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01/03/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._245

Canada | Conseil canadien des relations du travail c. Halifax Association des débardeurs, Local 269, [1983] 1 R.C.S. 245 (1 mars 1983)


Cour suprême du Canada

Conseil canadien des relations du travail c. Halifax Association des débardeurs, Local 269, [1983] 1 R.C.S. 245

Date: 1983-03-01

Conseil canadien des relations du travail (Intimé) Appelant;

et

David C. Nauss (Intimé) Appelant;

et

Association des débardeurs d’Halifax, section locale 269 de l’Association internationale des débardeurs (Requérante) Intimée;

et

Peter H. Roberts (Intimé) Intimé;

et

Association des employeurs maritimes (Intimée) Intimée;

N° du greffe: 16625.


Conseil canadien des relations du travail (Intimé) Appelant;

et

Section locale 1764 de l’Association internationale des débardeurs (Stea...

Cour suprême du Canada

Conseil canadien des relations du travail c. Halifax Association des débardeurs, Local 269, [1983] 1 R.C.S. 245

Date: 1983-03-01

Conseil canadien des relations du travail (Intimé) Appelant;

et

David C. Nauss (Intimé) Appelant;

et

Association des débardeurs d’Halifax, section locale 269 de l’Association internationale des débardeurs (Requérante) Intimée;

et

Peter H. Roberts (Intimé) Intimé;

et

Association des employeurs maritimes (Intimée) Intimée;

N° du greffe: 16625.

Conseil canadien des relations du travail (Intimé) Appelant;

et

Section locale 1764 de l’Association internationale des débardeurs (Steamship Checkers, Cargo Repairmen, Weighers and Samplers) (Requérante) Intimée;

et

Ronald W. Lockhart (Intimé) Intimé;

Charles G. Wilson (Intimé) Intimé;

et

Association des employeurs maritimes (Intimée) Intimée.

N° du greffe: 16849.

1983: 1er février; 1983: 1er mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1981), 124 D.L.R. (3d) 171, 37 N.R. 242, [1981] 2 C.F. 827, qui a fait droit à la demande de l’Association des débardeurs d’Halifax tendant à l’examen et à l’annulation d’une partie d’une décision du Conseil canadien des relations du travail (1980), 42 di 55, [1981] 1 Can LRBC 188. Pourvoi accueilli.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale qui a fait droit à la demande de l’Association internationale des débardeurs tendant à l’examen et à l’annulation d’une partie d’une décision du Conseil canadien des relations du travail (1980), 42 di 89, [1981] 1 Can LRBC 213. Pourvoi accueilli.

Ian Scott, c.r., et Eric B. Durnford, pour l’appelant le Conseil canadien des relations du travail.

Robert Monette, pour l’intimée l’Association des employeurs maritimes.

Personne n’a comparu pour les employés ni pour les syndicats.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ces deux pourvois du Conseil canadien des relations du travail ont été entendus ensemble, ayant fait l’objet d’un seul plaidoyer par le même avocat. Ils soulèvent le même point de droit, savoir, si la Cour d’appel fédérale, composée en partie de membres différents, a eu raison d’annuler, dans deux demandes distinctes présentées en vertu du pouvoir de révision de cette cour suivant l’art. 28, une partie de l’ordonnance du Conseil qui accorde le même redressement dans chaque cas pour la même infraction à l’art. 161.1 du Code canadien du travail. On ne met pas en doute ici l’à-propos de la conclusion du Conseil qu’il y a eu infraction, la même infraction dans chacun des deux cas, à l’art. 161.1 du Code canadien du travail. Ce qui a provoqué le pourvoi en l’espèce, c’est le refus de la Cour d’appel fédérale de maintenir dans chaque cas, relativement à l’infraction, une certaine partie du redressement ordonné par le Conseil en vertu des pouvoirs que lui accorde l’art. 189 du Code.

[Page 248]

Les présents pourvois comportent un aspect exceptionnel en ce sens qu’aucun des syndicats qui ont présenté les demandes de révision à la Cour d’appel fédérale et qui ont eu gain de cause sur la question en l’espèce n’a pris part au débat devant cette Cour; pas plus que l’association des employeurs, la même dans chaque cas, qui était partie aux procédures devant le Conseil et devant la Cour d’appel fédérale dans chaque cas. Il y a également le fait qu’aucun des quatre employés dont les plaintes dans les deux cas ont amené l’allégation d’infraction devant le Conseil (David Nauss et Peter Roberts dans un cas, et Ronald Lockhart et Charles Wilson dans l’autre cas) n’est intervenu au pourvoi, même s’ils étaient intimés dans chaque cas devant la Cour d’appel fédérale. Les avocats de Nauss et de l’Association des employeurs maritimes représentaient leurs clients respectifs à l’audience de cette Cour, mais comme je l’ai dit, aucun n’a pris part aux débats. Brièvement, seul le Conseil attaque les ordonnances de la Cour d’appel fédérale comme ayant conclu à tort à une erreur de compétence. Certes, cela ne dispense pas cette Cour d’examiner la décision du Conseil. Les pourvois ne réussissent pas en cette Cour du seul fait que des intimés omettent de comparaître, et la Cour ne refuse pas d’entendre un appelant à moins qu’il apparaisse qu’il n’y a pas de litige ou que l’appelant a perdu par ailleurs le droit de poursuivre les procédures. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Les questions soumises au Conseil

L’article 161.1 du Code, adopté par 1977-78 (Can.), chap. 27, art. 58, visait un but précis qui se reflète dans ses termes. Il s’applique en particulier aux syndicats qui, de concert avec les employeurs, exploitent des bureaux d’embauchage qui surveillent, sous réserve de ce que prescrivent les conventions collectives pertinentes, l’embauchage des syndiqués et des personnes qui cherchent un emploi dans ce domaine d’activités. Les deux syndicats de débardeurs contre lesquels les plaintes ont été portées en l’espèce illustrent, dans les pratiques qu’ils ont employées, les abus que l’art. 161.1 visait à éliminer, pour autant qu’il était possible de le faire tout en conservant la présentation aux employeurs par l’entremise des bureaux d’embauchage du syn-

[Page 249]

dicat. C’est en vertu de l’art. 161.1 que les plaintes ont été portées par les plaignants respectifs contre la section locale 269 de l’Association des débardeurs d’Halifax dans un cas, et contre la section locale 1764 de l’Association internationale des débardeurs dans l’autre.

L’article 161.1 se lit ainsi:

161.1 (1) Lorsque, conformément à une convention collective, un syndicat s’occupe de la présentation à un employeur de personnes en quête d’un emploi, il doit appliquer de façon juste et sans discrimination, les règles qu’il a établies à ce sujet.

(2) À l’intérieur des locaux du syndicat où se réunissent habituellement les personnes qui désirent être présentées à un employeur doivent être affichées d’une manière visible les règles que le syndicat applique en vertu du paragraphe (1).

(3) Le syndicat doit établir, sans délai après la mise en vigueur du présent article, les règles visées au paragraphe (1) dans le cas où elles n’ont pas été établies avant cette date.

(4) Dans le présent article «présentation» comprend l’affectation, la désignation, l’inscription et la sélection.

Cette disposition a été ajoutée à la liste des obligations imposées par la loi à la violation desquelles le Conseil était autorisé à remédier. Elle se joignait ainsi aux autres obligations prévues au Code qui étaient assujetties au pouvoir de redressement du Conseil, parmi lesquelles l’art. 136.1 (qui impose l’obligation de représenter de façon juste tous les employés de l’unité de négociation) et l’art. 185 (concernant certaines pratiques interdites au syndicat). Le pouvoir de redressement est régi par l’art. 189 qui est rédigé dans les termes généraux suivants:

189. Lorsque, en vertu de l’article 188, le Conseil décide qu’une partie que concerne une plainte a enfreint … l’un des articles 136.1, … 161.1, … 185 …, il peut, par ordonnance, requérir ladite partie de se conformer à … cet article…

en outre, afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente Partie, le Conseil peut, à l’égard de toute infraction à quelque disposition visée par le présent article, exiger d’un employeur ou d’un syndicat, par ordonnance, de faire ou de s’abstenir de faire toute chose

[Page 250]

qu’il est juste de lui enjoindre de faire ou de s’abstenir de faire afin de remédier ou de parer à toute conséquence défavorable à la réalisation des objectifs susmentionnés que pourrait entraîner ladite infraction, et ce en plus ou à la place de toute ordonnance que le Conseil est autorisé à rendre en vertu du présent article.

Les plaignants étaient, respectivement, un détenteur de carte (Nauss) qui, en tant que débardeur, était convoqué au travail après la présentation des membres du syndicat; un débardeur en disponibilité (Roberts) qui n’avait pas de carte du syndicat et était au bas de la liste des personnes présentées; et deux contrôleurs de navires (Lockhart et Wilson) qui devaient également céder le pas aux membres du syndicat pour la présentation et n’étaient convoqués que lorsque les membres du syndicat étaient déjà au travail. Dans les deux cas, aucun des quatre plaignants n’était membre du syndicat au sens des conventions collectives en vigueur. Bien que leur salaire fût le même lorsqu’ils obtenaient un emploi sur présentation, ils n’avaient pas droit à la pension et aux avantages connexes dont seuls les membres du syndicat bénéficiaient et, évidemment, ils ne pouvaient prendre part aux activités des syndicats qui régissaient leurs moyens d’existence.

En portant plainte, les quatre plaignants n’ont pas seulement cherché à faire réformer le système de présentation tel qu’il était administré par les deux syndicats, mais ils ont demandé également à être admis en tant que membres à part entière de ces syndicats. Bien que quelques personnes y fussent parvenues, aucun des plaignants n’avait réussi à se faire admettre comme membre d’un syndicat.

Au cours de longues audiences tenues dans chaque cas, et dans des motifs très approfondis qui laissent assez voir la façon arbitraire et discriminatoire suivant laquelle était administré le système de présentation, le Conseil a conclu dans chaque cas qu’il y avait eu violation évidente de l’art. 161.1. Ces conclusions n’ont pas été contestées en Cour d’appel fédérale et ne peuvent être contestées ici. Étant donné les nombreuses constatations d’infractions à l’art. 161.1 qu’a relevées le Conseil, il n’est pas nécessaire de les examiner en détail, mais il convient de citer brièvement certaines des conclusions du Conseil.

[Page 251]

Ainsi, le Conseil a dit, concernant le syndicat des débardeurs d’Halifax:

Le syndicat a été dirigé et s’est comporté comme s’il s’agissait d’un club exclusif privilégié plutôt que d’un syndicat moderne. De deux choses l’une: ou il n’a ni règlements ni statuts légaux ou ses dirigeants n’en sont pas au courant. Aucune règle n’indique les occasions où l’exécutif peut intervenir et des personnes non élues qui se rapportent à personne, semblent posséder un plus grand pouvoir sur les affaires du syndicat que certains de ses dirigeants élus. Le syndicat ne peut pas dire si une règle concernant l’ancienneté s’applique lorsqu’il affecte les ouvriers, rôle pourtant essentiel qu’il est appelé à jouer quotidiennement. M. Westlake affirme que c’est bien le cas, mais aucune preuve n’a été produite qui indique que ce critère a été accepté. M. Westlake a eu l’idée de l’appliquer, mais les membres ne l’ont jamais approuvé; or, l’exécutif l’aurait approuvé. Il a été appliqué à l’égard de Percy Carvery, mais non de Blair Wilson. Il s’agit néanmoins d’une question extrêmement importante qui influe sur la vie quotidienne de tous les membres, mais qui n’a jamais été soumise à leur approbation. Ce climat engendre des soupçons, de l’appréhension et de l’antagonisme, situation qui n’aurait peut-être pas toujours sa raison d’être si tout était plus ouvert et mieux structuré.

Nous concluons que le syndicat a enfreint l’article 161.1 en ce sens qu’il n’a pas établi et affiché des règles comme il est stipulé. Nous concluons que ces règles doivent nécessairement inclure des règles relatives à l’adhésion et que si ces règles donnent la priorité aux détenteurs de cartes, ce qui est raisonnable à notre avis, elles doivent obligatoirement contenir des règles permettant à un détenteur de carte de déterminer à l’occasion si son nom a été inscrit à l’endroit approprié sur la liste prioritaire et s’il maintient son rang. Toutes ces règles doivent être justes et non discriminatoires. L’article 161.1(1) stipule qu’un syndicat, après avoir établi des règles, doit les appliquer de façon juste et sans discrimination.

Dans ses motifs dans la deuxième affaire, celle qui concerne la section locale 1764 de l’Association internationale des débardeurs, le Conseil a dit entre autres:

Comme nous l’avons dit, aucune règle sur la présentation des ouvriers à l’employeur n’est affichée pour la bonne raison qu’il n’en existe pas. Depuis que les plaintes qui nous occupent ont été déposées, près de onze pratiques ont été consignées par écrit, mais elles n’ont pas été étudiées ni adoptées par les dirigeants ou les membres.

[Page 252]

Les principes généraux de politique dont il est question en l’espèce ont déjà été exposés dans une décision rendue dans le cadre d’une affaire parallèle mettant en cause une autre section locale de l’A.I.D. au port d’Halifax (voir David Nauss et al., 42 di 55; [1981] 1 Can. LRBR 188). Nous n’avons pas l’intention de répéter ici ce que nous avons déjà affirmé dans cette affaire et dans des affaires précédentes.

Un point toutefois mérite notre attention à cause de la position du syndicat en l’espèce. L’argument du syndicat implique qu’il n’est pas tenu de formuler des règles écrites aux termes du paragraphe 161.1(3) si le syndicat n’est pas logé dans des locaux du genre décrit au paragraphe 161.1(2). Par conséquent, toute décision rendue par le Conseil en vertu du paragraphe 161.1(1) peut tenir compte des règles officieuses ou des pratiques établies.

Selon le Conseil, cet argument constitue une mauvaise interprétation de la portée de l’article 161.1. Le devoir de présentation juste «comprend l’affectation, la désignation, l’inscription ou la sélection». Cette obligation est claire de par son libellé et aussi en raison de l’endroit où elle figure dans le Code. Elle comprend toutes les formes de présentation, y compris celles en usage dans un atelier fermé. Cet article s’applique à toutes les méthodes de présentation utilisées par un syndicat aux termes d’une convention collective. Si pour être affecté, désigné, inscrit et choisi un ouvrier doit être membre du syndicat, alors des règles doivent être édictées, notamment sur l’acquisition, la retention et la perte du titre de membre du syndicat.

De même, si les conditions énoncées au paragraphe 161.1(2) existent, alors des règles doivent être affichées. Si ce n’est pas le cas, le Conseil élaborera un redressement qui respecte le but et l’intention de cette prescription (voir Gary Meagher, 41 di 95).

Le syndicat n’a aucune règle écrite. Cette lacune seule constitue une infraction à l’article 161.1. De même le syndicat n’a aucune règle sur l’adhésion, qui constitue une partie intégrante de son système de présentation d’employés. Ses membres ont été choisis dans le cadre d’un scrutin secret, qui prenait les allures d’un club exclusif, où certains décisionnaires ne connaissaient même pas les candidats. Les pratiques du syndicat sont si démodées et si déphasées par rapport à notre conception actuelle des importants pouvoirs discrétionnaires qui lui ont été conférés qu’elles choquent les soussignés qui sont appelés à faire affaire quotidiennement avec d’autres syndicats. Aucun effort n’a été déployé afin de formuler des critères objectifs servant à déterminer qui travaillera et qui ne travaillera pas.

[Page 253]

Le syndicat a manqué d’une manière flagrante à son devoir de présentation juste et à celui de formuler des règles justes sur la présentation aux termes de l’article 161.1. Nous nous en tiendrons là et nous ne rendrons pas de décision au sujet de l’article 136.1 ni de l’alinéa 185f), mais le syndicat doit bien comprendre l’importance de sa responsabilité envers les membres et les personnes en quête d’un emploi afin d’assurer la réalisation des objectifs du Code. Le redressement élaboré accorde plus de poids à cet objectif qu’au bien-fondé des préoccupations de l’employeur.

Les citations tirées des deux ensembles de motifs du Conseil suffisent pour montrer à quel point l’administration des systèmes de présentation aux employeurs par les syndicats était arbitraire. Les motifs du Conseil qui sont contenus dans les dossiers produits dans cette Cour révèlent beaucoup plus, mais il suffit de s’y référer de façon globale.

La question du redressement approprié

Dans sa décision concernant le redressement qui doit être prescrit en regard des infractions à l’art. 161.1, le Conseil devait se préoccuper non seulement de ramener les deux syndicats à l’ordre et de leur ordonner de se conformer aux prescriptions de la Loi, mais également de reconnaître l’importance de faire quelque chose pour les plaignants qui avaient agi avec courage dans l’intérêt de tous les employés non syndiqués et des employés éventuels. Je suis d’accord avec le Conseil qu’il ne suffirait pas, dans un cas comme celui-ci, d’accorder simplement aux plaignants un redressement sous la forme d’un système de présentation adéquat. Ainsi, le Conseil s’est autorisé des très vastes pouvoirs que lui accorde l’art. 189 pour exiger des syndicats «de faire ou de s’abstenir de faire toute chose qu’il est juste de [leur] enjoindre de faire ou de s’abstenir de faire afin de remédier ou de parer à toute conséquence défavorable à la réalisation des objectifs [de l’art. 161.1] que pourrait entraîner ladite infraction… ».

Dans chaque cas, le Conseil a prescrit ce qui suit. L’ordonnance à l’encontre de l’Association des débardeurs d’Halifax se lit ainsi:

Après l’audition des plaintes déposées par MM. David Nauss et Peter Roberts, le Conseil canadien des relations du travail a déterminé que la section locale 269 a

[Page 254]

dirigé son bureau d’embauchage d’une façon qui va à l’encontre des dispositions du Code canadien du travail.

Afin de remédier à cette situation, le Conseil a ordonné ce qui suit:

1. M. David Nauss sera admis dans les rangs du syndicat à compter du 15 janvier 1981 après avoir versé des droits d’adhésion de $1,000.

2. Le nom de M. Peter Roberts sera inscrit sur la liste des détenteurs de cartes.

3. Le syndicat doit rédiger une série de règles relatives à la présentation à l’employeur des personnes en quête d’emploi, y compris des règles relatives à l’adhésion au syndicat et à l’octroi des cartes avant le 1er mars 1981. Ces règles doivent être affichées d’ici le 1er mars 1981 et rester affichées.

Le Conseil canadien des relations du travail a prévu la tenue d’une audition qui aura lieu à Halifax du 30 mars 1981 au 3 avril 1981. Au cours de cette audition, le Conseil règlera toutes les questions se rapportant à ce redressement.

L’ordonnance du Conseil concernant l’autre syndicat se lit ainsi:

Nous ordonnons au syndicat de prendre les mesures suivantes:

(1) admettre MM. Wilson et Lockhart dans ses rangs le 15 décembre 1980 ou avant cette date;

(2) reprendre et poursuivre sérieusement le travail du Comité conjoint de la main‑d’oeuvre;

(3) élaborer des règles concernant la présentation d’employés conformément aux dispositions de l’article 161.1 le 1er mars 1981 ou avant cette date;

(4) présenter ces règles au Conseil et les distribuer à tous les membres du syndicat;

(5) après le 1er mars 1981, fournir un exemplaire des règles sur demande;

(6) soumettre toute modification postérieure des règles au Conseil;

(7) avertir tous les membres du syndicat que des règles doivent être formulées et que le travail doit être terminé d’ici le 1er mars 1981.

Le Conseil ne rend pas d’ordonnance officielle parce qu’il ne le croit pas nécessaire pour l’heure. Il reprendra l’affaire à une date ultérieure, soit après le 1er mars 1981, pour déterminer l’efficacité du redressement accordé et jusqu’à quel point les mesures prescrites ont été respectées.

[Page 255]

La Cour d’appel fédérale

Dans chacun des cas, tout en confirmant l’ordonnance du Conseil à l’endroit des syndicats relativement à la présentation aux employeurs, la Cour d’appel fédérale a annulé les parties des ordonnances du Conseil qui ordonnent d’admettre Nauss comme membre du syndicat, d’ajouter Roberts à la liste des détenteurs de cartes et d’admettre Lockhart et Wilson comme membres du syndicat. La Cour est d’avis que ces dispositions outrepassent la compétence du Conseil; elle dit que le pouvoir du Conseil d’accorder un redressement se limite à l’établissement d’un système juste et non discriminatoire de présentation et que, en fait, le Conseil a agi de façon répressive plutôt que de façon réparatrice.

Certes, il est exact que le Code canadien du travail ne donne au Conseil aucun pouvoir général de surveillance sur l’admission des personnes dans les rangs d’un syndicat. Cependant, le Conseil possède en vertu de l’al. 189d) du Code un pouvoir restreint d’ordonner l’admission dans les cas d’infractions aux al. 185f) et h). La Cour d’appel paraît avoir été portée à se demander si l’al. 189d) ne prévoyait pas toutes les circonstances qui permettent au Conseil de prononcer une ordonnance de ce genre. Ce point de vue peut se justifier, mais il me semble que le pouvoir de redressement accordé au Conseil lui est accordé dans des termes assez généraux au dernier paragraphe de l’art. 189 pour qu’il ne puisse être exclu dans un cas spécial, et c’est ce genre de cas que l’avocat du Conseil fait valoir dans cette Cour.

Dans l’élaboration d’un redressement autorisé en des termes aussi généraux, le pouvoir discrétionnaire du Conseil doit être respecté encore plus que lorsque le Conseil est contesté pour avoir excédé son pouvoir de décider s’il y a eu violation d’une disposition importante du Code. En même temps, les considérations d’équité et d’opportunité ne doivent pas être éloignées du redressement d’une infraction établie au point de dépasser tout paramètre rationnel. Il est évident que nous avons en l’espèce une situation unique à laquelle le Conseil a appliqué un pouvoir de redressement qui n’est pas incontestable. Il nous faut alors décider si, dans la situation précise dont le Conseil a été

[Page 256]

saisi, nous devrions évaluer le pouvoir du Conseil avec autant de sévérité que nous le ferions s’il s’agissait d’examiner la question en première instance et confirmer ainsi la décision de la Cour d’appel fédérale.

Les précédents

Il est très souvent difficile de distinguer entre un exercice légitime et un exercice illégitime d’un pouvoir par un tribunal administratif, quelqu’éten-due que soit sa compétence, lorsque l’exercice du pouvoir comporte des considérations contradictoires. Depuis plusieurs années, cette Cour estime qu’il est plus conforme aux objectifs du législateur dans un cas comme celui-ci d’avoir plutôt plus que moins d’égards pour les tribunaux administratifs qui s’acquittent de tâches difficiles, comme c’est le cas du Conseil.

Pour souligner notre façon d’envisager la question, j’estime nécessaire de citer uniquement deux arrêts assez récents de cette Cour: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 et Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710. Dans les deux cas, des dispositions privatives, comme dans le cas en l’espèce, protégeaient les tribunaux administratifs contre la révision de leurs décisions sauf sur des questions de compétence. Dans l’affaire Société des alcools du Nouveau-Brunswick, le juge Dickson a dit au nom de la Cour (à la p. 233):

Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. À mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard.

Et plus loin (aux pp. 235 et 236):

On veut protéger les décisions d’une commission des relations de travail, lorsqu’elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal spécialisé chargé d’appliquer une loi régissant l’ensemble des relations de travail. Aux fins de l’administration de ce régime, une commission n’est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s’est déve-

[Page 257]

loppé à partir du système de négociation collective, tel qu’il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

Les raisons habituelles pour lesquelles les tribunaux évitent de réviser les décisions des commissions des relations de travail prennent encore plus de poids dans un cas comme celui-ci. Ce n’est pas simplement à un organisme administratif que le législateur a donné un pouvoir de décision, mais à un organisme spécial et distinct, une Commission des relations de travail dans les services publics. Elle a de larges pouvoirs — plus étendus que ceux normalement conférés à pareil organisme — afin de surveiller et d’administrer le tout nouveau système de négociation collective créé par la Loi relative aux relations de travail dans les services publics. Cette loi établit un équilibre délicat entre le besoin de maintenir des services publics et le besoin de préserver la négociation collective. Pour atteindre ce double but, les membres de la Commission doivent donc faire preuve d’une grande sensibilité à ces questions et d’une habileté unique.

Dans l’arrêt Massicotte, cette Cour a examiné les remarques faites dans l’arrêt Société des alcools du Nouveau-Brunswick et a ajouté cette conclusion, en mentionnant également les motifs de jugement du juge Dickson dans l’arrêt Union internationale des employés des services, locale n° 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382. Elle a dit (à la p. 724):

Cet arrêt et l’arrêt Nipawin signifient clairement qu’un simple doute quant à l’exactitude d’une interprétation donnée par un conseil des relations du travail au sujet des pouvoirs que la loi lui attribue ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à une erreur de compétence, spécialement si ce conseil exerce les pouvoirs qui lui sont conférés, en termes généraux, de résoudre des prétentions contradictoires. Dans la mesure où les arrêts Anisminic et Metropolitan Life Insurance portent sur ce qu’on est convenu d’appeler le critère de compétence de la «mauvaise question», ils ne sont d’aucune utilité en l’espèce. Il est impossible d’affirmer que le Conseil canadien des relations du travail s’est posé la mauvaise question dans le sens qu’il se serait écarté de l’enquête à laquelle il procédait. Il a examiné la question soulevée par la plainte et a exercé les pouvoirs qui s’y rapportent et qu’il possède clairement. Au fond, l’objection porte sur les conséquences de cet exercice, ce qui est loin d’être une question de compétence.

[Page 258]

Comme je l’ai déjà fait remarquer, il n’y a pas de doute que nous sommes à la limite permise, et la décision en l’espèce ne doit en rien être interprétée comme établissant quelque principe général. Il peut se trouver un domaine du droit relatif au contrôle par les cours supérieures des décisions des autres tribunaux, tant judiciaires qu’administratifs, dans lequel se posent des questions plus fondamentales que celles qui se posent en l’espèce. Certes, il faudra à l’occasion préciser les limites exactes du contrôle de la compétence lorsqu’un tribunal administratif, en répondant à des questions de fait, doit interpréter et exercer ses attributions, qu’elles lui viennent d’un contrat ou de la loi. La décision en l’espèce ne doit pas être interprétée comme s’appliquant à ces considérations, puisque nous devons répondre en l’espèce à une question unique et restreinte qui découle du cadre exceptionnel de ces relations de travail. Le redressement accordé en l’espèce se fonde carrément sur le fait que les plaignants ont dénoncé une infraction qui a été clairement établie et qui commande qu’on leur accorde, en tant qu’individus, redressement et protection en plus du redressement que le Conseil a accordé aux autres employés non syndiqués.

Compte tenu de ces circonstances particulières, je suis d’avis d’accueillir les pourvois et de rétablir dans sa totalité le redressement qu’a ordonné le Conseil. La question des dépens ne se pose pas en l’espèce.

Pourvois accueillis.

Procureur de l’appelant le Conseil canadien des relations du travail: Eric B. Durnford, Halifax.

Procureur de l’ intimée l’Association des employeurs maritimes: Robert Monette, Montréal.


Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Relations de travail - Conseil canadien des relations du travail - Pouvoir de redressement - Compétence.

[Page 246]

— Le Conseil a-t-il outrepassé sa compétence en ordonnant à des syndicats d’admettre certaines personnes dans leurs rangs? — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 et modifications, art. 161.1, 189.

Deux débardeurs non syndiqués dont la demande d’adhésion avait été rejetée par l’Association des débardeurs d’Halifax, section locale 269, et deux autres dont la demande avait été rejetée par la section locale 1764 de l’Association internationale des débardeurs, ont porté plainte devant le Conseil canadien des relations du travail. Le Conseil a conclu que, dans les deux cas, les syndicats ont manifestement violé l’art. 161.1 qui impose l’obligation d’être juste dans la présentation à un employeur de personnes en quête d’un emploi et d’établir des règles à cet effet. S’autorisant des vastes pouvoirs que lui accorde l’art. 189, le Conseil a ordonné aux syndicats (1) d’admettre trois des quatre plaignants comme membres et d’élever l’autre au rang de détenteur de carte et (2) de rédiger une série de règles relatives à la présentation à l’employeur de personnes en quête d’un emploi. Dans l’un et l’autre cas, la Cour d’appel fédérale a annulé la partie de l’ordonnance du Conseil qui apportait un redressement aux plaintes relatives à l’adhésion, donnant pour motif que le Conseil avait outrepassé sa compétence en ce sens que son pouvoir d’accorder un redressement se limite à l’établissement d’un système juste et non discriminatoire de présentation pour des emplois.

Arrêt: Les pourvois sont accueillis.

Le Code canadien du travail ne donne au Conseil aucun pouvoir général de surveillance sur l’admission de personnes dans les rangs d’un syndicat. Toutefois, le pouvoir de redressement qu’a le Conseil lui est accordé dans des termes tellement généraux au dernier paragraphe de l’art. 189 que ce redressement ne doit pas être exclu dans un cas particulier. En l’espèce, il ne suffit pas d’accorder simplement aux plaignants un système de présentation adéquat. Il est plus conforme aux objectifs du législateur d’avoir plutôt plus que moins d’égards pour les tribunaux administratifs qui s’acquittent de tâches difficiles, comme c’est le cas du Conseil.


Parties
Demandeurs : Conseil canadien des relations du travail
Défendeurs : Halifax Association des débardeurs, Local 269

Références :

Jurisprudence: arrêts suivis: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227

Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710

arrêt mentionné: Union internationale des employés des services, local n° 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382.
[Page 247]

Proposition de citation de la décision: Conseil canadien des relations du travail c. Halifax Association des débardeurs, Local 269, [1983] 1 R.C.S. 245 (1 mars 1983)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/03/1983
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 245 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-03-01;.1983..1.r.c.s..245 ?
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