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17/05/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._529

Canada | Zodiak International c. Polish People's Republic, [1983] 1 R.C.S. 529 (17 mai 1983)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Zodiak International c. Polish People's Republic, [1983] 1 R.C.S. 529

Date : 1983-05-17

Zodiak International Productions Inc. Appelante;

et

The Polish People's Republic Intimée.

No du greffe: 16739.

1983: 28 février; 1983: 17 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec rendu le 9 juin 1981 qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure. Pourvo

i rejeté.

Gordon Zelman, pour l'appelante.

Jan Zascinski, pour l'intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par
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COUR SUPRÊME DU CANADA

Zodiak International c. Polish People's Republic, [1983] 1 R.C.S. 529

Date : 1983-05-17

Zodiak International Productions Inc. Appelante;

et

The Polish People's Republic Intimée.

No du greffe: 16739.

1983: 28 février; 1983: 17 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec rendu le 9 juin 1981 qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi rejeté.

Gordon Zelman, pour l'appelante.

Jan Zascinski, pour l'intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD — Ce pourvoi porte sur la clause compromissoire, art. 940 à 951 C.p.c., et procède d'une exception déclinatoire.

Par un contrat conclu à Montréal le 27 avril 1970, une entreprise du nom de Film Polski a confié en exclusivité à l'appelante le mandat de distribuer des films polonais au Canada et dans certains autres territoires décrits au contrat.

Au contrat se trouve la clause suivante:

[page 531]

[TRADUCTION] 16. (a) Tout litige ou toute réclamation qui découle du présent contrat ou qui s'y rapporte, ou toute violation de ce contrat doivent être réglés par l'arbitrage, et la sentence arbitrale peut être homologuée par une cour compétente. Si l'arbitrage est demandé par ZODIAK contre FILM POLSKI, l'arbitrage a lieu en Pologne suivant les règles de la Cour d'arbitrage près la Chambre polonaise de commerce extérieur à Varsovie. Si l'arbitrage est demandé par FILM POLSKI contre ZODIAK, l'arbitrage doit avoir lieu aux États-Unis suivant les règles de l'American Arbitration Association.

Avant de poursuivre il est nécessaire d'apporter quelques précisions relatives à l'identité de l'intimée. La partie signataire du contrat est ainsi désignée: «Film Polski, Export and Import of Films, [. . .], a State Enterprise, Polish Government-Agency. L'intimée nous a indiqué, comme elle l'a plaidé au fond, que Film Polski est une société dotée d'une personnalité distincte et que toute procédure devait être dirigée contre elle et non contre l'État, la République populaire de Pologne. Toutefois cette question n'est pas en cause dans l'exception déclinatoire dont il s'agit et pour les fins de ce pourvoi il n'y a pas lieu d'en tenir compte. C'est pourquoi, sans pour autant me prononcer sur la question, j'utiliserai le mot intimée sans distinction, comme si Film Polski et la République populaire de Pologne étaient la même personne.

Alléguant violation de la stipulation d'exclusivité et annulation non autorisée du contrat par l'intimée, l'appelante s'adressa à la Cour d'arbitrage près la Chambre polonaise de commerce extérieur à Varsovie. Par requête en date du 22 février 1971 l'appelante et une société américaine réclamaient de l'intimée la somme de 643 800 $ à titre de dommages-intérêts.

L'intimée comparut à l'arbitrage, demanda par plaidoyer au fond le rejet de la réclamation de l'appelante et par demande reconventionnelle réclama contre l'appelante la somme de 42 749,93 $.

L'appelante soumit une documentation considérable et participa à l'arbitrage qui dura deux jours, les 19 et 22 mai 1972, et où elle fut représentée

[page 532]

par sa présidente assistée d'un procureur.

Par sa sentence de quelque 121 pages (version anglaise), en date du 15 août 1972, le tribunal n'accorda à l'appelante aucune compensation. Il accueillit cependant, pour une somme de 1 867,20 $, la demande reconventionnelle de l'intimée contre l'appelante.

Comme si de rien n'était, le 2 avril 1973, l'appelante entreprit en Cour supérieure la présente poursuite fondée sur les mêmes causes d'action et par laquelle elle réclame de l'intimée la somme de 191 000 $. L'intimée comparut à l'action et produisit un plaidoyer de dénégation générale le 8 juin 1973, suivi d'un plaidoyer spécifique le 12 juillet de la même année. Il importe de noter que par son plaidoyer l'intimée invoque la clause 16(a) du contrat, l'arbitrage et la sentence rendue et allègue en conséquence l'incompétence de la Cour supérieure.

Le 24 février 1977, l'intimée fit une exception déclinatoire invoquant son immunité d'État souverain. Cette exception déclinatoire accueillie par la Cour supérieure le 7 mars 1977 fut rejetée par la Cour d'appel le 25 novembre suivant.

Le 12 mai 1980, quelques jours nous dit-on avant la date fixée pour l'enquête et l'audition, l'intimée présenta l'exception déclinatoire dont nous sommes saisis. Elle invoque la clause 16(a) du contrat et allègue l'incompétence ratione materiae de la Cour supérieure.

Par jugement du 25 juillet 1980, la Cour supérieure rejeta l'exception déclinatoire pour le motif que la clause 16(a) n'est pas une clause compromissoire parfaite, mais simplement une clause dite d'arbitrage préalable et que partant elle n'a pas pour effet d'écarter la compétence de la Cour supérieure.

Par son arrêt du 9 juin 1981, la Cour d'appel infirme la Cour supérieure, déclare que la clause 16(a) est une clause compromissoire parfaite, que ce type de clause est maintenant valide en droit québécois et qu'elle a pour effet de soustraire des

[page 533]

tribunaux de droit commun le litige né des obligations découlant du contrat.

L'appelante invoque à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de nombreux moyens que pour commodité il convient de regrouper de la façon suivante:

1. La clause compromissoire parfaite est invalide en droit québécois.

2. La clause compromissoire stipulée au contrat en l'espèce n'est pas une clause compromissoire parfaite.

3. L'exception déclinatoire est tardive et doit être rejetée pour ce motif.

4. Le jugement rejetant l'exception déclinatoire n'était pas susceptible d'appel à la Cour d'appel.

5. La clause compromissoire stipule un arbitrage à l'étranger et la sentence arbitrale qui résulte de cet arbitrage est soumise aux règles du Code de procédure civile relatives à l'exemplification des jugements. A défaut de se conformer à ces règles la sentence est sans effet.

6. L'arbitrage a procédé de façon illégale à l'encontre des règles les plus élémentaires d'ordre public et cet arbitrage et la sentence rendue sont sans effet.

1. LA VALIDITÉ DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE PARFAITE EN DROIT QUÉBÉCOIS

La clause compromissoire parfaite, qualifiée tour à tour de réelle, formelle, complète, véritable est celle par laquelle les parties s'obligent à l'avance à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à leur contrat et qui comporte que la sentence rendue sera finale et liera les parties.

Elle se distingue notamment d'une clause qui serait purement facultative. Elle se distingue aussi d'une clause dite préjudicielle ou d'arbitrage préalable qui oblige les parties à soumettre leur dispute à l'arbitrage, mais qui n'exclut pas le recours aux tribunaux de droit commun une fois que l'arbitrage a eu lieu. Elle se distingue encore du compromis

[page 534]

que l'art. 1431 du Code de procédure civile de 1897 définissait ainsi:

Le compromis est un acte par lequel les parties pour éviter un litige ou y mettre fin, promettent de s'en rapporter à la décision d'un ou de plusieurs arbitres dont elles conviennent.

Le compromis ne vise que les litiges nés tandis que la clause compromissoire vise aussi les litiges futurs.

Sous le Code de procédure civile de 1897 et avant l'entrée en vigueur du nouveau Code, le 1er septembre 1966, le clause compromissoire parfaite était jugée invalide comme contraire à l'ordre public. Le Code d'ailleurs ne faisait aucune mention d'une telle clause. Il n'était question que du compromis.

Par son arrêt dans l'affaire Vinette Construction Ltée c. Dobrinsky, [1962] B.R. 62, la Cour d'appel mettait fin à une controverse vieille de plus de soixante ans en prononçant la nullité de la clause compromissoire parfaite.

Cet arrêt fut approuvé par cette Cour dans National Gypsum Co. v. Northern Sales Ltd., [1964] R.C.S. 144. Dans cette affaire la Cour de l'Échiquier pour le district d'amirauté de Québec avait rejeté une exception déclinatoire fondée sur la clause contractuelle suivante:

[TRADUCTION]

CLAUSE COMPROMISSOIRE DU NEW YORK

PRODUCE EXCHANGE

En cas de litige entre les propriétaires et les affréteurs, la question en litige doit être soumise à trois personnes à New York, une personne nommée par chacune des parties et la troisième choisie par les deux premières; leur décision majoritaire est définitive et, aux fins de l'exécution de la sentence, cette décision constitue le jugement de la Cour. Les arbitres doivent être des hommes d'affaires.

Le juge Fauteux, plus tard Juge en chef, qui écrit le jugement majoritaire, considère en premier lieu l'art. 94 C.p.c. alors en vigueur qui traitait du lieu d'introduction de l'action:

94. En matières purement personnelles, autres que celles mentionnées dans les articles 96, 97, 98, 103 et 104, le défendeur peut toujours nonobstant toute stipulation, convention ou engagement contraire, être assigné;

[page 535]

1. Devant le tribunal de son domicile réel, ou dans les cas prévus par l'article 85 du code civil, devant le tribunal de son domicile élu;

2. Devant le tribunal du lieu où la demande lui est signifiée personnellement;

3. Devant le tribunal du lieu où toute la cause d'action a pris naissance ou, s'il s'agit d'une poursuite pour diffamation publiée dans un journal devant le tribunal de tout district où circule ce journal, et dans lequel réside le demandeur;

4. Devant le tribunal du lieu où se trouvent ses biens, en tout ou en partie, lorsqu'il a laissé son domicile dans la province ou n'y a jamais eu de domicile, mais y a des biens et que la cause d'action n'y a pas pris naissance;

5. Devant le tribunal du lieu où le contrat a été fait.

En matière de contrat par agence, ou résultant d'une commande donnée à ou reçue par un agent, mandataire ou représentant, le lieu où le contrat a été fait est celui où a été donné le consentement de la partie à laquelle la chose faisant l'objet du contrat est livrable, ou celui où la commande a été donnée à ou reçue par ledit agent, mandataire ou représentant.

(C'est moi qui souligne.)

Le lieu d'introduction de l'action dans cette affaire était celui où toute la cause d'action avait pris naissance tandis qu'en l'espèce c'est celui où le contrat a été conclu, mais cette différence est sans conséquence ici.

Le préambule de l'art. 68 du Code actuel est au même effet que celui de l'ancien art. 94:

68. Sous réserve des dispositions des articles 70, 71, 74 et 75, et nonobstant convention contraire, l'action purement personnelle peut être portée:

(C'est moi qui souligne.)

Au sujet de l'art. 94 C.p.c., le juge Fauteux écrit à la p. 150:

[TRADUCTION] Le paragraphe 94(3) du Code de procédure civile dispose que, en vertu du Code de procédure civile, une clause de ce genre, même si elle est valide, n'a pas pour effet d'empêcher l'introduction de la présente action devant le tribunal du lieu où toute la cause d'action a pris naissance. Dans l'arrêt Gordon and Gotch (Australasia) Ltd. v. Montreal Australia New Zealand Line Ltd., (1940), 68 B.R. 428, dans lequel la Cour d'appel a examiné l'effet de l'art. 94, le juge St-Jacques,

[page 536]

aux motifs duquel ont souscrit les juges Létourneau, Bond et Galipeault, a dit à la p. 431:

La loi a dit, et ce, d'une façon définitive qui ne me paraît pas souffrir de doute: Désormais, les tribunaux de la province, qui ont été institués en vertu de la prérogative royale et des dispositions du Code de procédure civile, ne tiendront aucun compte des «stipulations, conventions ou engagements» qui auraient pour objet de soustraire un litigant à la juridiction des tribunaux qui ont été institués dans cette province.

Plus bas et s'interrogeant cette fois sur la validité même de la clause d'arbitrage, le juge Fauteux poursuit:

[TRADUCTION] Puisque la Cour d'instance inférieure est valablement saisie de la présente action, la clause compromissoire ne peut lui enlever sa compétence d'entendre l'action au fond et on ne peut demander à la Cour d'appliquer cette clause si, comme l'a fait valoir l'intimée et comme a décidé la Cour de première instance, la sentence arbitrale est invalide parce qu'elle est contraire à l'ordre public en vertu de la lex fori, savoir le droit de la province de Québec.

Après une revue du droit en France et au Québec, et en particulier un renvoi à l'arrêt Vinette Construction (précité), le juge Fauteux écrit à la p. 151:

[TRADUCTION] Après un examen attentif, je conclus que l'arrêt Vinette, précité, expose avec justesse le droit de la province sur cette question et la clause compromissoire précitée doit en conséquence être déclarée invalide parce qu'elle enfreint l'ordre public.

Avant de conclure ainsi, le juge Fauteux fait dans le cours de ses remarques l'observation suivante:

[TRADUCTION] Si souhaitable que ce soit en matières de commerce en droit international privé, le législateur québécois n'a pas encore jugé bon d'adopter une disposition similaire à celle que la France a adoptée dans le Code du commerce.

C'est en 1964, peu de temps après cet arrêt du 16 décembre 1963, que les commissaires chargés de rédiger un nouveau Code de procédure civile soumettaient un projet définitif. Dans le rapport qui l'accompagnait, ils écrivaient au sujet de la clause compromissoire:

Les Commissaires ont pensé devoir compléter et rajeunir les dispositions actuelles du Code de procédure

[page 537]

relativement à l'arbitrage, à cause de l'importance de plus en plus grande que prend dans le droit actuel ce mode de solution des litiges, importance qui est même susceptible d'augmenter avec l'essor de l'économie, surtout si la clause compromissoire est reconnue. La validité de cette clause, il est vrai, soulève un problème, — qui n'est pas de procédure, mais de droit substantif, et qu'il appartient au législateur ou aux juges de trancher, — mais les Commissaires ont jugé bon de prévoir le jour où elle serait certaine.

Les commissaires proposaient en conséquence un article de droit nouveau, l'art. 951 ainsi rédigé:

951. Dans les cas où la clause compromissoire est admise, elle doit être constatée par écrit.

Lorsque le différend prévu est né, les parties doivent passer compromis. Si l'une d'elles s'y refuse, et ne nomme pas d'arbitre, il est procédé à cette nomination et à la désignation des objets en litige par un juge du tribunal compétent, à moins que la convention elle-même n'en ait décidé autrement.

En adoptant cet article cependant, le législateur l'a modifié et a remplacé le premier alinéa par le suivant:

951. La clause compromissoire doit être constatée par écrit.

Les commissaires donc suggéraient au législateur d'adopter des dispositions pour reconnaître la validité de la clause compromissoire parfaite en droit québécois. Le législateur n'a pas jugé à propos d'adopter d'autres dispositions particulières spécifiques. Il s'est contenté, au moment de l'adoption du Code, de retrancher de l'article proposé par les commissaires les mots «Dans les cas où la clause compromissoire est admise». Le texte adopté stipule simplement que la clause doit être constatée par écrit.

Le deuxième alinéa, toutefois, consacre le caractère obligatoire de la clause: «Lorsque le différend prévu est né, les parties doivent passer compromis.» Puis, le tribunal est habilité à suppléer au refus d'une des parties.

Quant au compromis lui-même et à l'arbitrage, ils sont régis par les art. 940 et suiv. qui précèdent et notamment l'art. 950 qui stipule:

[page 538]

950. La sentence arbitrale ne peut être exécutée que sous l'autorité du tribunal compétent, et sur requête en homologation, pour faire condamner la partie à l'exécuter.

Le tribunal saisi peut entrer dans l'examen des nullités dont la sentence pourrait être entachée ou des autres questions de forme qui peuvent en empêcher l'homologation; il ne peut toutefois s'enquérir du fond de la contestation.

L'opinion prépondérante qui a cours depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, est à l'effet que l'adoption de l'art. 951 dans sa forme actuelle suffit à consacrer la validité de la clause compromissoire parfaite. L'ancien Code de procédure était muet en ce qui concerne la clause compromissoire. Aucune mention n'en était faite. La situation est ainsi bien différente de celle qui prévalait au moment où ont été rendus les arrêts Vinette Construction (précité) et National Gypsum (précité) qui, a-t-il été écrit, sont devenus caducs.

C'est l'opinion exprimée par les auteurs dès après l'entrée en vigueur du nouveau Code:

— W. S. Tyndale, c.r., «Notes on the new Code of Civil Procedure», (1966) 26 R. du B. 345, à la p. 359;

— Thomas Tôth, Barreau de la province de Québec — Conférences — Le code de procédure civile (1966), aux pp. 141 et 142.

— Émile Colas, c.r., «Clause compromissoire, compromis et arbitrage en droit nouveau», (1968) 28 R. du B. 129, à la p. 132;

— L. Kos-Rabcewicz-Zubkowski, «Arbitration in the Code of Civil Procedure of Québec», (1968) R.J.T. 143, aux pp. 159 et suiv.;

— John E. C. Brierley, «Aspects of the Promise to Arbitrate in the law of Quebec», (1970) 30 R. du B. 473;

— Juge Philippe Ferland, «L'arbitrage sans action en justice dans la province de Québec», (1971) 31 R. du B. 69, à la p. 86.

Pour n'en citer qu'un, voici ce qu'écrit Me Émile Colas, c.r., aux pp. 132 et 133 de l'article mentionné plus haut:

[page 539]

Or, c'est précisément des droits substantifs que le législateur a adoptés en reconnaissant le principe contenu à l'article 940 du nouveau code. Et c'est encore du droit substantif qui se retrouve à l'article 951 édictant que «la clause compromissoire doit être constatée par écrit».

Dès lors qu'elle apparaît dans un écrit, cette clause compromissoire est valide et il sera dit, plus loin, ce qu'il advient en cas de refus de passer à compromis lorsque le différend est né.

Il convient de souligner, d'ailleurs, que le texte définitif de l'article 951 C.P. est différent du projet soumis par les codificateurs. En effet, si on lit le projet du Code de procédure civile pour les livres V, VI et VII publiés en 1964, à la page 52, l'article 951, premier alinéa, commençait par les mots: «Dans les cas où la clause compromissoire est admise, elle doit être constatée par écrit.» Le législateur a abandonné cette rédaction et le premier alinéa de l'article 951 C.P. dispose dans son texte définitif: «La clause compromissoire doit être constatée par écrit.» Désormais, la clause compromissoire est légale et le problème ne se pose plus comme il avait été posé au départ et le législateur a, par droit substantif, reconnu la validité et la légalité de la clause compromissoire.

Dans Syndicat de Normandin Lumber Ltd. c. Le Navire «Angelic Power», [1971] C.F. 263, le juge Pratte, maintenant juge à la Cour d'appel fédérale, se prononçait dans le même sens et il écrit à la p. 268: «... je ne vois pas comment le législateur québécois aurait pu réglementer la forme et l'effet d'une convention dont il n'admettrait pas la validité».

Puis, en 1973, la Cour d'appel a adopté à l'unanimité la même interprétation dans Ville de Granby c. Désourdy Construction Ltée, [1973] C.A. 971.

Le juge Owen avec qui le juge en chef Tremblay concourt, écrit aux pp. 982 et 983:

[TRADUCTION] A ma connaissance, aucun arrêt de cette Cour ni de la Cour suprême du Canada ne tranche la question de savoir si l'art. 951 C.P. prévoit qu'une clause compromissoire parfaite est maintenant valide.

L'espèce concerne une clause compromissoire parfaite et un litige entre les parties, et les deux sont nés après l'entrée en vigueur de l'art. 951 C.P. Le juge de première instance a exprimé l'avis que:

... le législateur, répondant à plusieurs recommandations, a tranché définitivement le débat par le premier

[page 540]

paragraphe de l'art. 951 C.P. et il a légalisé, comme un droit substantif, la clause compromissoire.

À mon avis, le législateur a reconnu par l'art. 951 C.P. la validité d'une clause compromissoire parfaite.

Le juge en chef Tremblay observe par ailleurs, à la p. 984:

Il me paraît clair que la clause compromissoire dont il s'agit est celle par laquelle on s'oblige d'avance à conclure le compromis prévu dans les articles précédents, c'est-à-dire, le compromis qui mènera à une sentence finale et définitive et que cette clause compromissoire est valide dans tous les cas où le compromis est licite, c'est-à-dire, dans tous les cas autres que ceux prévus au deuxième alinéa de l'article 940 C.P.

Le juge Gagnon, dans des motifs séparés mais qui proposent la même solution, écrit aux pp. 986, 987 et 988, le passage suivant que je fais mien:

Le législateur français avait fait exception par une loi du 31 décembre 1925 à la règle posée par la Cour de Cassation de la nullité de la clause compromissoire. Il avait amendé l'article 631 du Code du commerce qui fixait la compétence des tribunaux de commerce, en y ajoutant le texte suivant:

Toutefois les parties pourront, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à des arbitres les contestations ci-dessus énumérées, lorsqu'elles viennent à se produire.

Sans doute notre Législature aurait-elle été bien inspirée d'employer des termes aussi clairs, mais je suis tout de même d'avis que son intention d'autoriser la clause compromissoire, qu'elle soit complète ou simplement préjudicielle, s'infère du contexte jurisprudentiel sur lequel elle a agi, comme du texte de l'article 951 C.P. et de la place qu'il occupe dans le nouveau Code.

L'arrêt de Vinette Construction Ltée v. Dobrinsky [1962] B.R. 62, avait à plus d'un titre force de précédent au moment où le nouveau Code de procédure a été adopté. M. le juge Fauteux — avant qu'il ne devienne juge en chef du Canada — exprimant l'opinion de la majorité de la Cour suprême dans National Gypsum Co. Inc. v. Northern Sales [1964] R.C.S. 144, à la p. 151, était d'avis que cette décision sanctionnait le poids de la jurisprudence québécoise sur la question. MM. les juges Cartwright et Ritchie étaient dissidents, mais pour d'autres motifs.

Dans Vinette v. Dobrinsky, M. le juge Choquette soulignait que le dernier mot n'avait pas été dit sur la validité de la clause compromissoire (p. 65) et il invitait

[page 541]

la Législature à intervenir pour mettre fin à une controverse qui durait depuis plus de soixante ans (p. 67). On peut tout de même considérer que cette décision, confirmée par la Cour suprême dans l'affaire de National Gypsum, avait affirmé de façon non équivoque la nullité de la clause compromissoire formelle tandis que la clause compromissoire qui ne créait qu'une obligation préjudicielle pouvait espérer un sort plus favorable. C'est dans ce contexte que se situe l'intervention du législateur.

Il me paraît significatif — et je réfère particulièrement aux notes de MM. les juges Choquette, Casey et Badeaux — que la décision de notre cour s'appuyait en premier lieu sur les dispositions de l'ancien Code de procédure, au chapitre LXXIII, intitulé Arbitrage, qui ne faisait aucune mention de la clause compromissoire. L'article 1431 définissait le compromis comme un acte par lequel les parties promettent de s'en rapporter à la décision d'un ou plusieurs arbitres pour éviter un litige ou y mettre fin. Cette définition aurait pu être assez large pour inclure une clause compromissoire relative à un litige qui n'est pas encore né puisque le compromis pouvait servir «à éviter un litige». Cependant l'article 1434 précisait que l'acte de compromis extrajudiciaire devait désigner les noms et qualités des arbitres, les objets en litige et le délai dans lequel la sentence arbitrale devait être rendue. Il fallait donc, et c'est du moins la façon dont on l'a entendu, que le litige soit né ou que, du moins, il porte sur une ou des questions bien précises. M. le juge Choquette citait (à la p. 66) Planiol, Ripert et Boulanger (Traité de droit civil, t. 3 (1958), n. 2486, p. 814) qui disent:

Clause compromissoire. Le compromis ne peut être fait que pour un litige déjà né ou sur le point de naître; on ne peut pas d'avance convenir qu'on soumettra des litiges futurs à la décision d'un ou de plusieurs arbitres; cette clause générale, appelée clause compromissoire, serait nulle parce qu'elle ne permet pas de préciser d'avance ni la chose qui fera l'objet de l'arbitrage, ni les noms des arbitres qui seront chargés d'y procéder.

Malgré cela, une jurisprudence s'est affirmée qui reconnaissait la validité de la clause compromissoire, condition préalable d'un possible recours judiciaire. En outre, la sentence arbitrale n'était pas susceptible de révision quant au fond (art. 1444).

L'article 941 C.P. actuel a reproduit la substance des anciens articles 1434 et 1435 et le compromis avec ses règles est demeuré ce qu'il était. Mais, à côté de l'article 941, apparaît un nouvel article, l'article 951 qui, lui, ne parle pas de compromis, mais plutôt du pacte compromissoire

[page 542]

et qui exige l'écrit comme condition de validité de la promesse de compromis. L'article 951 ajoute que, lorsque le différend prévu est né, les parties doivent passer compromis. C'est la deuxième étape. Pour passer compromis, les parties doivent se soumettre en particulier aux prescriptions de l'article 941 et, comme l'a dit M. le juge en chef, aux autres dispositions du chapitre.

L'article 951, pour la première fois, donne une reconnaissance statutaire à la clause compromissoire et, par ailleurs, aucun acte législatif n'était nécessaire pour donner droit de cité à la clause compromissoire préjudicielle. Il me semble donc que lorsque le législateur a adopté l'article 951, sans restriction et en mettant de côté le texte soumis par les commissaires, il a voulu faire un pas en avant et qu'il entendait permettre la clause compromissoire réelle.

Si, comme je le crois, cette solution est la bonne, les objections fondées sur l'ordre public doivent tomber parce que c'est le législateur, lorsqu'il prend position, qui est le juge ultime en la matière. Je me suis demandé si le deuxième paragraphe de l'article 940 qui ne permet pas de compromettre sur certaines questions et particulièrement sur des questions qui concernent l'ordre public serait un obstacle. Je suis d'avis qu'il faut répondre dans la négative à cette question, d'abord parce que, dans le contexte, c'est de l'objet du litige et non de la façon de le traiter dont il est question et surtout parce qu'autrement il faudrait dire que tout compromis, qui prévoit que la décision de l'arbitre est finale et qui ne permet pas au tribunal de s'enquérir du fond de la contestation, serait nul. Tel résultat serait clairement incompatible avec les dispositions de l'ancien code, comme avec celles du nouveau.

Une abondante jurisprudence, fondée sur l'arrêt Désourdy (précité), s'est depuis établie tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel. Outre son arrêt en l'espèce, je cite les arrêts suivants de la Cour d'appel: Société québécoise d'exploitation minière c. Hébert, [1974] C.A. 78; Liman c. K.L.M. Royal Dutch Airlines, [1974] C.A. 505; Commission scolaire régionale des Bois Francs c. JR. Dupuis Ltée, [1975] C.A. 759; Heyman c. Lafferty, Harwood & Co., [1979] C.A. 231.

Je conclus que la clause compromissoire parfaite est valide en droit québécois.

[page 543]

2. LA NATURE DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE STIPULÉE AU CONTRAT EN L'ESPÈCE

Je n'hésite pas à conclure comme la Cour d'appel que la clause compromissoire stipulée au contrat en l'espèce est une clause compromissoire parfaite.

Le Code de procédure civile ne renferme aucune disposition quant à la forme de la clause compromissoire. Il suffit qu'elle réunisse les éléments essentiels, à savoir que les parties se soient obligées à passer compromis et que la sentence arbitrale soit finale et lie les parties.

Les termes utilisés ne peuvent, à mon avis, s'interpréter autrement. [TRADUCTION] «Tout litige ou toute réclamation [ . . . ] doivent être réglés [shall be settled] par l'arbitrage, et la sentence arbitrale peut être homologuée par une cour compétente».

Le verbe «shall» est impératif. «Settled» veut dire «réglé». Dans ce contexte, «régler» signifie suivant Le petit Robert, «résoudre définitivement».

Qu'il suffise de renvoyer aux arrêts suivants dans lesquels des expressions semblables ou analogues à celles ici utilisées ont été jugées constituer des clauses compromissoires parfaites: Commission scolaire régionale des Bois Francs (précité): «sera réglé»; Liman (précité): «shall be finally settled»; Prevost Silk Screen Inc. c. Produits Franco Inc., J.E. 80-298 (C.S.), rendu le 12 mars 1980: «shall be settled by arbitration».

3. LA TARDIVETÉ DE L'EXCEPTION DÉCLINATOIRE

Bien que ce moyen ait été soulevé devant la Cour d'appel, celle-ci n'en a pas traité.

Les moyens déclinatoires sont régis par les art. 163 et 164 C.p.c.:

163. Le défendeur assigné devant un tribunal autre que celui où la demande eût dû être portée, peut demander le renvoi devant le tribunal compétent relevant de l'autorité législative du Québec, où, à défaut le rejet de la demande.

[page 544]

164. L'incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause et peut même être déclarée d'office par le tribunal, qui adjuge les dépens selon les circonstances.

L'article 163 vise l'incompétence ratione personae ou relative. L'article 164 vise l'incompétence ratione materiae ou absolue.

Dans Garsonnet, Traité théorique et pratique de procédure, t. I, Paris, 1892, aux pp. 635 et 636, on lit:

CXLIX. La théorie de la compétence se divise en deux parties très distinctes: la compétence ratione materiae et la compétence ratione personae. La compétence ratione materiae est le droit pour les tribunaux qui appartiennent à un ordre de juridiction de connaître d'une affaire à l'exclusion des tribunaux d'un autre ordre; la compétence ratione personae est le droit pour les tribunaux qui appartiennent à un ordre de juridiction de connaître d'une affaire à l'exclusion des autres tribunaux du même ordre. L'une s'appelle ainsi parce que les affaires sont réparties entre les différents ordres de tribunaux à raison de leur nature; le nom de l'autre vient de ce qu'entre tribunaux du même ordre la compétence est généralement déterminée par le domicile ou par la résidence du défendeur. Par contre, un tribunal est incompétent ratione materiae à l'égard des procès attribués à un autre ordre de juridiction; il n'est incompétent que ratione personae à l'égard de ceux qui relèvent d'un autre tribunal du même ordre.

L'application de ces principes ne présente ordinairement pas de difficulté. 1° Sont incompétents ratione materiae: 1) une cour d'appel, à l'égard des affaires qui n'ont pas traversé le premier degré de juridiction; 2) un juge de paix, à l'égard des actions immobilières ou relatives à l'état des personnes; 3) un conseil de prud'hommes, à l'égard des contestations qui ne sont pas survenues entre un patron et un ouvrier à l'occasion de leur industrie; 4) un tribunal de commerce, à l'égard des actions dont le caractère est purement civil.

Dans son Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit québécois, Montréal, 1972, le juge Albert Mayrand, maintenant juge à la Cour d'appel, donne les définitions suivantes, aux pp. 163 et 164:

RATIONE MATERIAE

En raison de la matière

[page 545]

Cette locution latine est utilisée dans la version française de l'article 164 du Code de procédure civile.

La compétence ratione materiae d'un juge ou d'un tribunal est celle qui lui est attribuée pour connaître un litige en raison de la matière. C'est la compétence matérielle ou d'attribution (e.g. C.p.c. art. 32 et 35).

[…]

RATIONE PERSONAE

En raison de la personne

La compétence ratione personae d'un juge ou d'un tribunal dépend du rattachement géographique des causes à une circonscription judiciaire. Ce rattachement peut dépendre soit de la situation du justiciable (ordinairement le défendeur), soit de la localisation de l'objet du litige ou de l'endroit où le litige a pris naissance. Dans le premier cas, c'est la compétence ratione personae proprement dite. Dans le second, on parle plutôt de la compétence ratione loci.

Par l'effet de la clause compromissoire, le litige est soustrait à la compétence des tribunaux de droit commun. Les parties, comme on l'a vu, doivent passer compromis et soumettre le litige à l'arbitrage. La sentence sera soumise au tribunal compétent pour homologation, mais suivant le deuxième alinéa de l'art. 950 C.p.c., le tribunal «ne peut [...] s'enquérir du fond de la contestation».

S'agit-il d'incompétence ratione personae ou relative, ou d'incompétence ratione materiae ou absolue?

Dans le premier cas, l'exception déclinatoire doit, aux termes de l'art. 161 C.p.c. être proposée en même temps que les autres moyens mentionnés à cet article et cela «dans les cinq jours de la date de l'expiration du temps fixé pour comparaître ou de l'avis prévu à l'article 152, ou s'il y a eu demande d'évocation, de la date du jugement qui en a disposé». En l'espèce, s'il s'agit d'incompétence ratione personae ou relative, il va sans dire que l'exception. déclinatoire présentée près de sept ans après l'institution de l'action devrait être rejetée comme tardive.

Suivant l'article 164, cependant, l'incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause.

[page 546]

Trois seuls arrêts ont été cités qui traitent de cette question.

Dans Régie des installations olympiques c. D'Astous, [1981] C.S. 258, il fut décidé qu'il s'agissait d'une incompétence relative. La Cour supérieure s'est prononcée dans le même sens dans Guité c. Club de hockey Les Nordiques de Québec Inc., J.E. 81-800 (C.S.), rendu le 17 juin 1981.

Dans Prevost Silk (précité), la Cour supérieure a décidé au contraire qu'il s'agissait d'une incompétence ratione materiae. Le moyen était soulevé par le plaidoyer au fond et c'est lors de l'audition au fond que le juge Reeves a rejeté l'action pour ce motif. Il écrit aux pp. 6 et 7 de son jugement:

Il s'agit là d'une clause compromissoire qui est valide.

Lorsque le différend est né, les parties doivent passer compromis (articles 951 et 941 C.P.C.)

Ceci étant, et se prononçant sur ce seul aspect du litige, la Cour doit constater qu'elle est sans juridiction pour adjuger au mérite.

Plus loin le juge poursuit:

La défenderesse pouvait et devait cependant décliner la compétence du Tribunal in limine litis, selon l'article 163 C.P.C. Les frais seront adjugés en conséquence, et suivant la discrétion accordée au Tribunal par l'article 164 C.P.C.

En conséquence le juge rejette l'action avec les dépens d'une action rejetée sur requête déclinatoire avant défense.

S'appuyant sur ce seul dernier passage et sur le renvoi qui y est fait à l'art. 163, le procureur de l'appelante a soutenu que cet arrêt décide que l'incompétence est relative plutôt qu'absolue. C'est une méprise de la part du procureur. Il est manifeste en effet que le juge a considéré que son incompétence était absolue puisqu'il a rejeté l'action. Exerçant par ailleurs sa discrétion il a limité les dépens.

Me Colas, par contre, dans son article précité, «Clause compromissoire, compromis et arbitrage en droit nouveau», émet l'opinion suivante aux pp. 136 et 137:

Cette incompétence des tribunaux de droit commun n'est que relative, puisqu'en l'absence de la clause compromissoire,

[page 547]

le différend ressort nécessairement de leur juridiction. C'est donc au début du procès, in limine litis, après l'exception de cautionnement judicatum solvi, mais avant toutes autres exceptions et défenses que doit être opposé le déclinatoire de compétence en raison de la clause compromissoire;

Dans Caribou Construction Inc. c. Robert McAlpine Ltd., [1976] C.A. 393, la Cour d'appel infirme un jugement de la Cour supérieure qui avait invoqué d'office son incompétence ratione materiae face à une clause compromissoire et rejeté l'action pour ce motif. La Cour d'appel ne se prononce pas sur la question de savoir s'il s'agit d'une incompétence ratione personae ou ratione materiae, mais appuie son jugement sur le fait que la défenderesse, par son comportement, avait renoncé à la clause. La défenderesse avait plaidé au fond en demandant que des offres réelles antérieurement faites par elle soient déclarées bonnes et valables. Le juge Casey écrit, au nom de la Cour, aux pp. 393 et 394:

[TRADUCTION] On peut dire que ces paragraphes se rapportent à l'arbitrage, mais dans les circonstances exposées ci-dessus, ils ne peuvent être interprétés comme un refus de se soumettre à la Cour ou l'anéantissement de la renonciation que supposait nécessairement la conduite antérieure de l'intimée. Dans les circonstances, ni l'intimée ni la Cour de première instance ne peuvent remettre la clause en vigueur de façon unilatérale.

En France, la question a fait l'objet d'une controverse qui n'a jamais été résolue. Jean Robert, dans son traité Arbitrage civil et commercial, 3° éd., 1961, t. I, écrit à la p. 128:

1° La nature de l'incompétence créée par la clause compromissoire n'a pas encore fait l'unanimité et le partage est total.

Il mentionne avoir lui-même changé d'avis à diverses reprises pour finalement, dans cette troisième édition, épouser la thèse de l'incompétence relative.

L'auteur souligne que la Cour de cassation s'est prononcée pour une incompétence absolue tandis que les cours d'appel étaient en grande majorité favorables à une incompétence relative, y compris la Cour de Paris qui d'abord favorable à l'incompétence

[page 548]

absolue, s'est ralliée à l'incompétence relative. Puis il ajoute à la p. 129:

Mais, ainsi que nous l'annoncions ci-dessus, cette distinction entre une nullité absolue ou relative a aujourd'hui perdu à peu près tout intérêt. C'est qu'en effet dans la rédaction ancienne des textes du Code de procédure, l'article 170 stipulait que si le tribunal était incompétent à raison de la matière, le renvoi pouvait être demandé «en tout état de cause», et s'il ne l'était pas, le tribunal était tenu de renvoyer d'office. Ceci faisait qu'à l'inverse, si l'incompétence était relative, la disposition combinée des articles 168 et 192 faisait que l'exception d'incompétence ratione loci était irrecevable si elle n'était pas proposée avant qu'il ait été conclu au fond.

Or, dans la réforme du 22 décembre 1958:

a) les exceptions d'incompétence doivent être soulevées après l'exception de caution et avant toutes autres exceptions et défenses, même si les règles de compétence étaient d'ordre public (art. 168 nouveau),

b) l'incompétence ratione materiae ne peut être prononcée d'office que si la loi attribue compétence à une juridiction répressive ou administrative, dans les instances où les règles de compétence sont d'ordre public (divorce, questions d'état, etc.), lorsque le litige est de la compétence en dernier ressort du tribunal d'instance (art. 171 nouveau).

Il en résulte que les parties devront toujours soulever l'exception d'incompétence in limine litis, à peine de forclusion, de telle sorte qu'à leur égard la distinction sur la nature de la compétence demeure sans conséquence. Quant au tribunal, les cas où il pourrait la soulever d'office sont réduits à peu près à rien puisque les matières où les règles de compétence sont d'ordre public sont des matières communicables, à l'occasion desquelles il n'est pas permis de compromettre, et où par conséquent ne pourrait se poser un litige de compétence entre les arbitres et les juridictions de droit commun.

Cette modification au code français par l'effet de laquelle les parties devront toujours soulever l'exception d'incompétence in limine litis, à peine de forclusion, me semble équivaloir pratiquement à une détermination législative de la question ou à tout le moins de ses effets.

La Cour de cassation, par contre, dans un arrêt du 23 janvier 1951, J.C.P. 1951, IV, p. 45, avait décidé que l'exception d'incompétence découlant

[page 549]

d'une clause compromissoire pouvait être soulevée même d'office:

Arbitres — Arbitrage — L'exception d'incompétence tirée de ce qu'un contrat de location décidait qu'à la fin du bail, la plus-value ou la moins-value du matériel, partie intégrante du fonds loué, serait établie par des arbitres amiables compositeurs, peut être soulevée même d'office par la juridiction saisie au mépris de ce compromis et sans que cette exception soit expressément énoncée dans les conclusions du défendeur (Comm., 23 janvier 1951; Merat).

De même, avant de se raviser et de se rallier à l'incompétence relative comme nous l'avons vu, la Cour de Paris dans un arrêt du 13 décembre 1950, Rep. Commaille II, 1951, p. 146, ne 18394 avait décidé ainsi:

18394. — Arbitrage. — Clause compromissoire. — Incompétence Tribunal de Commerce. — Exception recevable à tout moment. — La clause compromissoire rend le Tribunal de Commerce incompétent ratione materiae; cette incompétence peut être opposée en tout état de cause et ne saurait être couverte que par la volonté non équivoque du défendeur d'y renoncer. Cette renonciation ne résulte pas nécessairement du fait de conclure d'abord au fond devant le Tribunal de Commerce (Cour Paris, 4' ch., 13 décembre 1950, Gaz. Pal. 20 avril 1951).

Dans l'Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit commercial, t. I, 1980, 2e éd., verbo «Arbitrage commercial», on peut lire au n° 57:

57. La clause compromissoire, analysée comme une prorogation conventionnelle de juridiction (Paris, 27 juin 1957, J.C.P. 1958. IV. 96; 14 mai 1959, D. 1959.437), rend indiscutablement incompétentes les juridictions de droit commun (Civ. 9 janv. 1933, D.H. 1933. 164, S. 1933. 1. 145; 27 févr. 1939, Gaz. Pal. 1939. 1. 678; 22 janv. 1946, D. 1946.239; Corn. 11 oct. 1954, Rev. arb. 1955. 58; Paris, 23 févr. 1959, ibid, 1959.87). Il importe peu de savoir s'il s'agit d'une incompétence relative ou absolue, ratione loci ou materiae, puisque les parties doivent nécessairement soulever cette exception in limine litis (V. Décr. ne 72-684 du 20 juill. 1972, art. 14, D. 1972. 428).

S'il était loisible au législateur français d'imposer que l'incompétence ratione materiae soit soulevée dès le début de l'instance à peine de forclusion au même titre que l'incompétence ratione personae, il en est autrement ici. C'est qu'en France

[page 550]

tous les ordres de juridiction tirent leur compétence de la même source. En décrétant qu'à défaut d'avoir été soulevée dans un délai restreint l'incompétence ratione materiae ne peut plus l'être, le législateur français se trouve à investir le tribunal saisi de la compétence requise pour poursuivre l'affaire. Cela n'est pas possible de façon complète ici où, par exemple, les tribunaux tirent leur compétence les uns du législateur provincial, les autres du législateur fédéral. Ainsi une disposition du Code de procédure civile qui stipulerait qu'à défaut d'une exception déclinatoire dans les délais la Cour supérieure a compétence, serait inapplicable dans le cas où la matière ressortit à la compétence exclusive de la Cour fédérale. Quoi qu'il en soit l'art. 164 C.p.c. porte toujours que l'incompétence ratione materiae peut être soulevée en tout état de cause. La question conserve donc toute son importance et il faut bien déterminer si l'incompétence de la Cour supérieure résultant d'une clause compromissoire est de cette nature.

M'inspirant des arrêts précités de la Cour de cassation et de la Cour de Paris antérieurs à la modification du Code français, et du jugement de la Cour supérieure dans Prevost Silk (précité), je formule l'avis qu'il s'agit d'une incompétence ratione materiae. Lorsque le législateur stipule expressément que le tribunal «ne peut [...] s'enquérir du fond de la contestation», c'est la compétence du tribunal en raison de la matière qu'il retire.

Je conviens que puisque l'incompétence découle de la convention entre les parties, celles-ci puissent renoncer à la clause compromissoire comme il fut décidé dans l'arrêt Caribou Construction (précité). Ce n'est certainement pas le cas en l'espèce alors que l'arbitrage a de fait eu lieu à l'initiative de l'appelante et qu'une sentence a été rendue. Par ailleurs, l'on ne peut certainement pas dire que par son comportement ultérieur l'intimée a renoncé à la clause puisqu'elle l'invoque comme moyen de défense dans son plaidoyer au fond.

Conclure autrement me paraîtrait faire peu de cas de cette institution nouvelle consacrée lors de la révision du Code de procédure civile par le

[page 551]

législateur qui a décrété que lorsque le différend est né les parties doivent passer compromis; que si l'une d'elles s'y refuse et ne nomme pas d'arbitre, il est procédé à cette nomination et à la désignation des objets en litige par un juge; que l'arbitrage doit avoir lieu et que sur demande d'homologation de la sentence:

Le tribunal saisi peut entrer dans l'examen des nullités dont la sentence pourrait être entachée ou des autres questions de forme qui peuvent en empêcher l'homologation; il ne peut toutefois s'enquérir du fond de la contestation.

Autrement une partie non satisfaite de la sentence arbitrale pourrait, comme l'appelante a tenté de le faire en l'espèce, ignorer la clause compromissoire, ignorer la sentence arbitrale et procéder en la manière ordinaire et s'il arrivait que la partie adverse ne présente pas une exception déclinatoire dans les cinq jours, ce serait comme si la convention entre les parties et le Code de procédure civile lui-même n'avaient jamais existé.

A mon avis, l'incompétence de la Cour supérieure pouvait être soulevée en tout état de cause et le troisième moyen de l'appelante doit être rejeté.

4. LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE REJETANT L'EXCEPTION DÉCLINATOIRE ÉTAIT-IL SUSCEPTIBLE D'APPEL?

Ce moyen, nous dit l'appelante, a également été soulevé en Cour d'appel qui toutefois n'en a pas traité.

Ce moyen est dénué de tout fondement.

La Cour d'appel a décidé depuis 1935 déjà que le jugement rejetant une requête pour exception déclinatoire est susceptible d'appel: St. Lawrence Starch Co. c. Canada Starch Co. (1935), 58 B.R. 469.

Le juge Adjutor Rivard dans son Manuel de la Cour d'appel, Montréal, 1941, écrit à la p. 103, n° 193.2:

2. D'un interlocutoire qui rejette une exception déclinatoire dont l'effet ne pourrait être que de faire rejeter l'action, on avait d'abord jugé que la permission d'appeler devait être refusée, parce que le jugement final

[page 552]

pouvait, en revisant l'interlocutoire, remédier au mal; cependant, la Cour d'appel a modifié sur ce point sa jurisprudence: elle accorde, en ce cas, la permission, par le motif que, suivant l'art. 166 du C.P.C., (l'exception déclinatoire doit être d'abord vidée et les autres moyens sont ensuite décidés par le tribunal compétent.» Elle entend que le déclinatoire soit vidé d'abord par un jugement de dernier ressort, pour éviter que les autres moyens et le fond même ne soient décidés par un tribunal qui serait plus tard déclaré incompétent.

L'article 161 du nouveau Code reprend en son deuxième alinéa le principe de l'ancien art. 166 à l'effet que le tribunal se prononce d'abord sur l'exception déclinatoire. La jurisprudence de la Cour d'appel depuis 1966 est la même sur cette question que sa jurisprudence antérieure: Herbert Matz (Canada) Ltd. c. Arnsteiner, [1976] R.P. 22; Lafleur c. Hillinger, [1976] R.P. 28; Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona Corporation, [1976] C.A. 395.

5. L'EXEMPLIFICATION D'UNE SENTENCE ARBITRALE PRONONCÉE A L'ÉTRANGER

L'appelante soumet que la clause compromissoire stipule un arbitrage à l'étranger et que la sentence arbitrale qui résulte de cet arbitrage est soumise aux règles du Code de procédure civile relatives à l'exemplification des jugements (art. 178). A défaut de se conformer à ces règles, la sentence est, dit-elle, sans effet. Cette question serait pertinente, à mon avis, s'il s'agissait d'un litige portant sur la sentence arbitrale, tel par exemple une demande d'homologation de la sentence. Mais en l'espèce pour que l'intimée fasse valoir son moyen déclinatoire, il n'était pas nécessaire qu'un arbitrage ait eu lieu ni qu'une sentence ait été rendue. Puisqu'il s'agit d'incompétence ratione materiae la seule présence de la clause compromissoire suffisait à faire échec à l'action de l'appelante devant la Cour supérieure. Il n'est donc pas nécessaire de se prononcer sur les conditions requises pour conférer à une sentence arbitrale prononcée à l'étranger un caractère exécutoire au Québec et je m'en abstiens.

[page 553]

6. LES NULLITÉS DONT SERAIT ENTACHÉE LA SENTENCE ARBITRALE

Pour les mêmes motifs que ceux que j'ai exprimés relativement au cinquième moyen de l'appelante, il n'y a pas lieu de se prononcer sur celui-ci au sujet duquel je ferai une seule observation. Il s'agit d'un énoncé général que l'on trouve dans la réponse de l'appelante au plaidoyer au fond de l'intimée et que l'appelante a repris comme moyen d'appel devant cette Cour. Cet énoncé général n'est nullement circonstancié, ni appuyé sur des documents ou autrement.

Pour ces motifs, je suis d'avis que le pourvoi doit être rejeté avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l'appelante.: Mendelson, Gross, Pinsky, Dizgun, Zelman, Montréal.

Procureur de l'intimée: Jan Zascinski, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Contrats - Arbitrage - Clause compromissoire - Validité d'une clause compromissoire parfaite en droit québécois - Code de procédure civile, art. 950, 951.

Procédure civile - Exception déclinatoire - Clause compromissoire - Incompétence ratione materiae - Exception recevable à tout moment - Jugement rejetant l'exception déclinatoire susceptible d'appel - Code de procédure civile, art. 161, 163, 164.

Par un contrat conclu à Montréal, une entreprise polonaise a confié en exclusivité à l'appelante le mandat de distribuer des films polonais au Canada et dans certains autres territoires. Alléguant violation de la stipulation d'exclusivité et annulation non autorisée du contrat, l'appelante, conformément à la clause compromissoire incluse au contrat, s'est adressée à une cour d'arbitrage à Varsovie pour obtenir compensation. Le tribunal a rejeté sa demande mais a accueilli la demande reconventionnelle de l'intimée. L'appelante a entrepris une nouvelle demande en Cour supérieure fondée sur les mêmes causes d'action. Se basant sur la clause compromissoire, l'intimée a présenté, près de sept ans après l'institution de l'action, une exception déclinatoire. Elle a allégué l'incompétence ratione materiae de la Cour supérieure. La Cour supérieure a rejeté l'exception. La Cour d'appel a infirmé le jugement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La seule présence au contrat de la clause compromissoire suffisait à faire échec à l'action de l'appelante. En adoptant l'art. 951 C.p.c. dans sa forme actuelle, le législateur a reconnu la validité et la légalité de la clause compromissoire parfaite en droit québécois. Face à une telle clause, un tribunal se voit privé de sa compétence; il ne peut s'enquérir du fond de la contestation (art. 950 C.p.c.). En l'espèce, la clause stipulée au contrat est une clause compromissoire parfaite. Les termes utilisés ne peuvent s'interpréter autrement. L'incompétence ratione

[page 530]

materiae de la Cour supérieure pouvait être soulevée à tout moment. Quant à la question de l'appel, la jurisprudence a établi depuis longtemps qu'un jugement interlocutoire rejetant une exception déclinatoire est susceptible d'appel.


Parties
Demandeurs : Zodiak International
Défendeurs : Polish People's Republic

Références :

Jurisprudence: arrêts suivis: Ville de Granby c. Désourdy Construction Ltée, [1973] C.A. 971

St. Lawrence Starch Co. c. Canada Starch Co. (1935), 58 B.R. 469

arrêts approuvés: Syndicat de Normandin Lumber Ltd. c, Le Navire «Angelic Power», [1971] C.F. 263

Société québécoise d'exploitation minière c. Hébert, [1974] C.A. 78

Liman c. K.L.M. Royal Dutch Airlines, [1974] C.A. 505

Commission scolaire régionale des Bois Francs c. J.H. Dupuis Ltée, [1975] C.A. 759

Heyman c. Lafferty, Harwood & Co., [1979] C.A. 231

Prevost Silk Screen Inc. c. Produits Franco Inc., J.E. 80-298 (C.S.)

Herbert Matz (Canada) Ltd. c. Arnsteiner, [1976] R.P. 22

Lafleur c. Hillinger, [1976] R.P. 28

Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona Corporation, [1976] C.A. 395

Cas. Comm., 23 janvier 1951, J.C.P. 1951.IV.45

Cour Paris, 4' Ch., 13 décembre 1950, Rep. Commaille. II.146, n° 18394

arrêts désapprouvés: Régie des installations olympiques c. D'Astous, [1981] C.S. 258

Guité c. Club de hockey Les Nordiques de Québec Inc., J.E. 81-800 (C.S.)

distinction faite avec l'arrêt Caribou Construction Inc. c. Robert McAlpine Ltd., [1976] C.A. 393

arrêts mentionnés: Vinette Construction Ltée c. Dobrinsky, [1962] B.R. 62

National Gypsum Co. v. Northern Sales Ltd., [1964] R.C.S. 144.

Proposition de citation de la décision: Zodiak International c. Polish People's Republic, [1983] 1 R.C.S. 529 (17 mai 1983)


Origine de la décision
Date de la décision : 17/05/1983
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 529 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-05-17;.1983..1.r.c.s..529 ?
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