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09/08/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._368

Canada | R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368 (9 août 1982)


Cour suprême du Canada

R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368

Date: 1982-08-09

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Obed Ebenezer Gardiner (Défendeur) Intimé.

N° du greffe: 15806.

1981: 23 novembre; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368

Date: 1982-08-09

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Obed Ebenezer Gardiner (Défendeur) Intimé.

N° du greffe: 15806.

1981: 23 novembre; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 368 ?
Date de la décision : 09/08/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Appel - Droit criminel - Compétence de la Cour suprême du Canada - Compétence pour entendre un appel formé à l’encontre d’une sentence - Loi sur la Cour suprême, S.R.C 1970, chap. S-19 et modifications, art. 41 - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34 et modifications, art. 614, 618.

Droit criminel - Acte criminel - Plaidoyer de culpabilité - Etablissement de la sentence - Norme de preuve applicable aux circonstances aggravantes contestées.

L’intimé ayant plaidé coupable, le juge du procès a, dans l’établissement de la sentence, apprécié les témoignages contradictoires de la victime et de l’intimé relativement à la gravité de l’infraction. Il a conclu que la poursuite peut s’en tenir à la preuve des faits aggravants selon la prépondérance des probabilités, puis a accepté la version de la victime et a rendu la sentence. La Cour d’appel a accueilli l’appel de l’intimé en disant que la poursuite doit prouver les faits aggravants hors de tout doute raisonnable et a réduit la sentence. Le présent pourvoi soulève deux questions: 1) la Cour suprême a-t-elle compétence pour entendre des appels qui résultent de l’établissement de la sentence et 2) le cas échéant, la poursuite doit‑elle prouver les faits aggravants hors de tout doute raisonnable ou selon la prépondérance des probabilités?

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Estey et Mclntyre sont dissidents sur la question de la compétence): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Dickson et Chouinard: Les pourvois à l’encontre de la sentence sont visés au par. 41(1) et ne sont pas exclus par le par. 41(3) de la Loi sur la Cour suprême. Une interprétation libérale du par. 41(1) permet à cette Cour de mieux remplir son rôle. Bien que la Cour ait compétence pour évaluer la justesse ou l’importance d’une sentence, en principe, elle ne devrait pas le faire. La règle à l’encontre de l’évaluation de la justesse de la sentence ne doit cependant pas

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exclure l’examen des questions de droit importantes qui découlent de l’établissement de la sentence. Le processus d’autorisation permet d’éliminer les pourvois qui ne soulèvent pas de questions de droit importantes. En l’espèce, la question de la norme de preuve applicable soulève la question de la légalité de la sentence, non de sa justesse.

[Jurisprudence: arrêts suivis: Hill c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 827; Smith c. La Reine, [1959] R.C.S. 638; Parkes c. La Reine, [1956] R.C.S. 134; arrêts non suivis: Goldhar c. La Reine, [1960] R.C.S. 60; R. c. J. Alepin Frères Ltêe, [1965] R.C.S. 359; R. c. MacDonald, [1965] R.C.S. 831; Paul c. La Reine, [1960] R.C.S. 452; arrêt examiné: Goldhamer c. Le Roi, [1924] R.C.S. 290; arrêts mentionnés: Lake Erie and Detroit River Railway Co. c. Marsh (1904), 35 R.C.S. 197; United States of America c. Link and Green, [1955] R.C.S. 183; Ottawa Electric Co. c. Brennan (1901), 31 R.C.S. 311; Furlan c. Ville de Montréal, [1947] R.C.S. 216; Chagnon c. Normand (1889), 16 R.C.S. 661; Cully c. Ferdais (1900), 30 R.C.S. 330; McKenzie c. Hiscock, [1967] R.C.S. 781; Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1956] R.C.S. 303; R. c Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940; R. c. Skolnick, [1982] 2 R.C.S. 47; Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749; Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265.]

Lorsqu’il décide des faits contestés dans l’établissement de la sentence, le juge du procès ne doit pas s’écarter de la norme de preuve traditionnelle en matière criminelle qui est la preuve hors de tout doute raisonnable. La détermination de la sentence est une étape décisive du processus en matière pénale. Les faits qui justifient la peine ne sont pas moins importants que ceux qui justifient la déclaration de culpabilité; l’infraction et la peine sont inextricablement liées. Aussi bien le caractère non formaliste du processus de sentence quant à la recevabilité de la preuve que le large pouvoir discrétionnaire dont dispose le juge du procès quant à l’imposition de la sentence militent en faveur du maintien de la norme de preuve en matière criminelle, c’est-à-dire la preuve hors de tout doute raisonnable.

[Jurisprudence: arrêt rejeté: R. v. Cieslak (1977), 37 C.C.C. (2d) 7; arrêts mentionnés: R. v. Sayer, C.A. Ont., prononcé le 27 février 1976; R. v. Gortat and Pirog, [1973] Crim. L.R. 648; Alberton Fisheries Ltd. v. The King (1944), 17 M.P.R. 457; R. v. Maitland, [1963] S.A.S.R. 332; Law v. Deed, [1970] S.A.S.R. 374; O’Malley v. French (1971), 2 S.A.S.R. 110; Weaver v. Samuels, [1971] S.A.S.R. 116; R. v. Thompson (1975), 11 S.A.S.R. 217; R. v. Stehbens (1976), 14

[Page 370]

S.A.S.R. 240; R. v. O’Neill, [1979] 2 N.S.W.L.R. 582; Bierkowski v. Pearson (1971), 18 F.L.R. 110; Browne v. Smith (1974), 4 A.L.R. 114; R. v. Browne, [1950] N.I.L.R. 20; R. v. Mctee, [1947] N.I.L.R. 27; R. v. Pinder (1923), 40 C.C.C. 272; R. v. Christopher, C.A. Alb., inédit; R. v. Knight (1975), 27 C.C.C. (2d) 343; R. v. Wettlaufer, 6 W.C.B. 311; R. v. Parenteau (1980), 52 C.C.C. (2d) 188; R. v. Dimora (1978), 45 C.C.C. (2d) 96; R. v. Boileau; R. v. Lepine (1979), 50 C.C.C. (2d) 189; R. v. Davis and Fancie (1976), 15 N.S.R. (2d) 461; R. v. Sadler, C.A. Angl. (Div. crim), 22 novembre 1973; R. v. Miller, Vella and Walker, C.A. Angl. (Div. crim.), 2 décembre 1974; R. v. Taggarf (1979), 1 Cr. App. R. (S) 144; S. v. Manchester City Recorder, [1969] 3 All E.R. 1230; R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525; Dingwall v. J. Wharton (Shipping), Ltd., [1961] 2 Lloyd’s Rep. 213; United States v. Fatico, 458 F. Supp. 388 (1978); Gardner v. Florida, 430 U.S. 349, 51 L Ed 2d 393 (1977); Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153, 49 L Ed 2d 859 (1976); Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Williams v. New York, 337 U.S. 241, 93 L ed 1337 (1949).]

Le juge en chef Laskin et les juges Estey et Mclntyre (dissidents): Cette Cour n’a pas de compétence en matière d’appel pour se prononcer sur l’importance d’une sentence et ne peut l’acquérir à cause d’erreurs que les cours d’instance inférieure auraient commises en déterminant l’importance de la sentence. En l’espèce, la sentence imposée par le juge du procès et réduite par la Cour d’appel respecte les limites de sentence spécifiées pour l’infraction. Il n’est pas question de légalité, c’est-à-dire du droit d’imposer une sentence particulière, ni de constitutionnalité. Cette Cour est une cour créée par la loi, dont la compétence en matière criminelle est limitée (art. 618 C. cr.), et le par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême ne devrait pas s’appliquer à des points qui ne relèvent pas du Code criminel à moins qu’ils ne touchent la constitutionnalité ou la légalité.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1979), 52 C.C.C. (2d) 183, qui a accueilli l’appel de l’intimé à l’encontre de la sentence imposée suite à son plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et les juges Estey et Mclntyre sont dissidents sur la question de la compétence.

S. Casey Hill, pour l’appelante.

Clayton C. Ruby, pour l’intimé.

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Version française des motifs du juge en chef Laskin et des juges Estey et Mclntyre rendus par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Le présent pourvoi soulève une importante question de compétence, qu’il faut résoudre même si l’autorisation d’appel a été accordée: R. c. Warner, [1961] R.C.S. 144; R. c. J. Alepin Frères Liée, [1965] R.C.S. 359; R. c. MacDonald, [1965] R.C.S. 831. La question de compétence, que la Cour a soulevée de son propre chef, est simplement de savoir si cette Cour, créée par la loi, peut entendre un appel quant à la norme de preuve applicable aux faits contestés dans une procédure relative à la sentence imposée pour un acte criminel dont l’accusé s’est reconnu coupable.

Nous avons prévenu les avocats des parties que la question de compétence serait soulevée au moment de procéder à l’audition du pourvoi même s’ils ne l’avaient pas eux-mêmes soulevée dans la demande d’autorisation d’appel ni mentionnée dans leurs mémoires. Cependant, après les plaidoiries sur la question de compétence, la Cour l’a prise en délibéré et elle a jugé préférable d’entendre les parties sur le fond étant donné qu’elles avaient préparé leurs mémoires sans égard à la compétence qu’elles avaient tenue pour acquise vu que l’autorisation d’appel avait été accordée. Après les plaidoiries sur le fond, la Cour a également pris cette question en délibéré et elle ne statuera sur celle-ci que si elle conclut qu’elle a compétence. Je vais donc aborder cette question. Je dois dire d’abord que tant la poursuite appelante que l’intimé souhaitent que la Cour se prononce sur le fond et que tous deux soutiennent que cette Cour est compétente à cette fin.

Cette Cour a considéré et considère toujours qu’elle n’est pas compétente pour examiner l’importance d’une sentence, considérée trop sévère ou trop légère, dans la mesure où cette sentence respecte les limites de la loi. Cela découle de l’art. 618 du Code criminel quant aux sentences applicables aux actes criminels et de l’interprétation donnée au par. 41(3) de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19, quant à l’importance d’une sentence imposée par suite d’une déclaration sommaire de culpabilité. De plus, cette Cour n’a pas considéré que sa compétence générale

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en matière d’appel, qu’elle possède en vertu du par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême, lui permet d’entendre des appels portant sur l’importance d’une sentence légale, même si le juge en chef Cartwright a souligné dans l’arrêt R. c. MacDonald, précité, à la p. 842, que les termes du paragraphe sont suffisamment généraux pour viser de tels appels. Le paragraphe 41(1) actuel se lit comme suit:

41. (1) Sous réserve du paragraphe (3), il peut être interjeté appel à la Cour suprême de tout jugement, définitif ou autre, rendu par la plus haute cour du dernier ressort habilitée, dans une province, à rendre jugement dans l’affaire en question, ou par l’un des juges de cette cour, que l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême ait ou non été refusée par un autre tribunal, lorsque la Cour suprême estime, étant donné l’importance de l’affaire pour le public, l’importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou sa nature ou son importance à tout autre égard, qu’elle devrait en être saisie et lorsqu’elle accorde dès lors l’autorisation d’interjeter appel de ce jugement.

Je citerai également le par. 41(3) qui se lit comme suit:

(3) Nul appel à la Cour suprême ne peut être interjeté selon le présent article, du jugement d’une cour acquittant ou déclarant coupable, ou annulant ou confirmant une déclaration de culpabilité ou un acquittement, d’un acte criminel ou, sauf sur une question de droit ou de juridiction, d’une infraction autre qu’un acte criminel.

Il n’est que juste d’affirmer que cette Cour a manqué de constance dans sa façon d’aborder les questions de sentences, qu’il s’agisse de sentences imposées par suite d’une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel ou de sentences de détention préventive d’un accusé déclaré repris de justice. J’aborderai la jurisprudence un peu plus loin, mais le point important à souligner par rapport à ce que j’ai qualifié d’inconstance est qu’on ne semble pas avoir pris en considération la question de l’importance des sentences dans certains cas où l’on a prétendu que la procédure relative à une sentence soulevait un point de droit comme celui qui serait soulevé en l’espèce quant à la norme de preuve à laquelle la poursuite doit satis-

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faire si elle veut obtenir une sentence plus sévère en raison de circonstances aggravantes qui sont contestées.

Il y a un point capital et, à mon avis, dominant qui doit être expliqué. Si, comme on le reconnaît, cette Cour n’a pas de compétence en matière d’appel pour se prononcer sur l’importance d’une sentence en soi, je ne vois pas comment elle pourrait l’acquérir à cause d’erreurs que les cours d’instance inférieure auraient commises en déterminant l’importance de la sentence. Il y a une analogie ici — que je ne prétends pas parfaite — avec les affaires de droit administratif où, pour se soustraire aux effets d’une clause privative, on élève les erreurs commises au cours d’une procédure au rang d’erreurs de compétence alors qu’il est manifeste que l’organisme administratif avait compétence pour statuer sur les questions dont il était saisi et qu’il pouvait se tromper sans s’exposer à une révision pour erreur de droit.

Une cour d’appel provinciale a la compétence, qui lui est expressément attribuée, pour entendre l’appel d’une sentence rendue par suite d’une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel si la cour ou l’un de ses juges a accordé l’autorisation d’en appeler, à moins que la sentence ne soit de celles que fixe la loi: voir les al. 603(1)b) et 605(1)b) du Code criminel. L’autorisation est généralement demandée au moment où l’appel de la sentence vient à audience et il est rare qu’elle soit refusée. C’est du moins ce qui s’est produit pendant les quelque cinq années où j’ai siégé à la Cour d’appel de l’Ontario. Les règles de la cour déterminent la procédure d’appel et le délai imparti pour demander l’autorisation d’appeler, mais il peut y avoir prorogation de ce délai: voir les par. 607(1) et (2) du Code criminel. Le retard indu peut bien constituer un motif de refus d’autorisation ou de refus de prorogation de délai, mais, si je comprends bien, cela ne se produit pas souvent. Les cours d’appel préfèrent, pour des motifs d’équité, trancher les appels de sentences sur le fond. La Cour suprême du Canada n’a pas de compétence aussi générale en matière d’appel à l’égard des sentences.

L’arrêt qui fait autorité en cette Cour pour ce qui est des appels de sentences interjetés en vertu

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de l’article équivalent de notre loi constitutive actuelle est l’arrêt Goldhar c. La Reine, [1960] R.C.S. 60. Il a fait l’objet d’une distinction, avec raison à mon avis, dans l’arrêt Hill c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 827 et, lors d’une nouvelle audition, Hill c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 827, que je commenterai en temps opportun. Dans les arrêts Hill, le juge Pigeon a rédigé l’opinion de la Cour au complet sur la question de la compétence de cette dernière pour entendre un appel de la décision d’une cour d’appel provinciale portant que celle-ci pouvait imposer une sentence plus sévère par suite d’une requête à cette fin soumise par la poursuite à l’audition de l’appel de la sentence interjeté par l’accusé seul. Bien que j’aie été l’un des quatre juges dissidents sur la question du pouvoir de la cour d’appel, j’ai souscrit entièrement à l’avis du juge Pigeon selon lequel cette Cour avait compétence parce qu’elle était appelée à statuer non pas sur l’appel d’une sentence, mais sur la compétence de la cour d’appel provinciale. Dans ses motifs, le juge Pigeon a analysé la jurisprudence relative à la question qui nous est soumise en l’espèce et, pour cette raison, il ne m’est pas nécessaire de l’analyser aussi méticuleusement qu’il l’a fait. Néanmoins, je tiens à l’étudier pour mieux situer la présente affaire.

L’affaire Goldhar portait sur une demande d’autorisation d’appel soumise à une formation de cinq juges. Le juge Fauteux, alors juge puîné, a rédigé les motifs de la Cour, (le juge Cartwright, alors juge puîné, étant le seul dissident) et il a statué que cette Cour n’était pas compétente pour entendre l’appel d’une sentence imposée à la suite d’une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel. Je ne souscris pas à l’observation du juge Pigeon dans les arrêts Hill, portant que l’arrêt Goldhar ne lie pas la Cour et ne doit pas être suivi. Bien que j’aie dit dans mes motifs relatifs à la première audition de l’affaire Hill, à la p. 830, que j’étais d’accord avec le juge Pigeon pour renverser l’arrêt Goldhar, ce n’était qu’en fonction de la question soulevée dans l’affaire Hill et que dans la mesure où l’arrêt Goldhar pourrait être interprété comme empêchant d’interjeter appel à cette Cour sur la légalité d’une sentence ou sur le pouvoir d’une cour d’accroître une sentence qui n’a fait l’objet d’aucun appel. Je puis accepter que l’arrêt

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Goldhar ne liait pas la Cour (aucun de nos arrêts ne la lie maintenant en théorie) mais il était inutile de dire qu’il ne devait pas être suivi alors que les affaires Hill étaient d’un tout autre ordre que l’affaire Goldhar.

L’arrêt Goldhar a été rendu à un moment où la Loi sur la Cour suprême comportait, au par. 41(1), une disposition qui, pour les fins des présentes, était semblable au paragraphe actuel déjà cité. Il avait été précédé de l’arrêt Goldhamer c. Le Roi, [1924] R.C.S. 290, où il avait été plus facile de conclure à l’absence de compétence quant aux sentences puisque, à ce moment-là, la Loi sur la Cour suprême ne comportait pas de disposition attributive de compétence à cette Cour en matière criminelle. La Loi n’était pas non plus neutre comme elle l’est littéralement aujourd’hui parce qu’elle excluait expressément les affaires criminelles de son attribution de compétence en matière d’appel. Il fallait donc invoquer l’article équivalant à l’art. 618 actuel qui parlait notamment d’appels avec autorisation contre des jugements confirmant ou infirmant une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel. En conséquence, on a conclu à l’absence de compétence pour entendre un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui imposait une sentence plus sévère. Il était très clairement plus facile de conclure à l’absence de compétence dans l’arrêt Goldhamer que dans l’arrêt Goldhar.

Avant l’arrêt Goldhar mais après l’attribution de compétence en vertu du par. 41(1), cette Cour a eu à trancher une demande d’autorisation d’appel dans l’affaire Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1956] R.C.S. 303, dont seul le jugement sur le fond est publié. Les recherches que le juge Pigeon a effectuées dans le cadre des affaires Hill ont révélé que la question de la compétence de la Cour avait été soulevée à l’occasion de la demande d’autorisation et qu’il y avait même eu de nouvelles auditions avant que l’autorisation d’appel ne soit accordée. Le registre du greffier de la Cour porte une note selon laquelle la Cour à la majorité était d’avis qu’elle avait compétence. L’affaire Goodyear Tire porte sur une ordonnance de prohibition rendue en vertu de la

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Loi des enquêtes sur les coalitions par suite d’une déclaration de culpabilité relative à une infraction à la Loi. La Cour d’appel de l’Ontario a traité l’appel porté devant elle comme s’il s’agissait de l’appel d’une sentence, conformément à une définition pertinente, et il est manifeste que l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême a servi de fondement au pourvoi en cette Cour. Dans la mesure où le juge Pigeon laisse entendre, dans les arrêts Hill, que cette Cour autorisait alors l’appel d’une sentence, je suis en désaccord avec lui. Le véritable point litigieux dont était saisie cette Cour dans l’affaire Goodyear Tire était la constitutionnalité d’une ordonnance de prohibition interdisant la répétition de l’infraction dont la société avait été reconnue coupable. Cette question relevait certainement de la compétence de cette Cour et l’autorisation d’appel n’avait rien à voir avec le fait que l’ordonnance de prohibition avait été qualifiée de sentence aux fins de l’appel à la Cour d’appel de l’Ontario.

L’arrêt Paul c. La Reine, [1960] R.C.S. 452 suit de près l’arrêt Goldhar et il confirme le principe formulé dans ce dernier arrêt relativement aux déclarations sommaires de culpabilité, selon lequel les cas qui ne sont pas visés par le par. 41(3) ne relèvent pas pour autant du par. 41(1), pas plus que les cas d’actes criminels qui ne sont pas visés par ce qui constitue maintenant l’art. 618 du Code criminel. L’arrêt Paul c. La Reine ne constitue pas une tentative d’en appeler d’une sentence au même sens que l’arrêt Goldhar. Il s’agissait plutôt d’une affaire où la cour d’appel provinciale avait refusé d’entendre l’appel relatif à une déclaration sommaire de culpabilité ou, encore, l’appel du rejet d’un appel formé en la matière auprès d’un juge de la Cour de comté. Bien que ce fût un arrêt rendu à une mince majorité, il est comme tel strictement conforme à l’arrêt de la pluralité de cette Cour dans Ernewein c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 R.C.S. 639, où cette Cour a statué qu’elle n’était pas compétente pour accorder une autorisation d’en appeler du refus de la Cour d’appel fédérale d’autoriser qu’un appel soit interjeté devant elle lorsque cette autorisation est nécessaire pour permettre à cette cour de connaître de l’affaire. Donc le refus d’autorisation d’en appeler dans l’affaire Paul n’est pas lié, à notre avis, à

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la question de savoir s’il s’agit d’un cas relatif à une sentence. Il en serait de même chaque fois qu’une cour d’appel refuse l’autorisation d’appel requise et qu’on cherche à soumettre la question à cette Cour.

A l’instar de l’arrêt Paul, la même décision, soit le refus d’autorisation, a été rendue dans l’arrêt R. c. J. Alepin Frères Ltée, [1965] R.C.S. 359. Cette. Cour y confirme de nouveau que les questions non mentionnées au par. 41(3) ne relèvent pas pour autant du par. 41(1) et qu’ainsi les appels de sentences sont exclus.

Avant d’aborder le dernier arrêt de cette Cour visant les appels de sentences, savoir Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749, il serait utile de faire un résumé de la question. L’importance ou la justesse d’une sentence, à l’exclusion de toute autre considération, ne relève pas comme telle de la compétence de cette Cour. C’est ce que réaffirme le juge Pigeon dans les arrêts Hill. Toutefois, ce n’est pas l’importance ou la justesse qui est visée lorsque cette Cour est appelée à étudier la légalité d’une sentence, le mot légalité étant pris au sens de droit d’imposer une sentence particulière par opposition à l’imposition d’une sentence légale qui résulterait d’erreurs de droit commises dans la détermination de sa justesse. Ce n’est pas non plus l’importance de la sentence qui est en cause lorsqu’on conteste la constitutionnalité de certains types de sentences, ou lorsqu’on demande à la Cour, comme dans les affaires Hill, si une cour d’appel provinciale a le pouvoir d’imposer une sentence plus sévère par suite d’une requête de la poursuite présentée au cours d’un appel de la sentence formé par l’accusé seul alors que la poursuite n’a pas formé d’appel incident. Dans ces affaires, le débat porte sur le pouvoir judiciaire ou législatif d’agir et non sur la question de savoir si ce pouvoir, en supposant qu’il existe, a été mal exercé.

L’arrêt Smith c. La Reine, [1959] R.C.S. 638, est un autre genre d’affaire qui peut régulièrement se fonder sur l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême; cette Cour y a accordé l’autorisation d’en appeler du rejet d’une demande de certiorari visant à annuler la déclaration de délinquance prononcée contre un enfant en vertu de la Loi sur

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les jeunes délinquants. Le pourvoi a été accueilli et il est manifeste que le par. 41(1) constituait un fondement approprié pour entendre le pourvoi qui portait sur une question de fond. L’autorisation d’appel aurait pu être refusée en vertu du pouvoir discrétionnaire de la Cour, mais le pouvoir de l’accorder n’avait pas été mis en cause.

Puisque le par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême est rédigé en termes très généraux et qu’il appartient en réalité à cette Cour de déterminer l’étendue de ses dispositions, pourquoi cette Cour devrait-elle se refuser à entendre des demandes d’autorisation d’appel à l’encontre de questions relatives aux sentences? On s’attendrait normalement à trouver dans le Code criminel des dispositions à cette fin, si elles avaient été jugées souhaitables. On n’en trouve point et je crois que le juge Fauteux a suffisamment expliqué dans l’arrêt Goldhar pourquoi il serait inapproprié de contourner les restrictions de l’art. 618 actuel du Code criminel en invoquant le par. 41(1). La réponse à la question, dans la mesure où il s’agit d’une question de principe, tient à ce que cette Cour est une cour créée par la loi, dont la compétence en matière criminelle est limitée, et le par. 41(1) ne devrait pas s’appliquer à des points qui ne relèvent pas du Code criminel à moins qu’ils ne touchent certains aspects comme la constitutionnalité, la compétence ou le pouvoir judiciaire.

L’arrêt Lees c. La Reine paraît déroger à la jurisprudence que j’ai analysée jusqu’ici. J’ai siégé avec mes collègues dans cette cause où la Cour a rendu un arrêt unanime. La première phrase précise que le pourvoi attaque la légalité d’une sentence mais l’exposé de l’affaire démontre qu’il ne s’agit pas d’une contestation de la légalité comme je l’ai expliqué plus haut, mais plutôt d’une contestation d’une sentence légale que le juge du procès aurait imposée en tenant compte à tort d’un témoignage portant sur une accusation possible n’ayant fait l’objet d’aucun procès et sans rapport avec le vol qualifié dont l’accusé s’était reconnu coupable. Bien qu’en définitive le pourvoi ait été rejeté, la compétence a été néanmoins exercée, mais à tort, en fonction de la jurisprudence que je viens d’examiner dans les présents motifs.

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J’ai examiné la documentation produite lors de la demande d’autorisation de pourvoi dans l’affaire Lees, demande que j’ai entendue avec mes collègues les juges Dickson et Estey. Notre compétence d’accorder l’autorisation, c’est-à-dire d’entendre le pourvoi proposé, n’a été contestée ni lors de la demande d’autorisation d’appel, ni dans la documentation ou les plaidoiries présentées lors de l’audition du pourvoi. Je reconnais volontiers que nous avons eu tort de ne pas soulever la question d’office soit au moment de la demande d’autorisation, soit au cours de l’audition du pourvoi. A mon avis, nous avons eu tort d’accepter d’entendre l’affaire alors que nous n’avions pas compétence pour le faire.

On ne peut considérer que la présente affaire, pas plus que l’arrêt Lees, met en cause la légalité d’une sentence. En imposant une peine d’emprisonnement de quatre ans et demi, le juge du procès a respecté les limites de sentence spécifiées pour cette infraction tout comme la Cour d’appel l’a fait en réduisant la sentence à deux ans. Il n’est pas question de légalité en l’espèce comme dans les arrêts Hill, ni de constitutionnalité comme dans l’arrêt Goodyear Tire. La question que pose le présent pourvoi est plutôt celle de savoir si, en imposant la sentence, le juge du procès doit appliquer aux faits contestés la norme de preuve hors de tout doute raisonnable et non simplement la norme de la prépondérance des probabilités. En assujettissant ainsi les procédures relatives aux sentences à un processus judiciaire, fait-on relever une affaire relative à l’importance d’une sentence de la compétence de la Cour en vertu du par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême? Si nous le faisons quant aux normes de preuve, comme c’est le cas en l’espèce, ou quant à l’erreur alléguée dans l’arrêt Lees, pourquoi ne le ferions nous pas quant à d’autres facteurs qui interviennent ou peuvent intervenir dans la détermination d’une sentence appropriée? Il y a de nombreuses sinon d’innombrables façons d’imputer des erreurs au juge qui fixe la sentence; on peut notamment lui reprocher d’avoir appliqué les mauvais principes, de ne pas avoir appliqué les bons principes en matière de sentence, d’avoir tenu compte de considérations non pertinentes, de ne pas avoir reçu ou exclu certains éléments de preuve soumis lors de l’audience relative à la sentence, et ainsi de suite.

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Toutes ces questions sont évidemment importantes en ce qu’elles peuvent modifier l’importance d’une sentence, mais elles n’influent aucunement sur le pouvoir d’agir que possède le juge du procès. S’il faut restreindre ou élargir le champ ou la nature des considérations qu’il peut soupeser ou les normes qu’il peut appliquer, il appartient à la cour d’appel provinciale de fournir les directives nécessaires dans le cadre du processus de sentence.

Le juge du procès jouit, en matière de sentence, d’un pouvoir discrétionnaire très large qui se traduit par la latitude qui lui est conférée lorsque la loi ne fixe que la sentence maximale ou minimale, ou à la fois les sentences minimale et maximale. S’il prononce une sentence conforme aux limites prescrites, le contrôle prévu par la loi appartient à la Cour d’appel pourvu que l’autorisation d’appel soit accordée. En quoi cela peut-il signifier que la Cour suprême peut encore contrôler les facteurs qui doivent intervenir dans la détermination d’une sentence acceptable ou fixer des normes applicables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge qui prononce la sentence? Même si je ne cherche pas à le faire ici, on pourrait fort bien invoquer l’art. 44 de la Loi sur la Cour suprême, qui, de façon générale, exclut tout droit d’appel d’une ordonnance discrétionnaire.

J’estime que si l’on relâche la norme de preuve applicable aux faits contestés, il faut aussi permettre à cette Cour de tenir compte d’autres facteurs qui peuvent intervenir dans la détermination d’une sentence. Affirmer que cette Cour garde quand même le contrôle grâce au pouvoir de refuser l’autorisation d’appel, ce serait céder sur le principe. Ce n’est guère la manière d’aborder la question de compétence initiale s’il n’est pas clair qu’elle existe.

Je ne doute pas de l’importance du point que soulève le présent pourvoi quant au fond. Mais d’importantes questions de droit criminel, des questions de fond en droit criminel, se posent sans qu’on prétende que cette Cour peut les entendre, par exemple, lorsqu’une déclaration de culpabilité, un acquittement ou une ordonnance de nouveau procès fait l’objet d’une contestation en vertu d’une allégation d’erreur mixte de droit et de fait ou d’erreur de fait seulement. A moins que seule une

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question de droit (ou de compétence) ne se pose dans les cours d’instance inférieure, cette Cour n’a pas compétence pour entendre ces appels en matière criminelle; ils se terminent en cour d’appel provinciale. Pour les motifs que j’ai exposés, on ne peut dire qu’il est possible de remédier à ce qui n’est pas visé par l’art. 618 en invoquant le par. 41(1).

J’aborderai maintenant, à cause de l’analogie qu’ils présentent, des arrêts de cette Cour portant sur des délinquants dangereux (repris de justice) et des sentences de détention préventive, maintenant appelées sentences pour une période indéterminée. Les articles 687 à 695.1, qui forment la partie XXI du Code criminel, contiennent les dispositions actuellement applicables aux délinquants dangereux; ils ont été adoptés à 1976-77 (Can.), chap. 53, art. 14 et ils sont entrés en vigueur le 16 octobre 1977. En vertu de l’art. 694, on peut interjeter appel à la cour d’appel provinciale d’une sentence de détention pour une période indéterminée sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait. Le procureur général peut interjeter appel à la cour d’appel du rejet d’une demande d’ordonnance visant une sentence de détention pour une période indéterminée, mais sur une question de droit seulement. Aucune disposition de la partie XXI n’accorde un droit d’appel à la Cour suprême. Même si, à mon avis, cette Cour peut entendre un appel d’une déclaration portant qu’un accusé est un délinquant dangereux lorsqu’une question de droit est soulevée, je crois que cette Cour n’a pas le pouvoir de réviser une sentence de détention pour une période indéterminée.

Aucune cause n’a été portée devant cette Cour en vertu de la partie XXI actuelle, mais il y a eu une série d’arrêts sur les dispositions qui l’ont précédée. Les dispositions relatives à la détention préventive des accusés reconnus repris de justice ont été ajoutées au Code criminel, à 1947 (Can.), chap. 55, aux art. 575A à 575H. En vertu de ces dispositions, l’allégation portant que l’accusé était un repris de justice devait être ajoutée à l’acte d’accusation après l’inculpation de l’infraction elle-même. Ce qui est plus important, l’art. 575E prévoyait qu’une personne déclarée coupable et con-

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damnée à la détention préventive pouvait en appeler de cette déclaration de culpabilité et de la sentence et que «les dispositions de la présente loi visant un appel d’une condamnation pour un acte criminel y sont applicables». En réunissant ainsi la déclaration portant que l’accusé est un repris de justice et la sentence de détention préventive sous un droit mixte d’appel à considérer comme un appel d’une déclaration de culpabilité d’un acte criminel, le Code criminel conférait à la Cour suprême le pouvoir d’entendre un tel appel lorsqu’il portait sur une question de droit: voir R. c. Robinson, [1951] R.C.S. 522. Toutefois, dans l’arrêt Brusch c. La Reine, [1953] 1 R.C.S. 373, la Cour a statué que l’allégation portant que l’accusé était un repris de justice ne constituait pas une inculpation d’acte criminel qui permettait à l’accusé de choisir son mode de procès, mais parce que la sentence de détention préventive était liée à la déclaration que l’accusé était un repris de justice, la Cour pouvait être saisie de l’affaire en raison d’une dissidence sur une question de droit en cour d’appel provinciale.

Les dispositions de 1947 relatives à la détention préventive ont été remplacées par 1953-54 (Can.), chap. 51 et refondues pour devenir la partie XXI du Code criminel. L’article 660 instaurait une nouvelle procédure selon laquelle on pouvait demander l’imposition d’une sentence de détention préventive, en plus de la sentence infligée pour l’infraction elle-même, si l’accusé était reconnu repris de justice et si la cour était d’avis qu’il était opportun, pour la protection du public, de lui imposer une telle sentence. L’article 667 prévoyait un appel à la cour d’appel de la sentence de détention préventive et le procureur général pouvait en appeler du rejet d’une demande. Il n’y avait plus de disposition semblable à l’ancien art. 575E.

L’affaire Parkes c. La Reine, [1956] R.C.S. 134, a été soumise à cette Cour en vertu de la nouvelle procédure. Cet arrêt soulève certaines difficultés parce que mon ex-collègue le juge Pigeon a considéré, dans les arrêts Hill, que l’arrêt Parkes affirme que cette Cour est compétente en vertu du par. 41(1) pour entendre un appel à la fois de la déclaration que l’accusé est un repris de

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justice et de la sentence de détention préventive qui en découle, et que cet arrêt lui reconnaît compétence pour annuler la sentence de détention préventive seulement. D’autre part, mon collègue le juge Ritchie, dans l’arrêt Poole c. La Reine, [1968] R.C.S. 381, (bien que se soit dans des motifs de dissidence auxquels trois autres juges de la Cour ont souscrit) a considéré que l’arrêt Parkes n’appuie pas la compétence de cette Cour pour entendre un appel d’une sentence de détention préventive séparément d’un appel de la déclaration que l’accusé est un repris de justice. Le juge Ritchie souligne, dans l’arrêt Poole, qu’à 1960-61 (Can.), chap. 43, par. 33(2), l’art. 660 du Code criminel a été modifié par rapport à ce qu’il était au moment où l’arrêt Parkes a été rendu. Le changement dans le texte de la nouvelle disposition porte que la sentence de détention préventive peut soit s’ajouter à la sentence prononcée pour l’infraction elle-même, soit la remplacer. Dans l’arrêt Poole, le juge Ritchie n’a pas mis en doute le pouvoir de cette Cour d’invoquer le par. 41(1) dans un appel contre une déclaration que l’accusé est un repris de justice. Il affirme ceci (à la p. 404):

[TRADUCTION] J’ai lu les affaires sur les repris de justice soumises à cette Cour depuis l’arrêt Parkes et il me semble que jusqu’à l’arrêt La Reine c. MacDonald …il n’y a eu aucun cas d’appel de sentence lorsque la question de déclaration que l’accusé est un repris de justice n’était pas en cause. Dans chaque affaire, l’appel a été considéré comme un appel de la déclaration que l’accusé est un repris de justice et a été décidé sur cette base.

Toutefois, dans l’arrêt Poole, la Cour à la majorité, a exprimé l’avis qu’elle avait compétence en vertu du par. 41(1) pour entendre un appel de la sentence de détention préventive seulement, surtout parce que la question n’est pas visée par le par. 41(3). La Cour à la majorité n’a pas examiné en détail l’arrêt Parkes et s’est contentée d’affirmer, pour reprendre les termes du juge en chef Cartwright (qui s’est exprimé en son propre nom et en celui des juges Judson et Hall), que la jurisprudence de la Cour quant à sa compétence pour autoriser et entendre un appel d’une sentence de détention préventive était constante depuis les arrêts Brusch et Parkes.

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Le jugement sur le fond de l’affaire Parkes c. La Reine est publié à [1956] R.C.S. 768. Aucun des cinq juges de cette Cour qui ont entendu l’affaire n’a mentionné la question de compétence, celle-ci ayant été examinée au moment de la demande d’autorisation d’appel publiée à [1956] R.C.S. 134. Le jugement sur le fond annule la sentence de détention préventive à cause d’une erreur de procédure commise en violation des dispositions législatives applicables à l’audition de la demande de détention. Il n’y a rien non plus dans l’audition portant sur le fond qui indique que la Cour se soit penchée à la fois sur la déclaration que l’accusé est un repris de justice et sur la sentence de détention préventive. Il était peut-être inutile d’examiner cette déclaration puisqu’elle devenait caduque dès l’annulation de la sentence de détention préventive. Il est cependant important de noter que l’autorisation d’appel dans l’affaire Parkes a été accordée en vertu du par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême (selon le libellé du jugement de cette Cour sur la demande d’autorisation d’appel) [TRADUCTION] «à l’encontre de la confirmation par la Cour d’appel du jugement de M. le juge Grosch, selon lequel le requérant est un repris de justice». Malgré tout, comme je l’ai déjà souligné, aucune mention n’est faite à l’audition de l’appel de la déclaration que le requérant est un repris de justice.

Pour évaluer si la Cour avait compétence dans l’affaire Poole, on avait dû étudier l’arrêt R. c. MacDonald, [1965] R.C.S. 831, où la Cour à la majorité, dont le juge Cartwright, alors juge puîné, avait déclaré qu’elle n’avait pas compétence.

Dans l’arrêt R. c. MacDonald, la Cour a exprimé l’avis unanime que le Code criminel ne lui donnait pas compétence pour entendre un appel d’une sentence de détention préventive. Dans cette affaire, il y avait eu déclaration que l’accusé était un repris de justice et imposition d’une sentence de détention préventive au lieu d’une sentence pour l’infraction elle-même. Même si la Cour avait accordé l’autorisation d’en appeler de cette sentence, l’appel a été annulé, le juge en chef Tasche-reau et le juge Martland étant dissidents. La Cour à la majorité a souligné que ce n’était pas la déclaration que l’accusé était un repris de justice qui était contestée, mais la déclaration de culpabi-

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lité d’un acte criminel qui a donné lieu à la sentence de détention préventive. En conséquence, l’arrêt Goldhar avait pour effet d’empêcher la poursuite de se pourvoir contre l’ordonnance de la cour d’appel provinciale qui avait infirmé l’ordonnance de détention préventive. Il aurait été absurde, d’après la Cour à la majorité, d’entendre un appel d’une sentence en vertu du par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême. Les deux juges dissidents ont affirmé que l’arrêt Goldhar ne s’appliquait pas parce que la peine imposée sous forme de sentence de détention préventive n’était pas imposée pour un acte criminel, mais parce que l’accusé était un repris de justice et que la protection du public exigeait qu’on lui impose cette sentence. Les juges dissidents ont rejeté l’argument portant que puisque la poursuite ne pouvait se pourvoir devant la cour d’appel que sur des questions de droit, elle ne pouvait en l’espèce invoquer le par. 41(1) pour demander l’autorisation d’appel étant entendu qu’il se limiterait à des questions de droit. De plus, ils ont estimé que, puisque l’accusé avait un droit d’appel, il n’y avait aucune raison valable de nier celui de la poursuite.

Le juge Cartwright, alors juge puîné, dans des motifs dans le même sens que ceux de la majorité, fait la distinction entre un appel formé par l’accusé à l’encontre d’une sentence de détention préventive (que, d’après lui, cette Cour a reconnu possible dans l’arrêt Parkes) et un appel formé par la poursuite à l’encontre du rejet d’une demande visant une telle sentence ou de l’annulation d’une telle sentence. Sur ce point, il s’appuie sur les motifs de la majorité rédigés par le juge Ritchie. Il souligne également que la question du droit d’appel à cette Cour n’a pas été débattue dans l’affaire Brusch et que même si l’arrêt Robinson était bien fondé d’après les dispositions législatives alors en vigueur, les changements de formulation subséquents ont pour effet que l’arrêt Robinson ne peut plus être invoqué pour étayer un appel de la poursuite.

L’arrêt majoritaire dans l’affaire MacDonald se fonde sur l’observation suivante du juge Ritchie (à la p. 851 de [1965] R.C.S.):

[TRADUCTION] Comme nous l’avons déjà souligné, Part. 667 du Code criminel prévoit expressément qu’un

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appel peut être interjeté à la cour d’appel d’une province contre la décision du juge de première instance portant sur une demande de détention préventive et le par. 667(2) limite l’appel formé par le procureur général contre le rejet d’une telle demande à une «question de droit» seulement. Si l’avocat de l’appelant avait raison de soutenir qu’en vertu du par. 41(1), cette Cour peut connaître d’un appel, à la demande de la poursuite, d’une ordonnance de la cour d’appel qui annule une sentence de détention préventive, il s’ensuivrait que, même si la poursuite est limitée à une «question de droit» en interjetant appel à la cour d’appel d’une province contre le rejet d’une demande de détention préventive par le juge de première instance, elle pourrait se présenter devant cette Cour en invoquant n’importe quel moyen quand elle se pourvoit contre un arrêt de la cour d’appel qui confirme ce rejet. Je ne puis croire que le législateur ait voulu que les dispositions du par. 667(2) du Code criminel et celles du par. 41(1) de la Loi sur la Cour suprême donnent lieu à une telle anomalie.

La restriction à une «question de droit» apportée au droit du procureur général d’interjeter appel à la cour d’appel a été adoptée pour la première fois au chap. 43 des Statuts du Canada 1960-61, et cette Cour n’a pas encore eu à examiner le par. 667(2) dans sa formulation actuelle.

J’estime que les arrêts de cette Cour relatifs aux sentences de détention préventive et aux sentences de détention pour une période indéterminée ne nous aident pas à résoudre la question de compétence à l’étude. Ces arrêts me paraissent avoir une justification acceptable lorsqu’ils se fondent sur le par. 41(1) relativement à une déclaration que l’accusé est un repris de justice et à la sentence de détention préventive ou de détention pour une période indéterminée qui en découle. Cela tient à l’opinion constante de cette Cour selon laquelle la déclaration qu’un accusé est un repris de justice est une déclaration de statut et elle ne doit pas être assimilée à une déclaration de culpabilité d’un acte criminel. Il ne fait pas de doute que si la sentence qui s’ensuit découle de la déclaration qu’un accusé est un repris de justice et dépend de cette déclaration, on peut considérer les deux questions comme liées aux fins d’un appel à cette Cour par voie d’autorisation accordée en vertu de l’art. 4L C’est l’avis que les juges Spence et Pigeon ont exprimé respectivement dans l’arrêt Poole. Pour ce qui est de les étudier séparément, je doute que cette Cour

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ait compétence pour entendre un appel de la sentence seulement, du moins en vertu des dispositions qui régissent actuellement l’imposition d’une sentence de détention pour une période indéterminée.

Toutefois, comme je l’ai déjà dit, les arrêts sur les repris de justice et sur les sentences de détention préventive ou de détention pour une période indéterminée ne nous aident pas à résoudre la question en l’espèce. Ces arrêts me convainquent plutôt, en raison de leur particularité, qu’ils n’ont rien à voir avec la question de compétence dans les procédures relatives aux sentences qui suivent une déclaration de culpabilité d’un acte criminel ou une déclaration sommaire de culpabilité.

Je comprends qu’on s’inquiète des disparités possibles dans la façon de procéder des cours provinciales, tant en première instance qu’en appel, si cette Cour devait statuer qu’elle n’a pas compétence. Toutefois il y a déjà des disparités bien connues dans la détermination des sentences selon l’infraction, soit quant à une même infraction, soit quant à un accusé en particulier. Il y a une large part de subjectivité (on pourrait même dire de discrétion) dans la détermination des sentences, laquelle peut bien dépendre de facteurs régionaux ou mêmes locaux. Il y a lieu d’ajouter ici que l’art. 614 du Code criminel, qui porte sur les pouvoirs de la cour d’appel concernant un appel d’une sentence, prévoit que la cour doit considérer la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile de recevoir, modifier la sentence ou rejeter l’appel. Si le législateur a jugé bon de laisser aux cours d’appel le soin de déterminer de façon définitive l’importance d’une sentence, de même il faut en conclure que cela comporte aussi la détermination définitive des facteurs qui influent sur la sévérité d’une sentence.

Cette Cour s’aventurerait dans un labyrinthe si elle tentait de distinguer l’importance pure et simple d’une sentence de son importance selon une liste de facteurs recevables et de facteurs irrecevables. Le fait de qualifier ces facteurs de questions de droit ne les exclut pas, à mon avis, du processus de sentence qui aboutit à une peine déterminée.

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Pour ces motifs, je suis d’avis que cette Cour ne devrait pas se déclarer compétente en vertu du par. 41(1) pour entendre la question soumise en l’espèce. En conséquence, je suis d’avis d’annuler le pourvoi.

Version française du jugement des juges Martland, Ritchie, Dickson et Chouinard rendu par

LE JUGE DICKSON — Dans la deuxième édition de son ouvrage intitulé Principles of Sentencing (1979), le professeur D.A. Thomas parle de [TRADUCTION] «l’émergence d’un ensemble de principes destinés à assurer que la version des faits acceptée aux fins de la sentence est étayée par la preuve et déterminée selon des critères de procédure appropriés» (aux pp. 366 et 367). L’un de ces principes en évolution, qui se trouve au coeur même du présent pourvoi, porte sur la norme de preuve à utiliser pour établir les circonstances aggravantes qui, bien que n’influant pas sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, ont un effet décisif sur la durée de la sentence.

Deux questions se posent. Une question préliminaire d’abord: la Cour suprême a-t-elle compétence pour entendre des appels qui résultent de procédures relatives aux sentences pour des actes criminels. La seconde question, que nous n’aborderons que si nous répondons affirmativement à la première, est la suivante: si, lors de l’audition relative à la sentence qui suit la déclaration de culpabilité, la poursuite tente de faire la preuve de circonstances aggravantes relatives à l’infraction commise et que ces circonstances sont contestées, l’obligation imposée à la poursuite est-elle de faire la preuve hors de tout doute raisonnable, norme qui sert ordinairement en matière criminelle, ou selon la prépondérance des probabilités, une norme de preuve moins stricte?

I

Circonstances de l’affaire

L’intimé, Obed Ebenezer Gardiner a, le 13 décembre 1978, plaidé coupable à une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. La victime était sa femme. Lors de l’audition relative à la sentence, la victime a déposé, pour la poursuite, au sujet des circonstances des voies de faits.

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Selon sa version de l’assaut, l’intimé l’a battue de façon brutale et l’a étranglée, a déchiré ses vêtements, a menacé de lui mutiler les organes sexuels et l’a forcée à commettre un acte d’inceste avec son fils qui souffre de paralysie cérébrale. Aux petites heures du matin, pieds nus, vêtue d’une chemise de nuit et d’une robe de chambre, elle s’est rendue à une station‑service où on a appelé une ambulance et la police. Elle a passé quatre jours à l’hôpital. Au cours de l’assaut, elle a subi des blessures au visage, une fêlure du crâne et de nombreuses contusions.

La version de l’assaut donnée par l’intimé est très différente. Sa femme avait beaucoup bu et elle avait menacé de se suicider. Elle s’est heurté le crâne contre la tête du lit. L’intimé admet l’avoir giflée, mais affirme ne plus se souvenir de rien jusqu’au moment de son arrestation le lendemain matin.

Au procès, le juge Graburn a condamné l’intimé à quatre ans et six mois d’emprisonnement. La peine maximale pour les voies de fait causant des lésions corporelles est de cinq ans d’emprisonnement. De l’avis du juge, il s’agissait [TRADUCTION] «d’un des pires cas de voies de fait causant des lésions corporelles dont cette Cour a été saisie». Dans l’appréciation des témoignages contradictoires au sujet des circonstances aggravantes de l’infraction, le juge a estimé qu’il était lié par l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. v. Cieslak (1977), 37 C.C.C. (2d) 7; après un aveu de culpabilité, la poursuite peut s’en tenir à la preuve des faits selon la prépondérance des probabilités.

Le juge a ajouté foi au témoignage de la victime plutôt qu’à celui de l’intimé. Il a affirmé de plus que, vu que la norme de preuve applicable était celle de la prépondérance des probabilités, il n’était pas nécessaire de faire témoigner le fils de la victime pour que la poursuite satisfasse à son obligation en matière de preuve.

L’intimé a interjeté appel. Dans des motifs unanimes et succincts, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que l’obiter dans R. v. Cieslak, précité, selon lequel l’obligation de la poursuite se réduisait à une prépondérance des éléments de preuve crédibles, est erroné.

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[TRADUCTION] …aux fins de la sentence, lorsque le juge est en présence de témoignages contradictoires quant à la gravité de l’infraction, la poursuite doit prouver les faits aggravants hors de tout doute raisonnable [le juge Jessup].

La Cour d’appel a renvoyé l’affaire au juge du procès pour qu’il apprécie les témoignages en fonction de la norme de preuve appropriée et détermine si les circonstances aggravantes dont il avait fait état dans ses motifs de sentence avaient réellement un effet. Le juge du procès a fait rapport. Il a affirmé qu’il ne serait juste ni pour la Cour d’appel, ni pour l’accusé, ni pour l’administration de la justice qu’il essaie d’appliquer à la preuve la norme de preuve exigée en matière criminelle après avoir appliqué la norme de preuve exigée en matière civile au moment de prononcer la sentence dix mois plus tôt.

La Cour d’appel a accueilli l’appel et réduit la sentence à deux années d’emprisonnement.

II

La question de compétence

La poursuite a demandé à cette Cour l’autorisation d’en appeler de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et a reçu cette autorisation. Au moment de procéder à l’audition de cette affaire, cette Cour a soulevé la question de sa compétence pour entendre l’appel d’une sentence. Le substitut du procureur général et l’avocat de l’appelant ont tous deux exprimé l’avis que cette Cour possède la compétence nécessaire. Après les plaidoiries sur la question de compétence et sur le fond, la Cour a pris les deux points en délibéré.

La tâche de déterminer les limites de la compétence de cette Cour quant aux appels relatifs à des actes criminels est malaisée, en partie, à cause de la difficulté de concilier le texte de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S-19 et modifications et celui de la partie XVIII du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34 et modifications et, en partie, à cause des arrêts antérieurs de cette Cour qu’on ne peut qualifier de concordants. Il est inutile d’insister sur l’importance de la question de compétence, puisqu’il est évident qu’elle déborde largement les limites du présent pourvoi.

[Page 391]

La Cour suprême du Canada a été créée par une loi fédérale, en 1875, en application de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.). L’article 101 se lit comme ceci:

101. Nonobstant toute disposition du présent acte, le Parlement du Canada pourra, à l’occasion, pourvoir à la constitution, au maintien et à l’organisation d’une cour générale d’appel pour le Canada, ainsi qu’à l’établissement d’autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada.

L’Acte de la Cour Suprême et de l’Echiquier de 1875 (Can.), chap. 11, a «constitué et établi, dans et pour la Puissance du Canada, une cour de droit commun et d’équité …dénommée «La Cour Suprême du Canada»» (art. 1). Cette nouvelle cour a reçu une «juridiction d’appel, au civil et au criminel, dans et par tout le Canada» (art. 15). Le modèle retenu pour la Cour suprême du Canada, parmi toutes les possibilités offertes au législateur, a été celui d’une [TRADUCTION] «cour d’appel nationale, fonctionnant comme une cour d’appel anglaise, ou comme la Chambre des lords, dotée d’une compétence générale (que ce soit de plein droit ou par voie d’autorisation) non limitée à une seule ou des catégories de cas en particulier» (le juge en chef Laskin, «The Role and Functions of Final Appellate Courts: The Supreme Court of Canada» (1975), 53 R. du B. Can. 469, à la p. 471).

Un facteur important dans le choix de ce modèle pour la Cour suprême du Canada [TRADUCTION] «a été et est le fait que plusieurs domaines importants du droit, comme le droit criminel, le droit des lettres de change, le droit en matière de faillite, le droit relatif aux expéditions par eau, le droit relatif aux chemins de fer, le droit relatif aux brevets et aux droits d’auteur, ont une application nationale puisqu’ils relèvent de la compétence exclusive du Parlement fédéral; et même s’ils peuvent interagir, à certains égards, avec certains aspects de la common law, leur interprétation et leur application doivent nécessairement être uniformes d’autant plus peut-être à cause de l’existence cette interaction» (le juge en chef Laskin, ibid., à la p. 473).

[Page 392]

Outre la compétence générale qui est conférée en matière d’appel, par l’art. 15 de la Loi de 1875, l’art. 49 de cette même loi limite expressément les appels en matière criminelle:

49. Toute personne convaincue de trahison, félonie ou délit… devant toute autre cour supérieure de juridiction criminelle, dont la conviction aura été confirmée par quelque cour de dernier ressort… pourra interjeter appel à la Cour Suprême de la confirmation de cette conviction… mais nul appel de cette nature ne sera interjeté lorsque la cour aura été unanime à confirmer la conviction… [C’est moi qui souligne.]

La limitation des appels en matière criminelle reflète le rôle que le législateur a voulu assigner à la Cour suprême c.-à-d. le règlement de divergences d’opinions sur des questions de droit, spécialement en matière criminelle, et l’énonciation de règles uniformes applicables dans tout le Canada.

Le juge Nesbitt, dans l’arrêt Lake Erie and Detroit River Railway Co. c. Marsh (1904), 35 R.C.S. 197, adopte cette conception du rôle de la Cour suprême (à la p. 200):

[TRADUCTION] Nous croyons que les rédacteurs de la Loi constitutive de cette Cour ont voulu créer un tribunal qui puisse se prononcer avec autorité pour l’ensemble du Dominion et, dans la mesure du possible, établir une jurisprudence uniforme, spécialement en ce qui concerne les sujets qui relèvent de l’article 91 de l’A.A.N.B., dans les cas où la législation s’applique à l’ensemble du Dominion ou, comme je l’ai déjà dit, lorsqu’une loi purement provinciale peut présenter un intérêt général pour tout le Dominion. [C’est moi qui souligne.]

Bien que la compétence conférée par l’art. 15 soit très générale et que ce fût sans doute l’intention des rédacteurs de la Loi de voir la Cour suprême se prononcer avec autorité pour l’ensemble du Dominion, plusieurs facteurs ont intensifié les difficultés que la Cour a connues dans la détermination de sa compétence générale et ultime en matière d’appel.

La première difficulté tient à ce que jusqu’en 1933 en matière criminelle et jusqu’en 1949 en matière civile, la compétence de dernier ressort en matière d’appel appartenait au Comité judiciaire du Conseil privé et non à la Cour suprême du Canada. Non seulement la Cour suprême du Canada était une cour d’appel intermédiaire qui,

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de ce fait, n’était pas l’arbitre ultime en matière civile ou criminelle, mais dans certaines circonstances on pouvait interjeter appel directement auprès du Comité judiciaire du Conseil privé.

Le deuxième facteur important dans l’évolution de la compétence de la Cour suprême en matière d’appel a été la transition de la prédominance des appels de plein droit à celle des appels avec autorisation. On ne saurait attacher trop d’importance à ce changement. Au début, tous les appels tant en matière civile qu’en matière criminelle étaient des appels de plein droit. L’appel de plein droit était, cela va de soi, assujetti à certaines conditions qui régissaient l’exercice de ce droit. Cela était parfaitement compatible avec le rôle d’une cour d’appel intermédiaire. Le législateur avait essayé de prédéterminer les causes susceptibles d’appel; il n’était pas possible de recourir au pouvoir discrétionnaire des juges pour contrôler le rôle de la Cour. [TRADUCTION] «Donc, le fait le plus important au sujet du fondement législatif de la compétence de la Cour suprême du Canada, est que, tout au long de l’histoire de la Cour, l’appel de plein droit a constitué le principal mode d’appel» (Russell, «The Jurisdiction of the Supreme Court of Canada: Present Policies and a Programme for Reform» (1968), 6 Osgoode Hall L.J. 1, à la p. 13). La possibilité de former appel par suite d’une autorisation spéciale comme moyen subsidiaire d’accès à la Cour s’est instaurée progressivement au fil des ans en matière civile et en matière criminelle, mais jusqu’à l’abolition de l’appel de plein droit en matière civile, en 1975, la plupart des appels entendus étaient des appels de plein droit.

Confrontée à un foisonnement d’appels et disposant de moyens discrétionnaires insuffisants pour contrôler le rôle, la Cour a eu tendance, ce qui est discernable dans ses arrêts, à atténuer sa compétence.

[TRADUCTION] En se prononçant sur des demandes [fondées sur ce droit d’appel accordé par la Loi], la Cour suprême a souvent eu l’occasion d’imposer des restrictions à ce droit, qui reflètent parfois la conception que les juges ont du rôle réel de la Cour. Il est arrivé fréquemment que, même si on semblait avoir rempli toutes les conditions requises par la loi pour un appel de plein droit, la Cour annule néanmoins l’appel pour le

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motif, par exemple, que l’affaire dépendait d’une question de procédure provinciale [Russell, précité, à la p. 12].

L’appel de plein droit en matière civile était assorti de deux conditions: il devait s’agir d’un appel contre un «jugement définitif… de la plus haute cour de dernier ressort dans une province» (S.R.C. 1927, chap. 35, art. 36, modifié par 1949 (Can.), 2e Sess., chap. 37, art. 2). Ces deux conditions ont été interprétées de façon très stricte (voir United States of America c. Link and Green, [1955] R.C.S. 183; Ottawa Electric Co. c. Brennan (1901), 31 R.C.S. 311; Furlan c. Ville de Montréal, [1947] R.C.S. 216). On a aussi appliqué une autre règle d’interprétation aux appels de plein droit: si la compétence de la Cour est douteuse, on ne peut en présumer l’existence. (Chagnon c. Normand (1889), 16 R.C.S. 661; Cully c. Perdais (1900), 30 R.C.S. 330; McKenzie c. Hiscock, [1967] R.C.S. 781). Comme les appels de plein droit constituaient la majorité des pourvois à cette Cour, ces «règles» ont été créées et élaborées dans le contexte des appels de plein droit. Elles étaient probablement justifiées comme moyen de contrôle du rôle de la Cour et elles reflétaient la tendance à l’interprétation stricte que manifestaient les juges qui formaient la Cour. L’applicabilité de ces règles, qui reflètent une préférence inhérente pour l’absence de compétence, à des questions relatives aux autorisations d’appel discrétionnaires ne semble toutefois pas justifiée. L’élément discrétionnaire offre le mécanisme de tri que fournissait auparavant l’interprétation stricte de la compétence.

Néanmoins, l’importance accrue de l’autorisation d’appel spéciale, surtout après la révision en profondeur de la Loi sur la Cour suprême en 1949 (1949 (Can.), 2e Sess., chap. 37), rendait inévitable l’extension, injustifiée à mon avis, de cette interprétation stricte de la compétence au domaine de l’autorisation discrétionnaire.

La complexité des dispositions législatives concernant les appels, notamment les appels en matière criminelle, a accentué le problème d’interprétation. Le processus de modification a été à la fois désordonné et fragmentaire. Entre 1892 et 1906, par exemple, on retrouvait des dispositions

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essentiellement identiques, quant aux appels en matière criminelle, dans l’Acte des cours Suprême et de l’Échiquier, S.R.C. 1886, chap. 135 et dans le nouveau Code criminel, 1892 (Can.), chap. 29. Dans les Statuts revisés de 1906, l’art. 36 de la Loi de la cour Suprême, S.R.C. 1906, chap. 139 a éliminé le double emploi; cet article prévoyait que «il n’y a, dans les causes pénales, d’appels que ceux qui sont prévus par le Code criminel». A l’époque, l’appel de plein droit était le seul moyen de se pourvoir en matière criminelle.

Une modification apportée au Code criminel en 1923 est à l’origine du malencontreux arrêt Goldhamer c. Le Roi, [1924] R.C.S. 290. Cette affaire portait sur la compétence de la Cour suprême d’entendre un appel d’une sentence. La Cour a eu de la difficulté à concilier le sens manifeste de l’art. 1024 alors en vigueur qui accordait un droit d’appel à «toute personne convaincue d’un acte criminel et dont la conviction a été confirmée» avec l’art. 1013 récemment modifié qui traitait des appels à la Cour d’appel sous une double rubrique, les appels d’un «jugement de culpabilité» et les appels d’une «sentence». Le juge Idington a estimé [TRADUCTION] «franchement discutable» l’existence, fondée sur l’art. 1013, du droit pour la personne déclarée coupable d’en appeler de sa sentence à la Cour suprême du Canada, [TRADUCTION] «Je ne puis donc affirmer et conclure en toute confiance qu’il n’y a pas d’appel possible dans de telles circonstances» (aux pp. 292 et 293). Le juge Duff, dans un court alinéa, compare les art. 1024 et 1013 et conclut qu’il n’y a [TRADUCTION] «aucun droit d’appel à la Cour suprême du Canada de l’arrêt d’une cour d’appel rendu par suite d’un appel interjeté en vertu du paragraphe (2) de l’article 1013» (à la p. 293). Le juge Mignault affirme essentiellement la même chose (aux pp. 293 et 294):

[TRADUCTION] Dans sa forme modifiée, l’article 1013 accorde un droit d’appel d’une déclaration de culpabilité et d’une sentence prononcée par le tribunal contre une personne déclarée coupable à la suite d’un acte d’accusation. En vertu de l’article 1024 qui n’a pas été modifié par la loi de 1923, le droit d’appel se limite à un appel de la confirmation d’une déclaration de culpabilité. Si on fait le rapprochement avec l’article 1013 modifié, l’appel d’une sentence prévu au paragraphe 2 de l’article 1013 ne peut être interjeté auprès de cette Cour.

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Ainsi est née la règle selon laquelle il n’y a pas d’appel d’une sentence à la Cour suprême du Canada. Il semblerait que la compétence de cette Cour pour entendre les appels d’une sentence n’avait pas été mise en doute auparavant. L’avocat de l’appelant, dans l’affaire Goldhamer, avait été pris par surprise et, en fait, aucun argument n’avait porté sur la question de compétence.

[TRADUCTION] A l’audition de l’appel en cette cour, certains juges ont soulevé l’objection que nous n’avions pas compétence.

J’ai dit à l’avocat de l’appelant, qui se trouvait de ce fait pris par surprise, qu’il aurait avantage à présenter sa plaidoirie sur le fond et à soumettre un autre mémoire dans quelques jours pour répondre à la question de l’absence de compétence.

Il s’est écoulé une semaine, mais aucun autre mémoire n’a été présenté, peut-être parce que je lui ai indiqué que j’estimais non fondés le pourvoi et notamment le moyen sur lequel il s’appuyait principalement, portant que puisque l’amende avait déjà été payée il ne pouvait y avoir d’appel à la Cour du Banc du Roi [à la p. 291, le juge Idington].

Les articles portant sur les appels à la Cour suprême n’avaient pas été modifiés à l’époque de la modification de 1923 apportée aux dispositions relatives aux appels à la Cour d’appel et il est peu probable que les rédacteurs de la loi aient songé aux effets possibles de leur formulation de l’art. 1013 sur l’art. 1024 alors en vigueur. Mais la règle interdisant les appels de sentence à la Cour suprême l’a emporté malgré un fondement législatif qui était à tout le moins discutable. Cela s’explique facilement. L’affaire donnait l’occasion de contenir la vague des appels de plein droit.

A un égard, la règle était d’autant plus valable que le rôle de la Cour suprême passait de celui de cour d’appel intermédiaire à celui d’arbitre ultime des questions d’importance nationale. La «justesse» ou «l’importance» d’une sentence relève plutôt des cours d’appel. Le pouvoir de la Cour d’appel de «considérer la justesse de la sentence dont appel est interjeté» est maintenant formulé au par. 614(1) du Code criminel. Je n’ai pas d’objection à cela. La Cour suprême du Canada ne devrait pas examiner la justesse de la sentence imposée à une personne. Ce n’est pas son rôle:

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[TRADUCTION] Ici, l’élément fondamental à retenir est que la plupart des litiges dont est saisie la Cour suprême ont déjà été tranchés par un tribunal de première instance et une cour d’appel provinciale. Les parties au litige ont déjà eu l’occasion de se faire entendre. Il ne revient pas à la Cour suprême de leur fournir une autre occasion. «L’examen de la Cour suprême, d’après le juge en chef Hughes de la Cour suprême des Etats-Unis, a donc lieu dans l’intérêt du droit, de son interprétation et de son application régulières, et non dans le seul intérêt des parties au litige.» La Cour suprême du Canada devrait elle aussi servir, par sa conception et son fonctionnement, non pas les intérêts personnels des parties mécontentes, mais l’intérêt de la société en fournissant une solution péremptoire aux questions de droit qui intéressent l’ensemble de la nation [Russell, précité, aux pp. 28 et 29].

Il est toutefois erroné, à mon avis, de qualifier d’absence de compétence notre hésitation justifiable à nous prononcer sur des questions de justesse d’une sentence. C’est ajouter à l’erreur que d’appliquer l’argument de l’absence de compétence à ce qui constitue clairement d’importantes questions de droit que soulève le processus de sentence. Le rôle de cette Cour est précisément de trancher des questions de droit d’importance nationale dans le but de favoriser l’application uniforme du droit dans tout le pays, spécialement pour ce qui est des sujets de compétence fédérale. Décliner sa compétence équivaut à refuser de remplir la fonction prépondérante d’une cour d’appel de dernier ressort et d’envergure nationale.

Dans l’arrêt Goldhar c. La Reine, [1960] R.C.S. 60, le juge Cartwright, dans ses motifs de dissidence, a cherché une interprétation des dispositions législatives applicables qui [TRADUCTION] «réaliserait l’intention du législateur qui a apparemment voulu que notre compétence en matière criminelle soit strictement limitée aux questions de droit et, en même temps, suffisante pour assurer une interprétation uniforme du droit criminel dans tout le Canada» (à la p. 79). La «question de droit strict» que l’appelant demandait de trancher dans l’arrêt Goldhar correspondait, d’après le juge Cartwright, au sens littéral de l’appel avec autorisation visé à l’al. 597(1)b) du Code criminel révisé, 1953-54 (Can.), chap. 51. Après avoir fait la distinction avec l’arrêt Goldhamer, il a conclu (à la p. 77):

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[TRADUCTION] A mon avis, on n’a soumis aucun motif suffisant pour interpréter l’art. 597 de manière à nier une compétence qui me paraît accordée à la Cour par cet article pris dans son sens littéral et ordinaire.

Cette interprétation, à son avis, était étayée par l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême qu’il a jugé être «in pari materia» avec l’art. 597 du Code.

Il est important de se rappeler qu’en 1949, entre l’arrêt Goldhamer et l’arrêt Goldhar, d’importantes modifications avaient été apportées à la Loi sur la Cour suprême. La Cour suprême avait remplacé le Conseil privé comme cour d’appel de dernier ressort pour le Canada.

[TRADUCTION] Les pouvoirs que cette Cour possède dans l’exercice de sa compétence n’ont pas une portée moindre que ceux exercés autrefois par le Comité judiciaire à l’égard du Canada. [Re The Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198, le juge Rand à la p. 212].

Une interprétation stricte de la compétence n’était pas compatible avec le nouveau rôle de la Cour:

[TRADUCTION] Au sommet du système judiciaire canadien se trouve la Cour suprême du Canada. Manifestement, sa compétence doit être aussi étendue que celle des cours de juridiction inférieure à l’égard des lois provinciales et fédérales, sous réserve du tamisage des causes selon leur importance nationale tel que mentionné [Lederman, «Thoughts on Reform of The Supreme Court of Canada» (1970), 8 Alta L.R. 1, aux pp. 16 et 17].

En 1975, les appels de plein droit en matière civile ont été abolis et le par. 41(1) relatif aux appels avec autorisation a pris une importance prépondérante dans l’économie de la Loi. Le paragraphe a été modifié et élargi de manière à l’adapter au nouveau rôle de la Cour, rôle que le juge Nesbitt avait prévu en 1904. Les paragraphes 41(1) et 41(3) de la Loi sur la Cour suprême se lisent maintenant comme suit:

41. (1) Sous réserve du paragraphe (3), il peut être interjeté appel à la Cour suprême de tout jugement, définitif ou autre, rendu par la plus haute cour du dernier ressort habilitée, dans une province, à rendre jugement dans l’affaire en question, ou par l’un des juges de cette cour, que l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême ait ou non été refusée par un autre tribunal, lorsque la Cour suprême estime, étant donné

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l’importance de l’affaire pour le public, l’importance des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qu’elle comporte, ou sa nature ou son importance à tout autre égard, qu’elle devrait en être saisie et lorsqu’elle accorde dès lors l’autorisation d’interjeter appel de ce jugement.

(3) Nul appel à la Cour suprême ne peut être interjeté selon le présent article, du jugement d’une cour acquittant ou déclarant coupable, ou annulant ou confirmant une déclaration de culpabilité ou un acquittement, d’un acte criminel ou, sauf sur une question de droit ou de juridiction, d’une infraction autre qu’un acte criminel.

Les conséquences de la modification de l’art. 41 se sont faites sentir dans l’arrêt Hill c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 827. Le pourvoi a été entendu par la Cour au complet et, à mon avis, il appuie fortement les prétentions des avocats des parties en l’espèce portant que la Cour est compétente pour entendre et trancher le présent pourvoi. Hill avait plaidé coupable à des accusations de viol et de blessures. Condamné à douze ans d’emprisonnement, il a interjeté appel de la sentence. La Cour d’appel de l’Ontario la condamné à l’emprisonnement à perpétuité. La question de droit soumise à cette Cour était de savoir si, dans l’appel d’une sentence interjeté par un accusé, alors que la poursuite ne forme pas d’appel incident visant à obtenir une sentence plus sévère, la Cour d’appel a le pouvoir de prononcer une sentence plus sévère. Le jugement des juges Martland, Judson, Pigeon et de Grandpré a été rendu par le juge Pigeon qui a abordé la question de compétence en ces termes (à la p. 843):

A l’audition du présent pourvoi, l’avocat représentant le ministère public a contesté la juridiction de cette Cour, en invoquant Goldhar c. La Reine, une décision rendue sur une demande d’autorisation d’appel entendue par cinq juges, où l’on a statué, le juge Cartwright dissident, [TRADUCTION] «que la Cour n’a pas juridiction pour entendre un appel d’une sentence afférente à un acte criminel». A mon avis, cette décision ne lie pas la Cour et ne doit pas être suivie, pour les motifs suivants.

Le juge Pigeon a ensuite souligné qu’avant la modification de 1949, la Loi sur la Cour suprême n’accordait pas compétence à cette Cour en

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matière criminelle vu la disposition d’exclusion de l’art. 36: «sauf en matière pénale et dans les procédures relatives à un bref d’habeas corpus, de certiorari ou de prohibition à la suite d’une accusation criminelle»; en conséquence, toute compétence en matière pénale devait se fonder sur le Code criminel ou sur une autre loi. Le juge Pigeon a analysé une série d’arrêts où la Cour s’en était tenue à une interprétation littérale de l’art. 41 et avait accordé l’autorisation d’appeler en matière criminelle de tout jugement qui n’était pas exclu par le par. (3); Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, dont seul le jugement sur le fond est publié à [1956] R.C.S. 303, Parkes c. La Reine [1956] R.C.S. 134, Smith c. La Reine [1959] R.C.S. 638. Il a étudié les arrêts où l’on avait adopté un point de vue différent, notamment Goldhar c. La Reine [1960] R.C.S. 60, Paul c. La Reine [1960] R.C.S. 452, R. c. J. Alepin Frères Ltée [1965] R.C.S. 359, R. v. MacDonald [1965] R.C.S. 831. Le juge Pigeon ajoute (à la p. 850):

Il y a manifestement conflit entre les quatre dernières décisions susmentionnées et les autres jugements qui adoptent explicitement ou implicitement une interprétation différente de l’art. 41. Il en résulte que, quelle que soit la conception de la règle stare decisis à laquelle on adhère, la Cour doit choisir entre deux opinions contradictoires.

A mon avis, l’interprétation littérale est préférable non seulement parce que, sauf en cas d’ambiguïté, il faut toujours s’en tenir au sens littéral des mots malgré les inconséquences qui peuvent en résulter sauf si l’on aboutit à une absurdité, mais aussi parce qu’il n’y a pas lieu de présumer que le Parlement n’entendait pas modifier profondément l’état du droit. L’article 41 a été promulgué essentiellement dans sa forme actuelle en même temps que les appels au Conseil privé étaient abolis et cette Cour devenait véritablement suprême. Le Conseil privé jouissait d’une juridiction illimitée par voie d’autorisation et il est évident que la nouvelle disposition visait à transformer la juridiction limitée de la Cour en une juridiction générale. A mon avis, rien ne permet de croire que les inconséquences résultant de cette modification majeure signifient qu’on a voulu laisser de grandes lacunes. Au contraire, la promulgation d’une disposition qui confère indubitablement en matière pénale une juridiction allant au-delà de celle qui existe en vertu du Code criminel, indique clairement la volonté du Parlement de remédier à l’omission d’étendre la juridiction de cette Cour en matière pénale lorsque la juridic-

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tion du Conseil privé en cette matière a été effectivement abolie après le Statut de Westminster.

Le juge Pigeon conclut sur ce point (à la p. 851):

Pour ces motifs, je ne crois pas que le par. 3 de l’art. 41 doit être interprété autrement que selon le sens strict de «convicting» et «conviction» établi dans la décision Goldhamer. Il en résulte qu’à mon avis, l’objection à la juridiction n’est pas fondée. Il me semble toutefois à propos de signaler qu’en venant à cette conclusion je n’entends aucunement m’écarter de notre règle de ne jamais entendre un pourvoi où l’on nous demanderait de décider si la sentence est convenable.

Les motifs du juge en chef Laskin et du juge Dickson, qui sont dissidents quant au fond, mais qui souscrivent aux motifs du juge Pigeon sur la question de compétence, ont été rendus par le Juge en chef. Deux passages de ces motifs touchent la question de compétence soulevée par le présent pourvoi. Le premier se lit ainsi (à la p. 830):

Comme mon collègue le juge Spence, je souscris à la conclusion de mon collègue le juge Pigeon sur la question de juridiction, conclusion qui confirme la juridiction en l’espèce et se trouve à contredire l’arrêt Goldhar, et les autres arrêts dans le même sens.

La conclusion du juge Pigeon dans l’arrêt Hill, par laquelle il confirme la compétence de cette Cour, a été perçue comme renversant l’arrêt Goldhar et les autres arrêts dans le même sens. Le juge Pigeon n’a laissé planer aucun doute quant à sa position. Il a affirmé que l’arrêt Goldhar ne lie pas la Cour et ne doit pas être suivi. L’arrêt Hill adopte la thèse générale, rejetée par les arrêts Goldhar c. La Reine et Paul c. La Reine, selon laquelle les sujets qui ne sont pas mentionnés au par. 41(3) doivent être considérés comme compris au par. 41(1), ce qui a pour conséquence que la Cour serait compétente pour entendre un appel d’un jugement d’une nature semblable à celui visé en l’espèce. Avec égards, je ne puis trouver ni à l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême, ni dans le Code criminel, une formulation qui conférerait à cette Cour la compétence d’entendre des appels relatifs à des questions de sentence lorsque le litige porte sur une question de constitutionnalité ou de compétence judiciaire, mais non sur d’autres sujets. Je ne puis simplement pas trouver de fondement à une telle distinction dans le langage utilisé.

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Le second extrait des motifs du juge en chef Laskin se lit ainsi (aux pp. 831 et 832):

Prenons d’abord la question préliminaire de la juridiction. Il me paraît artificiel de prétendre considérer décisive l’interprétation littérale tout en faisant (à juste titre d’ailleurs) une étude détaillée de l’historique législatif et en recherchant l’objectif par l’examen des changements apportés à la juridiction et au rôle de cette Cour. Dès qu’il est admis, comme il le faut en l’espèce, que l’on peut raisonnablement différer d’opinion sur l’effet d’un texte visant un objectif qui est lui-même mis en question, nous nous trouvons dans une situation où notre opinion sur ce que doit être la juridiction et le rôle de cette Cour influencera notre conclusion. Comme je ne suis disposé à exclure de la juridiction de cette Cour par voie d’autorisation rien qui ne soit très clairement exclu par la loi, et comme, à mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce, je souscris à la conclusion de mon collègue le juge Pigeon sur la question de la juridiction.

Il n’est pas évident que la loi exclut un cas comme celui qui nous est soumis. Au contraire, il semble admis par toutes les parties qu’il est visé par les termes généraux de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême, dans leur sens littéral. Le présent appel porte sur (i) un «jugement définitif», (ii) «rendu par la plus haute cour du dernier ressort habilitée, dans une province, à rendre jugement dans l’affaire en question», c.-à-d. de la Cour d’appel de l’Ontario, (iii) la «question… qu’elle comporte», «étant donné l’importance de l’affaire pour le public» est telle que «la Cour suprême… devrait en être saisie» — l’autorisation d’appeler en fait foi, (iv) l’arrêt dont on cherche à interjeter appel n’est pas un arrêt auquel s’appliquent les dispositions d’exclusion du par. 41(3) puisqu’il ne s’agit pas d’un jugement acquittant ou déclarant coupable, ou annulant ou confirmant une déclaration de culpabilité ou un acquittement, d’un acte criminel ou d’une infraction autre qu’un acte criminel. Dans l’arrêt Hill, les neuf juges de la Cour ont affirmé à l’unanimité que l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême vise à attribuer une compétence générale plus étendue que celle que confère le Code criminel. Cette Cour a rejeté comme totalement injustifiée la notion qui prévaut dans l’arrêt Goldhar et les arrêts semblables, voulant que les inconséquences qui peuvent résulter d’une interprétation large de l’art. 41 traduisent l’intention du législateur de laisser de grandes lacunes.

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Trois arrêts subséquents doivent être cités. Dans l’arrêt R. c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940, la Cour a étudié une disposition relative au dédommagement en vertu de l’art. 653 du Code, qu’elle a estimée «expressément liée au processus de sentence» (à la p. 948). Le juge de première instance a rendu une ordonnance mixte au moment de prononcer la sentence de l’intimée, Anne Zelensky, qu’il a condamnée à l’emprisonnement et à une période de probation après qu’elle eût plaidé coupable à un accusation de vol. L’ordonnance a été rendue à la demande de T. Eaton Company Limited, la victime du vol. Cette Cour a jugé l’art. 653 valide comme partie du processus de sentence. La Cour a aussi donné certaines directives aux juges de première instance quant à l’application régulière de l’art. 653.

Dans l’affaire R. c. Skolnick[1], la Cour a récemment entendu les plaidoiries et pris en délibéré la question de savoir si la peine minimale obligatoire que prescrit l’al. 236(1)c) du Code criminel pour une troisième infraction s’applique à un accusé qui a déjà été déclaré coupable de deux infractions découlant des mêmes faits et condamné pour celles-ci.

Dans la troisième affaire, Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749, le litige portait sur la légalité d’une sentence de huit ans d’emprisonnement imposée à l’appelant alors qu’il était reconnu que le juge qui avait prononcé la sentence l’avait fait en fonction d’une preuve relative à un chef d’accusation possible, n’ayant fait l’objet d’aucun procès et sans rapport avec l’infraction visée par l’aveu de culpabilité. Le jugement de cette Cour a été prononcé par mon collègue le juge Mclntyre aux motifs duquel ont souscrit les six autres juges de la Cour.

L’absence de contestation de la compétence de la Cour dans les affaires Zelensky, Skolnick et Lees et l’octroi de l’autorisation d’appeler dans Gardiner traduisent, à mon avis du moins, une acceptation du point de vue selon lequel l’arrêt

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Hill a donné le coup de grâce à l’arrêt Goldhar et au renoncement qui a marqué ce dernier arrêt et ceux qui ont suivi dans le même sens. L’arrêt Hill a donné au par. 41(1) une interprétation plus libérale qui permet à cette Cour de remplir son rôle au sommet du système judiciaire canadien en tant que cour de dernier ressort pour tous les Canadiens.

Si des considérations de principe doivent entrer en ligne de compte, comme c’est souvent le cas, il me semble tout à fait de mise que cette Cour soit prête à trancher des questions de droit importantes et difficiles quant au processus de sentence, surtout lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, des opinions contradictoires ont été exprimées dans les provinces. En fait, dans le présent pourvoi, on nous demande de départager deux opinions de la Cour d’appel de l’Ontario qui sont en contradiction l’une avec l’autre. Je ne puis voir d’avantage ni pour les parties au litige ni pour la bonne administration de la justice à fermer la porte quand il n’est pas nécessaire de le faire.

La charge de travail de la Cour ne devrait pas servir à déterminer sa compétence. Le processus d’autorisation permet d’éliminer les pourvois qui ne soulèvent pas de questions de droit importantes quant au processus de sentence. On a soutenu à l’époque des arrêts Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138 et Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265 que l’élargissement des règles qui gouvernent la qualité pour agir dans les affaires constitutionnelles entraînerait un afflux de litiges. L’expérience a démontré que ces craintes étaient injustifiées. Comme le juge Cartwright l’a fait remarquer incidemment dans l’arrêt Goldhar, à la p. 79, [TRADUCTION] «les cas où une sentence peut être contestée sur une question de droit strict sont probablement peu nombreux et peu fréquents».

Bien que je sois d’avis que la Cour a compétence pour évaluer la justesse d’une sentence, c.‑à-d. son importance, je suis également d’avis qu’en principe, nous ne devrions pas le faire. C’est une règle que nous avons édictée nous-mêmes et elle est valable. Toutefois, elle n’a pas pour effet de limiter la compétence générale en matière d’appel que possède cette Cour pour trancher les questions de

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droit criminel d’importance nationale. En l’espèce, la sentence est contestée sur une question de droit. Le pourvoi porte sur le principe de la sentence et non sur sa justesse. La légalité de la sentence est en cause.

Les questions relatives au fardeau de la preuve ont intéressé traditionnellement les tribunaux et leur solution a été laissée aux tribunaux et non au législateur. Nous sommes saisis, en l’espèce, d’une procédure qui a été élaborée par la common law et non par la loi. Ce n’est pas une question à laquelle le législateur devrait consacrer du temps.

J’estime qu’il y a un avantage collectif indubitable à ce que le droit fédéral, spécialement le droit criminel, soit le même pour tous les Canadiens et à ce que l’on sache que la plus haute cour du pays est prête au besoin à éclaircir des points de droit épineux que le processus de sentence peut soulever. Les affaires qui exigent la formulation de principes clairs qui ont trait à la privation de la liberté individuelle sembleraient logiquement être le modèle d’affaires qui devraient être portées devant cette Cour.

Je suis d’avis que cette Cour a compétence pour entendre le présent pourvoi. Les textes législatifs, l’évolution historique de la compétence de la Cour et son rôle comme cour d’appel de dernier ressort appuient tous cette conclusion.

III

Le fardeau de la preuve

A

Introduction

La question qu’il faut maintenant aborder est la suivante: à quelle norme de preuve la poursuite doit-elle satisfaire lorsqu’elle présente des circonstances aggravantes contestées au cours du processus de sentence, afin d’obtenir l’imposition d’une sentence plus sévère? La norme applicable est-elle celle du droit criminel c.-à-d. la preuve hors de tout doute raisonnable ou celle du droit civil, savoir la preuve selon la prépondérance des probabilités?

La poursuite nous presse d’accepter, aux fins de la sentence, une norme de preuve moins stricte que

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celle de la preuve hors de tout doute raisonnable qui est ordinairement utilisée en matière criminelle et qui s’applique au procès quand il s’agit d’établir la culpabilité de l’accusé.

S’inspirant largement de précédents américains, la poursuite soutient qu’il y a une différence marquée entre le procès et le processus de sentence. Après l’aveu ou la déclaration de culpabilité, la présomption d’innocence ne s’applique plus et l’arsenal de procédures destinées à protéger l’accusé n’est plus nécessaire. L’imposition de la sentence est, pour le juge du procès, une activité discrétionnaire et très subjective. Le but premier de l’audience relative à la sentence est l’obtention de renseignements précis sur lesquels le juge du procès peut s’appuyer pour déterminer la sentence appropriée au cas particulier de l’accusé. Pour ce motif, les règles strictes concernant la recevabilité de la preuve sont assouplies. Le juge du procès n’est plus limité à la question stricte de culpabilité, mais il doit s’acquitter de la tâche difficile d’imposer une peine appropriée à la personne déclarée coupable. Si la poursuite était tenue de prouver hors de tout doute raisonnable les faits contestés, cela aurait pour effet de compliquer et de prolonger les audiences relatives à la sentence et de transformer le processus de sentence en un second procès avec les inconvénients qui s’ensuivent.

Si le fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités, qui se retrouve essentiellement en matière civile, n’est pas retenu, la poursuite propose de le remplacer par une norme «intermédiaire» de preuve [TRADUCTION] «claire et convaincante» applicable aux audiences relatives à la sentence.

D’autre part, l’intimé favorise l’application de la norme du doute raisonnable aux audiences relatives à la sentence. L’intimé juge artificiel et contraire à la jurisprudence la «division» entre le procès et le processus de sentence proposée par la poursuite. Du point de vue de l’accusé, le processus de sentence est l’étape la plus décisive de tout le procès, il constitue [TRADUCTION] «l’essence même de la procédure» et, à ce stade, on ne devrait pas assouplir la norme de preuve requise quant aux faits contestés. Un tel assouplissement de la norme serait préjudiciable à l’accusé. L’efficacité admi-

[Page 407]

nistrative ne suffit pas à justifier une dérogation aussi radicale à la norme hors de tout doute raisonnable ordinairement utilisée en matière criminelle.

B

La jurisprudence invoquée dans les arrêts Cieslak et Gardiner

Comme je l’ai déjà souligné, dans l’arrêt R. v. Cieslak, précité, la Cour d’appel de l’Ontario a affirmé qu’il appartenait [TRADUCTION] «à la poursuite de prouver les faits essentiels, selon une prépondérance de probabilités» (à la p. 9). La question du fardeau de la preuve n’était pas directement en cause dans l’affaire Cieslak. Après avoir énoncé les faits, le juge Arnup dit:

[TRADUCTION] A notre avis, la pratique suivie en Ontario à la suite d’un aveu de culpabilité est la même que celle qui est suivie dans les cours criminelles d’Angleterre et qui est énoncée dans l’arrêt R. v. Campbell (1911), 6 Cr. App. R. 131, adopté par cette cour dans les arrêts R. v. Carey (1951), 102 C.C.C. 25, [1952] O.R. 1,13 CR. 333; R. v. Van Pelz (1942), 29 Cr. App. R. 10; R. v. Benson and Stevenson (1951), 100 C.C.C. 247, 13 CR. 1, 3 W.W.R. (N.S.) 29. Pour l’essentiel, suivant cette pratique, l’agent enquêteur ou le substitut du procureur général, d’après les renseignements reçus de l’agent enquêteur, énonce les faits, même si les renseignements obtenus peuvent comporter une grande part de ouï-dire. Cependant, si les faits rapportés sont contestés par la défense, il incombe alors à la poursuite de prouver les faits essentiels, selon une prépondérance des probabilités, en vue d’aider le juge du procès à déterminer la sentence appropriée.

La Cour a conclu que la pratique établie n’avait pas été suivie. Elle a accueilli l’appel et réduit la sentence. Les quatre arrêts sur lesquels la Cour s’est fondée portent sur la pratique généralement suivie au moment de la détermination de la sentence plutôt que sur le fardeau de la preuve.

En concluant en l’espèce que l’obiter de l’arrêt Cieslak quant au fardeau de preuve est erroné, la Cour, dont le juge Jessup a rédigé les motifs, s’est appuyée sur neuf décisions qu’il faut mentionner brièvement.

a) La première est un arrêt inédit de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Sayer, un appel entendu le 19 février 1976. Le juge Martin, s’exprimant au nom de la cour, affirme:

[Page 408]

[TRADUCTION] Quant à l’appel de la sentence. Selon la preuve, la victime a dû subir, par suite des voies de fait, une opération pour corriger un problème de dégénérescence d’un disque dont elle souffrait depuis longtemps. Il n’est pas établi avec le degré de certitude qu’on exige dans une poursuite criminelle qu’il y a un lien de cause à effet entre les voies de fait et l’état de la victime qui a exigé l’opération. Il n’est pas sûr non plus que le jury a conclu qu’un tel lien existait.

b) R. v. Gortat and Pirog, [1973] Crim. L.R. 648. Le juge du procès a accepté des aveux de culpabilité relatifs à une accusation de complot en vue de commettre un vol qualifié et, après avoir renvoyé le jury, a entendu les dépositions de la poursuite et de la défense seulement sur les points touchant la question de savoir si le complot avait été abandonné avant l’arrestation de ses auteurs. Le recueil rapporte que le juge du procès a agi comme un jury l’aurait fait quant au fardeau de la preuve.

c) Alberton Fisheries Ltd. v. The King (1944), 17 M.P.R. 457 (C.S.I.-P.-E.). Le juge en chef Campbell affirme: [TRADUCTION] «…relativement à la gravité de l’infraction, de même que relativement à sa culpabilité ou à son innocence, l’accusé a le droit de bénéficier de tout doute raisonnable» (à la p. 460).

d) R. v. Maitland, un arrêt de la Cour suprême de l’Australie-Méridionale in banco, publié à [1963] S.A.S.R. 332. La cour exprime l’avis que [TRADUCTION] «…l’accusé a le droit de bénéficier de tout doute qui peut exister» (à la p. 335).

e) Law v. Deed, [1970] S.A.S.R. 374, un autre arrêt de l’Australie-Méridionale, rendu par le juge en chef Bray. Le passage suivant se trouve à la p. 378 du recueil:

[TRADUCTION] Je crois, comme je l’ai dit dans l’arrêt Samuels v. Festa, [1968] S.A.S.R. 118, que le principe en vertu duquel l’accusé a droit de bénéficier de tout doute raisonnable s’applique dans tout le droit criminel aussi bien aux questions relatives à la sentence qu’aux questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé, sauf en présence d’une défense d’aliénation mentale ou de toute disposition législative spéciale qui exige le contraire.

f) O’Malley v. French (1971), 2 S.A.S.R. 110, qui suit les arrêts R. v. Maitland et Law v. Deed. Le juge Walters affirme (à la p. 112): [TRADUCTION]

[Page 409]

«En l’absence d’éléments de preuve qui contredisent les circonstances atténuantes mentionnées par l’appelant, celui-ci a le droit de bénéficier de tout doute raisonnable sur la question».

g) Weaver v. Samuels, [1971] S.A.S.R. 116. Il s’agit là d’une autre décision du juge en chef Bray. Le passage suivant figure aux pages 119 et 120 du recueil: [TRADUCTION] «En l’absence de toute disposition législative contraire, l’accusé doit bénéficier de tout doute raisonnable sur les questions relatives à la sentence de même que sur les questions relatives à sa culpabilité ou à son innocence. L’aveu de culpabilité ne porte que sur les éléments essentiels de l’infraction. Toute contestation des autres éléments doit se régler selon les principes ordinaires du droit, y compris la présomption d’innocence». Deux autres décisions de l’Australie-Méridionale, où la norme hors de tout doute raisonnable a été appliquée, sont: R. v. Thompson (1975), 11 S.A.S.R. 217 et R. v. Stehbens (1976), 14 S.A.S.R. 240. Voir à propos de cette dernière affaire, le commentaire publié à (1977), 1 Crim. L.J. 217. La position adoptée semble la même en Nouvelle-Galles du Sud, R. v. O’Neill, [1979] 2 N.S.W.L.R. 582 et dans le Capital Territory de l’Australie, Bierkowski v. Pearson (1971), 18 F.L.R. 110.

h) Browne v. Smith (1974), 4 A.L.R. 114. Il s’agit d’un arrêt de la Cour suprême du Northern Terri-tory, où on adopte les principes énoncés dans Law v. Deed et R. v. Maitland.

i) R. v. Browne, [1950] N.I.L.R. 20. Il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel de juridiction criminelle d’Irlande du Nord. En prononçant la sentence dans une affaire d’homicide involontaire coupable, le juge du procès avait affirmé qu’il se pouvait bien que l’accusé ait tenté d’asphyxier sa femme par le gaz avant de l’assassiner et il avait fait état [TRADUCTION] «d’un certain élément de préméditation» de la part de l’accusé. En appel, le juge en chef Andrews a affirmé (à la p. 28):

[TRADUCTION] Même si la conclusion tirée par le savant juge est certes possible, nous ne croyons pas qu’elle puisse être tirée avec suffisamment de certitude pour pouvoir jouer contre l’accusé au moment d’évaluer sa sentence.

[Page 410]

Une autre affaire d’Irlande du Nord qu’il aurait pu mentionner est R. v. McKee, [1947] N.I.L.R. 27 où la Cour d’appel de juridiction criminelle a statué que si l’accusé conteste les circonstances aggravantes, la Cour doit, soit ignorer les faits contestés, soit recueillir des éléments de preuve à leur sujet et se former un avis, en accordant à l’accusé le bénéfice de tout doute raisonnable. La Cour a ajouté que la pratique en Angleterre semble identique.

C

Autre jurisprudence canadienne

Pour compléter l’analyse de la jurisprudence, on peut souligner que la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel, dans R. v. Finder (1923), 40 C.C.C. 272, a jugé qu’on ne pouvait apporter d’exception à l’octroi du bénéfice du doute à l’accusé. Quelque soixante années plus tard, dans l’arrêt R. v. Christopher (inédit), la même cour a appliqué l’arrêt Cieslak et la norme de la prépondérance des probabilités.

Dans la décision R. v. Knight (1975), 27 C.C.C. (2d) 343, le juge Morden a appliqué la norme de «la certitude morale» c.-à-d. la norme hors de tout doute raisonnable. Dans l’affaire récente et non publiée, R. v. Wettlaufer[2], le juge Salhany a conclu qu’avant d’imposer une sentence à un accusé en fonction de circonstances aggravantes ou d’une culpabilité accrue suivant les prétentions de la poursuite, le juge doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la preuve appui ces prétentions. Cela est conforme à l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba R. v. Parenteau (1980), 52 C.C.C. (2d) 188, où le juge Matas, s’exprimant au nom de la cour, affirme (à la p. 190):

[TRADUCTION] A notre avis, lorsque le substitut du procureur général expose les faits et que l’accusé conteste des faits importants qui ont une incidence sur la gravité de l’infraction, il incombe à la poursuite de prouver ces faits hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’est aucunement tenu de présenter des témoignages pour réfuter l’exposé fait par le substitut du procureur général. Cela est conforme au principe général qui s’applique en matière de poursuites criminelles, en vertu duquel la poursuite doit établir sa preuve hors de tout doute raisonnable.

[Page 411]

Au Québec, dans un obiter qu’on trouve dans l’arrêt R. v. Dimora (1978), 45 C.C.C. (2d) 96, le juge Barrette-Joncas a suivi l’arrêt Cieslak. Dans l’arrêt R. v. Boileau; R. v. Lépine (1979), 50 C.C.C. (2d) 189, le juge Hugessen a appliqué la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

Dans la seule autre décision canadienne que je citerai, R. v. Davis and Fancie (1976), 15 N.S.R. (2d) 461, la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Ecosse affirme, à la p. 463 du recueil: [TRADUCTION] «Même si on accorde aux intimés le bénéfice du doute, il reste que…»

D


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Gardiner

Références :

Jurisprudence anglaise et autre
Deux décisions inédites qu’on nous a mentionnées indiquent que la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable a été appliquée en Angleterre. Dans R. v. Sadler (décision en date du 22 novembre 1973), lord Scarman dit ceci:
[TRADUCTION] La Cour estime que dans ces circonstances l’appelant doit se voir accorder le bénéfice du doute. Il doit manifestement être puni. Mais sa peine doit aussi tenir compte du bénéfice du doute qui, selon cette Cour, doit lui être accordé dans les circonstances.
Dans la décision R. v. Miller, Vella and Walker (rendue le 2 décembre 1974), lord juge Lawton affirme:
[TRADUCTION] Nous n’admettons pas que le savant juge était tenu d’aborder la question en fonction des circonstances atténuantes qui lui avaient été exposées. Il avait le droit d’évaluer les probabilités de véracité des renseignements dont il disposait. Il devait évidemment se rappeler que s’il y avait un doute quelconque, ce doute devait profiter à l’accusé.
Dans l’arrêt plus récent R. v. Taggart (1979), 1 Cr. App. R. (S.) 144, le juge Gibson, au nom de la Court of Criminal Appeal, mentionne l’aveu de culpabilité et la nette différence entre la version des circonstances entourant les coups et blessures présentée par la poursuite et celle donnée par Taggart en s’avouant coupable. Le juge affirme (à lap. 149):
[TRADUCTION] Comme on le sait, il y a différentes manières d’aborder cette difficulté lorsqu’elle se présente. Le juge n’est pas tenu d’aborder la question en fonction des circonstances atténuantes qui lui sont pré-
[Page 412]
sentées. Il a le droit de trancher la question en fonction des renseignements dont il dispose, mais il doit faire en sorte que tout doute profite à l’accusé.
L’auteur d’un commentaire portant sur les décisions Taggart et Miller, publié à (1980) Crim. L. Rev. 248, conclut en ces termes (à la p. 249):
[TRADUCTION] Outre ces arrêts, il paraît s’ensuivre, comme principe général, qu’on ne peut imputer des faits à un accusé à moins que ceux-ci ne soient prouvés contre lui selon la même norme de preuve, que ces faits soient ou non des éléments essentiels de l’infraction dont il est accusé. Une conclusion de fait relative à la sentence seulement peut avoir pour l’accusé des conséquences aussi graves qu’une conclusion de faits relative à sa culpabilité. La même norme de preuve doit s’appliquer dans les deux cas.
L’avocat de l’intimé a soumis à la Cour des arrêts, que je ne crois pas utile d’analyser en détail, provenant de la Cour suprême fédérale du Nyasa-land (aujourd’hui le Malawi), des cours d’appel de l’Afrique-Orientale, de Hong Kong et de la Nouvelle-Guinée, qui abondent tous dans le même sens. La norme de preuve à appliquer est celle applicable en matière criminelle, savoir la norme hors de tout doute raisonnable.
E
Jurisprudence américaine
L’appelant invoque une jurisprudence américaine inconstante qui, à mon avis, n’est applicable ni au contexte canadien ni à l’espèce. L’arrêt le plus souvent cité est Williams v. New York, 337 U.S. 241, 93 L ed 1337 (1949) qui porte sur la recevabilité du ouï-dire à une audience relative à une sentence.
Il y a beaucoup à dire à propos de cet arrêt. D’abord, cet arrêt et ceux qui l’ont suivi portent sur l’applicabilité, à l’audience relative à la sentence, de la clause relative à l’application régulière de la loi incluse dans la Constitution américaine. Comme le souligne l’avocat de l’intimé, presque toutes les décisions judiciaires américaines qui portent sur le fardeau de la preuve en matière de sentence sont fondées sur des éléments de protection inclus dans la Constitution américaine, notamment ceux qu’offre la clause relative à «l’application régulière de la loi». L’application régu-
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lière de la loi a au Canada un sens très différent de celui donné à cette expression aux Etats‑Unis. En conséquence, la jurisprudence américaine relative à la norme de preuve à appliquer en matière de sentence ne peut servir de modèle au Canada, Curr c. La Reine, [1972] S.C.R. 889. La controverse qui entoure l’applicabilité de la clause relative à l’application régulière de la loi à l’audience relative à la sentence a servi à accentuer, aux Etats-Unis, la coupure entre le processus judiciaire qui précède la déclaration de culpabilité et celui qui la suit. Cette controverse n’existe pas au Canada. Les droits comparables à ceux que la clause relative à l’application régulière de la loi accorde aux Etats-Unis sont ici garantis par la loi au cours du processus de sentence. De plus, l’arrêt Williams a. été sévèrement critiqué aux Etats-Unis et il semblerait que la clause relative à l’application régulière de la loi commence à s’appliquer au processus de sentence (voir United States v. Fatico, 458 F. Supp. 388 (1978)
Gardner v. Florida, 430 U.S. 349, 51 L Ed 2d 393 (1977)
Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153, 49 L Ed 2d 859 (1976)
«Procedural Due Process at Judicial Sentencing for Felony» (1968), 81 Harv. L. Rev. 821).
En second lieu, l’arrêt Williams porte sur la recevabilité du ouï-dire au cours du processus de sentence. Les arguments en faveur de l’assouplissement, pour les audiences relatives à la sentence, des règles de recevabilité de la preuve applicables aux procès n’appuient pas nécessairement le passage de la norme hors de tout doute raisonnable applicable à la preuve en matière criminelle, à la norme de la prépondérance des éléments de preuve crédibles.
F
Les principes
La détermination de la sentence fait partie d’un processus décisionnel du droit criminel. Sir James Fitzjames Stephen a écrit en 1863 que [TRADUCTION] «la sentence constitue l’essence même de la procédure. Elle est au procès ce que le boulet est à la poudre» (cité par Olah dans «Sentencing: The Last Frontier of The Criminal Law» (1980), 16 C.R. (3d) 97, à la p. 98). Cet énoncé est encore vrai de nos jours.
[Page 414]
Une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir est la détermination de la sentence. Les enjeux sont importants pour l’individu et la société. La détermination de la sentence constitue une étape décisive du système de justice pénale et il est manifeste qu’on ne doit pas enlever au juge la possibilité d’obtenir des renseignements pertinents en imposant toutes les restrictions des règles de preuve applicables à un procès. D’autre part, il faut que le rassemblement et l’évaluation de ces éléments de preuve soient justes. La liberté de l’accusé en dépend largement et il faut que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.
Tout le monde sait que les règles strictes qui régissent le procès ne s’appliquent pas à l’audience relative à la sentence et il n’est pas souhaitable d’imposer la rigueur et le formalisme qui caractérisent normalement notre système de procédures contradictoires. La règle interdisant le ouï-dire ne s’applique pas aux audiences relatives aux sentences. On peut recevoir des éléments de preuve par ouï-dire s’ils sont crédibles et fiables. Jusqu’ici, le juge a joui d’une grande latitude pour choisir les sources et le genre de preuves sur lesquelles il peut fonder sa sentence. Il doit disposer des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l’accusé pour déterminer la sentence en fonction de l’accusé plutôt qu’en fonction de l’infraction.
Il ne faut pas perdre de vue, dans l’étude des procédures de détermination des sentences, que la plupart des accusés avouent leur culpabilité. Les chiffres ne sont pas disponibles pour le Canada, mais d’après les données américaines, environ 85 pour 100 des accusés en matière criminelle avouent leur culpabilité ou ne présentent pas de défense. Le juge qui prononce la sentence doit donc être instruit des faits après la déclaration de culpabilité. Pour la plupart des accusés, Sa sentence est la seule décision importante que la justice pénale est appelée à rendre.
Il ne faut pas oublier non plus que l’aveu de culpabilité comporte en soi l’aveu des éléments juridiques essentiels de l’infraction en question, mais rien de plus. La poursuite doit prouver toutes les circonstances aggravantes qu’elle invoque et qui ne sont pas visées par cet aveu. Si ces circonstances
[Page 415]
ne sont pas contestées, la procédure peut être très peu formaliste. Si elles le sont, la question doit se régler selon les principes juridiques ordinaires qui régissent les procédures en matière criminelle, notamment le principe portant que tout doute pertinent doit profiter à l’accusé.
Pour moi, les faits qui justifient la peine ne sont pas moins importants que ceux qui justifient la déclaration de culpabilité
les deux devraient être soumis à la même norme de preuve. L’infraction et la peine sont inextricablement liées, [TRADUCTION] «Il semble bien établi que le processus de sentence n’est qu’une phase du procès» (Olah, précité, à la p. 107). L’accusé n’est pas soudainement privé, dès sa déclaration de culpabilité, de tous les droits dont il dispose en matière de procédure lors du procès: il a le droit d’être représenté par un avocat, de citer des témoins et de contre-interroger les témoins de la poursuite, ainsi que de témoigner lui-même et de plaider auprès du tribunal.
Dans S. v. Manchester City Recorder, [1969] 3 All E.R. 1230, on a laissé entendre que la cour pouvait être dépouillée de son pouvoir de déclarer coupable ou d’acquitter, mais non de celui de prononcer la sentence. Lord Reid a jugé que cette affirmation était à la fois nouvelle et erronée, et il a ajouté à la p. 1233:
[TRADUCTION] A mon avis, les magistrats n’ont qu’une seule fonction — mener à terme la cause qui leur est soumise. Il n’y a aucune raison de scinder leurs fonctions et de conclure qu’à une certaine étape des procédures une fonction prend fin et une autre commence.
A mon sens, aussi bien le caractère non formaliste du processus de sentence quant à la recevabilité de la preuve que le large pouvoir discrétionnaire dont dispose le juge du procès quant à l’imposition de la sentence sont des facteurs qui militent en faveur du maintien de la norme de preuve en matière criminelle, c.-à-d. la preuve hors de tout doute raisonnable, lors du processus de sentence.
[TRADUCTION] Parce que le processus de sentence constitue le danger ultime pour une personne aux prises avec la justice, il est juste et raisonnable qu’on lui accorde la protection de la règle du doute raisonnable à ce stade critique de la procédure [Olah, précité, à la p. 121].
[Page 416]
Le fondement de l’argument de la poursuite en faveur de l’adoption d’une norme de preuve moins stricte est l’efficacité administrative. A mon avis, l’argument de l’efficacité administrative ne suffit cependant pas à écarter le principe aussi fondamental qui imprègne tout notre système de justice pénale qu’est la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Je ne suis absolument pas convaincu que si l’on abaissait la norme de preuve, nous favoriserions l’économie des ressources judiciaires. Si les faits sont sérieusement contestés, l’accusé aurait intérêt à nier sa culpabilité afin de profiter, lors du procès, de la norme plus stricte du doute raisonnable. En plus d’être préjudiciable à l’économie judiciaire, cela nuierait à l’effet d’atténuation qu’aurait pu avoir l’aveu de culpabilité comme signe de regret. Il ne semble y avoir, en principe, aucun motif valable pour le juge qui fixe la sentence de ne pas se soumettre, dans la détermination des faits contestés, aux mêmes normes de preuve que celles imposées au jury. Dans l’arrêt R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525, le juge Pigeon fait remarquer à propos d’une question relative à la déclaration de culpabilité (à la p. 550):
A mon avis, notre droit criminel ne connaît que trois normes de preuve:
1. La preuve au-delà de tout doute raisonnable qui est la norme de ce que le ministère public doit établir contre l’accusé
2. La preuve selon la prépondérance de la preuve ou des probabilités qui est le fardeau qui incombe à l’accusé lorsqu’il doit faire face à une présomption qui l’oblige à établir ou à prouver un fait ou une excuse
3. La preuve soulevant un doute raisonnable qui est celle qu’il faut faire pour repousser toute autre présomption de fait ou de droit.
La norme en matière civile s’applique seulement lorsque l’accusé doit repousser une présomption et elle joue en faveur de l’accusé.
Je ne puis voir d’utilité à la proposition subsidiaire de la poursuite visant notamment l’adoption en droit canadien d’une troisième norme de preuve, savoir la preuve «claire et convaincante». Je suis d’accord avec lord Tucker lorsqu’il fait observer dans l’arrêt Dingwall v. J. Wharton (Shipping), Ltd., [1961] 2 Lloyd’s Rep. 213, à la p. 216:
[TRADUCTION] …Il m’est tout à fait impossible de me rallier à l’affirmation qu’il existe une norme intermé-
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diaire entre celle qui est imposée dans les affaires criminelles et la prépondérance des probabilités qui est suffisante dans les actions civiles.
En définitive, je suis d’avis que rien ne justifie l’introduction de la confusion et de la complexité qui résulteraient nécessairement de l’application de normes de preuve différentes pour le procès et pour la détermination de la sentence.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et les juges ESTEY et MCINTYRE sont dissidents sur la question de la compétence.
Procureur de l’appelante: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intimé: Ruby & Edwardh, Toronto.
[1] Jugement prononcé le 22 juillet 1982 et publié à [1982] 2 R.C.S. 47.
[2] Résumée à 6 W.C.B. 311.

Proposition de citation de la décision: R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368 (9 août 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-08-09;.1982..2.r.c.s..368 ?
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