La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/03/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._283

Canada | Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community Triglav Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283 (1 mars 1983)


Cour suprême du Canada

Triglav c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283

Date: 1983-03-01

Zavarovalna Skupnost Triglav (Insurance Community Triglav Ltd.) Appelante;

et

Terrasses Jewellers Inc. et Banque de Montréal Intimées;

et

Le procureur général du Canada et le procureur général du Québec Intervenants.

N° du greffe: 16980.

1982: 14, 15 décembre; 1983: 1er mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRA

LE

POURVOI contre deux arrêts de la Cour d’appel fédérale qui ont confirmé deux jugements de la Division de première instance. ...

Cour suprême du Canada

Triglav c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283

Date: 1983-03-01

Zavarovalna Skupnost Triglav (Insurance Community Triglav Ltd.) Appelante;

et

Terrasses Jewellers Inc. et Banque de Montréal Intimées;

et

Le procureur général du Canada et le procureur général du Québec Intervenants.

N° du greffe: 16980.

1982: 14, 15 décembre; 1983: 1er mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

POURVOI contre deux arrêts de la Cour d’appel fédérale qui ont confirmé deux jugements de la Division de première instance. Pourvoi rejeté.

Roland Chauvin, c.r., et Claude Bédard, pour l’appelante.

Gerald P. Barry, pour les intimées.

Raynold Langlois et John G. O’Connor, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Jean-K. Samson et Odette Laverdière, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD — Le pourvoi attaque deux arrêts de la Cour d’appel fédérale en date du 3 février 1982 qui confirment deux jugements de la Division de première instance.

Le pourvoi met en question la constitutionnalité de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, telle que modifiée, et plus particulièrement de l’al. r) du par. (2) qui confère à la Division de première instance de la Cour fédérale compétence concurrente avec les cours provinciales relativement à toute demande née d’un contrat d’assurance maritime ou y relative.

Est également mise en question la compétence de la Cour fédérale sur l’appelante, une compagnie yougoslave, relativement à un contrat d’assurance maritime intervenu en Yougoslavie entre elle et un assuré yougoslave et ayant pour objet des biens expédiés de Yougoslavie. L’appelante précise qu’elle n’a aucun bien au Canada, qu’elle n’y a pas de bureau, qu’elle n’y transige aucune affaire et

[Page 286]

que, sauf aux fins de recevoir un avis de perte tel que stipulé au contrat, elle n’y a aucun représentant.

Les intimées Terrasses Jewellers Inc. et la Banque de Montréal qui a été subrogée dans ses droits et recours, ont présenté en Cour fédérale une réclamation contre l’appelante en vertu de la police d’assurance émise par celle-ci.

Les faits sur lesquels les intimées appuient leur réclamation sont résumés de la façon suivante par l’appelante:

L’Intimée Terrasses Jewellers Inc., une compagnie québécoise, a acquis l’intérêt requis dans une police d’assurance émise par l’Appelante, une compangie yougoslave, à une autre compagnie yougoslave, Zlaterne Celje, ou ordre.

Cette police d’assurance s’appliquait à divers biens, soit 11 caisses d’articles de cristal et une caisse d’articles de bijouterie en or, argent et platine.

Ces mêmes biens ont été acquis par l’Intimée Terrasses Jewellers Inc. de Zlaterne Celje.

Les biens ont été mis dans un conteneur («container») pour transport à partir de Celje, en Yougoslavie, jusqu’à un entrepôt à Montréal, y compris transport par le navire «PRISTINA» du port de Koper, en Yougoslavie, jusqu’au port de Montréal.

La police garantissait contre divers risques, dont le vol et le défaut de livraison, pendant ce transport.

La police stipulait une valeur agréée des biens de U.S. $845,543.00.

Le conteneur, après transport, a été ouvert à un entrepôt à Montréal, et constatation a alors été faite qu’il y manquait la caisse de bijouterie.

L’Intimée Terrasses Jewellers Inc. a donné avis verbal et écrit aux agents montréalais de l’Appelante désignés dans la police (Hayes, Stuart & Co. Ltd.) et a produit les documents qui lui ont été demandés.

La valeur (part de la valeur agréée pour fins d’assurance) des articles de bijouterie était U.S. $815,843.00, ou Can. $1,100,000.00.

L’Appelante a nié responsabilité en vertu de la police d’assurance.

Les intimées, d’une part, ont présenté une requête pour permission de signifier l’action hors du pays (ex juris). L’appelante, d’autre part, a présenté une requête en annulation de la significa-

[Page 287]

tion de l’action faite à ses agents de Montréal et en rejet de l’action pour défaut de compétence tant ratione personae que ratione materiae.

Par un premier jugement le juge de première instance a accueilli la requête des intimées et par un second il a rejeté celle de l’appelante. Ce sont ces deux jugements qui ont été confirmés par les arrêts attaqués.

En ce qui concerne la requête pour permission de signifier ex juris, le sort du pourvoi dépend de la réponse donnée quant à la compétence de la Cour. Il va de soi que si la Cour fédérale n’a pas compétence le jugement autorisant la signification doit être infirmé. Dans le cas contraire, il doit être confirmé. Il ne sera pas nécessaire d’en dire davantage à ce sujet.

Il va de soi également que si l’appelante a raison sur la question de la compétence ratione materiae, il ne sera pas nécessaire de traiter de la compétence ratione personae. Dans le cas contraire il faudra en disposer.

La compétence ratione materiae et la question constitutionnelle

La question constitutionnelle est ainsi énoncée:

La disposition contenue au sous-paragraphe (r) du paragraphe (2) de l’Article 22 de la Loi sur la Cour fédérale (S.R.C. 1970, chap. 10, 2e Supp., et Amendements) et conférant à la Division de première instance de la Cour fédérale compétence relativement à «toute demande née d’un contrat d’assurance maritime ou y relative» est-elle ultra vires et sans effet pour le motif que l’assurance maritime et plus précisément les droits et obligations des parties aux contrats d’assurance maritime ne relèvent pas de la compétence du Parlement du Canada et que par conséquent il ne peut exister de “Laws of Canada” dans cette matière suivant les dispositions de l’Article 101 de la Loi organique de 1867 (The British North America Act, 1867)?

Si la réponse à cette question est négative, l’appelante soumet une deuxième question:

Existe-t-il un droit d’assurance maritime canadien susceptible d’être appliqué par la Cour fédérale?

Le paragraphe (1) de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale, et le par. (2) de même que son al. r) stipulent:

[Page 288]

22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu’autrement, dans tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d’une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l’objet d’une attribution spéciale.

(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:

r) toute demande née d’un contrat d’assurance maritime ou y relative;

Par ailleurs, l’art. 42 de la même loi se lit:

42. Le droit maritime canadien existant immédiatement avant le 1er juin 1971 reste en vigueur sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées par la présente loi ou toute autre loi.

L’expression «droit maritime canadien» est définie à l’art. 2 de la Loi:

«droit maritime canadien» désigne le droit dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa juridiction d’amirauté, en vertu de la Loi sur l’Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d’amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté, compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;

Des moyens et arguments mis de l’avant par les parties et les intervenants, il se dégage un principe commun, savoir que la seule disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 susceptible de conférer compétence au Parlement en matière d’assurance maritime, est le par. 10 de l’art. 91, la navigation et les bâtiments ou navires (shipping), ou la navigation et les expéditions par eau comme il est dit dans Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2 R.C.S. 157.

Les intimées ont aussi évoqué le par. 2 de l’art. 91, la réglementation du trafic et du commerce, mais sans argumenter cette source de pouvoir qu’à mon avis on peut, sans crainte d’erreur, laisser de côté.

[Page 289]

L’expression «la navigation et les expéditions par eau» doit recevoir une interprétation large: Montreal City v. Montreal Harbour Commissioners; Tétreault v. Montreal Harbour Commissioners, [1926] A.C. 299, aux pp. 312 et 313.

À ce pouvoir s’ajoute celui sur le transport maritime interprovincial et international selon le par. 13 de l’art. 91 et le par. 10 de l’art. 92. Ces pouvoirs constituent le fondement de la compétence du Parlement sur le droit maritime que vise la Loi sur la Cour fédérale.

Les provinces aussi ont une compétence en droit maritime par l’effet du par. 10 de l’art. 92.

L’Ontario (Marine Insurance Act, R.S.O. 1980, chap. 255), le Québec (art. 2606 à 2692 C.c.), le Nouveau-Brunswick (Loi sur l’assurance maritime, L.R.N.-B. 1973, chap. M-1), la Colombie-Britannique (Insurance (Marine) Act, R.S.B.C. 1979, chap. 203), le Manitoba (The Marine Insurance Act, R.S.M. 1970, chap. M40) et la Nouvelle-Écosse (Insurance Act, R.S.N.S. 1967, chap. 148, art. 184 à 273) ont des dispositions législatives en matière d’assurance maritime. Il n’est toutefois pas nécessaire pour les fins de ce pourvoi de délimiter le champ d’application de ces législations provinciales et du Code civil. En l’espèce il s’agit d’une police émise en Yougoslavie et qui se rapporte à des biens acquis en Yougoslavie pour être transportés et livrés à Montréal, et ce n’est pas sur le par. 10 de l’art. 92 que l’appelante appuie ses prétentions à l’effet que l’assurance maritime est de compétence provinciale mais sur le par. 13: la propriété et les droits civils.

Dans Tropwood (précité), le juge en chef Laskin écrit au nom de la Cour, à la p. 160:

Il est admis que le Parlement du Canada pouvait établir un tribunal fédéral, aux termes de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, pour administrer son droit maritime concurremment avec les cours supérieures des provinces.

La question se pose donc de savoir si l’assurance maritime fait partie de ce droit maritime.

L’appelante soumet, en bref, que pour qu’une activité économique puisse être considérée comme

[Page 290]

faisant partie de la navigation et des expéditions par eau, il ne suffit pas qu’elle y soit relative et qu’elle y soit de quelque façon reliée, elle doit en faire partie, en constituer un élément et ne pas constituer par ailleurs des travaux ou entreprises d’une nature locale. Le contrat d’assurance, soumet l’appelante, est un contrat d’ordre financier qui a sa définition et ses règles propres. Les contrats d’assurance en général sont du domaine de la compétence des législatures provinciales. L’assurance maritime ne fait pas partie des activités de la navigation et des expéditions par eau; elle demeure de l’assurance quoiqu’appliquée à ces activités.

Le procureur général du Québec, intervenant à l’appui de l’appelante, soumet en premier lieu que l’assurance maritime relève de la compétence provinciale sur les droits civils et la propriété dans la province. Il s’agit essentiellement, dit-il, d’une matière d’assurance, matière sur laquelle de longue date a été reconnue la compétence provinciale qui porte indifféremment sur tout contrat d’assurance, qu’il s’agisse d’assurance terrestre ou maritime, d’assurance de personnes ou de biens, ou d’assurance individuelle ou collective. Le procureur général du Québec ajoute que sa position est d’autant plus pertinente en l’espèce que le litige ne met pas en cause la responsabilité d’un transporteur maritime: il s’agit plutôt d’une affaire qui concerne les droits et obligations respectifs découlant d’un contrat d’assurance maritime entre un assureur et le destinataire de marchandises.

Le procureur général du Québec soumet en second lieu que le contrat d’assurance maritime et plus particulièrement l’al. 22(2)r) de la Loi sur la Cour fédérale ne relèvent pas de la compétence fédérale en matière de navigation ni en matière d’entreprises de transport maritime interprovinciales et internationales. Il énonce notamment:

De l’avis du procureur général du Québec, les compétences fédérales sur la navigation (a.91(10)) et sur les transporteurs maritimes interprovinciaux et internationaux (a.92(10)(a), (b)) n’autorisent pas le Parlement fédéral à légiférer relativement aux contrats d’assurances.

La compétence fédérale sur la navigation et les expéditions par eau de l’article 91(10) n’a pas été définie de manière précise par la jurisprudence. On peut toutefois

[Page 291]

penser qu’elle vise essentiellement les aspects techniques de la navigation tant intraprovinciale qu’interprovinciale et internationale. Ainsi, la réglementation de la circulation maritime et des conditions de navigabilité, toutes mesures justifiées par les nécessités de la navigation, constituent certes des matières relevant de l’article 91(10). Il en est autrement toutefois des contrats d’assurance maritime qui essentiellement et substantiellement ne concernent que des questions de droits civils.

S’appuyant sur Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754, le procureur général du Québec conclut:

De l’avis du procureur général du Québec, le contrat d’assurance maritime constitue une question éloignée de la navigation et n’en fait pas partie intégrante, contrairement aux contrats de nature maritime comme les contrats de transport de marchandises.

Les intimées plaident pour leur part que leur réclamation, en vertu de la police d’assurance en cause, ne constitue pas une matière de «droits civils dans la Province.» Elles ajoutent que si l’assurance à l’intérieur d’une province entre de façon générale dans le champ de compétence provinciale, le Parlement peut néanmoins légiférer en matière de contrats civils, y compris l’assurance, relativement à des matières de sa compétence. L’assurance maritime constitue une partie vitale de l’entreprise de navigation, tant pour le propriétaire du navire que pour les personnes intéressées dans la cargaison. La compétence de la Cour fédérale s’étend à toutes les matières d’amirauté et de droit maritime et n’est pas limitée aux matières visées par le pouvoir relatif à la navigation et aux expéditions par eau. L’assurance maritime est une matière maritime et comme telle soumise à la compétence de la Cour fédérale en matière d’amirauté. Enfin, les réclamations d’assurance maritime constituent une matière d’amirauté.

Le procureur général du Canada, intervenant à l’appui des intimées, soumet que l’assurance maritime fait partie du droit maritime. Le droit maritime, y compris l’assurance maritime, entre dans le champ de la navigation et des expéditions par eau. Si l’assurance maritime doit être qualifiée de matière relevant de la propriété et des droits civils, elle a néanmoins été confiée au Parlement comme

[Page 292]

partie de la navigation et des expéditions par eau, sauf quant à la partie de ce pouvoir qui demeure de compétence provinciale.

À mon avis le procureur général du Canada a raison de qualifier l’assurance maritime de matière relevant à proprement parler de la propriété et des droits civils mais qui a néanmoins été confiée au Parlement comme partie de la navigation et des expéditions par eau. Il en va de même par exemple des lettres de change et des billets promissoires qui sont matières de propriété et de droits civils, mais au sujet desquelles la compétence a été attribuée au Parlement par le par. 18 de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.

La compétence provinciale en matière d’assurance a été reconnue par de nombreux arrêts de cette Cour et du Conseil privé:

— Citizens Insurance Co. of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96;

— Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Alberta, [1916] 1 A.C. 588;

— Attorney-General for Ontario v. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328;

— In re The Insurance Act of Canada, [1932] A.C. 41;

— Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355;

— Reference as to Validity of Section 16 of the Special War Revenue Act, [1942] R.C.S. 429;

— Canadian Indemnity Co. c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1977] 2 R.C.S. 504.

En aucun cas cependant il ne s’agissait d’assurance maritime.

Le seul arrêt motivé que l’on nous a cité et qui porte directement sur la question est celui de la Division de première instance de la Cour fédérale dans Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Co., [1978] 2 C.F. 691. Il s’agissait, pour la partie qui nous intéresse, d’une poursuite contre deux compagnies d’assurance en vertu de deux polices d’assurance maritime. La Cour a jugé qu’elle était compétente pour entendre cette poursuite. Dans le cours de ses motifs, le juge Gibson affirme notamment, à la

[Page 293]

p. 694: «Il y a un accord universel de fait pour considérer de telles polices comme des «contrats maritimes».»

L’on nous a cité par ailleurs l’arrêt de cette Cour Green Forest Lumber Ltd. c. General Security Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 176 confirmant la Cour d’appel fédérale et la Division de première instance. Il s’agissait bien d’une action fondée sur une police d’assurance maritime, laquelle a été rejetée. Il appert cependant qu’à aucune étape la compétence de la Cour fédérale n’a été mise en question. Cet arrêt sur lequel se sont appuyées la Division de première instance et la Cour d’appel fédérale en l’espèce n’est, à mon avis, nullement déterminant, puisqu’il ne se prononce pas sur la compétence de la Cour fédérale.

Les intimées ont cité un jugement de la Cour de l’Échiquier pour le District d’amirauté de Québec, Daneau v. Laurent Gendron Ltée, [1964] 1 Lloyd’s Rep. 220, où il s’agissait bien d’une police d’assurance maritime, et où la Cour a de fait condamné l’assureur à indemniser l’assuré. Par un jugement interlocutoire le juge avait au préalable rejeté, mais sans motifs, une objection préliminaire à sa compétence.

L’assurance maritime, qui a précédé de plusieurs siècles les autres formes d’assurance, est née comme partie intégrante du droit maritime.

Elle a son origine dans le prêt à la grosse dont on trouve la définition suivante à l’art. 2693 du Code civil.

2693. Le prêt à la grosse est un contrat par lequel le propriétaire d’un bâtiment, ou son agent, en considération d’une somme d’argent prêtée pour le besoin du bâtiment, s’engage conditionnellement à la restituer avec intérêt, et hypothèque le bâtiment pour l’exécution du contrat. La condition essentielle du prêt est que si le bâtiment est perdu par cas fortuit ou force majeure, le prêteur perd ses deniers; autrement il en est remboursé avec un certain profit pour l’intérêt et le risque.

Dans Encyclopaedia Britannica; Macropaedia, 15e éd., 1981, vol. 9 sous la rubrique «Insurance», on peut lire à la p. 657:

[TRADUCTION] Depuis que l’histoire nous présente l’homme vivant en société, l’assurance a existé sous une forme quelconque. Déjà vers les années 4000-3000 A.C.,

[Page 294]

les marchands de Babylone connaissaient ce qu’on appelle les contrats de prêt à la grosse. Le prêt à la grosse était également pratiqué par les Indous en 600 A.C. et était bien connu dans la Grèce antique au 4e siècle A.C. En vertu d’un contrat de prêt à la grosse, des prêts étaient accordés à des marchands et, en vertu du contrat, si la cargaison était perdue en mer, le prêt n’avait pas à être remboursé. L’intérêt sur le prêt couvrait le risque assuré. L’ancien droit romain a reconnu le contrat de prêt à la grosse qui prévoyait un accord écrit et le dépôt des fonds chez un changeur. Au 15e siècle, l’assurance maritime était très répandue.

Rome avait aussi des sociétés funéraires qui assumaient les frais funéraires de leurs membres à même des cotisations mensuelles.

Le contrat d’assurance s’est également répandu très tôt. Il était connu dans la Grèce antique et parmi les autres nations à vocation maritime qui avaient des contacts commerciaux avec la Grèce.

Dans A Handbook to Marine Insurance, 5e éd., 1957, l’auteur Dover écrit aux pp. 1 et 2:

[TRADUCTION] Tout ce qu’on peut dire avec certitude de l’origine de l’assurance maritime, c’est qu’elle «remonte à la nuit des temps». On peut remonter en l’an 215 A.C. pour trouver le concept de la protection contre la perte due aux périls de la mer, […]

Un peu plus loin, à la p. 2, il écrit:

[TRADUCTION] Compte tenu, entre autres, des preuves qui précèdent, on peut déduire que l’origine de l’assurance maritime remonte au moins à deux mille ans, et probablement aussi loin que les grands empires du Levant, par exemple Rhodes. À l’appui de cette dernière prétention, on invoque que l’ancien droit de l’avarie commune de Rhodes s’apparente tellement à l’assurance maritime qu’il justifie des conclusions qui sont probablement simplement hypothétiques et qui manquent de preuve corroborante.

Le prêt à la grosse.

Il est certain cependant que le prêt à la grosse (foenus nauticum), c’est-à-dire un prêt d’argent garanti par le navire (non recouvrable en cas de perte totale de ce navire avant son arrivée), se pratiquait avant 533 A.C.

Certains auteurs situent même l’origine du prêt à la grosse aussi loin qu’en l’an 2250 av. J.-C. Dover écrit, en effet, à la p. 3:

[TRADUCTION] Dans son ouvrage Researches into the Origins of Marine Insurance, le professeur C.F. Trenerry situe l’origine du prêt à la grosse aussi loin qu’en

[Page 295]

2250 A.C. Il affirme que des méthodes de financement des activités commerciales qu’on ne peut distinguer de la pratique du prêt à la grosse étaient employées par les Babyloniens.

Dans son Droit maritime, 4e éd., 1953, au vol. 3, Titre II, sous la rubrique «L’Assurance Maritime», p. 329, Ripert écrit, à la p. 333:

2347. Origine de l’assurance maritime. — L’assurance maritime est le seul type d’assurance que notre Ancien droit ait connu. Le XIXe siècle a vu une floraison merveilleuse de variétés d’assurances. Les unes remontent aux premières années du XIXe siècle et touchent presque la fin du précédent; les autres sont de création récente. Quelle que soit leur date de naissance, toutes ces assurances sont de jeunes contrats à côté de l’assurance maritime. À une époque où les hommes subissaient les coups du sort sans chercher à se garantir contre la mauvaise fortune des incendies ou des accidents, les propriétaires de navires et les commerçants, perpétuellement exposés aux risques de mer qui brisaient leurs bâtiments et engloutissaient leurs marchandises, avaient songé à se couvrir contre ces fortunes ennemies. Au XVe siècle, un commerce maritime prospère nous présente une pratique constante de l’assurance.

Dans Holdsworth, A History of English Law, vol. VIII, on peut lire à la p. 274:

[TRADUCTION] L’origine du contrat d’assurance maritime

On a défini l’assurance comme étant un contrat suivant lequel une partie (l’assureur), moyennant une prime, s’engage à indemniser une autre partie (l’assuré) contre une perte. Les recherches de M. Bensa ont prouvé que le plus ancien contrat du genre était le contrat d’assurance maritime; qu’en tant que contrat distinct et indépendant, il remonte aux premières années du quatorzième siècle; et qu’il s’est répandu, comme plusieurs de nos institutions commerciales modernes, dans les villes commerciales de l’Italie.

Dans Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 25, l’auteur écrit à la p. 9, au par. 1:

[TRADUCTION]

I. Création et sources du droit des assurances. La notion de l’assurance, en Angleterre et ailleurs, est née de l’aventure commerciale du transport de marchandises par mer, l’aventure consistant à l’origine en une fortune énorme qui pouvait être faite si le projet réussissait, contre la perte désastreuse, et même la ruine, si le projet échouait en raison des périls de la mer.

[Page 296]

L’Ordonnance sur la Marine de Colbert, 1681, constitue selon les auteurs une véritable codification des lois maritimes de l’époque et le fondement du droit maritime adopté et développé par la suite tant par l’Angleterre que par la France et les autres pays continentaux. Les codificateurs du Code civil du Bas Canada, qui ont rédigé les dispositions relatives au droit maritime, écrivent dans leur Septième Rapport, 1865, à la p. 225:

[L’Ordonnance de Colbert] a fourni en grande partie les principes du droit maritime d’une grande partie du continent et est la principale base sur laquelle les tribunaux de l’Angleterre, au moyen d’une série de discussions confirmées et aidées d’une législation prudente, ont établi son système actuel.

Dans la table des matières de L‘Ordonnance sur la Marine, on retrouve au Livre Troisième, sous la rubrique «Des contrats maritimes», le Titre VI «Des assurances».

Au Titre Deux du Livre Premier qui définit la compétence des juges de l’Amirauté, on peut voir à l’art. II que sont déclarées de leur compétence «toutes actions qui procèdent […] des polices d’assurance, obligations à la grosse aventure, ou à retour de voyage, et généralement de tous contrats concernant le commerce de la mer, […]».

Le professeur Jean Pineau, dans un article intitulé «La Législation maritime canadienne et le Code civil québécois», (1968) 14 McGill L.J. 26, commentant le travail des codificateurs, écrit à la p. 31:

Il en était de même pour tout ce qui concernait le Titre Troisième consacré à l’affrètement; les règles étant identiques dans tous les pays maritimes, les codificateurs se sont appuyés sur l’Ordonnance de Colbert et les solutions tirées de cette ordonnance par la doctrine et la jurisprudence anglaises. Cela était d’autant plus aisé qu’il s’agissait là d’usages consacrés par les textes et que ces dispositions avaient, le plus souvent, un caractère supplétif. L’affrètement fut donc une question traitée tout à fait comme elle devait l’être à l’époque de la codification. Cette appréciation est également valable pour le transport des passagers, ainsi que pour l’assurance maritime qui fait l’objet du Chapitre II du Titre Cinquième.

Au bas de la même page, il ajoute la note suivante:

[Page 297]

27. Notons que nous n’entreprendrons pas l’analyse des dispositions relatives à l’assurance maritime, car, compte tenu de l’importance de ce domaine, une étude particulière serait nécessaire, ce qui dépasserait de beaucoup le but que nous nous sommes fixé. Nous nous contenterons de rappeler que l’assurance est née dans le milieu maritime et qu’elle a pour ancêtre le prêt à la grosse aventure:

La même note poursuit:

c’est pourquoi nous nous étonnons de voir les codificateurs consacrer un Titre VI à cette institution qui a déjà complètement disparu à leur époque. Toutefois, une grande attention a été portée aux questions d’assurance et un effort considérable de synthèse a conduit les commissaires à rédiger un texte complexe, mais très à jour à la veille de la Confédération.

Ce texte «très à jour à la veille de la Confédération» consacre certaines caractéristiques propres à l’assurance maritime qui font de celle-ci une partie intégrante du droit maritime. À titre d’illustration, il en est ainsi du délaissement que l’on ne retrouve pas dans les autres formes d’assurance. Suivant l’art. 2663 C.c.:

2663. L’assuré peut faire à l’assureur le délaissement de la chose assurée dans tous les cas où la perte en est implicite, et peut en conséquence recouvrer comme si la perte était totale. S’il ne fait pas le délaissement dans ces cas, il a droit de recouvrer à titre d’avarie seulement.

Par ailleurs, et encore à titre d’illustration, l’art. 2383 C.c. crée un privilège sur les bâtiments pour le paiement des primes d’assurance sur le bâtiment pour le dernier voyage. Et l’art. 2385 C.c. crée un privilège sur la cargaison pour les primes d’assurance sur la marchandise.

Bonnecasse dans son Traité du droit commercial maritime, n° 29, tel que cité par les procureurs des intimées dans leur mémoire, décrit et explique ce lien étroit, indissoluble qui rattache l’affrètement à l’assurance:

L’assurance maritime est une institution sans laquelle le commerce et la navigation maritime ne sont pas concevables pratiquement; nous irons jusqu’à dire qu’en l’absence de l’assurance la propriété des navires et leur exploitation seraient des vains mots. En présence de l’importance des valeurs exposées par les participants à une expédition maritime et de la fréquence comme de la gravité des risques de mer, c’en serait fait de l’industrie de l’armement, et avec elle de celle de l’exploitation par

[Page 298]

mer, si les intéressés se sentaient éventuellement menacés, sans compensation, de la perte du navire et de celle de la cargaison. De là, en un mot, le lien étroit, indissoluble qui rattache l’affrètement à l’assurance; de là, la dépendance par rapport à une bonne organisation des assurances, de la prospérité du commerce maritime.

De nombreux autres auteurs ont été cités mais il n’est pas nécessaire de les mentionner tous.

Il est inexact, à mon avis, de qualifier l’assurance maritime au même titre que les autres formes d’assurance qui en sont dérivées et dont elle ne se distinguerait que par son objet, l’aventure maritime. Il est inexact aussi de dire que l’assurance maritime ne fait pas partie des activités de la navigation et des expéditions par eau et qu’elle demeure de l’assurance quoiqu’appliquée à des activités de cette nature.

L’assurance maritime est avant tout un contrat de droit maritime. Ce n’est pas une application de l’assurance au domaine maritime. Ce sont plutôt les autres formes d’assurance qui sont des applications à d’autres domaines de principes empruntés à l’assurance maritime.

Je suis d’avis que l’assurance maritime fait partie du droit maritime sur lequel l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale confère à celle-ci une compétence concurrente. Il n’est pas nécessaire de déterminer quels autres tribunaux peuvent avoir une compétence concurrente avec la Cour fédérale ni de déterminer l’étendue de leur compétence. Je suis également d’avis que l’assurance maritime est comprise dans le pouvoir du Parlement relatif à la navigation et aux expéditions par eau et qu’en conséquence il doit être répondu non à la question constitutionnelle.

Cependant, plaide encore l’appelante il n’existe pas de droit canadien en matière d’assurance maritime de sorte que si la Cour fédérale a compétence elle n’a aucun droit à administrer et ne saurait donc décider du litige. Il n’y a pas, dit-elle, de législation fédérale applicable sur laquelle le Parlement peut donner compétence à la Cour fédérale. Voir: McNamara Construction Western Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054.

[Page 299]

Cette question de l’existence d’un droit maritime canadien et de son étendue a fait l’objet d’études élaborées dans plusieurs arrêts de la Cour de l’Échiquier, de la Cour fédérale et de cette Cour. À ce jour, la compétence de la Cour fédérale en vertu du par. 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale et de façon plus particulière sur les demandes visées aux alinéas du par. 22(2) indiqués dans la liste qui suit, a été confirmée par les arrêts cités:

— a) toute demande portant sur le titre, la possession ou la propriété d’un navire ou d’un droit de propriété partiel y afférent ou relative au produit de la vente d’un navire ou d’un droit de propriété partiel y afférent;

Antares Shipping Corp. c. Le navire «Capricorn», [1980] 1 R.C.S. 553.

— d) toute demande pour avaries ou pour perte de vie ou pour blessures corporelles causées directement ou indirectement par un navire soit par collision soit autrement;

MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedoring Co., [1969] 2 R.C. de l’É. 375; cet arrêt est antérieur à la Loi sur la Cour fédérale, mais il porte sur une demande de la nature de celles maintenant visées par cet alinéa.

— e) toute demande pour l’avarie ou la perte d’un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, l’avarie ou la perte de la cargaison ou de l’équipement d’un navire ou de tout bien à bord d’un navire ou en train d’y être chargé ou d’en être déchargé;

Tropwood (précité).

— h) toute demande pour la perte ou l’avarie de marchandises transportées à bord d’un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l’avarie des bagages ou effets personnels des passagers;

Tropwood (précité).

— i) toute demande née d’une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’utilisation ou au louage d’un navire soit par charte-partie, soit autrement;

Tropwood (précité); Associated Metals and Minerals Corp. c. Le navire «Evie W» et Aris Steamship Co., [1978] 2 C.F. 710; Aris Steamship Co. c. Associated Metals & Minerals Corp., [1980] 2 R.C.S. 322.

— m) toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, où que ce soit, pour son exploitation ou son entretien, et notamment,

[Page 300]

sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l’aconage ou gabarage;

Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363.

— n) toute demande née d’un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l’équipement d’un navire;

R. c. Canadian Vickers Ltd., [1980] 1 C.F. 366; Wire Rope (précité).

Dans l’affaire Antares Shipping (précitée), le juge Ritchie qui rend le jugement unanime de la Cour écrit à la p. 559:

Avec égards, je suis d’avis, […] que les dispositions de l’al. 22(2)a) de la Loi constituent une loi fédérale applicable qui entre dans la catégorie de sujets, «La navigation et les bâtiments ou navires» et qui est expressément conçue pour accorder compétence à la Cour fédérale sur des demandes de la nature de celle présentée ici par l’appelante.

Puis, après une revue de la jurisprudence et s’appuyant sur le jugement unanime de la Cour rendu par le juge en chef Laskin dans l’affaire Tropwood (précitée), le juge Ritchie écrit aux pp. 560 et 561:

Dans l’arrêt Tropwood la Division de première instance a été jugée compétente en raison des demandes spécifiques énumérées aux al. 22(2)e), h) et i) de la Loi dont l’al. (2)h) déclare que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:

h) toute demande pour la perte ou l’avarie de marchandises transportées à bord d’un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l’avarie des bagages ou effets personnels des passagers;

Le même raisonnement m’amène à conclure que, puisque la demande porte ici sur le droit de l’appelante à la possession d’un navire, elle relève de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l’al. 22(2)a).

Dans l’affaire Aris Steamship (précitée), en Cour fédérale, le juge en chef Jackett écrit au nom de la Cour, aux pp. 716 et 717:

Il n’est pas facile de définir l’amirauté et de faire son historique. Aux fins du présent procès, il suffirait de reprendre l’étude du juge en chef adjoint dans La Reine c. Canadian Vickers Ltd., [1978] 2 C.F. 675, complétée

[Page 301]

par les documents supplémentaires mentionnés par le juge Gibson dans Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Company, [1978] 2 C.F. 691.

Sans autre précision et tout en me rappelant que bien des aspects du droit de l’amirauté restent obscurs, je suis d’avis que:

a) il y a au Canada un ensemble de droit positif appelé droit de l’amirauté dont nous ne sommes pas sûrs des limites exactes, mais ledit droit englobe évidemment un droit positif régissant les contrats de transport des marchandises par mer;

b) le droit de l’amirauté est le même pour tout le Canada et ne change pas d’une province à l’autre selon le lieu où les causes de l’action sont survenues;

c) le droit de l’amirauté coexiste avec d’autres législations «provinciales» relatives à la propriété et aux droits civils, et parfois les chevauche, et, au moins dans certains cas, l’issue des procès varie suivant qu’on invoque l’une ou l’autre législation; et

d) le droit de l’amirauté ne fait pas partie intégrante du droit municipal ordinaire des diverses provinces, et il est susceptible d’être «révoqué, aboli ou modifié» par le Parlement du Canada.

Je suis également d’avis que, si l’on avait besoin d’une loi canadienne pour donner au Canada une législation de l’amirauté pour la période allant de 1934 à 1971, la Loi d’amirauté, 1934 doit être interprétée comme produisant cet effet.

En cette Cour, le jugement est rendu par le juge Ritchie qui écrit à la p. 324:

En Cour d’appel fédérale, le juge en chef Jackett a conclu que la Cour fédérale était compétente. Il ne me semble pas vraiment nécessaire d’étudier plus à fond cette question car l’appel a été entendu avant que le juge en chef Laskin rende le jugement unanime de cette Cour dans l’affaire Tropwood A.G., et les propriétaires du navire Tropwood c. Sivaco Wire & Nail Company et Atlantic Lines & Navigation Company, Inc., [1979] 2 R.C.S. 157, 99 D.L.R. (3d) 235. Il y examine la jurisprudence récente relative à la compétence de la Cour fédérale et termine ses commentaires sur l’art. 22 comme suit (à la p. 161):

Il est important de remarquer que les chefs de compétence énumérés au par. 22(2) sont alimentés, dans le cadre du droit applicable, par le droit maritime canadien ou toute autre loi du Canada en matière de navigation et de marine marchande.

[Page 302]

Vu cet arrêt, je suis convaincu que la conclusion du juge en chef Jackett sur la question de la compétence est bien fondée.

Je conclus pareillement que la Cour fédérale a compétence relativement à la demande fondée en l’espèce sur une police d’assurance maritime en regard de l’al. 22(2)r) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère à celle-ci compétence concurrente sur toute demande née d’un contrat d’assurance maritime ou y relative.

La compétence ratione personae

Tant la Cour d’appel fédérale que la Division de première instance ont jugé que la Cour fédérale a, en l’espèce, compétence ratione personae. À mon avis il ne nous a pas été démontré d’erreur de leur part qui justifie l’intervention de cette Cour à l’égard de ces déterminations concordantes.

Pour ces motifs je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur des intimées. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens pour ou contre les intervenants.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Desjardins, Ducharme, Desjardins & Bourque, Montréal.

Procureurs des intimées: McMaster, Meighen, Montréal.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: R. Tassé, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Québec: Jean-K. Samson et Odette Laverdière, Ste-Foy.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 283 ?
Date de la décision : 01/03/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Assurance maritime - L’alinéa 22(2)r) de la Loi sur la Cour fédérale est‑il ultra vires? - Navigation et expéditions par eau - Existe-t-il un droit d’assurance maritime canadien? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(10) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22(2)r).

Droit maritime - Tribunaux - Cour fédérale - Compétence ratione materiae - Compétence ratione personae - Demande née d’un contrat d’assurance maritime - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22(2)r).

L’intimée, Terrasses Jewellers Inc., une compagnie québécoise, a acquis l’intérêt requis dans une police d’assurance émise par l’appelante — une compagnie yougoslave. Ce contrat d’assurance maritime, intervenu en Yougoslavie entre l’appelante et une autre compagnie yougoslave, avait pour objet des biens expédiés de ce pays. Ces biens ont été achetés par l’intimée et transportés par navire à Montréal où l’on a constaté la disparition d’une caisse de bijoux d’une valeur de 1 100 000 $. Les intimées réclament ce montant de l’appelante qui nie toute responsabilité. Dans un premier jugement, la Division de première instance de la Cour fédérale a accueilli la requête des intimées pour permission de signifier l’action hors du pays et dans un deuxième a rejeté la requête de l’appelante en annulation de la signification de l’action et en rejet de l’action pour défaut de compétence tant ratione personae que ratione materiae. La Cour d’appel a confirmé les deux jugements. D’où ce pourvoi qui met en question (1) la constitutionnalité de l’al. 22(2)r) de la Loi sur la Cour

[Page 284]

fédérale et (2) la compétence de la Cour fédérale sur l’appelante.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La Cour fédérale a compétence concurrente relativement à une demande fondée sur une police d’assurance maritime en regard de l’al. 22(2)r) de la Loi sur la Cour fédérale. Premièrement, l’al. 22(2)r) constitue une législation fédérale valide. Même si, à proprement parler, l’assurance maritime est une matière qui relève de la propriété et des droits civils, elle a néanmoins été confiée au Parlement comme partie de la navigation et des expéditions par eau, sauf quant à la partie de ce pouvoir qui demeure de compétence provinciale. Il n’est toutefois pas nécessaire pour les fins de ce pourvoi de délimiter le champ d’application des législations provinciales et du Code civil en matière d’assurance maritime. Cette assurance, qui a précédé de plusieurs siècles les autres formes d’assurance, est née comme partie intégrante du droit maritime. Elle est avant tout un contrat de droit maritime et non une application de l’assurance au domaine maritime. Elle fait partie du droit maritime sur lequel l’art. 22 de la Loi confère à la Cour fédérale une compétence concurrente. Deuxièmement, il existe un droit d’assurance maritime canadien susceptible d’être appliqué par la Cour fédérale.

La Cour d’appel fédérale et la Division de première instance ont jugé que la Cour fédérale avait compétence ratione personae en l’espèce. Il n’a pas été démontré d’erreur de leur part qui justifierait l’intervention de cette Cour à l’égard de ces déterminations concordantes.


Parties
Demandeurs : Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community Triglav Ltd.)
Défendeurs : Terrasses Jewellers Inc.

Références :

Jurisprudence: Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2 R.C.S. 157

Antares Shipping Corp. c. Le navire «Capricorn», [1980] 1 R.C.S. 553

Associated Metals and Minerals Corp. c. Le navire «Evie W» et Aris Steamship Co., [1978] 2 C.F. 710

Aris Steamship Co. c. Associated Metals & Minerals Corp., [1980] 2 R.C.S. 322

MacMillan Bloedel Ltd. v. Canadian Stevedoring Co., [1969] 2 R.C. de l’É. 375

Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363

R. v. Canadian Vickers Ltd., [1980] 1 C.F. 366

McNamara Construction Western Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654

Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054

Green Forest Lumber Ltd. c. General Security Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 176

Daneau v. Laurent Gendron Ltée, [1964] 1 Lloyd’s Rep. 220

Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Co., [1978] 2 C.F. 691

Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754

Montreal City v. Montreal Harbour Commissioners

Tétreault v. Montreal Har-
[Page 285]
bour Commissioners, [1926] A.C. 299
Citizens Insurance Co. of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96
Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Alberta, [1916] 1 A.C. 588
Attorney-General for Ontario v. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328
In re The Insurance Act of Canada, [1932] A.C. 41
Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355
Reference as to Validity of Section 16 of the Special War Revenue Act, [1942] R.C.S. 429
Canadian Indemnity Co. c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1977] 2 R.C.S. 504.

Proposition de citation de la décision: Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community Triglav Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283 (1 mars 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-03-01;.1983..1.r.c.s..283 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award