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28/05/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._459

Canada | Dorbern Investments c. Banque Provinciale, [1981] 1 R.C.S. 459 (28 mai 1981)


Cour suprême du Canada

Dorbern Investments c. Banque Provinciale, [1981] 1 R.C.S. 459

Date: 1981-05-28

Dorbern Investments Limited, faisant affaires sous la raison sociale de Corvair Home Builders (Demanderesse-appelante) Appelante;

et

La Banque Provinciale du Canada (Défenderesse-appelante) Intimée;

et

Frank Lentini et Tony Caparello (Défendeurs).

1981: 9 mars; 1981: 28 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Dorbern Investments c. Banque Provinciale, [1981] 1 R.C.S. 459

Date: 1981-05-28

Dorbern Investments Limited, faisant affaires sous la raison sociale de Corvair Home Builders (Demanderesse-appelante) Appelante;

et

La Banque Provinciale du Canada (Défenderesse-appelante) Intimée;

et

Frank Lentini et Tony Caparello (Défendeurs).

1981: 9 mars; 1981: 28 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 459 ?
Date de la décision : 28/05/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Privilèges de constructeur - Priorités - Créancier hypothécaire et créancier privilégié - Avance de fonds antérieure à la naissance du privilège mais constitution de l’hypothèque uniquement comme sûreté après la naissance du privilège et sans avis de celui-ci - Enregistrement de l’hypothèque antérieur à celui du privilège - The Mechanics’ Lien Act, S.R.O. 1970, chap. 267, art. 7(3), (4), 14(1), 16, 20, 21, 22 - The Registry Act, S.R.O. 1970, chap. 409, art. 69(1), 70.

La question que pose ce pourvoi est celle de savoir si une hypothèque immobilière pour une dette antérieure, accordée après la naissance d’un privilège de constructeur sur le bien‑fonds, prend rang avant le privilège, dont avis écrit n’a pas été donné au créancier hypothécaire, si l’hypothèque est enregistrée avant la revendication de privilèges. Le juge local a conclu en faveur du créancier privilégié mais la Cour divisionnaire de l’Ontario a infirmé sa décision et accordé la priorité au créancier hypothécaire. La Cour d’appel a rejeté l’appel du créancier privilégié sans motifs écrits.

Le créancier privilégié a commencé des travaux en septembre 1972. L’auteur en titre de la banque intimée a fait des avances de fonds aux propriétaires en raison des travaux, entre le 5 avril 1973 et le 15 juin 1973. Il a accepté une hypothèque mobilière sur des équipements situés sur place et une hypothèque sur un autre bien-fonds. Pour augmenter les garanties, les propriétaires ont consenti et la banque a accepté une hypothèque sur le bien-fonds en question le 12 juillet 1973, hypothèque enregistrée le 30 juillet 1973. La revendication de privilège a été enregistrée le 1er août 1973.

[Page 460]

La banque prêteuse savait que des travaux étaient en cours sur le bien-fonds en cause mais n’a reçu aucun avis écrit du privilège avant d’avancer les fonds pour financer les travaux. Les avances de fonds ont été faites indépendamment de toute hypothèque sur le bien-fonds de sorte que la banque prêteuse ne répond pas aux dispositions du par. 14(1) car il ne s’agit pas d’avances «à valoir sur …une hypothèque». La question est donc de savoir si le par. 14(1) est un code complet qui, dans ces circonstances, accorde la priorité au créancier privilégié même si l’enregistrement de la revendication de privilèges est postérieur à l’enregistrement de l’hypothèque.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le paragraphe 14(1) n’est d’aucun secours ni au créancier privilégié ni au créancier hypothécaire. Le créancier hypothécaire ne répond pas aux conditions de ce paragraphe. Le créancier privilégié n’en tire pas avantage parce que la disposition accorde priorité, après la naissance du privilège, seulement à l’égard des avances subséquentes faites en vertu de l’hypothèque, si l’avis écrit ou l’enregistrement de la revendication de privilège a précédé ces avances. Cette priorité limitée et conditionnelle ne peut se transformer en une priorité inconditionnelle.

Tout droit strict créé par The Mechanics’ Lien Act est susceptible de caducité à moins que certaines mesures ne soient prises conformément à la Loi pour le protéger. Il faut satisfaire à l’obligation d’enregistrer pour faire valoir le privilège même en l’absence de droits concurrents.

Il résulte à la fois des principes et de l’art. 20 de la Loi qu’il faut nécessairement avoir recours au rapport entre un privilège enregistré et les autres droits enregistrés quand l’ordre de priorité n’est pas défini. Rien dans la Loi, sauf le par. 14(1) ne donne priorité à un privilège non enregistré, et lorsque le créancier privilégié revendique des droits concurrents subséquents, il est forcément amené à enregistrer pour bénéficier d’une protection au sens large et en particulier contre ceux qui prétendent à des droits concurrents sur le bien-fonds. L’article 20 reconnaît cette dernière considération en disposant que dès l’enregistrement «le titulaire d’un privilège est réputé un acquéreur pour autant» et «un acquéreur au sens des dispositions de The Registry Act et The Land Titles Act». Les derniers mots de l’article, «sauf dans la mesure ci-après prévue, ces lois ne s’appliquent à aucun privilège créé en vertu de la présente Loi», signifient que ces lois, n’ayant pas d’autre application, servent uniquement à déterminer quelle conséquence a pour un créancier privilégié le fait de devenir acquéreur par l’enregistrement d’une revendication de privilège.

[Page 461]

En vertu du par. 69(1) et de l’art. 70 de The Registry Act, la priorité est déterminée selon la priorité d’enregistrement. Plutôt que de prendre le bien visé comme sûreté, le créancier hypothécaire a cherché une autre sûreté, et exigé l’hypothèque comme garantie accessoire seulement. On ne peut faire de distinction justifiée entre une hypothèque accessoire, consentie comme sûreté additionnelle d’une avance déjà faite pour financer une construction sur le bien-fonds affecté d’un privilège, et une hypothèque consentie comme sûreté additionnelle, mais qui n’a pas de rapport avec la construction sur ce bien-fonds. Rien ne justifie de faire prévaloir sur une hypothèque accessoire, parce qu’elle est accessoire, un privilège non enregistré ou enregistré postérieurement et dont le créancier hypothécaire n’a pas eu connaissance antérieurement.

POURVOI à l'encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui confirme le jugement de la Cour divisionnaire de l’Ontario qui a infirmé la décision du juge Scott. Pourvoi rejeté.

Robert E. Edgar, c.r., et Edward M. Werner, pour la (demanderesse-appelante) appelante.

C.E. Woollcombe, c.r., pour la (defenderesse-appelante) intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ce pourvoi porte sur la question de savoir si une hypothèque immobilière pour une dette antérieure, accordée après la naissance d’un privilège de constructeur sur le bien-fonds, prend rang avant le privilège, dont avis écrit n’a pas été donné au créancier hypothécaire, si l’hypothèque est enregistrée avant la revendication de privilège. Ce litige fait intervenir le par. 14(1) et l’art. 20 de The Mechanics’ Lien Act, S.R.O. 1970, chap. 267 et, prétend-on, l’application des art. 69 et 70 de The Registry Act, S.R.O. 1970, chap. 409.

Le juge local a conclu en faveur du créancier privilégié mais la Cour divisionnaire de l’Ontario a infirmé sa décision et accordé la priorité au créancier hypothécaire. La Cour d’appel a rejeté l’appel du créancier privilégié sans motifs écrits.

Le créancier privilégié a commencé des travaux de construction et de rénovation sur le bien‑fonds

[Page 462]

en cause le 11 septembre 1972, mais ce n’est que plus tard qu’on a signé les contrats qui définissent les travaux. Entre le 5 avril 1973 et le 15 juin 1973, l’auteur en titre de la banque intimée a fait des avances de fonds aux propriétaires pour financer les travaux à faire (transformation d’un vieil édifice en un restaurant moderne). Il a accepté une hypothèque mobilière sur une partie de l’équipement qui devait servir au futur commerce et une hypothèque sur d’autres biens. Cependant, plus tard, pour augmenter les garanties, les propriétaires ont consenti et la banque a accepté une hypothèque sur le bien-fonds en question le 12 juillet 1973. L’hypothèque, au montant en capital de $175,000, a été enregistrée le 30 juillet 1973. La revendication de privilège a été enregistrée deux jours plus tard, le 1er août 1973.

Le paragraphe 14(1) et l’art. 20 de The Mechanics’ Lien Act sont ainsi conçus:

[TRADUCTION] 14. (1) Le privilège a priorité sur tous jugements, exécutions, cessions, saisies, saisies-arrêts et ordonnances de mise sous séquestre postérieurs à sa naissance, et sur tous versements ou avances de fonds à valoir sur un montant payable en vertu d’un transfert ou d’une hypothèque, après qu’avis écrit du privilège a été donné à la personne effectuant ces versements ou avances ou après que la revendication de privilège a été enregistrée selon les modalités prévues ci-après et, à défaut de cet avis écrit ou d’enregistrement d’une revendication de privilège, tous ces versements et avances ont priorité sur tout privilège.

...

20. Lorsqu’une revendication est ainsi enregistrée, le titulaire d’un privilège est réputé un acquéreur pour autant et un acquéreur au sens des dispositions de The Registry Act et de The Land Titles Act, mais, sauf dans la mesure ci-après prévue, ces lois ne s’appliquent à aucun privilège créé en vertu de la présente loi.

La banque prêteuse savait que des travaux étaient en cours sur le bien-fonds en cause mais n’a reçu aucun avis écrit du privilège (qui, selon le par. 7(4) de The Mechanics’ Lien Act, a pris naissance au début des travaux) avant d’avancer les fonds pour financer les travaux. Cependant, puisque les avances de fonds ont été faites indépendamment de toute hypothèque sur le bien-fonds (l’hypothèque ayant été consentie après le début des travaux et après l’avance de fonds) la banque prêteuse ne

[Page 463]

répond pas aux dispositions du par. 14(1) car il ne s’agit pas d’avances «à valoir sur…une hypothèque». La question est donc de savoir si le par. 14(1) est un code complet qui, dans ces circonstances, accorde la priorité au créancier privilégié même si l’enregistrement de la revendication de privilège est postérieur à celui de l’hypothèque.

Bien que la banque intimée ait soutenu que son hypothèque répond aux conditions du par. 14(1), ce qu’il faut rejeter, elle a prétendu, comme moyen subsidiaire, que même si elle est un créancier hypothécaire subséquent qui n’a pas fait d’avances ou de versements à valoir sur l’hypothèque, cela n’a pas pour effet d’attribuer au créancier dont le privilège n’était pas alors enregistré priorité sur l’hypothèque, et certainement pas quand l’hypothèque était enregistrée, sans avis du privilège, avant l’enregistrement de la revendication de privilège. A mon avis, le par. 14(1) n’est d’aucun secours au créancier privilégié dans les circonstances de l’espèce. Cette disposition accorde la priorité au créancier privilégié, après la naissance de son privilège, seulement à l’égard des avances subséquentes faites en vertu de l’hypothèque, si l’avis écrit ou l’enregistrement de la revendication de privilège a précédé ces avances. Le paragraphe 14(1) souligne ce point quand il conclut qu’«à défaut de cet avis écrit ou d’enregistrement d’une revendication de privilège, tous ces versements et avances ont priorité sur tout privilège». Le paragraphe 14(1) n’est également d’aucun secours en l’espèce au créancier privilégié ni au créancier hypothécaire subséquent; le créancier privilégié ne peut transformer cette disposition qui accorde une priorité limitée et conditionnelle sur un créancier hypothécaire subséquent en une priorité libre de toute condition, comme l’avis écrit ou l’enregistrement.

Je dois dire cependant que si le par. 14(1) s’appliquait en l’espèce, le créancier hypothécaire n’aurait pas pu, en enregistrant son hypothèque avant de recevoir l’avis écrit de la revendication de privilège ou avant l’enregistrement de celui-ci, priver le créancier privilégié de la priorité à l’égard d’avances subséquentes à valoir sur l’hypothèque. Toutefois, puisque ni le par. 14(1) ni aucune autre disposition expresse de The Mechanics’ Lien Act ne s’appliquent à l’espèce, la question soumise à la

[Page 464]

Cour doit être tranchée en vertu des principes généraux si la réponse ne se trouve pas à l’art. 20 de la Loi.

The Mechanics’ Lien Act est un code législatif qui prévoit la création et l’application de privilèges en faveur de ceux qui fournissent du travail ou des matériaux pour la construction ou l’amélioration de biens-fonds ou d’édifices. En même temps, la Loi reconnaît qu’il peut y avoir des réclamations concurrentes contre le bien-fonds et cherche, dans une certaine mesure, à établir un ordre de priorité entre les créanciers privilégiés et les autres qui prétendent à des droits sur le bien-fonds grevé d’un privilège. Ainsi, le cas d’un créancier hypothécaire antérieur est prévu au par. 7(3) et celui d’un créancier hypothécaire subséquent dans la mesure mentionnée au par. 14(1). Le texte ne prévoit pas la situation qui se présente ici, celle d’une hypothèque subséquente consentie pour des avances déjà faites.

Dans la mesure où l’on peut dire que The Mechanics’ Lien Act crée un droit strict en faveur du créancier privilégié, c’est un droit susceptible de caducité si certaines mesures ne sont pas prises conformément à la Loi pour le protéger. Ce sont les dispositions de l’art. 16 qui prévoient l’enregistrement, la détermination en vertu de l’art. 21 du délai imparti pour enregistrer et la caducité du privilège en vertu de l’art. 22 s’il n’a pas été enregistré dans le délai prescrit. Je ne puis admettre la prétention de l’avocat de la créancière privilégiée appelante que ce ne sont que des dispositions de procédure qui ne formulent aucune règle de fond. L’obligation d’enregistrer pour faire valoir le privilège contre le bien-fonds existe même s’il n’y a pas de droit concurrent à celui du créancier privilégié.

Lorsqu’il y a plusieurs créanciers concurrents dont les droits vis-à-vis ceux du créancier privilégié ne sont pas expressément régis par un ordre de priorité déterminé, il faut nécessairement envisager le privilège enregistré par rapport aux autres droits enregistrés. Cela résulte obligatoirement à la fois des principes et de l’art. 20 de The Mechanics’ Lien Act déjà cité. D’abord en vertu des principes, rien dans The Mechanics’ Lien Act, sauf le par. 14(1) (qui traite de la priorité du privilège sur tous

[Page 465]

jugements, exécutions, cessions, saisies, saisies-arrêts et ordonnances de mise sous séquestre postérieurs à la naissance du privilège) ne donne priorité à un privilège non enregistré. Lorsqu’il revendique des droits concurrents subséquents, le créancier privilégié est forcément amené à enregistrer «au bureau d’enregistrement voulu» (selon les termes de l’art. 16) pour bénéficier d’une protection au sens large et en particulier contre ceux qui prétendent à des droits concurrents sur le bien-fonds précis.

L’article 20 reconnaît, selon moi, cette dernière considération en disposant que dès l’enregistrement «le titulaire d’un privilège est réputé un acquéreur pour autant» et, en plus, «un acquéreur au sens des dispositions de The Registry Act et The Land Titles Act». Je ne m’inquiète pas des derniers mots de l’art. 20, «sauf dans la mesure ci-après prévue, ces lois ne s’appliquent à aucun privilège créé en vertu de la présente loi». A mon avis, ils signifient que les deux lois n’ont pas d’autre application, servant uniquement à déterminer quelle conséquence a pour un créancier privilégié le fait de devenir acquéreur par l’enregistrement d’une revendication de privilège.

En vertu du par. 69(1) et de l’art. 70 de The Registry Act, cela a ordinairement comme conséquence de déterminer la priorité selon la priorité d’enregistrement. Voici le texte de ces dispositions:

[TRADUCTION] 69. (1) Après concession d’un bien-fonds par Sa Majesté et octroi de lettres patentes à cette fin, tout acte l’affectant en totalité ou en partie est réputé frauduleux et nul à l’égard de tout acquéreur ou créancier hypothécaire subséquent fournissant une contrepartie valable et n’ayant aucune connaissance de l’acte antérieur, à moins que son enregistrement ne soit antérieur à celui de l’acte en vertu duquel l’acquéreur ou le créancier hypothécaire revendique son droit.

...

70. La priorité d’enregistrement s’applique à moins que la personne qui revendique un droit en vertu de l’enregistrement antérieur n’ait eu, avant de procéder à cet enregistrement, une connaissance réelle de l’acte antérieur.

J’ai employé le mot «ordinairement» à dessein parce que la pratique normale dans le financement de la construction, des améliorations ou de la

[Page 466]

fourniture de matériaux consiste pour le créancier hypothécaire qui avance les fonds, que ce soit avant ou après la constitution et pendant l’existence de l’hypothèque, à prendre le bien‑fonds visé comme sûreté. En l’espèce, le créancier hypothécaire a garanti son prêt par d’autres sûretés et n’a exigé l’hypothèque en cause dans ce pourvoi que comme garantie accessoire. La question qui se pose est de savoir si cette situation est différente de celle où le créancier se fonde sur l’enregistrement antérieur.

Il est reconnu en l’espèce que le créancier privilégié a effectué les derniers travaux le 29 juin 1973. Puisqu’il a enregistré sa revendication de privilège le 1er août 1973, l’enregistrement a eu lieu dans le délai de trente-sept jours prescrit à l’art. 21. Cela donne-t-il à la créance privilégiée préséance sur l’hypothèque accessoire malgré l’enregistrement antérieur de celle-ci lorsque, de toute évidence, le créancier privilégié ne pourrait pas prétendre à une priorité s’il s’était agi d’une hypothèque principale sur le bien-fonds?

Je ne crois pas qu’on puisse faire de distinction justifiée entre une hypothèque accessoire qui, comme en l’espèce a été consentie comme sûreté additionnelle d’une avance déjà faite pour financer une construction sur le bien-fonds affecté d’un privilège, et une hypothèque consentie comme sûreté additionnelle d’une avance qui n’a pas de rapport avec la construction sur le bien-fonds visé. L’avocat de l’intimée a souligné et celui de l’appelante a reconnu que The Mechanics’ Lien Act n’a pas pour objet de diriger l’utilisation des avances que garantit le bien-fonds grevé d’un privilège. Les avances peuvent servir à d’autres fins qu’une construction ou une amélioration sur le bien-fonds hypothéqué, sauf dans la mesure où l’acte d’hypothèque lui-même offre un certain contrôle par l’exigence de produire des attestations d’avancement de travaux pour justifier des avances additionnelles selon les termes de l’hypothèque. Je ne vois rien qui justifierait en l’espèce, de faire prévaloir sur une hypothèque accessoire, simplement parce qu’elle est accessoire, un privilège non enregistré ou enregistré postérieurement et dont le créancier hypothécaire n’a pas eu connaissance antérieurement.

[Page 467]

L’avocat de la créancière privilégiée appelante soutient que l’application de The Registry Act plutôt que celle de The Mechanics’ Lien Act à la situation en l’espèce aurait des résultats incongrus. Il ne m’a pas toutefois démontré comment The Mechanics’ Lien Act peut fournir une protection au créancier en vertu d’un privilège non enregistré. Son allégation d’incongruités ne tient pas non plus. Il est exact que celui qui avance à un propriétaire foncier des fonds supérieurs à la valeur du bien-fonds et pour une fin étrangère à des améliorations en cours peut, en enregistrant ultérieurement, mais avant un créancier privilégié, complètement priver ce dernier du droit de tirer quoi que ce soit du bien-fonds. Aussi invraisemblable soit-il qu’une personne fasse une telle avance sans la garantir immédiatement, elle risquerait elle-même de voir une partie de sa garantie invalidée par un créancier privilégié qui enregistrerait le premier. L’avocat de l’appelante soutient aussi qu’un créancier hypothécaire qui se fait concéder une sûreté après coup pour garantir une dette déjà contractée est placé dans une situation plus favorable qu’un créancier hypothécaire qui accepte une hypothèque et avance les fonds par la suite. Encore une fois, c’est faire abstraction de l’obligation du créancier privilégié de donner avis ou d’enregistrer pour avoir priorité sur le créancier hypothécaire, qu’il soit créancier hypothécaire à raison d’avances antérieures ou qu’il fasse les avances sans connaître l’existence du privilège qui n’a pas été enregistré.

On a invoqué deux autres incongruités pour le compte de l’appelante. On a souligné qu’un créancier qui prend une garantie pour une dette déjà contractée et qui enregistre l’hypothèque avant la naissance du privilège est limité à la valeur de l’immeuble à ce moment-là conformément au par. 7(3), mais s’il retarde l’enregistrement jusqu’après la naissance du privilège il ne serait pas ainsi limité. Il me semble irréaliste de penser que quelqu’un pourrait retarder l’enregistrement pour se prévaloir d’améliorations postérieures apportées au bien-fonds pour augmenter sa garantie, mais la loi ne l’interdit pas, non plus qu’elle interdit à un créancier privilégié d’enregistrer le privilège dès sa naissance bien que cette situation puisse aussi être irréaliste. Enfin, l’appelante a soutenu qu’un

[Page 468]

créancier hypothécaire qui avance les fonds garantis par l’hypothèque aurait, en vertu de l’enregistrement, la parité de rang avec un créancier hypothécaire qui se fait concéder une hypothèque pour des avances déjà faites et que cela limite le par. 14(1) à une opposition entre le créancier privilégié et une hypothèque. Je n’accepte pas cette affirmation. J’ai déjà parlé de cette situation en signalant que suivant mon interprétation le par. 14(1) accorde au créancier privilégié priorité sur les avances postérieures, malgré l’enregistrement de l’hypothèque en vertu de laquelle elles sont faites, pourvu que le créancier privilégié donne l’avis écrit prescrit ou enregistre le privilège.

En bref, la faille dans l’argumentation de l’appelante tient à ce qu’elle veut établir sa priorité sur une revendication de privilège non enregistrée. La loi ne le permet pas et je ne vois pas de moyen d’échapper à la conclusion que l’espèce doit se décider selon la priorité d’enregistrement. En conséquence le pourvoi échoue et je le rejette avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de la (demanderesse-appelante) appelante: Chown, Cairns, St. Catharines.

Procureurs de la (défenderesse-appelante) intimée: Day, Wilson, Campbell, Toronto.

[1] 23 O.R. (2d) 649; 97 D.L.R. (3d) 576.


Parties
Demandeurs : Dorbern Investments
Défendeurs : Banque Provinciale
Proposition de citation de la décision: Dorbern Investments c. Banque Provinciale, [1981] 1 R.C.S. 459 (28 mai 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-05-28;.1981..1.r.c.s..459 ?
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