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02/11/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._587

Canada | Syndicat canadien de la fonction publique et autre c. La Reine du chef du Nouveau‑Brunswick, [1982] 2 R.C.S. 587 (2 novembre 1982)


Cour suprême du Canada

Syndicat canadien de la fonction publique et autre c. La Reine du chef du Nouveau‑Brunswick, [1982] 2 R.C.S. 587

Date: 1982-11-02

Le Syndicat canadien de la fonction publique et le Conseil des syndicats d’établissements provinciaux du Nouveau-Brunswick (section locale 1251) Appelants;

et

Sa Majesté du chef de la province du Nouveau-Brunswick représentée par le Conseil du Trésor Intimée.

N° du greffe: 16788.

1982: 19 octobre; 1982: 2 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickso

n, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU NOUVEAU-BRUNSWICK

Cour suprême du Canada

Syndicat canadien de la fonction publique et autre c. La Reine du chef du Nouveau‑Brunswick, [1982] 2 R.C.S. 587

Date: 1982-11-02

Le Syndicat canadien de la fonction publique et le Conseil des syndicats d’établissements provinciaux du Nouveau-Brunswick (section locale 1251) Appelants;

et

Sa Majesté du chef de la province du Nouveau-Brunswick représentée par le Conseil du Trésor Intimée.

N° du greffe: 16788.

1982: 19 octobre; 1982: 2 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU NOUVEAU-BRUNSWICK


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 587 ?
Date de la décision : 02/11/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Relations de travail - Fonction publique - Convention collective - Applicabilité de certaines clauses de la convention aux étudiants embauchés pour l’été - Effet à donner aux mots «employé» et «personne» qui figurent dans ces clauses - Effet de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics sur la convention - Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, chap. P-25, art. 30, 32c), 35.

Les clauses d’une convention collective relatives au précompte des cotisations syndicales et au droit aux salaires fixés dans l’annexe pour différentes sortes de travail contenaient le mot «personne» au singulier et au pluriel. L’appelant a fait valoir qu’en raison de l’emploi de ce mot, ces clauses s’appliquent aux remplaçants d’été, même s’il ne considérait pas ces derniers comme des «employés» au sens de la convention collective et de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Les remplaçants d’été ne font pas partie de l’unité de négociation représentée par le Syndicat et il en va de même des membres éventuels.

Arrêt (le juge Estey est dissident): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, McIntyre, Chouinard et Wilson: Le mot «personne» employé dans les clauses de la convention en cause se rapporte aux employés éventuels et ne comprend pas les personnes qui, comme des étudiants embauchés pour l’été, n’ont pas qualité d’employés ou ne l’obtiendront pas. Si les mots «employé» ou «employés» n’avaient pas reçu une définition aussi précise, aussi bien dans la Loi que dans la convention, on aurait une plus grande latitude pour appliquer cette dernière aux remplaçants

[Page 588]

d’été. Cette latitude n’existe pas parce que la convention collective «s’applique, tout en les liant, au Syndicat, aux employés, à l’Employeur et à ses Agents».

Le juge Estey, dissident: Cette convention crée des droits relatifs à l’exécution par des étudiants d’un travail qui en relève et les agents négociateurs peuvent assurer le respect de ces droits. Embauchés pour accomplir un travail à titre occasionnel et ne pouvant devenir des «employés» que si la durée de leur emploi dépasse des limites déterminées, les étudiants sont des «personnes» au sens de la définition et à ce titre ont des droits qui sont garantis par la convention collective en ce sens que l’agent négociateur peut agir pour les faire respecter. Ainsi interprétée, la convention collective est autorisée par la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Il y a en droit une obligation de la part de l’employeur d’effectuer le précompte des cotisations syndicales et d’en remettre le montant à l’agent négociateur.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick (1981), D.L.R. (3d) 202, 36 N.B.R. (2d) 394, 94 A.P.R. 394, qui a confirmé, dans le cadre de procédures en certiorari, une décision de la Commission des relations de travail dans les services publics. Pourvoi rejeté, le juge Estey est dissident.

David Brown, pour les appelants.

Richard Speight, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Dickson, McIntyre, Chouinard et Wilson rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ce pourvoi, formé avec l’autorisation de cette Cour, soulève la question de savoir si l’appelant le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1251, peut appliquer l’alinéa 4.01a) et la clause 21.11 de la convention collective conclue avec l’intimé au personnel de remplacement pour les vacances d’été, c’est-à-dire aux étudiants embauchés par l’intimé pour effectuer le travail relevant des classes énumérées dans la convention.

L’alinéa 4.01a) porte sur la retenue des cotisations syndicales. En voici le texte:

4.01a) L’Employeur doit retenir sur le salaire revenant à chaque employé ou personne visés par la présente convention collective un montant égal à la cotisation régie-

[Page 589]

mentaire du Syndicat à compter du mois qui suit le mois de son embauchage.

La clause 21.11 est ainsi conçue:

21.11 Droit aux salaires fixés dans l’annexe «A» — Toutes les personnes embauchées pour remplir les fonctions des postes énumérés à l’annexe «A» de la présente convention doivent avoir droit aux salaires fixés dans l’annexe «A».

Les parties reconnaissent que le personnel de remplacement pour les vacances d’été ne fait pas partie de l’unité de négociation représentée par le Syndicat; il ne s’agit pas non plus, comme je l’indiquerai plus loin, de membres éventuels de l’unité de négociation qui pourront acquérir la qualité d’employés faisant partie de celle-ci. Les parties reconnaissent également que rien dans la convention collective n’empêche le Conseil du Trésor intimé d’embaucher des remplaçants pour les vacances d’été ni même de sous-traiter ses travaux, comme l’envisage le par. 6(2) de la Loi et la clause 26.01 de la convention collective.

Bien que le Syndicat ne considère pas les remplaçants d’été comme des «employés» au sens de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, chap. P-25, et de la convention collective, ni n’estime que ces personnes ont le droit d’invoquer l’ensemble des dispositions de la convention collective ou de jouir d’une manière générale de la protection de celle-ci, il fait néanmoins valoir avec insistance que la présence du mot «personne» à l’alinéa 4.01a) et à la clause 21.11 appuie à la fois la revendication d’un précompte des cotisations et le droit du Syndicat d’obliger le Conseil à rémunérer les remplaçants d’été suivant l’échelle des salaires prévue dans la convention collective. Selon le Syndicat, cela constitue une forme de sécurité syndicale destinée à l’empêcher d’être miné et affaibli, ce qui arrivera si le Conseil peut fixer pour les remplaçants d’été une échelle de salaires non prévue dans la convention collective.

Je tiens à préciser immédiatement que si on lit isolément l’alinéa 4.01a) et la clause 21.11, le Syndicat doit avoir gain de cause et son pourvoi contre l’arrêt défavorable de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick doit être accueilli. La difficulté que soulève la convention collective — et je

[Page 590]

dois dire qu’il s’agit, à mon avis, d’une convention étrange en ce sens qu’il y a dissociation des deux dispositions invoquées par le Syndicat — est qu’elle doit être lue dans un certain contexte, ce qui nous oblige à prendre en considération la Loi relative aux relations de travail dans les services publics ainsi que la convention collective elle-même. Suivant cette analyse de l’affaire, le Syndicat doit être débouté, mais cela ne veut pas dire qu’on fait abstraction du mot «personne» qui figure dans les deux dispositions sur lesquelles le Syndicat s’appuie. Il est évident que le Syndicat ne se fonde sur rien d’autre et la question est de savoir si ces dispositions à elles seules suffisent pour étayer les arguments du Syndicat. Pour les motifs qui suivent, j’estime que non, quelque sympathique que je puisse être à la position du Syndicat.

L’avocat du Conseil donne à entendre que le Syndicat cherche à invoquer le caractère volontaire de la convention collective, ce que nie l’avocat du Syndicat. Se trouvant donc dans l’obligation de considérer la convention collective comme une convention prescrite en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, le Syndicat a fait valoir que rien dans la Loi n’empêche l’inclusion dans cette convention des mots «personne» ou «personnes» qui figurent à l’alinéa 4.01a) et dans la clause 21.11 et qui entraînent les conséquences sur lesquelles se fondent ses arguments devant les tribunaux d’instance inférieure et son pourvoi devant cette Cour. Ce point de vue pourrait très bien se défendre si le langage de la convention collective était à cet égard et à d’autres égards compatible avec la Loi.

Je passe maintenant à un examen de plusieurs termes pertinents de la Loi. Les mots «agent négociateur» et «unité de négociation» sont ainsi définis:

«agent négociateur» désigne une association d’employés

a) qui a été accréditée par la Commission comme agent négociateur d’une unité de négociation, et

b) dont l’accréditation n’a pas été révoquée;

«unité de négociation» désigne un groupe d’au moins deux employés admis comme constituant un groupe d’employés qualifié pour négocier collectivement conformément à la présente loi;

L’expression «convention collective» est définie comme suit:

[Page 591]

«convention collective» désigne une convention écrite conclue en application de la présente loi entre l’employeur d’une part, et un agent négociateur d’autre part, et contenant des stipulations relatives aux modalités et conditions d’emploi et matières connexes;

Cela nous amène à la définition du mot «employé» dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi rédigée:

«employé» désigne un employé des services publics, sauf

d) une personne qui n’est pas habituellement tenue de travailler pendant plus du tiers de la durée normale de travail des personnes chargées de fonctions similaires,

e) une personne qui est employée à titre occasionnel ou temporaire, à moins qu’elle n’ait été employée ainsi pendant une période continue d’au moins six mois,

La clause 29.01 de la convention collective adopte la même définition du mot «employé». En voici le texte:

29.01 Employé — Dans la convention, «employé» désigne une personne de l’unité de négociation, hors:

a) une personne qui n’est pas normalement tenue de travailler pendant plus du tiers (1/3) de la période normale applicable aux personnes qui font un travail semblable;

b) une personne employée comme surnuméraire ou à titre temporaire, à moins d’avoir été ainsi employée pendant une période continue de six mois ou plus.

Aux termes de la Loi, une association d’employés — expression définie dans la Loi — peut demander à être accréditée en qualité d’agent négociateur d’une unité d’employés. La Loi ne mentionne pas de syndicat. Pour qu’il y ait accréditation, la Commission des relations de travail dans les services publics doit décider, conformément à l’art. 30 de la Loi, que le groupe d’employés visé par la demande d’accréditation constitue une unité qualifiée pour négocier collectivement. Suivant l’al. 32c) de la Loi, la Commission doit en outre être convaincue qu’à la date de la demande la majorité des employés de l’unité de négociation désire que l’association d’employés les représente. Aux termes de l’art. 35, dès lors qu’il y a accréditation, l’association d’employés a seule le droit de négocier collectivement pour le compte

[Page 592]

des employés de l’unité de négociation et de représenter, conformément à la Loi, un employé à l’occasion de la présentation ou du renvoi à l’arbitrage d’un grief relatif à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective ou d’une sentence arbitrale applicable à l’unité de négociation à laquelle appartient cet employé.

C’est en vertu de ces dispositions que le Syndicat a obtenu l’accréditation, comme l’indique la clause 1.01 de la convention collective conclue avec le Conseil du Trésor. Le processus d’accréditation ainsi que son aboutissement visent l’un et l’autre la représentation d’employés.

La clause 1.01 de la convention collective reconnaît le Syndicat comme seul et unique agent négociateur de tous les employés à l’égard desquels il a été accrédité en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Les conditions d’emploi énoncées dans la Loi sont, comme le mentionne le préambule, celles qui concernent «les employés visés par la présente convention». Si les mots «employé» ou «employés» n’avaient pas reçu une définition aussi précise, aussi bien dans la Loi que dans la convention, on aurait une plus grande latitude pour appliquer cette dernière aux remplaçants d’été. Dans l’état actuel des choses, cette latitude n’existe pas parce que, aux termes de la clause 1.04, la convention collective «s’applique, tout en les liant, au Syndicat, aux employés, à l’Employeur et à ses agents». La difficulté, qui mérite notre attention, découle de ce que la convention contient à certains endroits les mots «personne» et «personnes», alors que ces mots ne figurent pas dans la Loi, si ce n’est à titre de définition et d’exclusion dans la définition du mot «employé».

La clause 29.10 de la convention collective définit le mot «personne», mais en y apportant une restriction. En voici le texte:

29.10 Personne — Dans la présente convention désigne toute personne qui a été embauchée pour faire le travail d’un genre normalement accompli par des membres de l’unité de négociation et qui n’a pas obtenu le statut d’employé défini à la disposition 29.01 du présent article.

La clause 30.03 intitulée «Statut d’employé» est également pertinente. Elle est ainsi rédigée:

[Page 593]

30.03 Statut d’employé — Une personne qui a atteint le statut d’employé tel que défini dans l’article 29 doit bénéficier de tous les droits et avantages prévus dans la présente convention, avec effet rétroactif à la date de l’emploi. Les parties conviennent que le statut de l’employé susmentionné doit être équivalent à celui des employés visés par la disposition 30.01b) ci-dessus.

De plus, il est utile de mentionner certaines dispositions relatives aux stagiaires, savoir les alinéas 30.01a) et b), les alinéas 30.02a) et b) et les clauses 30.04 et 30.05. En voici le texte:

30.01 a) Un employé nommé à un poste au sein de la fonction publique doit être stagiaire pendant une période minimale de six mois qui suit immédiatement la date de sa nomination, période à laquelle le sous-ministre du ministère concerné peut ajouter deux périodes supplémentaires de trois mois chacune, mais la période de stage totale ne doit pas durer plus de douze mois après la date de la nomination.

b) Pour tous les employés visés par la présente convention collective et auxquels la Loi sur la Fonction publique ne s’applique pas, la période de stage doit être de cent vingt (120) jours ouvrables à partir de la date d’embauchage. Le sous-chef peut ajouter à cette période deux autres périodes de soixante (60) jours ouvrables chacune, mais la période de stage totale ne doit pas durer plus de deux cent quarante (240) jours ouvrables calculés à partir de la date d’embauchage.

30.02 a) Un employé peut être renvoyé durant la période de stage et il ne pourra pas avoir recours à la procédure de règlement des griefs, sous réserve des dispositions de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics.

b) Pendant leur période de stage les employés doivent bénéficier de toutes les dispositions de la présente convention collective à l’exception de la procédure de règlement des griefs dans le cas d’un renvoi, tel qu’énoncé dans la disposition 30.02a).

30.04 Lorsque la période de stage d’un employé visé par la disposition 30.01a) ou 30.01b) ci-dessus est prolongée et qu’elle dépasse six mois ou cent vingt (120) jours ouvrables, l’employé doit être avisé par écrit d’une telle prolongation.

30.05 La date de l’entrée en vigueur de toute cessation d’emploi pendant la période de stage ne doit pas survenir après l’expiration de la période de stage.

[Page 594]

Il ne fait pas de doute que cela n’a rien de très artistique d’appeler personnes ceux qui peuvent devenir des employés (dès qu’ils satisfont aux normes) et qui sont alors reconnus comme tels avec effet rétroactif, mais le sens en est clair. La définition du mot «employé» envisage la possibilité que soient embauchées des personnes qui n’ont pas immédiatement la qualité d’employés parce qu’elles doivent d’abord faire un stage. Mais il y a des personnes qui, comme les remplaçants d’été dont il s’agit en espèce, en raison de la courte durée de leur travail, ne sont même pas considérées comme des employés éventuels. Cependant, les personnes travaillant à titre temporaire, si ce travail se poursuit pendant au moins six mois, auront droit au statut d’employés et jouiront rétroactivement des avantages prévus pour les employés dans la convention collective. Cela explique en partie cette disposition de l’alinéa 4.01a) sur laquelle le Syndicat s’appuie si fermement et qui contient le mot «personne», mais celui-ci se rapporte à «chaque employé ou personne visés par la présente convention collective». Les mots soulignés nous éclairent sur le sens du mot «personne» pris dans le contexte des clauses 29.01, 29.10 et 30.03.

A mon avis, il ressort du texte de la Loi et de son incorporation dans la convention collective, que le mot «personne», qui figure dans différentes clauses de celle-ci, se rapporte aux employés éventuels et ne comprend pas les personnes qui, comme les étudiants qui en l’espèce ont assuré la suppléance pendant l’été, n’ont pas qualité d’employés et ne l’obtiendront pas.

Le pourvoi doit donc être rejeté avec dépens.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE ESTEY (dissident) — Ce pourvoi tire son origine d’une demande de certiorari que le Syndicat appelant a déposé en Cour d’appel de la province du Nouveau-Brunswick afin d’obtenir la cassation d’une décision de la Commission des relations de travail dans les services publics de cette province. L’appelant avait demandé à la Commission une ordonnance qui aurait obligé l’employeur intimé, conformément à une convention collective conclue entre les parties sous le

[Page 595]

régime de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, chap. P-25, à rémunérer les étudiants travaillant pour lui selon les tarifs prévus dans la convention et à déduire de cette rémunération des cotisations syndicales.

L’arbitre a conclu que, suivant les dispositions applicables de la convention collective et de la Loi, l’employeur intimé est tenu de rémunérer les étudiants selon la même échelle que celle qui s’applique à d’autres travailleurs (pour employer un terme neutre) qui font le même travail et de déduire de cette rémunération, de la même façon que dans le cas d’employés faisant partie de l’unité de négociation, des cotisations syndicales ou leur équivalent. S’estimant toutefois lié par une décision antérieure de la cour du Nouveau-Brunswick relativement aux mêmes parties, aux mêmes faits et à la même convention collective, il a décidé que l’employeur n’est pas obligé de rémunérer les étudiants selon cette échelle ni de déduire de leur rémunération des cotisations syndicales.

Les parties ne contestent pas le caractère approprié du redressement par voie de certiorari que l’appelant sollicite en l’espèce; elles conviennent en outre que l’embauchage d’étudiants par l’employeur n’enfreint ni la Loi ni la convention collective et que «les étudiants» ne sont pas des «employés» au sens de cette dernière.

Pour décider s’il y a lieu de casser l’ordonnance de la Commission, il faut procéder par deux étapes: on doit d’abord déterminer si la convention collective exige que l’employeur rémunère les étudiants selon l’échelle des salaires prévue dans la convention collective puis, dans l’affirmative, si la Loi autorise les conditions de cette convention.

Voici les deux clauses de la convention collective qui nous intéressent:

21.11 Droit aux salaires fixés dans l’annexe «A» — Toutes les personnes embauchées pour remplir les fonctions des postes énumérés à l’annexe «A» de la présente convention doivent avoir droit aux salaires fixés dans l’annexe «A».

4.01a) L’Employeur doit retenir sur le salaire revenant à chaque employé ou personne visés par la présente con-

[Page 596]

vention collective un montant égal à la cotisation réglementaire du Syndicat à compter du mois qui suit le mois de son embauchage.

Comme ces deux dispositions visent des paiements à des «personnes», la clause 29.10 est pertinente:

29.10 Personne — Dans la présente convention désigne toute personne qui a été embauchée pour faire le travail d’un genre normalement accompli par des membres de l’unité de négociation et qui n’a pas obtenu le statut d’employé défini à la disposition 29.01 du présent article.

Il se dégage nettement de la définition du mot «employé» que celui-ci ne comprend pas les étudiants:

29.01 Employé — Dans la convention, «employé» désigne une personne de l’unité de négociation, hors:

b) une personne employée comme surnuméraire ou à titre temporaire, à moins d’avoir été ainsi employée pendant une période continue de six mois ou plus.

La convention collective énonce son application aux parties en les termes suivants:

1.04 Application de la convention — La présente convention s’applique, tout en les liant, au Syndicat, aux employés, à l’Employeur et à ses agents.

Cette disposition ne mentionne aucunement le mot «personne».

Suivant l’argument principal du Syndicat appelant, les clauses 21.11 et 4.01 de la convention sont essentielles pour favoriser la sécurité de l’unité de négociation et pour garantir les emplois des employés qui en font partie, sans que ces derniers aient à craindre que leur situation ne soit compromise par l’embauchage de surnuméraires. On fait valoir qu’à défaut de disposition protectrice de ce genre, l’employeur pourrait, en remplaçant l’effectif ordinaire par des étudiants rémunérés à un taux inférieur à celui qu’il est tenu de payer aux employés ordinaires, porter gravement atteinte à l’unité. De même, l’agent négociateur pourrait se voir affaibli au point de vue financier s’il devait représenter les intérêts des employés compris dans l’unité de négociation, mais sans l’appui financier provenant des cotisations syndicales prélevées auprès des employés temporaires qui font le même travail que les membres de l’unité de négociation.

[Page 597]

Voici un résumé des dispositions essentielles de la convention collective relatives à l’embauchage d’étudiants. Aux termes de la clause 29.10, précitée, est une «personne» celui qui a été «embauché… pour faire le travail d’un genre normalement accompli par des membres de l’unité de négociation et qui n’a pas obtenu le statut d’employé». La définition vise évidemment un individu qui n’est pas un employé, mais qui a un lien quelconque avec la convention collective. Ce lien doit exister à au moins deux égards: premièrement, l’individu doit avoir été embauché pour accomplir le travail d’un membre de l’unité de négociation et, deuxièmement, il ne doit pas être visé par la définition du mot «employé». L’article 30 relatif au stage ne répond pas à la question de savoir qui est cette personne qui n’est pas un employé, car dans toutes ses clauses il qualifie le stagiaire d’«employé»; nous pouvons donc en faire abstraction. En fait, l’alinéa 30.02a) prévoit qu’un «employé peut être renvoyé durant la période de stage…» La clause 30.03 nous est cependant d’un certain secours. En voici le texte:

30.03 Statut d’employé — Une personne qui a atteint le statut d’employé tel que défini dans l’article 29 doit bénéficier de tous les droits et avantages prévus dans la présente convention, avec effet rétroactif à la date de l’emploi. Les parties conviennent que le statut de l’employé susmentionné doit être équivalent à celui des employés visés par la disposition 30.01b) ci-dessus.

Puisque le stagiaire est un «employé», seule peut obtenir le statut d’employé au sens de l’article 29 la «personne» qui est employée «comme surnuméraire ou à titre temporaire» pendant une période continue de six mois ou plus. Ce travailleur cesse d’être une «personne» au sens de la clause 29.10 dès qu’il obtient le statut d’employé au sens de la clause 29.01. Du moment qu’il cesse d’être une «personne» et qu’il devient un employé, le travailleur se voit conférer tous les droits et avantages prévus dans la convention, avec effet rétroactif à la date d’entrée en fonction. Cela n’a, bien sûr, aucune incidence sur les droits ou avantages revenant, en vertu de la convention, à une «personne» qui n’est pas devenue un employé. Il s’agit simplement d’un complément aux droits et avantages d’un travailleur qui cesse d’être une «personne» et obtient le statut d’employé.

[Page 598]

Cela nous amène à la clause 21.11, précitée, qui porte notamment: «Toutes les personnes embauchées pour remplir les fonctions des postes énumérés à l’annexe «A»…», ce qui se rapporte aux postes occupés par des employés qui font un travail du type accompli par les membres de l’unité de négociation. Il est donc évident que quiconque est visé par la définition du mot «personne» a droit à une rémunération selon la même échelle que celle applicable aux employés. La clause 21.11 ne peut se rapporter aux employés parce que c’est la clause 21.01 qui fixe leurs taux de rémunération, et il s’ensuit donc que les individus mentionnés à la clause 21.11 sont ceux que définit la clause 29.10. Ainsi, si l’on procède par élimination, seules peuvent tomber dans la définition du mot «personne» les personnes qui sont visées par l’alinéa 4.01a), précité, et qui n’en sont pas exclues du fait qu’elles sont des employés. La raison à cela est que l’alinéa 4.01a) se rapporte aux deux à la fois: «L’Employeur doit retenir sur le salaire revenant à chaque employé ou personne…» L’article 4 vise donc les deux catégories d’individus et porte en outre que ces personnes sont «visé[e]s par la présente convention collective». Il est vrai qu’une expression semblable peut se trouver dans les contrats commerciaux généraux et que dans ce contexte elle connote le fait d’être lié par la convention. Mais si on se rappelle qu’il s’agit en l’espèce d’une convention collective qui se rapporte à des personnes qui n’en sont pas signataires et qui n’ont pas de représentant qui en est signataire, il est naturel d’attribuer à l’expression «visés par la présente convention collective» un sens plus large qu’elle ne recevrait dans un contrat ordinaire.

Ce raisonnement est appuyé par la clause 1.04 de la convention, précitée, suivant laquelle celle-ci «s’applique, tout en les liant, au Syndicat, aux employés, à l’Employeur…» Dans cette disposition les parties à la convention emploient les mots traditionnels consacrés dans le droit des contrats. La clause en question nomme les parties et dit qu’elles sont liées par la convention. L’alinéa 4.01a), par contre, évite expressément l’emploi de cette terminologie, adoptant plutôt l’expression de portée plus large «visés par la présente convention collective».

[Page 599]

De ces dispositions plutôt inhabituelles je tire la conclusion que la bonne interprétation de la convention dans son ensemble est qu’elle envisage l’embauchage par l’employeur d’étudiants pour accomplir un travail à titre occasionnel et que ceux-ci ne deviennent des employés que si la durée de leur emploi dépasse les limites fixées par la clause 29.01. Pendant cette période où ils sont des «personnes» au sens de la définition et non pas des «employés», les étudiants ont des droits qui sont garantis par la convention collective en ce sens que l’agent négociateur peut les faire respecter, ce dernier ayant le droit contractuel d’exiger, chaque fois qu’il le souhaite, que l’employeur exécute une clause de cette convention. En l’espèce l’agent négociateur a tout intérêt à le faire pour la raison évidente que les clauses susmentionnées de la convention collective, lues ensemble, constituent une protection pour l’unité de négociation et pour les employés qui en font partie.

Le mode d’application consiste, évidemment, en la procédure de règlement des griefs et en l’arbitrage prévus par la convention. Nous ne nous préoccupons pas en l’espèce des règles de la common law relatives aux droits d’un tiers et aux procédures engagées par un tiers pour assurer le respect de la convention; nous nous intéressons seulement au droit d’une partie à cette convention de l’invoquer à l’encontre d’une autre partie à la même convention.

Passons maintenant à un examen de la Loi pour déterminer si les clauses qui nous intéressent en relèvent en ce sens que le trésorier de la province du Nouveau-Brunswick peut signer une convention dans laquelle elles sont enchâssées. Les seules dispositions de la Loi dont on peut dire qu’elles enlèvent ce pouvoir au Conseil du Trésor sont les suivantes:

61 Le conseil du Trésor peut, dans les conditions prévues par les règles ou procédures qu’il a fixées conformément à l’article 62 de la Loi sur l’administration financière, conclure avec l’agent négociateur d’une unité de négociation, autre qu’une unité de négociation formée d’employés d’un employeur distinct, une convention collective applicable aux employés de cette unité de négociation.

[Page 600]

1…

«convention collective» désigne une convention écrite conclue en application de la présente loi entre l’employeur d’une part, et un agent négociateur d’autre part, et contenant des stipulations relatives aux modalités et conditions d’emploi et matières connexes;

65 Sous réserve de la présente loi et à ses fins, une convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur qui y est partie ainsi que les associations qui sont des éléments constitutifs de cet agent négociateur, et les employés de l’unité de négociation pour laquelle l’agent négociateur a été accrédité, à compter du jour où elle prend effet conformément au paragraphe 64(1).

On n’a attiré l’attention de la Cour sur aucune décision interprétant le sens du langage employé dans la définition de l’expression «convention collective». Si on donne aux mots «contenant des stipulations relatives aux modalités et conditions d’emploi et matières connexes» leur sens ordinaire, ils signifient incontestablement, selon moi, le droit de conclure une convention collective qui contient des stipulations destinées à protéger la sécurité d’emploi des employés faisant partie de l’unité de négociation. De même, j’estime que l’art. 61 appuie manifestement une convention collective comprenant des dispositions qui profitent aux employés «de cette unité de négociation» en ce sens qu’elles protègent la continuité et la valeur du travail à accomplir par les employés visés par la convention collective. L’article 65, qui est semblable à la clause 1.04 de la convention collective, confirme que la convention intervenue entre l’employeur et l’agent négociateur dans laquelle l’employeur reconnaît aux étudiants le droit à une rémunération au taux qui y est prévu, lie l’employeur et que l’agent négociateur peut en exiger l’application.

Il ne reste qu’à mentionner le précompte des cotisations syndicales ou de leur équivalent sur la rémunération versée aux étudiants suivant l’échelle établie à l’annexe «A». S’il existe effectivement en droit une obligation de la part de l’employeur, conformément à la clause 21.11, précitée, de rémunérer les étudiants selon l’échelle prévue dans la convention collective, et si l’employeur est, en vertu de l’alinéa 4.01a), précité, tenu envers l’agent négociateur de retenir sur les salaires ainsi

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payés l’équivalent des cotisations syndicales, il ne reste alors qu’à déterminer si l’employeur, en s’acquittant de son obligation, a le droit d’effectuer cette retenue. Je réitère qu’il ne s’agit nullement de faire respecter la convention par un tiers; il n’est pas question non plus des droits d’un tiers. Si l’employeur est tenu en droit d’effectuer ce précompte et d’en remettre le montant à l’agent négociateur, il incombe alors à l’employeur de prendre des arrangements en ce sens quand il embauche des étudiants, de manière à s’acquitter des obligations envers l’agent négociateur que lui imposent les clauses susmentionnées dé la convention collective. Certes, le langage de l’alinéa 4.01a), «un montant égal à la cotisation réglementaire du Syndicat», renferme l’idée que l’employeur ne retient pas des cotisations syndicales comme telles, car les étudiants n’ont pas à payer des cotisations au Syndicat. Cet alinéa envisage plutôt le précompte d’un montant équivalent qui doit être remis à l’agent négociateur. Il est possible que l’employeur, si la situation financière l’exige, puisse s’acquitter de cette obligation sans effectuer de retenues sur les salaires des étudiants, payant plutôt à l’agent négociateur à même ses propres ressources un montant équivalent. Quoi qu’il en soit, ni la convention collective ni le dossier ne soulèvent ce problème. Nous n’avons pas non plus à tenir compte des difficultés que l’employeur pourra éprouver en prenant ces arrangements avec les étudiants ou en procédant d’une autre manière. Il est toutefois à noter que la clause 4.05 de la convention collective dispose:

4.05 …Le Syndicat consent à dédommager l’Employeur et à le protéger contre toute obligation ou action découlant de la mise à exécution du présent article.

Je conclus donc que cette convention crée des droits relatifs à l’exécution par des étudiants d’un travail qui en relève et que les agents négociateurs peuvent assurer le respect de ces droits; je conclus en outre qu’ainsi interprétée, la convention collective est autorisée par la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, précitée.

Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la sentence du Conseil d’arbitrage et de lui renvoyer l’affaire pour qu’il la

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tranche d’une manière conforme aux présents motifs; l’appelant aura droit à ses dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge ESTEY est dissident.

Procureurs des appelants: Byrne & Brown, Saint-Jean.

Procureur de l’intimée: Procureur général de la province du Nouveau-Brunswick, Fredericton, représenté par Richard C. Speight.


Parties
Demandeurs : Syndicat canadien de la fonction publique et autre
Défendeurs : La Reine du chef du Nouveau‑Brunswick
Proposition de citation de la décision: Syndicat canadien de la fonction publique et autre c. La Reine du chef du Nouveau‑Brunswick, [1982] 2 R.C.S. 587 (2 novembre 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-11-02;.1982..2.r.c.s..587 ?
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