Cour suprême du Canada
Gray c. Cotic, [1983] 2 R.C.S. 2
Date: 1983-09-27
Michael Ross Gray, administrateur ad litem de la succession de feu Jose Izquierdo (Plaignant) Appelant;
et
Filomena Cotic, administratrice de la succession de feu Nediljko Cotic (Défendeur) Intimée.
N° du greffe: 16681.
1983: 18 mai; 1983: 27 septembre.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Estey et Mclntyre.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 124 D.L.R. (3d) 641, 33 O.R. (2d) 356, qui a rejeté l’appel d’un jugement du juge Haines siégeant avec un jury. Pourvoi rejeté.
Ian Scott, c.r., et Paul Lee, c.r., pour l’appelant.
Bruce Thomas, c.r., et Robert Kligman, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
LE JUGE MCINTYRE — L’appelant est administrateur ad litem de la succession de feu Jose Izquierdo et l’intimée est administratrice de la succession de feu Nediljko Cotic. Le 10 août 1975, le véhicule conduit par Izquierdo et celui conduit par Cotic sont entrés en collision à Toronto. L’accident est entièrement imputable à la négligence d’Izquierdo qui a été tué dans la collision en même temps que son jeune fils. Cotic, son épouse et deux enfants ont été blessés dans l’accident et ont en conséquence intenté des poursuites contre l’appelant, lesquelles ont été réglées à l’amiable. Antérieurement à l’accident, Cotic avait souffert de troubles mentaux. Son état mental s’est détérioré après l’accident, évolution qui serait due, en partie du moins, à un sentiment de culpabilité causé par la mort d’Izquierdo et de son fils. Le 15 décembre 1976, environ seize mois après l’accident, Cotic s’est suicidé par pendaison. En conséquence, l’intimée, soutenant que le suicide résultait de l’accident dont Izquierdo était entièrement responsable, a poursuivi l’appelant en dommages-intérêts en vertu de The Fatal Accidents Act, R.S.O. 1970, chap. 164.
Avant le procès, tenu devant un juge et un jury, les avocats des parties se sont entendus sur les points suivants avec l’approbation du juge:
1. Le défendeur (l’appelant en l’espèce) a admis la responsabilité de l’accident d’automobile.
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2. Le montant du préjudice qu’a subi la demanderesse (l’intimée en l’espèce) a été fixé d’un commun accord à 76 000 $ (ce chiffre a été accepté parce qu’il représentait le solde des fonds disponibles en vertu de l’assurance du défendeur).
3. La seule question à soumettre au jury devait être: «Le défendeur a-t-il été la cause immédiate ou indirecte du décès de feu Ned Cotic, du fait de l’accident d’automobile? Répondez «oui» ou «non».»
Le jury a répondu affirmativement à la question, et jugement a été rendu en faveur de l’intimée pour la somme de 76 000 $ et les dépens. Le jugement comportait également des directives sur la répartition des sommes entre l’intimée et ses deux enfants mineurs, question qui n’est pas en cause ici.
Le défendeur a interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Lacourcière, Weatherston et Wilson) et a fait valoir que le juge avait omis d’exposer au jury la question de la prévisibilité du suicide en raison de l’accident. La question litigieuse en Cour d’appel impliquait la conciliation de l’opposition apparente entre le principe de la prévisibilité du dommage, énoncée dans l’arrêt Overseas Tankship (U.K.) Ltd. v. Morts Dock & Engineering Co. Ltd. (Wagon Mound No. 1), [1961] A.C. 388, et la doctrine dite de la «vulnérabilité de la victime» qui porte que l’auteur du dommage doit subir les conséquences de l’état antérieur de la victime. Prononçant le jugement de la majorité en Cour d’appel, le juge Lacourcière a conclu à l’inexistence de cette opposition et a jugé que l’exposé du juge au jury était adéquat. Le juge Wilson (tel était alors son titre) a souscrit à la conclusion que l’appel devait être rejeté, mais a conclu que, dans un cas de «vulnérabilité de la victime», le principe de la prévisibilité des dommages ne s’appliquait pas.
L’appelant a fait valoir devant cette Cour les mêmes arguments qu’en Cour d’appel. L’avocat de l’intimée admet que la question en litige devant la Cour d’appel soulève un point de droit intéressant, mais il soutient qu’elle ne doit pas être soumise à cette Cour dans les circonstances de l’espèce. L’intimée fait valoir qu’en échange de son consentement à réduire de 250 000 $ à 76 000 S le montant des dommages-intérêts réclamés, les parties