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17/12/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._617

Canada | Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617 (17 décembre 1981)


Cour suprême du Canada

Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617

Date: 1981-12-17

Christian Francis Plough Kjeldsen Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1981: 17 mars; 1981: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta[1], qui a rejeté l’appel d’un jugement du juge en chef Milvain mais qui a substitué un verdict de

déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré à la déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré. Pourvoi ...

Cour suprême du Canada

Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617

Date: 1981-12-17

Christian Francis Plough Kjeldsen Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1981: 17 mars; 1981: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta[1], qui a rejeté l’appel d’un jugement du juge en chef Milvain mais qui a substitué un verdict de déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré à la déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté.

J. Brimacombe, pour l’appelant.

Paul S. Chrumka, c.r., pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Ce pourvoi, interjeté à l’encontre d’une déclaration de culpabilité d’un meurtre au deuxième degré, soulève l’examen de la défense d’aliénation mentale et, en particulier, des mots du par. 16(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, «incapable de juger la nature et la qualité d’un acte ou d’une omission». L’appelant a été accusé du meurtre au premier degré d’une femme conducteur de taxi dont il avait retenu les services pour le conduire de Calgary à Banff le 23 février 1977. Son seul moyen de défense est l’aliénation mentale, il ne conteste pas avoir tué la femme. Il a été déclaré coupable au procès. La Cour d’appel a rejeté son appel, mais parce que le juge du procès n’a pas instruit le jury de façon adéquate sur la différence entre le meurtre au premier et le meurtre au deuxième degré, elle a substitué au verdict une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. L’appelant interjette appel à cette Cour en vertu de l’al. 618(1)a) du Code criminel en invoquant ce qu’il affirme être une dissidence sur un point de droit en Cour d’appel, puisque l’un des juges est d’avis qu’il y a eu absence de directives au jury, équivalant à une directive erronée, sur une preuve de nature médicale que l’appelant a fournie concernant sa capacité, au moment du meurtre, de juger la nature et la qualité de son acte.

Avant de rencontrer sa victime, l’appelant avait été interné dans un hôpital psychiatrique en Alberta. Il y était détenu au bon plaisir du lieutenant-gouverneur, après avoir été déclaré non coupable, pour cause d’aliénation mentale, de viol et

[Page 619]

de tentative de meurtre en 1972. Le 23 février 1977, il a reçu un jour de congé qui lui permettait de quitter l’hôpital. Il a pris l’avion pour Calgary et à l’aéroport, il a demandé un taxi, conduit par sa victime, pour le conduire en ville. En route, il s’est informé du tarif pour aller de Calgary à Banff. Plus tard ce jour-là, il a pris avec le répartiteur des taxis des dispositions pour que le même conducteur le prenne à Calgary et le conduise à Banff. Le résumé des événements survenus en chemin provient des déclarations qu’a faites l’accusé pendant qu’il était sous garde, confirmées par des preuves matérielles que les policiers ont trouvées et que l’autopsie a révélées.

Lorsque le taxi est arrivé dans les environs du village d’Exshaw, à quelque quarante milles de Calgary, l’appelant a ordonné au conducteur de quitter la route principale et de se diriger vers Exshaw. Peu après, lorsqu’elle eut suivi cette directive, il a sorti un couteau et par des menaces, il l’a obligée à s’arrêter et à se soumettre à des rapports sexuels sans son consentement. Il l’a alors tirée de force de l’automobile et l’a tuée brutalement en la frappant à plusieurs reprises à la tête avec une grosse pierre, lui fracassant le crâne. Il l’a ligotée les mains derrière le dos et les jambes relevées et liées à ses poignets, lui a introduit de force un baillon de bois dans la bouche et a laissé son corps dans les buissons où on l’a retrouvé quelques jours plus tard, le 1er mars 1977. Après s’être ainsi débarrassé de sa victime, il a quitté les lieux avec le taxi, l’a abandonné quelques milles plus loin et a fait de l’auto-stop jusqu’à Vancouver. Plus tard, il s’est rendu à Victoria où il a été arrêté le 3 mars 1977.

L’article 16 du Code criminel du Canada, qui prévoit la défense d’aliénation mentale, se lit comme suit:

16. (1) Nul ne doit être déclaré coupable d’une infraction à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part alors qu’il était aliéné.

(2) Aux fins du présent article, une personne est aliénée lorsqu’elle est dans un état d’imbécillité naturelle ou atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable de juger la nature et la qualité d’un acte ou d’une omission, ou de savoir qu’un acte ou une omission est mauvais.

[Page 620]

(3) Une personne qui a des hallucinations sur un point particulier, mais qui est saine d’esprit à d’autres égards, ne doit pas être acquittée pour le motif d’aliénation mentale, à moins que les hallucinations ne lui aient fait croire à l’existence d’un état de choses qui, s’il eût existé, aurait justifié ou excusé son acte ou omission.

(4) Jusqu’à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d’esprit.

Les plaidoyers en cette Cour ont porté sur une seule question principale. On n’a pas prétendu que l’appelant était incapable de savoir que ses actes étaient mauvais, en ce sens qu’ils étaient contraires à la loi. On a très peu plaidé la question de savoir si l’état de psychopathie, dont l’appelant était atteint selon la preuve médicale, était une maladie mentale au sens de l’art. 16 du Code. La principale question plaidée devant cette Cour portait sur la définition du mot «juger» à l’art. 16 et sur la justesse de l’exposé du juge du procès à cet égard. On a prétendu que, par sa directive relative à la définition de ce mot, il avait en fait retiré au jury la défense de maladie mentale.

Les cinq psychiatres cités comme témoins, deux par la défense et trois par la poursuite, sont tous d’avis que l’appelant est un psychopathe dangereux ayant des tendances sexuelles déviantes. Les psychiatres cités par la défense ont appliqué une définition large de «juger», qui met en jeu non seulement l’aptitude à prévoir les conséquences matérielles de ses actes, mais aussi la capacité de prévoir et de comprendre les réactions subjectives et émotives des personnes touchées. Ils sont d’avis qu’on ne peut dire qu’un psychopathe tel l’appelant est capable de juger la nature et la qualité de ses actes. Les psychiatres cités par la poursuite, appliquant une définition qui se limite à la capacité de comprendre et de prévoir les conséquences matérielles d’un acte, sont d’avis qu’un psychopathe tel l’appelant est tout à fait capable de juger la nature et la qualité de ses actes même si leurs conséquences lui importent peu.

Deux questions importantes se présentent en l’espèce. Au moment où il a accompli l’acte qui a tué la victime, l’appelant souffrait-il d’une maladie mentale au sens que l’art. 16 du Code criminel donne à cette expression et, le cas échéant, est-ce

[Page 621]

que la maladie mentale a eu pour effet de lui enlever la capacité de juger la nature et la qualité de ses actes au moment où il a attaqué la victime? Cette Cour a récemment examiné ces deux questions dans l’arrêt Cooper c. La Reine[2]. Le juge Dickson, au nom de la majorité, a examiné attentivement le concept de maladie mentale. Il n’est pas nécessaire de citer en détail son étude de la question. Aux pages 1159 et 1160, il en est venu à la conclusion suivante:

En bref, on pourrait dire qu’au sens juridique, «maladie mentale» comprend toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l’exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l’hystérie ou la commotion. Afin d’appuyer une défense d’aliénation mentale, la maladie doit, bien sûr, être d’une intensité telle qu’elle rende l’accusé incapable de juger la nature et la qualité de l’acte violent ou de savoir qu’il est mauvais.

et plus loin:

Dès qu’il y a preuve suffisante qu’un accusé souffre d’un état qui, en droit, pourrait constituer une maladie mentale, le juge doit laisser le jury décider, en tant que question de fait, si l’accusé était atteint de maladie mentale au moment de la perpétration de l’acte criminel. La question la plus difficile, lorsque l’aliénation mentale est invoquée comme moyen de défense, concerne le second critère à appliquer pour déterminer la responsabilité criminelle. Comme l’a dit le juge Martin dans Rabey:

[TRADUCTION] Dans un grand nombre de cas, sinon la plupart, où l’aliénation mentale est invoquée comme moyen de défense, la question de savoir si l’accusé souffrait d’une maladie mentale n’est pas la question cruciale; la question déterminante est de savoir si un état qui, de l’avis de tous, constitue une maladie mentale, rendait l’accusé incapable de juger la nature et la qualité de l’acte ou de savoir qu’il était mauvais ….

A mon avis, la vraie question en l’espèce n’est pas de savoir si l’accusé souffrait d’une maladie mentale, mais de savoir s’il était capable de juger la nature et la qualité de l’acte. Cette seconde question aurait dû être soumise en termes clairs à l’appréciation du jury.

[Page 622]

Dans l’examen du concept de «juger» la nature et la qualité des actes, il a souligné que le mot «juger» dans ce contexte veut dire plus que «savoir». A la page 1162, il a adopté en ces termes le critère proposé dans le Rapport McRuer:

Le critère proposé dans le Rapport McRuer, que j’adopterai, (sauf pour la suppression du mot «tout à fait» à la cinquième ligne) est le suivant:

Le vrai test est nécessairement cette question: L’accusé, au moment de l’infraction — non avant ni après, mais au moment de l’infraction — à cause d’une affection mentale, était-il incapable d’apprécier tout à fait, non seulement la nature de l’acte, mais les conséquences naturelles qui en découleraient? En d’autres termes, l’accusé, à cause d’une affection mentale, était-il privé de la faculté de prévoir et de mesurer les conséquences de l’acte? …

Cette Cour a également examiné cette question en des termes compatibles avec les motifs du juge Dickson dans l’arrêt Cooper, précité, dans l’arrêt R. c. Barnier[3]. Dans cette affaire, la différence de sens entre les mots «juger» et «savoir» était primordiale. Au procès, les psychiatres avaient témoigné qu’après avoir examiné l’arrêt de cette Cour Schwartz c. La Reine[4], ils avaient conclu que l’accusé n’était pas aliéné alors qu’ils avaient d’abord conclu qu’il était aliéné au sens de l’art. 16 du Code. Ce changement d’avis était dû à ce qu’ils avaient retenu de l’arrêt Schwartz et à ce que, à leur avis, cet arrêt concluait que les deux mots étaient synonymes. Adoptant cette même opinion, le juge du procès avait exposé au jury que les mots «juger» et «savoir» à l’art. 16 du Code criminel signifiaient la même chose. En prononçant les motifs de cette Cour dans l’arrêt Barnier, le juge Estey a examiné cette question en ces termes, à la p. 1137:

D’après l’usage ordinaire de ces mots dans le langage, il appert donc que «to appreciate» (juger) comprend l’acte de savoir mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ceci est sous-jacent au commentaire du Black’s Legal Dictionary, 4e éd., 1951, à la p. 130:

Appreciate (juger) [TRADUCTION] peut être synonyme de «savoir» ou «comprendre».

[Page 623]

Le verbe «savoir» a une connotation positive qui exige une simple conscience, l’acte de recevoir de l’information sans plus. L’acte de juger, par contre, est au deuxième stade du processus mental qui exige l’analyse de la connaissance ou de l’expérience d’une façon ou d’une autre. Il se dégage donc clairement du sens évident de l’article que le Parlement voulait que, pour qu’une personne soit aliénée au sens de la définition législative, elle doive d’abord être incapable de juger, au sens analytique, la nature et la qualité de l’acte ou de savoir, au sens positif, que son acte était mauvais. L’arrêt Schwartz n’a aucunement porté sur ce processus. En se préparant pour le procès, les psychiatres ont soit mal interprété l’arrêt et par le fait même la définition de l’art. 16 ou, alors, l’arrêt leur a été mal expliqué lorsqu’ils se préparaient à témoigner devant le tribunal, peu importe ce qui c’est produit.

J’adopte ces mots et je les répète ici pour les faire ressortir. Pour être capable de «juger» la nature et la qualité de ses actes, un accusé doit être capable de savoir ce qu’il fait; en l’espèce, par exemple, de savoir qu’il frappait la femme à la tête avec une pierre, avec beaucoup de force, et il doit être capable en plus d’évaluer et de comprendre les conséquences matérielles qui découlent de son acte, en l’espèce, qu’il infligeait une lésion corporelle pouvant causer le décès.

Dans son exposé au jury sur la question de la maladie mentale, le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] Je suis convaincu que la psychopathie, dans son sens très général, à cause de ce que nous ont dit les psychiatres, est un terme assez large et général qui décrit une condition que connaissent les psychiatres; que la psychopathie, au moins sous quelques-unes de ses formes, peut être une maladie mentale qui relève de cet article, et si elle relève de cet article, elle doit avoir les deux attributs de l’incapacité, ou un des deux attributs, soit l’incapacité de juger la nature et la qualité de l’acte, soit de savoir que l’acte était mauvais. Il n’est pas nécessaire de remplir ces deux conditions, une seule suffit. Le psychopathe peut être incapable de juger, mais savoir que l’acte est mauvais et il serait assujetti aux dispositions de la loi.

Il y avait une preuve écrasante que l’appelant était un psychopathe. La preuve médicale appuyait la conclusion du juge du procès que la psychopathie pouvait être une maladie mentale. Dans les cir-

[Page 624]

constances, il appartenait au juge du procès de décider, en droit, si la psychopathie entrait ou pouvait entrer dans la définition d’une maladie mentale en vertu de l’art. 16. Compte tenu des mots, cités ci-dessus, qu’il a employés, je crois qu’il en est venu à la conclusion qu’elle entrait dans cette définition, et par conséquent, il n’a pas commis d’erreur en la soumettant au jury, qui avait dès lors la tâche d’examiner la preuve et de décider si, en fait, l’appelant était un psychopathe.

Sur la question plus importante de savoir si l’appelant était capable de juger la nature et la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils étaient mauvais, question qui concerne l’état mental réel de l’appelant et qui est déterminante quant à sa responsabilité pénale, il a dit:

[TRADUCTION] Or, tous deux [les psychiatres cités par la défense] nous disent, à tout prendre, que si on l’arrêtait étape par étape, il saurait ce qu’il faisait, il se rendrait compte qu’il avait des rapports sexuels, il se rendrait compte qu’il braquait un couteau, il se rendrait compte qu’il l’attachait, il se rendrait compte qu’il frappait avec une pierre, mais qu’il ne pourrait juger toutes les conséquences découlant de cet acte et, disent-ils, à cause de son état psychopathique, il serait incapable de juger.

Il n’y a aucun doute qu’en droit, leur définition de «juger» ne doit pas être acceptée dans le domaine du droit parce que vous et moi, heureusement ou malheureusement, je ne saurais le dire, nous sommes tenus de prendre la loi telle qu’elle est et telle que les cours l’ont définie à l’occasion.

Nous ne nous lançons pas dans une aventure qui nous mène dans un domaine où nous pourrions dire nous croyons que la loi doit être comme ceci ou comme cela, ou nous voudrions la voir comme ceci ou comme cela; nous la prenons telle qu’elle est avec l’interprétation qu’il faut donner à l’expression «juger la nature et la qualité de l’acte» dans laquelle se trouve le mot «juger».

Il a été défini, non en termes précis comme vous le lirez dans le dictionnaire mais il a été défini et je vous dis que la nature et la qualité de l’acte se restreignent à l’examen du caractère matériel de ce qu’il a fait. Maintenant, le caractère matériel de l’acte serait le caractère matériel ou, comme je dis, les actes que constituent les rapports sexuels, et que représentent le couteau, les coups assénés avec une pierre, le fait d’attacher, de baillonner, d’abandonner la femme dans l’état où elle était, consiste en ces actes matériels, et vous pouvez le

[Page 625]

dire assez simplement, s’il a vraiment conscience qu’en frappant avec une pierre, cela peut causer la mort ou des blessures, nous rejoignons le sens de cet article, peu importe ses attributs émotifs, ou peu importe l’effet émotif que cela a sur la victime, on ne dit pas que cela modifie en rien la nature matérielle de l’acte. On n’a pas à chercher à savoir si la victime a peur, si l’accusé est satisfait, s’il est passionné ou horrifié. C’est une connaissance ou une conscience et une appréciation de la nature matérielle de l’acte, ou de l’ensemble des actes, qui importe.

Bien sûr, cela nous laisse dans un domaine où il ne nous est pas nécessaire d’entrer dans un vaste domaine de conjectures ésotériques et de chercher à découvrir les sentiments ou les émotions d’une personne, ou ce que peut être la réaction d’une personne, c’est une question de savoir si la personne a porté un jugement sur la nature matérielle de ses actes. [Les italiques sont de moi.]

J’attire l’attention sur la partie soulignée des observations du juge du procès pour montrer que, même s’il a dit plus haut dans ce paragraphe: «… je vous dis que la nature et la qualité de l’acte se restreignent à l’examen du caractère matériel de ce qu’il a fait», il n’a pas restreint l’application du mot «juger» au simple caractère matériel des actes mais il a inclus également une mention des conséquences qui en découlent.

On a contesté cette directive parce que, a-t-on soutenu, elle comporte l’adoption d’une définition inexacte et trop restreinte du mot «juger». Il faut remarquer que la directive du juge du procès limite la portée de ce mot aux conséquences matérielles. J’estime qu’il a eu raison sur ce point. Dans la partie soulignée de l’extrait de l’exposé reproduit ci-dessus, le juge du procès, à mon avis, a énoncé la position d’une manière correcte et compatible avec les opinions exprimées par le juge Dickson, au nom de cette Cour à la majorité, dans l’arrêt Cooper, précité, et par le juge Estey au nom de la Cour dans l’arrêt Barnier, précité. A ce sujet, j’estime utile de citer un extrait des motifs que le juge Martin a prononcés au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Simpson[5], à la p. 355.

[Page 626]

[TRADUCTION] Le trouble émotif causé par la maladie mentale peut être grave au point de priver l’accusé de sa faculté de comprendre au moment de l’acte, le rendant incapable de juger la nature et la qualité de l’acte ou de savoir qu’il est mauvais, ce qui, en vertu du par. 16(2) du Code, le dégage de toute responsabilité: voir Reference re Regina v. Gorecki (N° 2) (un arrêt de cette Cour rendu le 14 septembre 1976 et encore inédit (publié depuis à 32 C.C.C. (2d) 135, et à 14 O.R. (2d) 218)). Cependant, je n’estime pas que les témoignages des psychiatres indiquent que l’accusé était, à cause du trouble émotionnel résultant de la maladie mentale, incapable de comprendre ce qu’il faisait ou de se rendre compte de ce qu’il faisait, mais plutôt qu’il n’avait pas de sentiments normaux et qu’il était par conséquent incapable de ressentir des sentiments normaux à l’égard de ses gestes, si on suppose qu’il les a accomplis.

Bien que je sois d’avis que le par. 16(2) dégage de toute responsabilité un accusé qui, à cause d’une maladie mentale, ne comprend pas vraiment la nature, le caractère et les conséquences de l’acte au moment où il l’accomplit, je ne crois pas que l’exonération prévue à cet article aille jusqu’à s’appliquer à un accusé qui comprend suffisamment la nature, le caractère et les conséquences de l’acte, mais qui n’a simplement pas à l’égard de la victime les sentiments qu’il convient d’avoir ou qui n’a pas les sentiments de remords ou de culpabilité pour ce qu’il a fait, même si cette absence de sentiment provient de la «maladie mentale». L’appréciation de la nature et de la qualité de l’acte ne comporte pas l’exigence que l’acte soit accompagné d’un sentiment approprié quant à l’effet de l’acte sur d’autres personnes: voir Willgoss v. The Queen (1960), 105 C.L.R. 295; R. v. Leech (1972), 10 C.C.C. (2d) 149, 21 C.R.N.S. 1, [1973] 1 W.W.R. 744; R. v. Craig (1974), 22 C.C.C. (2d) 212, [1975] 2 W.W.R. 314 (confirmé à 28 C.C.C. (2d) 311). Il n’y a pas de doute que l’absence de ces sentiments est une caractéristique commune à beaucoup de personnes qui se livrent à des actes criminels répétés et graves.

Avec égards, j’adopte les motifs du juge Martin sur ce point puisque cet énoncé est compatible avec la jurisprudence de cette Cour. Je suis d’avis que le juge du procès a exposé avec justesse au jury le sens qu’il faut donner au mot «juger» dans ce contexte, et qu’aucune erreur donnant lieu à cassation n’a été commise sur ce point.

On a en outre fait valoir que dans son exposé, le juge du procès a omis d’analyser et de soumettre

[Page 627]

au jury certaines parties des témoignages des psychiatres cités par la défense suivant lesquels, même si on accepte ce que j’estime être une interprétation juste du mot «juger», l’appelant n’était pas capable de juger la nature et la qualité de ses actes. Cette omission, dit-on, jointe à l’adoption de la définition restreinte de «juger», a eu pour effet de soustraire, à toutes fins pratiques, à l’appréciation du jury la défense de maladie mentale. C’est cette prétendue omission qui a mené à la dissidence en Cour d’appel et qui constituait, suivant l’opinion du juge dissident, une absence de directive équivalant à une directive erronée. Certains extraits des témoignages des psychiatres cités par la défense appuient l’argument suivant lequel l’appelant n’avait pas la capacité de juger même les conséquences matérielles de ses actes. Dans son analyse des témoignages, le juge du procès n’a fait aucune mention particulière de ces observations. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’on puisse dire que cette omission, si omission il y a, constitue une absence de directive équivalant à une directive erronée. Le procès a porté presque entièrement sur la preuve de nature médicale fournie par la poursuite et la défense. Les témoins experts en médecine ont fourni des témoignages détaillés et ont subi des contre-interrogatoires approfondis. Une bonne partie des interrogatoires et des contre-interrogatoires a porté sur cette seule question de la signification du mot «juger», et il est juste de dire que c’est principalement sur cette question qu’il y a divergence entre les témoignages des médecins cités par la défense et ceux des médecins cités par la poursuite. Les psychiatres cités par la défense ont fondé leurs opinions principalement sur une signification large du mot «juger», alors que les témoins de la poursuite ont fondé leurs opinions sur la définition plus restreinte mentionnée dans la jurisprudence déjà citée. Dans leurs plaidoyers, les avocats ont traité de cette question et la véritable question à trancher s’est présentée sous ce rapport. A mon avis, les témoignages des différents médecins ont été soumis au jury et ont été considérablement analysés et discutés dans les contre-interrogatoires et dans les débats, et l’absence de mention particulière, dans l’exposé du juge du procès, des passages dont il est question ci-dessus ne peut, à mon avis, avoir le caractère

[Page 628]

que lui attribuent les motifs dissidents en Cour d’appel. Pour ces motifs, et pour les motifs que la Cour d’appel a rendus à la majorité, auxquels je souscris en substance, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant: Pringle, Brimacombe, Edmonton.

Procureur de l’intimée: P.S. Chrumka, Calgary.

[1] (1980), 53 C.C.C. (2d) 55, 20 A.R. 267, [1980] 3 W.W.R. 411.

[2] [1980] 1 R.C.S. 1149.

[3] [1980] 1 R.C.S. 1124.

[4] [1977] 1 R.C.S. 673.

[5] (1977), 35 C.C.C. (2d) 337.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Aliénation mentale - Psychopathie - Maladie mentale - Sens de «juger» - Justesse de l’exposé du juge au jury - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 16, 618(1)a).

L’appelant, dont le seul moyen de défense est l’aliénation mentale, a été déclaré coupable d’un meurtre au premier degré en première instance. La preuve médicale révèle qu’il était psychopathe et qu’il comprenait la nature et les conséquences matérielles de son acte, même si ces conséquences lui importaient peu. Le juge du procès a exposé au jury (1) que la psychopathie peut être une maladie mentale et (2) lui a expliqué le sens du mot «juger» à l’art. 16 du Code criminel. En appel, la Cour d’appel a rejeté l’appel mais a substitué au verdict une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré parce que le juge du procès n’avait pas instruit le jury de façon adéquate sur la différence entre le meurtre au premier et le meurtre au deuxième degré. La principale question à décider porte sur la définition du mot «juger» et sur la justesse de l’exposé du juge du procès au jury à cet égard.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Une personne juge la nature et la qualité d’un acte au sens de l’art. 16 si elle sait ce qu’elle fait et si elle a conscience des conséquences matérielles de l’acte. Le juge du procès a exposé avec justesse au jury que la psychopathie peut être une maladie mentale et le sens qu’il faut donner au mot «juger»; et, compte tenu du témoignage des médecins cités comme témoins, cet exposé était suffisant.


Parties
Demandeurs : Kjeldsen
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: arrêts appliqués: Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149

R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124

Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673

arrêt mentionné: R. v. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337.
[Page 618]

Proposition de citation de la décision: Kjeldsen c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 617 (17 décembre 1981)


Origine de la décision
Date de la décision : 17/12/1981
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 617 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-12-17;.1981..2.r.c.s..617 ?
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