La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/04/1982 | CANADA | N°[1982]_1_R.C.S._494

Canada | Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd. et al., [1982] 1 R.C.S. 494 (5 avril 1982)


Cour suprême du Canada

Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd. et al., [1982] 1 R.C.S. 494

Date: 1982-04-05

Oxford Pendaflex Canada Limited (Plaignant) Appelante;

et

Korr Marketing Limited, Pirie-Mckie Limited, Mitchell Plastics Limited et Pirham Manufacturing Inc. (Défendeurs) Intimées.

N° du greffe: 16057.

1981: 6 mai; 1982: 5 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel

de l’Ontario (1980), 47 C.P.R. (2d) 119, qui a confirmé un jugement de la Haute Cour de Justice (1979), 23 O.R. (2d) 54...

Cour suprême du Canada

Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd. et al., [1982] 1 R.C.S. 494

Date: 1982-04-05

Oxford Pendaflex Canada Limited (Plaignant) Appelante;

et

Korr Marketing Limited, Pirie-Mckie Limited, Mitchell Plastics Limited et Pirham Manufacturing Inc. (Défendeurs) Intimées.

N° du greffe: 16057.

1981: 6 mai; 1982: 5 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1980), 47 C.P.R. (2d) 119, qui a confirmé un jugement de la Haute Cour de Justice (1979), 23 O.R. (2d) 545, 46 C.P.R. (2d) 191, qui a rejeté une demande d’injonction et de dommages-intérêts pour passing-off. Pourvoi rejeté.

J.L. McDougall, c.r., et I.V.B. Nordheimer, pour l’appelante.

W.A.D. Millar, pour les intimées.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE ESTEY — L’appelante a intenté contre les intimées une action en passing-off et, vu son échec en première instance et en Cour d’appel de l’Ontario, elle demande maintenant à cette Cour une injonction et une reddition de compte en se fondant sur deux moyens principaux:

1. Le juge de première instance a mal interprété la preuve et ne s’est donc pas rendu compte qu’en tout temps, le produit de l’appelante offert sur le marché canadien provenait d’une source unique exploitée par une série de propriétaires aboutissant à l’appelante; et le savant juge de première instance a commis une erreur en confondant les marques sous lesquelles le produit était vendu par l’appelante et ses prédécesseurs avec la présentation, y compris la forme, du produit de l’appelante;

2. Les deux cours d’instance inférieure ont exigé que, pour faire la preuve que son produit a

[Page 496]

acquis une notoriété propre sur le marché, l’appelante établisse que «l’acheteur du produit [de l’appelante] a associé la présentation de ce produit à l’appelante comme source du produit», et non simplement que ce produit avec sa présentation distinctive provenait d’une source unique.

Le produit en cause est un panier dont on se sert habituellement sur un bureau pour y mettre des lettres et des documents. L’historique du produit que l’appelante a vendu au Canada remonte au milieu des années soixante lorsqu’une société américaine, qui fabriquait ce panier et le commercialisait aux États-Unis, l’a exporté au Canada par l’entremise d’un représentant. Le panier se vendait sous la marque «Contempo Tray». Quelque temps plus tard, l’importation au Canada s’est faite par une société dont le fabricant américain et son représentant au Canada étaient copropriétaires. Plus tard, le représentant du fabricant a acheté les droits de la société américaine dans l’entreprise canadienne qui a alors pris le nom de Starmark of Canada Limited et qui a entrepris de fabriquer un panier identique et de le commercialiser au Canada. Ainsi, en 1968, le panier était vendu dans l’Ouest canadien et il portait la marque Starmark (déposée par la suite conformément à la Loi sur les marques de commerce) dont l’appelante se sert encore pour commercialiser ce produit. La société américaine continue de fabriquer et de commercialiser ses paniers aux États-Unis, qui portent maintenant la marque Con-Tempo-Tray. La preuve qui précède est imprécise quant aux dates et parfois quant aux noms utilisés par les sociétés de commercialisation.

Subséquemment (en 1973), l’appelante a acquis les actions de Starmark of Canada Limited et, depuis, elle fabrique et vend ces paniers sous la marque Starmark. Avant d’acquérir la société Starmark, l’appelante fabriquait et vendait un panier dont la marque était «Index Card». Ce panier avait une forme et une apparence identiques au panier Starmark sauf qu’il était fait d’un matériau plus lourd et que les entailles de superposition sur les côtés du panier étaient situées à un endroit légèrement différent de celles du panier Starmark. L’appelante a cessé de fabriquer le panier Index Card en 1974 lorsqu’elle a commencé à fabriquer

[Page 497]

et à vendre le panier Starmark. Toutefois, le panier Index Card était encore offert en vente au détail en 1978.

Lorsqu’on lui a demandé comment l’appelante en est venue à acquérir le panier Starmark, le président du conseil d’administration de l’appelante a répondu:

[TRADUCTION] En examinant en 1973 vers quels produits nous devrions nous orienter en vue de compléter notre production actuelle, le domaine des accessoires de bureau était l’un des plus attrayants et en examinant le marché, à l’exception de sociétés très importantes comme Borden, on y trouvait, en particulier dans l’Ouest canadien, un panier vendu par M. Michaelson sous la marque Starmark. Il vendait ce panier depuis environ huit ans et il avait implanté la marque Starmark dans l’Ouest canadien et, dans une très faible mesure, en Ontario.

L’acquisition de la société Starmark était le seul moyen de pénétrer ce marché avec un panier qui se vendait bien; j’en ai parlé à M. Michaelson en 1973 et nous avons acquis sa société en septembre 1973.

Ainsi l’appelante et ses prédécesseurs ont vendu leur panier actuel sous des marques différentes depuis le milieu des années soixante; d’abord importé du fabricant américain, ce panier est fabriqué au Canada depuis 1968. Il est également clair qu’avant 1974, l’appelante elle-même vendait au Canada un panier très semblable et que le fabricant américain qui semble avoir conçu ce panier continue à le fabriquer et à le vendre aux États-Unis sous une marque différente. Aucun de ces paniers n’a été enregistré comme le prescrit la loi.

Les intimées sont trois sociétés, apparemment possédées et exploitées en commun, et Mitchell Plastics Limited qui fabrique le moule et les paniers vendus par les sociétés intimées. La société Mitchell s’en est simplement remise à la Cour et n’a pas pris part au débat. Lorsqu’on mentionne les intimées en l’espèce, la mention ne vise pas Mitchell Plastics Limited à moins que le contexte ne l’exige.

Les intimées ont vendu le panier de l’appelante pour son prédécesseur Starmark of Canada Limited jusqu’en 1973, année au cours de laquelle le

[Page 498]

propriétaire de Starmark of Canada Limited à l’époque a mis fin à leur droit de le vendre. En fait, à un certain moment, les intimées ou leurs actionnaires ont tenté d’acheter Starmark of Canada Limited. En 1978, après avoir vendu d’autres paniers et avoir fait une étude de marché, les intimées ont apporté un échantillon du panier de l’appelante à un fabricant de produits de plastique (la société Mitchell) et en ont fait faire un moule à partir duquel elles ont fabriqué un produit identique qu’elles ont entrepris de commercialiser en 1978. Apparemment, les intimées vendent aussi ce panier aux États-Unis. La seule différence entre ces paniers est que les intimées utilisent un plastique plus léger et que le dessous du panier des intimées a une surface plus lisse. Comme l’a affirmé en première instance le savant juge Hughes:

[TRADUCTION] Lorsqu’un détaillant le présente sans son enveloppe de plastique, seul un œil averti et une curiosité suffisante pour examiner l’estampillage sous le panier, ou le meilleur fini du panier Starmark, peuvent permettre de constater la différence.

Quant à savoir pourquoi les intimées ont imité le panier de l’appelante, la preuve est claire:

[TRADUCTION]

Q. Et votre intention, n’est-il pas vrai, était de produire un panier qui ait l’apparence du panier Starmark mais qui se vende moins cher parce qu’il était fabriqué d’un matériau moins coûteux.

R. Oui.

Q. Et vous avez choisi, n’est-ce pas, la forme du produit Starmark parce que vous saviez par expérience qu’il se vendait bien et qu’il était bien connu des consommateurs et des marchands de fournitures de bureau partout au Canada?

R. Oui.

Q. En fait, M. Pirie, n’est-il pas exact que les paniers à courrier remplissent tous la même fonction, soit contenir des papiers?

R. C’est exact.

Q. Et que les deux choses qui distinguent un panier d’un autre sont la forme, la présentation et le mode de superposition?

R. Oui.

Q. Et quant à ces deux détails, votre panier est exactement le même que le panier Starmark?

R. Oui, je dois le reconnaître.

[Page 499]

(Le témoignage du président des intimées.)

Le jugement de première instance résume les activités des intimées à cet égard:

[TRADUCTION] Le témoin, Ronald George Pirie, vraisemblablement l’administrateur principal de toutes les défenderesses (les intimées) à l’exception de Mitchell Plastics Limited et leur seul témoin au procès, n’a pas caché qu’il a apporté un panier Starmark à la défenderesse Mitchell Plastics et en a commandé une copie exacte qui soit plus légère et moins coûteuse. Vingt-huit mille paniers de ce genre ont été fabriqués, dont un peu moins de 24,000 ont été vendus à des grossistes et à des détaillants importants à des prix inférieurs à $3, pour être offerts au public à moins de $5 l’unité. Les paniers de la demanderesse et ceux des défenderesses sont offerts dans à peu près la même gamme de couleurs et sont emballés individuellement dans une enveloppe de plastique clair qui comporte toutefois une étiquette nettement différente.

Il ressort du dossier que l’appelante a vendu des quantités importantes de paniers au Canada, soit plus d’un million d’unités au cours des cinq dernières années. Les intimées en ont vendu beaucoup moins.

L’appelante en cette Cour a soutenu que les conclusions que le savant juge de première instance a tirées des faits relatifs à l’origine des paniers de l’appelante sont erronées et qu’elles ont influencé l’application ultérieure du droit (que j’examinerai sous peu) à la preuve faite au procès. Cet argument découle en grande partie de l’observation suivante contenue dans le jugement de première instance:

[TRADUCTION] La preuve révèle toutefois que la forme particulière et le mode de superposition des paniers Starmark et Korr étaient également connus du public comme des traits caractéristiques du panier «Contempo» actuellement fabriqué aux États-Unis par Stemple Manufacturing Co. de Dallas et Los Angeles. Les défenderesses ont produit en preuve un échantillon de ce panier portant la marque de commerce «Stempco», le nom du fabricant et la marque «Con-Tempo-Tray» assortie d’un «R» encerclé surélevé suivant immédiatement le mot à traits d’union.

Un peu plus loin, le jugement mentionne les marques sous lesquelles le produit de l’appelante a été commercialisé au Canada:

[Page 500]

[TRADUCTION] Avant 1973, Starmark Company of Canada Limited, la société de Michaelson, vendait son panier sous la marque «Starmail» (?«Starmaid»), suivant le témoignage de George Tuffin, le président du conseil d’administration de la société demanderesse. Selon le témoignage de Heeney, la première société qui a importé au Canada un panier de cette forme a utilisé la marque «Contempo», et la marque «Starmark» apposée sur le panier n’est utilisée que depuis cinq ans ou depuis que l’acquisition de la société de Michaelson par la demanderesse.

Avant d’examiner plus à fond ce premier argument de l’appelante, il convient d’énoncer son deuxième argument. Il a été exposé au début et se rapporte à la preuve que doit faire un demandeur dans une action en passing-off. Précisément, la question soulevée par l’appelante est exposée en ces termes dans son mémoire:

[TRADUCTION] On en est venu à désigner par «notoriété propre» la réputation associée à une présentation ou à une forme distinctive qui permet d’accueillir une action en passing-off. On soutient que la question précise dont est saisie cette Cour est de savoir si cette notoriété propre exige que l’on prouve que le public intéressé reconnaît le produit, de par sa présentation ou sa forme distinctive, comme étant celui d’un fabricant donné, ou s’il suffit de démontrer qu’une réputation et une clientèle sont liées à la présentation du produit, que le consommateur reconnaît indépendamment de son fabricant.

Pour renforcer cet argument, l’appelante a ajouté ce qui suit:

[TRADUCTION] Plus particulièrement, on ne sait pas clairement si la réputation doit être de nature à identifier la source du produit ou s’il suffit de démontrer que le produit a une réputation qui résulte de sa présentation ou de sa forme distinctive et que c’est par sa présentation ou sa forme particulière qu’il se distingue.

Dans ce deuxième moyen, l’appelante s’oppose à la conclusion tirée par le savant juge de première instance:

[TRADUCTION] Si j’étais convaincu que le panier de la demanderesse a acquis dans cette province, en raison de sa marque ou de sa présentation, une notoriété propre telle que le public intéressé ait été induit en erreur sur l’origine du panier des défenderesses en l’attribuant à la demanderesse, Je n’hésiterais pas à statuer contre les défenderesses.

[Page 501]

L’appelante s’oppose de même à ce qu’a écrit la Cour d’appel quand elle a rejeté l’appel:

[TRADUCTION] On ne nous a pas convaincus que le juge de première instance a commis une erreur en refusant de conclure que le panier à courrier de la demanderesse avait acquis, en Ontario, une notoriété propre ou une réputation seconde telles que les acheteurs, sur le marché où il se vendait, ont associé le style, la forme, la configuration ou la présentation du panier de la demanderesse au produit de la demanderesse. En l’absence de conclusion en ce sens, l’action de la demanderesse ne pouvait être accueillie.

La nature de l’action en passing-off en droit délictuel est décrite brièvement dans l’ouvrage de Fleming, The Law of Torts, 4e éd., 1971, à la p. 626:

[TRADUCTION] Néanmoins, une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur, la concurrence déloyale par excellence, est le délit de passing-off qui diffère de la fausse déclaration préjudiciable en ce qu’il tend à réduire la clientèle du demandeur non pas par des remarques désobligeantes mais en usurpant sa réputation en faisant croire que des marchandises ou services viennent de lui ou d’une firme associée ou qu’il les garantit.

(Adopté dans l’arrêt MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, à la p. 147.) Dans la cinquième édition (1977) de cet ouvrage, ce passage a été légèrement modifié et se lit comme suit, à la p. 700:

[TRADUCTION] Néanmoins, une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur, la concurrence déloyale par excellence, est le délit de passing-off. Alors qu’un défendeur qui prétend que vos marchandises viennent de lui commet une fausse déclaration préjudiciable, il se rend coupable de passing-off s’il prétend que ses marchandises viennent de vous.

Le savant auteur poursuit, aux pp. 701 et 702:

[TRADUCTION] La portée du délit s’est de plus en plus élargie de manière à comprendre les pratiques de «commerce déloyal» bien au-delà du simple et désuet passing-off qui est une vente réelle de marchandises accompagnée d’une indication trompeuse quant à leur origine, visant à induire en erreur l’acheteur et à détourner le commerce du demandeur vers le défendeur. De nos jours, toute tromperie préjudiciable à des fins commerciales quant à l’origine de marchandises ou de services, à

[Page 502]

laquelle recourt ou se propose de recourir le défendeur dans le cours des affaires, constitue un délit pouvant entraîner des poursuites.

Quant à la question qui se pose directement en l’espèce, on peut se laisser guider jusqu’à un certain point par l’observation du lord juge Russell dans l’arrêt Roche Products Ltd. v. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1973] R.P.C. 473, à la p. 482:

[TRADUCTION] Or, ici comme dans toutes les autres affaires de passing-off, la question fondamentale est de savoir si, directement ou indirectement, la façon dont le défendeur présente ses marchandises aux consommateurs visés a pour effet de susciter dans leur esprit l’impression qu’il s’agit des marchandises du demandeur. Dans une affaire de présentation, il ne suffit pas de dire tout simplement que les marchandises du défendeur ressemblent beaucoup à celles du demandeur. Il faut établir que les consommateurs, en raison de la présentation des marchandises du demandeur, en sont venus à les considérer comme ayant une source ou origine commerciale unique, que ce soit sur le plan de la fabrication ou sur celui de la mise en marché, peu importe qu’ils en connaissent ou pas le nom.

Il faut remarquer que dans la première partie de l’observation du lord juge Russell, il semble nécessaire que le public acheteur ait l’impression que les marchandises du défendeur sont les marchandises du demandeur. La deuxième partie de l’alinéa établit clairement, toutefois, qu’il est tout simplement nécessaire que l’acheteur croie que tous les comprimés (dans cette affaire-là), en raison de leur forme, de leur taille et du genre de marque, ont une «origine commerciale unique». Selon cette norme, il n’est pas nécessaire que le demandeur passe à l’étape suivante et difficile qui consiste à établir que le consommateur doit avoir su ou cru que le demandeur était le seul fabricant de ce produit. La règle de l’arrêt Roche n’est qu’un raffinement ou une application détaillée de la condition générale nécessaire au succès d’une action en passing-off, énoncée par le maître des rôles Cozens-Hardy dans l’arrêt J.B. Williams Company v. H. Bronnley & Co. Ld. (1909), 26 R.P.C. 765, à la p. 771:

[TRADUCTION] Que doit établir un commerçant agissant à titre de demandeur dans une action en passing-off? Il me semble que pour avoir gain de cause, il doit tout d’abord établir qu’il a choisi une conception nouvelle et originale telle qu’elle confère un caractère distinctif à ses marchandises, que celles-ci sont connues sur

[Page 503]

le marché, où elles ont acquis une réputation en raison justement de ce caractère distinctif, et que s’il ne peut réussir à prouver cela, les bases mêmes de son action sont absentes.

(Citée et approuvée par le juge Hall dans l’arrêt Parke, Davis & Company c. Empire Laboratories Limited, [1964] R.C.S. 351, à la p. 358.)

Les mots suivants de lord Herschell dans l’arrêt Birmingham Vinegar Brewery Company v. Powell, [1897] A.C. 710, à la p. 715, portent de façon plus précise sur la question qui nous intéresse en l’espèce:

[TRADUCTION] Je crois que l’erreur dans l’argument de l’appelante repose sur ceci: on suppose qu’un commerçant ne peut faire passer ses produits pour ceux d’un autre à moins qu’on n’établisse que les personnes qui achètent les produits connaissent le nom du fabricant et que, lorsqu’ils achètent les produits, ils croient qu’ils sont fabriqués par une personne précise. Il me semble qu’une personne peut très bien faire passer ses produits pour ceux d’une autre personne si elle les vend à des gens qui les achètent en croyant qu’il s’agit des produits d’une autre personne, même s’ils ne connaissent pas le nom de cette autre personne.

Lord Gorell s’est prononcé en ce sens dans l’arrêt William Edge & Sons, Limited v. William Niccolls & Sons, Limited, [1911] A.C. 693, à la p. 705:

[TRADUCTION] Il n’est pas nécessaire, à mon avis, que les demanderesses prouvent que les acheteurs ultimes, qui sont susceptibles d’être induits en erreur, connaissent le nom de la firme des demanderesses. Les personnes qui achètent les marchandises des demanderesses, qui ne portent aucune étiquette, pourraient, si elles ont acheté les marchandises des défenderesses et ont remarqué l’étiquette, toujours croire, compte tenu de la présentation des marchandises, qu’il s’agit de marchandises qui sont depuis longtemps sur le marché et que le nom du fabricant est maintenant divulgué à ceux qui ne le connaissaient pas auparavant.

Il n’y a pas de doute qu’il peut y avoir des cas où la présentation distinctive d’un produit a pour effet de le graver dans l’esprit du public visé comme étant celui d’un fournisseur donné. John Haig and Company Limited v. Forth Blending Company Limited and W.R. Paterson Limited (1953), 70 R.P.C. 259. Cela ne veut pas dire que lorsque l’activité réelle de la source unique ou commune

[Page 504]

n’est pas bien connue, le propriétaire du produit original et unique n’aura pas gain de cause. Toutefois, la condition fondamentale pour réussir doit toujours être (quelles que soient les autres conditions qui peuvent être nécessaires dans chaque cas) un élément qui s’apparente à l’imitation d’un «vêtement unique ou distinctif» que les consommateurs reconnaissent. Selon le savant auteur de Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd., 1972, à la p. 552:

[TRADUCTION] Aucun commerçant, si honnêtes que soient ses propres intentions, n’a le droit d’adopter et d’utiliser la présentation bien établie de son compétiteur au point de permettre à un commerçant ou à un détaillant malhonnête qui peut se trouver en possession des marchandises, de les vendre comme étant les marchandises de son compétiteur.

Le savant juge de première instance a énoncé le critère général nécessaire à la réussite d’une action en passing-off en s’appuyant sur une jurisprudence qui n’impose pas au demandeur d’établir que le produit, qui a acquis «une notoriété propre» soit reconnu par le public acheteur comme étant le produit du demandeur. L’expression utilisée dans le jugement de première instance [TRADUCTION] «…ait été induit en erreur sur l’origine du panier des défenderesses» et la mention subséquente de la demanderesse (l’appelante) viennent à la suite d’un examen de la preuve concernant la place éminente qu’occupe l’appelante sur le marché des paniers superposables. On lit ensuite dans le jugement de première instance:

[TRADUCTION] Mais j’estime que la preuve va en sens contraire et que les produits des deux parties représentent, dans l’esprit des témoins cités pour traduire le point de vue du public à cet égard, des imitations tout au plus des paniers «Contempo».

Malheureusement, il s’agit peut-être d’une association étroite entre les deux idées, d’abord de l’incidence trompeuse de l’origine des paniers des défenderesses-intimées, puis de la position prééminente de la demanderesse-appelante en sa qualité de fournisseur de ces paniers sur le marché. Néanmoins, à mon avis, le savant juge de première instance a énoncé correctement la règle de droit applicable et n’a pas imposé à l’appelante une obligation qui n’est pas requise d’un demandeur dans une action en passing-off.

[Page 505]

A cet égard, l’appelante attire l’attention de cette Cour sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Eldon Industries Inc. et al. v. Reliable Toy Co. Ltd. et al., [1966] 1 O.R. 409, où le juge Schroeder affirme, à la p. 419:

[TRADUCTION] Pour avoir gain de cause, les demanderesses doivent établir que le modèle du camion Eldon a acquis en Ontario une «notoriété propre» qui en indique l’origine et l’identifie comme étant le produit de l’appelante.

Il faut lire cet extrait dans le contexte de ce qui précède dans l’arrêt, y compris de l’observation suivante, à la p. 418 —

[TRADUCTION] Une réclamation basée sur l’allégation que les marchandises sont marquées ou présentées contrairement aux dispositions de l’al. b) de l’art. 7 est vouée à l’échec à moins que le réclamant n’établisse que la marque ou la présentation est connue par le public comme ayant une origine particulière.

— on parlait alors de la décision de cette Cour dans l’arrêt Parke, Davis & Co., précité. Dans cette affaire, le rejet de la réclamation n’était pas dû au défaut d’établir une corrélation entre la demanderesse et le produit ni au critère moins strict de la preuve d’une origine commune. La Cour n’a pas examiné cette question. L’arrêt Eldon ne contredit pas la règle de droit que cette Cour a déjà examinée relativement à la question qui lui est soumise: il ne s’est tout simplement pas intéressé à cette question mais plutôt aux al. 7a) à 7e) de la Loi sur les marques de commerce, 1952-53 (Can.), chap. 49, à la Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1952, chap. 55, à l’abus de confiance et à la violation d’une condition implicite d’un contrat. En fait, on n’a pas examiné le délit de passing-off reconnu en common law.

Cela nous ramène à la première question, savoir la preuve concernant le caractère distinctif qu’aurait acquis le panier que vend l’appelante. Le juge de première instance a passé en revue l’historique de ce type de panier et, bien qu’il y ait une certaine imprécision dans l’énoncé de l’origine et de l’évolution du produit, cela tient à mon avis des témoignages imprécis et incomplets sur cet aspect de la question. Par son examen attentif du témoignage des clients de l’appelante et d’autres témoins intervenant à un degré ou à un autre sur le marché, il

[Page 506]

est évident que le juge de première instance a profité au maximum de l’occasion que lui offrait le procès d’évaluer la preuve contradictoire. En effet, à plusieurs reprises au cours du procès, le juge de première instance a dû exiger que les témoins précisent leurs témoignages concernant la commercialisation des divers paniers produits ici et aux États-Unis. A la fin, le juge de première instance a conclu, avec raison si je puis m’exprimer ainsi, que tous ces paniers superposables avaient comme origine commune le fabricant américain déjà mentionné, qu’aucun des fournisseurs, y compris l’appelante, n’a remanié ou créé quoi que ce soit qui ait conféré un caractère distinctif à ces paniers et que, par conséquent, le produit de l’appelante n’a acquis aucune notoriété propre sur le marché. Le juge Hughes conclut son examen des réclamations de l’appelante en ces termes:

[TRADUCTION] En l’absence de protection et d’une marque ou d’une présentation qui a acquis une notoriété propre, elle est la proie de la compétition…

La Cour d’appel a également conclu à l’absence d’acquisition d’une notoriété propre, et cette Cour n’a pas à modifier cette conclusion concordante à moins d’être en présence d’une circonstance particulière ou d’un facteur exceptionnel.

L’appelante se plaint de ce qu’on pourrait appeler une condition implicite ou supplémentaire que lui a imposée le juge de première instance en vue d’établir la notoriété propre préalable sur laquelle peut se fonder une action en passing-off, savoir que les paniers avaient acquis cette notoriété propre dans la province par la marque ou la présentation dont l’appelante se sert pour les commercialiser. Il est évident que ces mentions de la marque découlent en premier lieu de l’origine plutôt complexe de ces paniers et des différentes marques sous lesquelles ils ont été commercialisés d’abord par le fabricant américain, ensuite par les prédécesseurs de l’appelante et enfin par l’appelante elle-même. Il est vrai que dans ses motifs, le savant juge de première instance mentionne «la marque ou la présentation» dans le même contexte ou de la même manière. Toutefois, dans ce qu’on pourrait appeler le dispositif du jugement, il semble n’y avoir à mon avis rien qui s’apparente à

[Page 507]

l’incorporation inévitable de cette condition aux critères applicables pour décider si l’appelante a prouvé l’existence d’une notoriété propre relativement à ses paniers.

Dans son bref arrêt déjà cité, la Cour d’appel semble avoir repris la phrase utilisée en première instance, que j’ai déjà examinée et à laquelle s’est opposée l’appelante. La mention de cette phrase dans le jugement de la Cour d’appel se situe dans un résumé sibyllin du jugement de première instance, dont la partie essentielle est une conclusion concordante que l’appelante n’a pas établi la condition préalable fondamentale, savoir que «le produit de l’appelante a acquis une notoriété propre ou une réputation seconde».

A l’origine, la réclamation de l’appelante se fondait à la fois sur un délit et sur un texte de loi (l’al. 7b) de la Loi sur les marques de commerce, précitée). Je souscris à l’opinion du savant juge de première instance:

[TRADUCTION] Puisque la demanderesse se contente d’invoquer tour à tour le délit de common law et les dispositions de l’al. 7b), je dois décliner l’invitation des défenderesses à examiner s’il y a lieu de le déclarer inconstitutionnel.

La question de la constitutionnalité ne s’est pas posée en cette Cour et l’argumentation n’a porté que sur l’action en passing-off qui existe en common law.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Fraser & Beatty, Toronto.

Procureurs de l’intimée Mitchell Plastics Limited: McKay, Kirvan, Guy, Kitchener.

Procureurs des intimées Korr Marketing Limited, Pirie-McKie Limited et Pirham Manufacturing Inc.: Weir & Foulds, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1982] 1 R.C.S. 494 ?
Date de la décision : 05/04/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Responsabilité délictuelle - Passing-off - La «présentation» d’un produit doit lui conférer une notoriété propre - Obligation qui incombe à un demandeur dans une action en passing-off - Les faits n’établissent pas l’existence d’une notoriété propre.

Depuis qu’elle s’est portée acquéreur de la société Starmark, l’appelante fabrique des paniers et les vend sous la marque «Starmark». Différentes sociétés ont commercialisé ces paniers sous différentes marques. En exécution d’une entente, l’intimée Mitchell Plastics a fabriqué des paniers identiques pour les autres intimées qui les ont vendus au public. L’appelante a intenté contre les intimées une action en passing-off et, ayant été déboutée par les cours d’instance inférieure, demande à la Cour une injonction et une reddition de compte pour le motif que (1) la cour de première instance a commis une erreur en confondant les marques sous lesquelles le produit était vendu avec la présentation et la forme du produit de l’appelante et que (2) les cours ont exigé que celle-ci établisse que «l’acheteur du produit a associé la présentation de ce produit à l’appelante comme source du produit».

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les mentions de la marque découlent de l’origine complexe des paniers et des différentes marques sous lesquelles ils ont été commercialisés. Même si, dans ses motifs, le juge de première instance mentionne «la marque ou la présentation», il semble n’y avoir rien qui s’apparente à l’incorporation inévitable de cette condition aux critères applicables pour décider si l’appelante a prouvé l’existence d’une notoriété propre relativement à ses paniers. Le juge de première instance a énoncé correctement la règle de droit applicable et n’a pas imposé à l’appelante une obligation qui n’est pas requise d’un demandeur dans une action en passing-off L’appe-

[Page 495]

lante n’a pas établi la condition préalable fondamentale, savoir que ses paniers ont acquis «une notoriété propre ou une réputation seconde».


Parties
Demandeurs : Oxford Pendaflex Canada Ltd.
Défendeurs : Korr Marketing Ltd. et al.

Références :

Jurisprudence: arrêts suivis: Roche Products Ltd. v. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1973] R.P.C. 473

J.B. Williams Company v. H. Bronnley & Co. Ld. (1909), 26 R.P.C. 765

Birmingham Vinegar Brewery Company v. Powell, [1897] A.C. 710

William Edge & Sons, Limited v. William Niccolls & Sons, Limited, [1911] A.C. 693

arrêt examiné: Eldon Industries Inc. et al. v. Reliable Toy Co. Ltd. et al., [1966] 1 O.R. 409

arrêts mentionnés: MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134

Parke, Davis & Company c. Empire Laboratories Limited, [1964] R.C.S. 351

John Haig and Company Limited v. Forth Blending Company Limited and W.R. Paterson Limited (1953), 70 R.P.C. 259.

Proposition de citation de la décision: Oxford Pendaflex Canada Ltd. c. Korr Marketing Ltd. et al., [1982] 1 R.C.S. 494 (5 avril 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-04-05;.1982..1.r.c.s..494 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award