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20/10/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._220

Canada | Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220 (20 octobre 1981)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220

Date : 1981-10-20

Pierre Crevier Appelant; et

Le procureur général de la province de Québec et Harmel Aubry Intimés;

et

Pierre Crevier Appelant; et

Le procureur général de la province de Québec et Robert Cofsky Intimés;

et

Le procureur général de la province de l’Alberta Intervenant.

1981: 10, 11 février; 1981: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Choui

nard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a infirmé un j...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220

Date : 1981-10-20

Pierre Crevier Appelant; et

Le procureur général de la province de Québec et Harmel Aubry Intimés;

et

Pierre Crevier Appelant; et

Le procureur général de la province de Québec et Robert Cofsky Intimés;

et

Le procureur général de la province de l’Alberta Intervenant.

1981: 10, 11 février; 1981: 20 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a infirmé un jugement de la Cour

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supérieure[2], autorisant la délivrance de brefs d’évocation. Pourvoi accueilli.

Robert Lesage, c.r,, et Daniel Lavoie, pour l’appelant.

Henri Brun, Louis Crête et Jean-François Jobin, pour l’intimé le procureur général de la province de Québec.

Pierre Saint-Martin, pour les intimés Aubry et Cofsky.

B. A. Crane, c.r., pour l’intervenant.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — La question en litige dans ce pourvoi est celle de savoir si le Tribunal des professions, institué par l’art. 162 du Code des professions, L.R.Q. 1977, chap. C-26, a compé­tence pour exercer les pouvoirs que lui attribuent l’art. 175 et des dispositions complémentaires comme l’art. 169 ou si, à cause de ces pouvoirs et compte tenu des dispositions privatives de l’art. 194, leur exercice contrevient à l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ainsi formu­lée, la question en litige appelle un examen attentif de l’arrêt récent de cette Cour Procureur général du Québec c. Farrah[3], pour déterminer s’il y a suffisamment de différence entre la loi contestée en l’espèce et celle visée dans l’affaire Farrah pour justifier une réponse différente, savoir que la loi est valide et non pas nulle comme dans l’affaire Farrah.

Il me faut faire un bref rappel des faits. Le Code des professions régit quelque 38 corporations pro­fessionnelles énumérées en annexe au Code. Cha­cune d’elles est tenue de constituer un comité de discipline conformément au Code pour entendre les plaintes d’inconduite. Les comités de discipline ont, en vertu de l’art. 156, le pouvoir d’imposer une gamme de sanctions sur déclaration de culpabilité, dont la réprimande, la radiation temporaire ou permanente du tableau de la corporation concer­née ou l’imposition d’une amende d’au moins $200 pour chaque infraction. Le comité de discipline n’a pas le pouvoir d’admettre des membres à une

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profession donnée et n’a, en conséquence, aucun pouvoir d’établir des conditions d’admission. Cette fonction est remplie par le Bureau créé en vertu du Code pour chacune des professions.

En l’espèce, deux membres d’une corporation professionnelle ont été accusés de trois infractions. Ils ont été déclarés coupables de l’une d’elles et acquittés quant aux autres[4]. Ils ont interjeté appel au Tribunal des professions, conformément aux art. 162 et 164 du Code des professions, et le Tribunal a jugé (je vais décrire ses pouvoirs un peu plus loin) que le comité de discipline avait outrepassé les règlements applicables en concluant qu’il y avait eu infraction et que, par conséquent, il avait excédé sa compétence. Les membres ont donc été acquittés. Le plaignant a alors demandé deux brefs d’évocation que lui a accordés le juge Poitras[5]; celui-ci a statué que les pouvoirs étendus accordés au Tribunal des professions, pouvoirs de confirmer, de modifier ou d’infirmer la décision d’un comité de discipline, pouvoirs englobant la révision de questions de droit, de fait ou de compé­tence, étaient de nature à contrevenir à l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Sa décision a été infirmée par la Cour d’appel du Québec[6], à la majorité (le juge Paré et le juge Jacques ad hoc; le juge Montgomery était dissi­dent. La permission d’appeler à cette Cour a par la suite été accordée pour examiner la question cons­titutionnelle formulée au début de ces motifs.

Les dispositions pertinentes du Code des profes­sions visant la constitution et les pouvoirs des comités de discipline sont les suivantes:

116. Un comité de discipline est constitué au sein de chacune des corporations.

Le comité est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant la corporation dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi.

117. Le comité est formé d’au moins trois membres, dont un président. Celui-ci est désigné par le gouvernement, après consultation du Barreau, parmi les avocats ayant au moins dix années de pratique. Au moins deux autres membres doivent être désignés par le Bureau de

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la corporation parmi les membres de celle-ci.

Dans le choix du président, le gouvernement peut considérer comme années de pratique les années au cours desquelles une personne a acquis une expérience juridique pertinente après l’obtention d’un permis d’exercice de la profession d’avocat, d’un diplôme d’ad­mission au Barreau ou d’un certificat d’aptitude à exer­cer la profession d’avocat.

120. En autant que faire se peut, la personne nommée par le gouvernement comme président d’un comité de discipline d’une corporation est également nommée comme président du comité de discipline d’autres corporations.

138. Le comité siège au nombre de trois membres, dont le président.

Si le nombre de membres du comité le permet, le comité peut siéger en divisions composées de trois mem­bres, dont le président ou une personne désignée par celui-ci parmi une liste d’avocats dressée par le gouver­nement, après consultation du Barreau.

142. Toute audition a lieu à huis clos, sauf si le comité juge, à la demande de l’intimé, qu’il est d’intérêt public qu’elle ne le soit pas.

143. Le comité de discipline peut recourir à tous les moyens légaux pour s’instruire des faits allégués dans la plainte; du consentement de toutes les parties, le comité peut également, à sa discrétion, recevoir une preuve recueillie hors l’instruction.

146. Le comité assigne les témoins que lui ou l’une des parties juge utile d’entendre et exige la production de tout document par voie d’assignation ordinaire sous la signature du secrétaire.

147. Le comité possède, pour contraindre les témoins A. comparaître et à répondre, et pour les condamner en cas de refus, tous les pouvoirs de la Cour supérieure; à cette fin, l’intimé est considéré comme un témoin.

149. Le témoin ou le professionnel qui témoigne devant le comité est tenu de répondre à toutes les questions. Son témoignage est privilégié et ne peut être retenu contre lui devant aucune cour de justice.

Sous réserve de la levée du huis clos conformément à l’article 142, toute personne au courant de ce témoignage

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est elle-même tenue au secret, sauf le droit du président de la corporation dont est membre le profes­sionnel et des membres du tribunal entendant un appel en vertu de l’article 162 d’en être informés dans l’exécu­tion de leurs fonctions.

151. Le comité possède le pouvoir de condamner le plaignant ou l’intimé aux déboursés, y compris les frais d’enregistrement, ou de les répartir entre eux.

152. Le comité décide privativement à tout tribunal, en première instance, si l’intimé a commis une infraction au présent code, à la loi constituant la corporation dont il est membre ou aux règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi.

154. La décision du comité de discipline est consignée par écrit et signée par les membres du comité. Elle doit contenir, outre le dispositif, les motifs de la décision.

156. Le comité de discipline impose au professionnel trouvé coupable d’une infraction au présent code, à la loi constituant la corporation dont il est membre ou aux règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi, une ou plusieurs des sanctions suivantes:

a) la réprimande;

b) la radiation temporaire ou permanente du tableau;

c) une amende d’au moins deux cents dollars pour chaque infraction;

d) l’obligation de remettre à toute personne à qui elle revient une somme d’argent que le professionnel détient pour elle;

e) la révocation du permis;

f) la révocation du certificat de spécialiste.

Aux fins du paragraphe c du premier alinéa, lorsqu’une infraction est continue, cette continuité constitue, jour par jour, une infraction distincte.

Une décision du comité de discipline condamnant le plaignant ou l’intimé aux déboursés ou imposant une amende à celui-ci peut, à défaut de paiement volontaire, être homologuée par la Cour supérieure ou la Cour provinciale suivant leur compétence respective selon le montant en cause et cette décision devient exécutoire comme un jugement de cette cour.

Bien que, selon l’art. 162, le Tribunal des profes­sions soit constitué de six juges de la Cour provin­ciale, il siège à trois juges en vertu de l’art. 163 et

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partant, sa composition peut varier lors de l’audi­tion d’appels des décisions d’un comité de disci­pline. Voici le texte des arts. 162 et 163:

162. Est institué un Tribunal des professions formé de six juges de la Cour provinciale désignés par le juge en chef de cette Cour; celui-ci désigne parmi eux un président.

Il y a appel devant ce tribunal de toute décision d’un comité de discipline, par le plaignant ou l’intimé.

163. Le tribunal siège au nombre de trois juges.

Au moins deux de ces juges doivent faire partie des six juges formant le tribunal. Le troisième peut être un juge faisant partie d’une liste de cinq juges de la Cour provinciale constituée à cette fin par le juge en chef de cette Cour.

Toutefois, toute requête préliminaire ou incidente à l’audition de l’appel, sauf celles présentées en vertu du premier alinéa de l’article 164 et des articles 166 à 169, 171, 172 et 173 et celles exceptées par les règles de pratique, est entendue et jugée par un juge du tribunal qui peut cependant la déférer au tribunal.

Les autres dispositions du Code des professions pertinentes au fonctionnement du Tribunal des professions sont les art. 164, 165, 167, 169, 173, 174, 175 et 176. En voici le texte:

164. Tout appel en vertu de l’article 162 est interjeté par requête signifiée aux parties et au secrétaire du comité de discipline. Cette requête doit être produite au greffe de la Cour provinciale au chef-lieu du district judiciaire où l’intimé en première instance exerce principalement sa profession, dans les vingt jours de la signification de la décision du comité de discipline rejetant la plainte ou imposant la sanction, selon le cas, ou dans les dix jours de la signification de la décision de ce comité, si cette décision porte sur une demande de radiation provisoire.

Dans les dix jours de la réception de l’avis d’appel, le secrétaire du comité transmet au greffier de la Cour provinciale l’original et trois exemplaires du dossier relatif à la décision dont il y a appel.

Le dossier comprend la plainte, les procédures subsé­quentes, les pièces produites, la transcription des déposi­tions si elles ont été enregistrées, le procès-verbal de l’instruction, la décision du comité et la requête.

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Un juge du tribunal peut:

a) sur requête du secrétaire du comité, prolonger le délai prévu au deuxième alinéa;

b) sur requête d’une partie, permettre que certains éléments du dossier ne soient pas reproduits dans les trois exemplaires qui doivent être transmis conformément au deuxième alinéa.

165. Le tribunal saisi de l’appel de même que chacun de ses membres sont investis des pouvoirs et immunités des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commis­sions d’enquête (chapitre C-37).

Le tribunal ou un de ses membres peut, en s’inspirant mutatis mutandis du Code de procédure civile, rendre les ordonnances de procédure nécessaires à l’exercice de ses fonctions.

Le greffier, de même que les fonctionnaires et employés de la Cour provinciale du district dans lequel siège le tribunal, sont tenus de fournir à celui-ci les services qu’ils fournissent habituellement à la Cour pro­vinciale elle-même.

167. Dans les quinze jours de la production de la requête, l’appelant doit produire au greffe de la Cour provinciale, en cinq exemplaires, un mémoire exposant ses prétentions et en remettre deux à chacune des autres parties. Ces dernières doivent, dans les quinze jours qui suivent, déposer au greffe de la cour et remettre à l’appelant autant d’exemplaires de leur propre mémoire.

Si l’appelant ne produit pas son mémoire dans le délai fixé, l’appel peut être rejeté; si ce sont les autres parties qui sont en défaut, le tribunal peut refuser de les entendre.

169. Le tribunal peut aussi, en raison de circonstances exceptionnelles et lorsque les fins de la justice le requièrent, autoriser la présentation d’une preuve addi­tionnelle documentaire ou verbale.

La demande d’autorisation est formulée par voie de requête libellée et assermentée; elle est présentée au tribunal pour adjudication après avis à la partie adverse.

Si la requête est accueillie, chacune des parties peut interroger et contre-interroger les témoins convoqués et exposer ses arguments.

173. Toute audition a lieu à huis clos, sauf si le tribunal décide, à la demande de l’intimé en première instance, qu’il est d’intérêt public qu’elle ne le soit pas.

174. Les mêmes règles que celles prévues à l’article 149 s’appliquent à l’audition devant le tribunal.

[Page 228]

175. Le tribunal peut confirmer, modifier ou infirmer toute décision qui lui est soumise et rendre la décision qui, à son jugement, aurait dû être rendue en premier lieu.

Le tribunal possède le pouvoir de condamner l’une ou l’autre des parties aux déboursés ou de les répartir entre elles,

La décision du tribunal est sans appel.

176. La décision du tribunal est consignée par écrit et signée par les juges qui l’ont rendue. Elle doit contenir, outre le dispositif, les motifs à l’appui.

Deux autres articles du Code des professions sont pertinents: l’art. 193 qui accorde une certaine immunité à l’égard d’actes accomplis de bonne foi, notamment par un comité de discipline ou un tribunal d’appel, dans l’exercice de leurs fonctions; l’art. 194, une disposition privative, qui exclut le recours au pouvoir de surveillance qu’a la Cour supérieure en vertu de certains articles du Code de procédure civile. Ces articles sont ainsi rédigés:

193. Les syndics, les syndics adjoints, les syndics corres­pondants, les enquêteurs et les experts d’un comité d’inspection professionnelle, les membres de l’Office, d’un Bureau, d’un comité de discipline, d’un comité d’inspection professionnelle ou d’un comité d’enquête formé par un Bureau, de même que les membres du tribunal entendant un appel d’une décision d’un comité de discipline, ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions.

194. Aucun des recours extraordinaires prévus aux arti­cles 834 à 850 du Code de procédure civile ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre les person­nes visées à l’article 193 agissant en leur qualité officielle.

L’article 194 est renforcé par l’art. 196 qui est ainsi rédigé:

196. Deux juges de la Cour d’appel peuvent, sur requête, annuler sommairement tout bref et toute ordonnance ou injonction délivrée ou accordée à l’encontre des articles 193 et 194.

Il y a lieu de signaler l’art. 195 qui est ainsi libellé:

195. Les dispositions de l’article 33 du Code de procé­dure civile ne s’appliquent pas aux personnes visées à l’article 193 agissant en leur qualité officielle.

[Page 229]

Il suffit en l’espèce, quant à la mention dans l’art. 194, précité, des art. 834 à 850 du Code de procédure civile, de reproduire seulement l’art. 846 qui est ainsi rédigé:

846. La Cour supérieure peut, à la demande d’une partie, évoquer avant jugement une affaire pendante devant un tribunal soumis à son pouvoir de surveillance ou de contrôle, ou reviser le jugement déjà rendu par tel tribunal:

1. dans le cas de défaut ou d’excès de juridiction;

2. lorsque le règlement sur lequel la poursuite a été formée ou le jugement rendu est nul ou sans effet;

3. lorsque la procédure suivie est entachée de quelque irrégularité grave, et qu’il y a lieu de croire que justice n’a pas été, ou ne pourra pas être rendue;

4. lorsqu’il y a eu violation de la loi ou abus de pouvoir équivalant à fraude et de nature à entraîner une injustice flagrante.

Toutefois, ce recours n’est ouvert, dans les cas prévus aux alinéas 2, 3 et 4 ci-dessus, que si, dans l’espèce, les jugements du tribunal saisi ne sont pas susceptibles d’appel.

L’article 33 du Code de procédure civile, dont l’application est exclue par l’art. 195, précité, est ainsi rédigé:

33. A l’exception de la Cour d’appel, les tribunaux relevant de la compétence de la Législature de Québec, ainsi que les corps politiques et les corporations dans la province, sont soumis au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure, en la manière et dans la forme prescrites par la loi, sauf dans les matières que la loi déclare être du ressort exclusif de ces tribunaux, ou de l’un quelconque de ceux-ci, et sauf dans les cas où la juridiction découlant du présent article est exclue par quelque disposition d’une loi générale ou particulière.

La Cour d’appel, à la majorité, a conclu que les termes limitatifs de l’art. 194 n’influaient pas sur le pouvoir et le droit de la Cour supérieure de délivrer un bref d’évocation s’il y avait défaut ou excès de juridiction. L’article 194 lui-même ne reconnaît cependant pas le droit de surveillance de la Cour supérieure. S’il le faisait, on pourrait soutenir que, dans la mesure où le Tribunal des professions est assujetti au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure sur des questions de compé­tence, il ne pourrait être taxé d’exercer une compé­tence appartenant à une cour constituée en vertu

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de l’art. 96 quand il conclut, sous réserve d’appel, qu’un comité de discipline a excédé sa juridiction. Ce n’est pas le cas en l’espèce, compte tenu des termes étendus de l’art. 194 du Code des profes­sions. Même s’il en était autrement et que le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure sur des questions de compétence fût expressément sau­vegardé, il n’y aurait pas réfutation complète de l’argument selon lequel le Tribunal des professions exerce des pouvoirs plus proches de ceux d’une cour constituée en vertu de l’art. 96 que de ceux que peut validement exercer un tribunal adminis­tratif ou quasi judiciaire d’une province ou même un tribunal judiciaire d’une province.

En l’espèce, le juge Poitras a résumé dans les termes suivants sa conclusion selon laquelle le Tribunal des professions a reçu des pouvoirs qu’il ne peut pas exercer selon la constitution [à la p. 334]:

Nous sommes d’avis que la question à savoir si un organisme a excédé sa juridiction, soit en refusant de reconnaître la portée d’un règlement de l’Ordre, soit en décidant en l’absence de réglementation, soit en faisant observer des règles non écrites, soit en interprétant de façon déraisonnable un règlement quelconque, relève du pouvoir de surveillance et de contrôle lequel seul est réservé à une cour supérieure dont la nomination des membres relève du gouverneur général en conseil.

Partant, dans la mesure où juridiction est donnée au Tribunal des professions par le Code des professions de se prononcer en droit, à l’exclusion de tout tribunal, sur le soi-disant refus du Comité de discipline de reconnaître la portée d’un règlement ou sur le droit du Comité de discipline de l’interpréter comme il l’entend, cette com­pétence d’attribution est inconstitutionnelle.

La Cour d’appel, à la majorité, a examiné la question différemment. Le juge Paré est parti d’une perspective historique selon laquelle, à l’épo­que de la Confédération, l’appel d’une décision disciplinaire contre un membre d’une profession libérale n’était pas du ressort exclusif de la Cour supérieure. Par conséquent, en se fondant uniquement sur l’histoire, on ne peut affirmer que l’attri­bution au Tribunal des professions de la compé­tence d’appel que confère le Code des professions, a pour effet de lui accorder des pouvoirs sembla­bles à ceux des tribunaux constitués en vertu de

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l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britan­nique. De plus, de l’avis du juge Paré, le fait que le Tribunal des professions ait reçu la compétence, par voie d’appel, sur le fond des décisions des comités de discipline ne comporte pas l’exercice d’une compétence exercée auparavant en exclusi­vité par la Cour supérieure. Cette compétence n’a pas eu pour effet de transférer au Tribunal des professions le pouvoir de contrôle et de surveillance exercé par la Cour supérieure.

Le juge Paré a formulé l’avis que l’affaire Farrah se distingue de celle-ci en ce que la loi contestée dans la première en vertu de l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, soit l’al. 58a) de la Loi des transports, en conjonction avec les art. 24 et 72 de la même loi, avait comme conséquence d’exclure la compétence de surveillance de la Cour supérieure. A son avis, les mêmes considérations ne s’appliquent pas dans cette affaire; on peut interpréter les art. 162 et 175 (auparavant les art. 158 et 170) du Code des professions séparément des art. 194 et 195 (aupa­ravant les art. 188 et 189); donc, les dispositions restrictives des art. 194 et 195 ne doivent pas être considérées comme limitant le pouvoir de la Cour supérieure, en matière de compétence, de contrôler les actes du Tribunal des professions. De plus, il y a la distinction que dans l’affaire Farrah l’al. 58a) de la Loi des transports avait pour effet de trans­férer au tribunal des transports la compétence d’appel accordée à la Cour d’appel sur des ques­tions de compétence ou de droit. Comme il n’y a pas, en l’espèce, d’atteinte à l’art. 96, la Cour supérieure n’a pas la latitude de substituer son avis à celui du Tribunal des professions quand ce dernier exerce les pouvoirs étendus que lui accorde l’art. 175 du Code des professions.

Le juge Jacques (siégeant ad hoc) a souscrit à l’avis du juge Paré, mais il a ajouté que, bien que les décisions du Tribunal des professions ne soient pas susceptibles d’appel et que les dispositions privatives les mettent à l’abri, même en présence de telles dispositions, elles demeurent soumises au contrôle et à la surveillance de la Cour supérieure en cas de défaut ou d’excès de juridiction. De plus, de l’avis du juge Jacques, le Code des professions établit un mécanisme de contrôle des professions,

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ce qui est de compétence provinciale, et le Tribu­nal des professions en est une partie intégrante. On reconnaît ici la façon d’aborder la question du point de vue des «institutions» adoptée dans l’arrêt Tomko c. Labour Relations Board (N.-É.)[7], mais il n’a pas été explicité.

Le juge Montgomery, dissident, souligne que les comités de discipline sont, en réalité, des tribunaux internes investis d’une compétence pénale (et non des organismes administratifs) et qu’en consé­quence, le Tribunal des professions n’a pas reçu d’autre pouvoir que celui d’entendre les appels des décisions des comités de discipline. Le tribunal est donc une cour d’appel investie d’une compétence limitée en matière pénale et non un tribunal admi­nistratif d’appel semblable à celui dont il est fait mention dans les motifs de l’arrêt Farrah à la p. 642. Le juge Montgomery n’a pas considéré déter­minant qu’il n’y ait pas eu auparavant de droit d’appel à la Cour d’appel des décisions de tribu­naux internes comme les comités de discipline (ce qui était le cas dans l’affaire Farrah). Il n’a pas estimé déterminant non plus que le Tribunal des professions ne soit pas expressément habilité à trancher des questions de droit. A son avis, les termes des art. 162 et 175 sont suffisamment étendus pour indiquer clairement que le tribunal a reçu cette compétence et il a ajouté que [TRADUC­TION] «la nature des décisions que les comités de discipline doivent rendre est telle que celles qui sont soumises au Tribunal des professions portent normalement sur des questions mixtes de droit et de fait».

Le juge Montgomery termine ses motifs de jugement comme ceci [à la p. 341]:

[TRADUCTION] On a mentionné qu’il faudrait interpré­ter le Code des professions de manière à ne pas enlever à la Cour supérieure son pouvoir de surveillance et de réforme à l’endroit d’un comité de discipline qui excéde­rait sa compétence. Cette question a été examinée en détail dans l’arrêt Farrah par le juge Pigeon [aux pp. 657 à 661], qui a néanmoins souscrit aux motifs par lesquels le juge Pratte déclare l’al. 58a) inconstitutionnel.

Il est manifeste qu’une différence déterminante, sinon la différence déterminante, entre les motifs

[Page 233]

de la majorité et ceux du juge Montgomery tient à leur interprétation respective de la portée des dispositions privatives des art. 194 et 195. Malgré les termes étendus de l’art. 194 qui excluent le con­trôle et la surveillance de la Cour supérieure à l’égard des questions de droit et de compétence, la majorité les atténuerait de manière à retenir le pouvoir de la Cour supérieure à l’égard du défaut ou de l’excès de juridiction et, par conséquent, soustrairait la compétence d’appel du Tribunal des professions à l’invalidation due à l’application de l’art. 96.25e toute évidence le juge dissident a estimé que, l’exclusion expresse et générale du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure, jointe à la compétence étendue attribuée au Tribunal des professions d’entendre, et ce en dernier ressort, les appels des décisions des comités de discipline sur des questions de droit et de fait, donnait au Tribu­nal des professions le caractère d’une cour nantie de pouvoirs proches de ceux d’une cour créée en vertu de l’art. 96 et même d’une cour supérieure créée en vertu de l’art. 96.

Les motifs de la Cour d’appel soulèvent trois questions. La première, qui je crois peut être tran­chée rapidement, porte sur l’indication par le juge Jacques d’une situation telle l’affaire Tomko. Le Tribunal des professions n’a pas d’autre fonction que celle d’un tribunal d’appel à l’égard de toutes les professions que vise le Code des professions, et il est par conséquent impossible de considérer sa compétence d’appel en dernier ressort comme une partie d’un mécanisme institutionnel sous forme de dispositif de réglementation de la conduite des diverses professions. Le Tribunal des professions fait moins partie d’un dispositif quelconque qu’il ne domine les divers dispositifs, et ce par une compétence distincte de ceux-ci, même si, bien sûr, il exerce cette compétence à l’égard de chaque dispositif lorsque les circonstances l’exigent. Il n’y a pas de comparaison possible avec les ordres de ne pas faire que la Commission des relations de tra­vail visée dans l’affaire Tomko pouvait décerner en application d’une loi sur la négociation collective.

Pour distinguer l’arrêt Tomko dans cette étude du Tribunal des professions, je m’appuie sur l’arrêt récent de cette Cour dans Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, rendu le 28 mai 1981,

[Page 234]

encore inédit[8]. Dans cette affaire, le juge Dickson, qui a rédigé les motifs de l’arrêt unanime de la Cour, examine l’arrêt Tomko [à la p. 735]:

Il ne suffit plus simplement d’examiner le pouvoir ou la fonction précise d’un tribunal et de se demander si ce pouvoir ou cette fonction a déjà été exercé par un tribunal visé à l’art. 96. Ce serait examiner le pouvoir ou la fonction «dans l’abstrait», contrairement au raisonnement de l’arrêt Tomko. C’est le contexte dans lequel le pouvoir s’exerce qu’il faut considérer. L’arrêt Tomko nous mène au résultat suivant: les tribunaux administratifs peuvent exercer les pouvoirs et la compétence que les tribunaux visés à l’art. 96 ont déjà exercés. Tout dépen­dra du contexte dans lequel le pouvoir est exercé. Les. «pouvoirs judiciaires» attaqués peuvent être simplement complémentaires ou accessoires aux fonctions adminis­tratives générales attribuées au tribunal (les arrêts John East et Tomko), ou ils peuvent être nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges de la législature (l’arrêt Mississauga). Dans ce cas, l’attri­bution d’un pouvoir judiciaire à des organismes provin­ciaux est valide. La loi ne sera invalide que si la seule fonction ou la fonction principale du tribunal est de juger (l’arrêt Farrah) et qu’on puisse dire que le tribu­nal fonctionne «comme une cour visée à l’art. 96».

Je mets l’accent sur la dernière phrase de ce passage.

La deuxième question porte sur l’effet, à l’égard de l’art. 96, d’une disposition législative privative qui prétend soustraire à toute révision les décisions d’un tribunal créé par une province et qui a pour fonction d’adjuger. Est-il suffisant pour écarter l’art. 96 que la disposition privative soit interprétée de façon à sauvegarder le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure sur les questions de compé­tence et si (comme en l’espèce) cette interprétation n’est pas possible à cause du texte de la disposition privative, la disposition est-elle constitutionnelle? A mon avis, chaque fois que le législateur provin­cial prétend soustraire l’un des tribunaux créé par la loi à toute révision judiciaire de sa fonction d’adjuger, et que la soustraction englobe la compé­tence, la loi provinciale doit être déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle a comme conséquence de faire de ce tribunal une cour au sens de l’art. 96.

[Page 235]

Comme le juge Judson le souligne dans l’arrêt Farrell c. Commission des accidents de travail[9], à la p. 52, [TRADUCTION] «toute restriction au pouvoir législatif que possède une province de conférer une certaine compétence à des commissions doit dériver par implication des dispositions de l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique». Dans l’affaire Farrell, une disposition écartait le contrôle judiciaire des décisions de la Commission sur des questions de droit, mais non sur des ques­tions de compétence, par opposition aux questions de droit, et il était incontestable que la Commis­sion était compétente. La conclusion dans l’arrêt Farrell, réaffirmée dans l’arrêt Farrah, porte qu’il n’y a pas d’obstacle constitutionnel à ce qu’une province apporte une telle limitation au contrôle judiciaire. Dans une affaire antérieure, Toronto Newspaper Guild, Local 187 c. Globe Printing Company[10], à la p. 40, le juge Fauteux (alors juge puîné), fait observer que [TRADUCTION] «Si l’on veut que le pouvoir de contrôle des cours supérieu­res sur les tribunaux d’instance inférieure ou sur les organismes administratifs qui exercent des fonctions judiciaires, fonctionne dans les cas où, en principe, on reconnaît son existence, les cours supérieures doivent pouvoir d’une façon ou d’une autre constater qu’il n’y a eu ni excès de juridic­tion ni refus de l’exercer».

Le juge en chef Rinfret s’est exprimé avec plus, de vigueur sur ce point dans l’arrêt L’Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal c. Commis­sion des relations ouvrières du Québec[11], à la p. 155:

Nous le répétons, un tribunal ne peut s’attribuer à lui-même une juridiction qu’il n’a pas. Il semble que cette proposition est tellement évidente qu’elle n’a pas besoin de démonstration. En plus, toute restriction aux pouvoirs de contrôle et de surveillance d’un tribunal supérieur est nécessairement inopérante lorsqu’il s’agit pour lui d’empêcher l’exécution d’une décision, d’un ordre ou d’une sentence rendue en l’absence de juridiction.

Dans l’arrêt Succession Woodward c. Ministre des Finances[12], cette Cour a notamment examiné une

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disposition législative provinciale qui prétendait rendre certaines décisions du Ministre définitives sans recours ni appel à aucun tribunal. Le juge Martland, au nom de la Cour, s’exprime ainsi à propos de cette disposition (à la p. 127):

L’effet qui a été donné à une disposition de ce genre est que même si elle empêche une cour supérieure de révi­ser, par voie de certiorari, la décision d’un tribunal inférieur pour erreur de droit manifeste à la lecture du dossier, si pareille erreur est commise dans l’exercice approprié de la compétence de ce dernier tribunal, elle n’empêche pas cette révision si le tribunal inférieur a outrepassé les limites de sa compétence définie. Le fondement de ces arrêts est que si le tribunal a excédé sa compétence dans une décision, cette dernière n’est pas une décision du tout, selon la loi qui définit les pouvoirs du tribunal, parce que le Parlement ne pouvait pas avoir l’intention de conférer à pareil tribunal le pouvoir d’étendre sa compétence légale au moyen d’une décision erronée quant à l’étendue de ses propres pouvoirs.

Même s’il ne s’agit pas là d’une décision directement reliée à la compétence constitutionnelle (la juridiction n’était pas expressément visée comme en l’espèce), il est manifeste que l’aspect constitu­tionnel était présent en arrière-plan. II est néces­saire cependant de le mettre au premier plan lorsqu’il est mis en cause aussi précisément que dans le cas du Code des professions.

C’est la première fois, il est vrai, que cette Cour déclare sans équivoque qu’un tribunal créé par une loi provinciale ne peut être constitutionnellement a l’abri du contrôle de ses décisions sur des questions de compétence. A mon avis, cette limitation, qui découle de l’art. 96, repose sur le même fondement que la limitation reconnue du pouvoir des tribu­naux créés par des lois provinciales de rendre des décisions sans appel sur des questions constitutionnelles. Il peut y avoir des divergences de vues sur ce que sont des questions de compétence, mais, dans mon vocabulaire, elles dépassent les erreurs de droit, dont elles diffèrent, que celles-ci tiennent à l’interprétation des lois, à des questions de preuve ou à d’autres questions. Il est maintenant incontestable que des clauses privatives bien for­mulées peuvent efficacement écarter le contrôle

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judiciaire sur des questions de droit et, bien sûr, sur d’autres questions étrangères à la compétence. Toutefois, comme l’art. 96 fait partie de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que ce serait le tourner en dérision que de l’interpréter comme un pouvoir de nomination simple et sans portée, je ne puis trouver de marque plus distinctive d’une cour supérieure que l’attribution à un tribunal provin­cial du pouvoir de délimiter sa compétence sans appel ni autre révision.

Différents auteurs se sont interrogés sur la portée que pouvaient avoir les clauses privatives à l’égard des décisions d’organismes judiciaires pro­vinciaux. Les avis ont varié depuis celui selon lequel même les erreurs de droit ne peuvent être validement à l’abri du contrôle (voir J. N. Lyon, «Commentaire», (1971) 49 R. du B. Can. 365) jusqu’à celui selon lequel, au minimum, la révision des questions de compétence est garantie par la constitution (voir W. R. Lederman, «The Independence of the Judiciary», (1956) 34 R. du B. Can. 1139, à la p. 1174) et à celui que même les décisions sur des questions de compétence peuvent constitutionnellement échapper au contrôle judi­ciaire (voir P. W. Hogg, «Is Judicial Review of Administrative Action Guaranteed by the British North America Act?», (1976) 54 R. du B. Can. 716, ainsi que Dussault, Le contrôle judiciaire de l’administration au Québec (1969), en particulier aux pp. 110 à 113).

Cette Cour s’est limitée jusqu’ici à étudier les clauses privatives du point de vue de la bonne interprétation et, indubitablement, avec une tendance à leur donner une interprétation stricte en regard de la longue histoire du contrôle judiciaire des questions de droit et des questions de compé­tence. Toutefois, quand la disposition privative englobe spécifiquement les questions de droit, cette Cour n’a pas hésité, comme dans l’arrêt Farrah, à reconnaître que cette limitation du contrôle judi­ciaire favorise une politique législative explicite qui veut protéger les décisions des organismes judiciai­res contre la rectification externe. La Cour a ainsi, à mon avis, maintenu l’équilibre entre les objectifs contradictoires du législateur provincial de voir confirmer la validité quant au fond des lois qu’il a adoptées et ceux des tribunaux d’être les interprètes

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en dernier ressort de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et de son art. 96. Les mêmes considérations ne s’appliquent cependant pas aux questions de compétence qui ne sont pas très éloi­gnées des questions de constitutionnalité. II ne peut être accordé à un tribunal créé par une loi provin­ciale, à cause de l’art. 96, de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision.

La troisième question que soulèvent les motifs de la Cour d’appel a trait à la portée de l’arrêt Farrah. Dans cette affaire-là, comme en l’espèce, le législateur provincial a institué un tribunal d’ap­pel. La loi en cause, la Loi des transports du Québec, attribuait au tribunal des transports, en vertu de son al. 58a) «juridiction pour connaître et disposer, exclusivement à tout autre tribunal, en appel, sur toute question de droit, de toute décision de la Commission [des transports du Québec] qui termine une affaire». Ce pouvoir était renforcé par les dispositions privatives des art. 24 et 72 qui écartaient les recours prévus aux art. 834 à 850 du Code de procédure civile à l’encontre de la Com­mission et du tribunal des transports respectivement. Les dispositions précédentes, considérées ensemble, avaient pour effet de transférer au tribu­nal des transports le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure du Québec qui existait au moment de la Confédération et depuis lors, ce qui excédait la compétence provinciale. Un des facteurs de la décision a été que l’al. 58a) substituait le tribunal des transports à la Cour d’appel du Québec auprès de laquelle il y avait antérieurement un droit d’appel sur des questions de droit et de compétence.

.En bref, l’arrêt Farrah a établi qu’attribuer à un tribunal créé par une loi provinciale la compétence d’appel sur des questions de droit sans restriction et renforcer cette compétence d’appel par la suppression de tout pouvoir de surveillance de la Cour supérieure du Québec équivaut à créer une cour visée par l’art. 96., L’affaire ‘en l’espèce n’est pas différente en principe, même si l’on ne trouve pas dans les art. 162 et 175 du Code des professions, lesquels traitent de la compétence d’appel du Tri­bunal des professions, le mot «droit» ni le mot «compétence». Si je considère les dispositions pri­vatives des art. 194 et 195, et que j’ajoute le fait

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qu’en vertu de l’art. 175 les décisions du Tribunal des professions sont sans appel, je ne vois pas de distinction significative entre la présente affaire et l’affaire Farrah en ce que la compétence attribuée au tribunal d’appel l’était «exclusivement à tout autre tribunal». Dans les deux affaires, on a voulu écarter le pouvoir de contrôle de tout autre tribu­nal, sous forme d’appel ou d’évocation.

En conclusion, je suis d’avis d’accueillir le pour­voi, d’infirmer les arrêts de la Cour d’appel du Québec et de rétablir les jugements du juge Poi­tras. L’appelant a droit aux dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant: Amyot, Lesage, Bernard, Drolet & Associés, Québec.

Procureurs de l’intimé le procureur général de la province de Québec: Boissonneault, Roy & Poulin, Montréal; Henri Brun, Québec.

Procureurs des intimés Aubry et Cofsky: Smith, Léger, Lussier & Saint-Martin, Montréal.

Procureur de l’intervenant: Le procureur géné­ral de la province de l’Alberta, Edmonton.

[1] [1979] C.A. 333.

[2] [1977] C.S. 324.

[3] [1978] 2 R.C.S. 638.

[4] [1975] D.D.C.P. 233 et 235.

[5] [1977] C.S. 324.

[6] [1979] C.A. 333.

[7] [1977] 1 R.C.S. 112.

[8] Maintenant publié à [1981] 1 R.C.S. 714.

[9] [1962] R.C.S. 48.

[10] [1953] 2 R.C.S. 18.

[11] [1953] 2 R.C.S. 140.

[12] [1973] R.C.S. 120.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 220 ?
Date de la décision : 20/10/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Tribunal des professions - Brefs d’évocation - Clauses privatives - Exclusion expresse et générale du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure à l’égard des questions de droit et de compétence - Pouvoir de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision équivaut à créer une cour visée par l’art. 96 de l’A.A.N.B. - Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 96 - Code des professions, L.R.Q. 1977, chap. C-26, art. 162, 163, 164, 169, 175, 193, 194, 195 - Code de procédure civile, art. 33, 846.

L’appelant a obtenu deux brefs d’évocation d’un juge de la Cour supérieure du Québec à l’encontre de deux décisions du Tribunal des professions qui a infirmé une décision du comité de discipline d’une corporation pro­fessionnelle au motif que cet organisme avait excédé sa compétence. La Cour supérieure a statué que les pou­voirs étendus accordés au Tribunal des professions (pou­voirs englobant la révision de questions de droit, de fait ou de compétence) étaient de nature à contrevenir à l’art. 96 de l’A.A.N.B. car la question de savoir si un organisme a excédé sa juridiction relève du pouvoir de surveillance et de contrôle lequel seul est réservé à une cour supérieure dont la nomination des membres relève du gouverneur général en conseil. La Cour d’appel, à la majorité, a infirmé ce jugement, d’où le pourvoi devant cette Cour.

[Page 221]

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le Tribunal des professions n’a pas d’autre fonction que celle d’un tribunal d’appel à l’égard de toutes les professions que vise le Code des professions et il est, par conséquent, impossible de considérer sa compétence d’appel en dernier ressort comme une partie d’un méca­nisme institutionnel sous forme de dispositif de régle­mentation de la conduite des diverses professions.

Chaque fois que le législateur provincial prétend soustraire l’un des tribunaux créé par la loi à toute révision judiciaire de sa fonction d’adjuger, et que la soustraction englobe la compétence, la loi provinciale doit être décla­rée inconstitutionnelle parce qu’elle a comme consé­quence de faire de ce tribunal une cour au sens de l’art. 96. Il est incontestable que des clauses privatives bien formulées peuvent efficacement écarter le contrôle judi­ciaire sur des questions de droit et sur d’autres questions étrangères à la compétence. Toutefois, comme l’art. 96 fait partie de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que ce serait le tourner en dérision que de l’interpréter comme un pouvoir de nomination simple et sans portée, la Cour ne peut trouver de marque plus distinctive d’une cour supérieure que l’attribution à un tribunal provincial du pouvoir de délimiter sa compétence sans appel ni autre révision. En conséquence, un tribunal créé par une loi provinciale ne peut être constitutionnellement à l’abri du contrôle de ses décisions sur des questions de compétence.

L’affaire en l’espèce n’est pas différente en principe de l’affaire Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638, si l’on considère les art. 175, 194 et 195 du Code des professions. Dans les deux affaires on a voulu écarter le pouvoir de con­trôle de tout autre tribunal, sous forme d’appel et d’évocation.


Parties
Demandeurs : Crevier
Défendeurs : P.G. (Québec) et autres

Références :

Jurisprudence: arrêt suivi: Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638

distinction faite avec l’arrêt Tomko c. Labour Relations Board (N.-E.), [1977] 1 R.C.S. 112

arrêts mentionnés: Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714

Far­rell c. Commission des accidents de travail, [1962] R.C.S. 48

Toronto Newspaper Guild, Local 187 c. Globe Printing Company, [1953] 2 R.C.S. 18

L’Al­liance des Professeurs Catholiques de Montréal c. Commission des relations ouvrières du Québec, [1953] 2 R.C.S. 140

Succession Woodward c. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120.

Proposition de citation de la décision: Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220 (20 octobre 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-10-20;.1981..2.r.c.s..220 ?
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