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08/02/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._124

Canada | R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124 (8 février 1983)


Cour suprême du Canada

R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124

Date: 1983-02-08

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Rolan John Farrant Intimé.

N° du greffe: 16627.

1982: 29 avril; 1983: 8 février.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

Cour suprême du Canada

R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124

Date: 1983-02-08

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Rolan John Farrant Intimé.

N° du greffe: 16627.

1982: 29 avril; 1983: 8 février.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 124 ?
Date de la décision : 08/02/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Meurtre - Intimé accusé de meurtre au deuxième degré - Preuve du meurtre au premier degré - L’accusé peut-il être déclaré coupable de l’infraction moindre et incluse lorsque la preuve établit la culpabilité de l’infraction plus grave? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 212, 213, 214, 247, 511.

Bien que l’intimé ait été accusé de meurtre au premier degré, il a été renvoyé à son procès au terme de l’enquête préliminaire, à la demande de la poursuite, sur l’accusation moindre de meurtre au deuxième degré. Au procès, cependant, le témoignage de l’intimé sur les circonstances du meurtre a amené la poursuite à demander au juge de donner des directives au jury sur le meurtre imputé découlant de la séquestration — infraction classée dans les meurtres au premier degré. Armé d’une carabine chargée, l’intimé a «convaincu» tous ceux qui étaient chez son amie de quitter les lieux. La jeune fille étant encore hystérique même après qu’il eut porté l’arme dans une autre pièce, il est allé la rechercher et a tiré sur la jeune fille. La Cour d’appel de la Saskatchewan a accueilli l’appel de l’intimé à l’encontre de sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et ordonné un nouveau procès. L’appelante se pourvoit à l’encontre de cet arrêt.

Arrêt (les juges Ritchie et Wilson sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer: On peut confirmer une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré lorsque l’accusé a été accusé de cette infraction, alors qu’il aurait pu, par l’effet de la loi, être reconnu coupable de meurtre au premier degré s’il avait été inculpé de cette infraction. L’acte d’accusation doit obligatoirement mentionner la nature juridique de l’infraction, mais non l’article précis du Code. Ce sont les art. 212 et 213 qui définissent les éléments du meurtre. Pour établir le meurtre au deuxième degré, la poursuite doit prouver l’une des intentions requises énoncées à l’art. 212 ou prouver que

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l’accusé a causé la mort en commettant une des infractions énoncées à l’art. 213 — en l’espèce, la séquestration — alors qu’il employait une arme et que la mort en a été la conséquence. L’article 214 est subordonné aux art. 212 et 213; il répartit seulement le meurtre en meurtre au premier degré et meurtre au deuxième degré pour les fins de la sentence. La décision principale et essentielle que doit rendre le jury est de savoir s’il y a eu meurtre en application de l’art. 212 ou de l’art. 213 et l’étude des distinctions entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré n’est pas pertinente. Le juge du procès n’était pas tenu de parler dans ses directives au jury du meurtre au premier degré en application de l’al. 214(5)a) alors que l’accusé n’en était pas inculpé.

Même si l’accusation avait été réduite à celle de meurtre au deuxième degré, l’intimé n’était pas en droit de conclure qu’il ne pouvait pas être jugé pour «un meurtre par séquestration à l’aide d’un fusil» parce que l’art. 214 définit cette infraction comme un meurtre au premier degré. La preuve a établi les faits nécessaires à l’accusation et les directives au jury étaient prévisibles. L’accusé n’a jamais couru le risque d’être déclaré coupable de meurtre au premier degré et n’a pas subi de préjudice du fait d’avoir été jugé selon le critère du meurtre au premier degré.

Le juge du procès n’a pas commis d’erreur en donnant des directives au jury au sujet de la présomption selon laquelle une personne veut les conséquences naturelles de ses actes parce qu’il a clairement indiqué qu’il s’agit d’une règle de bon sens et non d’une règle de droit et qu’il a clairement indiqué que le jury n’était pas tenu d’arriver à cette conclusion. Le juge du procès a eu raison de permettre à la poursuite de contre-interroger relativement à des incidents antérieurs de voies de fait compte tenu du fait que Farrant avait mis le caractère non violent de son tempérament en cause dans son témoignage précédent. Rien dans la preuve n’appuie la prétention que le juge du procès ait commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en statuant que la déclaration faite par l’accusé à la police a été faite librement et était admissible en preuve.

Les juges Ritchie et Wilson (dissidents): Il est impossible de confirmer la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré si l’intimé a été accusé d’un meurtre au deuxième degré qui exige une intention spécifique et si le jury a reçu des directives quant à un meurtre au premier degré qui n’exige pas une telle intention. L’accusé a préparé sa défense à l’égard des «intentions» requises pour établir un meurtre au deuxième degré, mais non à l’égard de l’intention de séquestrer qui était capitale à la preuve de meurtre

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imputé. Le préjudice causé à l’accusé vient de ce que l’élément d’intention essentiel à la déclaration de culpabilité de l’infraction moindre de meurtre du deuxième degré n’était pas essentiel à la déclaration de culpabilité de meurtre imputé;

[Jurisprudence: R. c. Swietlinski, [1980] 2 R.C.S. 956; R. c. McKenzie, [1972] R.C.S. 409.]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1981), 9 Sask. R. 7, qui a accueilli un appel à l’encontre d’une déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Ritchie et Wilson sont dissidents.

Kenneth W. MacKay, pour l’appelante.

Benjamin Goldstein, c.r., et Robert Jackson, pour l’intimé.

Version française des motifs des juges Ritchie et Wilson rendus par

LE JUGE WILSON (dissidente) — Je partage l’avis des juges de la Cour d’appel de la Saskatchewan que le verdict du jury ne peut être maintenu.

Il n’est pas nécessaire que je relate les événements qui ont conduit à la mort tragique de Shannon Russell, âgée de 16 ans. Mon collègue le juge Dickson l’a déjà fait. Je veux simplement faire quelques observations à propos des art. 212, 213 et 214 du Code criminel et de leur application aux faits de l’espèce.

Il est communément admis, je crois, que, tandis que l’art. 212 exige un élément d’intention quant à la mort, l’art. 213 ne le fait pas. La seule intention requise pour qu’il y ait déclaration de culpabilité de meurtre en application de l’art. 213, c’est celle de commettre l’infraction au cours de laquelle la mort survient. Appliquée à l’espèce, l’intention qu’il fallait prouver pour obtenir la déclaration de culpabilité de l’intimé en vertu de l’art. 213, c’était celle de séquestrer Shannon. Si l’on avait prouvé cette intention, alors l’intimé aurait été coupable de meurtre imputé en application de l’art. 213.

L’article 214 établit une classification des meurtres. Il prévoit qu’ils sont du premier ou du deuxième degré. Il y a meurtre au premier degré si celui-ci est prémédité. Il y a aussi meurtre au

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premier degré, même en l’absence de préméditation, si la mort découle, entre autres, d’une séquestration. Le meurtre qui n’est pas au premier degré est au deuxième degré.

L’intimé a été accusé de meurtre au deuxième degré. Puisqu’il a reconnu avoir causé la mort de Shannon, la seule question soumise au jury était de savoir s’il avait l’une ou l’autre des intentions requises en vertu de l’art. 212. Voici ce qui s’est produit: depuis le début du procès jusqu’à la clôture de la preuve, toutes les parties, même le juge du procès, ont dit la même chose; la seule question soumise à la cour est la suivante. S’il a eu l’intention requise, il s’agit d’un meurtre, sinon, il s’agit d’un homicide involontaire coupable. Cependant, à la clôture de la preuve, après une semaine de procès, le substitut du procureur général a, pour la première fois, soutenu qu’il fallait donner des directives au jury sur l’al. 213d) du Code, ce à quoi l’avocat de la défense s’est vigoureusement opposé. Cependant le juge du procès a donné des directives aux jurés sur l’al. 213d), leur disant que s’ils concluaient que la mort de Shannon était survenue pendant que l’intimé la séquestrait, ils pouvaient le déclarer coupable de meurtre parce qu’il avait une carabine. Toutefois, il ne leur a pas dit que ce serait alors, de toute évidence, un meurtre au premier degré, ce dont l’intimé n’était pas accusé.

Avec égards, je crois que la question que pose cette affaire n’est pas de savoir lequel des art. 212, 213 ou 214 est applicable. Il ne s’agit pas non plus de savoir si l’art. 214 du Code établit une distinction de fond en créant des infractions distinctes de meurtre au premier degré et de meurtre au deuxième degré ou s’il établit simplement une classification pour les fins de la sentence. Je crois que la question est celle-ci: peut-on confirmer une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré si l’intimé a été accusé d’un meurtre au deuxième degré qui exige une intention spécifique et si le jury a reçu des directives relatives au meurtre au premier degré qui n’exige pas une telle intention? Je ne crois pas que ce soit possible. Après avoir été inculpé d’un meurtre au deuxième degré, l’accusé avait le droit d’inscrire un plaidoyer et de mener sa défense en fonction du fait que la

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poursuite devrait faire la preuve d’une des intentions prévues à l’art. 212. C’est la preuve en fonction de laquelle il a préparé sa défense. Il a nié avoir eu l’une ou l’autre de ces intentions et il a témoigné que le coup est simplement parti. Le jury peut cependant l’avoir déclaré coupable, à la lumière des directives du juge, parce qu’il avait une intention complètement différente, savoir l’intention de séquestrer, à l’égard de laquelle il n’avait pas préparé de défense. Nous ne pouvons savoir de façon certaine sur quel fondement le jury l’a déclaré coupable. Mais nous savons qu’après s’être retirés pour délibérer, les jurés sont revenus et ont demandé en quoi consiste la séquestration.

À mon avis, il est spécieux de dire que l’intimé ne peut se plaindre d’avoir subi un préjudice à cause d’une déclaration de culpabilité d’une infraction moindre alors que la preuve aurait justifié celle d’une infraction plus grave. Avec égards, je crois que c’est à côté de la question. D’après l’accusation portée, l’intimé n’était pas susceptible d’être déclaré coupable sur la seule preuve de l’intention de séquestrer. Il fallait aussi prouver l’une des intentions mentionnées à l’art. 212. Il ne s’agit pas ici d’une personne accusée d’une infraction moindre comprise dans une autre plus grave qui a été déclarée coupable de l’infraction moindre alors que, selon la preuve, elle aurait également pu être déclarée coupable de l’infraction plus grave. Un des éléments essentiels d’une déclaration de culpabilité de l’infraction moindre de meurtre au deuxième degré, soit l’intention, n’est pas un élément préalable à une déclaration de meurtre imputé. Voilà, à mon avis, ce qui a causé un préjudice réel à l’intimé. S’il avait prévu qu’il pourrait être déclaré coupable en application de l’art. 213, il n’aurait peut-être pas témoigné du tout ou il aurait pu fournir des éléments de preuve pour nier l’intention de séquestrer. De plus, si l’acte d’accusation avait soulevé la question de la séquestration, son avocat aurait peut-être plaidé que ce qui s’est produit ne constituait absolument pas une «séquestration» au sens de l’art. 247. On peut se demander, si Shannon n’était pas morte, si l’intimé aurait pu être accusé de séquestration en vertu du par. 247(2) qui semble viser la séquestration qui accompagne un enlèvement ou une prise d’otages.

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Pour ces motifs et pour les motifs exprimés par la Cour d’appel de la Saskatchewan, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française du jugement des juges Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer rendu par

LE JUGE DICKSON — Il s’agit de déterminer si le juge du procès a commis une erreur en donnant des directives au jury quant à l’art. 213 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, c’est-à-dire la disposition définissant le «meurtre imputé». L’article 213 consacre le principe que lorsqu’on se sert d’une arme dans la perpétration de certains actes criminels et que la mort en résulte, l’accusé est traité comme si la mens rea nécessaire au meurtre était présente et l’homicide constitue un meurtre. L’acte accidentel ou non intentionnel qui entraîne la mort est un meurtre parce que l’actus reus nécessaire à l’homicide est présent et que l’homicide n’est ni justifiable ni excusable. À tort ou à raison, depuis l’époque de Coke, la loi a attaché à ces actes l’élément intentionnel du meurtre (Coke’s Institutes (1977), vol. 3, p. 56). Voir aussi Hale, Pleas of the Crown (1st Am. ed. 1847), vol. 1, pp. 424-503, Foster, Foster’s Crown Cases and Crown Law (3e Ed. 1792), aux pp. 256, 258 et 308, Blackstone, Blackstone Commentaries, vol. 4, pp. 192-193 et 200-201, East, Pleas of the Crown (1896), vol. 1, p. 255, et Stephen, A History of the Criminal Law of England (1883), pp. 57 et 75. Coke donne l’exemple suivant. Si, avec l’intention de voler un cerf dans le domaine de B, A vise le cerf et, à cause de la déviation de la flèche, tue un enfant caché dans les buissons, il y a meurtre même si A n’avait nullement l’intention de blesser l’enfant. East étudie cette question sous l’intitulé [TRADUCTION] «Homicide dans la poursuite d’un acte ou dessein criminel ou illégal en soi, qui entraîne la mort de façon accessoire ou incidente à l’intention principale.»

On peut signaler en passant que la règle relative au meurtre imputé fait l’objet de critiques depuis longtemps: Willis (1951), 29 R. du B. Can. 784; Edwards (1960-61), 3 Cr. L.Q. 481; Hooper (1967-68), 3 U.B.C.L. Rev. 55; Sedgwick (1955), 33 R. du B. Can. 63; Burns and Reid (1977), 55 R. du B. Can. 75. Comme Stuart le signale dans

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son ouvrage récent intitulé: Canadian Criminal Law, à la p. 223, la question essentielle de savoir s’il y a eu intention coupable quant à la mort est simplement déterminée d’avance et soustraite à la décision du jury. L’article 212 exige une intention coupable quant à la mort; l’art. 213 ne l’exige pas. Tuer à l’occasion de certaines infractions précises peut être un meurtre même si le contrevenant n’a jamais voulu ce résultat. Tout ce qui est requis, c’est la mens rea nécessaire à l’infraction moindre. Voir R. c. Swietlinski [1980] 2 R.C.S. 956, à la p. 967. En Angleterre, l’Homicide Act, 1957 a écarté cette règle. La règle peut paraître cruelle, mais il n’appartient pas à cette Cour de se prononcer sur la pertinence des lois validement adoptées. Aussi longtemps que l’article se trouve dans notre Code criminel, la Cour doit l’appliquer selon sa teneur.

I

Les faits

L’événement tragique qui a entraîné les présentes procédures est le coup de feu qui a coûté la vie à Shannon Russell, âgée de seize ans, à Saskatoon, dans la soirée du vendredi 14 septembre 1979. Elle a été abattue par Rolan Farrant, âgé de dix-sept ans. Shannon et son amie Shelly Thomas avaient passé la journée ensemble. Au début de la soirée, elles se rendirent chez un ami pour une fête. Farrant est arrivé plus tard. Farrant et Shannon étaient des amis d’enfance. Ils se fréquentaient régulièrement depuis quatre ans. Entre 20 h 15 et 21 h 15, Farrant a bu quatre bouteilles de bière et pris 4 ou 5 bouffées ou «touches», selon sa propre expression, d’une pipe de marijuana. Farrant et Shannon avaient parlé entre eux. Il y avait des preuves de dispute. Dans sa déclaration à la police, Farrant a dit: [TRADUCTION] «Elle n’aimait pas la façon dont je la traitais et je n’aimais pas la façon dont elle me traitait. Nous ne nous entendions plus depuis quelque temps». Shannon est alors partie en compagnie de son amie. Elles sont allées chez Shannon. D’autres amis sont arrivés. Farrant a appelé Shannon au téléphone. Il voulait venir lui parler. Elle lui a répondu qu’elle ne voulait pas lui parler parce qu’elle était avec des amis. Il lui a dit qu’il venait quand même et qu’il apportait une carabine. À son arrivée il s’est approché de la maison par l’arrière, laissant la carabine dans son

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automobile. Il a croisé deux de ses amis sur la galerie arrière et leur a demandé de partir pour qu’il puisse parler avec Shannon seule. Il est entré et a intimé l’ordre à tout le monde [TRADUCTION] «d’aller prendre un café pendant une demi-heure». Personne n’a quitté les lieux. Il est ressorti par la porte arrière, a chargé la carabine et est revenu à la maison avec l’arme. Alors, selon l’expression du juge du procès, [TRADUCTION] «SOUS la persuasion de la carabine» ils ont tous quitté les lieux. Les témoins au procès ont dit que Farrant [TRADUCTION] «a fait signe, l’arme à la main,» à tout le monde de quitter les lieux. Une des amis de Shannon, Mary Kennedy, a pris celle-ci par le bras et lui a [TRADUCTION] «dit qu’elle devrait les suivre». Mary rapporte que Farrant a alors [TRADUCTION] «dit de lui lâcher le bras et de sortir de la maison». Shannon [TRADUCTION] «pleurait et tremblait, assise sur l’un des canapés». Voici une partie de la déposition de Shaun Russell, le frère de Shannon:

[TRADUCTION] Q. Dites-nous maintenant où il est allé et tout ce que vous vous rappelez avoir entendu.

R. Il est venu dans le vivoir et s’est accroupi près de Shannon.

Q. Je crois que vous allez devoir parler plus fort.

R. Accroupi près de Shannon et il a dit viens dehors, je veux te parler, ou quelque chose de semblable.

Q. Bon.

R. Elle a dit non ou quelque chose comme cela, je ne puis me rappeler ce qu’elle a dit. Elle a dit non.

Q. Autre chose?

R. Ouais, quelque chose d’autre.

Q. Et qu’a-t-il dit alors?

R. Je vais t’avoir…, quelque chose dans ce sens-là.

Et plus loin dans sa déposition:

[TRADUCTION] Q. Bon, vous rappelez-vous d’autres conversations lorsqu’il est revenu?

R. Mary a dit, Shannon veux-tu venir avec moi, et il a dit non, reste et il a aussi dit à Chuck d’emporter sa bière.

Mary Kennedy a dit ceci:

[TRADUCTION] Il est entré dans la maison, est resté dans l’entrée du vivoir et s’est tourné vers Shannon et lui a dit: tu ferais mieux de venir avec moi. Elle lui a répondu: je ne vais nulle part avec toi. En se tournant vers nous, il nous a dit que nous devrions aller prendre

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un café pendant une demi-heure et alors il s’est retourné vers Shannon lui a dit qu’il ne plaisantait pas et il est reparti. Alors Darby et Chuck sont revenus dans la maison et nous avons décidé, voyez-vous, que nous devrions aller prendre un café et emmener Shannon. Alors Ronny [Farrant] est revenu dans la maison, armé d’une carabine et criait: tout le monde dehors, tout de suite, je veux simplement parler à Shannon. Donc tout le monde a commencé à s’en aller et… en sortant j’ai pris Shannon par le poignet et je lui ai dit qu’elle devrait venir avec nous. Alors Ronny m’a dit de la laisser tranquille et de partir. C’est donc ce que j’ai fait.

Charles Thompson a rendu le témoignage suivant:

[TRADUCTION] Rolan est revenu avec une carabine. Il nous a demandé de partir et m’a dit d’emporter ma bière. Alors une des filles, je ne suis pas certain laquelle, a essayé d’emmener Shannon et lui a dit, a dit à Shannon, tu viens avec nous. Alors Rolan a pointé la carabine vers cette personne et alors nous sommes sortis par la porte avant.

Tous sont sortis à l’exception de Farrant et de Shannon. On ne dispose que du témoignage de Farrant quant à ce qui s’est produit par la suite. Il a témoigné que Shannon pleurait et était hystérique. Il a attribué cela à la présence de la carabine, il l’a donc portée dans la cuisine et l’y a déposée. Il est revenu vers Shannon, s’est accroupi près d’elle et a essayé de lui enlever les mains du visage de manière à pouvoir lui parler. Elle était encore hystérique. Il est retourné à la cuisine et a rapporté l’arme. Il n’arrivait pas à décider quoi faire. Alors, soudainement, [TRADUCTION] «le coup est simplement parti». Le coup s’est révélé fatal. Dans sa déclaration à la police, Farrant a simplement dit qu’il [TRADUCTION] «était retourné à la cuisine et avait pris la carabine», et «je lui ai tiré dessus». Il a appelé la téléphoniste et lui a demandé d’appeler la police parce qu’il venait juste de tuer son amie. Il a tiré un second coup dans une tentative manquée de se suicider.

II

La procédure

Farrant a été accusé de meurtre au premier degré. À la fin de l’enquête préliminaire, la poursuite a demandé et obtenu le renvoi à procès sur l’accusation moindre de meurtre au deuxième degré et l’accusé a été renvoyé à son procès sur

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cette accusation. Un jury l’a trouvé coupable de meurtre au deuxième degré. Farrant a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et la Cour d’appel de la Saskatchewan a ordonné un nouveau procès. Sa Majesté, avec l’autorisation de cette Cour, se pourvoit maintenant à l’encontre de cet arrêt.

III

Le moyen fondé sur l’article 213

Le pourvoi porte sur l’application de l’art. 213 et, de façon incidente, sur celle des art. 212 et 214 du Code criminel. Dépouillés du texte non-pertinent ici, ces trois articles se lisent ainsi:

212. L’homicide coupable est un meurtre

a) lorsque la personne qui cause la mort d’un être humain

(i) a l’intention de causer sa mort, ou

(ii) a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non;

213. L’homicide coupable est un meurtre lorsqu’une personne cause la mort d’un être humain pendant qu’elle commet ou tente de commettre… une infraction mentionnée à l’article 247 (enlèvement et séquestration)… qu’elle ait ou non l’intention de causer la mort d’un être humain et qu’elle sache ou non qu’il en résultera vraisemblablement la mort d’un être humain

d) si elle emploie une arme ou l’a sur sa personne

(i) pendant ou alors qu’elle commet ou tente de commettre l’infraction,

et que la mort en soit la conséquence.

214. (1) Il existe deux catégories de meurtres: ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.

(5) Est assimilé au meurtre au premier degré, le meurtre

a) concommittant de la perpétration, ou d’une tentative à cet effet, d’une infraction prévue à l’article… 247 (enlèvement et séquestration);

(7) Les meurtres qui n’appartiennent pas à la catégorie des meurtres au premier degré sont des meurtres au deuxième degré.

[C’est moi qui souligne]

[Page 134]

Il y a lieu de citer deux autres articles du Code. L’article 247 prévoit notamment:

(2) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans, quiconque, sans autorisation légitime, séquestre, emprisonne ou saisit de force une autre personne.

[C’est moi qui souligne]

L’article 511 se lit ainsi:

511. Seules les personnes inculpées expressément dans l’acte d’accusation de haute trahison ou de meurtre au premier degré peuvent être déclarées coupables de ces infractions.

En adoptant les mots «a l’intention de» aux al. 212a)(i) et (ii), le législateur a introduit un élément d’intention. L’homicide coupable est un meurtre en vertu de cet article si la poursuite prouve que l’accusé a eu soit l’intention de causer la mort soit celle de causer des blessures qu’il savait de nature à causer la mort et qu’il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non.

D’autre part, l’art. 213, celui qui définit le «meurtre imputé», n’exige pas la preuve d’une telle intention. Cela ressort de l’art. 213 par l’emploi des mots «qu’elle ait ou non l’intention de causer la mort d’un être humain et qu’elle sache ou non qu’il en résultera vraisemblablement la mort d’un être humain». Par exemple si une personne utilise une arme, ou a sur elle une arme au moment de commettre l’acte criminel de séquestration défini à l’art. 247 du Code, et que la mort s’ensuive, l’homicide coupable est alors un meurtre. La seule intention dont le tribunal doit se préoccuper dans ces circonstances, c’est l’intention de commettre l’acte illégal de séquestration.

À la clôture de la preuve au procès de Farrant, le substitut du procureur général a demandé au juge de donner au jury des directives quant à l’art. 213 du Code, en fonction du [TRADUCTION] «témoignage même de l’accusé selon lequel celui-ci a voulu se servir du fusil ou de la carabine pour faire évacuer la maison et y confiner la jeune fille pour pouvoir lui parler». Me Goldstein, l’avocat de Farrant, a répondu qu’il connaissait bien cet article, mais qu’il était convaincu que ce point ne serait pas soulevé, puisque [TRADUCTION] «jamais auparavant, ni à l’enquête préliminaire, ni dans la déclaration préliminaire de ma savante collègue

[Page 135]

non plus que dans l’accusation», il n’a été mentionné que l’accusé devait répondre à une accusation d’infraction visée à l’art. 213. Il a soutenu qu’«en toute équité», toute question de droit mise à part, ce serait une grave injustice d’aller dans le sens indiqué par la poursuite. En second lieu, il a soutenu que, dans cette affaire, il n’y avait pas eu intention de séquestrer contre la volonté de qui que ce soit et, même si une telle intention avait existé, elle avait été abandonnée. En réplique, le substitut du procureur général a dit qu’elle n’avait pas eu l’intention d’invoquer l’art. 213 comme moyen principal avant d’entendre le témoignage de Farrant. Elle a mentionné les extraits suivants du témoignage de Farrant:

[TRADUCTION] Q. VOUS avez décidé que vous alliez prendre la carabine et vous rendre à la maison et que vous alliez l’obliger à vous parler qu’elle veuille ou non y rester, n’est-ce-pas?

R. Ce n’est pas tout à fait ce que je dirais, non.

Q. Ce n’est pas tout à fait ce que vous diriez?

R. Non, pas tout à fait.

Q. En substance, c’est la vérité, n’est-ce-pas?

R. C’est peut-être vrai en substance, mais ce n’est pas la façon dont je le conçois, non.

Q. Ce n’est pas la façon — vous ne le concevez peut-être pas de la façon dont je m’exprime, mais le sens est le même n’est-ce-pas?

R. Au fin fond des choses, le sens serait le même, mais la réalité de ce que je pense est tout à fait différente de ce qu’une autre personne peut penser.

Q. Et vous vouliez lui parler?

R. Ouais, quand je lui ai téléphoné, c’était vrai.

Q. Vous avez déjà admis que vous vouliez qu’elle vous parle, exact?

R. Après le coup de téléphone, oui.

Q. Vous alliez la forcer à vous parler en vous servant de la carabine?

R. Oui, si c’était nécessaire je suppose puisque je l’ai apportée, c’est possible.

La cour a décidé ce qui suit:

[TRADUCTION] Compte tenu des extraits tirés de la transcription du contre-interrogatoire de l’accusé et de l’ensemble des faits, j’en suis venu à la conclusion que je dois, en droit, laisser le jury se prononcer au sujet de cet article puisque je suis convaincu qu’une décision quant à

[Page 136]

l’applicabilité de l’article dépend des faits et il appartient au jury de se prononcer sur ces faits.

Le juge a indiqué au jury qu’il devait trouver Farrant coupable soit de meurtre au deuxième degré soit d’homicide involontaire. Il n’y avait pas d’autre verdict possible. Après avoir traité des art. 218(1), 205 et 212 du Code criminel, le juge a abordé la question du meurtre imputé:

[TRADUCTION] Dans ce cas précis, le meurtre peut avoir été commis d’une autre façon en droit. Nous la désignons ordinairement sous l’appellation de «meurtre imputé». Cela se trouve dans un autre article, l’art. 213 et je vais encore une fois vous lire cet article.

Après avoir lu l’article, le juge poursuit:

[TRADUCTION] Donc la question à laquelle vous devez répondre en premier lieu est celle de savoir si l’accusé séquestrait Shannon Russell. Si vous concluez qu’il la séquestrait, je vous signale que rien n’indique qu’il ait eu une autorisation légitime quelconque de la séquestrer, donc vous n’avez pas de question à vous poser quant à la partie qui dit «sans autorisation légitime». La deuxième condition est qu’il doit y avoir eu mort d’un être humain et je crois que vous conclurez que c’est ce qui s’est produit. Par contre, la troisième condition est plus importante, c’est que la mort doit avoir été causée pendant qu’il commettait l’acte criminel de séquestration ou qu’il tentait de le commettre. Si vous croyez le témoignage de l’accusé que, alors qu’il était dans la maison, après le départ de tous les autres, il a pris l’arme et l’a déposée dans la cuisine quand Shannon Russell est devenue hystérique et qu’il est revenu simplement pour lui parler, vous devez vous demander: est-ce qu’il la séquestrait ou tentait de la séquestrer au moment où il est allé reprendre l’arme et a tiré le coup fatal; y avait-il séquestration à ce moment-là ou tentative de séquestration ou avait-il abandonné toute séquestration ou idée de séquestration qu’il avait d’abord eue et voulait-il simplement parler à Shannon? Encore une fois, à moins que vous ne soyez convaincus hors de tout doute raisonnable qu’il était en train de commettre l’acte de séquestration ou tentait de le commettre, vous devez accorder à l’accusé le bénéfice de ce doute et ne pas le trouver coupable en application de cet article en particulier. Par contre, si vous en êtes convaincus vous pouvez le trouver coupable de meurtre. Dans ce cas vous pouvez le trouver coupable qu’il ait eu ou non l’intention de causer sa mort ou l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’il savait de nature à causer sa mort et qu’il lui ait été indifférent que la mort s’ensuive ou non.

[Page 137]

Le juge a souligné au jury que la défense contestait la théorie de la poursuite selon laquelle l’accusé commettait ou tentait de commettre l’acte criminel de séquestration lorsque le coup fatal a été tiré:

[TRADUCTION] S’il y a eu séquestration, ce ne peut être que lorsque l’accusé avait la carabine en mains et a dit à Shannon qu’elle devait rester. Par la suite, il a mis fin à la séquestration, selon l’avocat de la défense, il a porté la carabine dans la cuisine et l’accusé voulait parler, c’était tout. Ce n’est que lorsqu’il n’a pas réussi à lui parler que le coup fatal a été tiré. La défense soutient que la prétention de la poursuite, selon laquelle il y a meurtre imputé, ne s’applique tout simplement pas aux faits. Si vous croyez le témoignage de l’accusé qu’il est allé porter la carabine dans la cuisine et est revenu dans le seul but de parler à Shannon, je serais d’accord avec l’avocat de la défense que vous pouvez conclure que l’article ne s’applique pas, mais il vous appartient de vous prononcer sur les faits, d’après la preuve que vous avez entendue. Je dois encore une fois vous avertir, vous devez être convaincus que l’accusé tentait de commettre cette infraction criminelle ou était en train de la commettre et convaincus hors de tout doute raisonnable avant de pouvoir appliquer l’art. 213.

Le juge revient sur ce sujet plus loin dans ses directives au jury:

[TRADUCTION] Je vous conseille de vous demander d’abord si la poursuite vous a convaincus qu’il y a eu meurtre au sens de l’art. 213, c.-à-d. celui qu’on appelle ordinairement le meurtre imputé. Avant de rendre un verdict fondé sur cet article, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que la mort est effectivement survenue au moment de la perpétration ou de la tentative de perpétration de l’acte de séquestration. Si vous venez à la conclusion qu’il n’y a jamais eu tentative de séquestrer Shannon, que la carabine n’a été utilisée que pour chasser les autres de la maison, ou qu’il a mis fin à l’usage de force pour séquestrer Shannon, quand il est allé porter la carabine dans la cuisine, ou si vous avez un doute raisonnable qu’il y ait eu, dans les circonstances, séquestration, vous ne devez pas déclarer l’accusé coupable en vertu de cet article. Si cependant vous en êtes convaincus votre tâche est accomplie, il vous est permis de déclarer l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré.

Le juge du procès a donné au jury des directives détaillées sur l’art. 212 du Code et sur les intentions requises pour fonder une déclaration de culpabilité en application de cet article.

[Page 138]

La Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le juge du procès a commis deux erreurs:

1) il a indiqué au jury qu’il pouvait rendre un verdict sur une accusation qui n’était ni mentionnée ni comprise dans l’acte d’accusation, ce qui constitue une directive au jury sur un sujet dont l’appelant n’était pas prévenu au moment d’enregistrer son plaidoyer;

2) il a omis de dire au jury que s’il concluait que l’appelant était coupable de meurtre en application de l’al. 214(5)a), il fallait, en droit, que le verdict soit celui de meurtre au premier degré.

Il faut souligner ici que le juge du procès n’a nulle part dans ses directives mentionné une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré, en application de l’al. 214(5)a) du Code criminel. Avec égards, je ne puis voir pourquoi il aurait dû parler de meurtre au premier degré alors que l’accusé n’en était même pas inculpé.

Le juge en chef Culliton, qui a rendu jugement au nom de la Cour d’appel de la Saskatchewan, dit ceci:

[TRADUCTION] AU début du procès, l’appelant a été accusé de meurtre au deuxième degré. Pour prouver cette infraction, il incombait à la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait causé la mort de Shannon Russell et qu’il l’avait fait avec l’une des intentions requises en vertu de l’art. 212. Il a été reconnu que l’appelant a causé la mort de Shannon Russell. Donc pour décider s’il était coupable ou non de meurtre au deuxième degré la seule question soumise au jury était de savoir si, à ce moment-là, il avait l’une des intentions énoncées à l’art. 212 et nécessaires pour constituer cette infraction.

Avec égards, le Juge en chef pose le problème de façon trop restreinte. Pour prouver l’infraction de meurtre au deuxième degré, il incombait à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable le fait non contesté que Farrant avait causé la mort de Shannon Russell et soit

a) qu’il avait une des intentions requises énoncées à l’art. 212 ou

b) qu’il avait causé sa mort en commettant ou tentant de commettre l’un des actes criminels énoncés à l’art. 213, en l’espèce la séquestration définie à l’art. 247, alors qu’il

[Page 139]

employait ou avait sur sa personne une arme et que la mort en a été la conséquence.

Avec égards pour la Cour d’appel de la Saskatchewan, je ne vois pas d’erreur dans les directives du juge du procès au jury. L’accusé Farrant a été inculpé de meurtre au deuxième degré en contravention du par. 218(1) du Code criminel:

218. (1) Quiconque commet un meurtre au premier degré ou un meurtre au deuxième degré est coupable d’un acte criminel et doit être condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

Comme les autres infractions décrites au Code criminel, le meurtre, tel le vol, peut être commis de différentes façons. L’homicide coupable peut être un meurtre en application de l’art. 212 ou de l’art. 213. Les deux articles commencent par les mots: «L’homicide coupable est un meurtre lorsque». Farrant a été accusé de meurtre. Il pouvait s’attirer les foudres de l’un ou l’autre article. Il y avait des éléments de preuve sur lesquels le jury pouvait conclure à la séquestration et le juge du procès a eu raison de dire qu’en droit il était tenu de soumettre au jury la question de l’application des art. 212 et 213.

La question centrale de ce pourvoi est de savoir s’il est possible de déclarer quelqu’un coupable de meurtre au deuxième degré conformément à l’acte d’accusation si, par l’effet de la loi, la preuve révèle que l’accusé aurait été coupable de meurtre au premier degré si on l’avait accusé de cette infraction. Pour être plus précis, existe-t-il une infraction de meurtre au deuxième degré par imputation par suite de séquestration, compte tenu de l’al. 214(5)a), qui édicte:

214. …

(5) Est assimilé au meurtre au premier degré, le meurtre

a) concommittant de la perpétration, ou d’une tentative à cet effet, d’une infraction prévue à l’article… 247 (enlèvement et séquestration);…

La poursuite soutient que la Cour d’appel a commis une erreur: 1) en concluant que l’accusation de meurtre au deuxième degré par imputation

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par suite de séquestration n’était pas comprise dans l’acte d’accusation et 2) en exigeant que l’accusation de meurtre imputé par suite d’une séquestration soit nécessairement une accusation de meurtre au premier degré. La poursuite soutient que l’art. 214 du Code criminel n’est qu’un article de classification et que la définition de l’homicide coupable qui est un meurtre se trouve aux art. 212 et 213. La poursuite affirme que lorsqu’elle porte une accusation de meurtre, elle n’a pas l’obligation de mentionner, dans l’acte d’accusation, si elle a l’intention d’invoquer l’art. 212 ou l’art. 213. En ordonnant un nouveau procès pour meurtre au deuxième degré, la Cour d’appel de la Saskatchewan a réduit les procédures à l’examen de l’art. 212, c’est-à-dire le meurtre intentionnel. La conséquence pratique de l’arrêt de la Cour d’appel, d’après la poursuite, est de porter atteinte aux pouvoirs discrétionnaires de la poursuite de choisir l’accusation qu’elle portera.

L’intimé Farrant soutient que le meurtre imputé par suite de séquestration est un meurtre au premier degré. En conséquence une directive relative à l’art. 213 doit nécessairement être une directive relative au meurtre au premier degré, dont l’acte d’accusation ne fait pas mention. Selon l’intimé, le texte de l’al. 214(5)a) n’est pas facultatif, mais obligatoire et déterminant. Pour obtenir une déclaration de culpabilité de meurtre imputé par suite d’une séquestration, il faut porter une accusation de meurtre au premier degré. Il n’y a pas eu d’accusation de meurtre au premier degré et l’accusé soutient qu’il a subi une injustice parce qu’il a dû faire face à une accusation de meurtre au premier degré fondé sur l’al. 214(5)a).

L’article 214 n’est toutefois pas celui qui définit les éléments de l’infraction de meurtre. Ce sont les art. 212 et 213 qui le font. L’article 214 ne crée pas d’infraction distincte, en droit, de meurtre au premier degré par imputation par suite d’une séquestration. Cet article est subordonné aux art. 212 et 213; il répartit, pour les fins de la sentence, les actes criminels définis aux art. 212 et 213 en meurtre au premier degré et meurtre au deuxième degré. L’importance de la distinction entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré tient à ce que le meurtre au

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premier degré comporte une sentence obligatoire d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans (art. 218 et 669a)). Une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré comporte obligatoirement aussi une sentence d’emprisonnement à perpétuité, mais la libération conditionnelle peut être accordée après 10 ans d’emprisonnement, à moins que le jury n’ait recommandé un plus grand nombre d’années.

Avec égards, la Cour d’appel de la Saskatchewan a commis une erreur en disant:

[TRADUCTION] La distinction importante entre le meurtre défini à l’al. 214(5)a) et le meurtre au deuxième degré défini à l’art. 212 tient à ce que pour obtenir une déclaration de culpabilité en application du premier article, il n’est pas nécessaire de prouver l’une ou l’autre des intentions exigées pour la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré visée à l’art. 212.

Il n’y a pas de distinction entre l’al. 214(5)a) et l’art. 212 pour ce qui est de l’intention. La présence ou l’absence d’intention est ce qui distingue les art. 212 et 213, mais non l’art. 214. L’intention est un élément de l’infraction de meurtre définie à l’art. 212, que celui-ci soit du premier ou du deuxième degré. La distinction entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré, à l’art. 214, ne se fonde pas sur l’intention; elle se fonde 1) sur la préméditation (par. 214(2)); 2) sur l’identité de la victime (214(4)); ou 3) sur la nature de l’infraction commise au moment de la perpétration du meurtre (par. 214(5)). La décision principale et essentielle que doit prendre le jury porte sur la question de savoir s’il y a eu meurtre soit en application de l’art. 212 soit, si la preuve le justifie, en application de l’art. 213. La considération des distinctions entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré n’entre nullement dans la formation de cette décision préliminaire. C’est après avoir conclu au meurtre qu’on passe à sa classification.

Soutenir que l’art. 214 est déterminant dans une situation comme celle-ci, c’est confondre les articles qui définissent les éléments de l’infraction de meurtre avec le processus de classification fourni par l’art. 214. La classification de l’art. 214 s’ap-

[Page 142]

plique dans le cadre de la sentence, mais elle ne détermine pas, en droit, l’infraction même de meurtre.

L’avocat de l’intimé a beaucoup insisté sur le caractère impératif de la version anglaise du par. 214(5). La version française l’est beaucoup moins. Le paragraphe se lit ainsi:

(5) Est assimilé au meurtre au premier degré, le meurtre…

À mon avis, une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré peut être confirmée lorsque cette infraction est portée à l’acte d’accusation, alors que l’accusé aurait pu, par l’effet de la loi, être reconnu coupable de meurtre au premier degré s’il avait été inculpé de cette infraction plus grave. Il y a eu, ces dernières années, un certain abandon du formalisme qui préside aux procédures criminelles. Il n’est pas nécessaire, dans un acte d’accusation comme celui-ci, où il y a inculpation de meurtre au deuxième degré, de mentionner le ou les articles précis du Code criminel qui définissent l’infraction. Il suffit d’énoncer la nature juridique de l’infraction (voir R. c. McKenzie, [1972] R.C.S. 409).

À mon avis, il n’y a pas d’erreur dans les directives du juge du procès au jury. Le verdict rendu par le jury est compatible aussi bien avec la constatation de l’intention requise en vertu de l’art. 212 qu’avec la constatation de meurtre imputé en vertu de l’art. 213.

IV

L’équité du procès

Même si, à mon avis, le droit et les faits justifiaient et même exigeaient que l’accusation soit portée en application de l’art. 213 du Code, il reste à déterminer si après que la poursuite eut décidé de porter l’accusation moindre de meurtre au deuxième degré, Farrant était en droit de conclure qu’il ne pouvait pas être jugé pour «un meurtre par suite d’une séquestration à l’aide d’un fusil», parce que l’art. 214 définit cette infraction comme un meurtre au premier degré. Bien que Farrant ne le dise pas expressément, son opposition donne à entendre que, lors du procès, la défense a mené sa cause en fonction de cette hypothèse; que le

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contre-interrogatoire des témoins de la poursuite et la déposition de Farrant lui-même ont été conduits selon l’hypothèse que la preuve de l’intention de séquestrer Shannon Russell n’était pas pertinente. Farrant soutient qu’en disant au jury qu’il pouvait rendre contre lui un verdict de meurtre en application de l’art. 213, le juge du procès a commis une erreur en l’exposant à être déclaré coupable d’un acte criminel dont il n’avait pas été accusé.

Je ne crois pas que ce moyen puisse être retenu. L’avocat connaissait l’existence de l’art. 213 du Code et il savait ou aurait dû savoir que, dans une affaire de meurtre, la poursuite pouvait invoquer cet article si la preuve révélait l’existence d’une séquestration.

Dans sa déclaration préliminaire, le substitut du procureur général a relaté les événements qui ont conduit au coup de feu, et on pouvait en conclure que la séquestration pouvait faire partie des arguments de la poursuite. En voici un extrait:

[TRADUCTION] TOUS les jeunes gens, dont Shannon, se sont préparés à quitter les lieux. Une minute ou deux plus tard, Ronny Farrant est revenu dans la maison avec une carabine à la main. Il a dit à tous de quitter les lieux et de laisser Shannon seule. Mary Kennedy a tenté d’entraîner Shannon par le bras, mais Ronny lui a dit de ne pas s’en mêler et de sortir. Quand le groupe est parti, Shannon était assise dans un fauteuil et pleurait, seule avec l’accusé.

Après la présentation de toute la preuve, y compris le contre-interrogatoire de l’accusé, on pouvait affirmer que les faits nécessaires à cette fin étaient là.

Il était loisible à la défense de faire n’importe quand avant ou pendant le procès une demande de détails afin de savoir si la séquestration serait soulevée. En l’absence d’une réponse négative à une telle question, l’avocat pouvait s’attendre à ce qu’on invoque l’art. 213.

De plus lorsque le substitut du procureur a demandé à la Cour de donner des directives au sujet de l’art. 213, il était loisible à la défense de demander le rappel de témoins, ou de demander la déposition d’autres témoins en vue de réfuter l’allégation de séquestration. Dans sa plaidoirie devant le juge du procès et devant cette Cour, l’avocat n’a

[Page 144]

pas indiqué ce qui aurait différé dans sa façon de mener l’affaire s’il avait su que l’art. 213 du Code allait être invoqué. Il n’a pas dit: «j’aurais fais ceci ou je n’aurais pas fait cela si j’avais su». Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il ne s’attendait pas à ce que la poursuite s’appuie sur l’art. 213, le juge du procès non plus, comme le révèlent ses observations. Néanmoins, d’après les faits et le droit, l’art. 213 était applicable.

À mon avis, il n’y a aucun fondement dans l’argument que l’accusé a subi un préjudice parce qu’il a dû être jugé selon le critère du meurtre au premier degré en vertu de l’al. 214(5)a). Il n’a pas été accusé de meurtre au premier degré, il ne pouvait pas être déclaré coupable de meurtre au premier degré (art. 511 du Code criminel); il n’a jamais couru le risque d’être déclaré coupable de cette infraction. Il est difficile de comprendre comment un accusé pourrait subir une injustice parce qu’il est déclaré coupable d’une infraction moins grave lorsque la preuve justifie une infraction plus grave. Dès le début, l’accusé court un risque moindre.

V

Les autres questions

Plusieurs autres moyens ont été soulevés en Cour d’appel de la Saskatchewan qui ne les a pas tranchés, étant donné sa décision sur le moyen principal.

Premièrement, on a soutenu que le juge a commis une erreur de droit quand il a parlé au jury de [TRADUCTION] «…la présomption selon laquelle une personne veut les conséquences naturelles de ses actes» et quand il a dit au jury de garder [TRADUCTION] «…à l’esprit qu’il est logique qu’une personne soit présumée vouloir les conséquences naturelles de ses actes». Le juge toutefois a indiqué très clairement qu’il s’agit d’une règle de bon sens et non d’un principe de droit. Il dit ceci:

[TRADUCTION] Vous pouvez vous fonder sur le principe de bon sens que tout adulte veut normalement les conséquences naturelles de ses actes, mais vous devez tenir compte de l’état d’esprit de cet accusé en particulier, au moment pertinent, et déterminer s’il a, lui-même, voulu les conséquences naturelles de ses actes ou si celles-ci lui étaient indifférentes.

[Page 145]

Précédemment dans ses directives il avait dit:

[TRADUCTION] C’est une conclusion que vous pouvez tirer. Si, d’après tous les faits de l’affaire, vous êtes d’avis qu’il ne faut pas conclure que l’accusé a voulu les conséquences naturelles de son acte, alors vous ne devez pas tirer la conclusion.

Je n’y vois pas d’erreur.

On soutient en deuxième lieu qu’après avoir refusé à la poursuite la permission de présenter des «faits similaires» en preuve, le juge a commis une erreur en autorisant la poursuite à contre-interroger l’accusé à propos de certaines voies de fait qui se seraient produites plusieurs mois avant l’infraction dont il était accusé. Pendant son interrogatoire principal, Farrant a répondu:

[TRADUCTION] Bon, à ce que je me souviens, c’est impossible, voyez-vous, ce n’est pas dans ma nature d’être violent, voyez-vous, de faire usage de violence ou d’une carabine, voyez-vous, pour obtenir ce que je veux. Ce n’est pas dans ma nature.

Le juge a permis à la poursuite de contre-interroger l’accusé à l’égard d’incidents allégués de voies de fait antérieures. Je ne crois pas qu’il ait eu tort de le faire, compte tenu du fait que Farrant avait mis le caractère non violent de son tempérament en cause dans son témoignage précédent.

On soutient en troisième lieu que le juge a commis une erreur de droit en décidant que la déclaration faite par l’accusé à la police avait été faite librement et était recevable en preuve, compte tenu des circonstances qui prévalaient et du droit applicable. J’ai lu la preuve avec soin et je ne vois rien qui puisse fonder la prétention que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge du procès ait commis une erreur de droit en recevant la déclaration en preuve.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan et de rétablir le verdict de première instance.

Pourvoi accueilli, les juges RITCHIE et WILSON sont dissidents.

Procureurs de l’appelante: Kenneth W. MacKay et D. Murray Brown, Regina.

Procureurs de l’intimé: Goldstein and Goldstein, Saskatoon.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Farrant
Proposition de citation de la décision: R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124 (8 février 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-02-08;.1983..1.r.c.s..124 ?
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