La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/1983 | CANADA | N°[1983]_2_R.C.S._173

Canada | Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173 (13 octobre 1983)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173

Date : 1983-10-13

Allan Norman Racine et Sandra Christine Racine Appelants;

et

Linda Jean Woods Intimée.

No du greffe: 17605.

1983: 23 et 24 juin; 1983: 13 octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU MANITOBA

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1982), 19 Man. R. (2d) 186, qui a accueilli en partie un appel d'une ordonnance d'adoption accordée par le juge Krindle

. Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Leon R. Fishman, pour les appelants.

Victor S. Savino, pour l'...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173

Date : 1983-10-13

Allan Norman Racine et Sandra Christine Racine Appelants;

et

Linda Jean Woods Intimée.

No du greffe: 17605.

1983: 23 et 24 juin; 1983: 13 octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU MANITOBA

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1982), 19 Man. R. (2d) 186, qui a accueilli en partie un appel d'une ordonnance d'adoption accordée par le juge Krindle. Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Leon R. Fishman, pour les appelants.

Victor S. Savino, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE WILSON — Le présent pourvoi met une fois de plus en relief, cette fois dans un contexte interracial, que la loi ne considère plus que les enfants sont la propriété de ceux qui leur ont donné la vie mais qu'elle recherche ce qui leur convient le mieux.

Leticia Grace Woods («Leticia») est née à Portage la Prairie, au Manitoba, le 4 septembre 1976; elle est la fille de Linda Woods, une Indienne, qui était alors l'épouse de Lloyd Woods. Lloyd Woods n'est pas le père de l'enfant; des procédures de

[page 175]

divorce étaient en cours au moment de la naissance de Leticia. Les époux Woods ont eu ensemble deux enfants: Jason, neuf ans et Lydia, huit ans. Mme Woods a admis qu'elle avait un grave problème d'alcoolisme et qu'elle ne pouvait prendre soin de Leticia. D'abord son frère, puis sa soeur ont pris soin du bébé. Les autres enfants, Jason et Lydia, sont restés chez leur père.

Le 20 octobre 1976, conformément aux dispositions relatives à la protection des enfants de The Child Welfare Act, C.C.S.M., chap. C80 «la Loi»), la Children's Aid Society of Central Manitoba (la (Société d'aide à l'enfance») a pris Leticia, alors âgée de six semaines, en charge et l'a placée en foyer nourricier. Au mois de février 1977, le juge Kimmelman, du consentement de la mère, a déclaré Leticia pupille de la Société pour une période d'un an, qui a été prorogée de six mois par la suite. Le 11 février 1977, Leticia a été confiée au foyer nourricier de Sandra Ransom (plus tard Sandra Racine) et de son époux Lorne Ransom. Les Ransom se sont séparés au cours de l'été 1977 et, au mois de septembre de la même année, Sandra a commencé à cohabiter avec Allan Racine qu'elle a épousé par la suite. Leticia a habité avec eux avec l'accord de la Société d'aide à l'enfance jusqu'à l'expiration de la tutelle au mois de mars 1978. La Société a alors pris des dispositions pour que l'enfant retourne avec sa mère qui habitait à Brandon avec ses deux autres enfants. Les Racine ont pleinement collaboré à son retour qui a eu lieu le 4 mai 1978.

Durant la tutelle, Mme Woods n'a fait aucun effort pour prendre contact avec sa fille, mais au début de 1978, elle a laissé entendre à la Société que sa soeur pourrait l'adopter. Il semble que la soeur avait des réserves à ce sujet, et le projet n'a pas abouti. Les Racine s'étaient évidemment attachés à l'enfant et ils s'inquiétaient du soin qu'on en prenait. Ils ont par conséquent accepté l'invitation de Mme Woods de lui rendre visite. De fait, ils ont rendu visite à Leticia à deux reprises et, à leur seconde visite, au mois de mai 1978, avec le consentement de Mme Woods, ils ont ramené Leticia chez-eux. La preuve concernant l'intention de Mme Woods de laisser la garde de Leticia aux Racine est contradictoire. Elle déclare qu'ils devaient

[page 176]

garder Leticia «quelque temps seulement» jusqu'à ce qu'elle aille la chercher quelques semaines plus tard. Les Racine croyaient qu'elle leur avait confié l'enfant en permanence. Elle leur avait fait part des problèmes qu'elle avait avec Lloyd Woods avec qui elle habitait épisodiquement, et elle semblait se rendre compte de son état d'instabilité émotionnelle. Comme ils croyaient maintenant pouvoir garder Leticia en permanence, les Racine ont communiqué avec la Société d'aide à l'enfance concernant la possibilité de l'adopter. Mme Woods était alors retournée à la réserve avec Lloyd Woods. La Société a informé les Racine qu'elle n'était plus responsable de l'enfant et que, s'ils voulaient l'adopter, ils devaient s'adresser à un avocat. Ils ont suivi ce conseil et ont produit, le 5 octobre 1978, un avis de réception d'un enfant en vue d'une adoption privée conformément au par. 102(1) de la Loi.

Les Racine n'ont eu aucune nouvelle de Mme Woods jusqu'à ce qu'elle se présente chez-eux au mois d'octobre 1978 en disant qu'elle avait quitté Lloyd Woods parce qu'il la maltraitait, qu'elle s'en allait à Regina et qu'elle voulait confier Leticia à sa soeur. Les Racine ont refusé de laisser partir l'enfant. Ils n'ont plus entendu parler de Mme Woods jusqu'au mois de janvier 1982 lorsqu'elle a fait une demande d'habeas corpus. Le 24 février 1982, les Racine ont demandé une ordonnance d'adoption de fait.

La preuve indique clairement qu'à partir du mois de janvier 1978, Mme Woods a essayé avec plus ou moins de succès de se réhabiliter. Elle voulait vaincre son alcoolisme, se libérer de ses liens avec Lloyd Woods et suivre un programme visant à améliorer sa condition. Cependant, elle a connu des difficultés et des périodes de succès, lorsqu'elle était traitée pour l'alcoolisme et qu'elle suivait des cours pour parfaire ses études, alternaient avec des périodes de rechute. Il lui a fallu cinq ans, et l'aide de ses amis, de ses parents et de son entourage sur la réserve pour atteindre ses objectifs. Quand elle y est parvenue, Leticia avait cinq ou six ans et faisait partie intégrante de la famille Racine. Elle a été élevée comme si elle était leur propre fille. La preuve révèle qu'ils sont un très bon couple, actifs et respectés dans leur

[page 177]

milieu, et d'excellents parents. Ils ont deux autres enfants, Melissa, âgée de quatre ans et Jamie, deux ans.

De toute évidence, Leticia est une enfant équilibrée, d'intelligence moyenne, mignonne et en bonne santé; elle réussit bien à l'école, elle va à l'école du dimanche et elle a été baptisée à l'église que fréquentent les Racine. Elle sait que Sandra Racine n'est pas sa mère naturelle, que Mme Woods est sa mère naturelle, et qu'elle est de race indienne. Elle sait que Allan Racine n'est pas son père naturel et qu'il est Métis. Les Racine lui ont expliqué tout cela et l'ont encouragée à être fière de sa culture et de son origine indiennes. Jusqu'à présent, il semble que cela ne lui ait pas causé de problème. Elle a maintenant sept ans, et les témoins experts sont d'avis que les Racine sont ses «parents psychologiques».

Un incident malheureux s'est produit le 3 février 1982. Lorsque les procédures intentées par Mme Woods au mois de janvier 1982 ont été ajournées en attendant la production des rapports d'enquête familiale, cette dernière a décidé de prendre les choses en mains et, avec l'aide d'amis, elle a tenté d'enlever Leticia d'abord à l'école, et ensuite chez les Racine. Heureusement, la fillette n'était pas à la maison à ce moment-là. Il a fallu appeler la GRC. Les Racine ont obtenu une ordonnance ex parte qui leur accordait la garde provisoire et qui interdisait à Mme Woods toute autre tentative d'enlèvement. Mme Woods a demandé que l'ordonnance soit modifiée et a obtenu des droits de visite sous surveillance. A sa première visite, elle a obtenu qu'un journaliste et un photographe du Winnipeg Free Press soient présents. Le reportage a eu une grande publicité dans le journal et il était illustré par une photographie de Mme Woods avec Leticia. Cette publicité a bouleversé la fillette.

Lors d'un procès qui a duré huit jours, le juge Krindle a entendu la requête en adoption des Racine et la demande de Mme Woods pour obtenir la garde de l'enfant. La demande de garde a été rejetée et l'ordonnance d'adoption a été accordée. À la demande de Mme Woods, la Cour d'appel du Manitoba a annulé l'ordonnance d'adoption, a déclaré Leticia pupille de la Cour d'appel, a accordé la garde au couple Racine et a réservé à

[page 178]

Mme Woods le droit de demander ultérieurement un droit de visite ou de garde. Par suite d'une requête visant à obtenir des directives, la Cour d'appel a déféré au juge Huband la demande de Mme Woods visant à obtenir un droit de visite. Lorsqu'il a été informé qu'une requête en autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada était préparée, le juge Huband a ordonné que la demande de droit de visite soit suspendue. Le 17 mai 1983, cette Cour a accordé aux Racine l'autorisation de pourvoi demandée et a ordonné la suspension des procédures. Leticia a continué d'habiter chez les Racine et Mme Woods n'a pas eu le droit de visite depuis l'ordonnance d'adoption du juge Krindle le 12 mai 1982. Mme Woods a interjeté un pourvoi incident devant cette Cour pour le motif que la Cour d'appel du Manitoba a commis une erreur en ne lui confiant pas la garde lorsqu'elle a annulé l'ordonnance d'adoption rendue en faveur des Racine.

La demande d'adoption du couple Racine a été faite en vertu de l'art. 103 de la Loi, soit une adoption de fait étant donné qu'ils ont eu soin de Leticia et l'ont élevée durant une période de trois ans consécutifs. Le paragraphe 103(2) prévoit que dans ce cas, le consentement des parents ou du tuteur n'est pas requis. Le juge Krindle a conclu que les Racine ont eu soin de Leticia et l'ont élevée durant la période de trois ans requise, qu'ils l'ont tirée d'une situation intolérable alors qu'elle était au berceau, qu'ils lui ont donné un excellent foyer, qu'ils ont été des parents dévoués, qu'ils comprennent très bien les problèmes particuliers que présente le fait d'élever une enfant autochtone dans un milieu où prédomine la race blanche et qu'ils font face à ces problèmes d'une manière réfléchie et responsable. Elle a conclu que les Racine sont capables de faire face à une crise d'identité que pourrait connaître Leticia à l'adolescence. En outre, parce qu'il est un Métis, Allan Racine sait à quel point la discrimination raciale peut blesser une âme sensible et, de l'avis du savant juge de première instance, il est pour Leticia un modèle dans l'art de survivre comme membre d'une minorité souvent diffamée. A l'égard de Mme Woods, le juge Krindle a souligné le respect et l'admiration qu'elle a pour son courage et sa détermination et pour le succès de sa réhabilitation. Cependant, elle

[page 179]

s'est en même temps demandé avec inquiétude si Mme Woods serait capable d'éviter les rechutes. Elle a vu des signaux de danger dans [TRADUCTION] «le venin de ses sentiments anti-blancs» et s'est demandée quel effet aurait sur son enfant [TRADUCTION] «sa haine évidente pour tout ce qui est blanc». Elle s'est également demandée si Mme Woods se souciait de son enfant en tant que personne ou en tant que question d'ordre politique. De l'avis du juge Krindle, l'affaire des médias témoignait d'une indifférence incroyable relativement à l'effet que cet incident pouvait avoir sur son enfant. Cela a fait de Leticia, une fillette très secrète, une «cause célèbre» à l'école et dans son milieu. Le juge Krindle a conclu qu'il était dans l'intérêt de l'enfant qu'elle reste avec les Racine.

En plus de décider qu'il était dans l'intérêt de Leticia qu'elle reste avec les Racine, le juge Krindle a conclu que Mme Woods avait abandonné Leticia entre le mois d'octobre 1978 et le mois de janvier 1982. Elle a conclu en ce sens parce qu'elle s'est demandée si le par. 103(2) permettait de passer outre aux droits parentaux dans le cas d'une adoption de fait. Si c'était là l'effet de ce paragraphe, alors la seule question était celle de l'intérêt de l'enfant. Dans le cas contraire cependant, suivant la common law, une mère naturelle ne pourrait perdre la garde de son enfant au profit d'un pur étranger que si elle l'abandonne ou si, de l'avis de la cour, sa conduite était telle qu'il serait inopportun de lui laisser son enfant: voir Re Baby Duffell: Martin v. Duffell, [1950] R.C.S. 737; Hepton v. Maat, [1957] R.C.S. 606; Re Agar: McNeilly v. Agar, [1958] R.C.S. 52.

Après avoir conclu à l'abandon et avoir décidé de l'intérêt de l'enfant, le juge Krindle a prononcé l'ordonnance d'adoption en faveur des Racine et a rejeté la demande de Mme Woods visant à obtenir la garde de l'enfant.

Comme je l'ai déjà dit, la Cour d'appel a annulé l'ordonnance d'adoption. Chacun des trois juges a rédigé des motifs distincts. Le juge Hall aurait confirmé l'ordonnance d'adoption, mais parce que ses deux collègues étaient d'avis de l'annuler, il s'est rallié à la majorité et a souscrit à la solution subsidiaire prônée par le juge O'Sullivan plutôt

[page 180]

qu'à celle du juge Matas.

Le juge O'Sullivan a décidé que la meilleure solution consistait à déclarer Leticia pupille de la Cour, à la confier à la garde des Racine et à réserver à Mme Woods le droit de demander plus tard un droit de visite. Par contre, le juge Matas était d'avis qu'il n'était pas pratique de déclarer l'enfant pupille de la Cour. Il était d'avis d'ordonner un nouveau procès quant à la garde (par opposition à l'adoption), de confier l'enfant à la garde provisoire des Racine et d'accorder à Mme Woods un droit de visite convenu par entente ou prescrit par la Cour.

Pour quels motifs la Cour d'appel a-t-elle modifié le jugement du savant juge de première instance? Le juge Hall a identifié les motifs pour lesquels, à son avis, le jugement aurait dû être confirmé. Il a souligné que le juge de première instance avait eu l'avantage énorme de voir et d'entendre les parties et leurs témoins et qu'elle avait retenu le témoignage de certains experts de préférence à celui d'autres experts. Elle a pu également consulter les rapports d'enquête familiale et elle a fait écho dans ses motifs à l'inquiétude qu'ils manifestent face aux conséquences qu'il y aurait à enlever l'enfant du seul foyer permanent qu'elle a connu et de la séparer des parents de fait auxquels elle est liée psychologiquement. Il a cité la déclaration ferme qu'a faite le juge de première instance après avoir examiné l'ensemble de la preuve:

[TRADUCTION] Je n'ai absolument aucun doute que dans les circonstances, il faut accorder aux Racine une ordonnance d'adoption de Leticia...

Il a conclu que la preuve justifiait entièrement les constatations et les conclusions du juge de première instance. Il a souligné que le juge de première instance était bien consciente de l'importance de l'ascendance et de l'héritage culturels de Leticia et des difficultés que pouvait soulever l'adoption d'un enfant d'une autre race. Elle a accordé une attention particulière au témoignage de l'expert qui a indiqué que Leticia pourrait faire face à une grave crise d'identité au cours de l'adolescence due au fait qu'elle est élevée dans un milieu où la race blanche est prédominante. Elle a conclu que les Racine seraient à même de faire face à cette crise si elle se présente.

[page 181]

Les juges Matas et O'Sullivan ont partagé certaines interrogations relativement à la décision du juge de première instance. Sur la question de l'abandon, ils ont exprimé l'avis que, lorsque Mme Woods a tenté de reprendre sa fille en 1978, les Racine ont refusé de la laisser partir. Comment les Racine peuvent-ils invoquer l'abandon de la part de Mme Woods alors qu'à ce moment-là, ils n'avaient aucun droit de garder l'enfant? Comme l'a dit le juge Matas:

[TRADUCTION] Les actes du couple Racine, bien que fondés sur de bonnes intentions, ont fait obstacle à ce que Mme Woods aurait pu être capable d'accomplir si elle avait eu à faire aux réactions prévisibles de parents nourriciers. De fait, en décidant à ce moment-là de ce qu'ils croyaient être le mieux pour l'enfant, M. et Mme Racine se sont érigés en tribunal ou en organisme de protection de l'enfance.

À mon avis, M. et Mme Racine ne peuvent pas maintenant faire valoir que Mme Woods a abandonné son enfant lorsqu'ils ont délibérément refusé de la remettre à Mme Woods en 1978 et ont commencé une période d'attente de trois ans pour simplifier les procédures légales d'adoption de Leticia. Et il nous est impossible de dire maintenant quelle aurait été l'issue si une demande d'adoption avait été valablement faite en 1978. Au moins, la cour n'aurait pas eu à examiner l'argument du délai particulièrement long. Il ne suffit pas pour les Racine de dire qu'ils ont toujours vécu à la même adresse et que Mme Woods aurait dû savoir où les trouver. A mon avis, la garde qu'invoquent les Racine ne peut servir de fondement à une demande faite en vertu du par. 103 de la Loi.

Le juge O'Sullivan a déclaré:

[TRADUCTION] ... il est difficile de savoir ce que Linda Woods aurait pu faire de plus pour reprendre son enfant détenue illégalement si ce n'est de demander l'aide des organismes de protection de l'enfance, des avocats de l'aide juridique et de la police. Le fait qu'ils aient été incapables de l'aider ne démontre pas qu'elle a abandonné ses droits parentaux mais qu'elle a été incapable de les faire valoir efficacement.

Certes, le juge de première instance a invoqué la période de quatre ans, de 1978 à 1982, pour conclure à l'abandon et la preuve semble appuyer sa conclusion que Mme Woods

[TRADUCTION] ... peut avoir continué à penser à l'occasion à Leticia, mais il reste que pendant quatre ans, elle n'a eu aucun contact avec Leticia, pas même une tentative de sa part de voir comment se portait l'enfant,

[page 182]

ni de lui faire savoir que sa mère s'intéressait à elle, ou de savoir si elle avait besoin d'aide. La seule chose qui pourrait, j'imagine, être considérée comme une tentative «bâclée» d'interrompre l'abandon, c'est la fois où Mme Woods est partie en auto avec George Beaulieu pour se rendre chez les Racine et qu'ils ont fait demi-tour et sont rentrés à Long Plains parce que George Beaulieu n'avait plus d'argent et presque plus d'essence. C'est la seule fois dans toute la période du mois d'octobre 1978 au mois de janvier 1982. Du point de vue de la fillette, durant toute cette période, elle aurait aussi bien pu ne pas avoir une mère naturelle.

Il est évident que les juges Matas et O'Sullivan ont donné à la preuve une interprétation tout à fait différente de celle du savant juge de première instance, et je suis d'accord avec les appelants qu'il n'appartient pas à une cour d'appel d'interpréter de nouveau la preuve. Dans l'arrêt Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, cette Cour (le juge Ritchie, à la p. 807) a approuvé entièrement la remarque suivante de lord Sumner dans l'arrêt S.S. Hontestroom (Owners) v. S.S. Sagaporack (Owners), [1927] A.C. 37, à la p. 47:

[TRADUCTION] ... le fait de ne pas avoir vu les témoins place les juges d'une cour d'appel dans une situation qui reste désavantageuse par rapport à celle du juge de première instance et, à moins que l'on ne démontre que ce dernier a omis de profiter de cet avantage, ou qu'il s'en est clairement servi à mauvais escient, la cour d'instance supérieure ne doit pas prendre la responsabilité d'infirmer des conclusions ainsi tirées, lorsqu'elle ne se base que sur le résultat de ses propres comparaisons et critiques des témoins et de sa propre opinion sur les probabilités de l'affaire. Le déroulement du procès et tout le fond du jugement doivent être examinés et il ne s'agit pas de déterminer si la crédibilité d'un témoin a été établie par contre-interrogatoire ou si le juge a trouvé incroyables les déclarations de ce témoin. Si son appréciation de l'homme forme une partie substantielle des motifs de son jugement, les conclusions du juge de première instance sur les faits, d'après ce que je comprends des décisions, doivent être laissées intactes.

Par conséquent, même si une conclusion qu'il y a eu abandon était une condition préalable à une ordonnance d'adoption en vertu de l'art. 103, je suis d'avis qu'il y avait une preuve suffisante à l'appui de la conclusion du juge Krindle.

Je n'accepte pas non plus l'argument de l'avocat que le juge de première instance ne pouvait conclure

[page 183]

à l'abandon de la part de Mme Woods en raison d'une quelconque fin de non-recevoir qui joue à l'encontre des Racine. Le refus des Racine de remettre l'enfant à Mme Woods au mois d'octobre 1978 lorsqu'elle est apparue chez-eux tard le soir et qu'elle leur a indiqué qu'elle avait quitté Lloyd Woods, qu'elle déménageait à Regina et qu'elle voulait confier Leticia à sa soeur, constitue à mon avis un acte parfaitement responsable de leur part. Je ne crois pas, comme le laisse entendre le juge Matas, qu'ils s'érigeaient en tribunal pour décider du sort définitif de l'enfant. Sauf pour une courte période au mois de mai 1978 après l'expiration de l'ordonnance de tutelle, ils avaient toujours eu soin de Leticia et s'y étaient attachés. Je crois que c'est leur inquiétude pour l'enfant qui les a poussés à agir ainsi. Ils étaient évidemment d'avis que si, en reprenant Leticia, Mme Woods avait l'intention de la confier à sa soeur plutôt que de l'élever elle-même, l'enfant serait peut-être bien mieux avec eux, du moins jusqu'à ce que les autorités compétentes aient examiné le genre de foyer qu'elle pourrait trouver chez la soeur. Il faut se rappeler que les Racine croyaient que Mme Woods leur avait confié Leticia en permanence au mois de mai, et qu'ils avaient l'intention de l'adopter. Ils n'avaient pas entendu parler d'elle depuis le mois de mai jusqu'à ce qu'elle apparaisse au mois d'octobre, et ils n'en ont plus entendu parler jusqu'au mois de janvier 1982, au moment de la délivrance du bref d'habeas corpus. Avec égards pour l'opinion de la majorité de la Cour d'appel, j'estime qu'il est tout à fait mal fondé d'assimiler la conduite des Racine à une sorte de revendication illégale de titre! On parle ici d'une enfant qui a été élevée chez-eux après qu'elle eut été prise en charge par la Société d'aide à l'enfance. Il appartenait à la Cour de décider si, par leur refus de laisser partir Leticia au mois d'octobre 1978, les Racine avaient agi de façon raisonnable dans les circonstances et si cette conduite a réellement empêché Mme Woods de faire valoir son droit à la garde de l'enfant. Le juge de première instance a clairement conclu que ce n'était pas le cas. Elle aurait pu présenter immédiatement sa demande d'habeas corpus sans attendre trois ans pour le faire. Lorsqu'il a conclu qu'en raison de leur refus de laisser partir l'enfant au mois d'octobre 1978, les Racine ne pouvaient invoquer l'abandon, le juge Matas a dit:

[page 184]

[TRADUCTION] A mon avis, M. et Mme Racine ne peuvent pas maintenant faire valoir que Mme Woods a abandonné son enfant lorsqu'ils ont délibérément refusé de la remettre à Mme Woods en 1978 et ont commencé une période d'attente de trois ans pour simplifier les procédures légales d'adoption de Leticia. Et il nous est impossible de dire maintenant quelle aurait été l'issue si une demande d'adoption avait été valablement faite en 1978. Au moins, la cour n'aurait pas eu à examiner l'argument du délai particulièrement long.

Avec égards, je ne vois rien d'«inopportun» au fait que les Racine ont procédé par voie d'adoption de fait. Cette procédure est prévue dans la Loi. Je suis en outre d'avis que la question primordiale n'est pas de savoir ce qu'une cour aurait décidé dans le cas d'une demande d'adoption faite en 1978, mais ce qu'elle aurait fait dans le cas d'une demande d'habeas corpus. Si Mme Woods avait fait une demande en ce sens en 1978, elle aurait pu avoir gain de cause. Comme elle ne l'a pas faite, son enfant s'est attachée aux Racine qui sont devenus ses parents psychologiques. Il me semble que lorsque ses droits ont été contestés, Mme Woods avait la responsabilité de les faire valoir, en justice si nécessaire, et de ne pas attendre que son enfant s'attache aux Racine, avec tous les problèmes que la rupture de ce lien était susceptible de causer à l'enfant.

Je ne vois franchement pas comment la doctrine de la fin de non-recevoir peut s'appliquer à cette situation. Je crois que la preuve faite devant le juge de première instance lui permettait de conclure à l'abandon entre le mois d'octobre 1978 et le mois de janvier 1982, même si je me sens forcée de dire que je n'aurais probablement pas conclu en ce sens. Je crois que la conduite d'une personne doit être évaluée dans le contexte de la situation de cette personne. Les actes d'une personne peuvent constituer un abandon alors que les mêmes actes de la part de quelqu'un d'autre peuvent ne pas être interprétés comme tel. Je pense que face au silence de Mme Woods vis à vis de sa fille, compte tenu de sa situation, j'aurais été prête à adopter une attitude plus charitable que celle qu'a adoptée le savant juge de première instance.

[page 185]

Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que conclure à l'abandon était nécessaire à la décision du juge de première instance. A mon avis, la Loi est claire et le par. 103(2) dispense de l'autorisation parentale dans le cas d'une adoption de fait. Cela ne signifie évidemment pas que le lien de l'enfant avec ses parents naturels n'a rien à voir avec une ordonnance en vertu de cet article. Il a manifestement tout à voir avec la détermination de l'intérêt de l'enfant. Mais la cour doit se soucier du lien parental comme force positive et significative dans la vie de l'enfant, et non dans la vie du parent. Comme on l'a souvent souligné dans les affaires de garde d'enfant, un enfant n'est pas un bien sur lequel les parents ont un droit de propriété; c'est un être humain envers lequel ils ont des obligations sérieuses. Lorsqu'il a donné à la cour le pouvoir de se passer de l'autorisation des parents dans le cas d'une adoption de fait, le législateur a reconnu un aspect de la condition humaine, savoir que notre propre intérêt obscurcit parfois notre perception de ce qui convient le mieux aux personnes dont nous sommes responsables. Un père ou une mère doit avoir un très haut degré d'altruisme et de maturité, à un degré que la plupart d'entre nous ne pouvons probablement pas atteindre, pour reconnaître qu'il vaut mieux pour son enfant qu'il soit élevé par un autre. Dans sa sagesse, le législateur a protégé l'enfant contre cette faiblesse humaine lorsque d'autres personnes ont comblé la brèche et ont fourni à l'enfant pendant une période minimale de trois années consécutives un foyer heureux et stable. De fait, ces personnes ont assumé les obligations des parents naturels et ont pris leur place. Dans les circonstances, il n'est plus nécessaire d'obtenir le consentement des parents naturels.

L'avocat de l'intimée fait cependant valoir que le terme garde qu'emploie l'art. 103 de la Loi doit être interprété dans le sens de garde légale, que Linda Woods n'a jamais renoncé à la garde légale de l'enfant et que les Racine ne l'ont jamais obtenue. Par garde légale, je pense que l'avocat entend la garde en vertu d'une ordonnance judiciaire ou de quelque autre source légitime. Parce que ce n'est pas le cas, l'avocat prétend que les Racine ne peuvent répondre aux exigences de cet article. A mon avis, cette prétention est sans fondement. L'article 103 permet clairement une demande

[page 186]

d'adoption par une personne qui exerce la garde de fait d'un enfant pendant le délai prescrit. Cela ne signifie pas que le moyen par lequel la garde de fait a été obtenue est sans importance aux termes de cet article. Si elle a été obtenue illégalement, par exemple au moyen d'un enlèvement, ce serait certainement un facteur dont la cour devrait tenir compte pour décider s'il est dans l'intérêt de l'enfant de rendre l'ordonnance. Une telle situation ne se pose pas en l'espèce, et je ne puis relever dans cet article une disposition qui ne s'y trouve tout simplement pas.

Passons maintenant à la question décisive du pourvoi. Le savant juge de première instance a-t-elle commis une erreur en décidant que l'adoption de Leticia par les Racine correspond à l'intérêt de l'enfant? C'est la conclusion à laquelle est arrivée la Cour d'appel à la majorité. Les juges de la Cour d'appel paraissent s'inquiéter du caractère définitif d'une ordonnance d'adoption qui coupe Leticia tant de sa mère naturelle que de son ascendance et de sa culture indiennes. Le juge Matas déclare:

[TRADUCTION] Dans ses prétentions, l'avocat de Mme Woods fait valoir que par l'effet d'une adoption interraciale, l'enfant perd contact avec son ascendance et sa culture et que ce résultat ne correspond pas à l'intérêt de l'enfant. Je rejetterais cet argument si l'avocat veut dire que les cours de cette province ne devraient jamais accorder une adoption interraciale. La Loi n'est pas restrictive. Dans un cas approprié, la cour peut délivrer une ordonnance d'adoption interraciale. Je conviens cependant que la cour doit tenir compte de la culture et de l'ascendance de l'enfant comme de l'un des facteurs à évaluer relativement aux circonstances qu'envisage l'art. 89 de la Loi. Selon les circonstances, c'est un facteur qui peut avoir une influence plus ou moins grande sur la décision finale de la cour. En l'espèce, la preuve révèle que ce facteur est important.

Le juge Hall n'a pas sous-estimé l'importance du fait que l'enfant est une Indienne. Cependant, il a adopté la conclusion qu'a tirée le juge de première instance des témoignages des experts quant à la sensibilité des Racine à l'aspect interracial et à la nécessité d'encourager et de développer chez Leticia le sens de sa valeur et de sa dignité propres et de la valeur et de la dignité de sa race. Le juge de première instance a constaté

[page 187]

qu'ils ont bien démontré leur aptitude à guider Leticia si elle devait faire face à une crise d'identité pendant son adolescence. Le juge Hall a également souscrit à la conclusion du juge de première instance fondée sur le témoignage des psychiatres que si on se hasarde à séparer Leticia des Racine à ce stade, cela pourrait lui causer un traumatisme psychologique permanent. C'est le seul foyer qu'elle a jamais connu et elle est étroitement liée aux Racine. Le juge Hall a conclu que quelle que soit l'importance du facteur de l'ascendance et de la culture indiennes, la durée et la force de son attachement aux Racine sont un facteur encore plus important.

Il est évident que dans les solutions qu'elle a adoptées, la Cour d'appel à la majorité a vu un moyen de permettre à la mère naturelle d'exercer un droit de visite. Si l'enfant est une pupille de la Cour, la Cour peut lui accorder un droit de visite tout en laissant l'enfant à la garde des Racine si c'est la meilleure solution. De même, si un nouveau procès est ordonné relativement à la garde, ces procédures peuvent comporter une demande de droit de visite. Il répugnait à la majorité d'empêcher tout droit de visite en raison du caractère définitif d'une ordonnance d'adoption. Avec égards, j'estime que cette solution fait abstraction d'un aspect du problème que le juge Hall a abordé lorsqu'il a dit:

[TRADUCTION] À. mon avis, il est fort peu probable que l'une ou l'autre des solutions que proposent mes collègues puisse résoudre le problème. Je prévois plutôt qu'elles donneront lieu à des litiges longs, amers et coûteux qui ne serviront en rien l'intérêt de Leticia. Il faut faire un choix difficile. L'ordonnance d'adoption doit être maintenue, ou bien il faut que Mme Woods reprenne son enfant. Le dossier est aussi complet qu'il le sera jamais.

Je suis d'accord avec le juge Hall qu'il ne faut pas permettre que cette enfant devienne un objet de disputes devant les cours ou dans les médias, et je pense que c'est là un danger réel si la Cour refuse de trancher. À mon avis, lorsqu'il s'agit de décider de l'intérêt de l'enfant, l'importance de l'aspect culturel et de l'ascendance diminue avec le temps par rapport au lien parental. Plus le lien qui se développe avec les futurs parents adoptifs est

[page 188]

étroit, plus le lien racial perd de l'importance. Comme le Dr McCrae l'a dit dans son témoignage:

[TRADUCTION] Je pense que toute cette histoire de race et d'Indien et de tout ce que vous voudrez doit être envisagée en fonction du temps, et si nous revenions aux priorités du premier jour où Leticia Woods a été abandonnée par sa mère, nous aurions incontestablement raison de dire «plaçons l'enfant dans le milieu culturel qui est le sien». Ce serait, cela aurait été, une solution très raisonnable. Mais si on ne le fait pas et que le temps passe, cette priorité perd en importance. La priorité de l'appartenance ethnique et culturelle est disparue. Cette priorité perd sa place et doit être placée loin derrière parce qu'elle est remplacée par la relation mère-enfant. Il n'y aurait pas de différence si Sandra Racine était une Indienne, si l'enfant était blanche et si Linda Woods était blanche. Le même argument serait valable. Cela n'a rien à voir avec la race, cela n'a absolument rien à voir avec la culture, cela n'a rien à voir avec l'appartenance ethnique. Il s'agit de deux femmes et d'une petite fille, et l'une d'elles ne la connaît pas. C'est aussi simple que cela, et tout le reste est superflu et sans importance, sauf bien sûr pour les personnes concernées.

Je crois que le savant juge de première instance a reconnu cette réalité, qu'elle a examiné tous les facteurs importants pour décider quel était l'intérêt de l'enfant, y compris le fait que ses parents sont Indiens, et qu'elle en a tenu compte. Je ne peux pas conclure qu'elle a commis une erreur dans l'exécution de cette tâche plutôt difficile.

On a beaucoup parlé en l'espèce de l'aspect interracial de l'adoption. Je crois que l'adoption interraciale, tout comme le mariage interracial, est maintenant un phénomène accepté dans notre société pluraliste. Il est possible qu'en l'espèce l'intimée ait accordé une importance démesurée aux incidences de cet aspect du débat. La question véritable concerne la rupture du lien juridique entre l'enfant et sa mère naturelle. Il s'agit toujours là d'une décision grave qui ne doit pas être prise à la légère. Cependant, si le foyer adoptif est le foyer qui convient, comme l'a conclu le juge de première instance en l'espèce, l'adoption procure à l'enfant la sécurité de se savoir aimée de son père et de sa mère. L'intimée a toute la compassion de la Cour et son respect pour les efforts soutenus qu'elle a faits pour surmonter ses difficultés, mais la Cour a l'obligation de s'assurer que sa décision favorise l'intérêt de son enfant. C'est là notre seule tâche.

[page 189]

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de rétablir l'ordonnance d'adoption délivrée par le juge de première instance et de rejeter le pourvoi incident. Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Procureur des appelants: Leon R. Fishman, Winnipeg.

Procureurs de l'intimée: Savino and Company, Winnipeg.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Adoption - Adoption de fait - Abandon - Motifs sous-jacents à l'adoption - Intérêt de l'enfant - Lien parental - Aspect interracial de l'adoption - Est-il dans l'intérêt d'une enfant indienne qu'elle soit confiée à ses parents psychologiques, un Métis et une blanche, plutôt qu'à sa mère naturelle, une Indienne? - La conclusion qu'il y a eu abandon est-elle nécessaire pour qu'il y ait adoption de fait? - The Child Welfare Act, C.C.S.M., chap. C80, art. 102(1), 103(2) [1979 (Man.), chap. 22, art. 72 et 1974 (Man.), chap. 30, art. 103(2), respectivement.].

Les appelants ont accueilli chez-eux la fillette de l'intimée, d'abord lorsqu'elle était une pupille de la Société d'aide à l'enfance et ensuite, après l'expiration de la tutelle, avec le consentement de l'intimée. Un avis de réception d'un enfant en vue d'une adoption privée a été produit au mois d'octobre 1978. Peu après, les appelants ont refusé de laisser partir l'enfant parce qu'ils considéraient que cela était déraisonnable dans les circonstances; ils n'ont plus entendu parler de l'intimée jusqu'au mois de janvier 1982 lorsqu'elle a fait une demande d'habeas corpus. Au mois de février 1982, les appelants ont demandé une ordonnance d'adoption de fait. Au procès, la demande de garde a été rejetée et l'ordonnance d'adoption a été accordée. Cependant, la Cour d'appel a annulé l'ordonnance d'adoption, a déclaré l'enfant pupille de la Cour d'appel, a accordé la garde aux appelants et a réservé à l'intimée le droit de demander ultérieurement un droit de visite ou de garde. Les appelants font appel de cette décision et l'intimée forme un appel incident. La principale question est de savoir s'il est dans l'intérêt de l'enfant qu'elle soit confiée à ses parents psychologiques, les appelants, qui sont un Métis et une blanche, plutôt qu'à sa mère naturelle qui est Indienne.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.

[page 174]

La loi ne considère plus que les enfants sont la propriété de ceux qui leur ont donné la vie, mais elle recherche ce qui leur convient le mieux. Lorsqu'il s'agit de décider de l'intérêt de l'enfant, l'importance de l'aspect culturel et de l'ascendance diminue avec le temps par rapport au lien parental: plus le lien qui se développe avec les futurs parents adoptifs est étroit, plus le lien racial perd de l'importance.

Il n'était pas nécessaire à la décision du juge du procès de conclure à l'abandon, même si les faits justifiaient cette conclusion, pour accueillir la demande d'adoption puisque la loi dispense clairement de l'autorisation parentale dans le cas d'une adoption de fait. Le terme «garde» qu'emploie l'art. 103 de la Loi envisage la garde de fait pourvu qu'elle n'ait pas été obtenue illégalement. La doctrine de la fin de non-recevoir ne pourrait valablement s'appliquer en l'espèce pour empêcher de conclure à l'abandon. Les appelants se sont conduits envers l'enfant d'une manière responsable qui ne peut être assimilée à une revendication illégale de titre.


Parties
Demandeurs : Racine
Défendeurs : Woods

Références :

Jurisprudence: Re Baby Duffell: Martin v. Duffell, [1950] R.C.S. 737

Hepton v. Maat, [1957] R.C.S. 606

Re Agar: McNeilly v. Agar, [1958] R.C.S. 52

Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802

S.S. Hontestroom (Owners) v. S.S. Sagaporack (Owners), [1927] A.C. 37.

Proposition de citation de la décision: Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173 (13 octobre 1983)


Origine de la décision
Date de la décision : 13/10/1983
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1983] 2 R.C.S. 173 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-10-13;.1983..2.r.c.s..173 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award