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22/07/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._9

Canada | Peel (Municipalité régionale) c. MacKenzie et al., [1982] 2 R.C.S. 9 (22 juillet 1982)


Cour suprême du Canada

Peel (Municipalité régionale) c. MacKenzie et al., [1982] 2 R.C.S. 9

Date: 1982-07-22

La municipalité régionale de Peel Appelant;

et

Thomas MacKenzie et Viking Houses, une filiale de Marshall Children’s Foundation Intimés;

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l’Ontario et le procureur général du Québec Intervenants.

N° du greffe: 16212.

1981: 3 décembre; 1982: 22 juillet.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, Mc

lntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario...

Cour suprême du Canada

Peel (Municipalité régionale) c. MacKenzie et al., [1982] 2 R.C.S. 9

Date: 1982-07-22

La municipalité régionale de Peel Appelant;

et

Thomas MacKenzie et Viking Houses, une filiale de Marshall Children’s Foundation Intimés;

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l’Ontario et le procureur général du Québec Intervenants.

N° du greffe: 16212.

1981: 3 décembre; 1982: 22 juillet.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1980), 29 O.R. (2d) 439, 113 D.L.R. (3d) 350, qui a rejeté l’appel de l’appelante à l’encontre d’un jugement du juge Van Camp qui a maintenu une ordonnance de garde délivrée conformément à l’art. 20 de la Loi sur les jeunes délinquants. Pourvoi accueilli.

J. Edgar Sexton, c.r., et Brian Morgan, pour l’appelante.

Ian G. Scott, c.r., pour les intimés.

E.G. Ewaschuk, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Canada.

[Page 11]

T.H. Wickett, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Jean-K. Samson et Lorraine Pilette, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MARTLAND — Le présent pourvoi porte sur la validité d’une ordonnance rendue le 26 juillet 1977 par un juge provincial en vertu des dispositions de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3, par laquelle il a confié la garde de Tracey Jean Nash, qu’il avait déclarée jeune délinquante, à l’intimé Thomas MacKenzie, qui est un surveillant au service de l’intimée Viking Houses. Le juge lui a ordonné de placer l’enfant dans un foyer Viking Houses situé près de Peterborough. En vertu du par. 20(2) de la Loi, il a ordonné à la municipalité de payer la somme de $43 par jour pour l’entretien de l’enfant dans ce foyer. L’appel interjeté par l’appelante à l’encontre de cette ordonnance devant un juge de la Cour suprême de l’Ontario a été rejeté, et un appel ultérieur à la Cour d’appel de l’Ontario a subi le même sort. L’appelante se pourvoit devant cette Cour sur autorisation.

Dans une procédure antérieure, le même juge a déclaré, le 7 avril 1977, que Tracey Jean Nash était une jeune délinquante et l’a confiée à la garde de Viking Houses. Le 21 avril 1977, le juge Holland a rendu jugement dans une autre affaire (Regional Municipality of Peel v. Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632) et a conclu qu’un juge du tribunal de la famille n’avait pas le pouvoir d’ordonner qu’un jeune délinquant soit confié à Viking Houses ou à un foyer collectif de ce genre. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario ((1977), 16 O.R. (2d) 765) et par cette Cour ([1979] 2 R.C.S. 1134).

Par suite du jugement du juge Holland dans cette affaire, Viking Houses a ramené Tracey Jean Nash devant le juge provincial. A l’audience, l’avocat de Viking Houses a proposé que la garde de l’enfant soit confiée à l’intimé Thomas MacKenzie et que ce dernier place officiellement l’enfant dans le foyer collectif Viking Houses où elle avait séjourné. L’appelante s’y est opposée pour le motif

[Page 12]

qu’une ordonnance en ce sens serait simplement un moyen de tourner le jugement du juge Holland dans l’affaire antérieure.

La Cour a confié le soin et la garde de l’enfant à l’intimé MacKenzie, mais lui a ordonné de ne pas retirer l’enfant du foyer Viking House situé près de Peterborough sans la permission de la Cour. Il a ordonné que la somme payable par l’appelante soit versée à l’intimé MacKenzie à l’adresse de l’intimée Viking Houses à Toronto.

Devant la Cour d’appel, l’appelante a soulevé la question de la constitutionnalité du par. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants, dans la mesure où il vise à autoriser la Cour à ordonner à la municipalité à laquelle appartient l’enfant de verser une somme pour son entretien.

Cette question avait été soulevée dans l’affaire antérieure Regional Municipality of Peel v. Viking Houses, précitée. Dans cette affaire, le juge Holland a conclu à la p. 651 que le Parlement du Canada avait le pouvoir d’adopter le par. 20(2) [TRADUCTION] «puisqu’il est utile et nécessairement accessoire à l’exercice efficace du pouvoir législatif qu’accorde au Parlement du Canada, en matière criminelle, le par. 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867». Dans cette affaire, la Cour d’appel a elle aussi fait mention de la constitutionnalité de ce paragraphe en disant (à la p. 768): [TRADUCTION] «A notre avis, le par. 20(2) est un élément nécessaire à l’application efficace de l’ensemble de la Loi et il a été valablement adopté par le Parlement en vertu de ses pouvoirs en matière de droit criminel».

La constitutionnalité du par. 20(2) n’a pas été tranchée lors du pourvoi devant cette Cour, celle-ci ayant décidé, sans se prononcer sur cette question, que les municipalités intimées avaient droit au redressement demandé.

En l’espèce, étant donné l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire antérieure, la question constitutionnelle n’a pas été plaidée oralement devant elle, mais l’appelante l’a soulevée dans son mémoire et les deux parties ont confirmé leurs positions dans leurs mémoires respectifs. La question pouvait

[Page 13]

donc être soulevée lors du pourvoi devant cette Cour.

Le Juge en chef a énoncé comme suit la question constitutionnelle soumise à cette Cour:

Le paragraphe 2 de l’article 20 de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chapitre J-3, relève-t-il de la compétence législative du Parlement du Canada, dans la mesure où, sous son empire, la Cour est autorisée à imposer une charge financière aux municipalités pour l’entretien des jeunes délinquants en application d’une décision rendue en vertu du paragraphe 1 de l’article 20?

Au cours des plaidoiries, des arguments ont été présentés au nom des procureurs généraux du Canada et de l’Ontario à l’appui de la validité de la disposition législative et au nom du procureur général du Québec qui en conteste la validité.

L’article 20 de la Loi sur les jeunes délinquants dispose:

20. (1) Lorsqu’il a été jugé que l’enfant était un jeune délinquant, la cour peut, à sa discrétion, pendre une ou plusieurs des mesures diverses ci-dessous énoncées au présent article, selon qu’elle le juge opportun dans les circonstances,

a) suspendre le règlement définitif;

b) ajourner, à l’occasion, l’audition ou le règlement de la cause pour une période déterminée ou indéterminée;

c) imposer une amende d’au plus vingt-cinq dollars, laquelle peut être acquittée par versements périodiques ou autrement;

d) confier l’enfant au soin ou à la garde d’un agent de surveillance ou de toute autre personne recommandable;

e) permettre à l’enfant de rester dans sa famille, sous réserve de visites de la part d’un agent de surveillance, l’enfant étant tenu de se présenter à la cour ou devant cet agent aussi souvent qu’il sera requis de le faire;

f) faire placer cet enfant dans une famille recommandable comme foyer d’adoption, sous réserve de la surveillance bienveillante d’un agent de surveillance et des ordres futurs de la cour;

g) imposer au délinquant les conditions supplémentaires ou autres qui peuvent paraître opportunes;

h) confier l’enfant à quelque société d’aide à l’enfance, dûment organisée en vertu d’une loi de la législature de la province et approuvée par le lieutenant-gouverneur en conseil, ou, dans toute muni-

[Page 14]

cipalité où il n’existe pas de société d’aide à l’enfance, aux soins du surintendant, s’il en est un; ou

i) confier l’enfant à une école industrielle dûment approuvée par le lieutenant‑gouverneur en conseil.

(2) Dans chacun de ces cas, la cour est autorisée à rendre un ordre enjoignant aux père et mère de l’enfant ou au père ou à la mère ou à la municipalité à laquelle il appartient, de verser pour son entretien telle somme que la cour peut déterminer, et lorsque cet ordre est donné à la municipalité, cette dernière peut à l’occasion recouvrer des père et mère ou du père ou de la mère de l’enfant la somme ou les sommes qu’elle a versées en exécution de cet ordre.

L’argument de l’appelante ne porte que sur le par. (2) et uniquement sur les dispositions de ce paragraphe qui concernent l’obligation qui peut être imposée à une municipalité.

Les intimés font valoir que le Parlement du Canada peut à bon droit adopter ce paragraphe en vertu du pouvoir que lui accorde le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 de faire des lois relatives à:

27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.

On fait valoir, à titre subsidiaire, que ce paragraphe est valide puisqu’il est accessoire au par. (1) qui est l’expression de l’exercice valide de l’autorité législative du Parlement.

L’appelante allègue que l’imposition d’obligations financières à une municipalité pour l’entretien d’un jeune délinquant n’est pas relative au droit criminel et qu’on ne peut la considérer comme nécessairement accessoire à une loi du domaine du droit criminel.

Les intimés s’appuient sur l’arrêt de cette Cour Attorney General of British Columbia c. Smith, [1967] R.C.S. 702. Dans cette affaire, la principale question était de savoir si la Loi sur les jeunes délinquants dans son ensemble était intra vires du Parlement du Canada en tant que loi valide en matière criminelle. La Cour à l’unanimité a reconnu ce pouvoir au Parlement. Le juge Fauteux (alors juge puîné), qui a rendu le jugement de la Cour, dit à la p. 713:

[Page 15]

[TRADUCTION] Avec égards pour les tenants de l’opinion contraire, je suis clairement d’avis que, par sa nature et son caractère véritables, cette loi, loin d’être une loi adoptée sous l’apparence d’une loi criminelle pour empiéter sur des sujets réservés aux provinces, est une véritable loi criminelle dans son sens le plus large.

Il découle de la conclusion ainsi formulée que la nature et le caractère véritables de la Loi en font une loi relative au droit criminel. L’appelante ne conteste pas ce point. Elle prétend qu’une partie précise de la Loi, soit le par. 20(2), dans la mesure où il se rapporte aux municipalités, n’est pas une disposition législative relative au droit criminel.

Les intimés soulignent que le juge Fauteux, dans ses motifs, a donné un aperçu des principales dispositions de fond de la Loi et qu’à la p. 709, il a mentionné les mesures qui s’offrent à la cour après qu’un enfant a été déclaré délinquant:

[TRADUCTION] …diverses mesures exceptionnelles, — qui visent d’abord à aider, secourir, encourager, surveiller et réhabiliter le délinquant plutôt qu’à le punir, — que peut prendre le juge lorsque l’enfant est déclaré délinquant, suivant l’opinion qu’il se forme tant du bien de l’enfant que des meilleurs intérêts de la collectivité;

Les intimés cherchent à interpréter ce passage comme la reconnaissance de la constitutionnalité du par. 20(2). Cependant, dans son aperçu général des dispositions de la Loi, le juge Fauteux n’a pas mentionné les dispositions que contient le par. 20(2). Le passage ci-dessous se rapporte aux dispositions du par. 20(1) dont la constitutionnalité n’est pas attaquée. La question que soulève le présent pourvoi ne s’est pas posée dans l’affaire Smith, n’y a pas été débattue et, à mon avis, n’est pas couverte dans l’arrêt alors rendu.

Les intimés soumettent que [TRADUCTION] «Cette Cour et le Conseil privé ont reconnu de façon constante la constitutionnalité de dispositions législatives par lesquelles le Parlement, agissant conformément à un pouvoir reconnu aux termes de l’art. 91, a imposé une part des dépenses relatives à l’application de la loi aux parties qui en bénéficient».

L’avocat des intimés a justement restreint sa proposition aux cas où les parties en bénéficient. Les affaires citées à l’appui de cette proposition

[Page 16]

sont celles dans lesquelles la Commission des chemins de fer, examinant des demandes de construction de ponts ou de viaducs et d’ouvrages semblables, a exigé que la partie qui en bénéficiait contribue au coût des travaux[1].

La situation en l’espèce est bien différente. L’appelante, pour employer les mots de l’avocat, n’est pas [TRADUCTION] «une partie qui bénéficie» de la Loi sur les jeunes délinquants ou d’une ordonnance judiciaire rendue en application du par. 20(1). Le paragraphe 20(2) impose une obligation sans conférer d’avantage correspondant.

Dans l’affaire antérieure Regional Municipality of Peel v. Viking Houses, le juge Holland a conclu que le par. 20(2) était constitutionnel puisqu’il est utile et nécessairement accessoire à l’exercice efficace du pouvoir législatif du Parlement en matière criminelle; j’estime que les conclusions de la Cour d’appel dans cette affaire s’appuient sur le motif que «c’est un élément nécessaire à l’application efficace de l’ensemble de la Loi».

Dans l’arrêt Re Dunne, [1962] O.R. 595, le juge Schatz avait adopté une opinion semblable.

Il n’est pas possible de confirmer la constitutionnalité du paragraphe, dans le texte de la Loi sur les jeunes délinquants, à moins de conclure qu’il est nécessairement accessoire à l’exercice de la compétence législative du Parlement dans le domaine du droit criminel. Il est conçu pour prendre effet uniquement après que le procès a eu lieu, que l’accusé a été déclaré jeune délinquant et que la Cour a décidé des mesures à prendre à son égard. Cette disposition ne fait pas partie de la définition de l’infraction, des procédures à suivre ou des peines qui peuvent être imposées. Elle vise à imposer aux municipalités la charge financière de contribuer à l’entretien d’un enfant délinquant qui a déjà été jugé, déclaré coupable et à qui on a imposé les mesures prévues dans l’ordonnance de

[Page 17]

la cour. A mon avis, ce n’est pas, intrinsèquement, une disposition législative relative au droit criminel.

Les intimés ont cité l’arrêt R. c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940, dans lequel cette Cour a confirmé la constitutionnalité de l’art. 653 du Code criminel qui donne à une cour qui a condamné un individu accusé d’un acte criminel le pouvoir d’ordonner que l’accusé paie à une personne lésée un montant comme réparation ou dédommagement pour la perte de biens ou le dommage à des biens subi par suite de la perpétration de l’infraction. Cette conclusion a été retenue parce que l’art. 653 fait partie du processus de sentence.

Il n’y a pas d’analogie entre l’art. 653 et le par. 20(2). L’article 653 fait partie du processus de sentence et l’obligation de paiement est imposée à l’accusé. Le paragraphe 20(2) entre en jeu après l’imposition de la sentence et impose à un tiers et non à l’accusé l’obligation de payer.

La question qu’il faut trancher en l’espèce est donc de savoir si le texte du par. 20(2) est, comme le dit le juge Holland, utile et nécessairement accessoire à l’exercice efficace, par le Parlement, de son pouvoir législatif.

Les intimés allèguent que la Cour a pour fonction d’examiner la disposition attaquée dans le contexte de l’économie générale de la Loi et d’en confirmer la validité si la disposition est [TRADUCTION] «sinon essentielle, du moins accessoire au pouvoir de légiférer sur des matières criminelles, puisqu’elle peut toucher à l’efficacité de cette loi». Cette citation est extraite de la p. 104 de l’arrêt du Conseil privé Corporation of the City of Toronto v. The King, [1932] A.C. 98. Il faut cependant l’interpréter dans son contexte. Dans cette affaire, la question portait sur la validité de la disposition du par. 1036(1) du Code criminel qui prévoyait que, dans la province de l’Ontario, les amendes devaient être versées aux autorités locales ou municipales qui assumaient, en totalité ou en partie, les frais d’application de la loi en vertu de laquelle l’amende était imposée. Le passage en question se lit comme suit:

[Page 18]

[TRADUCTION] En ce qui concerne maintenant l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, leurs Seigneuries concluent que «nonobstant toute disposition du présent acte», et donc nonobstant les dispositions de l’art. 109, «l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans…le droit criminel». Il est clair et en fait reconnu qu’il confère au Parlement fédéral le droit exclusif de légiférer pour créer et définir des infractions et imposer des peines correspondantes. Leurs Seigneuries sont d’avis qu’il permet aussi au Parlement fédéral de prescrire la façon d’appliquer les peines en matière de droit criminel. On a toujours considéré qu’il était du domaine du droit criminel de légiférer sur le mode d’application des peines infligées, comme de multiples cas l’indiquent, et le pouvoir de ce faire, s’il n’est pas essentiel, est au moins accessoire au pouvoir de légiférer en matière criminelle car il peut avoir un effet sur l’efficacité de cette législation. Si l’on devait dissocier du pouvoir de créer les peines celui de prescrire leur mode d’application et le confier à une autre autorité, il est facile de voir à quel point la législation pénale serait atteinte, sinon rendre inefficace.

Dans cette affaire, le Conseil privé a seulement décidé que le Parlement, qui avait le pouvoir d’imposer des amendes en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, pouvait ordonner qu’elles soient versées aux municipalités qui assument les frais d’application de la loi. Cet arrêt ne nous aide pas à décider si le Parlement, qui a créé une loi relative au procès des jeunes délinquants et aux mesures à prendre à leur égard, peut imposer aux municipalités le fardeau financier d’assurer l’entretien des jeunes délinquants après qu’ils ont été déclarés coupables.

Deux arrêts récents de cette Cour se rapportent à l’étendue du pouvoir du Parlement d’adopter des lois accessoires. Dans l’arrêt R. c. Thomas Fuller Construction Co, (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695, le juge Pigeon, qui a rédigé les motifs de la majorité, dit, à la p. 713, que la doctrine du pouvoir accessoire est limitée à ce qui est vraiment nécessaire à l’exercice efficace de l’autorité législative du Parlement. Les motifs de dissidence ne contestent pas cet énoncé. L’expression «nécessairement accessoire» a été employée dans l’arrêt Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213, à la p. 226.

[Page 19]

Dans l’affaire Fowler, la question portait sur la constitutionnalité du par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, qui se lit:

(3) Il est interdit à quiconque fait l’abattage ou la coupe de bois, le défrichement ou autres opérations de déposer ou de permettre sciemment de déposer des déchets de bois, souches ou autres débris dans une eau fréquentée par le poisson ou qui se déverse dans cette eau, ou sur la glace qui recouvre l’une ou l’autre de ces eaux, ou de les déposer dans un endroit d’où il est probable qu’ils soient entraînés dans l’une ou l’autre de ces eaux.

Après avoir examiné les définitions du terme «pêcherie», la Cour a dit, à la p. 224:

La disposition législative en cause ici ne traite pas directement des pêcheries, comme telles, au sens où l’entendent ces définitions. Elle cherche plutôt à réglementer certaines activités non parce qu’elles ont des conséquences nuisibles sur le poisson à strictement parler mais plutôt parce qu’elles pourraient en avoir. De prime abord, le par. 33(3) réglemente la propriété et les droits civils dans les limites d’une province. Puisqu’il traite effectivement de ces droits et non spécifiquement de «pêcheries», il faut, pour en appuyer la validité, démontrer qu’il vise des sujets nécessairement accessoires à une législation efficace en matière de pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur.

La Cour a conclu comme suit, à la p. 226:

Le paragraphe 33(3) ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C’est une interdiction générale d’exercer certaines activités de compétence provinciale; ce paragraphe ne fixe pas les éléments de l’infraction de manière à établir un lien entre l’interdiction et les dommages vraisemblables aux pêcheries. De plus, aucune preuve produite devant la Cour n’indique que l’ensemble des activités visées par le paragraphe cause effectivement des dommages aux pêcheries. A mon avis, l’interdiction, dans ses termes généraux, n’est pas nécessairement accessoire au pouvoir fédéral de légiférer sur les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur et elle excède les pouvoirs du Parlement fédéral.

Les intimés n’ont pas établi qu’il est essentiel au fonctionnement de l’ensemble des mesures prévues dans la Loi sur les jeunes délinquants que les frais d’entretien des jeunes délinquants soient assumés par les municipalités. En outre, les intimés n’ont

[Page 20]

soumis aucune jurisprudence à l’appui de la proposition que, accessoirement à l’exercice de ses pouvoirs législatifs, le Parlement peut imposer un fardeau financier à une institution, telle une municipalité, qui est créée par le législateur provincial et dont les pouvoirs, y compris le pouvoir de prélever et de dépenser des fonds, sont définis uniquement par la loi provinciale.

Dans l’affaire Reference re Troops in Cape Breton, [1930] R.C.S. 554, on a décidé que le Parlement du Canada ne pouvait imposer à une province l’obligation de payer les frais imputables à une réquisition demandant à la milice active de prêter main-forte aux autorités civiles. La Loi de Milice, S.R.C. 1906, chap. 41, modifiée par 1924 (Can.), chap. 57, permettait au procureur général d’une province de demander les services de la milice active pour prêter main-forte aux autorités civiles lorsqu’une émeute ou des troubles se produisaient ou lorsqu’on les appréhendait réellement. Le procureur général de la Nouvelle-Écosse a fait une demande en ce sens pour une émeute ou des troubles à une centrale électrique à New Waterford au Cap Breton. La réquisition énonçait que le procureur général, au nom de la province de la Nouvelle-Écosse, s’engageait à ce que tous les frais imputables à l’appel de la milice soient payés par la province.

L’article 86 de la Loi prévoyait la teneur de la réquisition; les paragraphes (2) et (3) se lisaient ainsi:

(2) De plus, dans chaque cas, il est incorporé dans la réquisition, qui doit être signée par le Procureur général, un engagement pur et simple portant que la province paiera à Sa Majesté tous frais et dépens faits par Sa Majesté en raison du fait que la milice, ou quelqu’une de ses parties, a été appelée sous les drapeaux ou a servi pour prêter main‑forte aux autorités civiles ainsi qu’elle en a été priée par la réquisition.

(3) Toute déclaration de faits contenue dans une réquisition faite sous l’empire des dispositions de la présente loi, est définitive et obligatoire pour la province au nom de laquelle la réquisition est faite; et tout engagement ou promesse contenue dans cette réquisition lie la province et n’est sujette à aucune controverse ou contestation pour cause de prétendue incompétence ou de défaut d’autorisation de la part du Procureur général à faire cette réquisition, ni pour une autre raison.

[Page 21]

On a demandé à cette Cour si la province était tenue de payer tous les frais imputables à l’appel de la milice.

Le procureur général du Canada a fait valoir que les dispositions de la Loi constituaient une offre faite par le Canada à la province, et qu’à compter de l’acceptation de l’offre, assortie de l’engagement, une obligation contractuelle prenait naissance. Le procureur général de la Nouvelle-Écosse a fait valoir que tel n’était pas l’effet de la Loi et que le procureur général n’avait pas le pouvoir de lier la province en vertu de l’engagement.

Le juge Duff (alors juge puîné) a décidé que la province n’était pas tenue au paiement. Il a dit, aux pp. 561 et 562:

[TRADUCTION] Cependant, étant donné les observations qui suivent, il n’est vraiment pas nécessaire d’examiner la question de l’étendue du pouvoir du procureur général de la Nouvelle-Écosse. Je pense que la prétention de Me Geoffrion est incontestable, que les articles de la Loi de Milice qu’invoque le procureur général du Canada confèrent certains pouvoirs à la personne qui occupe le poste de procureur général de la province à l’époque considérée, mais que l’exercice de ces pouvoirs ne dépend d’aucune façon du consentement du lieutenant-gouverneur, ou de la législature provinciale. Le paragraphe 3 de l’article 86 l’énonce clairement,…

Il est évident que cette loi envisage le procureur général non pas à titre de procureur général de Sa Majesté du chef de la province, mais comme une personne à qui certains pouvoirs ont été conférés, et à qui la loi impose certaines obligations. Les articles s’appliquent à chaque province et ont leur effet indépendamment de l’étendue du pouvoir du procureur général de lier la province à l’égard des dépenses de fonds à ces fins.

Il s’ensuit que ces dispositions n’envisagent pas une obligation de payer une somme en vertu d’un contrat intervenu entre la province et le Canada. Dans sa plaidoirie très sincère, le solliciteur général n’a pas fait valoir que l’obligation de payer ces dépenses peut être imposée par le Canada à la province in invitum, et de fait, ce serait une violation évidente du principe fondamental de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Les revenus de la province sont dévolus à Sa Majesté comme chef suprême de la province, et le droit de

[Page 22]

disposer de ces revenus appartient exclusivement à la législature de la province.

Cet arrêt ne laisse pas entendre que les dispositions du par. 86(3) étaient raisonnablement accessoires aux dispositions de la Loi de Milice traitant de l’aide aux autorités civiles, qui ont été adoptées à bon droit en vertu de l’art. 91(7) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867.

Si le Parlement du Canada ne peut imposer à une province une obligation de payer des dépenses sans qu’elle y consente, je suis d’avis qu’il ne peut pas plus, sans l’intervention de la province, imposer une obligation semblable aux institutions municipales que la province a créées conformément à l’art. 92(8) de cet Acte.

A mon avis, le Parlement du Canada n’avait pas le pouvoir d’adopter le par. 20(2) dans la mesure où il s’applique aux municipalités. Il ne s’agit pas d’une disposition relative au droit criminel ou à la procédure criminelle, et cette disposition n’est pas vraiment nécessaire à l’exercice efficace de l’autorité législative du Parlement dans ces domaines. Dans la mesure où elles se rapportent aux municipalités, les dispositions du par. 20(2) constituent un texte législatif qui touche aux droits civils des municipalités qui sont, elles-mêmes, créées par les législatures des provinces et assujetties au contrôle législatif de ces dernières. L’article 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 a donné aux provinces le droit exclusif de faire des lois relatives aux «institutions municipales dans la province». C’est conformément à ce pouvoir que les provinces créent des institutions municipales. Le paragraphe 20(2) a pour effet de modifier le rôle des institutions municipales, pas nécessairement quant aux seules questions financières mais également à l’égard de leurs obligations envers les personnes qui se trouvent sur leur territoire. C’est là une modification indirecte des lois provinciales relatives aux municipalités. Ce paragraphe n’est pas justifié en l’absence d’un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de l’art. 91(27). Il n’y a pas de lien direct entre la municipalité «à laquelle il [l’enfant] appartient» et la question de la criminalité de l’enfant. L’obligation que la Loi cherche à imposer à la municipalité se présente uniquement une fois les procédures criminelles complétées et la sentence imposée.

[Page 23]

A mon avis, la suppression de la mention des municipalités au par. 20(2) peut se faire sans porter atteinte au fond du reste de la Loi et il s’agit d’un cas où le paragraphe est divible.

Compte tenu des conclusions qui précèdent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres moyens d’appel qu’a soulevés l’appelante.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de répondre par la négative à la question constitutionnelle qu’a énoncée le Juge en chef. Je suis d’avis d’infirmer les jugements des cours d’instance inférieure dans la mesure où ils imposent à l’appelante l’obligation de faire des paiements aux intimés. Les intimés doivent payer à l’appelante ses dépens en cette Cour et dans les cours d’instance inférieure. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens pour ou contre les intervenants.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

Procureurs des intimés: Stapells & Sewell, Toronto, et avocats-conseils des procureurs des intimés: Cameron, Brewin & Scott, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: A. Randall Dick, Toronto.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Québec: Jean-K. Samson et Lorraine Pilette, Ste-Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: R. Tassé, Ottawa.

[1] Toronto Transportation Commission c. Canadian National Railways and City of Toronto, [1930] R.C.S. 94; Toronto Railway Co. v. Corporation of the City of Toronto, [1920] A.C. 426; Corporation of the City of Toronto v. Canadian Pacific Railway Co., [1908] A.C. 54; County of Carleton c. City of Ottawa (1909), 41 R.C.S. 552; City of Toronto c. Grand Trunk Railway Co. (1906), 37 R.C.S. 232.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Jeunes délinquants - Municipalités - Entretien de l’enfant - Loi fédérale qui autorise une cour à ordonner à une municipalité de payer pour l’entretien d’un jeune délinquant - La disposition est-elle nécessairement accessoire au pouvoir du Parlement en matière de droit criminel? - Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3, art. 20(1),(2) - Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, art. 91(27), 92(8).

Le présent pourvoi porte sur la validité d’une ordonnance de garde prononcée par un juge provincial en vertu de l’art. 20 de la Loi sur les jeunes délinquants, qui enjoint à la municipalité appelante à laquelle l’enfant appartient de contribuer à l’entretien de l’enfant. Les appels de l’appelante à la Cour suprême de l’Ontario et à la Cour d’appel ont échoué. La question soumise à cette Cour est de savoir si le texte du par. 20(2), dans la mesure où, sous son empire, la cour est autorisée à imposer une charge financière aux municipalités, est utile et nécessairement accessoire à l’exercice efficace, par le Parlement, de son pouvoir législatif en vertu de l’art. 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le Parlement n’avait pas le pouvoir d’adopter le par. 20(2) dans la mesure où il s’applique aux municipalités. Il ne s’agit pas d’une disposition relative au droit criminel ou à la procédure criminelle et cette disposition n’est pas vraiment nécessaire à l’exercice efficace de l’autorité législative du Parlement dans ces domaines.

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Les municipalités sont assujetties au contrôle législatif des législatures des provinces (A.A.N.B., art. 92(8)). Dans la mesure où il se rapporte aux municipalités, le par. 20(2) a pour effet de modifier le rôle des institutions municipales non seulement quant aux questions financières mais également à l’égard de leurs obligations envers les personnes qui se trouvent sur leur territoire. C’est là une modification indirecte des lois provinciales relatives aux municipalités qui n’est pas justifiée en l’absence d’un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de l’art. 91(27). En l’espèce, il n’y a pas de lien direct entre la municipalité «à laquelle il [l’enfant] appartient» et la question de la criminalité de l’enfant. L’obligation que la Loi cherche à imposer à la municipalité se présente uniquement une fois les procédures criminelles complétées et la sentence imposée.


Parties
Demandeurs : Peel (Municipalité régionale)
Défendeurs : MacKenzie et al.

Références :

Jurisprudence: distinction faite avec les arrêts Attorney General of British Columbia c. Smith, [1967] R.C.S. 702

Toronto Transportation Commission c. Canadian National Railways and City of Toronto, [1930] R.C.S. 94

Toronto Railway Co. v. Corporation of the City of Toronto, [1920] A.C. 426

Corporation of the City of Toronto v. Canadian Pacific Railway Co., [1908] A.C. 54

County of Carleton c. City of Ottawa (1909), 41 R.C.S. 552

City of Toronto c. Grand Trunk Railway Co. (1906), 37 R.C.S. 232

R. c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940

Corporation of the City of Toronto v. The King, [1932] A.C. 98

arrêts examinés: Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213

Reference re Troops in Cape Breton, [1930] R.C.S. 554

arrêts rejetés: Regional Municipality of Peel v. Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632, confirmé à 16 O.R. (2d) 765 (C.A.)

Re Dunne, [1962] O.R. 595

arrêt mentionné: R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695.

Proposition de citation de la décision: Peel (Municipalité régionale) c. MacKenzie et al., [1982] 2 R.C.S. 9 (22 juillet 1982)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/07/1982
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 9 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-07-22;.1982..2.r.c.s..9 ?
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