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25/01/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._43

Canada | Westendorp c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43 (25 janvier 1983)


Cour suprême du Canada

Westendorp c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43

Date: 1983-01-25

Lenore Jacqueline Westendorp Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau-Brunswick, le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général de la Saskatchewan Intervenants.

N° du greffe: 17071.

1982: 2 décembre; 1983: 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL

DE L’ALBERTA

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1982), 134 D.L.R. (3d) 338, 65 C.C.C. (2d) 417, 35 A.R. 22...

Cour suprême du Canada

Westendorp c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43

Date: 1983-01-25

Lenore Jacqueline Westendorp Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau-Brunswick, le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général de la Saskatchewan Intervenants.

N° du greffe: 17071.

1982: 2 décembre; 1983: 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1982), 134 D.L.R. (3d) 338, 65 C.C.C. (2d) 417, 35 A.R. 228, 18 Alta. L.R. (2d) 204, [1982] 2 W.W.R. 728, qui a infirmé un acquittement prononcé par le juge Oliver de la Cour provinciale. Pourvoi accueilli.

Anthony Managh, Christopher Bixby, Craig Sparrow et Barbara McIsaac pour l’appelante.

Wm. Henkel, c.r., et Inge Freund, pour l’intimée.

Keith McCormick, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick.

H.R. Eddy, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

Cheryl Crane, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Version français du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le présent pourvoi, autorisé par cette Cour, résulte d’une accusation portée contre l’appelante de s’être trouvée dans la rue aux fins de la prostitution contrairement au par. 6.1(2) du règlement 9022 de la ville de Calgary, adopté par le règlement modificateur 25M81. L’accusée a été acquittée à son procès pour le motif, entre autres, que le règlement attaqué est inconstitutionnel puisqu’il empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel et sur les lois fédérales en cette matière. L’acquittement a été infirmé par la Cour d’appel de l’Alberta, et le juge Kerans, qui a prononcé l’arrêt de la Cour, a conclu qu’il n’y avait pas empiétement sur le pouvoir fédéral en matière de droit criminel ni sur les dispositions du Code criminel adoptées par le Parlement fédéral, et que

[Page 45]

les dispositions précises du règlement étaient valablement adoptées en vertu des art. 152 et 169 de The Municipal Government Act, R.S.A. 1970, chap. 246.

Les faits

Les faits ne sont pas contestés. Il est admis que l’accusée et une amie ont accosté un policier en civil dans une rue et lui ont proposé d’avoir des rapports sexuels ou de pratiquer la fellation contre rémunération. Elles l’ont suivi à une auto dans un terrain de stationnement où attendait un autre policier en civil et les deux femmes ont été mises en état d’arrestation. Il s’en est suivi une accusation, portant que l’accusée Westendorp se trouvait sur la rue aux fins de la prostitution.

Les motifs de jugement du juge Oliver de la Cour provinciale ainsi que ceux de la Cour d’appel de l’Alberta ont examiné attentivement la question de savoir si l’accusation portée en vertu du règlement est de la compétence qu’attribuent à la municipalité The Highway Traffic Act, 1975, (Alta.) chap. 56 et modifications (motifs du juge Oliver de la Cour provinciale) et The Municipal Government Act, R.S.A. 1970, chap. 246 et modifications, que les deux cours ont examiné. La Cour d’appel de l’Alberta a limité son examen au par. 152(1) de The Municipal Government Act dont l’al. a) permet d’adopter des règlements [TRADUCTION] «pour empêcher l’ivrognerie, la mendicité, les jurons, le langage obscène, injurieux ou offensant, les bagarres ou l’inconduite près d’une rue ou dans la rue ou dans un lieu ou un édifice publics dans la municipalité, ou dans un lieu où le public a accès.» Le juge de la Cour provinciale a déclaré que l’avocat de l’accusée a fait valoir que la véritable portée du règlement était d’enrayer les atteintes aux droits du public et que le représentant du ministère public était d’avis qu’il visait à assurer le bon ordre dans les rues. Après un examen attentif, le juge de la Cour provinciale a conclu que le règlement a comme caractère et objet véritables non pas d’assurer le bon ordre dans les rues mais, par la création d’une nouvelle infraction criminelle, d’empêcher les prostituées de travailler dans les rues. Il a décidé que le règlement outrepasse les pouvoirs de la municipalité et de la législature provinciale.

[Page 46]

La Cour d’appel de l’Alberta a déclaré le règlement valide en vertu du par. 152(1) de The Municipal Government Act, en disant qu’il s’applique uniquement aux atteintes aux droits du public et qu’il est soutenable selon cette interprétation de l’art. 6.1 du règlement. Si large que soit cette interprétation de l’art. 6.1 du règlement, je n’ai pas à me préoccuper en l’espèce de la disposition de The Municipal Government Act qui l’autorise. La constitutionnalité reste la question centrale et, à cet égard, je vais examiner les motifs du juge Kerans de la Cour d’appel et les termes du règlement attaqué.

Les questions en litige

Trois questions ont été soulevées dans ce pourvoi, parmi lesquelles seule la question constitutionnelle doit être tranchée. Une des deux questions qui peuvent être mises de côté était de savoir si le pouvoir d’adopter ce règlement était un pouvoir délégué à la municipalité que lui aurait conféré la législature provinciale. Je suis disposé à procéder à cet égard en tenant pour acquis que le règlement attaqué était autorisé par une loi provinciale. La deuxième question que soulève le pourvoi et qu’ont longuement analysée l’appelante, le procureur général de l’Alberta intimé et les intervenants représentant le Nouveau-Brunswick, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan qui l’appuient, porte sur une prétendue violation de la Charte canadienne des droits et libertés qui fait partie de la Loi constitutionnelle de 1982 et en particulier de son art. 7.

L’article 7 de la Charte se lit:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il est apparu au cours des plaidoiries que l’avocat de l’appelante a cherché non seulement à infuser à l’art. 7 un contenu de fond qui dépasse le cadre attribué à ses termes, mais aussi à invoquer l’art. 7 pour contester la validité du règlement sans accepter comme fondement obligatoire à l’argument basé sur l’art. 7 qu’il ne peut s’appliquer que si on doit accepter le règlement comme valide en vertu du partage des pouvoirs législatifs. Finalement,

[Page 47]

l’avocat de l’appelante a renoncé à appuyer sa contestation sur la Charte canadienne des droits et libertés.

Il reste par conséquent à cette Cour à décider si le par. 6.1(1) du règlement attaqué outrepasse les pouvoirs conférés à la province et empiète sur la compétence législative fédérale. À mon avis, pour les motifs énoncés ci-après, le règlement est inconstitutionnel puisqu’il empiète sur le pouvoir fédéral exclusif relatif au droit criminel.

Le règlement de la ville de Calgary et son article 6.1

Le règlement 9022, adopté pour la première fois en 1974 et appelé le règlement sur les rues, est un texte de réglementation et de contrôle très complet concernant l’utilisation des rues de la ville. Je reviendrai sous peu sur certains de ses articles. À l’origine, il ne comportait aucune disposition relative à la prostitution même s’il visait le contrôle de certaines activités dans les rues, comme la sollicitation ou l’exercice d’un commerce, d’un métier ou d’une occupation dans la rue. Le 25 juin 1981, le conseil municipal a adopté le règlement 25M81 qui modifie le règlement 9022 en y ajoutant l’art. 6.1. Il est évident que le règlement 25M81 est autonome parce que rien ne laisse supposer qu’avant son adoption, les dispositions qu’il renferme pouvaient être englobées dans les autres dispositions du règlement 9022.

L’article 6.1 est devenu le dernier article d’un groupe de dispositions placées sous la rubrique [TRADUCTION] «Utilisation des rues». Cette rubrique comportait à l’origine les art. 3, 4, 5 et 6. La rubrique suivante se lisait [TRADUCTION] «Usages dangereux et encombrements». Le nouvel art. 6.1 a été inséré avant cette rubrique. Avant de le citer, il est utile de citer les art. 3 et 4 et de mentionner les art. 5 et 6.

Les articles 3 et 4 se lisent ainsi:

[TRADUCTION] 3. (1) Sous réserve de dispositions contraires du présent règlement, du règlement de la ville de Calgary relatif à la circulation, d’autres règlements de la ville ou des lois et règlements provinciaux et fédéraux, toute persone peut utiliser les rues à toutes fins auxquelles peut servir un passage public.

[Page 48]

(2) Quiconque circule dans la rue doit se conformer aux dispositions du règlement de la ville de Calgary relatif à la circulation qui lui sont applicables.

4. Lorsqu’il y a un trottoir, nul ne doit

a) marcher sur la bordure d’une rue semée de gazon ou d’autres plantes, ni

b) marcher sur la partie carossable d’une rue ou le long de cette dernière sauf pour traverser la rue à moins que, dans l’un ou l’autre cas, il soit dangereux de marcher sur le trottoir.

Le paragraphe 5(1) énonce que, sous réserve des dispositions du par. (3) de cet article et des art. 6 et 6.1, nul ne doit laisser ou placer dans la rue des articles, des marchandises ou des effets pour les exposer en vente, les vendre ou les offrir en vente à des clients, ni laisser un véhicule automobile en stationnement dans la rue pour l’offrir en vente, ni faire une vente aux enchères dans la rue. Le paragraphe 5(2) interdit à quiconque, sauf une personne mentionnée au par. (3) (qui énonce des exceptions qu’il n’est pas nécessaire d’énumérer), d’exercer un commerce, un métier ou une occupation à quelque endroit dans la rue ou de faire de la sollicitation à cette fin. L’article 6 exige l’approbation des commissaires de la ville pour placer des journaux sur des présentoirs ou des kiosques dans une partie quelconque de la rue, sous réserve de conditions précises. Vient alors le nouvel art. 6.1, un long article qui comporte ses propres définitions.

Lorsqu’il a été adopté séparément en vertu du règlement 25M81, l’art. 6.1 était précédé d’une rubrique et d’un long préambule qui se lisent ainsi:

[TRADUCTION] Règlement de la ville de Calgary portant modification au règlement 9022 pour interdire l’utilisation des rues aux personnes qui accostent d’autres personnes ou qui se font accoster aux fins de la prostitution.

ATTENDU QUE le paragraphe (3) de l’article 169 de The Municipal Government Act prévoit que, sous réserve de toute autre loi, un conseil municipal exerce le contrôle et la surveillance, entre autres, des routes, des chemins, des rues, des ruelles et des ponts publics dans la municipalité, y compris l’espace qui les domine;

ATTENDU QUE le paragraphe (1) de l’article 14 de The Highway Traffic Act 1975 prévoit, entre autres, qu’un conseil municipal peut, par règlement, contrôler et réglementer l’utilisation des routes, des trottoirs et des

[Page 49]

autres lieux publics et déléguer au chef de police ou au commissaire municipal les pouvoirs qu’elle exerce en cette matière;

ATTENDU QUE des personnes se tiennent dans les rues de la ville aux fins de la prostitution;

ATTENDU QUE des personnes accostent d’autres personnes dans les rues ou y sont accostées aux fins de la prostitution;

ATTENDU QUE les personnes susmentionnées se rassemblent souvent dans les rues et attirent dans la rue des foules d’automobilistes ou de piétons;

ATTENDU QUE ces activités sont une cause d’ennui et de gêne pour les citoyens et qu’elles les empêchent de se déplacer librement et paisiblement dans les rues de la ville;

ET ATTENDU QU’il est à propos de prévoir, par règlement, que les routes, les rues, les trottoirs, les ruelles et les lieux publics de la ville ne doivent pas servir à présenter ou à offrir à d’autres personnes qui y circulent légitimement les services de la prostitution, et de modifier à cette fin le règlement 9022 sur les rues;

Cette rubrique et ce préambule ne figurent pas dans le règlement 9022 qui englobe l’art. 6.1, mais ils ont été invoqués à l’appui du règlement attaqué.

L’article 6.1 qui se trouve au règlement 9022 se lit ainsi:

[TRADUCTION]

6.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article:

a) «offre» signifie, notamment, présenter à une personne, lui proposer ou lui fournir un service de nature sexuelle ou accepter d’y être partie avec elle moyennant paiement;

b) «prostitution» désigne la vente ou l’offre de vendre un service de nature sexuelle, y compris l’achat ou l’offre d’achat d’un service de nature sexuelle;

c) «service de nature sexuelle» comprend, notamment, des actes de nature sexuelle accomplis à l’égard d’une personne pour l’amuser, l’assouvir, la satisfaire, l’exciter ou l’émoustiller.

(2) Nul ne doit se trouver ou rester dans la rue aux fins de la prostitution.

[Page 50]

(3) Nul ne doit accoster une autre personne dans la rue aux fins de la prostitution.

(4) Quiconque enfreint les dispositions du présent article est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration sommaire de culpabilité,

a) pour une première infraction, d’une amende d’au moins cent dollars ($100) et d’au plus cinq cents dollars ($500) et, à défaut de paiement de l’amende et des frais, d’un emprisonnement d’au plus soixante (60) jours; et

b) en cas de récidive, d’une amende d’au moins trois cents dollars ($300) et d’au plus cinq cents dollars ($500) et, à défaut de paiement de l’amende et des frais, d’un emprisonnement d’au plus six (6) mois.

à moins que, dans l’un ou l’autre cas, le montant de l’amende et des frais, y compris les frais de détention, soit payé plus tôt.

Champ d’application de l’article restrictif 6.1 du règlement de Calgary

J’ai déjà fait remarquer que la première rubrique du règlement qui suit l’art. 6.1 concerne les [TRADUCTION] «Usages dangereux et encombrements». Suit alors une rubrique intitulée [TRADUCTION] «Saillies au dessus des rues» et la rubrique suivante se lit [TRADUCTION] «Exigences relatives aux auvents et autres saillies du genre». Suivent ensuite une rubrique intitulée [TRADUCTION] «Échelles de sauvetage» et une suite de rubriques intitulées [TRADUCTION] «Caniveaux», «Déchets et ordures dans les rues», «Vide-ordures et vide‑linge», et «Voiture à provisions». On ne peut concevoir que l’une de ces rubriques ait une affinité avec l’art. 6.1, et il n’est pas nécessaire d’examiner en détail les dispositions que comportent ces diverses rubriques.

La rubrique suivante du règlement est intitulée [TRADUCTION] «Défilés» et s’explique d’elle‑même. Suit une rubrique intitulée simplement [TRADUCTION] «Trottoirs» qui interdit l’utilisation d’un véhicule automobile, d’un vélo et d’un cheval sur les trottoirs et qui interdit de stationner ou de laisser un véhicule sur un trottoir. Cette partie du règlement comporte des exceptions sur lesquelles il n’est pas nécessaire de s’arrêter. La rubrique sui-

[Page 51]

vante du règlement s’intitule [TRADUCTION] «Entretien des boulevards», suivie des rubriques [TRADUCTION] «Déblaiement des trottoirs» et [TRADUCTION] «Protection du revêtement des rues». La rubrique suivante de ce long règlement se lit [TRADUCTION] «Utilisation des rues et des trottoirs pour des travaux de construction», suivie à son tour de la rubrique [TRADUCTION] «Excavation et défoncement du revêtement des rues». Viennent ensuite les rubriques [TRADUCTION] «Utilisation du sous-sol des rues», «Empiétement des fondations des édifices sur les rues», «Dressage des poteaux» et «Modifications du niveau des rues». Une dernière disposition porte sur les peines en cas d’infraction aux dispositions autres que l’art. 6.1 et impose des amendes variant de vingt à trois cents dollars et des peines d’emprisonnement jusqu’à dix, trente, quarante-cinq ou soixante jours selon la gravité des infractions.

J’ai mentionné brièvement les genres de règles et d’interdictions ainsi que les peines correspondantes que prévoit le règlement ailleurs qu’à l’art. 6.1. Sauf le lien qu’on peut trouver entre l’art. 6.1 et les articles 3 à 5, il n’y a rien dans le règlement qui se rapporte à l’art. 6.1 ni à la gamme des peines encourues pour une infraction à l’art. 6.1 en comparaison de celles prévues par les dispositions générales du règlement que j’ai mentionnées. L’article 6.1 fait figure d’intrus dans le règlement 9022 qui aurait aussi bien pu conserver sa forme originale dans le règlement 25M81. En somme, il n’y a rien au règlement 9022 qui renforce l’art. 6.1 dont la validité en tant que règlement municipal doit être décidée indépendamment du reste du règlement.

Les termes de l’article 6.1: leur portée véritable

La comparaison de l’art. 6.1 avec les art. 3, 4 et 5 du règlement indique de façon évidente que l’art. 6.1 est d’un caractère absolument différent des articles qui le précèdent et, assurément, de tous ceux qui le suivent. Il est trompeur de considérer que l’art. 6.1 se rapporte au bon ordre dans la rue. Si c’était là le but visé, il traiterait des rassemblements de personnes dans la rue ou de l’encombrement des rues, indépendamment de ce que disent ou font les personnes ainsi rassemblées. Selon sa teneur, cet article a un effet uniquement en raison

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de ce que dit une personne relativement à une offre de services de nature sexuelle. Il n’y aurait aucune responsabilité dans le cas de personnes qui se parlent dans la rue, comme l’ont fait les deux femmes et le policier en l’espèce, et qui discutent d’une rencontre sportive passée ou à venir, d’un concert ou d’un autre événement du genre. Elle n’est déclenchée que par une offre de services de nature sexuelle ou une sollicitation à cette fin. En eux-mêmes, un rassemblement dans la rue ou un encombrement ne constituent pas une infraction à l’art. 6.1; l’infraction découle uniquement d’une offre ou d’une sollicitation en vue de la prostitution. Le fait de rester dans la rue aux fins de la prostitution ou d’accoster quelqu’un à cette fin est une tentative tellement manifeste de contrôler ou de sanctionner la prostitution qu’elle ne peut être mise en doute. Cela va plus loin que la loi provinciale déclarée invalide par cette Cour dans l’arrêt Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285, qui interdisait à quiconque de posséder ou d’occuper dans la province une maison en vue de propager le communisme ou le bolchevisme. On peut établir une distinction avec l’arrêt Bêdard v. Dawson, [1923] R.C.S. 681, dans lequel la loi provinciale attaquée était valide puisqu’elle portait sur le contrôle et la jouissance d’un bien. En l’espèce, il n’est pas question d’un bien, ni même d’une entrave à la jouissance d’un bien public, encore moins d’un bien privé.

On ne peut non plus comparer le cas en l’espèce à l’arrêt de cette Cour Procureur général du Canada et Dupond c. Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770, qui concernait un règlement antimanifestation d’une municipalité qui était en outre d’un caractère temporaire. Contrairement à l’art. 6.1 en l’espèce, ce règlement visait clairement la tenue d’assemblées et de défilés.

La question demeure cependant de savoir si, une fois reconnues les différences de principe entre la présente affaire et les trois arrêts de cette Cour cités ci-dessus, le règlement contesté a néanmoins pu être validement adopté sur le plan constitutionnel. Cela m’amène à examiner les motifs qu’a invoqués le juge Kerans pour maintenir le règlement. Il l’a interprété comme une tentative de régler les atteintes aux droits du public. Ce n’est

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pas ainsi que l’infraction prévue au règlement est définie ni imputée. Le préambule du règlement promulgué par le règlement 25M81 ne peut servir à justifier les articles qui créent l’infraction lorsque ces articles sont rédigés de façon différente et comportent leur propre définition de l’infraction. Ce sont ces aspects qui soulèvent la question constitutionnelle.

Lorsqu’il a examiné l’argument de l’avocat de l’accusée suivant lequel le règlement était une tentative déguisée pour régler non pas des atteintes aux droits du public mais le fléau de la prostitution, le juge Kerans a fait remarquer que ce fléau est une question de moralité publique et que, si la portée véritable de ce texte était de s’attaquer à ce fléau, il pourrait bien outrepasser la compétence de la législature de l’Alberta. Il a alors ajouté que [TRADUCTION] «le règlement ne s’attaque pas à la prostitution elle-même; il ne vise pas à supprimer le marché du sexe; il vise seulement à préserver les citoyens qui circulent dans les rues de l’agacement et de la gêne d’être des participants involontaires à ce marché».

Cette évaluation de la «portée véritable» du règlement me paraît déconcertante compte tenu des termes de l’art. 6.1. Elle Test encore plus lorsque le juge Kerans dit:

[TRADUCTION] J’admets que le règlement de la ville de Calgary érige en infraction le simple fait, pour une prostituée, de sortir dans la rue aux fins de la prostitution, c.-à-d. sans qu’elle fasse quoi que ce soit. Mais il ne s’agit pas là d’une attaque contre la prostitution en soi. Il s’agit d’une tentative de réglementer, par des mesures préventives, les activités des prostituées et de leurs clients sur la rue. C’était, et c’est une attaque préventive. En ce sens, c’est inquiétant. Mais ce n’est pas assez inquiétant pour modifier la portée véritable du règlement.

Ce qui me paraît découler de l’examen que le juge Kerans fait du règlement, c’est qu’il établit une compétence législative simultanée beaucoup plus étendue que le principe du double aspect et permettant à une province ou à une municipalité autorisée par une province d’usurper un pouvoir législatif fédéral exclusif. Si une province ou une municipalité peuvent mettre une attaque directe contre la prostitution au compte du maintien de

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l’ordre dans la rue en s’appuyant sur l’atteinte aux droits du public, elles peuvent faire de même relativement au trafic de stupéfiants. Et pourquoi pas, dans la même optique, chercher à sanctionner les voies de fait commises dans les rues de la ville au titre du maintien de l’ordre dans les rues.

Quelque désirable que puissent être le contrôle ou l’interdiction de la prostitution pour la municipalité, il y a eu un excès de pouvoirs en l’espèce qui porte atteinte au partage des pouvoirs législatifs. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta et de rétablir le verdict d’acquittement ordonné par le juge de la Cour provinciale.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelante: Stinchcombe & Associates, Calgary.

Procureur de l’intimée: R.W. Paisley, substitut du procureur général de l’Alberta, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 43 ?
Date de la décision : 25/01/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Droit criminel - Prostitution - Règlement municipal - Bon ordre dans les rues - Prostitution interdite dans les rues - Le règlement est-il inconstitutionnel en ce qu’il empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 - The Municipal Government Act, R.S.A. 1970, chap. 246, art. 152(1)(a) - The Street By-law, règlement 9022 de la ville de Calgary, modifié par le règlement 25M81, art. 3, 4, 5, 6, 6.1.

Le présent pourvoi résulte d’une accusation portée contre l’appelante de s’être trouvée dans la rue aux fins de la prostitution contrairement à un règlement municipal. Au procès, l’accusée a été acquittée pour le motif, entre autres, que le règlement attaqué est inconstitutionnel puisqu’il empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel et sur les lois fédérales en cette matière. La Cour d’appel a infirmé l’acquittement et a conclu qu’il n’y a pas d’empiétement sur le pouvoir fédéral ou sur les dispositions du Code criminel, et que le règlement était valablement adopté en vertu de The Municipal Government Act. La constitutionnalité du règlement est la principale question soulevée en l’espèce.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le règlement est inconstitutionnel puisqu’il empiète sur le pouvoir fédéral exclusif relatif au droit criminel. L’article 6.1 fait figure d’intrus dans le règlement et est un caractère absolument différent des articles qui le précèdent et qui le suivent. Rien dans le règlement ne renforce cet article; sa validité doit être décidée de façon indépendante du reste du règlement. L’article n’entre en

[Page 44]

jeu que par une offre de services de nature sexuelle ou une sollicitation à cette fin. Le fait de rester dans la rue aux fins de la prostitution ou d’accoster une autre personne à cette fin est une tentative tellement manifeste de contrôler ou de sanctionner la prostitution qu’elle ne peut être mise en doute.


Parties
Demandeurs : Westendorp
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: distinction faite avec les arrêts Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285

Bédard v. Dawson, [1923] R.C.S. 681

Procureur général du Canada et Dupond c. Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770.

Proposition de citation de la décision: Westendorp c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 43 (25 janvier 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-01-25;.1983..1.r.c.s..43 ?
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