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23/06/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._794

Canada | Lilly c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 794 (23 juin 1983)


Cour suprême du Canada

Lilly c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 794

Date: 1983-06-23

William Robert Lilly Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

N° du greffe: 16846.

1982: 15, 16 décembre; 1983: 23 juin.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

Cour suprême du Canada

Lilly c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 794

Date: 1983-06-23

William Robert Lilly Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

N° du greffe: 16846.

1982: 15, 16 décembre; 1983: 23 juin.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 794 ?
Date de la décision : 23/06/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès ordonné

Analyses

Droit criminel - Vol - Sommes déposées en fiducie relativement à des opérations immobilières - Défense d’apparence de droit - Exposé au jury - Directive erronée - Nouveau procès ordonné - Code criminel, S.R.C 1970, chap. C-34, art. 283, 294 (abr. & rempl. par 1 (Can.), chap. 93, art. 25).

L’appelant, un courtier en immeuble, a été déclaré coupable du vol de 26 759,58 $, des fonds versés «en fiducie» relativement à des opérations immobilières. Pour dix-huit des vingt et une opérations visées dans le chef d’accusation à l’égard duquel il a été déclaré coupable, l’appelant a invoqué la défense d’apparence de droit, alléguant qu’il croyait qu’il pouvait légitimement virer les montants du compte en fiducie au compte général de l’agence une fois que les offres d’achat des immeubles avaient été acceptées. Quant aux autres opérations pour une somme totale de 13 500 $, il a invoqué l’absence de connaissance des virements. La Cour d’appel a rejeté son appel. Ce pourvoi vise à déterminer si le juge du procès a donné au jury une directive erronée quant au sens de l’expression «apparence de droit».

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès ordonné.

Dans son exposé, le juge du procès a donné une directive erronée au jury. Le sort de la défense d’apparence de droit de l’appelant ne dépendait pas de la décision du jury quant au moment où les commissions devenaient payables. La défense dépendait plutôt de ce que le jury était convaincu hors de tout doute raisonnable qu’au moment des virements l’appelant ne croyait pas honnêtement qu’il avait droit à ces sommes, et ne dépendait pas, comme on l’a dit aux jurés, de la notion qu’ils se faisaient des droits de l’appelant. Comme il est impossible en l’espèce de savoir si la déclaration de culpabilité repose seulement sur les opérations auxquelles la défense d’apparence de droit ne s’appliquait pas, elle ne peut donc être maintenue.

[Page 795]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui a rejeté l’appel de l’appelant contre sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation de vol. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Peter Foley, pour l’appelant.

Audrey S. Brent, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE LAMER — William Robert Lilly, un courtier en immeuble, a été déclaré par un jury de Saskatoon coupable du vol de 26 759,58 $, des fonds versés à Lilly Agencies Ltd. en fiducie relativement à diverses opérations immobilières. Son appel à la Cour d’appel de la Saskatchewan à l’encontre de la déclaration de culpabilité a échoué et il a par la suite obtenu l’autorisation générale de se pourvoir devant cette Cour.

Comme je suis d’avis d’accueillir son pourvoi sur un des moyens qu’il fait valoir devant cette Cour, je ne vois pas la nécessité d’examiner ces autres moyens d’appel et je ne veux mentionner que les faits et les procédures relatifs à ce moyen d’appel et à son issue.

Il a été accusé sous deux chefs d’accusation de vol; il a été acquitté de l’un et a été déclaré coupable sous le chef d’accusation suivant:

[TRADUCTION] Que ledit William Robert Lilly a, entre le 1er octobre 1977 et le 2 mars 1978, à Saskatoon (Saskatchewan), volé environ vingt-six mille sept cent cinquante‑neuf dollars et cinquante-huit cents (26 759,58 $), représentant des sommes versées à Lilly Agencies Ltd. en fiducie relativement à des opérations immobilières portant sur la vente ou la location d’immeubles, en contravention à l’alinéa 294a) du Code criminel.

Cette somme de 26 759,58 $ est le montant d’argent que, de l’avis du surintendant adjoint des assurances de la Saskatchewan, suite à une vérification des livres de l’agence, l’accusé aurait détourné. Cette conclusion s’appuie sur l’opinion que le dépôt, dans une opération immobilière, doit être conservé en fiducie jusqu’à ce que l’opération soit complétée. Cette opinion n’est pas contestée devant cette Cour.

[Page 796]

Le montant total des dépôts versés par les clients à l’agence de l’accusé pour quelque vingt et une opérations était de 28 851,10 $. Puisqu’il restait au compte en fiducie au moment de la vérification une somme de 2 091,52$, le chef d’accusation portait sur la différence.

L’appelant ne prétend pas qu’il avait droit aux sommes virées du compte «en fiducie» au compte général de l’agence. Il dit qu’il n’était pas au courant de certains de ces virements, alors que pour les autres, il dit que, bien qu’il ait été au courant, il croyait être fondé en droit à virer ces sommes puisqu’il croyait à ce moment qu’il pouvait légitimement le faire une fois que les offres d’achat des immeubles avaient été acceptées.

Des vingt et une opérations auxquelles se rapporte le chef d’accusation sur lequel il a été déclaré coupable, il y en a trois, pour une somme totale de 13 500$, pour lesquelles, lorsqu’il a été contre-interrogé par la poursuite, il n’a pas invoqué l’«ap-parence de droit» mais uniquement l’ignorance du fait que les sommes ont été virées.

Le moyen pour lequel l’appelant doit réussir devant cette Cour se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le savant juge du procès a commis une erreur de droit en donnant au jury des directives erronées quant au sens de l’expression «apparence de droit».

Dans son exposé au jury sur cet aspect du droit pertinent en l’espèce, le juge du procès a d’abord dit:

[TRADUCTION] L’expression «apparence de droit» signifie simplement une croyance de bonne foi ou une croyance honnête. Et une croyance de bonne foi ou une croyance honnête peut découler d’une erreur véritable ou même, dans certains cas, de l’ignorance. Par conséquent, dans la définition du vol, l’expression «sans apparence de droit» signifie simplement l’absence d’une croyance de bonne foi ou d’une croyance honnête. Il vous appartient de décider suivant la preuve si l’accusé, en ce qui a trait au premier chef, a agi de façon malhonnête et sans apparence de droit lorsque les sommes ont été virées, comme on le prétend, du compte en fiducie de la société au compte général. Je vous signale que la définition se lit: prend «frauduleusement et sans apparence de droit», et non: prend «frauduleusement ou sans apparence de droit». Si vous arrivez à la conclusion que l’accusé a pris les sommes et que l’accusé

[Page 797]

a agi frauduleusement et sans apparence de droit, et qu’il a pris ces sommes du compte en fiducie avec l’intention d’en priver le propriétaire, vous devez — dans ce cas, vous devriez déclarer l’accusé coupable relativement au premier chef.

Ensuite, il a examiné de façon impartiale et avec exactitude la défense de l’appelant selon laquelle il ne savait pas qu’il manquait des sommes dans le compte «en fiducie», et il est revenu sur la défense d’apparence de droit de l’accusé en disant:

[TRADUCTION] L’accusé me paraît adopter une deuxième position qui est que si vous arrivez à la conclusion que l’accusé était au courant des retraits des sommes du compte en fiducie qui ne se rapportaient pas à des commissions gagnées, c’est-à-dire qu’il savait que le compte en fiducie était à découvert, l’accusé dit que ces retraits n’étaient pas frauduleux et qu’il y avait une apparence de droit pour effectuer ces virements. Vous pourrez examiner avec les dossiers la pièce P-21 et les déficits que M. Childs prétend avoir relevés… La position de l’accusé me paraît être que la société avait le droit d’appliquer ces dépôts aux commissions lorsque le vendeur acceptait l’offre d’achat. Si je me souviens bien, dans tous les cas que mentionne M. Childs, sauf Suburban Golf Course, le dépôt était inférieur au total de la commission de la société, à condition bien sûr que la vente soit complétée. Et selon la preuve, il est évident que la plupart des ventes ont été complétées.

La véritable question relativement à ce moyen de défense est de savoir quand la commission ou une partie de la commission est payable à la société. Des témoignages entendus laissent entendre qu’une vente est complétée à la date de la prise de possession. D’autres témoignages, je pense, disent que si l’offre n’est pas assortie de conditions, la commission est payable à la date à laquelle le vendeur accepte l’offre de l’acheteur. Certains témoignages laissent entendre que la commission n’est payable qu’une fois que l’avocat qui s’occupe de la vente informe l’agent que toutes les formalités relatives à la vente ont été complétées.

(C’est moi qui souligne.)

Il a dit au jury que la date du paiement était d’abord une question de fait qu’il leur appartenait de trancher et il est revenu ensuite au moyen de défense de l’accusé:

[TRADUCTION] Si je comprends bien la position de l’accusé, il dit que la société avait une apparence de droit pour prendre dans le compte en fiducie l’argent qui représentait les commissions, ou une partie des commis-

[Page 798]

sions, lorsque l’offre d’achat était acceptée par l’acheteur. Autrement dit, l’accusé croyait de bonne foi ou honnêtement que lorsque l’offre était acceptée, il pouvait, en sa qualité de président et de gérant, virer au compte général de la société les sommes qui représentaient une partie de la commission de la société puisque les sommes représentaient les recettes de la société. Cependant, la poursuite, si je comprends bien sa position, prétend qu’une vente doit être complétée avant qu’une commission soit gagnée. À titre d’exemple, si vous avez une offre qui n’est pas assortie de conditions, par exemple une condition relative au financement, la commission serait payable je crois, selon la poursuite, à la date de prise de possession. Ou, par exemple, si un avocat qui représente le vendeur informe l’agent que la vente a été complétée, alors la commission devient payable.

La liste des sommes qui manquent dans le compte en fiducie, qu’a établie M. Childs, comprend des ventes auxquelles ont été parties D & K Construction et Symak Construction. Il me semble, pour autant que je me rappelle, vous examinerez les dossiers et en déciderez vous-même, mais il me semble que lorsque l’offre dans ces cas a été acceptée par le vendeur, la résidence était en cours de construction ou la construction n’était pas encore commencée. Dans certains de ces cas, si je me souviens bien, vous étudierez les faits, la prise de possession n’était possible que six ou huit mois après l’acceptation de l’offre par le vendeur. La question est donc, est-ce que l’agent doit attendre sa commission pendant six ou huit mois ou est-ce qu’elle est payable à compter de l’acceptation de l’offre? C’est à vous qu’il appartient d’en décider. Si vous décidez que la commission est payable à la conclusion de l’opération, par exemple, après la prise de possession, il me semble que les sommes qui représentent la commission ne peuvent être virées avant que l’agent en ait été informé. Cependant, il vous appartient de décider si la société, par l’intermédiaire de l’accusé, avait le droit de virer la commission du compte en fiducie au compte général au moment où ce virement a été fait.

(C’est moi qui souligne.)

Avec égards, je suis d’avis qu’il s’agit clairement d’une directive erronée en droit. Le sort de la défense d’apparence de droit de l’accusé ne dépendait pas de la décision du jury quant au moment où les commissions devenaient payables. Certes, ce point était important puisqu’il se rapportait à la question de savoir si les sommes lui appartenaient ou si elles appartenaient à ses clients. Le fait que les sommes appartenaient encore au client était

[Page 799]

une condition préalable à l’obligation, pour l’accusé, de soulever une défense à l’appropriation ou au virement des sommes. La défense de l’accusé dépendait plutôt de ce que le jury était convaincu hors de tout doute raisonnable qu’au moment des virements l’accusé ne croyait pas honnêtement qu’il avait droit à ces sommes, et ne dépendait pas, comme on l’a dit au jury, de la notion que les jurés se faisaient de ses droits.

Bien qu’elle appuie les directives du juge concernant l’apparence de droit, l’intimée fait valoir que si cette Cour est d’un autre avis, la déclaration de culpabilité doit quand même être maintenue puisque ce moyen de défense ne vise pas 13 500 $ sur les 26 759,58 $. En effet l’appelant a admis que, dans le cas des trois opérations auxquelles se rapporte cette somme, il s’appuie uniquement sur l’absence de connaissance de sa part des virements du compte «en fiducie» au compte général. Cet argument, invitant à première vue, a de fait servi de motif à la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan, mais il ne résiste pas à un examen plus approfondi. Ce raisonnement me semble faire abstraction de trois faits. Premièrement, la poursuite a choisi de ne pas identifier les opérations dans des chefs d’accusation distincts. C’est son droit et on comprend son attitude étant donné que les virements portaient sur des sommes qui ne correspondaient pas à des dépôts précis. Cependant, au cours du contre-interrogatoire de l’accusé, il est ressorti clairement de ses réponses qu’il y avait, à compter de ce moment, deux groupes d’opérations en jeu, un qui permettait de soulever la défense d’apparence de droit et un autre qui ne le permettait pas. Il aurait été préférable de séparer le chef d’accusation à ce stade-là. Certes, s’il s’était agi d’un procès devant un juge seul, il aurait tranché cette question dans les motifs du jugement ou encore il aurait pu y avoir un verdict de culpabilité pour la somme moindre de 13 500 $, indiquant clairement que la défense d’apparence de droit aurait réussi lorsqu’elle s’appliquait et que celle d’«absence de connaissance» prise isolément aurait échoué. Mais il s’agit ici d’un procès devant jury, et c’est le deuxième fait auquel je fais référence.

[Page 800]

Les jurys ne donnent pas de motifs. En outre, on n’a pas dit aux jurés qu’ils pouvaient déclarer l’accusé coupable pour un montant moindre s’ils étaient convaincus que la défense d’apparence de droit était recevable à l’égard de certaines des opérations. Plutôt, et cela m’amène au troisième fait dont j’ai fait mention, le juge du procès a dit aux jurés, dans son exposé, [TRADUCTION] «VOUS n’êtes pas obligés de fixer le montant exact volé mais vous êtes obligés de décider qu’en l’espèce le montant volé dépasse 200 $ pour chaque chef» (par «chaque chef» il voulait dire chacun des deux chefs de l’acte d’accusation). Je m’empresse de dire qu’il ne s’agit pas là d’une directive erronée. Cependant, lorsqu’il y a, comme en l’espèce, une défense d’apparence de droit applicable uniquement à certaines des opérations, cette directive, jointe à une directive erronée quant à ce moyen de défense, produit l’effet suivant: ne sachant pas si le verdict de culpabilité du jury portait sur une, sur plusieurs ou sur toutes les opérations, le verdict pouvait porter sur une des opérations auxquelles s’appliquait la défense d’apparence de droit et pour laquelle j’ai conclu à une directive clairement erronée.

Je suis par conséquent d’avis d’accueillir le présent pourvoi, de casser la déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès. J’ai d’abord cru bon de séparer le chef d’accusation avant de retourner le dossier à la cour d’instance inférieure. Après y avoir mûrement réfléchi, j’estime préférable de laisser le juge du procès en décider compte tenu de ce que la poursuite pourrait choisir de faire ou de ce que la défense pourrait demander relativement à l’accusation.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureurs de l’appelant: Gauley & Co., Saskatoon.

Procureur de l’intimée: Audrey S. Brent, Regina.


Parties
Demandeurs : Lilly
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Lilly c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 794 (23 juin 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-06-23;.1983..1.r.c.s..794 ?
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