnes ayant autorité, on a déjà dit que

[TRADUCTION] il paraît y avoir au moins une tendance [dans les cours canadiennes] à considérer l’utilisation de telles tactiques comme l’un des facteurs qui influencent le caractère volontaire.

«Developments in the Law — Confessions», (1966) 79 Harv. L. Rev. 935, à la p. 1104.

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Il en est ainsi, à mon avis, si l’expression «caractère volontaire» est employée là dans le plein sens dans lequel je l’ai employée ici.

Dans l’arrêt R. c. Frank[11], le juge en chef Davey de la Colombie-Britannique examine la nature des déclarations produites ou obtenues au moyen de mensonges que la personne ayant autorité a adressés à l’accusé. A la fin, le Juge en chef conclut que leur effet sur le «caractère volontaire» se mesure selon que les circonstances ont suscité chez l’accusé l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un préjudice. Dans R. v. McLeod[12], la Cour d’appel a rejeté des déclarations obtenues au moyen de «mensonges éhontés». Le juge Laskin (maintenant Juge en chef du Canada) a dit (à la p. 104):

[TRADUCTION] En parvenant à cette conclusion, je ne rejette pas en droit tous les stratagèmes que la police ou les autres personnes ayant autorité peuvent utiliser lorsqu’ils interrogent une personne en état d’arrestation. Dans chaque cas, la question en vertu du droit applicable doit être de savoir s’ils suscitent ou s’ils ont été employés en vue de susciter chez la personne l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un préjudice, ou si leur caractère oppressif (pour employer une expression des règles judiciaires anglaises) soulève un doute quant à savoir si une déclaration incriminante qui en découle a été obtenue de façon régulière. Je suis d’avis, en m’appuyant sur la lecture de l’ensemble du dossier, que les mensonges et les incidents reliés à cette affaire ont eu l’effet illicite de susciter la déclaration incriminante.

La réponse à la question de savoir si l’accusé doit être conscient qu’il fait la déclaration à une personne ayant autorité, avant qu’elle puisse être recevable à titre de confession, reste essentiellement une décision de principe. En l’espèce, cette question fondamentale dans sa forme sommaire ne se pose pas. Ici, l’accusé avait pris la position suivant laquelle il ne voulait pas faire de déclaration à la police. Au moyen d’une ruse, la police a alors renversé son désir et ainsi le défendeur a fait sa déclaration après qu’il eut cru s’être assuré qu’il ne parlait pas, en fait, à une personne ayant autorité. Il n’avait pas, dans ces conditions, l’intention de faire une déclaration à une personne ayant autorité; ainsi, le pouvoir public ne peut présenter la déclaration en résultant comme étant «volon-

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taire» et par conséquent recevable en vertu des règles de la confession. On peut en venir à un résultat différent si l’accusé, au moyen d’une déclaration sans équivoque, renonce au choix qu’il a déjà fait de ne pas faire de déclaration. En pareil cas, la déclaration qui suit est assujettie au critère du caractère volontaire appliqué de la façon ordinaire.

Le juge Dubin, dissident en Cour d’appel, mentionne le refus de l’accusé de faire une déclaration aux autorités:

[TRADUCTION] Cette affaire comporte l’aspect singulier qu’après son arrestation, l’accusé a reçu une mise en garde de la police qui lui a demandé s’il voulait faire une déclaration. Il a refusé de le faire. A ce stade, par conséquent, il avait été informé non seulement qu’il n’était pas tenu de faire une déclaration à un policier, mais aussi que tout ce qu’il dirait serait consigné par écrit et pourrait être utilisé en preuve contre lui à son procès. En refusant de faire une telle déclaration, il a exercé le droit que lui accorde la loi.

Avec égards, je suis d’accord avec ces observations.

En résumé,

a) La règle de l’exclusion des confessions s’applique aux déclarations qu’un accusé a faites à une personne ayant autorité avant le procès.

b) La préoccupation à l’égard de l’intégrité du système de justice pénale est la raison fondamentale de la règle. Ce système exige nécessairement l’appui et le respect de la collectivité qu’il prétend servir. Il ne peut conserver cet appui et ce respect que si les personnes ayant autorité se conduisent de façon à ne pas ternir l’image de la justice aux yeux de la collectivité.

c) La règle et son application touchent l’équilibre fragile entre la nécessité d’assurer la condamnation du coupable, mais par-dessus tout, le soin d’éviter de condamner l’innocent.

d) Dans le domaine des confessions, cette norme de conduite se manifeste dans l’exigence que la déclaration de l’accusé soit faite «volontairement».

e) En l’espèce, l’accusé a exprimé la décision formelle de garder le silence et en a fait part à

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un policier qui était, dans l’esprit de l’accusé et en fait, une personne ayant autorité.

f) La déclaration finalement obtenue et présentée en cour a été le résultat de la supercherie et des mensonges de la part de personnes ayant autorité, employée en vue de renverser la décision que l’appelant a exprimée de garder le silence.

g) Ce renversement volontaire, par la police, du droit formel de refuser de faire une déclaration ternit l’image de la justice. Par conséquent, une déclaration faite dans ces conditions ne peut surmonter l’obstacle de la règle d’exclusion.

h) Le présent pourvoi ne porte pas sur le rassemblement de preuves par tout autre moyen, ni sur le cas où un accusé n’a pas fait part à des personnes ayant autorité qu’il n’a pas l’intention de faire une déclaration.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le verdict d’acquittement rendu au procès.

Version française du jugement des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, McIntyre et Chouinard rendu par

LE JUGE MARTLAND — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[13]. L’appelant a été acquitté à son procès de l’inculpation de possession de résine de cannabis pour en faire le trafic. La Cour d’appel a accueilli l’appel du ministère public et a ordonné un nouveau procès. Le juge Dubin était dissident.

La question en litige devant cette Cour porte sur la recevabilité d’une confession que le ministère public a voulu présenter en preuve au procès. Un exposé conjoint des faits présenté par les parties à la Cour d’appel explique les circonstances entourant cette confession et la décision du juge du procès relativement à celle-ci. Voici les parties importantes de cet exposé:

[TRADUCTION] Le 9 novembre 1976, vers 14 h 30, le sergent Woods et les agents Lauzon, Carvish et Gervais de la police municipale d’Ottawa ont effectué une perquisition au 1365, rue Bank, appartement 1102, en la

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ville d’Ottawa, en vertu d’un mandat de perquisition. Donal Bonner (né le 26/06/57), Timothy Hrehoriak (né le 24/12/60) et l’intimé (né le 21/12/45), se trouvaient alors sur les lieux. L’intimé a informé l’agent Gervais qu’il habitait à cet endroit avec une nommée Nancy Olson. Dans l’une des chambres à coucher, le sergent Woods a trouvé 128.54 grammes de hachisch, un ensemble de balances, un couteau et une boîte contenant du papier d’étain. Une analyse a révélé que les balances et le couteau portaient des traces de hachisch.

L’intimé a reçu une mise en garde puis a été amené, avec Bonner et Hrehoriak, au poste de la police municipale d’Ottawa au 60, rue Waller. Avant de l’envoyer en cellule, l’agent Gervais a demandé à l’intimé s’il désirait faire une déclaration, mais ce dernier a refusé. Plus tard l’intimé a été amené hors de sa cellule, inculpé de possession de hachisch pour en faire le trafic et renvoyé à la même cellule.

Le 10 novembre 1976, vers 1 h 00, l’agent McKnight de la police municipale d’Ottawa, agissant en qualité d’agent double, a été placé dans une cellule de huit pieds sur huit pieds, occupée par l’intimé seul, au poste de la police municipale d’Ottawa. L’agent McKnight a été placé dans la cellule conformément aux directives de l’agent Gervais, l’agent enquêteur, afin d’obtenir des détails de l’intimé concernant l’inculpation contre lui. Au cours du procès, un voir dire a été tenu pour déterminer si l’agent Earl McKnight était une personne ayant autorité. A ce moment-là, l’agent McKnight n’était pas armé, il portait un blue-jean, une veste bleue et des bottes brunes et avait une barbe de quatre à cinq jours. Au voir dire, l’agent McKnight a témoigné que l’intimé lui avait paru normal et ne pas être sous l’influence de l’alcool. Aucun agent de police ou autre personne n’était visible de la cellule. L’agent McKnight ne s’est pas identifié comme membre de la police municipale d’Ottawa et l’intimé ne paraît pas l’avoir considéré comme tel.

L’intimé s’est adressé à l’agent McKnight dès son entrée dans la cellule en disant que ce dernier «ressemblait à un mouchard». L’agent McKnight a ri et l’intimé a ajouté qu’il ressemblait à un mouchard en raison de son habillement. L’agent McKnight a expliqué qu’il était habillé ainsi parce qu’il était allé pêcher. L’intimé a alors demandé à l’agent McKnight pourquoi il était en prison et ce dernier a répondu que c’était à cause d’une contravention aux règles de la circulation. L’agent McKnight a demandé à l’intimé pourquoi il était en prison et ce dernier a dit que c’était pour possession de hachisch. Pendant qu’il était dans la cellule, l’agent McKnight est demeuré assis à côté de l’intimé sur le seul banc disponible. L’intimé a alors dit à l’agent McKnight

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qu’il vendait du hachisch a raison de $25 les 3 grammes, qu’il agissait à titre de «dépositaire» au moment où il a été surpris avec le hachisch et qu’il devrait rembourser $1,000 aux gens parce qu’il avait été «arrêté». L’intimé a dit que les stupéfiants qu’il avait lui auraient rapporté $1,800. L’agent McKnight lui a demandé s’il y avait beaucoup de stupéfiants dans la ville et l’intimé a répondu qu’il y en avait environ 40 livres. L’intimé a également dit qu’il avait été arrêté à son appartement avec son copain qui était dans la cellule voisine. Au cours de la conversation, l’agent McKnight a informé l’intimé qu’il était un conducteur de camion de la région de Pembroke et qu’il était allé à la pêche de sorte que l’intimé ait l’impression qu’il n’était pas un mouchard et qu’il ne s’y connaissait pas vraiment en stupéfiants. L’agent McKnight a fait observer que des gens de la région de Pembroke s’intéressaient aux stupéfiants et qu’il aimerait en obtenir; toutefois, aucun marché n’a été conclu. L’intimé a demandé à l’agent McKnight quand il serait libéré et il a répondu qu’un copain viendrait payer l’amende. L’intimé a dit qu’il devait comparaître en cour le lendemain matin parce qu’il était sous libération conditionnelle relativement à d’autres accusations. L’agent McKnight a été libéré de la cellule à 1 h 07 et peu après il a consigné ses remarques relatives à la conversation.

Après que l’agent McKnight eut témoigné au voir dire, l’intimé n’a présenté aucune preuve sur la question de savoir si l’agent McKnight était une personne ayant autorité.

Après l’argumentation, le juge Matheson, a statué que compte tenu de toutes les circonstances l’agent McKnight était une personne ayant autorité.

Le ministère public n’a présenté aucune autre preuve au cours du voir dire sur la question de savoir si les déclarations de l’intimé à l’agent McKnight étaient volontaires. L’intimé n’a pas demandé que soient produits aux fins de contre-interrogatoire au voir dire, d’autres témoins du ministère public et il n’a présenté aucune preuve sur cette question.

Après l’argumentation, le juge Matheson a statué que la «continuité de l’intention d’obtenir une déclaration au moyen de ce déguisement» fait douter que la déclaration incriminante ait été correctement obtenue et donc qu’elle était irrecevable.

Le ministère public n’a présenté aucune autre preuve au procès et, à la demande du substitut du procureur général et suivant les directives du juge Matheson, le jury a rendu un verdict de «non culpabilité» de possession.

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La majorité de la Cour d’appel a statué qu’il fallait ordonner un nouveau procès. Le juge Jessup (le juge Weatherston souscrivant à son opinion) a conclu que, puisque l’appelant ne considérait pas l’agent double comme une personne «ayant autorité», la déclaration n’était pas régie par les règles spéciales relatives aux confessions. Le juge Jessup a poursuivi en disant que même si l’appelant avait considéré l’agent McKnight comme une personne ayant autorité, les conditions énoncées dans l’arrêt Ibrahim v. The King[14], quant au caractère volontaire des déclarations de l’accusé avaient été satisfaites.

Le juge Dubin, dissident, a exprimé l’opinion que le juge du procès a eu raison d’exclure la déclaration et aurait rejeté l’appel. Il a conclu que le fondement de la règle applicable aux confessions ne se rattachait pas uniquement à l’exactitude de la déclaration en question et il a dit que les règles relatives aux confessions et au droit d’un accusé de ne rien dire étaient connexes. Il s’est dit d’avis que le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d’exclure une confession à cause de la façon dont elle a été obtenue.

Il faut trancher la présente affaire dans le contexte des règles spéciales qui se sont élaborées relativement à la preuve obtenue au moyen d’une confession. Dans Phipson on Evidence, 12e éd., à la p. 337, paragraphe 792, nous trouvons le passage suivant:

[TRADUCTION] Nous retrouvons l’énoncé classique du principe applicable à la recevabilité des confessions dans l’avis qu’a formulé lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim v. R. ([1914] A.C. 599, 609) «C’est une règle formelle du droit criminel anglais depuis longtemps établie qu’aucune déclaration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est-à-dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne ayant autorité. Ce principe remonte à lord Hale».

La déclaration de lord Sumner a été adoptée par cette Cour dans les arrêts Boudreau c. Le Roi[15] et R .c. Fitton[16].

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Il faut d’abord décider si l’agent McKnight était une «personne ayant autorité» parce que, sauf lorsqu’elle est faite à une personne ayant autorité, une déclaration incriminante d’un accusé est recevable contre lui dans des procédures criminelles tout comme elle le serait dans des procédures civiles et aucune condition spéciale n’exige que le ministère public établisse que la déclaration était volontaire.

Les deux parties reconnaissent que, pour trancher cette question, il faut appliquer un critère subjectif, savoir, lorsqu’il a fait sa déclaration à McKnight, l’appelant croyait-il que McKnight était une personne ayant autorité? La Cour d’appel a approuvé l’application de ce critère. Le juge Jessup a dit (à la p. 380):

[TRADUCTION] A mon avis l’agent de police en l’espèce n’était pas une personne ayant autorité parce qu’il n’était pas considéré comme tel par l’intimé. Comme l’a dit le juge Kaufman de la Cour d’appel dans Admissibility of Confessions in Criminal Matters, 2e éd. (1974), à la p. 54:

Nous soumettons que le véritable critère est très subjectif: Au moment où il a fait sa déclaration, l’accusé a-t-il réellement cru que la personne à qui il s’adressait détenait un certain pouvoir sur lui? En d’autres mots, l’accusé croyait-il que la personne à qui il faisait une confession (ou à l’instigation de laquelle il a fait une confession), pouvait soit tenir sa promesse soit donner suite à ses menaces? Dans l’affirmative, cette personne doit être considérée comme une personne ayant autorité; dans la négative, il n’est pas nécessaire d’appliquer les règles relatives aux personnes ayant autorité même si la personne était, d’un point de vue purement objectif, une personne ayant autorité.

Le juge Freedman, juge en chef du Manitoba, a exprimé une opinion analogue dans Studies in Canadian Criminal Evidence (1972) à la p. 118:

Supposons, par exemple, un policier vêtu comme un prisonnier et qui est considéré comme tel par l’accusé. Il n’est alors pas une personne ayant autorité. Le critère est évidemment subjectif. Les cours considèrent l’effet de l’incitation sur l’esprit de l’accusé dans les circonstances données. Selon le discernement de l’accusé, était-il raisonnable que ce dernier pense que l’instigateur pouvait tenir promesse ou donner suite à

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sa menace, selon le cas? Dans l’affirmative, comme ce sera vraisemblablement le cas lorsqu’il s’agit manifestement d’un policier, l’incitation sera censée émaner d’une personne ayant autorité. Dans la négative, comme lorsque l’accusé avoue à un autre prisonnier, ignorant qu’il est un policier, on considère que l’incitation n’émane pas d’une personne avant autorité.

En retenant cette théorie, le juge Jessup était d’accord avec quatre cours d’appel provinciales qui ont appliqué le critère subjectif: R. v. Pettipiece[17], R. v. Muisi (No. 1)[18], Metenko v. The Queen[19] et R. v. Stewart[20].

Je souscris à l’opinion du juge Jessup que, dans les circonstances de la présente affaire, il faut appliquer un critère subjectif. Je souscris également à sa conclusion que McKnight n’était pas une personne ayant autorité parce que l’appelant ne le considérait pas comme tel. Absolument aucune preuve n’indique qu’au moment où l’appelant a révélé à McKnight qu’il faisait le commerce des stupéfiants, il croyait que McKnight était un agent de police. L’appelant n’a pas témoigné au voir dire et donc il n’a pas dit l’avoir cru. Au voir dire, aucune preuve n’a été soumise en son nom. Lorsqu’il s’est adressé à McKnight pour la première fois, l’appelant lui a bien dit qu’il «ressemblait à un mouchard», mais, au cours de leur conversation, ce doute s’est évidemment dissipé. Il est évident qu’il n’aurait pas fait un aveu de cette nature à McKnight s’il avait cru que celui-ci était un agent de police, il l’a fait parce qu’il croyait que McKnight était un codétenu.

Une fois admis qu’elle n’avait pas été faite à une personne ayant autorité, la confession de l’appelant était recevable sans que le ministère public ait à établir qu’elle était volontaire. Il s’agissait d’une confession comme celle qui aurait été faite à une personne autre qu’un agent de police. A mon avis, c’était une erreur de la déclarer irrecevable.

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Avec égards pour l’opinion dissidente du juge Dubin de la Cour d’appel, je suis d’avis que le privilège contre l’auto-incrimination ne s’applique pas dans les circonstances de l’espèce. L’étendue du privilège contre l’auto-incrimination a été clairement définie par mon collègue le juge Dickson dans l’arrêt Marcoux et Solomon c. La Reine[21], aux pp. 768 et 769:

La limite du privilège contre l’auto-incrimination est claire. Le privilège est celui d’un témoin de ne pas répondre à une question qui peut l’incriminer. C’est là tout ce que signifie la maxime latine nemo tenetur seipsum accusare, que l’on avance souvent à tort pour étayer une proposition beaucoup plus générale.

En résumé, le privilège s’applique à l’accusé en tant que témoin et non pas en tant qu’accusé; il s’applique particulièrement à la contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général.

Une demande de protection contre l’auto-incrimination ne peut être présentée que lorsqu’un tribunal ou une autorité cherche à contraindre une personne à divulguer une chose qu’elle ne veut pas divulguer. En l’espèce, personne n’a cherché à contraindre l’appelant à faire la divulgation. C’est tout à fait de son propre gré que l’appelant a donné les renseignements à l’agent McKnight.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le présent pourvoi. Cependant, dans ses motifs, le juge Jessup a ensuite examiné la question de savoir si la confession de l’appelant était à bon droit recevable même si l’on prenait pour acquis que McKnight était une personne ayant autorité. Il a conclu qu’elle était recevable. Cette question a été débattue à fond devant cette Cour et je formulerai mon opinion à ce sujet.

J’aimerais souligner au départ qu’en statuant sur la recevabilité de la confession, le juge du procès a tiré les conclusions suivantes:

[TRADUCTION] En l’espèce, je suis convaincu que la déclaration de Rothman à l’agent Earl Grant McKnight qui, je pourrais ajouter, agissait dans l’exécution de ses fonctions, ne semble pas être inspirée par la crainte d’un préjudice, ni par l’espoir d’un avantage du fait qu’il ait

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été induit en erreur ou amené à croire par la ruse qu’il parlait à un codétenu.

Selon ces conclusions, les déclarations de l’intimé répondaient aux exigences relatives à la recevabilité d’une confession formulées dans l’arrêt Ibrahim. Toutefois, le juge du procès a refusé de recevoir en preuve la confession pour le motif suivant:

[TRADUCTION] Cependant, compte tenu des faits en l’espèce, je suis d’avis que la continuité de l’intention d’obtenir une déclaration au moyen de ce déguisement fait douter que la déclaration incriminante ait été correctement obtenue, et dans les circonstances j’estime devoir conclure qu’elle est irrecevable ici.

A mon avis, le juge du procès ne pouvait fonder son refus de recevoir en preuve la confession sur sa seule désapprobation de la méthode par laquelle elle avait été obtenue. La question en litige était de savoir si la confession était volontaire.

J’ai déjà fait remarquer que cette Cour a accepté la déclaration de lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim quant au critère pour déterminer si une confession est volontaire. En prononçant son propre jugement dans l’arrêt Boudreau, le juge Rand a mentionné l’arrêt Ibrahim et la déclaration qu’il a faite aux pp. 269 et 270 a été citée par le juge Hall de cette Cour dans l’arrêt Piché c. La Reine[22] à la p. 37 et par le juge Spence dans l’arrêt Ward c. La Reine[23] aux pp. 39 et 40:

[TRADUCTION] Les affaires Ibrahim v. Rex [1914] A.C. 599, Rex v. Voisin, (1918) 1 K.B. 531 et Rex c. Prosko, 63 R.C.S. 226 posent en principe que la question fondamentale est d’établir si la déclaration est volontaire. Sans aucun doute, l’arrestation et la présence des policiers tendent à susciter une certaine crainte qu’une mise en garde peut suffire ou ne pas suffire à dissiper; la règle vise à écarter le risque d’aveux provoqués irrégulièrement, soutirés ou extorqués. C’est le doute que les circonstances où elle est faite font naître sur la véracité de la déclaration qui donne lieu à la règle. La déclaration doit être celle d’une personne dont la volonté est libre de contraintes ou d’incitations de l’autorité et ce que l’on recherche c’est l’assurance que tel est bien le cas. La question fondamentale et décisive est donc celle-ci: la déclaration a‑t-elle été faite librement et volontairement?

[Page 667]

Cette déclaration a été interprétée comme suit par le juge Pickup, juge en chef de l’Ontario, dans l’arrêt R. v. Fitton[24] aux pp. 714 et 715:

[TRADUCTION] A mon avis, le ministère public ne se libère pas de son obligation simplement en présentant des témoignages qui établissent que la déclaration incriminante de l’accusé n’a pas été obtenue par une promesse ou la crainte d’un préjudice ou l’espoir d’un avantage. Cette formulation de la règle de droit est trop restreinte. Les aveux ne doivent pas avoir été «provoqués irrégulièrement, soutirés ou extorqués»: le juge Rand dans Boudreau c. Le Roi, précité, à la p. 269. Les aveux doivent être faits volontairement et la déclaration doit être celle d’un homme «dont la volonté est libre de contraintes ou d’incitations de l’autorité». La déclaration doit être «faite librement et volontairement». Appliquant ce principe aux faits particuliers de l’espèce, j’en viens à la conclusion que le ministère public n’a pas réussi à démontrer que la déclaration verbale faite par l’appelant, ou la déclaration écrite qu’il a faite immédiatement après, étaient libres et volontaires.

Quand cette Cour a été saisie de cette affaire en appel, elle a statué que son arrêt Boudreau n’élargissait en aucune façon la règle formulée dans l’arrêt Ibrahim et qu’en droit une déclaration demeurait recevable en preuve si l’on établissait qu’elle a été faite volontairement, c.-à-d. qu’elle n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne ayant autorité.

Le juge Rand a dit aux pp. 962 et 963:

[TRADUCTION] Parlant au nom de la majorité de la Cour d’appel, le Juge en chef de l’Ontario a considéré l’expression «librement et volontairement», employée dans l’arrêt Boudreau c. Le Roi, comme si elle désignait seulement une déclaration spontanée, aucunement reliée à une autre chose qui serait la cause ou l’occasion à l’origine du comportement des agents de police; avec égards, c’est là une interprétation erronée de ce qui a été dit dans cet arrêt. Il faut interpréter le texte cité dans le contexte des questions qui étaient examinées. Comme l’indiquent les premiers mots, on ne voulait pas s’écarter de la règle formulée dans la jurisprudence mentionnée; l’expression «dont la volonté est libre de contraintes ou d’incitations de l’autorité» (Boudreau c. Le Roi, précité, à la p. 269) signifie libre des contraintes ou de la crainte d’un préjudice et de l’espoir d’un avantage possible, selon qu’il y a aveu ou pas. La crainte ou l’espoir

[Page 668]

peuvent être provoqués, occasionnés ou suscités, toutes ces expressions s’appliquant à l’esprit du confesseur qui a incité ou obtenu l’aveu.

Dans un passage précédent, à la p. 962, il avait dit:

[TRADUCTION] La règle sur la recevabilité des confessions qui, conformément à la jurisprudence anglaise, a été reformulée dans l’arrêt Boudreau c. Le Roi, est parfois difficile d’application parce que sa formulation tend à dissimuler des considérations sous-jacentes pertinentes à la décision. Les cas de torture ou de menaces de torture ou de promesses éhontées sont clairs; la situation se complique lorsque des éléments beaucoup plus subtils doivent être évalués. La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est-à-dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter.

Cette Cour s’est penchée sur la recevabilité d’une confession dans deux arrêts récents. Dans l’arrêt Horvath c. La Reine[25], l’accusé s’est volontairement entretenu pendant environ quatre heures avec un opérateur de détecteur de mensonges. Toute la conversation a été enregistrée. A trois reprises, pendant l’entretien, l’agent a laissé l’appelant seul dans la pièce. Pendant ces laps de temps l’appelant réfléchissait à haute voix, se livrant à ce qu’on a appelé des monologues ou des soliloques. Pendant le deuxième monologue l’appelant a avoué avoir tué sa mère. Après le deuxième monologue l’appelant a réitéré ses aveux à l’agent de police. Pendant le troisième monologue, l’appelant a demandé à sa mère de lui pardonner d’avoir dévoilé l’incident. A la fin, l’accusé a signé une confession écrite.

Le juge du procès a accepté l’opinion d’un psychiatre que jusqu’à la fin du deuxième monologue l’accusé était dans un état d’hypnose légère. Il a refusé d’admettre la confession parce que pendant une partie appréciable de l’entretien et immédiatement avant de passer aux aveux, l’accusé était dans un état d’hypnose.

Trois juges de cette Cour, sur les sept qui ont entendu ce pourvoi, ont appuyé l’arrêt de la Cour

[Page 669]

d’appel de la Colombie-Britannique et conclu que la confession était recevable puisque l’état d’hypnose était terminé avant que les aveux écrits ne soient faits et qu’aucune preuve n’indiquait qu’ils avaient été obtenus par crainte d’un préjudice ou espoir d’un avantage. Deux membres de la majorité ont conclu que la confession n’était pas recevable parce que, étant donné toutes les circonstances, elle n’était pas libre et volontaire. Le juge Spence a dit à la p. 408:

A mon avis, il faut restreindre la portée de l’arrêt Fitton, de manière à ne pas juger recevable une déclaration faite par un accusé qui, sans être provoquée par l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un préjudice, n’est certainement pas volontaire au sens ordinaire de ce terme en anglais parce qu’elle l’a été par d’autres circonstances comme c’est le cas en l’espèce.

Deux autres membres de la majorité ont conclu que la confession n’était pas recevable, parce qu’une hypnose provoquée sans consentement par une personne ayant autorité devait être ajoutée au motif d’exclusion mentionné dans l’arrêt Ibrahim. La confession écrite, bien qu’elle ait été faite après que l’accusé fut sorti d’un état d’hypnose, découlait directement de la déclaration antérieure faite sous hypnose. Donc elle n’était pas volontaire.

L’affaire Ward c. La Reine[26] portait sur la recevabilité d’une confession dans une affaire de négligence criminelle dans la conduite d’un véhicule à moteur. Cet accident n’impliquait qu’un seul véhicule. L’accusé et sa compagne, la défunte, ont été trouvés sur le sol à l’extérieur de la voiture. Il était inconscient et a dû être ranimé par la respiration artificielle qui a été pratiquée par les occupants du premier véhicule arrivé sur les lieux de l’accident. La question en litige était de savoir qui de l’accusé ou de la victime conduisait le véhicule au moment de l’accident.

La police a interrogé l’accusé environ une demiheure après l’accident puis à l’hôpital quelque cinq ou six heures plus tard. Il a admis à l’agent de police qu’il conduisait le véhicule bien que plus tôt il ait dit à la personne qui l’avait ranimé qu’il n’était pas le conducteur. Au cours du voir dire, il a déclaré ne se souvenir de rien depuis le moment où il était à l’hôtel Palliser, Calgary, quelques

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heures avant l’accident. Le médecin qui Fa traité à l’hôpital a dit que l’accusé pouvait répondre à des questions simples mais qu’il était incapable de lui dire ce qui était arrivé.

Prononçant l’arrêt de la Cour, le juge Spence a cité le passage susmentionné des motifs du juge Rand dans Boudreau et a insisté sur les derniers mots «La question fondamentale et décisive est donc celle-ci: la déclaration a-t-elle été faite librement et volontairement?» Il a poursuivi en disant à la p. 40:

J’ai souligné la dernière phrase de cet extrait pour indiquer qu’à mon avis, lorsque l’on cherche à savoir s’il y a eu espoir d’un avantage ou crainte d’un préjudice incitant l’accusé à faire des déclarations, on essaie simplement de savoir si les déclarations ont été «faites librement et volontairement». A mon avis, il faut en outre, même lorsqu’on ne peut établir qu’il y a eu espoir d’un avantage ou crainte d’un préjudice, se demander si les déclarations ont été faites librement et volontairement, compte tenu de l’état mental de l’accusé au moment où il les a faites pour déterminer si elles reflètent l’état d’esprit conscient de l’accusé. A mon avis, le juge Manning a pris en considération l’état physique et mental de l’accusé tout d’abord pour décider si une personne dans son état pouvait être influencée par l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un préjudice en faisant les déclarations, alors qu’une personne normale ne l’aurait peut-être pas été et, deuxièmement, pour décider si, vu l’état mental et physique, on peut vraiment reconnaître dans ces paroles les propos d’un esprit totalement conscient. Le juge Manning avait un doute raisonnable sur ces deux points et a donc jugé les déclarations irrecevables. On ne nie pas qu’un doute raisonnable du juge du procès sur la question suffit à justifier son refus d’admettre les déclarations en preuve.

Dans les arrêts Horvath et Ward, malgré l’absence de la crainte d’un préjudice ou de l’espoir d’un avantage promis par une personne ayant autorité, les confessions ont été jugées irrecevables principalement en raison d’un doute raisonnable quant à savoir si la confession en question était «les propos d’un esprit totalement conscient».

La même question s’est posée dans l’affaire Nagotcha c. La Reine[27]. Dans cette affaire le juge du procès a admis en preuve certaines déclarations

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incriminantes faites par l’accusé le jour de son arrestation et quelques mois plus tard lorsqu’il a été renvoyé à un centre psychiatrique par un juge de la Cour provinciale.

L’accusé n’a pas témoigné au voir dire mais un psychiatre a témoigné avoir diagnostiqué que l’appelant souffrait de schizophrénie paranoïaque. Il a témoigné qu’au départ l’accusé était incapable de subir son procès mais que son état s’était amélioré par suite de traitements et sa capacité de subir son procès n’a pas été contestée lorsque le procès a débuté. L’aliénation mentale n’a pas été invoquée en défense.

Le juge en chef Laskin, prononçant le jugement de la Cour qui a maintenu la décision du juge du procès, a dit à la p. 716:

Il est clair qu’il y avait des éléments de preuve sur lesquels le juge du procès pouvait se fonder pour décider que les déclarations incriminantes étaient admissibles; ce serait aller trop loin que d’adopter, comme règle invariable, que les déclarations incriminantes d’un aliéné sont ipso facto inadmissibles: voir Sinclair v. The King, (1946), 73 C.L.R. 316; R. v. Basto (1954), 91 C.L.R. 628. C’est sur une supposée distinction entre le critère formulé dans un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, R. v. Santinon (1973), 11 C.C.C. (2d) 121, [21 C.R.N.S. 323, [1973] 3 W.W.R. 113], et celui énoncé par cette Cour dans le jugement prononcé par le juge Spence dans Ward c. la Reine, [1979] 2 R.C.S. 30, [(1979), 44 C.C.C. (2d) 498, 94 D.L.R. (3d) 18], que se fonde l’argument principal que le juge du procès a appliqué le mauvais critère quant au caractère volontaire, à l’égard de déclarations faites par un schizophrène paranoïaque. On a dit que le juge O’Driscoll avait adopté le critère énoncé dans l’arrêt Santinon, et on fait valoir que l’arrêt Ward, qui n’avait pas été rendu à l’époque où le procès de l’accusé a eu lieu, prescrit un critère différent, plus favorable à ce dernier. Ce n’est pas là mon interprétation de ces deux arrêts.

Il a poursuivi en citant un extrait du jugement du juge Bull de la Cour d’appel dans l’arrêt Santinon et du juge Spence dans l’arrêt Ward et a conclu que, bien qu’il n’ait pas employé l’expression «état d’esprit conscient», le juge du procès avait tenu compte des éléments appropriés.

J’ai examiné la jurisprudence de cette Cour afin d’établir que, pour décider de la recevabilité d’une confession faite à une personne ayant autorité, la

[Page 672]

Cour ne doit pas s’interroger directement sur l’exactitude ou la véracité de la déclaration faite par l’accusé, mais qu’elle doit plutôt chercher à savoir si la déclaration a été faite librement et volontairement, suivant les règles et si l’on reconnaît dans cette confession les propos d’un esprit totalement conscient.

On a prétendu que cette Cour a adopté une nouvelle règle relativement à la recevabilité des confessions dans l’arrêt Alward et Mooney c. La Reine[28]. Je n’accepte pas cette prétention pour les raisons suivantes.

Dans cette affaire les appelants ont été accusés de meurtre au cours d’un vol qualifié. Au début de ses motifs, le juge Spence, parlant pour la majorité de la Cour, a fait remarquer, à la p. 561, que bien que les appelants aient présenté un grand nombre de moyens d’appel, on avait demandé au substitut du procureur général, intimé, de ne répondre qu’à trois d’entre eux, savoir:

1. L’admissibilité de la preuve d’actes similaires.

2. L’exposé du juge du procès sur l’ivresse.

3. L’application du sous-al. 613(1)b)(iii) du Code criminel.

Le juge du procès a conclu que les déclarations de l’accusé relatives à l’inculpation de meurtre étaient volontaires et la Cour d’appel a souscrit à cette opinion. Cette Cour n’a pas demandé à l’intimé de plaider sur cette question.

Le juge Limerick qui a prononcé les motifs de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick[29] a traité comme suit de la recevabilité de toutes les déclarations faites par l’accusé et non pas seulement celles concernant la perpétration de l’infraction imputée aux pp. 431 et 432:

[TRADUCTION] Le juge du procès a conclu que toutes les déclarations données ou faites par l’appelant étaient volontaires. La preuve n’indique pas qu’il se soit trompé sur ce point. Suivant la règle initialement appliquée, aucune déclaration faite par l’accusé n’est recevable en preuve contre lui à moins que la poursuite n’établisse qu’il s’agit d’une déclaration volontaire en ce sens qu’elle

[Page 673]

n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne ayant autorité. Il faut toujours interpréter le terme «volontaire» dans ce sens particulier et non pas dans le sens d’être spontané. Le fait qu’on ait pu poser certaines questions de façon à susciter la déclaration ne détruit pas le caractère volontaire de la déclaration. Cette règle de droit pénal anglais a été adoptée par nos cours qui ont également adopté, dans une large mesure, par la jurisprudence, l’autre règle de pratique anglaise suivant laquelle la déclaration, pour être recevable, ne doit pas avoir été obtenue par oppression. En l’espèce je ne peux trouver aucune preuve d’oppression qui permettrait à la Cour d’annuler la conclusion du juge du procès.

Le fait que l’agent Munn ait dit au sergent Scott en la présence de l’appelant que le vieil homme avait repris conscience et pourrait identifier ses assaillants, bien que cela ait été faux et susceptible de susciter la crainte chez l’appelant, ne rend pas la déclaration irrecevable. La crainte envisagée par la règle de preuve n’est pas la crainte d’être surpris ou identifié ni la crainte inspirée par la conscience coupable de l’accusé, mais une crainte de représailles s’il refuse de parler ou de faire la déclaration.

Le principe qui sous-tend la règle est que l’accusé peut avoir été incité ou amené à faire une fausse déclaration et, dans l’incertitude quant à l’exactitude de la déclaration, il serait imprudent d’accepter une déclaration faite sous l’influence de la crainte ou de l’espoir.

Le véritable critère est le suivant: la preuve présentée par le ministère public a-t-elle établi que personne n’a usé de son autorité pour inciter les accusés à faire des déclarations pouvant être fausses? Le ministère public a rempli cette exigence.

On prétend que le dernier paragraphe de cette citation formule un nouveau critère quant à la recevabilité de la déclaration. Il faudrait noter, toutefois, qu’au début du passage précité le juge Limerick cite la règle quant au caractère volontaire «adoptée par nos cours». L’alinéa en question se rapporte à la fausse déclaration faite par les agents de police à l’accusé que la victime avait repris conscience et pourrait identifier ses assaillants. Lu dans ce contexte, je ne crois pas que cet alinéa élargisse le droit régissant la recevabilité des confessions. Le juge Limerick a correctement examiné la question du caractère volontaire et, ce qui est significatif, n’a pas exclu les déclarations parce qu’elles avaient été incitées par tromperie.

[Page 674]

Dans les motifs qu’il a rendus pour cette Cour, le juge Spence a cité, du jugement du juge Limerick, les trois raisons que le juge du procès a invoquées pour recevoir en preuve les déclarations de l’accusé concernant les autres incidents, soit deux vols commis dans des motels et dans lesquels ils étaient impliqués. La recevabilité d’une preuve d’actes similaires est l’un des trois moyens sur lesquels la Cour a entendu des plaidoiries.

Le juge Spence s’est exprimé comme suit aux pp. 562 et 563:

Après avoir longuement analysé la preuve relative aux déclarations, le juge Limerick a conclu:

[TRADUCTION] Le véritable critère est le suivant: la preuve présentée par le ministère public a-t-elle établi que personne n’a usé de son autorité pour inciter les accusés à faire des déclarations pouvant être fausses? Le ministère public a rempli cette exigence.

Cette Cour a partagé cette conclusion.

Compte tenu de ces faits, je ne crois pas que l’on puisse dire que cette Cour, de cette façon fortuite et indirecte, a adopté un nouveau critère pour la recevabilité d’une confession. Cela est confirmé par le fait que dans l’arrêt Horvath, rendu moins de deux ans plus tard, le juge Spence, dans ses motifs, n’a fait aucune mention de l’arrêt Alward. Ses remarques se rapportaient à la portée de l’arrêt Fitton. S’il avait été d’avis que l’arrêt Alward formulait un nouveau critère de recevabilité d’une confession il l’aurait certainement appliqué dans l’arrêt Horvath.

Ce qui est significatif dans l’arrêt Alward, relativement au présent pourvoi, est que cette Cour a jugé recevable des déclarations faites par l’accusé malgré le fait que l’agent de police avait volontairement donné à l’accusé de faux renseignements suivant lesquels la victime avait repris conscience et pourrait identifier ses assaillants. Rien ne laisse croire dans l’arrêt Alward que le juge du procès pouvait exclure cette confession en raison de cette manière d’agir.

A mon avis, l’effet des arrêts de cette Cour quant à la recevabilité des confessions est que pour qu’une confession soit recevable le ministère public doit remplir les exigences énoncées dans l’arrêt Ibrahim. Même lorsque cela a été fait, certaines

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circonstances relatives à l’obtention de la confession peuvent permettre à la Cour de conclure que la confession n’était pas libre et volontaire, par exemple, les affaires Horvath et Ward où il y avait un doute raisonnable quant à savoir si la déclaration était la manifestation d’un esprit totalement conscient. En pareil cas la confession est irrecevable.

L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. v. McLeod[30] présente un intérêt à ce point de vue. Le juge Laskin (maintenant Juge en chef du Canada) prononçant l’arrêt de la Cour d’appel a dit aux pp. 103 et 104:

[TRADUCTION] L’accusée, appelante, a passé une heure environ au poste avec les policiers au cours de laquelle elle a été interrogée et a fait une déclaration; ensuite elle a été inculpée.

Deux agents de police étaient présents pendant l’interrogatoire auquel un seul a participé. Il a cherché, dit-il, à la mettre à l’aise, par des questions non liées au vol, et a ensuite relaté la suite des événements survenus la nuit du vol. N’obtenant aucune réponse de l’accusée, il lui a ensuite dit que la victime était toujours inconsciente à l’hôpital et qu’elle était dans un état critique. L’agent de police a admis qu’il s’agissait là de mensonges. L’accusée qui a également fait ce récit de ce que l’agent lui avait dit, a témoigné au voir dire qu’elle était devenue effrayée, qu’elle avait commencé à pleurer et qu’elle avait commencé à faire une déclaration. L’agent l’a amenée dans une pièce plus petite, lui a demandé de répéter son histoire et l’a dactylographiée. L’accusée a hésité lorsque l’agent lui a demandé de signer mais (selon son témoignage) a accepté après que l’agent lui eut dit que sa déclaration ne l’incriminerait pas.

Les principes de droit généraux relatifs à la recevabilité des déclarations incriminantes ont été péremptoirement formulés pour cette cour par la Cour suprême du Canada dans Boudreau c. Le Roi, [1949] R.C.S. 262, 7 C.R. 427, 94 C.C.C. 1, [1949] 3 D.L.R. 81, et réaffirmés dans Regina c. Fitton, [1956] R.C.S. 958, 24 C.R. 371, 116 C.C.C. 1, 6 D.L.R. (2d) 529, 10 Can. Abr. (2nd) 6479. Mais, comme les juges Rand et Kellock l’ont fait remarquer dans ce dernier arrêt (à la p. 962), ces principes présentent parfois des difficultés d’application parce que leur formulation tend à dissimuler des considérations sous-jacentes pertinentes à la décision; et ils poursuivent:

«Les cas de torture ou de menaces de torture ou de promesses éhontées sont clairs; la situation se compli-

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que lorsque des éléments beaucoup plus subtils doivent être évalués. La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est-à-dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter.»

Je suis d’avis en l’espèce, contrairement à la décision du juge du procès, que le ministère public ne s’est pas libéré du fardeau dé la preuve sur cette question.

En parvenant à cette conclusion, je ne rejette pas en droit tous les stratagèmes que la police ou les autres personnes ayant autorité peuvent utiliser lorsqu’ils interrogent une personne en état d’arrestation. Dans chaque cas, la question en vertu du droit applicable doit être de savoir s’ils suscitent ou s’ils ont été employés en vue de susciter chez la personne l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un préjudice, ou si leur caractère oppressif (pour employer une expression des règles judiciaires anglaises) soulève un doute quant à savoir si une déclaration incriminante qui en découle a été obtenue de façon régulière. Je suis d’avis, en m’appuyant sur la lecture de l’ensemble du dossier, que les mensonges et incidents reliés à cette affaire ont eu l’effet illicite de susciter la déclaration incriminante.

Le juge Jessup qui était membre de la Cour d’appel qui a rendu l’arrêt McLeod a fait le commentaire suivant sur cet arrêt dans la présente affaire.

[TRADUCTION] Etant donné toutes les circonstances, y compris l’effet émotionnel qu’ont eu sur l’accusé les mensonges que lui a racontés l’agent de police, qui ont suscité chez elle la crainte, la cour a conclu que le ministère public ne s’était pas acquitté de l’obligation de prouver que la déclaration de l’accusée était volontaire.

Les circonstances de l’espèce sont tout à fait différentes de celles de l’affaire McLeod. On ne prétend pas que l’esprit de l’accusé ait été troublé par le comportement de l’agent de police. Aucune personne que l’accusé tenait pour une personne ayant autorité n’a cherché par l’oppression, la force, ou même la persuasion, à obtenir une déclaration de l’accusé. Sa déclaration a été faite librement et volontairement. Les circonstances de l’affaire démontrent seulement que l’accusé s’est trompé sur l’identité de la personne à laquelle il

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s’adressait. L’accusé croyait qu’il s’agissait d’un codétenu qui figurait comme un auditeur sympathique.

Pour ces motifs, je suis d’avis que la déclaration est recevable même si McKnight doit être considéré comme une personne ayant autorité.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

LE JUGE LAMER — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a accueilli l’appel de la poursuite à l’encontre d’un acquittement et ordonné un nouveau procès.

L’appelant a été accusé, en Cour des sessions générales de la paix du district judiciaire d’Ottawa-Carleton, de possession de résine de cannabis pour en faire le trafic. Le débat porte sur la recevabilité d’une confession. Par suite d’un voir dire, le juge de la Cour de comté a décidé que cette confession était irrecevable et il a ordonné un acquittement. Les circonstances qui ont mené à l’arrestation, à la déclaration de l’accusé et à la décision du juge se trouvent à l’exposé conjoint des faits[31] présenté par les parties:

[TRADUCTION] Le 9 novembre 1976, vers 14 h 30, le sergent Woods et les agents Lauzon, Carvish et Gervais de la police municipale d’Ottawa ont effectué une perquisition au 1365, rue Bank, appartement 1102, en la ville d’Ottawa, en vertu d’un mandat de perquisition. Donal Bonner (né le 26/06/57), Timothy Hrehoriak (né le 24/12/60) et l’intimé (né le 21/12/45), se trouvaient alors sur les lieux. L’intimé a informé l’agent Gervais qu’il habitait à cet endroit avec une nommée Nancy Olson. Dans l’une des chambres à coucher, le sergent Woods a trouvé 128.54 grammes de hachisch, un ensemble de balances, un couteau et une boîte contenant du papier d’étain. Une analyse a révélé que les balances et le couteau portaient des traces de hachisch.

L’intimé a reçu une mise en garde puis a été amené, avec Bonner et Hrehoriak, au poste de police municipale d’Ottawa au 60, rue Waller. Avant de l’envoyer en cellule, l’agent Gervais a demandé à l’intimé s’il désirait faire une déclaration, mais ce dernier a refusé. Plus tard l’intimé a été amené hors de sa cellule, inculpé de possession de hachisch pour en faire le trafic et renvoyé à la même cellule.

[Page 678]

Le 10 novembre 1976, vers 1 h 00, l’agent McKnight de la police municipale d’Ottawa, agissant en qualité d’agent double, a été placé dans une cellule de huit pieds sur huit pieds, occupée par l’intimé seul, au poste de la police municipale d’Ottawa. L’agent McKnight a été placé dans la cellule conformément aux directives de l’agent Gervais, l’agent enquêteur, afin d’obtenir des détails de l’intimé concernant l’inculpation contre lui. Au cours du procès, un voir dire a été tenu pour déterminer si l’agent Earl McKnight était une personne en situation d’autorité. A ce moment-là, l’agent McKnight n’était pas armé, il portait un blue-jean, une veste bleue et des bottes brunes et avait une barbe de quatre à cinq jours. Au voir dire, l’agent McKnight a témoigné que l’intimé lui avait paru normal et ne pas être sous l’influence de l’alcool. Aucun agent de police ou autre personne n’était visible de la cellule. L’agent McKnight ne s’est pas identifié comme membre de la police municipale d’Ottawa et l’intimé ne paraît pas l’avoir considéré comme tel.

L’intimé s’est adressé à l’agent McKnight dès son entrée dans la cellule en disant que ce dernier «ressemblait à un mouchard». L’agent McKnight a ri et l’intimé a ajouté qu’il ressemblait à un mouchard en raison de son habillement. L’agent McKnight a expliqué qu’il était habillé ainsi parce qu’il était allé pêcher. L’intimé a alors demandé à l’agent McKnight pourquoi il était en prison et ce dernier a répondu que c’était à cause d’une contravention aux règles de la circulation. L’agent McKnight a demandé à l’intimé pourquoi il était en prison et ce dernier a dit que c’était pour possession de hachisch. Pendant qu’il était dans la cellule, l’agent McKnight est demeuré assis à côté de l’intimé sur le seul banc disponible. L’intimé a alors dit à l’agent McKnight qu’il vendait du hachisch à raison de $25 les 3 grammes, qu’il agissait à titre de «dépositaire» au moment où il a été surpris avec le hachisch et qu’il devrait rembourser $1,000 aux gens parce qu’il avait été «arrêté». L’intimé a dit que les stupéfiants qu’il avait lui auraient rapporté $1,800. L’agent McKnight lui a demandé s’il y avait beaucoup de stupéfiants dans la ville et l’intimé a répondu qu’il y en avait environ 40 livres. L’intimé a également dit qu’il avait été arrêté à son appartement avec son copain qui était dans la cellule voisine. Au cours de la conversation, l’agent McKnight a informé l’intimé qu’il était un conducteur de camion de la région de Pembroke et qu’il était allé à la pêche de sorte que l’intimé ait l’impression qu’il n’était pas un mouchard et qu’il ne s’y connaissait pas vraiment en stupéfiants. L’agent McKnight a fait observer que des gens de la région de Pembroke s’intéressaient aux stupéfiants et qu’il aimerait en obtenir; toutefois, aucun marché n’a été conclu. L’intimé a demandé à l’agent McKnight

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quand il serait libéré et il a répondu qu’un copain viendrait payer l’amende. L’intimé a dit qu’il devait comparaître en cour le lendemain matin parce qu’il était sous libération conditionnelle relativement à d’autres accusations. L’agent McKnight a été libéré de la cellule à 1 h 07 et peu après il a consigné ses remarques relatives à la conversation.

Après que l’agent McKnight eut témoigné au voir dire, l’intimé n’a présenté aucune preuve sur la question de savoir si l’agent McKnight était une personne en situation d’autorité.

Après l’argumentation, le juge Matheson a statué que compte tenu de toutes les circonstances l’agent McKnight était une personne en situation d’autorité.

Le ministère public n’a présenté aucune autre preuve au cours du voir dire sur la question de savoir si les déclarations de l’intimé à l’agent McKnight étaient volontaires. L’intimé n’a pas demandé que soient produits, aux fins de contre-interrogatoire au voir dire, d’autres témoins du ministère public et il n’a présenté aucune preuve sur cette question.

Après l’argumentation, le juge Matheson a statué que la «continuité de l’intention d’obtenir une déclaration au moyen de ce déguisement» fait douter que la déclaration incriminante ait été correctement obtenue et donc qu’elle était irrecevable.

Le ministère public n’a présenté aucune autre preuve au procès et, à la demande du substitut du procureur général et suivant les directives du juge Matheson, le jury a rendu un verdict de «non culpabilité» de possession.

La majorité de la Cour d’appel (les juges Jessup et Weatherston, le juge Dubin étant dissident) a exprimé l’avis que le policier à qui la déclaration a été faite n’était pas, aux fins de décider de la recevabilité de la déclaration, une «personne en situation d’autorité», et que la déclaration, si elle est pertinente, était recevable sans qu’il soit nécessaire de tenir un voir dire pour établir si elle répond au critère particulier établi dans l’arrêt Ibrahim v. The King[32]. Elle a retenu cette conclusion, en ce qui a trait au policier, en adoptant et en appliquant un critère subjectif suivi par plusieurs cours canadiennes[33] et que Kaufman résume

[Page 680]

comme suit dans la troisième édition de The Admissibility of Confessions (à la p. 81):

[TRADUCTION] Nous soumettons que le véritable critère est très subjectif: Au moment où il a fait sa déclaration, l’accusé a-t-il réellement cru que la personne à qui il s’adressait détenait un certain pouvoir sur lui? En d’autres mots, l’accusé croyait-il que la personne à qui il faisait une confession (ou à l’instigation de laquelle il a fait une confession), pouvait soit tenir sa promesse soit donner suite à ses menaces? Dans l’affirmative, cette personne doit être considérée comme une personne en situation d’autorité; dans la négative, il n’est pas nécessaire d’appliquer les règles relatives aux personnes en situation d’autorité même si la personne était, d’un point de vue purement objectif indubitablement en situation d’autorité.

Je souscris à l’opinion de la Cour d’appel de l’Ontario qu’à la seule fin de décider si la déclaration a été obtenue [TRADUCTION] «par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité», (Ibrahim v. The King, précité, à la p. 609), le critère est subjectif et que, dans les circonstances en l’espèce, l’agent McKnigbt n’était pas une personne en situation d’autorité.

Je dois cependant ajouter ici que même si la subjectivité de ce critère est due à ce que plusieurs estiment être une rationalisation (c.-à-d. la possibilité que la déclaration ne soit pas digne de foi) de la règle du caractère volontaire énoncée dans l’arrêt Ibrahim v. The King, (c.‑à-d. sans crainte d’un préjudice ni espoir d’un avantage), la conclusion que le policier n’était pas une personne en situation d’autorité est une fiction qui n’est nécessaire que si la règle est exprimée en fonction du caractère volontaire, et cela n’est plus le cas lorsque la règle est énoncée en fonction de la fiabilité.

Après avoir décidé que la déclaration n’a pas été faite à une personne en situation d’autorité, la Cour d’appel de l’Ontario[34] a ajouté (à la p. 381):

[TRADUCTION] Même si, en l’espèce, l’accusé avait considéré l’agent double comme une personne en situation d’autorité, les conditions posées dans l’arrêt Ibrahim quant au caractère volontaire des déclarations de l’accusé ont été remplies. Les faits admis par les parties n’indiquent nullement que l’agent McKnight ait utilisé la crainte d’un préjudice ou l’espoir d’un avantage.

[Page 681]

Cette deuxième conclusion s’appuyait sur l’arrêt R. c. Fitton[35], dans lequel cette Cour a affirmé de nouveau ce qu’elle avait dit dans l’arrêt Boudreau c. Le Roi[36], adoptant la règle, souvent citée, établie dans l’arrêt Ibrahim, précité, où lord Sumner a dit (à la p. 609):

[TRADUCTION] C’est une règle formelle du droit criminel anglais depuis longtemps établie qu’aucune déclaration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est-à-dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité.[37]

On peut noter avec intérêt que lord Sumner poursuit en disant (aux pp. 610 et 611):

[TRADUCTION] Il faut souligner que logiquement, ces objections s’attachent toutes à la force probante et non à la recevabilité de la preuve. Ce que dit une personne, relativement à l’objet d’un litige dont elle a une certaine connaissance, est pertinent à ce litige et peut lui être opposé. Qu’elle ait fait une déclaration sous l’influence de l’espoir, de la crainte, d’un intérêt ou dans toute autre circonstance n’a d’effet que sur la force probante de cette déclaration. Dans une action en responsabilité délictuelle, une preuve de ce genre ne pourrait être exclue si elle était opposée à l’auteur du délit, mais on pourrait recommander au jury d’être prudent et d’y attacher peu d’importance. Même la règle qui exclut la preuve des déclarations qu’a faites un détenu, obtenues par l’espoir qu’une personne en situation d’autorité lui a fait miroiter ou par la crainte qu’elle lui a inspirée, n’est qu’une règle de conduite judiciaire. «Une confession qu’on obtient en faisant miroiter l’espoir ou en inspirant la crainte est tellement suspecte, lorsqu’il faut établir si elle constitue une preuve de culpabilité, qu’on ne peut lui accorder aucune valeur»: Rex v. Warwickshall (sic) ((1783) 1 Leach, 263). La loi ne présume pas que ces déclarations sont fausses, mais compte tenu du danger d’admettre de telles preuves, les juges ont préféré les rejeter pour la bonne administration de la justice: Reg. v. Baldry ((1852) 2 Den Cr. C. 430, à la p. 445). Par conséquent, lorsque l’espoir ou la crainte n’était pas en jeu, ces déclarations étaient depuis longtemps admises sur une base régulière comme étant pertinentes, même si on hésitait à le faire et qu’on restait prudent quant à leur force probante.

[Page 682]

Dans les motifs de sa dissidence, le juge Dubin de la Cour d’appel de l’Ontario, après avoir dit (à la p. 385) que [TRADUCTION] «… une des justifications de la règle établie dans l’arrêt Ibrahim v. The King, précité, est qu’une confession faite dans ces conditions peut être fausse, mais il ne s’ensuit pas que, une fois la fiabilité de la confession admise, elle devient nécessairement recevable», conclut que, quel qu’en soit son fondement philosophique, la règle n’est pas exhaustive. Il poursuit en affirmant que le juge a le pouvoir discrétionnaire de rejeter une déclaration faite à une personne en situation d’autorité si elle a été obtenue d’une façon qui viole son droit de garder le silence (à la p. 386):

[TRADUCTION] Avec égards, je suis d’avis que les règles relatives aux confessions et au privilège contre l’auto-incrimination sont connexes. J’emploie ce terme dans le sens du droit qu’a une personne en état d’arrestation de garder le silence lorsqu’un agent de police l’interroge.

Je souscris à l’opinion du juge d’appel Dubin que le critère de la fiabilité n’est pas le seul critère de recevabilité d’une déclaration à l’encontre d’un accusé. Je suis aussi d’avis que le juge du procès devrait avoir le pouvoir, qu’il l’ait eu ou non jusqu’à présent, d’exclure, dans certaines circonstances, des déclarations pour des motifs, énoncés ci-dessous, qui n’ont vraiment pas de rapport avec leur fiabilité et ce, même si ces déclarations peuvent être d’une grande valeur probante. Avec égards, cependant, je ne fonderais pas l’exercice de ce pouvoir sur une extension du privilège contre l’auto-incrimination qui consacrerait de cette façon le droit d’un suspect de garder le silence (voir Marcoux et Solomon c. La Reine[38]). Si c’est ce qu’affirme le juge Dubin, et dans la mesure où il le fait, je ne suis pas d’accord avec lui. Dans l’arrêt Marcoux et Solomon c. La Reine, mon collègue le juge Dickson, qui a énoncé les motifs au soutien du jugement de cette Cour (le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré) explique la portée de cette doctrine au Canada (aux pp. 768 et 769):

[Page 683]

La limite du privilège contre l’auto-incrimination est claire. Le privilège est celui d’un témoin de ne pas répondre à une question qui peut l’incriminer. C’est là tout ce que signifie la maxime latine nemo tenetur seipsum accusare, que l’on avance souvent à tort pour étayer une proposition beaucoup plus générale.

Appliqué aux témoins en général, le privilège doit être expressément invoqué par le témoin lorsqu’il est à la barre et que la question lui est posée, Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, art. 5. Appliqué à un accusé, le privilège consiste dans le droit de s’abstenir de répondre. On ne peut demander à un accusé, encore moins l’obliger, de venir à la barre aux témoins ou de répondre à des questions incriminantes. S’il choisit de témoigner, il perd évidemment cette protection. En résumé, le privilège s’applique à l’accusé en tant que témoin et non pas en tant qu’accusé; il s’applique particulièrement à la contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général: Procureur général du Québec c. Bégin [1955] R.C.S. 593; Le renvoi sur la validité de l’article 92(4) du Vehicles Act 1957 (Sask.) [1958] R.C.S. 608; voir aussi l’intéressant article du professeur Ed. Ratushny, «Is there a right against self-incrimination in Canada», (1973) 19 McGill Law Journal 1.

Au Canada, le droit d’un suspect de ne rien dire à la police ne découle pas d’un droit de ne pas s’incriminer, mais n’est que l’exercice, de sa part, du droit général dont jouit toute personne de ce pays de faire ce qui lui plaît, de dire ce qui lui plaît ou de choisir de ne pas dire certaines choses à moins que la loi ne l’y oblige. C’est parce qu’aucune loi ne dit qu’un suspect, sauf dans certaines circonstances[39], doit dire quelque chose à la police que nous disons qu’il a le droit de garder le silence; c’est une façon positive d’expliquer que la loi ne l’oblige pas à agir autrement. Son droit de garder le silence s’appuie alors sur le même principe que celui qui lui accorde la liberté de parole, mais non sur un droit de ne pas s’incriminer. Par conséquent, la violation de son choix de ne rien dire n’est pas une atteinte à un droit de ne pas s’incriminer puisqu’il jouit de ce droit seulement en tant que «témoin» et «accusé» comme on l’explique dans Solomon (précité). Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas tenir compte du fait qu’on a violé le choix

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d’une personne en état d’arrestation de garder le silence; c’est certes une des circonstances dont le juge doit tenir compte quand il examine la recevabilité de sa déclaration en appliquant le critère que je vais décrire plus loin, mais ce n’est qu’une des circonstances, et elle n’aurait pas nécessairement pour effet d’exclure une déclaration comme ce serait le cas si les suspects jouissaient, au Canada, d’un privilège contre l’auto-incrimination aussi étendu que celui dont ils jouissent aux États-Unis. Mais je veux ajouter ici que je souscris à l’opinion du juge Dubin que la règle est reliée au privilège contre l’auto-incrimination puisqu’à mon avis, elle s’appuie en partie sur le droit dont jouit l’accusé de ne pas être contraint de témoigner; mais elle s’y appuie en partie seulement puisque la règle résulte aussi d’un désir qu’ont les juges de protéger la respectabilité du système et, par conséquent, son acceptation même par ceux qu’il sert.

Avec les années, les juges et les auteurs (voir Vincent Del Buono, «Voluntariness and Confessions: A Question of Fact or Question of Law?», (1976-77) 19 Crim. L.Q. 100, aux pp. 100 et 101; E.J. Ratushny, «Self-Incrimination: Nailing the Coffin Shut», (1977-78) 20 Crim. L.Q. 312, «Unravelling Confessions», (1970-71) 13 Crim. L.Q. 453; G.A. Martin, «The Admissibility of Confessions and Statements», (1962-63) 5 Crim. L.Q. 35; A.C. Hutchinson et N.R. Withington, «Horvath v. The Queen: Reflections on the Doctrine of Confessions», (1980) 18 Osgoode Hall L.J. 146) ont analysé avec minutie le choix des mots qu’a employés lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim en vue de déterminer la portée de la règle régissant la recevabilité des déclarations que fait un suspect à des personnes en situation d’autorité (à la p. 609): [TRADUCTION] «… une déclaration volontaire, c’est-à-dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité».

Certains juges ont attribué à ces mots une interprétation stricte et ont décidé que les seuls cas où la règle d’exclusion s’applique sont ceux où il y a «crainte d’un préjudice» et «espoir d’un avantage», et uniquement lorsque la «crainte» ou l’«espoir» ont

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été «dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité».

D’autres se sont fondés sur d’autres passages du jugement pour conclure que ces mêmes mots ne doivent pas être considérés comme exhaustifs, mais comme de simples exemples des circonstances qui peuvent rendre une déclaration involontaire (voir: Vincent Del Buono, précité, à la p. 104). Ils concluent ainsi parce qu’ils estiment que le critère n’est pas un critère de caractère «volontaire» selon le sens véritable que les dictionnaires donnent à ce mot mais qu’il est en fait un critère de «fiabilité». Cette interprétation de l’emploi que fait lord Summer du mot «volontaire» se justifie, selon eux, par sa rationalisation apparente de la règle lorsqu’il cite R. v. Warickshall[40] qui dit (aux pp. 610 et 611) que [TRADUCTION] «Une confession qu’on obtient en faisant miroiter l’espoir ou en inspirant la crainte est tellement suspecte, lorsqu’il faut établir si elle est une preuve de culpabilité, qu’on ne peut lui accorder aucune valeur». D’autres estiment qu’ils ont encore plus de latitude en s’appuyant sur un autre passage des remarques de lord Sumner lorsqu’il dit (à la p. 611): [TRADUCTION] «La loi ne présume pas que ces déclarations sont fausses, mais compte tenu du danger de recevoir ces preuves, les juges ont préféré les rejeter pour la bonne administration de la justice.»

On a dit et écrit beaucoup au sujet de cette règle (du caractère volontaire), de la justification sousjacente qu’on lui attribue (la fiabilité), et de l’existence et de l’étendue d’un pouvoir discrétionnaire résiduel. Dans un arrêt récent, Alward et Mooney c. La Reine[41], cette Cour semble avoir reconnu que le critère du caractère «volontaire» ne devait pas être interprété restrictivement, n’était pas exhaustif et que la preuve d’une conduite, de la part des autorités, qui soulève un doute quant à savoir si l’accusé a été incité à faire une déclaration qui puisse ne pas être digne de foi suffira à la faire exclure, peu importe que l’acte des autorités soit ou non susceptible d’inspirer à l’accusé «la crainte d’un préjudice» ou de créer «l’espoir d’un avantage».

[Page 686]

Dans cette affaire, l’accusé Alward avait fait une déclaration à la police alors qu’il était en état d’arrestation et soupçonné de meurtre. La déclaration a été obtenue par suite d’un mensonge d’un policier affirmant que la victime, qui était en réalité encore dans le coma, avait repris conscience et pourrait identifier ses assaillants. Siégeant au complet, cette Cour a souscrit à la conclusion de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick lorsque le juge Limerick de cette cour a dit, en traitant de la recevabilité de cette déclaration (à la p. 562):

[TRADUCTION] Le véritable critère est le suivant: la preuve présentée par le ministère public a-t-elle établi qu’aucune personne en situation d’autorité n’a fait ou dit quoi que ce soit qui ait pu inciter l’accusé à faire une déclaration qui était ou pouvait être fausse? Le ministère public a rempli cette exigence.[42]

Même si cette Cour a simplement dit (à la p. 563): «La présente Cour partage cette conclusion», cela me paraît être une conclusion claire et non équivoque qui aurait dû mettre fin, si ce n’est à toutes les polémiques entourant la règle concernant la recevabilité des confessions, du moins à celles visant à déterminer si la règle s’appuie principalement sur la fiabilité ou sur le caractère volontaire et, s’il s’agit de la fiabilité, si elle se limite à «la crainte d’un préjudice» et à «l’espoir d’un avantage» ou si elle a une portée générale. Les trois textes de motifs de jugement qu’on trouve un an plus tard dans l’arrêt de cette Cour dans Horvath c. La Reine[43] indiquent qu’on est loin d’en être là.

Bien que la plupart des cours invoquent la fiabilité comme étant la raison d’être de la règle lorsqu’elles traitent de cas où les policiers ont menti quant à leur véritable identité (c.-à-d. l’application du critère subjectif à la question de savoir s’il s’agit d’une personne en situation d’autorité), on répugne en général à recourir à cette prétendue raison d’être pour circonscrire la formulation de cette règle. On sent en outre que le critère, qu’il s’agisse du caractère volontaire ou de la fiabilité, n’est pas exhaustif.

Cette répugnance se justifie amplement du fait que la fiabilité, comme je vais tenter de l’expliquer

[Page 687]

plus loin, n’est pas vraiment la raison d’être de la règle mais une partie de la règle elle-même, une partie du critère.

En effet, pourquoi avoir une règle d’exclusion particulière portant sur la fiabilité de déclarations habituellement très préjudiciables que font les suspects à des personnes en situation d’autorité lorsque nous avons déjà une règle d’exclusion concernant les preuves très préjudiciables qui ont peu de valeur probante (R. c. Wray[44], R. v. Cook[45], Noor Mohamed v. The King[46], Stirland v. D.P.P.[47], Maxwell v. D.P.P. [48]). En tenant pour acquis que, pour ne pas être redondante, cette règle d’exclusion particulière vise les déclarations qu’on ne pourrait exclure en invoquant le motif qu’elles auraient peu de valeur probante, on se demande alors pourquoi, comme règle de conduite judiciaire, nous avons imposé un critère de valeur probante plus élevé à l’égard des «déclarations» avant de permettre au juge des faits de prendre connaissance de cette preuve. En d’autres mots, quelle est la considération de politique judiciaire qui permet d’écarter l’application de la règle fondamentale suivant laquelle la preuve, lorsqu’elle est pertinente et, si elle est très préjudiciable, lorsqu’elle a plus qu’une faible valeur probante, doit être laissée à l’appréciation du juge des faits? On peut trouver des indices de réponse à cette question dans la formulation même du critère, que l’on adopte, comme l’a fait cette Cour, le critère du juge Limerick dans l’arrêt Alward et Mooney (précité) ou celui de lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim (précité). Si la préoccupation à l’égard des déclarations faites à des personnes en situation d’autorité porte avant tout sur leur fiabilité, pourquoi alors faudrait-il s’en préoccuper uniquement lorsque «l’espoir» ou «la crainte» qu’entretient le suspect sont imputables à ce qu’ils ont été «dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité» (la formulation de l’arrêt Ibrahim) ou uniquement lorsque le peu de fiabilité résulte de ce qu’une «personne en situation d’autorité (n’)a fait ou dit» (la formulation de l’arrêt Alward et Mooney)? Les autres déclarations, celles où l’es-

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poir, la crainte ou le peu de fiabilité ne sont pas imputables aux autorités, sont aussi peu fiables; en outre, ce n’est pas parce que le défaut possible de fiabilité de la déclaration résulte de ce que des personnes en situation d’autorité ont dit ou ont fait que le juge des faits est moins capable d’apprécier cette preuve et qu’il devrait en être empêché par l’opération d’une règle d’exclusion.

Quant à savoir si les juges estiment que le critère, que ce soit la fiabilité ou le caractère volontaire, est exhaustif, le juge en chef Freedman a écrit un article (S. Freedman, «Admissions and Confessions» aux pp. 95 et suiv., dans R.E. Salhany et R.J. Carter (éd.), Studies in Canadian Criminal Evidence, 1972) dans lequel il dit (à la p. 99):

[TRADUCTION] C’est la justice que nous recherchons alors, et nous pouvons trouver dans son cadre général les motifs véritables de la règle d’exclusion des confessions provoquées. Sans nul doute, comme je l’ai déjà dit, le danger qu’elles soient fausses est le motif principal de leur rejet. Mais il y a d’autres motifs, que certains juges refusent résolument d’admettre, que d’autres déclarent ouvertement, et que d’autres encore reconnaissent tacitement — ce dernier cas en étant peut-être un où une règle fondamentale non écrite joue un rôle dans la prise de décision. Tous ces motifs ont leur racine dans l’histoire. Ils portent le souvenir de la torture et du supplice, ils sont liés à la cause de la liberté individuelle, et ils sont l’expression d’une préoccupation profonde pour l’intégrité de la justice. [C’est moi qui souligne.]

Un examen attentif de la jurisprudence publiée justifie de manière convaincante l’affirmation du juge en chef Freedman; lorsqu’il le faut, les juges du procès condamnent ce qu’ils estiment, dans les circonstances de chaque cas, être une conduite gravement injuste, oppressive ou inopportune de la part des personnes en situation d’autorité: ils vont même jusqu’à exclure des déclarations fiables en interprétant libéralement la règle du caractère volontaire ou du critère de fiabilité, en prenant celui qui convient le mieux et, cela est bien compréhensible, en appliquant plus rigoureusement les règles de preuve relatives à la crédibilité des témoins et les fardeaux de preuve et de persuasion qui incombent aux autorités.

A titre de juge du procès, l’ancien juge en chef Gale de l’Ontario a dit, dans un jugement rendu sur un voir dire (R. v. McCorkell, cité à «Notes and Comments», (1964-65) 7 Crim. L.Q. 395, aux pp. 396 et 397):

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[TRADUCTION]… je suis prêt à conclure qu’ils se sont présentés en toute bonne foi pour parler à l’accusé. Ils l’ont mis en garde de nouveau et il a fait certaines divulgations. En droit strict, j’admets que ces déclarations étaient probablement volontaires de sa part au sens que la jurisprudence donne à ce mot. Cependant, me fondant sur mon pouvoir discrétionnaire, je n’ai pas l’intention de permettre qu’elles soient reçues en preuve au procès, puisque j’estime que le caractère sacré de la relation de l’avocat avec son client ne doit pas être réduit à néant ni ne doit être violé, même de façon innocente comme fut le cas en l’espèce.

Je suis d’avis que lorsqu’un accusé a retenu les services d’un avocat à la connaissance de la police ou d’autres personnes en situation d’autorité, ces derniers ne doivent pas tenter d’interroger l’accusé ou de lui poser des questions sans avoir d’abord demandé et obtenu le consentement de son avocat. Mon opinion est à ce point ferme à cet égard que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire dans le sens que j’ai indiqué, peut-être à tort, parce que, en droit strict, la déclaration ainsi obtenue était probablement recevable. Je refuse cependant d’encourager pour l’avenir les personnes en situation d’autorité à circonvenir la position de l’avocat d’un accusé en communiquant directement avec l’accusé. [C’est moi qui souligne.]

Il était de ceux qui, suivant les termes du juge en chef Freedman, «déclarent ouvertement» ce que beaucoup d’autres «reconnaissent tacitement» mais non moins réellement.

Amener un suspect qui est coupable à admettre sa culpabilité dans une déclaration n’est pas en soi une conduite incorrecte. Ce geste ne doit être réprimé que s’il est fait d’une façon qui enfreint nos valeurs fondamentales, c.-à-d. d’une façon qui soit contraire aux règles de droit que nous avons établies en vue de les protéger et de les faire progresser. Notre système de justice pénale a attribué deux responsabilités aux tribunaux: la protection de l’innocent contre une condamnation, et la protection du système lui-même en s’assurant que la répression du crime par la condamnation du coupable se fait d’une façon qui reflète nos valeurs fondamentales en tant que société. Ces préoccupations ont amené l’élaboration, par les juges et le législateur, de garanties en matière de procédure et de preuve. La préoccupation à l’égard de l’innocent a abouti à la règle du doute raisonnable (le fardeau de persuasion) et, étant donné la situation de

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chaque citoyen qui affronte le pouvoir imposant de l’Etat, à ce que nous fassions supporter par l’Etat le fardeau de la preuve; la préoccupation à l’égard de la respectabilité du processus judiciaire a abouti aux trois corollaires suivants:

1° le droit pour toute personne de ne pas être declare coupable par suite de l’utilisation, contre elle, d’un témoignage que la loi l’oblige à faire sous serment (la protection qu’accorde l’art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10),

2° le droit, pour un accusé, de ne pas être contraint de témoigner à son propre procès,

3° l’exclusion des déclarations dont l’admission en preuve ferait, à cause de la conduite des autorités, plus de tort à la réputation du système que n’en ferait l’acquittement d’un accusé coupable.

C’est sur le deuxième et le troisième corollaires que se fonde la règle portant sur la recevabilité des confessions, et c’est eu égard à cette justification que la règle doit être formulée et appliquée.

Comme je l’ai déjà dit, s’il y avait au Canada un droit général de ne pas s’incriminer, toute déclaration, autre qu’une déclaration volontaire, que fait une personne à des personnes en situation d’autorité serait tout au moins irrecevable en preuve contre cette personne à son procès. Comme ce droit (à l’exception de la protection prévue par le par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada) se limite au droit qu’a une personne de ne pas être contrainte à témoigner à son procès, ce n’est que si la poursuite utilise la déclaration d’une façon qui équivaut à une telle contrainte, et dans la mesure où elle le fait, que la déclaration doit être exclue.

La preuve que présente la poursuite aura habituellement pour conséquence normale de forcer en fin de compte l’accusé à venir à la barre ou à être déclaré coupable. On ne peut dire qu’en agissant ainsi, la poursuite viole le droit qu’a l’accusé de garder le silence. Le droit de l’accusé de garder le silence ou de témoigner est un choix qu’il fera en fonction de la valeur probante de la preuve produite en sa faveur ou contre lui.

Il faut cependant examiner de façon particulière le cas des déclarations qui, nous le savons tous, nuisent, d’une manière ou d’une autre, à la défense de l’accusé lorsque la poursuite les présente en

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preuve. Ce n’est pas parce qu’elles sont souvent peu fiables qu’il faut aborder les déclarations d’une façon particulière, mais parce que tout défaut de fiabilité les entourant ne pourra habituellement être révélé que par le propre témoignage de l’accusé. S’il s’en trouve, les éléments portant atteinte à la fiabilité d’une déclaration ont en général pour effet de forcer l’accusé à venir témoigner et, si cela se produit devant le juge des faits, de le soumettre à un contre-interrogatoire détaillé. Mais il en est également ainsi d’autres genres de preuves, et ce n’est pas ni ne doit être en soi un motif d’exclure une preuve. On ne peut sûrement pas dire que la poursuite, parce qu’elle met en preuve une déclaration dont la fiabilité peut être mise en doute, viole ainsi indirectement, plus que dans le cas d’autres genres de preuves, le droit de l’accusé de ne pas témoigner en le forçant à venir à la barre et à en attaquer la fiabilité. Mais je crois qu’il en est ainsi si les mandataires de la poursuite sont responsables, par ce qu’ils ont dit ou fait, de la présence possible de ces éléments qui en affectent la fiabilité et ce, peu importe ce qu’ils aient dit ou fait.

On peut par conséquent tirer une première conclusion: avant de permettre au juge des faits d’en examiner la valeur probante, une déclaration doit être soumise au voir dire en vue d’établir non pas si la déclaration est digne de foi, mais si les autorités ont fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse. Il importe au plus haut point de se rappeler que l’enquête ne porte pas sur la fiabilité mais sur la conduite des autorités relativement à la fiabilité. En passant, je veux souligner que le fait qu’une confession, dont la véracité a été confirmée par une preuve réelle, puisse être traitée différemment des autres, le fait de pouvoir poser à un accusé témoignant à un voir dire des questions relatives à la véracité de la déclaration et, bien sûr, la définition même d’une «personne en situation d’autorité» sont des questions qui, si on a l’occasion de le faire, devraient toutes être reconsidérées en fonction de cette importante distinction.

Cette première conclusion mène naturellement à certaines autres conclusions: que la fiabilité n’est pas la raison d’être du critère volontaire; aussi, que

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le caractère volontaire, comme lord Sumner l’a reconnu lui-même dans l’arrêt Ibrahim, («volontaire» mais «c’est-à-dire qui n’a pas été obtenue…») n’est pas le véritable critère.

La première raison d’être d’une règle de recevabilité en matière de confession est la répression, chez les autorités, d’une conduite qui neutralise indirectement le droit d’un accusé à ne pas témoigner; le critère correspondant à cette première raison d’être est de savoir si les autorités ont, en obtenant ces déclarations, fait une chose qui puisse nuire à leur fiabilité.

Cela voudrait-il dire que le caractère volontaire n’a aucune pertinence? Je ne le crois pas. Il est clair que l’obtention d’une déclaration contre la volonté d’un suspect sera habituellement, bien que ce ne soit pas toujours le cas, la conséquence, de la part des autorités, d’une conduite susceptible de nuire à la fiabilité de cette déclaration. Mais qu’arrive-t-il si ce n’est pas le cas? Qu’arrive-t-il si, comme en l’espèce, la déclaration est obtenue par ruse ou encore, si les autorités ont recours au sérum de vérité, ou à l’hypnotisme mais ne font rien qui rende cette déclaration peu digne de foi? Comme je l’ai déjà dit, la simple absence du caractère volontaire ne peut en soi être un motif pour exclure une déclaration puisqu’il n’y a pas de droit général de ne pas s’incriminer.

Supposons maintenant que la déclaration ne soit pas digne de foi, mais sans qu’il y ait faute de la part des autorités. Si en même temps elle a été soutirée à un suspect contre sa volonté par suite de ce que les autorités ont dit ou ont fait, ne pourrait-on pas soutenir que, ayant provoqué la déclaration, et bien qu’elles ne soient pas responsables de la présentation d’une preuve peu digne de foi au juge des faits, les autorités sont néanmoins responsables de ce que l’accusé doit venir témoigner et que, par conséquent, toutes les déclarations involontaires doivent être exclues parce qu’elles constituent une violation, par la poursuite, du droit de l’accusé de ne pas être contraint à témoigner?

Avant de répondre à cette question, il importe de se rappeler la différence entre la situation suivant laquelle les autorités sont responsables d’avoir fourni au juge des faits une déclaration qui peut

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être fausse du fait d’une conduite qui soit la cause même de ce défaut de fiabilité, et celle suivant laquelle elles sont responsables uniquement parce qu’elles ont obtenu une déclaration contre la volonté de l’accusé.

En fait, même si nous sommes passés de l’examen de la conduite des autorités susceptible d’avoir des conséquences sur la fiabilité de la déclaration à l’examen de leur conduite qui agit sur le libre arbitre d’un accusé, nous n’avons pas modifié le motif de le faire, soit la protection du droit de l’accusé de ne pas être contraint à témoigner à son procès. Nous nous préoccupons donc de son libre arbitre uniquement dans la mesure où la frustration de son libre arbitre a des conséquences négatives sur ce droit. Si, vue sous cet angle, l’absence du caractère volontaire devait mener automatiquement à l’exclusion de toutes les déclarations qu’on n’a pas voulu faire, ce serait alors, à mon avis, accroître de façon démesurée le droit d’un accusé de garder le silence, et cela équivaudrait à introduire indirectement dans notre système un aspect du privilège général contre l’auto-incrimination que nous n’avons pas dans ce pays. Cela voudrait-il dire alors que l’absence du caractère volontaire n’est pertinente que si elle résulte d’une conduite, de la part des autorités, qui puisse porter atteinte à la fiabilité de la déclaration? Qu’en fait, le caractère volontaire n’est pas pertinent en soi? Et si c’est le cas, cela voudrait-il dire que le critère de la fiabilité est exhaustif?

On doit s’attendre à ce que peu de personnes coupables admettent spontanément leur méfait, et on doit reconnaître que de tels aveux, lorsqu’ils sont faits en cour ou hors de cour, sont, la plupart du temps, le résultat de l’efficacité des enquêteurs. Comme je l’ai déjà dit, il n’y a rien de mal en soi à amener, par ruse, les criminels à admettre leur culpabilité ou à compromettre les libertés qu’ils peuvent être tentés de prendre avec la vérité au cours de leur procès. La préoccupation que nous avons pour le caractère volontaire, mis à part son rapport avec le défaut de fiabilité déjà mentionné, est un élément de la préoccupation plus générale que nous avons pour l’intégrité du système de justice pénale; pour ce motif, elle se restreint en un sens à coïncider avec cette préoccupation plus

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générale. Comme le système de justice pénale existe pour protéger les valeurs que nous chérissons le plus en tant que société, nous estimons contraire aux buts et objectifs mêmes du système d’admettre en preuve contre un accusé une déclaration obtenue par des moyens qui équivalent à un manque d’égards criant pour ces valeurs et d’autres valeurs tout aussi importantes que nous cherchons à protéger en poursuivant le crime qu’on lui impute. On tiendra compte de l’absence du caractère volontaire (lorsqu’elle ne résulte pas d’un comportement des autorités qui aboutit à un possible défaut de fiabilité) si les moyens que les autorités ont employés pour obtenir cette déclaration non volontaire ont cet effet négatif.

Les cours ont toujours eu cette préoccupation pour la protection de l’intégrité du système quand il s’est agi de définir le caractère volontaire, la raison d’être qu’on lui attribue (à tort à mon avis) et l’existence d’un pouvoir discrétionnaire résiduel. Malheureusement, parce que cette préoccupation n’a pas été identifiée clairement et traitée de façon autonome et complète, les efforts en vue de rationaliser la règle sur la recevabilité des confessions ont produit des résultats quelque peu confus. Cette difficulté était plus grande du fait que nous avons essayé d’adapter cette préoccupation dans le cadre des deux paramètres établis dans l’arrêt Ibrahim: le caractère volontaire et la fiabilité. Par conséquent, l’extension que nous avons donnée au critère du caractère volontaire pour exclure, dans chaque cas d’espèce, les déclarations qui devaient l’être mais qu’on ne pouvait exclure en utilisant le critère de la fiabilité, s’est heurtée à une autre préoccupation bien légitime que nous avions de ne pas compromettre le travail de la police. Les motifs que cette Cour a donnés dans l’arrêt Horvath, et que d’autres cours ont donnés dans de nombreux autres arrêts, illustrent ce point. Il y a des cas où il est souhaitable de recevoir une déclaration qui n’est pas volontaire, et il y en a d’autres où elle ne doit certainement pas l’être — (je parle ici du caractère volontaire au sens large, lorsque l’absence de ce caractère ne résulte pas d’une conduite des autorités qui serait sanctionnée au moyen du critère de la fiabilité). En fait, il y a des cas où une déclaration, même si elle est volontaire dans tous les sens qu’on peut raisonnablement attribuer à ce mot, et

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nonobstant l’absence d’une conduite, de la part des autorités, qui puisse porter atteinte à sa fiabilité, doit néanmoins être exclue parce qu’elle nuit gravement à la respectabilité du système. L’absence du caractère volontaire n’est qu’un indice qui peut révéler, bien que ce ne soit pas toujours le cas, que les autorités ont fait une chose qui aurait pu amener l’accusé à faire une déclaration peu digne de foi, ou que la déclaration a été obtenue d’une façon qui porte préjudice à l’intégrité du système. C’est pourquoi il est préférable, dans la formulation de la règle, de ne pas parler du caractère volontaire (ni d’en parler indirectement en employant des expressions telles — oppression — propos qui ne sont pas le produit d’un esprit totalement conscient — propos qui sont le produit d’un effondrement émotionnel complet), puisque ce n’est qu’un des nombreux facteurs dont il faut tenir compte pour décider si la production d’une déclaration en preuve peut porter atteinte à l’intégrité du système ou contrevenir au droit de l’accusé de ne pas témoigner.

Quant au critère de la fiabilité, j’estime utile et approprié de conserver la formulation de l’arrêt Alward qui semble avoir déjà reçu une certaine approbation de cette Cour, à laquelle il faudrait ajouter, afin de tenir compte de notre préoccupation à l’égard de l’intégrité du processus judiciaire, une norme dont la formulation a déjà reçu l’approbation du Parlement lorsqu’il a adopté l’art. 178.16 du Code criminel:

178.16 (1) Une communication privée qui a été interceptée est inadmissible en preuve contre son auteur ou la personne à laquelle son auteur la destinait à moins

a) que l’interception n’ait été faite légalement, ou

b) que l’auteur de la communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait n’ait expressément consenti à ce qu’elle soit admise en preuve,

toutefois les preuves découlant directement ou indirectement de l’interception d’une communication privée ne sont pas inadmissibles du seul fait que celle-ci l’est.

(2) Par dérogation au paragraphe (1), le juge ou le magistrat qui préside à une instance quelconque peut refuser d’admettre en preuve des preuves découlant directement ou indirectement de l’interception d’une communication privée qui est elle-même inadmissible s’il

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est d’avis que leur admission en preuve ternirait l’image de la justice. [C’est moi qui souligne.]

Par conséquent, les règles concernant la recevabilité des déclarations que fait un accusé à des personnes en situation d’autorité peuvent être énoncées de la façon suivante:

1. Une déclaration que fait un accusé à une personne en situation d’autorité est irrecevable de la part de la poursuite dans une instance criminelle à moins que le juge soit convaincu hors de tout doute raisonnable qu’aucune personne en situation d’autorité n’a fait ou dit quoi que ce soit qui ait pu inciter l’accusé à faire une déclaration qui soit ou puisse être fausse;

2. Une déclaration que fait l’accusé à une personne en situation d’autorité, même si elle a été obtenue dans des circonstances qui ne la rendent pas irrecevable de la part de la poursuite dans une instance criminelle, doit néanmoins être exclue si, par suite de ce qu’aurait pu dire ou faire une personne en situation d’autorité dans le but d’obtenir la déclaration, l’utilisation qu’on en ferait dans l’instance ternirait l’image de la justice.

Je soulignerais qu’en vertu de la seconde règle mentionnée ci-dessus, le pouvoir d’exclure une déclaration n’est pas purement discrétionnaire, comme c’est le cas en vertu du par» 178.16(2) du Code criminel, et que cette décision est susceptible d’appel comme toute autre décision, sous réserve des différences et des restrictions afférentes à la compétence de la Cour d’appel comme le prévoient les art. 603 et 605 du Code criminel

Je m’empresse également d’ajouter que, si la seconde partie de la règle ne confère pas un véritable pouvoir discrétionnaire, elle confère encore moins aux juges un pouvoir général de désavouer, au moyen d’une règle d’exclusion, toute conduite des autorités qu’un d’entre eux pourrait estimer regrettable, répugnante ou inconvenante. Il doit y avoir d’abord un lien étroit entre l’obtention de la déclaration et la conduite; en outre, cette conduite doit être si indigne que la magistrature qui administre la justice criminelle soit justifiée de croire que, à moins de se dissocier de cette conduite en rejetant la déclaration, sa réputation et, par conséquent, celle de tout le système judiciaire, sera ternie.

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Pour décider si, dans les circonstances, l’utilisation de la déclaration dans l’instance ternirait l’image de la justice, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de l’instance, de la façon dont la déclaration a été obtenue, de la mesure dans laquelle on a porté atteinte aux valeurs sociales, de la gravité de l’accusation, de l’effet qu’aurait l’exclusion sur l’issue des procédures. Il faut aussi se rappeler qu’une enquête en matière criminelle et la recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury. Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et d’autres formes de supercherie, et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application de la règle. Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une conduite qui choque la collectivité. Qu’un policier prétende être l’aumônier d’un centre de détention et entende la confession d’un suspect, c’est là une conduite qui choque la collectivité; il en est de même du fait de se présenter comme avocat d’office de l’aide juridique pour obtenir ainsi des suspects ou des accusés des déclarations incriminantes; donner une injection de penthotal à un suspect atteint de diabète en prétendant lui administrer sa dose quotidienne d’insuline et utiliser sa déclaration en preuve choquerait aussi la collectivité. Mais en général, se prétendre toxicomane pour démanteler un réseau de drogue ne choquerait pas, pas plus que se prétendre, comme en l’espèce, conducteur de camion pour obtenir la condamnation d’un trafiquant; en fait, ce qui choquerait la collectivité serait d’empêcher la police d’utiliser un tel artifice.

Il faut se rappeler que la première partie de la règle, le critère de la fiabilité, réglera la plupart des cas et que la seconde partie ne s’appliquera qu’en de très rares occasions puisque la conduite réprimée aura habituellement eu un effet sur la fiabilité de la déclaration. Néanmoins, il importe au plus haut point, à mon avis, d’avoir une règle qu’on peut utiliser dans ces cas qui, grâce au niveau élevé de conduite de la grande majorité des policiers, ne seront pas nombreux mais exigeront par conséquent, et d’autant plus, une réprimande immédiate et vigoureuse.

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En appliquant la règle en l’espèce, le juge du procès devait se demander s’il était convaincu hors de toute doute raisonnable que le mensonge de l’agent McKnight à l’accusé ne pouvait avoir amené ce dernier à faire une déclaration qui puisse être fausse. Ce qu’il a dit indique qu’il était convaincu que le mensonge n’a pas eu cet effet. En appliquant la règle telle que formulée dans l’arrêt Ibrahim, il a dit (d.c., à la p. 31):

[TRADUCTION] En l’espèce, je suis convaincu que la déclaration de Rothman à l’agent Earl Grant McKnight qui, je pourrais ajouter, agissait dans l’exécution de ses fonctions, ne semble pas être inspirée par la crainte d’un préjudice, ni par l’espoir d’un avantage du fait qu’il ait été induit en erreur ou amené à croire par la ruse qu’il parlait à un codétenu.

Mais il a ajouté:

[TRADUCTION] Cependant, compte tenu des faits en l’espèce, je suis d’avis que la continuité de l’intention d’obtenir une déclaration au moyen de ce déguisement fait douter que la déclaration incriminante ait été correctement obtenue, et dans les circonstances j’estime devoir conclure qu’elle est irrecevable ici.

Pour en arriver à cette dernière conclusion, je suis d’avis qu’il a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère. Pour exclure la déclaration, il ne suffisait pas que le juge se doute qu’elle ait été obtenue incorrectement; il devait conclure que la conduite répréhensible de la part des policiers, c’est-à-dire, pour reprendre ses mots, la «continuité de l’intention d’obtenir une déclaration au moyen de ce déguisement», ternirait l’image de la justice.

Appliquant ce critère, je ne peux faire autrement que conclure que la police n’a rien fait qui puisse tenir l’image de la justice. Par conséquent, je souscris à l’opinion majoritaire de la Cour d’appel que le juge du procès a commis une erreur de droit et qu’il y a lieu d’ordonner un nouveau procès.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et le juge ESTEY étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Scott T. Milloy, Ottawa.

Procureur de l’intimée: R. Tassé, Ottawa.

[1] (1978),42 C.C.C. (2d) 377.

[2] [1971] R.C.S. 23.

[3] [1967] 1 A.C. 760 (H.L.).

[4] [1968] R.C.S. 902.

[5] [1979] 2 R.C.S. 376.

[6] [1914] A.C. 599.

[7] [1956] R.C.S. 958.

[8] [1979] 2 R.C.S. 30.

[9] [1976] 1 R.C.S. 763.

[10] [1980] A.C. 402.

[11] (1969), 69 W.W.R. 588.

[12] (1968), 5 C.R.N.S. 101 (C.A. Ont.).

[13] (1978), 42 C.C.C. (2d) 377.

[14] [1914] A.C. 599.

[15] [1949] R.C.S. 262.

[16] [1956] R.C.S. 958.

[17] (1972), 7 C.C.C. (2d) 133 (C.A. C.-B.).

[18] (1974), 11 N.S.R. (2d) 104 (C.A. N.-É.).

[19] (1951), 101 C.C.C. 312 (C.A. Qué.)

[20] (1980), 21 A.R. 300 (C.A. Alta).

[21] [1976] 1 R.C.S. 763.

[22] [1971] R.C.S. 23.

[23] [1979] 2 R.C.S. 30.

[24] [1956] R.C.S. 958, infirmant [1956] O.R. 696.

[25] [1979] 2 R.C.S. 376.

[26] [1979] 2 R.C.S. 30.

[27] [1980] 1 R.C.S. 714.

[28] [1978] 1 R.C.S. 559.

[29] (1976), 32 C.C.C. (2d) 416.

[30] (1968), 5 C.R.N.S. 101.

[31] Lorsque dans cet exposé, il est fait mention de l’«intimé», les parties désignent Robert Rothman, l’appelant devant cette Cour.

[32] [1914] A.C. 599.

[33] Kaufman cite et analyse longuement la jurisprudence en faveur et à l’encontre de cette opinion aux pp. 81 à 84, The Admissibility of Confessions, 3e éd., (1979).

[34] (1978),42 C.C.C. (2d) 377.

[35] [1956] R.C.S. 958.

[36] [1949] R.C.S. 262.

[37] Cette traduction est du signataire de l’opinion.

[38] [1976] 1 R.C.S. 763.

[39] Il y a des cas où un citoyen est tenu de répondre à certaines questions de la police; voir Moore c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 195.

[40] (1783) 1 Leach,263.

[41] [1978] 1 R.C.S. 559.

[42] Cette traduction est du signataire de l’opinion.

[43] [1979] 2 R.C.S. 376.

[44] [1971] R.C.S. 272.

[45] [1959] 2 Q.B. 340.

[46] [1949] A.C. 182.

[47] [1944] A.C. 315.

[48] [1935] A.C. 309.


Parties
Demandeurs : Rothman
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640 (2 mars 1981)


Origine de la décision
Date de la décision : 02/03/1981
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 640 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-03-02;.1981..1.r.c.s..640 ?
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