La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/04/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._295

Canada | Ordre des comptables agréés du Québec c. Goulet, [1981] 1 R.C.S. 295 (6 avril 1981)


Cour suprême du Canada

Ordre des comptables agréés du Québec c. Goulet, [1981] 1 R.C.S. 295

Date: 1981-04-06

L’Ordre des comptables agréés du Québec Appelant;

et

Gilles Goulet Intimé.

1981: 12 mars; 1981: 6 avril.

Présents: Les juges Martland, Beetz, Estey, McIntyre et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Ordre des comptables agréés du Québec c. Goulet, [1981] 1 R.C.S. 295

Date: 1981-04-06

L’Ordre des comptables agréés du Québec Appelant;

et

Gilles Goulet Intimé.

1981: 12 mars; 1981: 6 avril.

Présents: Les juges Martland, Beetz, Estey, McIntyre et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 295 ?
Date de la décision : 06/04/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit des professions - Comptable agréé et comptable général licencié - «Agir de manière à donner lieu de croire» - Libellé de la plainte - Code des professions, 1973 (Qué.), chap. 43, art. 32, 37b) - Loi des comptables agréés, 1973 (Que.), chap. 64, art. 24.

L’intimé est poursuivi en vertu de la Loi des poursuites sommaires et de l’art. 32 du Code des professions. Membre de la Corporation professionnelle des comptables généraux licenciés du Québec, il est accusé d’avoir agi de manière à laisser croire qu’il était autorisé à exercer la comptabilité publique en annexant à des états financiers une lettre donnant lieu de croire qu’il était un comptable public. Selon l’appelant, l’exercice de la comptabilité publique serait réservé, par l’art. 24 de la Loi des comptables agréés, aux seuls membres de l’Ordre des comptables agréés du Québec. Selon l’intimé, l’al. b) de l’art. 37 du Code des professions lui permet cet exercice en autant qu’il s’agisse de comptabilité industrielle ou commerciale.

En Cour des sessions de la paix, l’intimé a été déclaré coupable mais la Cour supérieure et la Cour d’appel l’ont acquitté.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Il n’est pas nécessaire en l’espèce que la Cour se prononce sur la question d’interprétation des dispositions délimitant les champs respectifs d’exercice des comptables agréés et des comptables généraux licenciés, vu que l’intimé doit de toute façon être acquitté eu égard au libellé de la plainte et à la preuve. Ni la teneur des lettres que l’intimé a écrites et qu’il a annexées aux états financiers, ni le fait qu’il admette qu’il n’était pas membre de l’Ordre des comptables agréés et qu’il avait été rémunéré, ne signifient qu’il ait agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à exercer la comptabilité publique. On peut fort bien exercer cette dernière sans pour autant agir de manière à donner lieu de croire qu’on est autorisé à le faire et en l’espèce l’inculpation n’était pas d’avoir exercé la comptabilité

[Page 296]

publique, mais d’avoir agi de manière à laisser croire qu’on était autorisé à le faire.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec confirmant un jugement de la Cour supérieure et renversant une décision de la Cour des sessions de la paix. Pourvoi rejeté.

Bernard Roy, pour l’appelant.

Marcel Rivest, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LAMER — Ce pourvoi attaque l’arrêt de la Cour d’appel du Québec rejetant l’appel interjeté par l’Ordre des comptables agréés du Québec suite à la décision d’un juge de la Cour supérieure siégeant en appel dans le cadre de la Loi sur les poursuites sommaires du Québec, S.R.Q. 1964, chap. 35. Par sa décision, le juge de la Cour supérieure acquittait l’intimé qu’un juge de la Cour des sessions de la paix avait déclaré coupable sur deux inculpations dont la teneur est essentiellement la même. Il suffira pour les fins de ce pourvoi d’en reproduire ici une seule quitte à mettre entre parenthèses les éléments qui varient d’une plainte à l’autre:

(Le ou vers le 31 mai 1975), a agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à exercer une activité professionnelle réservée aux membres de la Corporation professionnelle de l’Ordre des comptables agréés du Québec, ceci alors que la loi ne le permet pas, en annexant aux états financiers qu’il a préparés pour (Ste-Anne Barbecue, de Ste-Anne de Beaupré), une lettre qui donne lieu de croire qu’il est un comptable public, contrairement aux et en violation des dispositions de l’article 32 du Code des professions…

Ces inculpations ont été portées et décidées en vertu de la Loi sur les poursuites sommaires et en regard de l’art. 32 du Code des professions, 1973 (Qué.), chap. 43:

Nul ne peut de quelque façon prétendre être avocat, notaire, médecin, dentiste, pharmacien, optométriste, médecin, vétérinaire, agronome, architecte, ingénieur, arpenteur-géomètre, ingénieur forestier, chimiste, comptable agréé, technicien en radiologie, denturologiste, opticien d’ordonnances, chiropraticien, audio-prothésiste, podiatre, infirmière ou infirmier, ni utiliser un titre pouvant laisser croire qu’il l’est, ni exercer une activité

[Page 297]

professionnelle réservée aux membres d’une corporation professionnelle, prétendre avoir le droit de le faire ou agir de manière à donner lieu de croire qu’il est autorisé à le faire, s’il n’est détenteur d’un permis valide et approprié et s’il n’est inscrit au tableau de la corporation habilitée à délivrer ce permis, sauf si la loi le permet. (C’est moi qui souligne.)

L’appelant prétend que la preuve établit que l’inculpé, un comptable général licencié, membre de la Corporation professionnelle des comptables généraux licenciés du Québec, a, contrairement à la loi, agi de manière à laisser croire qu’il était autorisé à exercer la comptabilité publique; selon l’appelant, l’art. 24 de la Loi des comptables agréés, 1973 (Qué.), chap. 64, réserve aux seuls membres de l’Ordre des comptables agréés du Québec l’exercice de la comptabilité publique. Selon l’intimé, l’al. b) de l’art. 37 du Code des professions le lui permet en autant qu’il s’agisse de comptabilité industrielle ou commerciale.

L’intimé plaide de plus que même si nous en venions à la conclusion qu’il n’avait pas le droit d’exercer la comptabilité publique industrielle ou commerciale, il devrait néanmoins être acquitté eu égard au libellé de la plainte et à la preuve en l’espèce.

J’estime qu’il a raison sur ce dernier point; aussi, n’y aura-t-il pas lieu de nous prononcer sur la question d’interprétation des dispositions délimitant les champs respectifs d’exercice des comptables agréés et des comptables généraux licenciés, puisqu’elle ne se pose dès lors plus.

Pour les fins de ce pourvoi, il suffira donc de citer les art. 24 et 19 de la Loi des comptables agréés ainsi que l’art. 37 du Code des professions:

24. Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d’autres professionnels, nul ne peut exercer la comptabilité publique, s’il n’est pas comptable agréé.

19. Constitue l’exercice de la comptabilité publique le fait pour une personne de s’engager, moyennant rémunération, dans l’art ou la science de la comptabilité ou

[Page 298]

dans la vérification des livres ou comptes et d’offrir ses services au public à ces fins.

Toutefois, une personne n’exerce pas la comptabilité publique au sens de la présente loi si elle agit exclusivement comme teneur de livres, pourvu, si elle offre ses services au public, qu’elle s’annonce seulement comme teneur de livres.

37. Toute personne inscrite au tableau d’une des corporations professionnelles suivantes peut exercer les activités professionnelles suivantes, en outre de celles qui lui sont autrement permises par la loi:

a) …

b) la Corporation professionnelle des comptables généraux licenciés du Québec: rendre des services de tenue de livres et de comptabilité industrielle ou commerciale;

Tenant pour acquis, sans pour autant en aucune façon en décider ici, que l’appelant a raison d’interpréter ces dispositions comme refusant aux comptables généraux licenciés le droit d’exercer la comptabilité publique, la question qui se pose en regard de la plainte est dès lors celle de savoir si la teneur des lettres que l’intimé a écrites et le fait pour lui de les avoir annexées aux états financiers équivalait de sa part, à «agir de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à» (Code des professions, précité, art. 32) «exercer la comptabilité publique» (Loi des comptables agréés, précitée, art. 24).

Il n’est pas inutile de reproduire ici les deux lettres:

Gilles Goulet COMPTABLE GENERAL LICENCIE Tél. 827-2298 9497, boul. Ste-Anne, Ste-Anne de Beaupré, Qué. G0A 3C0

Commentaires du comptable

Ste-Anne Texaco Service Enr., MM. Claude Cloutier et Gilbert Gagnon, prop., 9698, Boul. Ste-Anne, Ste-Anne de Beaupré, P.Q.

Messieurs,

J’ai dressé l’état des revenus et dépenses pour l’exercice terminée (sic) le 28 février 1975, d’après les livres

[Page 299]

de Ste-Anne Texaco Service Enr. et sur la foi des renseignements qui m’ont été fournis.

Je n’ai pas effectué de vérification et je ne peux donc pas exprimer d’opinion sur ces états financiers.

Ces états financiers sont présentés avec les chiffres comparatifs de 1974, lesquels apparaissaient aux états financiers préparés par la firme Pierre Racine et Cie, C.A. Je n’ai fait aucune vérification de ces montants.

J’espère que le tout sera à votre entière satisfaction et je vous remercie de la confiance que vous témoignez à mon bureau.

Votre tout dévoué,

(signature) Gilles Goulet Comptable Général Licencié

Ste-Anne de Beaupré, Ce 19 juin 1975.

Gilles Goulet COMPTABLE GENERAL LICENCIE Tél. 827-2298 9497, boul. Ste-Anne, Ste-Anne de Beaupré, Qué. G0A 3C0

Commentaires du comptable

Aux actionnaires de Ste-Anne B.B.Q. Inc., Rôtisserie Ste-Anne Inc., 9309, Boul. Ste-Anne, Ste-Anne de Beaupré, P.Q.

Mesdames, Monsieur,

J’ai examiné le bilan de Ste-Anne B.B.Q. Inc. — Rôtisserie Ste-Anne Inc. au 31 mai 1975 ainsi que l’état des bénéfices non répartis, l’état des revenus et dépenses ainsi que l’état de la provenance et de l’utilisation des fonds de l’exercice annuel terminée (sic) à cette date.

Je me suis basé sur les inscriptions faites par les teneurs de livres de la compagnie et je n’ai fait aucun sondage ou vérification des montants inscrits. J’ai toutefois fait une analyse des immobilisations et de certains comptes de dépenses qui m’ont semblé importants. Je n’ai pas confirmé auprès des banques et des créanciers ou débiteurs les soldes à leur compte.

Ces états financiers sont présentés avec les chiffres comparatifs de 1974, lesquels j’ai relevé dans les états financiers préparés par la firme Pierre Racine & Cie, C.A. Je les ai inscrits seulement pour fins de comparaison et si quelqu’un voulait porter un jugement sur leur valeur, il faudrait qu’il examine les états financiers originaux ainsi que les commentaires de l’expert-comptable qui y sont attachés.

[Page 300]

Je n’exprime donc aucune opinion sur ces états financiers, car je ne suis pas en mesure de le faire. Je présente seulement les faits tels qu’ils m’ont été fournis.

Je vous remercie de la confiance que vous témoignez à mon bureau, et n’hésitez pas à communiquer avec moi si des renseignements supplémentaires vous étaient nécessaires. Veuillez me croire,

Votre tout dévoué,

(signature) Gilles Goulet, Comptable Général Licencié.

Ste-Anne de Beaupré, Le 7 juillet 1975.

Outre ces deux lettres, la preuve à charge comporte deux admissions de l’intimé, savoir, qu’il n’était pas membre de l’Ordre des comptables agréés, et qu’il avait été rémunéré pour les travaux comptables faits pour le compte de ces deux clients.

Cette preuve eût peut-être permis de conclure à la culpabilité de l’intimé sur l’inculpation d’avoir exercé la comptabilité publique, mais pas sur celle d’avoir agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à le faire.

On peut fort bien exercer la comptabilité publique sans pour autant agir de manière à donner lieu de croire qu’on est autorisé à le faire; on peut même le faire tout en avertissant ses clients qu’on n’en a pas le droit; à l’inverse, on peut tout autant prétendre avoir le droit de le faire sans effectivement le faire.

Vu la dénonciation et la preuve, je suis d’avis, quoique pour des raisons différentes, de conclure comme le juge de la Cour supérieure à l’acquittement de monsieur Goulet.

Je serais d’avis de rejeter ce pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Ogilvy & Renault, Montréal.

Procureurs de l’intimé: Jasmin, Rivest, Castiglio, Castiglio & Lebel, Montréal.


Parties
Demandeurs : Ordre des comptables agréés du Québec
Défendeurs : Goulet
Proposition de citation de la décision: Ordre des comptables agréés du Québec c. Goulet, [1981] 1 R.C.S. 295 (6 avril 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-04-06;.1981..1.r.c.s..295 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award