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13/10/1983 | CANADA | N°[1983]_2_R.C.S._206

Canada | P.G. (Can.) c. Transports Nationaux du Can., Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206 (13 octobre 1983)


COUR SUPRÊME DU CANADA

P.G. (Can.) c. Transports Nationaux du Can., Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206

Date : 1983-10-13

Le procureur général du Canada Appelant;

et

Les Transports Nationaux du Canada, Limitée, Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada Intimées;

et entre

Le procureur géneral du Canada Appelant; et

Compagnie de Transport Canadien Pacifique Limitée et Kenneth G. Paulley Intimés;

et

Le procureur général de l’Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général du Nouveau-Brunswick, le pr

ocureur général de la Colombie-Britannique, le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général de l’Alberta Interv...

COUR SUPRÊME DU CANADA

P.G. (Can.) c. Transports Nationaux du Can., Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206

Date : 1983-10-13

Le procureur général du Canada Appelant;

et

Les Transports Nationaux du Canada, Limitée, Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada Intimées;

et entre

Le procureur géneral du Canada Appelant; et

Compagnie de Transport Canadien Pacifique Limitée et Kenneth G. Paulley Intimés;

et

Le procureur général de l’Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général du Nouveau-Brunswick, le procureur général de la Colombie-Britannique, le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général de l’Alberta Intervenants.

N° du greffe: 16998.

1982: 23 et 24 septembre; 1983: 13 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1982), 135 D.L.R. (3d) 89, 66 C.C.C. (2d) 241, 27 C.R. (3d) 138, 35 A.R. 132, 18 Alta. L.R. (2d) 233, [1982] 2 W.W.R. 673

[Page 211]

qui a accueilli un appel d’un jugement du juge Med­hurst qui avait rejeté une demande de prohibition pour empêcher la Cour provinciale de l’Alberta d’autoriser la poursuite des procédures. Pourvoi accueilli.

J. J. Robinette, c.r., et D. H. Cristie, c.r., pour l’appelant.

E. C. Chiasson, R. W. Lusk, et P. G. Foy, pour les intimées Les Transports Nationaux du Canada, Limitée, et la Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada.

N. D. Mullins, c.r., et M. M. Szel, pour les intimés la Compagnie de Transport Canadien Pacifique Limitée et Kenneth G. Paulley.

William Henkel, c.r., et Nolan D. Steed, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

John Cavarzan, c.r., pour l’intervenant le procu­reur général de l’Ontario.

Henri Brun, Lorraine Pilette et Jean-François Dionne, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

John H. Evans et Claude Pardons, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau-Bruns­wick.

E. R. A. Edwards et Joseph J. Arvay, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

James C. MacPherson, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Estey et McIntyre rendu par

LE JUGE EN CHEF — La question en litige dans le présent pourvoi porte sur la compétence constitutionnelle des législatures provinciales pour diri­ger, par l’entremise de leurs propres représentants, les poursuites devant les tribunaux provinciaux relativement aux infractions validement créées par des lois du Parlement du Canada. Bien que les questions constitutionnelles soulevées dans le présent pourvoi aient une portée plus restreinte vu qu’elles se limitent à la présentation des actes

[Page 212]

d’accusation et à l’engagement de poursuites en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23 et modifica­tions, il est devenu évident pendant les plaidoiries en cette Cour que les questions constitutionnelles exigent un examen plus général, selon les princi­pes, de la portée de la compétence provinciale que confère le par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, autrefois l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, et de ses rapports avec la compétence fédérale conférée par le par. 91(27).

Le paragraphe 92(14) confère au procureur général d’une province des pouvoirs quant à

92..

14. L’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridic­tion civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux;

Le paragraphe 91(27) se situe dans la catégorie des pouvoirs réservés à l’autorité législative exclu­sive du Parlement «nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte» et vise notamment:

91....

27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribu­naux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.

On verra plus loin dans les présents motifs qu’il est logiquement et pratiquement impossible d’étudier les par. 92(14) et 91(27) sans aussi se demander si le par. 92(14), en supposant que celui-ci ait la portée que les procureurs généraux provinciaux veulent lui donner, vise également d’autres attribu­tions de compétence fédérale en vertu de l’art. 91, notamment celle du par. 91(2), savoir la compé­tence législative en matière de réglementation des échanges et du commerce, qui est implicitement visée par les questions constitutionnelles soumises dans le présent pourvoi.

Je me bornerai pour le moment à étudier les questions précises soulevées dans le présent pour­voi, dont voici le texte:

1. La validité constitutionnelle de l’alinéa 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.

[Page 213]

1970, chap. C-23, dépend-elle du paragraphe (27) de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique?

2. Si oui, est-il de la compétence du Parlement du Canada d’adopter des textes de loi tels l’article 2 du Code criminel et le paragraphe 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui autorisent le procu­reur général du Canada ou ses substituts à porter des accusations et à conduire des procédures relativement à des violations alléguées de ladite disposition?

Puisqu’il faut indiquer le contexte dans lequel ces questions se posent, j’exposerai les faits pertinents.

II

Un agent d’application de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions fédérale a déposé une dénonciation sous serment contre les intimés, par laquelle ils sont accusés, avec d’autres sociétés et d’autres particuliers, d’avoir comploté illégalement en vue d’empêcher ou de diminuer indûment la concurrence dans le transport interprovincial de marchandises générales par envois pesant jusqu’à dix mille livres, entre certains points sis en Alberta et d’autres points en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba. L’accusation porte sur une contravention à l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui se lit ainsi:

32. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans ou d’une amende d’un million de dollars, ou de l’une et l’autre peine, toute personne qui complote, se coalise, se concerte ou s’entend avec une autre

c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concur­rence dans la production, la fabrication, l’achat, le troc, la vente, l’entreposage, la location, le transport ou la fourniture d’un produit, ou dans le prix d’assu­rances sur les personnes ou les biens; ..

Les procédures ont été confiées à un avocat mandaté par le procureur général du Canada. Diverses parties accusées de cette infraction ont cherché, par voie de prohibition, à empêcher la Cour provinciale de l’Alberta, devant laquelle

[Page 214]

avait été déposée la dénonciation, de procéder aussi longtemps que les poursuites seraient confiées à un avocat représentant le procureur général fédéral. Le juge Medhurst de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rejeté la demande formée par les intimés aux présentes, savoir la Compagnie de Transport Canadien Pacifique, Limitée, Ken­neth G. Paulley et Les Transports Nationaux du Canada, Limitée. Le juge a conclu que le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, en supposant qu’il est valide, permet expressément au procureur général fédéral ou à son mandataire d’engager les poursuites projetées et il a souligné de plus que le par. 27(2) de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, rend les dispositions du Code criminel du Canada également applicables à toutes les lois fédérales à moins de dispositions contraires.

Le paragraphe 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est ainsi rédigé:

15. ...

(2) Le procureur général du Canada peut intenter et conduire toutes poursuites ou autres procédures prévues par la présente loi. A ces fins, il peut exercer tous les pouvoirs et fonctions que le Code criminel confère au procureur général d’une province.

La définition de «procureur générale donnée à l’art. 2 (ci-après appelé le par. 2(37)) du Code criminel vise le procureur général ou le solliciteur général d’une province aussi bien que les substituts agis­sant pour le compte du gouvernement fédéral. Voici cette définition:

2. Dans la présente loi

«procureur général» désigne le procureur général ou solliciteur général d’une province où sont intentées des procédures visées par la présente loi et désigne, relativement

a) aux territoires du Nord-Ouest et au territoire du Yukon, et

b) aux procédures instituées sur l’instance du gouver­nement du Canada et dirigées par ce gouvernement ou pour son compte, qui sont relatives à la violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi du Parlement du Canada ou d’un règlement établi en vertu d’une telle loi, sauf la présente loi,

le procureur général du Canada, et sauf aux fins des paragraphes 505(4) et 507(3), comprend le substitut

[Page 215]

légitime desdits procureur général, solliciteur général et procureur général du Canada;

C’est le Parlement fédéral qui a décidé d’accorder le pouvoir général de poursuivre en vertu du Code criminel aux procureurs généraux ou solliciteurs généraux des provinces et de limiter les poursui­vants fédéraux aux procédures intentées sur l’ins­tance du gouvernement du Canada relativement à la violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi fédérale autre que le Code criminel ou d’un règlement établi en vertu d’une telle loi.

Le juge Medhurst a notamment étudié l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Pelletier (1974), 4 O.R. (2d) 677, et ceux de la Cour d’appel de l’Alberta et de la Cour suprême du Canada, R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984. Il a conclu que même si on a déjà décidé que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions relevait de la compétence fédérale en matière de droit crimi­nel, les modifications apportées en 1975 en avaient étendu la portée au point d’en faire une loi fédérale relative à la réglementation des échanges et du commerce. Il a suivi en cela le point de vue adopté par le juge Linden dans R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (1980), 14 C.R. (3d) 289, et il a rejeté la demande de prohibition. Je reviendrai un peu plus loin aux arrêts Pelletier, Hauser et Hoffman-LaRoche.

Le juge Prowse, qui a rédigé les motifs de la Cour d’appel de l’Alberta composée des juges Haddad, Laycraft et de lui-même, a conclu que la validité de l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne dépend aucunement de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce. En réalité, si on considérait cet alinéa comme un plan de réglementation et non comme une disposition de droit criminel relevant du par. 91(27), il serait ultra vires de la compé­tence fédérale. Le juge Prowse a conclu que, consi­déré comme un exercice de la compétence fédérale attribuée en matière de droit criminel par le par. 91(27), l’arrêt Hauser a pour effet d’empêcher le gouvernement fédéral d’engager des poursuites en vertu de l’art. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Il a écarté l’arrêt Hoffman-LaRoche, refusant de considérer la Loi

[Page 216]

relative aux enquêtes’ sur les coalitions comme un exercice de compétence fédérale à la fois en matière de réglementation des échanges et du com­merce et de droit criminel. Toutefois, cela semble contraire à l’avis du juge Linden dans l’arrêt Hoff­man-LaRoche et à celui du juge Medhurst en l’espèce.

J’ajouterai ici qu’après avoir donné au procureur général du Canada l’autorisation de se pourvoir en cette Cour, nous avons autorisé les procureurs généraux de l’Alberta, de l’Ontario, du Québec, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick à intervenir.

III

La première des deux questions soulevées dans le présent pourvoi comprend implicitement la pré­tention du procureur général du Canada que si la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, et en particulier son al. 32(1)c), relevait de la compé­tence fédérale en matière d’échanges et de com­merce, la province ne pourrait revendiquer le pouvoir exclusif de poursuivre même si (ce qui est également contesté) il était possible de le faire pour des poursuites relatives à des infractions cri­minelles. Je puis dire que je ne vois pas comment on peut distinguer les poursuites relatives à des infractions fondées sur la violation de lois valides en matière d’échanges et de commerce des poursuites fondées sur la violation du droit criminel fédéral. Si la province a compétence exclusive sur ces dernières, elle doit aussi l’avoir sur les premiè­res. En réalité, l’avocat de l’intimée Les Transports Nationaux du Canada, Limitée a été assez auda­cieux — et je crois qu’en toute logique il a eu raison de le faire — pour confier toutes les infrac­tions aux lois fédérales adoptées en application des pouvoirs énumérés à l’art. 91, aux soins et aux pouvoirs exclusifs des officiers de justice provinciaux. En bref, si les provinces ont, en vertu de la Constitution, la direction des poursuites criminelles, elles doivent aussi avoir la direction des autres poursuites fondées sur la violation de lois fédérales qui ne relèvent pas du droit criminel, dans la mesure au moins où ces poursuites sont intentées devant des tribunaux provinciaux. Le texte du par. 92(14), qui fait partie de la nomenclature des pouvoirs des provinces, ne révèle aucune mention

[Page 217]

spéciale des infractions criminelles et, en fait, il n’en comporte aucune.

Je limiterai cependant mon étude des questions constitutionnelles soulevées dans le présent pourvoi à celle de savoir si, en présumant que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ressortit seulement à la compétence en matière de droit criminel (à la différence d’une infraction au Code criminel, ce qui est à mon avis une distinction importante), le procureur général fédéral n’a pas le droit de poursuivre relativement aux infractions à la Loi et, comme les intimés et les provinces intervenantes l’ont soutenu dans leur argumenta­tion, ne peut s’immiscer dans l’application des lois criminelles fédérales qu’avec la permission d’une province ou par voie de délégation ou de nomination de la part de celle-ci.

IV

Jusqu’à ce que le Code criminel soit modifié à 1968-69 (Can.), chap. 38, par. 2(1), le procureur général fédéral, son substitut légitime et le solliciteur général étaient exclus de la définition générale que donnait ce paragraphe de l’expression «procu­reur général», même s’il existe ailleurs des renvois à des dispositions exigeant l’obtention du consentement du procureur général du Canada pour inten­ter des poursuites, comme par exemple les art. 592 et 593 du Code criminel, S.R.C. 1906, chap. 146. Ce n’était cependant pas la première fois qu’une loi fédérale accordait au procureur général fédéral le pouvoir de poursuivre. Il avait été accordé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, à 1960 (Can.), chap. 45, art. 6, 11, 12 et 16, qui conférait à ce qui était alors la Cour de l’Échiquier du Canada une compétence limitée en matière de poursuites criminelles fondées sur cette loi. Cette compétence est maintenant généralisée par le par. 15(2) de la Loi actuelle qui accorde aussi une compétence spécifique à la Cour fédérale du Canada, en vertu de l’art. 29, dans les cas où des brevets sont présumément utilisés pour res­treindre le commerce, ou à la fois à la Cour fédérale du Canada et à une cour supérieure de juridiction criminelle d’une province lorsqu’on demande une injonction à l’encontre d’une viola­tion de l’interdiction de s’adonner à des pratiques restrictives du commerce, comme c’est le cas par exemple à l’al. 32(1)c).

[Page 218]

Il y a même eu des exemples antérieurs du pouvoir fédéral de poursuivre en vertu de la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de !’industrie, 1935 (Can.), chap. 59, art. 22. Le procureur général du Canada y était autorisé, dans certaines circonstances, à instituer des procédures criminelles pour les infractions aux lois fédérales interdisant les pratiques déloyales en matière de commerce et l’attribution de cette compétence a ,té jugée valide: voir Reference re Dominion Trade and Industry Commission Act, [1936] R.C.S. 379, confirmé par [1937] A.C. 405.

Dans une affaire qui remonte à peu près à la même époque, savoir Attorney-General of Nova Scotia v. Attorney-General of Canada, [1937] R.C.S. 403, la Cour était saisie de poursuites intentées en vertu de la Loi des douanes et du Code criminel et devait se prononcer sur certaines amendes et certains dépens. La Cour a expressé­ment confirmé la validité des procédures intentées par le gouvernement fédéral, même si la question en litige était embrouillée (pour reprendre les termes de l’arrêt Pelletier, à la p. 689) par le fait que le juge Rinfret s’était fondé sur une déclara­tion du juge en chef Chisholm, en laissant entendre qu’en matière de poursuites relatives à des lois fiscales, le gouvernement fédéral agit sous le nom du procureur général de la province. Dans l’arrêt Toronto v. Attorney-General for Canada, [1946] A.C. 32, on a reconnu sans réserve le pouvoir fédéral de poursuivre, lequel comportait le droit de percevoir des amendes imposées par la Cour suprême de l’Ontario à la suite de déclarations de culpabilité d’actes de coalition à l’encontre du Code criminel. En réalité, le procureur général de l’Ontario avait expressément nié toute intention d’intervenir dans les cas où les coalitions visaient aussi des provinces autres que l’Ontario. En défini­tive, il a été statué que le gouvernement du Canada avait le droit de percevoir les amendes.

La question constitutionnelle qui découle des arrêts qui précèdent est celle de savoir si le pouvoir de la province de poursuivre est fondé, et uniquement fondé, sur l’abstention des autorités fédérales

[Page 219]

d’intervenir dans les poursuites relatives à des infractions aux lois fédérales. Je commencerai l’examen de cette question par le début, en remon­tant notamment à la création de la fédération canadienne en 1867 en vertu de ce qui s’appelait alors l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

V

Lors de la création de la fédération canadienne, il était évident que les lois déjà en vigueur dans les provinces qui formaient la confédération, de même que les tribunaux, les compétences et les pouvoirs existants devaient subsister sous réserve des modi­fications qu’il serait nécessaire d’apporter pour tenir compte du partage des pouvoirs législatifs en vertu de l’Acte constituant la fédération. L’article 129 traite la question comme suit:

129. Sauf toute disposition contraire prescrite par le présent acte, — toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l’union, — tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle, — toutes les commissions, pouvoirs et autori­tés ayant force légale, — et tous les officiers judiciaires, administratifs et ministériels, en existence dans ces pro­vinces à l’époque de l’union, continueront d’exister dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement, comme si l’union n’avait pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des actes du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu du présent acte.

Puisque la province du Canada devait être par­tagée en deux provinces, le Québec et l’Ontario, il fallait prévoir la continuation des pouvoirs et com­pétences de certains fonctionnaires de l’exécutif «jusqu’à ce que la législature d’Ontario ou de Québec en ordonne autrement», selon le texte de l’art. 135. Cet article, qui est spécialement conçu en fonction de la province du Canada antérieure à la Confédération, se lit comme suit:

135. Jusqu’à ce que la législature d’Ontario ou de Québec en ordonne autrement, — tous les droits, pou­voirs, devoirs, fonctions, obligations ou attributions con­férés ou imposés aux procureur-général, solliciteur-géné­ral, secrétaire et régistraire [sic] de la province du Canada,

[Page 220]

ministre des finances, commissaire des terres de la cou­ronne, commissaire des travaux publics, et ministre de l’agriculture et receveur-général, lors de la passation du présent acte, par toute loi, statut ou ordonnance du Haut-Canada, du Bas-Canada ou du Canada, — n’étant pas d’ailleurs incompatibles avec le présent acte, — seront conférés ou imposés à tout fonctionnaire qui sera nommé par le lieutenant-gouverneur pour l’exécution de ces fonctions ou d’aucune d’elles; le commissaire d’agri­culture et des travaux publics remplira les devoirs et les fonctions de ministre d’agriculture prescrits, lors de la passation du présent acte, par la loi de la province du Canada, ainsi que ceux de commissaire des travaux publics.

Il me suffit d’ajouter que rien dans cet article ne l’emporte sur les dispositions essentielles de l’art. 129 ou ne les modifie.

Peu de temps après la Confédération, le Parlement du Canada a voulu exercer la nouvelle com­pétence législative que lui accordait l’art. 91. L’un des premiers exercices de cette compétence avait trait aux dispositions de fond du droit criminel et il a presque coïncidé avec l’adoption d’une loi, 1869 (Can.), chap. 29, concernant la procédure en matière criminelle. Le préambule de cette loi ren­voyait à une loi fédérale antérieure qui avait assi­milé, modifié, refondu et rendu applicables à tout le Canada certaines dispositions des lois des diverses provinces, relatives à certains actes criminels et infractions. Le préambule précisait ensuite qu’il était pareillement expédient d’assimiler, de modi­fier et de refondre certaines autres dispositions desdites lois qui ont trait à la procédure et à d’autres sujets non visés par la loi antérieure, et d’en étendre la portée. L’Acte de 1869 traite des poursuites relatives aux actes criminels et il donne une définition large de l’expression «acte d’accusa­tion» de manière à inclure une plainte, une enquête et une dénonciation. L’article 28 traite le rôle du procureur général ou du solliciteur général de la province comme relevant de l’Acte fédéral. L’arti­cle édicte que nul acte d’accusation pour certaines infractions précises ne doit être présenté à un grand jury ou rapporté par un grand jury, à moins notamment que l’acte d’accusation relatif à une telle infraction ne soit formulé sur l’ordre du pro­cureur général ou du solliciteur général de la province ou d’un juge d’une cour compétente pour donner tel ordre ou connaître de l’infraction.

[Page 221]

Dans cette loi et dans des lois connexes, l’accusation avait qualité pour invoquer le droit criminel de manière plus générale que ce ne fut le cas par la suite. Certaines lois de la fin du dix-neuvième siècle, par exemple, l’Acte de tempérance du Canada, S.R.C. 1886, chap. 106 et l’Acte d’ins­pection générale, S.R.C. 1886, chap. 99 prévoyaient l’engagement de poursuites par des ins­pecteurs nommés par le gouvernement fédéral. D’autres lois de la même époque, telles les lois concernant la sûreté des navires, 1891 (Can.), chap. 38 et l’Acte de l’expédition du bétail, 1891 (Can.), chap. 36 ne prévoyaient l’engagement de poursuites qu’avec le consentement du ministre fédéral. L’Acte de 1890 (Can.), chap. 10 intitulé Acte à l’effet de prévenir la révélation des docu­ments et renseignements officiels ne prévoyait l’en­gagement de poursuites qu’avec le consentement du procureur général du Canada ou du procureur général de la province. Le montant des amendes pour infraction à l’Acte des banques, 1890 (Can.), chap. 31 était recouvrable et exigible par poursuites de Sa Majesté intentées par le procureur géné­ral du Canada, le ministre des Finances ou le Receveur général. Ce sont là quelques exemples de lois antérieures à l’adoption du Code criminel de 1892 qui laissent voir l’étendue de la compétence exercée en vertu des lois fédérales en matière de procédures ou de poursuites criminelles.

À ma connaissance, il n’y a eu, au cours de cette période, aucune tentative de la part d’une province d’adopter des lois qui auraient réservé les poursuites relatives à des infractions relevant du droit criminel fédéral, sans compter celles relatives à tout autre genre d’infractions, au procureur géné­ral ou aux poursuivants de la province. Les provinces n’ont pas voulu non plus, après la Confédération, adopter des lois qui préciseraient qui a compétence pour intenter des poursuites relatives à des infractions relevant du droit criminel fédéral. Jusqu’à ce que la législation fédérale vise les procureurs généraux et les solliciteurs généraux des provinces en vertu de ses dispositions relatives au droit criminel, ceux-ci exerçaient leur pouvoir en matière de poursuites conformément aux lois antérieures à la Confédération, maintenues en vigueur en vertu de l’art. 129 que j’ai déjà cité.

[Page 222]

La définition générale de procureur général ou de solliciteur général de la province figurait dans le premier Code criminel, 1892 (Can.), chap. 29. L’alinéa 3(aa.) du Code se lisait comme suit:

3. Dans le présent acte, les expressions suivantes ont la signification qui leur est attribuée dans le présent article, à moins que le contexte ne s’y oppose:

(aa.) L’expression «procureur général» signifie le pro­cureur général ou le solliciteur général de toute pro­vince du Canada dans laquelle des procédures se feront sous l’empire du présent acte; et quant aux territoires du Nord-Ouest et au district de Kéwatin, elle signifie le procureur général du Canada;

Cette disposition tire son origine de l’art. 2 de l’Acte concernant les explosifs, S.R.C. 1886, chap. 150, qui était ainsi rédigé:

2. Dans le présent acte, à moins que le contexte n’exige une interprétation différente, —

(a.) L’expression «procureur général» signifie le pro­cureur général de la province du Canada dans laquelle les procédures se feront sous l’empire du présent acte; et quant aux territoires du Nord-Ouest et au district de Kéwatin, elle signifie le procureur général du Canada;

Dans le Code criminel révisé de 1906, S.R.C. 1906, chap. 146, la définition de «procureur géné­ral du Canada» a été légèrement modifiée par le remplacement de l’expression «district de Kéwatin» par l’expression «le territoire du Yukon».

La mention restreinte du procureur général du Canada est demeurée inchangée jusqu’à l’adoption de la Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, 1968-69 (Can.), chap. 38, qui a apporté un chan­gement important à l’art. 2 que j’ai déjà cité. Pendant la même période la définition de procu­reur général de la province et la mention de celui-ci sont demeurées inchangées. Il appert que c’est l’attribution d’un pouvoir général de poursui­vre au procureur général du Canada qui est à l’origine de la prétention de la part des provinces que la procédure en matière criminelle mentionnée au par. 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne confère pas au Parlement une com­pétence législative qui irait à l’encontre des pou­voirs attribués en vertu du par. 92(14) en autori­sant le procureur général du Canada à engager des

[Page 223]

poursuites pour des infractions à des lois criminel-les fédérales valides.

VI

Le langage utilisé et la logique constituent le fondement de l’interprétation constitutionnelle et il faut y avoir recours pour examiner la portée qu’au-rait le par. 92(14) et la limitation correspondante de la procédure en matière criminelle prévue au par. 91(27). Je trouve difficile voire impossible d’interpréter le par. 92(14) comme englobant non seulement le pouvoir de poursuivre en matière d’application du droit criminel fédéral mais aussi comme diminuant la portée littérale du par. 91(27) qui inclut la procédure en matière crimi­nelle. Rien dans le texte du par. 92(14) ne vise le pouvoir de poursuivre à l’égard de matières rele­vant du droit criminel fédéral. Le paragraphe 92(14) confère une compétence sur l’administra­tion de la justice, pour ce qui est notamment de la procédure en matière civile et de la création, du maintien et de l’organisation de tribunaux de juri­diction civile et criminelle dans la province. Le paragraphe réduit donc la portée de la compétence en matière de droit criminel conférée par l’art. 91, mais seulement quant à ce qui touche la «création, le maintien et l’organisation de tribunaux de jus­tice pour la province, ayant juridiction ... crimi­nelle». Aucune extension du sens de ces mots ne peut leur faire dire qu’ils visent la compétence en matière de poursuites criminelles. De plus, si on examine de concert les deux dispositions constitu­tionnelles, l’inclusion expresse de la procédure en matière civile devant les tribunaux provinciaux emporte l’exclusion expresse de toute compétence provinciale relativement à la procédure en matière criminelle mentionnée au par. 91(27).

En outre, il y a ici une tendance à préférer l’expression générale de l’administration de la jus­tice à l’expression particulière du droit criminel et de la procédure en matière criminelle, lorsque rien dans le texte de la première n’écarte la seconde ni même n’en fait mention. Les intimés et les interve­nants qui soutiennent leur point de vue prétendent que, puisque le par. 92(14) vise la création de tribunaux de «juridiction criminelle», le mot «cri­minelle» doit être sous-entendu dans les premiers mots du paragraphe, qu’il faut interpréter comme

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s’ils étaient les suivants: «l’administration de la justice en matière civile et criminelle dans la pro­vince». Ce n’est cependant pas la façon dont le paragraphe est rédigé; ni la logique ni la grammaire ne justifient cette interprétation.

Je n’ai pu trouver aucun texte postérieur à la Confédération, comme Lefroy, Legislative Power in Canada (1897-98), qui reconnaît aux provinces le pouvoir d’engager des poursuites relatives à des infractions relevant du droit criminel fédéral. En réalité, des décisions comme R. v. Lawrence (1878), 43 U.C.Q.B. 164 et Ex parte Duncan (1872), 16 L.C.J. 188 confirment la compétence fédérale non seulement à l’égard du droit criminel, mais aussi à l’égard de la procédure en matière criminelle, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de la décision Duncan, la compétence pour punir et, à cette fin, pour réglementer la procédure.

Toutefois, on a soutenu que d’autres décisions judiciaires postérieures à la Confédération recon­naissent une certaine prépondérance, voire exclusi­vité, à la compétence provinciale en matière de poursuites relatives à des infractions aux lois fédé­rales. Je ne vois rien dans la décision R. v. Bush (1888), 15 O.R. 398 qui reconnaisse une prépondé­rance ou une exclusivité à la compétence provin­ciale. Cette affaire portait sur la nomination de juges de paix, une question relative à la création de tribunaux et non à l’engagement de poursuites. En effet, en mentionnant le par. 92(14), le juge Street a exclu «la procédure en matière criminelle». Rien dans la décision R. v. St. Louis (1897), 1 C.C.C. 141 n’indique un changement à ce propos. À l’épo­que où cette affaire a été entendue, aucune disposi­tion ne permettait au procureur général du Canada d’intervenir dans ce qui constituait une poursuite criminelle ordinaire, c’est-à-dire l’extor­sion par faux semblants. Il lui était cependant possible d’intervenir, avec l’autorisation de la cour, du moins à l’égard d’une question qui concernait le gouvernement du Canada. Les observations du juge Wurtele qui donnaient à entendre que les provinces avaient prépondérance ne constituaient qu’une opinion incidente et sont, en fait, difficiles à concilier avec le fondement de la décision.

Au risque de me répéter, je dois rappeler qu’après 1867, la pratique des poursuites par la province

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a été maintenue en vertu de l’art. 129. Des motifs pratiques en justifiaient le maintien et la confirmation de cette pratique, dans le Code cri­minel de 1892 et au cours des années suivantes, n’a nullement, selon mon interprétation de la jurispru­dence, mis en doute le pouvoir fédéral d’accorder aux provinces le pouvoir d’engager des poursuites en vue d’appliquer le droit criminel fédéral, et de réglementer ce pouvoir. Le renvoi Re Public Inquiries Act (1919), 3 W.W.R. 115 ne modifie pas cette opinion. On aurait pu s’attendre à ce que, peu après la Confédération ou même plus tard dans l’histoire constitutionnelle, les provinces tentent de revendiquer un pouvoir autonome de diri­ger les poursuites en matière de droit criminel. Il n’y a eu aucune tentative de la sorte et il n’y en pas encore si ce n’est l’opposition manifestée à l’encontre de l’inclusion du procureur général du Canada dans la définition de l’art. 2.

Il faut se rappeler que le par. 92(14) est attribu­tif de compétence législative et que s’il accordait aux provinces la compétence législative en matière de poursuites criminelles, les lois fédérales qui confèrent un pouvoir en matière de poursuites au procureur général du Canada ou aux procureurs généraux des provinces, seraient ultra vires. On ne peut prétendre que le Parlement n’attribue la com­pétence en matière de poursuites qu’avec le con­sentement des provinces, parce qu’il y aurait là une délégation inconstitutionnelle de compétence légis­lative: voir Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31. La thèse des provinces semble confondre les com­pétences législative et exécutive et considérer le par. 92(14) comme attributif de compétence exé­cutive à laquelle est subordonnée la compétence législative que confère au Parlement le par. 91(27).

J’ai étudié les débats préparatoires à la Confédé­ration qui ont eu lieu au Parlement de la province du Canada. Les résolutions présentées le 3 février 1865 au Conseil législatif faisaient suite aux réso­lutions adoptées à la conférence de Charlottetown de 1864 et comportaient ce qui est devenu le texte du par. 92(14) (à l’origine le par. 43(17)) et celui du par. 91(27) (à l’origine le par. 29(32)).

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Il y a tout au plus, dans les débats préparatoires à la Confédération, des observations générales sur le droit criminel et la procédure en matière crimi­nelle. John A. Macdonald parle (à la p. 41) du principe selon lequel il appartient au gouvernement central de déterminer ce qui constitue un acte criminel et la peine relative à cet acte crimi­nel. Les mentions de l’administration de la justice sont si générales (voir aux pp. 69, 215 et 248) qu’elles n’ont aucune importance particulière. M. Hector Langevin, alors solliciteur général pour l’Est a considéré que ce qui constitue aujourd’hui le par. 92(14) protégeait le droit civil du Québec. M. Christopher Dunkin a souligné (à la p. 508) qu’il y a une confusion particulièrement raffinée quant aux questions de droit criminel. Il a exposé la question de la façon suivante (au bas de la p. 508):

[TRADUCTION] ... La procédure en matière criminelle sera de juridiction fédérale; la procédure en matière civile, de juridiction provinciale; le droit criminel comme tel sera de juridiction fédérale tandis qu’une certaine partie très indéterminée de ce qu’on peut appeler la législation en matière pénale sera de juridiction provin­ciale; les droits civils seront essentiellement de compé­tence provinciale; mais personne ne peut préciser l’éten­due de l’empiétement et de la suprématie du fédéral, le tout avec des tribunaux constitués par les provinces mais dont les juges sont nommés et payés par le fédéral. Je plains le pauvre homme qui est à la fois juge au criminel et juge au civil.

Rien dans ces observations n’a trait à la question dont nous sommes saisis. Rien non plus ne justifie une interprétation particulière des résolutions de Charlottetown ou des résolutions subséquentes du London Palace Hotel qui permettrait d’expliquer les par. 92(14) et 91(27) dans le sens que propo­sent les intimés et les intervenants qui soutiennent leur point de vue.

VII

Il est évident que ni les intimés, ni les interve­nants qui les appuient, ne voient dans la présente affaire un cas possible de compétence concurrente. Vu que le Parlement a effectivement légiféré, cela aurait pour effet de contredire leurs prétentions sans plus. Il y a toutefois des motifs valables d’affirmer que, même si le point de vue des intimés est fondé, la revendication de la compétence du

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Parlement pour diriger les poursuites dans les cas d’infractions au droit criminel fédéral l’est tout autant. Posée en ces termes, la question n’est pas nouvelle. Le Conseil privé a expliqué la question en fonction du principe dit de l’empiétement dans l’arrêt Tennant v. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31, en affirmant qu’elle justifie un empiéte­ment privilégié sur la compétence législative des provinces afin d’exercer la compétence exclusive et prépondérante du Parlement fédéral sur les catégo­ries de sujets qui lui sont attribués en vertu de l’art. 91. Le contraire se présente, comme le démontre l’arrêt sur les Cessions volontaires, Attorney-General of Ontario v. Attorney-General of Canada, [1894] A.C. 189, lorsqu’il n’y a pas de loi du Parlement fédéral pour écarter l’adoption valide d’une loi provinciale relevant d’un sujet de compétence qui lui est attribué.

Deux observations, l’une du juge Rand et l’autre du juge Judson constituent, à mon avis, une façon plus raisonnable d’aborder le principe dit de l’em­piétement et le principe connexe de d’accessoire» ou du nécessairement incident, que celle énoncée par le Conseil privé dans l’arrêt Tennant v. Union Bank of Canada. Dans l’arrêt Attorney General of Canada v. C.P.R. and C.N.R., [1958] R.C.S. 285, aux pp. 290 et 291, le juge Rand affirme:

[TRADUCTION] Les pouvoirs quant aux sujets qui sont normalement de compétence provinciale, spécialement la propriété et les droits civils, sont indissociables d’un certain nombre de sujets spécifiques de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en vertu desquels on ne peut presque rien entreprendre sans leur toucher. Dans chacun de ces cas, la question qui se pose d’abord n’est pas de savoir jusqu’à quel point le Parlement peut empiéter sur les sujets énumérés à l’art. 92, mais plutôt de savoir dans quelle mesure la propriété et les droits civils relèvent de la compétence prépondérante du Parlement. L’arrêt Tennant v. The Union Bank of Canada [[1894] A.C. 31] qui confirme une disposition prise en vertu de l’Acte des banques quant à l’accepta­tion de sûretés pour les prêts consentis par la banque sans tenir compte des formalités provinciales quant aux sûretés et à l’enregistrement constitue un exemple carac­téristique de ce cas.

Le juge Judson a été encore plus catégorique dans les motifs qu’il a rédigés dans l’arrêt Nyko­rak v. Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 331. Cette affaire portait sur la validité d’une loi

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fédérale en vertu de laquelle Sa Majesté avait assumé la responsabilité des actes de certains mili­taires conformément à une relation de maître-serviteur prescrite par la loi, et réclamait des dommages-intérêts à l’auteur d’un méfait pour compenser les frais occasionnés par les blessures causées à un des militaires. Le savant juge a confirmé la loi en question en affirmant que [TRA­DUCTION] «une loi de ce genre relève nettement du par. 7 de l’art. 91, même si elle peut, de manière incidente, toucher la propriété et les droits civils dans la province. C’est un non sens de justifier une telle loi, comme on l’a fait dans l’arrêt Grand Trunk [Grand Trunk Railway Company of Canada v. Attorney-General of Canada], [1907] A.C. 65, par le fait qu’elle est «nécessairement incidente» à une loi relative à une catégorie de sujets énumérés à l’art. 91.»

Ces deux citations montrent la force que présen­tent les catégories de sujets énumérés à l’art. 91, lesquelles sont énoncées pour confirmer que le Parlement a une compétence législative exclusive, nonobstant l’art. 92. Le paragraphe 91(27) n’a pas une portée moindre que les autres catégories de sujets énumérés à l’art. 91.

VIII

J’en arrive enfin à la jurisprudence liée aux par. 92(14) et 91(27) depuis l’introduction du pouvoir fédéral d’intenter des poursuites relatives aux infractions relevant du droit criminel, en vertu de la modification apportée au Code criminel à 1968-69 (Can.), chap. 38, par. 2(1). Il y a quatre arrêts à examiner outre la présente affaire: le premier étant, selon l’ordre chronologique, R. v. Pelletier , précité (l’autorisation d’appeler à cette Cour a été refusée: voir [1974] R.C.S. x), le deuxième étant, toujours selon le même ordre, Re Hauser and The Queen (1977), 37 C.C.C. (2d) 129, infirmé en cette Cour pour d’autres motifs, [1979] 1 R.C.S. 984, le troisième, R. c. Pontbriand (1978), 1 C.R. (3d) 97, [1978] C.S. 134, et le quatrième, R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (1980), 14 C.R. (3d) 289, confirmé en appel (1981), 24 C.R. (3d) 193.

L’arrêt Pelletier, rendu par le juge en chef Gale de l’Ontario et les juges Estey et Martin, portait

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sur une accusation de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant contrairement au par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1 et à ce qui était alors l’art. 408 (maintenant l’al. 423(1)d)) du Code criminel. La question pertinente à l’espèce était de savoir si le procureur général du Canada avait le droit d’engager des poursuites relatives à cette infraction en vertu du pouvoir que lui confère le par. 2(37) du Code criminel, tel que modifié à 1968-69 (Can.), chap. 38. Il n’y a pas de doute qu’en l’absence de loi fédérale habilitante, les poursuites relatives à des infractions criminelles (ainsi qu’on les a décrites dans l’arrêt Pelletier) relevaient du procureur général de la province en vertu du texte initial du par. 2(37) du Code et aussi, avant cela, à titre de continuation historique de la compétence anté­rieure à la Confédération. Dans l’arrêt Pelletier, la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas hésité à conclure que le procureur général du Canada a la compé­tence constitutionnelle nécessaire en vertu du par. 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que, 1867.

On trouve dans l’arrêt Pelletier une étude approfondie de différents cas, survenus avant la modification de 1968-69 du par. 2(37) du Code, où le fédéral a intenté des poursuites sans qu’aucune objection ne soit soulevée. J’ai analysé ces cas dans la partie précédente de mes motifs et je n’ai pas besoin d’y revenir. Je me permets d’ajouter que la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas hésité à conclure que le par. 91(27) de la Constitution autorise les poursuites par le procureur général du Canada. Je puis cependant citer un extrait de l’arrêt Pelletier qui souligne la portée de la compétence que pos­sède le procureur général du Canada dans son rôle de poursuivant. Le juge Estey, alors à la Cour d’appel de l’Ontario, a rendu les motifs de cette cour et a affirmé ceci (aux pp. 695 et 696):

[TRADUCTION] Le statut du procureur général du Canada à l’égard de certaines procédures prises en vertu du Code criminel est précisé dans le Code lui-même:

a) En vertu des art. 624 et 748 et des par. 762(3) et 771(5), le procureur général du Canada a

les mêmes droits d’appel dans les procédures inten­tées sur l’instance du gouvernement du Canada et dirigées par ce gouvernement, ou pour son compte, que ceux que possède le procureur général d’une province ...

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b) En vertu de l’art. 617, le ministre de la Justice du Canada peut prescrire un nouveau procès ou ren­voyer la cause devant la Cour d’appel pour connaî­tre son opinion.

c) En vertu du par. 6(5) et de plusieurs autres articles du Code, le consentement du procureur général du Canada est requis pour pouvoir intenter certaines procédures.

Notons au passage que la condition imposée par le Code est simplement que les procédures soient «intentées sur l’instance du gouvernement du Canada» et non la condi­tion plus exigeante que la dénonciation soit faite sous serment par un représentant de ce gouvernement. En l’espèce, l’accusation a été présentée par un représentant du gouvernement du Canada et, pour les motifs déjà mentionnés, ces procédures remplissent nettement toutes les conditions préalables mentionnées dans un bon nombre des articles précités.

De plus, on constate que l’art. 2 du Code définit le terme «poursuivant» de la façon suivante:

«poursuivant» désigne le procureur général ou, lorsque celui-ci n’intervient pas, la personne qui intente des procédures visées par la présente loi, et comprend un avocat agissant pour le compte de l’un ou de l’autre;

(Les italiques sont de moi.) Encore une fois, il ressort des termes utilisés que le Parlement a voulu inclure dans cette définition des personnes autres que le procureur général d’une province quelle que soit la définition de (procureur général» qui peut se trouver ailleurs dans le même art. 2, et inclure les avocats agissant pour le compte de ces autres personnes y compris, à mon avis, les avocats agissant pour le compte du procureur général du Canada. Si on la rapproche de l’art. 504 et de l’al. 505(1)b), qui est l’alinéa en vertu duquel le présent acte d’accusation a été présenté par le représentant du procu­reur général du Canada, cette définition semble attri­buer au procureur général du Canada le statut de poursuivant sans obliger une cour à se conformer à la conclusion forcée à laquelle on est arrivé dans l’affaire La Reine c. St. Louis, précitée, que la position du procureur général du Canada, dans les cours provincia­les de juridiction criminelle, est analogue à celle d’un poursuivant privé.

Je citerai un autre passage de ces motifs qui figure à la p. 697:

[TRADUCTION] En vertu de l’art. 27 de la Loi d’inter­prétation du Canada, que j’ai déjà cité, toutes les dispo­sitions du Code criminel relatives aux actes criminels s’appliquent aux actes criminels créés par d’autres textes législatifs. On peut donc soutenir que dans les deux cas

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les procédures qui résultent d’accusations qui ont trait directement, ou en fin de compte, à la Loi sur les stupéfiants sont «des procédures ... relatives à la viola­tion ... d’une loi ... sauf la présente loi», c’est-à-dire, autre que le Code. S’il en est ainsi, alors pourvu que cette partie du par. 2(37) soit intra vires des pouvoirs du Parlement du Canada, le procureur général du Canada a reçu qualité pour agir dans les deux procédures.

Même si la cour était disposée à confirmer la compétence du procureur général du Canada en matière de poursuites en se fondant sur la compé­tence exécutive fédérale, il ne lui était pas néces­saire de le faire en raison de sa prise en considéra­tion de la définition de procureur général à l’art. 2. Cela ressort clairement de ce que la Cour affirme aux pp. 700 et 701:

[TRADUCTION] Toutefois, à cause de l’avis que j’ex­prime plus loin quant à la compétence exécutive du gouvernement du Canada pour appliquer les lois du Parlement, il devient inutile de donner une réponse définitive à cette question d’interprétation, mais je ne fonde pas cette décision sur le seul motif de la compé­tence exécutive du gouvernement du Canada pour appli­quer les lois du Parlement, mais je fonde aussi ma conclusion sur ce que l’al. 2(37)b), bien interprété, n’exclut pas le procureur général du Canada de la définition de procureur général que donne l’art. 2 du Code Criminel. En définitive, le par. 2(37) autorise donc, selon moi, le procureur général du Canada à participer aux présentes procédures tout à fait indépen­damment de toute compétence exécutive que ce fonc­tionnaire peut avoir de le faire.

De toute façon, même s’il fallait interpréter le par. 2(37) comme excluant le procureur général du Canada des présentes procédures, je n’y vois pas une preuve de l’intention du Parlement de nier au gouvernement du Canada le droit ou l’obligation d’exercer la compétence exécutive qui découle du pouvoir législatif d’adopter des lois criminelles, dont le Code criminel, en vertu du par. 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. J’en suis venu à cette conclusion à cause de l’intention qui ressort clairement des termes utilisés par le législateur pour définir le statut du procureur général du Canada dans les procédures engagées en application de lois du Canada autres que le Code criminel, auxquel­les les dispositions du Code sont rendues applicables en vertu de la disposition de la Loi d’interprétation que j’ai déjà citée. À mon avis, ce but se trouve réalisé sans sous-entendre (parce que ce n’est évidemment pas exprimé) que, relativement au Code criminel, le procureur

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général du Canada n’a pas qualité pour agir devant les cours provinciales de juridiction criminelle.

On mentionne également, dans l’arrêt Pelletier, la compétence fédérale relativement à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement du Canada, mais elle ne peut manifestement pas être la seule justifi­cation en l’espèce et je ne considère pas que cette mention signifie que cet élément doit être pris en considération pour étayer la compétence fédérale en matière de poursuites.

Pour des motifs de commodité, je préfère étudier l’arrêt Pontbriand avant l’arrêt Hauser. Même si la Cour d’appel de l’Alberta a rendu ce dernier arrêt avant l’autre, cette Cour n’a procédé à l’audi­tion de l’affaire Hauser qu’après l’affaire Pont­briand. L’affaire Pontbriand soulevait la même question que l’affaire Pelletier, c.à-d. qu’il s’agissait d’accusations de complot en vue de violer la Loi sur les stupéfiants. Le pouvoir du procureur général fédéral d’intenter des poursuites était contesté non seulement pour le motif que les accusa­tions ne relevaient pas de sa compétence, mais aussi pour des motifs constitutionnels mettant en question l’attribution au procureur général fédéral du pouvoir d’intenter des poursuites relatives à des infractions au Code criminel, que le juge en chef adjoint Hugessen, présidant l’affaire Pontbriand, avait considérées comme en relevant par le biais de la Loi sur les stupéfiants.

Le juge en chef adjoint Hugessen a rejeté l’arrêt Pelletier et adopté l’opinion de la majorité de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Hauser. Ce dernier arrêt a été infirmé en cette Cour et j’y reviendrai plus loin. Il y a deux ou trois observa­tions dans l’arrêt Pontbriand avec lesquelles je ne puis être d’accord. La première tient à ce que l’arrêt se fonde considérablement sur l’art. 135 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. J’ai déjà parlé de cette disposition qui, comme je l’ai dit, était spécialement conçue pour la province du Canada d’avant la Confédération et visait à créer un régime de transition à l’égard de ce qui devien­drait, après la Confédération, l’Ontario et le Québec. L’article 135 ne peut, à mon avis, être considéré comme prévalant sur les dispositions essentielles de l’art. 129. Si on l’interprétait de la façon proposée, on accorderait aux procureurs

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généraux des deux provinces un statut supérieur à celui des procureurs généraux des autres provinces. L’application limitée de l’article ne permet pas d’étayer la justification que le juge en chef adjoint Hugessen semble y avoir puisée.

Le deuxième point sur lequel je désapprouve l’arrêt Pontbriand est l’avis qui y est exprimé selon lequel la conclusion principale de l’arrêt Pelletier est une opinion incidente et elle se fonde en fait sur la clause d’attribution de compétence fédérale relative à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement. Il va de soi que la cour, dans l’affaire Pontbriand, n’était pas tenue de suivre l’arrêt Pel­letier, mais celui-ci méritait un meilleur sort que celui d’être relégué par la Cour d’appel de l’Onta­rio au rang d’opinion incidente non pertinente.

Le reproche le plus sérieux que l’on puisse faire à l’arrêt Pontbriand est l’addition répétée du mot «criminelle» au par. 92(14), comme si l’administra­tion de la justice dans la province devait signifier l’administration de la justice criminelle. Le paragraphe 92(14) ne comporte pas une telle limitation et toute compétence du genre qu’il peut attribuer ne peut s’interpréter comme écartant la compé­tence fédérale prépondérante qui est conférée par le par. 91(27). De plus, je me dois de souligner que l’arrêt Pontbriand a exagéré la portée de l’arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152. La Cour qui à la majorité approuve l’exercice, par la province, du pouvoir d’enquêter sur le crime organisé, a souligné clairement qu’il n’y était question d’aucune tentative de porter des accusations pour des infractions en particulier, ni de créer des infractions ou de modifier la procé­dure en matière criminelle. Il n’était question que du pouvoir de faire enquête et de faire rapport et, même là, sous réserve d’observer les normes de procédure fédérales, en accordant, par exemple, une protection contre l’auto-incrimination. La présente affaire repose sur un fondement différent puisqu’elle ne porte pas sur l’étendue de la compé­tence de la province en matière d’enquête, mais plutôt sur l’étendue de sa compétence réelle en matière de poursuites.

Passons maintenant à l’arrêt Hauser de la Cour d’appel de l’Alberta. Cet arrêt démontre une nette divergence d’opinions entre la majorité et la minorité

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de la formation de cinq juges. Il résulte d’une accusation de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic contrairement au par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1. Après qu’une accusation eût été portée au nom du procu­reur général du Canada, une requête en annulation a été immédiatement déposée pour le motif que le procureur général du Canada n’avait pas le droit d’intenter les poursuites, étant donné qu’il n’y était pas autorisé valablement par l’art. 2 du Code criminel. La requête a été annulée en première instance, mais trois des juges de la Cour d’appel, savoir le juge en chef McGillivray et les juges Lieberman et Morrow, ont accueilli la demande de prohibition. Les juges McDermid et Haddad étaient dissidents.

La Cour a décidé, à la majorité, que la violation de la Loi sur les stupéfiants relevait du droit criminel au sens strict et qu’en conséquence, le procureur général fédéral ne pouvait nullement engager les poursuites à quelque titre que ce soit, même en vertu de la définition de procureur géné­ral donnée à l’art. 2 du Code. Cela doit s’interpré­ter comme signifiant que lorsque l’infraction com­porte la contravention ou le complot en vue de contrevenir à une loi quelconque du Parlement du Canada autre que le Code criminel, le procureur général du Canada est exclu parce que, littéralement, il s’agit d’une violation du droit criminel et, du point de vue constitutionnel, le pouvoir de poursuivre découle du par. 92(14) et non du par. 91(27).

Les juges dissidents ont conclu que l’accusation avait été validement présentée parce que le procu­reur général de la province n’avait manifesté aucune intention d’intenter des poursuites relatives à une infraction à la Loi sur les stupéfiants. Ils ont estimé qu’il était loisible au Parlement du Canada d’autoriser le procureur général du Canada à pré­senter des actes d’accusation relativement à des infractions à des lois fédérales autres que le Code criminel et que, même si le procureur général de la province n’est pas expressément exclu dans un cas comme celui-ci, la question du conflit a généralement été résolue par le fait que le procureur général de la province ne s’opposait pas à ce que le procureur général du Canada poursuivît en la matière.

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J’ai examiné plutôt brièvement la position de la Cour d’appel de l’Alberta, vu que cette Cour s’est penchée sur la question, plus tard, dans l’affaire Hauser. Ce qui m’a consterné à la lecture des motifs tant de la majorité que de la minorité, c’est le raisonnement plutôt forcé auquel on recourt pour préserver le pouvoir provincial de poursuivre en matière de droit criminel fédéral. La question semble avoir émergé plutôt sur le tard dans notre jurisprudence constitutionnelle étant donné qu’a­vant 1968-69, l’arrangement pratique auquel on en était arrivé après la Confédération était préservé par une définition du nouveau Code criminel, mais il n’y avait eu aucune indication, ni à l’époque, ni même par la suite, que le Parlement du Canada se verrait imposer une limitation constitutionnelle lorsqu’il voudrait administrer son propre droit criminel.

Même s’il est possible de faire ressortir de la jurisprudence une justification de la limitation de la compétence fédérale en matière de poursuites, la question doit être tranchée en fonction de la for­mulation des art. 91 et 92 et des principes de l’exclusivité et de la prépondérance fédérales qui s’y trouvent enchâssés. C’est une chose que d’affir­mer que, sur le plan pratique, il vaudrait mieux reconnaître aux provinces une compétence géné­rale en matière de poursuites relativement à toutes les infractions de droit criminel, mais il s’agit là d’une question qui doit être examinée par la légis­lature qui a le pouvoir constitutionnel d’adopter les dispositions pertinentes. Elle ne peut pas en soi déterminer où réside cette compétence constitu­tionnelle.

Quel est donc le sens de l’arrêt Hauser de cette Cour sur la question? Bien que le juge en chef McGillivray, aux motifs duquel le juge Lieberman a souscrit, n’ait pas écarté la possibilité que le procureur général du Canada ait compétence pour poursuivre si la compétence relative à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement doit être exercée d’une manière particulière, le juge Pigeon, qui a rédigé les motifs à la majorité (auxquels les juges Martland, Ritchie et Beetz ont souscrit) a conclu que la Loi sur les stupéfiants relevait vraiment du pouvoir résiduel général du Parlement fédéral, puisqu’elle porte sur un problème nouveau qui

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n’existait pas à l’époque de la Confédération. En conséquence, il ne pouvait que reconnaître que la compétence du procureur général fédéral d’inten­ter des poursuites relatives à une infraction ne relevait pas du par. 91(27). Le juge Pigeon a affirmé clairement que la Cour ne se prononçait alors que sur le pouvoir fédéral de poursuivre dans ce cas précis sans plus. En définitive, le pourvoi a été accueilli et le juge Spence a souscrit à l’issue du pourvoi, mais pour des motifs différents de ceux de la majorité, exprimant à cet égard un avis différent de celui du juge Dickson, aux motifs duquel le juge Pratte a souscrit.

Parlant de la définition de «procureur général» donnée à l’art. 2 du Code, le juge Pigeon l’a essentiellement appliquée par voie d’interprétation, compte tenu du fait que la définition elle-même, dans la mesure où elle vise le procureur général fédéral, limite sa compétence en matière de poursuites à la violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi du Canada autre que le Code criminel. Les cours auraient peut-être pu conclure que toutes les infractions qui ne relèvent pas du Code criminel ont une existence indépendante même si elles comportent des notions de droit criminel. Toutefois, ce n’est pas la façon de procé­der qui a été adoptée et on a donc considéré que chaque fois qu’il y a application du droit criminel, même en vertu de dispositions autres que celles du Code, le par. 91(27) s’applique de même que les droits de poursuivre qui en découlent. C’est là certainement le point de vue adopté par les intimés en l’espèce, comme je l’ai déjà souligné dans les présents motifs.

Le juge Spence a analysé de façon stricte les deux questions formulées par la Cour. Voici ces questions:

Le Parlement du Canada a-t-il compétence pour pro­mulguer une législation qui, comme à l’article 2 du Code criminel, autorise le procureur général du Canada ou son représentant

(1) à présenter des actes d’accusation pour une infrac­tion à la Loi sur les stupéfiants,

(2) à diriger les procédures instituées sur l’instance du gouvernement du Canada, qui sont relatives à la violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi du Parlement du Canada ou de règlements établis en vertu d’une telle loi, à l’exclusion du Code criminel?

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Comme il le fait remarquer, la première question porte sur les infractions à la Loi sur les stupéfiants et, en fait, les infractions au Code criminel ne sont pas visées par celle-ci. Il y a des extraits de ses motifs qu’il importe de citer ici:

Je commence par ce qu’on peut considérer comme la formulation banale d’un principe fondamental en droit constitutionnel canadien. Les pouvoirs législatifs du fédéral énoncés à l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique sont conférés exclusivement au Parlement, nonobstant toute autre disposition de l’Acte, et particulièrement l’art. 92. C’est en vertu de l’exercice du pouvoir législatif fédéral que le Parlement attribue des devoirs aux tribunaux et fonctionnaires provinciaux et leur confère ses pouvoirs et il n’a besoin d’aucune loi habilitante ni d’aucune autorisation des provinces à cet égard. Je cite ici l’une des nombreuses déclarations de cette Cour à ce sujet. Dans l’arrêt Procureur général de l’Alberta et Winstanley c. Atlas Lumber Company Limited [[1941] R.C.S. 87] à la p. 100, le juge Rinfret dit:

[TRADUCTION] Mais il est établi depuis longtemps qu’en ce qui concerne les sujets compris dans l’une des rubriques de l’art. 91, le Parlement du Canada peut donner compétence aux tribunaux provinciaux et entièrement les procédures devant ces tribunaux réglementer.

(Les italiques sont de moi.)

Se fondant sur ce pouvoir, le Parlement a, dans l’ensem­ble du Code criminel, donné compétence à différents tribunaux provinciaux, imposé des devoirs et attribué des pouvoirs à différents fonctionnaires provinciaux dont, évidemment, les procureurs généraux des provinces. C’est en vertu de la législation fédérale édictée en conformité du par. 27 de l’art. 91 de l’Acte de l’Améri­que du Nord britannique que ces tribunaux provinciaux exercent cette compétence et que les procureurs géné­raux et autres fonctionnaires provinciaux s’acquittent de leurs devoirs et exercent leurs pouvoirs.

Certes, avant la Confédération, les procureurs géné­raux des diverses colonies intentaient des poursuites et ils continuent de le faire à peu près de la même manière. Cependant, avant la Confédération, les procureurs géné­raux agissaient en vertu de leurs pouvoirs de common law ou d’une loi de la colonie validement édictée. Depuis la Confédération, ils tiennent leurs pouvoirs d’une loi fédérale valide. Je ne vois rien qui empêche le Parlement, dans l’exercice de son pouvoir législatif valide, de décréter, relativement à certains devoirs ou procédures, que les fonctionnaires provinciaux n’ont pas de rôle

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exclusif, mais le partagent avec des fonctionnaires fédé­raux, dont le procureur général du Canada, ou un organisme d’investigation ou de poursuite désigné par le Parlement.

Il est d’ailleurs difficile de comprendre comment une bonne partie du domaine législatif fédéral pourrait être efficacement traitée par d’autres moyens. La législation fédérale en ces domaines a principalement pour but la réglementation et porte sur des sujets typiquement fédé­raux comme les échanges et le commerce, l’importation et l’exportation et autres sujets semblables. L’adminis­tration de ces domaines requiert des décisions de politique et comprend certainement l’établissement d’une politique sur les moyens et les modalités d’application de la loi. Il serait contraire au principe fondamental du fédéralisme de laisser aux autorités provinciales le con­trôle exclusif sur l’application de ces lois et toute latitude pour décider quand et comment une loi doit être mise en application par des poursuites et contre qui les intenter. Si le domaine législatif relève d’une des rubri­ques de l’art. 91, le fédéral doit prendre la décision finale sur la politique administrative, les investigations et les poursuites. La Loi sur les stupéfiants est peut-être un exemple par excellence de ce principe. La Loi, en partie de nature purement prohibitive, contient nombre de dispositions relatives aux infractions et aux poursuites. Mais elle porte aussi en grande partie sur la régle­mentation du commerce des drogues, sur leur importa­tion et leur utilisation, et sur la description des diverses catégories de drogues. Le commerce, légal ou illicite, des drogues traverse constamment les frontières provinciales et nationales. Il est donc, à mon avis, manifeste que la réglementation sur les stupéfiants, la politique visant à en contrôler la distribution, le dépistage des violations de la loi ou des règlements et l’institution de poursuites incombent à des fonctionnaires fédéraux.

Abordant l’analyse du par. 92(14), le savant juge affirme:

La thèse contraire, avancée par les avocats de plusieurs provinces, est fondée sur le par. 92(14) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique:

L’administration de la justice dans la province, y compris la constitution, le maintien et l’organisation de tribunaux provinciaux, de juridiction tant civile que criminelle, y compris la procédure en matière civile dans ces tribunaux.

Il convient d’abord de souligner que le par. 91(27) confère au Parlement fédéral compétence sur la «procé­dure en matière criminelle» et ce, de façon exclusive en vertu de la dernière phrase de l’art. 91. Deuxièmement, et cela est primordial, le par. 92(14) est, de par son

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texte, limité à l’administration de la justice «dans la province». Je ne prétends pas que cela signifie l’adminis­tration de la justice en matière civile seulement puisque le paragraphe parle expressément de juridiction «civile» et «criminelle» et les oppose. Il est évident que les rédacteurs auraient inséré le mot «civile» avant «dans la province» s’ils avaient voulu apporter cette restriction. Mais je pense que les mots «dans la province» indiquent que le législateur visait le fonctionnement de l’appareil judiciaire dans les limites de la province et non la question vitale de savoir qui doit faire appliquer les lois fédérales et instituer les poursuites pour leur violation.

Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie [[1936] R.C.S. 379], qui porte sur une disposition d’une loi fédérale autorisant le directeur des poursuites publiques, dont la charge était créée par la loi, à instituer, à la demande du procureur général du Canada, des procédures criminelles pour une infraction à l’une des lois interdisant les pratiques déloyales dans le commerce, le juge en chef Duff dit, à la p. 383:

[TRADUCTION] Nous ne pensons pas que l’on puisse dire que le pouvoir de légiférer sur les poursuites criminelles relève «strictement» du domaine du «droit criminel et de la procédure en matière criminelle» — par. 27 de l’art. 91; mais nous croyons que le pouvoir de prescrire ces dispositions et le pouvoir de prescrire les conditions applicables à l’institution et à la conduite des procédures criminelles sont nécessairement accessoires aux pouvoirs conférés au Parlement du Canada par le par. 27 (Proprietary Articles Trade Association c. Procureur général du Canada, [1931] A.C. 310, aux pp. 326 et 327.)

C’est l’opinion que j’al tenté d’exprimer ci-dessus. Dans l’arrêt du Comité judiciaire, publié sous l’intitulé Procu­reur général de l’Ontario c. Procureur général du Canada, [[1937] A.C. 405], lord Atkin, répondant aux arguments de l’avocat qui représentait le procureur général du Canada, a adopté un point de vue plus étroit à l’égard de cette disposition .. .

Il termine en optant pour les motifs précités du juge en chef Duff et répond finalement aux deux questions par l’affirmative. Il ajoute l’observation suivante:

Les deux tribunaux ont conclu à la validité de la disposi­tion. Avec égards, je suis plutôt de l’avis du juge en chef Duff. Comme je l’ai déjà dit, si la modification de la définition de «procureur général» pour y inclure le pro­cureur général du Canada, dans les cas d’infractions ne relevant pas du Code criminel, est à bon droit accessoire

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à une loi validement édictée en vertu de l’art. 91, elle a alors prépondérance sur tout ce qui relève du par. 92(14).

J’arrive enfin à l’étude des motifs de dissidence approfondis rédigés par le juge Dickson. Il y a une différence marquée dans les façons respectives du juge Spence et du juge Dickson d’aborder la com­pétence fédérale en matière de poursuites. Le juge Spence conclut que le Parlement du Canada est compétent pour légiférer en matière de poursuites pour toutes les infractions à des lois fédérales et il ne tente pas de distinguer celles qui relèvent du pouvoir en matière de droit criminel de celles qui n’en relèvent pas. La définition de procureur géné­ral, au par. 2(37), attribue la compétence en matière de poursuites au procureur général du Canada lorsqu’il s’agit d’infractions qui ne relèvent pas du Code criminel. Le fait que des poursuites pour une telle infraction imposent un recours à la compétence en droit criminel ne fait pas de l’infraction une infraction au Code criminel. Elle aura été définie de façon distincte. Prenons l’exemple de poursuites pour une infraction à la Loi sur la faillite fédérale. Elle a son propre code et n’est pas régie par le Code criminel, même si les infractions comportent des renvois au droit criminel. D’après le juge Dickson, le Parlement n’est compétent pour attribuer le pouvoir en matière de poursuites au procureur général fédéral que si l’infraction en cause ne relève pas de la compétence en matière de droit criminel. Peut-il y avoir des infractions à des lois fédérales qui, n’étant pas des infractions au Code, ne dépendent pas d’un renvoi au droit crimi­nel ou n’en exigent pas? Y aurait-il une différence quant à la validité du par. 2(37) si, de par sa formulation, l’infraction qui ne relève pas du Code reproduisait exactement les dispositions du Code qui, dans tant d’infractions à des lois fédérales autres que le Code, se retrouvent par renvoi? En réalité, même si l’on accepte la caractérisation que le juge Pigeon a faite de la Loi sur les stupéfiants, les mesures pénales prescrites pour les infractions à cette loi n’échappent pas vraiment à l’emprise du droit criminel, même si la Loi a trait à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement du Canada.

Il est certainement loisible au Parlement du Canada, lorsqu’il légifère sur un sujet relevant du

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par. 91(27), de ne pas voir d’un seul tenant la compétence très générale qu’il possède en matière de droit criminel. Il peut donc considérer qu’elle lui permet de définir des infractions et de les assortir de peines. Je crois qu’il fait une telle distinction en attribuant le pouvoir de poursuivre au procureur général fédéral en vertu du par. 2(37), lorsqu’il parle d’infractions qui ne relèvent pas du Code criminel, tout en laissant la question de la responsabilité pénale dépendre de ce qui est prescrit en vertu de ces infractions.

Je vais maintenant parler brièvement de l’arrêt récent de la Cour d’appel de l’Ontario, Hoffman-LaRoche. Le juge Martin, qui s’exprime au nom de la cour dans cet arrêt, est dans l’ensemble d’accord avec l’arrêt Pelletier et avec l’opinion du juge Spence dans l’arrêt Hauser, tout autant qu’avec le point de vue exprimé par le juge Linden lors du procès. J’ai déjà fait état des motifs du juge Linden et je n’ai pas besoin d’y revenir. Il y a un certain nombre de passages des motifs du juge Martin avec lesquels je suis tout à fait d’accord et ces passages sont les suivants. Ainsi, il affirme (à la p. 225):

[TRADUCTION] Je suis convaincu que, tout au moins, le Parlement possède une compétence concurrente avec les provinces pour appliquer les lois fédérales validement adoptées en vertu du par. 27 de l’art. 91 qui, à l’instar de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, vise surtout à supprimer, dans l’intérêt national, des agisse­ments qui, de par leur nature et leurs effets, sont essentiellement interprovinciaux et à l’égard desquels ce sont des fonctionnaires fédéraux qui remplissent la fonc­tion d’enquête en vertu de pouvoirs qui leur sont validement conférés, au moyen d’une procédure que seul le Parlement peut constitutionnellement prescrire.

Et de nouveau (à la p. 228):

[TRADUCTION] A mon avis, les pouvoirs d’enquête spéciaux qui ont toujours fait partie de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions rendent incontestable le pouvoir des fonctionnaires fédéraux d’en appliquer les dispositions. Je suis aussi d’avis que l’attribution de ces pouvoirs d’enquête relève de la procédure en matière criminelle prévue au par. 91(27). Comme le dit si bien Me Robinette, ce serait renversant si le procureur géné­ral du Canada pouvait engager des poursuites en vertu de la Loi sur les stupéfiants parce que cette loi ne constitue pas du droit criminel et s’il ne pouvait pas le faire en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions parce qu’il s’agit de droit criminel.

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Le juge Martin a analysé l’arrêt Di Iorio jusqu’à un certain point et il a souligné qu’il différait de l’affaire qui lui était soumise. Il affirme ceci (aux pp. 228 et 229):

[TRADUCTION] Dans l’arrêt Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, ... la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il y a un certain chevauchement entre la compétence attribuée au Parlement en vertu du par. 91(27) et celle attribuée aux provinces en vertu du par. 92(14) et qu’une matière qui, pour certaines fins, relève de la compétence fédérale sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle peut aussi faire l’objet légitime de législation provinciale par rapport à l’administration de la justice (le juge Dickson à la p. 207).

Malgré le chevauchement des par. 91(27) et 92(14), il ne serait manifestement pas de la compétence de la province d’adopter une loi qui permettrait à un agent de police de convoquer un suspect devant un fonctionnaire et de l’obliger à répondre, sous serment, à un interroga­toire relatif à sa participation à une infraction. Même si une telle loi pouvait être décrite comme portant sur les enquêtes relatives à des infractions et ainsi sembler relever de l’administration de la justice, une telle loi porterait véritablement sur la procédure en matière cri­minelle et relèverait donc de la compétence exclusive du Parlement.

Revenant enfin à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, il fait remarquer (aux pp. 230 et 231):

[TRADUCTION] Les dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui permettent aux fonction­naires fédéraux chargés de l’application de la Loi d’obli­ger toute personne qui réside ou se trouve au Canada à témoigner sous serment ont, comme je l’ai déjà men­tionné, toujours constitué un trait caractéristique de la Loi. Il faut en conclure deux choses: d’abord que le Parlement a manifestement estimé que les enquêtes policières ordinaires menées par les provinces ne seraient pas efficaces pour ce qui est du genre d’agissements que vise la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et qui respectent rarement les limites des provinces. Il faut aussi en conclure qu’une législature provinciale n’aurait pas compétence pour attribuer ces pouvoirs à des fonc­tionnaires provinciaux ou fédéraux aux fins d’enquêter sur les infractions à la Loi.

L’objet des enquêtes prévues dans la Loi et pour lesquelles des témoins peuvent être contraints à déposer, n’est pas la situation générale dans la province quant à l’existence de coalitions ou de pratiques malhonnêtes de

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fixation des prix, ni quant aux conditions favorables à leur apparition ou à leur existence. Les enquêtes prévues portent plutôt sur des opérations particulières en regard de certaines infractions à la Loi, notamment des infrac­tions à l’art. 34, dans le but de décider s’il y a lieu de poursuivre. Souvent les personnes à qui on demande de se soumettre à un interrogatoire sous serment sont soup­çonnées d’avoir commis certaines infractions à la Loi ou sont les administrateurs de sociétés soupçonnées d’avoir commis ces infractions et constituent, de ce fait, d’éven­tuels défendeurs dans des poursuites ultérieures. On n’a jamais contesté avec succès les dispositions relatives aux interrogatoires que contient la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et, en fait, ni l’avocat des appelants ni celui du procureur général de l’Ontario n’en contestent la validité. Dans le Renvoi relatif à la validité de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, précité, le juge Duff, après avoir souligné que, comme le titre de la Loi l’indique, celle-ci permet d’enquêter sur des questions relatives à l’existence d’une coalition ou à sa formation, affirme A. la p. 418:

«L’autre point de vue concerne la responsabilité du Dominion à l’égard du droit criminel. La compétence en matière de droit criminel et de procédure en matière criminelle, conférée par le par. 91(27), sem­blerait conférer au Dominion, non pas à titre de pouvoir incident simplement mais comme partie essentielle de celle-ci, le pouvoir de prescrire des enquêtes à propos d’infractions réelles ou possibles.» (Les italiques sont de moi.)

Lors de l’appel à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, le Comité judiciaire du Conseil privé a confirmé l’avis de la Cour suprême du Canada selon lequel aucune des dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n’était ultra vires.

Il conclut comme suit (à la p. 233):

[TRADUCTION] La validité des dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui attribuent des pouvoirs d’enquête à des fonctionnaires fédéraux est, à mon avis, incontestable. L’accomplissement de la fonc­tion d’enquête par des fonctionnaires fédéraux et l’attri­bution de la fonction en matière de poursuites au procu­reur général de la province exclusivement donneraient lieu à l’incohérence même que le juge Dickson a jugée inacceptable. Puisque la fonction d’enquête est attribuée validement aux fonctionnaires fédéraux, le pouvoir du Parlement d’autoriser le procureur général du Canada à engager des poursuites en vertu de la Loi est nécessairement incident ou accessoire à l’économie de la législa­tion ou, pour reprendre les termes du juge Laskin (alors juge de la Cour d’Appel) dans l’arrêt Papp v. Papp, [1970] 1 O.R. 331, aux pp. 335 et 336, 8 D.L.R. (3d)

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389 (C.A.), (il y a un lien logique et pratique» entre les procédures d’enquête prévues dans la Loi et l’attribution d’un pouvoir de poursuivre au procureur général du Canada en vertu du par. 15(2) de la Loi.

À mon avis, l’attribution de pouvoirs en matière de poursuites au procureur général du Canada pour ce qui est des infractions à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne porte atteinte à aucun principe constitu­tionnel ni à aucune entente qui peut avoir existé à l’époque de la Confédération quant à l’application du droit criminel.

En conséquence, je suis d’accord avec le juge de première instance que même si la validité constitution­nelle de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions repose sur le par. 27 de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, il est de la compétence législative du Parlement, en vertu de la définition b) de «procureur général» à l’art. 2 du Code et au par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, d’autoriser le procureur général du Canada à présenter des accusa­tions et à engager des poursuites relatives aux infrac­tions à cette loi.

J’ajouterai que je trouve inutile, dans le présent pourvoi, de m’arrêter aux observations du juge Martin sur la compétence relative à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement dont le juge Pigeon a parlé dans l’arrêt Hauser, ou d’en dire plus quant à la compétence en matière d’échanges et de commerce.

IX

Outre les motifs de cette Cour que j’ai rédigés, il suffit à mon avis de se fonder sur l’arrêt Pelletier, sur les motifs du juge Spence dans l’arrêt Hauser et sur les motifs de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Hoffman-LaRoche. Les décisions et les motifs que j’ai mentionnés nous amènent à la conclusion qu’il y a lieu d’accueillir le présent pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta et de répondre aux questions posées par l’affirmative. J’ajouterais que les motifs du juge Martin dans l’arrêt Hoffman-LaRoche sont à mon avis inattaquables et justifieraient en soi de répon­dre par l’affirmative à la revendication de la com­pétence en matière de poursuites invoquée par le fédéral.

Il n’y aura pas d’adjudication de dépens pour ou contre les parties ou les intervenants.

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Version française des motifs rendus par

LE JUGE DICKSON — La Constitution habilite-t-elle le procureur général du Canada à présenter des actes d’accusation et à diriger des procédures à l’égard de prétendues violations de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23 et modifications? Voilà la question précise qui se pose en l’espèce. Cette question sous-tend toutefois des questions de portée beaucoup plus large touchant les principes fondamen­taux qui régissent le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces dans les domaines de la justice en matière criminelle et de la réglementa­tion économique.

Historique

Le 5 novembre 1979, un agent d’application de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions fédérale a déposé une dénonciation sous serment qui inculpait les intimés, ainsi qu’un bon nombre d’autres personnes, morales et physiques, d’avoir comploté illégalement en vue d’empêcher ou de diminuer indûment la concurrence dans le transport interprovincial de marchandises par envois pesant jusqu’à dix mille livres, depuis certains points en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba, contrairement à l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, abr. et rempl. par 1974-75-76 (Can.), chap. 76, par. 14(1). Le 9 septembre 1980, on a déposé en Cour du Banc de la Reine de l’Alberta des demandes d’ordonnances en vue d’empêcher la cour provin­ciale de continuer les procédures relatives à cette dénonciation aussi longtemps que les poursuites seraient dirigées par le procureur général du Canada ou un de ses substituts. Les requérants ont fait valoir que l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions relevait du droit crimi­nel et que, conformément au par. 92(14) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (maintenant la Loi constitutionnelle de 1867), seul le procureur général d’une province pouvait diriger les poursuites. A supposer que cet argument soit exact, il s’ensuit nécessairement que le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et l’art. 2 du Code criminel [ci-après appelé le par. 2 (37)], qui autorisent le procureur général fédéral à présenter des actes d’accusation et à diriger des

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procédures engagées en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, sont ultra vires du Parlement du Canada.

Une question analogue a été soulevée dans l’ar­rêt R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984, quoique celui-ci porte sur la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, plutôt que sur la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Cette Cour à la majo­rité a conclu que le procureur général du Canada a le pouvoir constitutionnel de présenter des actes d’accusation et de diriger des procédures relativement à des accusations portées en vertu de la Loi sur les stupéfiants. Le juge Pratte et moi-même étions dissidents, notre dissidence étant fondée sur la proposition portant que, même si le pouvoir de faire des lois dans un domaine de compétence particulier comprend normalement le pouvoir de les faire appliquer, le pouvoir en matière de droit criminel que le par. 91(27) attribue au Parlement ne comprend pas celui d’engager et de diriger des procédures criminelles parce que le par. 92(14) confère aux provinces la compétence relative à l’administration du système de justice en matière criminelle et, notamment, le pouvoir de présenter des actes d’accusation et de diriger des procédures criminelles. Puisque le juge Pratte et moi-même étions d’avis que la Loi sur les stupéfiants consti­tue, de par son caractère véritable, du droit crimi­nel, nous avons conclu que seul le procureur général de la province pouvait présenter l’acte d’accusation et poursuivre M. Hauser relativement aux accusations portées contre lui. La Cour à la majorité a conclu que la Loi sur les stupéfiants ne constitue pas du droit criminel, mais que sa consti­tutionnalité dépend de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement et que, par conséquent, le procureur général du Canada pouvait diriger les poursuites. Le juge Spence, qui a rédigé des motifs distincts dans lesquels il sous­crit à la solution retenue par la majorité, a exprimé l’opinion que les fonctionnaires fédéraux ont com­pétence pour administrer et faire appliquer les lois fédérales, quel que soit le chef de compétence fédérale qui constitue le fondement constitutionnel de la loi en cause.

L’arrêt Hauser ne tranche donc pas la question de savoir quel procureur général peut poursuivre

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relativement aux infractions au Code criminel ou à une autre loi qui relève de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Il établit en réalité que, lorsque la loi appliquée relève de quelque autre chef de compétence fédérale, le pro­cureur général fédéral peut présenter des actes d’accusation et diriger les procédures. A la page 996, le juge Pigeon affirme au nom de la majorité:

Quoi qu’on dise de la nécessité de restreindre l’éten­due du pouvoir fédéral sur la procédure criminelle afin de préserver la compétence provinciale sur l’administra­tion de la justice criminelle, je pense qu’il faut reconnaî­tre au moins ce qu’ont admis trois provinces: le pouvoir législatif complet du fédéral sur les poursuites relatives à la violation ou à un complot en vue de la violation de lois fédérales dont la constitutionnalité ne dépend pas du par. 27 de l’art. 91 (droit criminel). A mon avis, ces provinces ont raison de ne revendiquer aucun droit constitutionnel de subordonner à leur pouvoir exécutif l’application des lois fédérales autres que celles que l’on peut à bon droit considérer comme du «droit criminel».

Donc, en ce qui a trait à la question dont nous sommes présentement saisis, l’arrêt Hauser introduit, à la p. 992, une importante distinction constitutionnelle:

Du point de vue constitutionnel, la distinction à faire est entre les lois fondées sur le pouvoir législatif en matière de droit criminel et toutes les autres lois fédérales; c’est ce que disent les trois provinces qui reconnaissent que, lorsqu’il légifère dans ses autres domaines de compé­tence, le Parlement fédéral peut confier la direction des poursuites aux fonctionnaires fédéraux, mais ces provinces contestent cette compétence à l’égard des poursuites en droit criminel proprement dit.

Cette considération revêt une importance capi­tale en l’espèce. Le paragraphe 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est ainsi conçu:

15....

(2) Le procureur général du Canada peut intenter et conduire toutes poursuites ou autres procédures prévues par la présente loi. À ces fins, il peut exercer tous les pouvoirs et fonctions que le Code criminel confère au procureur général d’une province.

Le paragraphe 2(37) du Code criminel porte notamment:

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«procureur général» désigne le procureur général ou solliciteur général d’une province où sont intentées des procédures visées par la présente loi et désigne, relativement

(b) aux procédures instituées sur l’instance du gouver­nement du Canada et dirigées par ce gouvernement ou pour son compte, qui sont relatives à la violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi du Parlement du Canada ou d’un règlement établi en vertu d’une telle loi, sauf la présente loi,

le procureur général du Canada et, sauf aux fins des paragraphes 505(4) et 507(3), comprend le substitut légitime desdits procureur général, solliciteur général et procureur général du Canada;

L’une et l’autre dispositions autorisent le procu­reur général du Canada à diriger des poursuites intentées en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Si la constitutionnalité de l’al. 32(1)c) de cette loi dépend d’un chef de compé­tence fédérale autre que celui prévu au par. 91(27), alors, suivant les motifs de la majorité dans l’arrêt Hauser et compte tenu de cette dispo­sition, il ne fait pas de doute que le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et le par. 2(37) du Code criminel sont intra vires et que le procureur général du Canada a compétence pour présenter des actes d’accusation et pour diri­ger des procédures relativement aux prétendues infractions à la Loi. Si, par contre, la validité de l’al. 32(1)c) dépend uniquement de la compétence fédérale en matière de droit criminel, alors cette Cour aura à se pencher sur la question de savoir qui du fédéral ou des provinces détient le pouvoir constitutionnel de poursuivre relativement à des infractions criminelles, question que la majorité a laissée en suspens dans l’arrêt Hauser.

À partir de cette interprétation de l’arrêt Hauser, le juge Medhurst a rejeté les demandes de prohibition, [1981] 2 W.W.R. 701, (1980), 119 D.L.R. 547. Il a exprimé l’avis que la validité de l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions fédérale peut se fonder sur le pouvoir de réglementer les échanges et le commerce que con­fère le par. 91(2) de ce qui s’intitulait alors l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que, par conséquent, le procureur général du Canada peut

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validement intenter des poursuites pour une viola­tion du par. 32(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

En appel, la Cour d’appel de l’Alberta a infirmé la décision de première instance et a accordé l’or­donnance de prohibition. Le juge Prowse, s’expri­mant au nom de la Cour d’appel, a passé en revue la jurisprudence et a conclu que [TRADUCTION] «la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions en général et l’infraction alléguée dans la dénoncia­tion en particulier relèvent de la compétence que confère au Parlement le par. 91(27) (droit crimi­nel) de 1’A.A.N.B., 1867» et que [TRADUCTION] (da validité de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et en particulier de son al. 32(1)c) ne dépend ni en totalité ni en partie du par. 91(2) de l’A.A.N.B., 1867». Puisque la Cour d’appel de l’Alberta à la majorité avait décidé dans l’affaire Hauser que le Parlement du Canada n’avait pas compétence pour autoriser le procureur général fédéral à engager des procédures criminelles, le juge Prowse a conclu qu’il était tenu d’accueillir l’appel et de rendre l’ordonnance demandée.

C’est cet arrêt que le procureur général du Canada porte en appel devant cette Cour. Avec l’autorisation de la Cour, les procureurs généraux de l’Alberta, du Québec, de l’Ontario, de la Saska­tchewan et de la Colombie-Britannique intervien­nent contre le procureur général du Canada. Les arguments qu’on nous a présentés sont axés sur les questions constitutionnelles soulevées en appel, qui, dans l’ordonnance du Juge en chef, sont ainsi formulées:

1. La validité constitutionnelle de l’alinéa 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, dépend-elle du paragraphe (27) de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique?

2. Si oui, est-il de la compétence du Parlement du Canada d’adopter des textes de loi tels l’article 2 du Code criminel et le paragraphe 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui autorisent le procu­reur général du Canada ou ses substituts à porter des accusations et à conduire des procédures relativement à des violations alléguées de ladite disposition?

L’appelant fait valoir que, sur le plan de la Consti­tution, l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes

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sur les coalitions ne relève pas seulement de la compétence en matière de droit criminel que con­fère le par. 91(27), mais peut également relever du chef prévu du par. 91(2), savoir les échanges et le commerce, et de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement. Il soutient en outre que, même si l’al. 32(1)c) ne relevait que de la compétence en matière de droit criminel prévue au par. 91(27), le par. 2(37) du Code criminel et le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, constituent eux-mêmes des exercices valides de la compétence conféré par le par. 91(27) et sont donc intra vires. Les intimés et les provinces intervenantes soutiennent que la validité de l’al. 32(1)c) ne dépend que de la compétence fédérale en matière de droit criminel et qu’en raison de la compétence exclusive des provinces sur l’administration de la justice en matière criminelle, le Parlement fédéral ne peut légiférer relativement aux poursuites pour de telles infractions et que, par conséquent, le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ainsi que les parties pertinentes du par. 2(37) du Code criminel sont ultra vires.

La Loi relative aux enquêtes sur les coalitions relève-t-elle du droit criminel?

L’histoire démontre que les lois canadiennes contre les coalitions relèvent traditionnellement du droit criminel. Quand elle a été adoptée pour la première fois en 1889, la loi s’intitulait Acte à l’effet de prévenir et supprimer les coalitions for­mées pour gêner le commerce, 1889 (Can.), chap. 41. Cette loi découle de l’inquiétude qu’on éprou­vait face à l’émergence au Canada de cartels qui, tout en étant plus petits que ceux existant aux Etats-Unis, permettaient à quelques individus de contrôler d’énormes empires financiers. Le problème des coalitions était perçu comme ayant de fortes connotations morales et c’est par des sanc­tions pénales qu’on a tenté de le résoudre: voir McDonald, Criminality and the Canadian Anti-Combines Laws (1965), 4 Alta. L.R. 67, aux pp. 69 à 71. Lorsque le premier Code criminel cana­dien a été adopté en 1892, 1892 (Can.), chap. 29, il reprenait à son art. 520 les interdictions formu­lées dans la loi de 1889. En 1910, le Parlement a adopté la Loi des enquêtes sur les coalitions, 1910

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(Can.), chap. 9, qui établissait un mécanisme d’enquête et habilitait une commission constituée par le Ministre à imposer des amendes aux particuliers et aux sociétés qu’elle reconnaissait coupables d’infractions relatives aux coalitions et qui «conti­nu[aient] ainsi la contravention» (art. 23). Aucune de ces premières lois n’a été contestée devant les tribunaux: voir Hogg, Constitutional Law of Canada, à la p. 282, ainsi que Hogg et Grover, The Constitutionality of the Competition Bill (1975-76), 1 Can. Bus. L. J. 197, à la p. 202.

En 1919, la Loi des coalitions et des prix rai­sonnables, 1919, 1919 (Can.), chap. 45, et la Loi de la Commission de commerce, 1919 (Can.), chap. 37, ont instauré un régime plus ambitieux. Ces lois interdisaient les coalitions qui, de l’avis de la Commission de commerce, allaient à l’encontre de l’intérêt public; elles comprenaient également des dispositions destinées à empêcher qu’on accumule les choses nécessaires à la vie, savoir les aliments, les vêtements et le combustible, et qu’on en tire des profits excessifs. Dotée du pouvoir de déterminer ce qui constituait des profits excessifs, la Commission pouvait rendre des ordonnances de ne pas faire qui, en réalité, fixaient des prix maximums. Dans Re Board of Commerce Act, 1919, and the Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C. 191, ces lois ont été déclarées inconstitutionnelles. Le vicomte Haldane, s’expri­mant au nom du Conseil privé, a repoussé la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement pour le motif qu’elle ne peut être exercée qu’en cas d’urgence, la compétence en matière d’échanges et de commerce parce qu’elle n’a aucun contenu indépendant et qu’elle ne peut être invoquée qu’accessoirement à d’autres pou­voirs fédéraux, et la compétence en matière de droit criminel parce qu’on ne peut y avoir recours que lorsque [TRADUCTION] «d’objet d’une loi relève, de par sa nature même, du domaine du droit criminel» (aux pp. 198 et 199).

Au cours de l’année suivant l’arrêt Board of Commerce, le Parlement a adopté la Loi des enquêtes sur les coalitions, 1923 (Can.), chap. 9, qui a abrogé les deux lois de 1919 pour y substituer un régime plus modeste qui interdisait, sans plus, les coalitions restrictives du commerce. La nouvelle loi investissait un registraire et des commissaires

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de pouvoirs d’enquête, mais ne les habili­tait pas à rendre des ordonnances de ne pas faire. Dans l’arrêt Proprietary Articles Trade Associa­tion v. Attorney-General for Canada (l’arrêt P.A.T.A.), [1931] A.C. 310, lord Atkin, s’expri­mant au nom du Conseil privé, a écarté la théorie du «domaine du droit criminel» énoncée par le vicomte Haldane, en affirmant que la compétence fédérale en matière de droit criminel [TRADUC­TION] «ne se limite pas à ce que le droit anglais ou celui d’une province quelconque considéraient comme des actes criminels en 1867» et que [TRA­DUCTION] «ce pouvoir doit permettre de légiférer pour définir de nouveaux crimes» (à la p. 324). Lord Atkin a affirmé également que leurs Sei­gneuries souhaitaient [TRADUCTION] «se dissocier» de la proposition formulée dans l’arrêt Board of Commerce, selon laquelle le pouvoir en matière d’échanges et de commerce [TRADUCTION] «ne saurait être invoqué que pour appuyer un pouvoir général distinct que possède le Parlement» (à la p. 326). Ayant conclu que la nouvelle Loi des enquê­tes sur les coalitions était valide en vertu de la compétence en matière de droit criminel, lord Atkin n’a pas jugé nécessaire d’examiner si elle pouvait également s’appuyer sur la compétence en matière d’échanges et de commerce. Il a toutefois souligné que leurs Seigneuries souhaitaient [TRA­DUCTION] «parer à l’imputation d’avoir dit que ce point ne saurait servir à étayer la validité de la législation en cause» (à la p. 326).

En 1935, on a adopté la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie, 1935 (Can.), chap. 59. Cette loi créait une nouvelle commission «chargée de l’administration de la Loi des enquêtes sur les coalitions» (art. 13). La Commission s’est également vu confier «la responsabi­lité de recommander la poursuite des infractions aux lois du Parlement du Canada ... concernant les denrées-types» (par. 15(1)). De plus, elle a été investie de pouvoirs d’enquête à l’égard des coalitions et des denrées-types (par. 15(2), art. 20). L’article 14 attribuait au gouverneur en conseil le pouvoir d’approuver à l’avance, sur l’avis de la Commission, une entente conclue entre hommes d’affaires en vue de réglementer les prix ou la production dans une industrie particulière lorsque cette entente n’était pas «nuisible» à l’intérêt public.

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Dans Reference re Dominion Trade and Industry Commission Act, [1936] R.C.S. 379, cette Cour a confirmé les pouvoirs d’enquête de la Com­mission relativement aux denrées-types comme relevant à la fois de la compétence en matière de droit criminel et de celle en matière d’échanges et de commerce (à la p. 382), et ses pouvoirs d’enquête dans le domaine des coalitions comme rele­vant du droit criminel (à la p. 383). La Cour a cependant estimé que l’art. 14, attributif du pouvoir d’approuver à l’avance, était ultra vires. S’ex­primant au nom de la Cour, le juge en chef Duff a affirmé que le pouvoir d’approuver à l’avance n’était pas [TRADUCTION] «nécessairement inci­dent» à l’aspect «droit criminel» de la loi en cause, et qu’il ne pouvait pas être confirmé en vertu de la compétence en matière d’échanges et de commerce parce qu’il ne se limitait pas [TRADUCTION] «en substance» au commerce interprovincial (aux pp. 381 et 382). Dans l’arrêt Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada (l’arrêt sur la marque de commerce «Canada Standard»), [1937] A.C. 405, le Conseil privé a confirmé l’ar­rêt de cette Cour, sauf en ce qui a trait à un point qui n’est pas pertinent en l’espèce. Le Comité judiciaire a donné expressément son adhésion au raisonnement du juge en chef Duff (à la p. 416), en affirmant que les articles attributifs des pou­voirs d’enquête étaient [TRADUCTION] «des dispo­sitions légitimes visant à déterminer si des actes criminels ont été perpétrés». On n’a pas porté en appel devant le Conseil privé l’arrêt de cette Cour relatif au pouvoir d’approuver à l’avance.

Le Parlement a aussi modifié le Code criminel en 1935, en prévoyant qu’il y a infraction lorsqu’on exige qu’un acheteur commercial paie un prix plus élevé qu’un autre, ou que l’on vend des marchandi­ses à des prix déraisonnablement bas afin de détruire la concurrence: 1935 (Can.), chap. 56, qui a ajouté l’art. 498A au Code criminel de 1927. Cette Cour et le Conseil privé ont tous les deux maintenu le nouvel article du Code comme rele­vant du droit criminel: Reference re Section 498A of the Criminal Code, [1936] R.C.S. 363; Attor­ney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada, [1937] A.C. 368.

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En 1951, le Parlement a interdit la revente à prix imposé et, de nouveau, cette Cour a maintenu la nouvelle disposition comme relevant du droit criminel: R. v. Campbell (1965), 58 D.L.R. (2d) 673, qui a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario publié à (1964), 46 D.L.R. (2d) 83. En 1952, le Parlement a ajouté à la Loi des enquêtes sur les coalitions de nouveaux articles autorisant les cours qui entendaient des accusations de coali­tion à rendre des ordonnances ayant pour effet d’interdire la continuation de coalitions ou de dis­soudre des fusions, des trusts ou des monopoles, en sus de toute autre peine que la cour pouvait impo­ser à la suite d’une déclaration de culpabilité: 1952 (Can.), chap. 39, art. 3. Dans l’arrêt Goodyear Tire and Rubber Co. v. The Queen, [1956] R.C.S. 303, cette Cour a conclu que ces articles avaient été validement adoptés en vertu de la compétence en matière de droit criminel.

L’analyse que nous venons de faire démontre que tant cette Cour que le Conseil privé ont unifor­mément maintenu la législation contre les coali­tions comme relevant du droit criminel. On peut affirmer la même chose pour ce qui est de la disposition visée par la première question constitu­tionnelle. Le paragraphe 32(1) est ainsi rédigé:

32. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans ou d’une amende d’un million de dollars, ou de l’une et l’autre peine, toute personne qui complote, se coalise, se concerte ou s’entend avec une autre

a) pour limiter indûment les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d’emmagasi­nage ou de négoce d’un produit quelconque;

b) pour empêcher, limiter ou diminuer, indûment, la fabrication ou production d’un produit ou pour en élever déraisonnablement le prix;

c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concur­rence dans la production, la fabrication, l’achat, le troc, la vente, l’entreposage, la location, le transport ou la fourniture d’un produit, ou dans le prix d’assu­rances sur les personnes ou les biens; ou

d) pour restreindre ou compromettre, indûment de quelque autre façon, la concurrence.

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Cet article remplace l’art. 498 du Code criminel, 1927, qui a été maintenu comme relevant du droit criminel dans l’arrêt P.A.T.A. La confirmation la plus récente se trouve dans l’arrêt Jabour c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, i la p. 358:

Quel que soit le fondement constitutionnel que peuvent avoir les autres parties de la L.R.E.C., l’article 32 est une disposition législative en matière pénale.

En fait, toutes les parties reconnaissent en l’espèce que l’al. 32(1)c) est intra vires comme disposition en matière de droit criminel et je ne vois aucune raison d’être en désaccord.

Toutefois, cela ne règle pas la question. Il n’y a aucune raison pour laquelle un texte législatif qui est valide comme relevant de l’un des chefs de compétence fédérale énumérés à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, ne peut pas également être valide en vertu d’un seul ou de plusieurs autres chefs de compétence. Dans la plupart des affaires constitutionnelles portant sur des lois fédérales, il s’agit de déterminer si le texte contesté relève vraiment du pouvoir législatif fédéral ou du pouvoir législatif provincial. Dès qu’il est établi que le fédéral a compétence en vertu de l’un des paragra­phes de l’art. 91, la question de savoir si le texte en cause aurait pu s’appuyer également sur un autre chef de compétence fédérale ne revêt plus que peu d’intérêt. Dans la plupart des cas, s’interroger sur d’autres justifications possibles serait ignorer le principe bien établi d’interprétation constitution­nelle énoncé par sir Montague Smith lorsque, dans l’arrêt Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96, à la p. 109, il met en garde les juges qui tentent d’interpréter les limites des art. 91 et 92:

[TRADUCTION] En accomplissant ce devoir difficile, il serait sage que ceux qui en sont chargés jugent de leur mieux chaque affaire qui se présente, sans pousser l’in­terprétation de l’Acte plus loin que ne l’exige le règlement de la question soumise.

C’est cette mise en garde que lord Atkin décrit, à la p. 317 de l’arrêt P.A.T.A., comme visant à [TRADUCTION] «éviter autant que possible des déclarations trop rigides de la part des tribunaux, susceptibles de nuire à la souplesse du texte même

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de la Constitution», qui, dans ledit arrêt, a empê­ché le Conseil privé, après qu’il eut conclu à sa validité en tant que législation en matière crimi­nelle, d’examiner si la nouvelle Loi des enquêtes sur les coalitions pouvait également se fonder sur la compétence en matière d’échanges et de commerce.

La même chose se manifeste dans les motifs du juge Estey dans l’arrêt Jabour. Après avoir réitéré la conclusion que l’art. 32 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est une disposition législative valide en matière de droit criminel, le juge Estey refuse, à la p. 362, d’étudier l’argument de l’appelant selon lequel la disposition en question peut également se fonder sur la compétence en matière d’échanges et de commerce prévue au par. 91(2), pour le motif que, compte tenu des faits de l’espèce, «Quel que soit le fondement constitution­nel de l’art. 32, son interprétation conduira évi­demment à la même réponse à la première question».

Vu cette politique bien établie qui consiste à éviter autant que possible les déclarations inutiles en matière constitutionnelle, j’attache peu d’im­portance au fait que, dans la plupart des cas, les tribunaux ont simplement approuvé l’arrêt P.A.T.A., en ce que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peut se justifier en tant que législation en matière criminelle. En la présente espèce, cependant, contrairement à ce qu’on a conclu dans l’arrêt Jabour, j’estime que, suivant le fondement constitutionnel que peut avoir l’art. 32, son interprétation conduira à une réponse diffé­rente à la première question. Par conséquent, je me propose maintenant d’étudier les autres sources possibles de validité proposées par le procureur général du Canada.

La compétence en matière d’échanges et de commerce

Toute analyse du pouvoir que le par. 91(2) confère au Parlement fédéral de réglementer les échanges et le commerce doit avoir pour point de départ l’arrêt Parsons du Conseil privé. Dans cette affaire, la compagnie d’assurances appelante, allé­guant que le Parlement fédéral était seul habilité à réglementer «les échanges et le commerce», a contesté

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la constitutionnalité d’une loi ontarienne fixant les termes des polices d’assurance contre l’incendie. Tout en reconnaissant qu’une interpré­tation littérale des mots «réglementation des échanges et du commerce» pouvait prêter à une conception aussi large de la compétence fédérale, le Conseil privé a jugé qu’une conclusion dans ce sens serait foncièrement incompatible avec le sys­tème législatif qui ressort des art. 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique:

[TRADUCTION] Les termes «réglementation des échanges et du commerce», pris dans leur sens le plus étendu, ont une ampleur suffisante en dehors du contexte et des autres parties de l’Acte pour englober chaque domaine de réglementation des échanges, depuis les ententes politiques sur les échanges, conclues avec les gouvernements étrangers et exigeant la sanction du Parlement, jusqu’aux règlements minutieux s’appliquant aux échanges particuliers. On constate toutefois, en examinant l’Acte, que ces termes n’ont pas été employés dans le sens le plus étendu. Tout d’abord, le rapprochement du paragraphe 2 avec les catégories de sujets d’un intérêt national et général indique que le législateur, en attribuant ce pouvoir au Parlement du Dominion, visait la réglementation des échanges et du commerce en général. S’il avait voulu que ces termes eussent toute la portée dont leur signification littérale est susceptible, il n’eût pas été nécessaire de mentionner plusieurs des autres catégories de sujets énumérés dans l’article 91 comme, par exemple: 15, les banques; 17, les poids et mesures; 18, les lettres de change et les billets à ordre; 19, l’intérêt de l’argent; et même 21, la faillite et l’insolvabilité.

Tenant compte de cette preuve de l’intention du législateur, le Conseil privé a tiré une conclusion pragmatique:

[TRADUCTION] Par conséquent, si l’on interprète les mots «réglementation des échanges et du commerce» en s’aidant des divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu’ils devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d’intérêt interprovincial. Il se pourrait qu’ils comprennent la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s’abstiennent dans la présente circonstance de tenter d’établir les limites de l’autorité du Parlement du Domi­nion dans ce domaine. Pour juger la présente affaire, il suffit, d’après Elles, de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de légiférer pour réglementer

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les contrats d’un échange ou d’un commerce en particulier, tel que les affaires d’assurance-incendie dans une seule province, et que, par conséquent, l’autorité législative du Parlement fédéral n’entre pas ici en conflit avec le pouvoir sur la propriété et les droits civils attribué par le paragraphe 13 de l’article 92 à la législa­ture de l’Ontario.

Puisque cette conclusion suffisait pour trancher la question précise qui était en litige, leurs Sei­gneuries ont refusé de pousser plus loin leur examen des par. 91(2) et 92(13):

[TRADUCTION] Étant donné cette conclusion sur l’af­faire, il n’est pas nécessaire de se demander jusqu’à quel point le pouvoir général de réglementer les échanges et le commerce, lorsqu’il est exercé à bon droit par le Parlement du Dominion, peut légalement modifier ou affecter la propriété et les droits civils dans les provinces, ou le pouvoir législatif des législatures provinciales relativement à ces matières .. .

Ces passages tirés de l’arrêt Parsons établissent trois propositions importantes relativement à la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce, savoir: (i) elle ne correspond pas au sens littéral des mots «réglementation des échanges et du commerce»; (ii) elle comprend non seulement les arrangements visant les échanges internatio­naux et interprovinciaux, mais «il se pourrait qu’elle ... comprenne ... la réglementation géné­rale des échanges s’appliquant à tout le Dominion»; (iii) elle n’englobe pas la réglementation des con­trats d’un commerce en particulier. La jurispru­dence subséquente portant sur le sens et la portée du par. 91(2) explique et développe, dans une large mesure, ces trois propositions intimement liées.

i) La restriction du sens de l’expression «La régle­mentation des échanges et du commerce»

Dans l’arrêt Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee, [1931] R.C.S. 357, à la p. 366, le juge Duff énonce les raisons tant sur le plan pratique que littéral militant en faveur d’une inter­prétation restrictive du par. 92(2):

[TRADUCTION] La portée qu’on pourrait attribuer au par. 91(2) (s’il fallait considérer uniquement le sens ordinaire des mots, hors contexte) a été nécessairement restreinte, afin de préserver de toute diminution, sinon d’extinction effective, le degré d’autonomie dont les provinces étaient destinées à jouir d’après le programme d’ensemble de la loi.

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Cette considération, que le Conseil privé avait déjà formulée dans les arrêts Bank of Toronto v. Lambe (1887), 12 App. Cas. 575, à la p. 586 et City of Montreal v. Montreal Street Railway Co. (1912), 1 D.L.R. 681, à la p. 687, devait être reprise par le juge en chef Duff dans l’interpréta­tion célèbre qu’il a donnée de la compétence fédé­rale en matière d’échanges et de commerce dans Reference re Natural Products Marketing Act, [1936] R.C.S. 398, aux pp. 409 et 410, [1936] 3 D.L.R. 622, à la p. 629 et dans Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100, à la p. 121. Dans ce dernier renvoi, le juge en chef Duff expose clairement la raison pratique de restreindre le sens du par. 91(2), en rejetant l’argument selon lequel les arrêts antérieurs de la Cour suprême et du Conseil privé qui limitent la portée du par. 91(2) démontrent que la législation de l’Alberta relative au crédit social n’empiète pas sur la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce:

[TRADUCTION] Des paraphrases du texte du paragraphe 91(2) se sont révélées dans certains cas un moyen utile d’attribuer à ce paragraphe une fonction dans le système envisagé par les articles en question, qui n’aurait pas pour effet de contrecarrer l’un des objets principaux de l’A.A.N.B. par une diminution sensible de l’autonomie des provinces relativement aux questions d’intérêt purement provincial. Mais, en formulant ces paraphrases, on n’a pas envisagé la possibilité d’une législation comme celle présentement en cause. Les grands juges qui les ont adoptées n’avaient pas une telle législation à l’esprit. Et puisque dans aucune de ces affaires il n’était strictement nécessaire de circonscrire la catégorie en question, il faut éviter d’employer ces formules pour remplacer le texte de l’article 91 lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, on est appelé à examiner une législation d’un genre complètement nouveau au sujet de laquelle il serait extravagant de prétendre qu’il se pose une ques­tion de diminution de cette autonomie.

Cela implique qu’il n’y a pas de limites fixes à la portée du par. 91(2) et que les questions d’équili­bre constitutionnel jouent un rôle fondamental dans la détermination de cette portée dans un cas donné.

C’est aussi cette conception de l’évolution de la compétence en matière d’échanges et de commerce que le juge Rand a énoncée dans l’affaire Refe­rence re Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198, à la p. 212:

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[TRADUCTION] Il est important de retenir, comme je l’ai déjà souligné, que la portée du paragraphe 2 de l’article 91 est restreinte non pas par le texte même de l’Acte mais par déduction nécessaire étant donné le partage fondamental des pouvoirs qu’il effectue. L’inter­prétation donnée à ce paragraphe a évolué. Quand cette Cour l’a examiné pour la première fois dans Severn v. The Queen (1878), 2 R.C.S. 70 et dans The City of Fredericton v. The Queen (1880), 3 R.C.S. 505, la majorité n’envisageait pas la limitation qui existe actuellement; elle a été introduite par l’arrêt Parsons (précité). Le paragraphe a atteint sa portée la plus étroite lorsqu’il a semblé qu’on voulait le restreindre à une fonction accessoire aux autres pouvoirs du Dominion; mais ce point de vue a été irrémédiablement mis au rancart.

À la page 209 du même arrêt, le juge Rand parle de l’existence d’un pouvoir des provinces de réglementer les échanges, qui, selon lui, [TRADUC­TION] «diminue la portée du texte accordant au Dominion, en vertu du paragraphe 2 de l’article 91, l’autorité exclusive d’adopter des lois relatives à la réglementation des échanges et du commerce». Avec égards, je suis d’accord. Ce pouvoir est habituellement assimilé au par. 92(13), «La propriété et les droits civils dans la province», mais ces mots ne sont pas plus fixes ni plus susceptibles d’une interprétation littérale que ne le sont ceux du par. 91(2). Voir l’arrêt John Deere Plow Co. v. Whar­ton, [1915) A.C. 330, à la p. 340. En déterminant dans quelle mesure il faut limiter le plein sens littéral du par. 91(2) afin de maintenir un bon équilibre constitutionnel entre le fédéral et les provinces, les tribunaux ont établi un certain nombre d’indices de compétence fédérale ou de compétence provinciale. Mais, même avec ces indi­ces et les «paraphrases» des par. 91(2) et 92(13) mentionnées par le juge en chef Duff dans Refe­rence re Alberta Statutes, précité, la tâche laborieuse et fondamentale qui incombe à un tribunal chargé de décider de la constitutionnalité d’une réglementation fédérale en matière économique consiste à déterminer, sans se prononcer sur le fond de la législation, si et dans quelle mesure celle-ci empiète sur le degré d’autonomie locale envisagé par la Constitution. Il n’est pas surpre­nant que la conception de ce qui constitue un tel empiétement ait varié au cours des années.

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ii) La réglementation générale des échanges s’ap­pliquant à tout le Dominion

L’application d’une réglementation économique en dehors de frontières provinciales peut être un indice de la compétence fédérale pour l’imposer. Dans l’arrêt Parsons, le Conseil privé a décrit les échanges internationaux et interprovinciaux comme relevant du par. 91(2) et une bonne partie de la jurisprudence subséquente relative à la com­pétence fédérale en matière d’échanges et de com­merce a été consacrée à l’examen de la question de savoir jusqu’à quel point le commerce intraprovin­cial peut être validement compris dans les échan­ges interprovinciaux visés par une loi donnée. En l’espèce, cependant, même en recourant à la défini­tion la plus libérale, on ne saurait voir dans l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions une réglementation des échanges et du commerce interprovinciaux. L’appelant, le procu­reur général du Canada, reconnaît que, pour pouvoir s’appuyer sur le par. 91(2), cette disposition doit tomber dans ce qu’on a appelé le «second volet» de la classification donnée dans l’arrêt Parsons, savoir la [TRADUCTION] «réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion».

Bien que dans l’arrêt Parsons on présente ce second volet comme une simple possibilité (ail se pourrait qu’ils comprennent ... »), l’existence d’un pouvoir «en matière d’échanges et de commerce en général» semble avoir largement été tenue pour acquise dans la jurisprudence subséquente. Dans l’arrêt John Deere Plow Co. v. Wharton, précité, le Conseil privé a conclu que les limites des pouvoirs des sociétés constituées sous le régime de la loi fédérale représentent [TRADUCTION] «une ques­tion d’intérêt général dans tout le pays» qui relève donc de la compétence fédérale en vertu du par. 91(2). Dans l’arrêt Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada (l’arrêt sur la marque de commerce «Canada Standard»), précité, à la p. 417, le Conseil privé a conclu que la création d’une marque de commerce nationale relevait de [TRADUCTION] «la catégorie de sujets énumérés au par. 91(2)». Même dans les affaires où on a conclu que la loi contestée ne relevait pas du par. 91(2), l’existence d’un tel pouvoir «général»

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ne semble pas avoir été mise en doute. Voir Toronto Electric Commissioners v. Snider, [1925] A.C. 396, [1925] 2 D.L.R. 5, à la p. 13; Reference re Natural Products Marketing Act, précité, à la p. 629. Plus récemment, l’existence d’un pouvoir «général» en matière d’échanges et de commerce a été confirmée par le Juge en chef dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, à la p. 167, et par le juge Estey dans l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Pro­cureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, à la p. 936. Pourtant, malgré ces confirmations, l’arrêt Wharton et l’arrêt sur la marque de com­merce «Canada Standard» demeurent les seuls cas où un tribunal d’appel de dernier ressort a vraiment appliqué la compétence générale en matière d’échanges et de commerce pour valider une loi fédérale, et même là la justesse de ces décisions a été largement mise en doute. Voir Smith, The Commerce Power in Canada and the United States (1963), aux pp. 96 à 99. A part ces excep­tions, l’applicabilité de la compétence générale en matière d’échanges et de commerce a été examinée et écartée dans une série d’arrêts rendus par des tribunaux d’appel de dernier ressort, depuis l’arrêt Attorney-General for Canada v. Attorney-Gene­ral for Alberta (Renvoi sur les assurances), [1916] 1 A.C. 588, rendu l’année suivant l’arrêt Wharton, jusqu’aux arrêts Vapor Canada et Labatt inclusivement.

Cet insuccès frappant s’explique sans doute en partie par le critère relatif à la compétence géné­rale en matière d’échanges et de commerce, qui se dégage implicitement de l’arrêt Wharton. Si toute question économique susceptible d’être qualifiée de «question d’intérêt général pour tout le Dominion» devait relever de la compétence fédérale en vertu du par. 91(2), alors l’étendue de cette compétence ne serait guère plus étroite qu’elle ne le serait selon une interprétation littérale des mots «réglementa­tion des échanges et du commerce» pris isolément. Il n’y a guère de question économique qui, ne fût-ce que du fait qu’elle se pose à différents endroits au pays, ne pourrait être qualifiée de question d’intérêt général pour tout le Dominion.

Dans l’arrêt Labatt, précité, à la p. 940, le juge Estey affirme que c’est toujours le critère de l’intérêt

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général dans tout le pays qu’il faut retenir pour déterminer si le second volet de la compétence en matière d’échanges et de commerce s’applique. Je fais mienne cette affirmation, tout comme j’estime que, même si ce second volet est depuis longtemps tombé en désuétude, cela ne change rien à sa constitutionnalité. Mais je suis également d’avis — tout comme le confirme l’examen de cette question par le juge Estey dans l’arrêt Labatt — que les mêmes considérations qui ont amené sir Montague Smith à restreindre la portée des mots «réglemen­tation des échanges et du commerce» dans l’arrêt Parsons, exigent aussi une interprétation restric­tive du critère de l’«intérêt général pour tout le Dominion» formulé dans l’arrêt Wharton. La ques­tion, bien sûr, est de savoir dans quelle mesure la portée de ces mots doit être limitée et sur quel fondement?

iii) La réglementation des contrats d’un commerce en particulier

Même s’il n’était pas disposé, dans l’arrêt Parsons, à examiner en détail la ligne de démarcation entre les par. 91(2) et 92(13), le Conseil privé est allé jusqu’à conclure que «la réglementation des échanges et du commerce» ne peut comprendre [TRADUCTION] «le pouvoir de légiférer pour régle­menter les contrats d’un échange ou d’un com­merce en particulier». Dans Re Board of Com­merce Act and the Combines and Fair Prices Act of 1919 (1920), 60 R.C.S. 456, le juge Duff a interprété cette conclusion de manière à limiter l’étendue du pouvoir général en matière d’échan­ges et de commerce. Dans le même arrêt, à la p. 465, le juge Anglin, s’exprimant au nom de trois membres de la Cour, a adopté le critère formulé dans l’arrêt Wharton:

[TRADUCTION] Le critère qu’il faut appliquer pour déterminer si un domaine donné de législation, qui, à première vue, peut être rattaché indifféremment au par. 91(2) ou au par. 92(13), relève en réalité soit de l’un soit de l’autre, est probablement celui-ci: S’agit-il de prime abord, de par sa vraie nature et son caractère véritable (pour reprendre les termes employés par le vicomte Haldane dans l’extrait que je viens de citer)

d’une question d’intérêt général pour tout le Dominion

ou s’agit-il plutôt (pour reprendre l’expression de lord Watson dans l’affaire des prohibitions locales)

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d’une question de nature locale ou privée, du point de vue provincial?

Pour que les questions traitées puissent légitimement faire l’objet d’une législation fédérale en vertu du pouvoir en matière de «réglementation des échanges et du commerce», il peut fort bien être nécessaire non seulement qu’elles soient de nature à tomber ordinairement sous cette rubrique, mais aussi, si la législation empiétait par ailleurs sur un domaine de compétence provinciale,

qu’elles soient d’intérêt général pour tout le Dominion,

ou comme l’affirme lord Watson dans l’affaire des pro­hibitions locales (à la p. 361), concernant le pouvoir de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement relativement à tout sujet non énuméré à l’art. 91, qu’el­les soient

incontestablement d’importance ou d’intérêt national.

Ayant décidé que l’accumulation de denrées et les profits excessifs étaient des questions «incontesta­blement d’importance ou d’intérêt national», le juge Anglin a conclu que la loi contestée avait été validement adoptée, notamment en vertu du par. 91(2). Trois autres membres de la Cour n’ont pas partagé son avis.

Le juge Duff, dans les motifs qu’il a rédigés pour lui-même, a traité le rapport entre les par. 91(2) et 92(13) comme une simple question d’ap­plication d’une interprétation restrictive. Il a pris comme point de départ la conclusion dans l’arrêt Parsons que le par. 91(2) n’autorise pas la régle­mentation des contrats d’un commerce en particu­lier. Cela signifiait, selon lui, que le Parlement ne pouvait lui-même avoir adopté les différentes ordonnances et interdictions relativement à l’in­dustrie des vêtements de confection pour hommes à Ottawa, qui étaient à l’origine du litige. Puisque le Parlement ne pouvait avoir rendu des ordonnan­ces visant un seul produit ou commerce, il ne pouvait pas non plus avoir adopté une législation prescrivant de telles ordonnances pour un grand nombre de produits et de commerces. Et puisque le Parlement ne pouvait lui-même rendre de pareilles ordonnances, il devait lui être également impossi­ble de déléguer à un organisme tel que la Commis­sion de commerce le pouvoir de le faire. A partir de ce raisonnement, le juge Duff a conclu que le pouvoir général qu’a le Parlement en matière d’échanges et de commerce ne l’autorise pas à

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établir une commission habilitée à rendre des ordonnances visant précisément à empêcher l’accu­mulation de denrées et la réalisation de profits excessifs.

Vu le partage égal des opinions en Cour suprême, la législation a été confirmée. En appel comme nous l’avons déjà mentionné, le Conseil privé a conclu que les lois en question excédaient la compétence fédérale, que ce soit en matière de droit criminel, d’échanges et de commerce ou de paix, d’ordre et de bon gouvernement. En ce qui a trait à la compétence relative aux échanges et au commerce en particulier, le vicomte Haldane a exprimé l’avis qu’on ne saurait invoquer le par. 91(2) qu’accessoirement à un autre chef de compé­tence prévu à l’art. 91.

Comme je l’ai déjà mentionné, cette interpréta­tion restrictive du par. 91(2) par le vicomte Hal­dane a été rejetée par le Conseil privé dans l’arrêt P.A.T.A., précité, mais la notion qui a servi de point de départ au raisonnement du juge Duff dans le renvoi Board of Commerce, selon laquelle la portée du par. 91(2) est limitée par ce qui, suivant l’arrêt Parsons, relève de la compétence provin­ciale, est maintenant généralement acceptée et joue un rôle important dans la plupart des arrêts portant sur le par. 91(2) et la compétence générale en matière d’échanges et de commerce. Ainsi, en 1938, dans Reference re Alberta Statutes, précité, à la p. 119, le juge en chef Duff a pu dire concernant les arrêts de principe rendus sur le sujet jusque-là:

[TRADUCTION] ... Si l’on s’arrête à ce sur quoi la décision a effectivement porté plutôt qu’à ce qui a êté dit, on constatera que lord Atkin en donne un résumé à la fois complet et exact lorsqu’il fait observer dans ` l’arrêt A.-G. for B.C. v. A.-G. for Canada, [1937] A.C. 377, à la p. 387:

que la réglementation des échanges et du commerce ne permet pas de réglementer des formes particulières d’échanges et de commerce limitées à une province.

Quarante et un ans plus tard, dans l’arrêt Labatt, précité, après avoir confirmé que le critère qu’il faut utiliser pour déterminer l’applicabilité du second volet du pouvoir en matière d’échanges et de commerce est toujours celui de savoir si la loi en question porte sur une question d’intérêt général

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pour tout le Dominion, le juge Estey ajoute, à la p. 940, qu’«Il est clair toutefois que la réglementation d’un seul commerce ou d’une seule industrie n’est pas une question d’intérêt national général», propo­sition qu’il a jugée applicable même si la réglemen­tation était à l’échelle nationale. Dans l’arrêt Labatt, j’ai souscrit aux motifs du juge Estey, et j’approuve sa formulation de la restriction à appor­ter à la notion de ce qui constitue «une question d’intérêt général pour tout le Dominion». Je suis en outre d’accord pour dire que la conclusion de lord Atkin dans Natural Products Marketing Act Reference, cité par le juge en chef Duff dans Reference re Alberta Statutes, traduit exactement le fondement des premiers arrêts en matière d’échanges et de commerce. Je ne crois pas toutefois que cela conduise nécessairement aux autres propositions énoncées par le juge Duff dans l’af­faire Board of Commerce, ni à la conclusion proposée par l’intimée et les procureurs généraux intervenants, selon laquelle la législation qui nous intéresse en l’espèce ne peut validement s’appuyer sur la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce.

Toute loi générale a forcément des répercussions locales et, s’il est vrai qu’une conception trop littérale de l’«intérêt général» met en danger l’idée même de l’intérêt local, l’inverse est tout aussi dangereux. Il ne faut pas qu’à force d’insister sur le particulier on vienne à négliger l’ensemble. Quels qu’aient pu être les défauts constitutionnels de la Loi de la Commission de commerce et de la Loi des coalitions et des prix raisonnables, 1919, ils ne peuvent être attribués, contrairement à ce que semble prétendre le juge Duff, au fait qu’une ordonnance rendue par la Commission toucherait une entreprise ou un commerce dans une province. Si c’était là le critère applicable, ancune [sic] législation d’ordre économique ne pourrait jamais relever de la compétence générale en matière d’échanges et de commerce. Ce point de vue constitue simplement le contrepied de la proposition tout aussi inacceptable qui porte qu’une telle législation relève de la catégorie des échanges et du com­merce en général tout simplement parce qu’elle s’applique de façon égale et uniforme dans tout le pays.

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Si la réglementation d’un seul commerce dans une province ne peut constituer une question d’in­térêt général pour tout le Dominion, cela tient â ce que cette réglementation constitue un aspect fon­damental de l’autonomie locale envisagée dans la Loi constitutionnelle de 1867. Qu’un texte fédéral ait pour but d’appliquer une telle réglementation uniformément dans toutes les provinces ou conjoin­tement avec d’autres codes de réglementation visant d’autres échanges ou commerces, il n’en reste ‘pas moins qu’il en résulte un véritable che­vauchement et, partant, une annulation de la com­pétence conférée aux provinces par la Constitution. Il en va autrement, cependant, lorsqu’on se trouve en présence d’une législation d’application géné­rale ayant pour objet l’économie non pas en tant que série d’entreprises locales distinctes, mais en tant qu’entité nationale intégrée. Du point de vue qualitatif, une pareille législation est différente de ce que les provinces, agissant séparément ou con­jointement, pourraient pratiquement ou constitu­tionnellement adopter. Une législation de ce type revêt un caractère d’ordre surtout général, même si elle a évidemment, au niveau local, des effets particuliers qui peuvent toucher «la propriété et les droits civils dans la province». Il s’agit néanmoins d’une législation qui, de par son caractère vérita­ble, porte sur des questions d’intérêt général pour tout le Dominion. La ligne de démarcation est claire entre les mesures qui visent légitimement une réglementation générale de l’économie natio­nale et celles qui ont simplement pour objet d’assu­rer un contrôle centralisé sur un grand nombre d’entités économiques locales. La réglementation en cause dans l’arrêt Labatt se situait probablement près de cette ligne. Il se peut bien aussi, compte tenu de l’état de l’économie en 1920 et du mode d’application de la législation, que la Loi de la Commission de commerce et la Loi des coali­tions et des prix raisonnables, 1919 n’aient consti­tué qu’une tentative d’autoriser une série non coor­donnée d’ordonnances et de prohibitions locales.

Lorsqu’on aborde ce problème difficile de carac­térisation, il est utile de noter les observations qu’a faites le Juge en chef dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précité, à la p. 165, où il mentionne comme indices possibles d’un exercice valide de la compétence générale en matière

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d’échanges et de commerce l’existence d’un sys­tème de réglementation nationale, la surveillance exercée par un organisme de réglementation et le fait de viser le commerce en général plutôt qu’un seul aspect d’une entreprise particulière. A cette liste j’ajouterais ce qui, à mon avis, constituerait des indices encore plus sûrs d’une réglementation générale valide des échanges et du commerce savoir: (i) que la Constitution n’habilite pas les provinces, conjointement ou séparément, à adopter une telle loi et (ii) que l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités compro­mettrait l’application de ladite loi dans d’autres parties du pays.

Ce qui précède ne se veut pas une énumération exhaustive; de plus, la présence de l’un ou l’autre ou de la totalité de ces indices n’est pas nécessairement concluante. La bonne façon d’aborder la caractérisation est encore celle proposée dans l’ar­rêt Parsons, c’est-à-dire qu’on doit procéder à une appréciation méticuleuse de chaque cas qui se présente. Néanmoins, la présence de tels facteurs rend tout au moins beaucoup plus probable que ce que vise la loi fédérale en cause est vraiment une question économique d’intérêt national plutôt que simplement une série de questions d’intérêt local.

Avec ces considérations à l’esprit, je passe maintenant à la question de savoir si on peut dire à juste titre que l’al. 32(1)c) relève de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce.

L’alinéa 32(1)c) en tant que disposition en matière d’échanges et de commerce

La première question qui se pose est de savoir si on doit tenir compte de la Loi relative aux enquê­tes sur les coalitions dans son ensemble pour déterminer si l’al. 32(1)c) est autorisé par le pouvoir fédéral en matière d’échanges et de com­merce.

Dans l’arrêt R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (1981), 33 O.R (2d) 694, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné si la Constitution habilite le procureur général du Canada à intenter des poursuites relativement à une prétendue violation de l’al. 34(1)c) de la Loi. S’exprimant au nom de la cour, le juge Martin a conclu, aux pp. 735 et 736, qu’il fallait étudier la Loi dans son ensemble:

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[TRADUCTION] Me Henderson et Mundell ont soutenu énergiquement que, même si certaines parties de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peuvent être maintenues comme s’inscrivant dans le cadre de la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le pays, l’art. 34 n’est rien d’autre qu’une disposi­tion en matière de droit criminel dont la constitutionna­lité dépend par conséquent du par. 91(27). Ils ont invoqué l’historique de l’al. 34(1)c) qui, comme nous l’avons déjà mentionné, a été adopté pour la première fois en 1935, comme al. 498A(1)c) du Code criminel, et qui a été déclaré, par la suite, validement adopté par le Parlement en vertu du par. 91(27): Reference re s. 498A of Criminal Code, précité, sous l’intitulé A.-G. B.C. v. A.-G. Can., précité.

Avec égards, j’estime qu’il ne s’agit pas là de la bonne façon d’aborder la question et que ce n’est pas celle que la Cour suprême du Canada a adoptée dans l’arrêt R. c. Hauser, précité. La loi en question doit être considérée dans son ensemble et être classifiée en conséquence, et si on la considère de cette façon, elle peut relever du par. 91(2) de la Constitution à titre de réglementation des échanges s’appliquant à tout le pays; alors, si je com­prends bien le principe énoncé dans l’arrêt Hauser, précité, il est sans importance, pour ce qui est de la question constitutionnelle en l’espèce, qu’une infraction particulière créée par cette loi puisse à bon droit être qualifiée de disposition en matière de droit criminel ou qu’elle aurait pu être adoptée en vertu de la compétence en matière de droit criminel. Le savant juge du procès a conclu, avec raison selon moi, que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peut se fonder aussi bien sur la compétence en matière d’échanges et de commerce que sur le par. 91(27).

En l’espèce, le juge Prowse de la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté ce point de vue. Il a exprimé l’avis que le jugement de la majorité dans l’arrêt Hauser n’étayait pas la proposition citée par le juge Martin. Il a estimé en outre que si, comme il le croyait, l’al. 32(1)c), pris isolément, relevait du par. 92(13), savoir la propriété et les droits civils dans la province, alors la simple présence dans la même loi de dispositions réglementant les échanges et le commerce ne transformerait pas cet alinéa en un élément d’un système de réglementation validement établi en vertu du second volet du par. 91(2). Toutefois, malgré son désaccord avec le juge Martin, le juge Prowse, loin de s’en tenir à l’al. 32(1)c), a fondé ses conclusions sur un examen de

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la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions dans son ensemble et d’un certain nombre de disposi­tions particulières.

Aussi bien dans l’affaire R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (1980), 28 O.R. (2d) 164, que dans la présente espèce (publiée à [1981] 2 W.W.R. 701), le juge de première instance a conclu que les dispositions respectives de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions étaient valides en vertu du par. 91(2), sans examiner si, en faisant cette détermination, on doit tenir compte de l’ensemble de la Loi.

Dans son argumentation en cette Cour, le procu­reur général du Canada cite la teneur et l’écono­mie de la Loi dans son ensemble à l’appui de sa prétention que l’al. 32(1)c) est une disposition en matière d’échanges et de commerce, parce qu’il fait partie d’un système de réglementation qui satisfait aux exigences du second volet du par. 91(2), dont il est question dans l’arrêt Parsons. Le procureur général de l’Ontario soutient que l’al. 32(1)c) est une disposition indépendante et dis­tincte n’a aucune interaction avec les autres dispo­sitions de la Loi et qui est séparable de celles-ci. Il soutient donc qu’aux fins de sa caractérisation constitutionnelle il faut l’examiner isolément.

Il est évident au départ qu’une disposition inconstitutionnelle ne sera pas sauvée par son insertion dans une loi par ailleurs valide, même si cette loi comporte un système de réglementation établi en vertu de la compétence générale en matière d’échanges et de commerce que confère le par. 91(2). La bonne méthode, lorsque l’on doute que la disposition contestée ait la même caractéri­sation constitutionnelle que la loi dont elle fait partie, est de prendre pour point de départ ladite disposition plutôt que de commencer par démon­trer la validité de la loi dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois que cela signifie qu’il faille interpréter isolément la disposition en cause. Si l’argument de validité constitutionnelle se fonde sur la prétention que la disposition contestée fait partie d’un système de réglementation, il semblerait alors nécessaire de l’interpréter dans son contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme faisant partie d’un tel système, il faudra alors examiner la constitutionnalité de ce système dans

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son ensemble. Il s’agit là essentiellement de la méthode que propose le Juge en chef dans son examen de la constitutionnalité de ce qui était alors l’al. 7e) de la Loi sur les marques de com­merce, dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précité, à la p. 159:

Puisque l’al. e) de l’art. 7 n’a pas trait aux marques de commerce, sa présence dans la Loi sur les marques de commerce n’est pas une garantie de validité simplement parce que les principales dispositions n’en sont pas atta­quées. Je reviens à la question de savoir si l’art. 7, particulièrement l’al. e) peut être considéré comme une partie du système général de la Loi sur les marques de commerce et des autres lois fédérales connexes. Si l’arti­cle est valide en soi, il n’a pas besoin d’autre appui. Sinon, sa constitutionnalité est susceptible de venir du contexte où il a le caractère de disposition additionnelle servant à renforcer d’autres dispositions d’une validité incontestable.

Comme point de départ de cette caractérisation, je suis disposé à prendre ce passage au pied de la lettre en considérant «isolément» l’al. 32(1)c):

32. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans ou d’une amende d’un million de dollars, ou de l’une et l’autre peine, toute personne qui complote, se coalise, se concerte ou s’entend avec une autre

c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concurrence dans la production, la fabrication, l’achat, le troc, la vente, l’entreposage, la location, le transport ou la fourniture d’un produit, ou dans le prix d’assu­rances sur les personnes ou les biens .. .

Dans le Code criminel de 1892 cette disposition était l’al. 520c):

520. Est coupable d’un acte criminel ... tout individu qui ... conspire, se coalise, convient ou s’entend avec un autre .. .

c) Pour empêcher, limiter ou diminuer indûment la fabrication ou la production de tout tel article ou denrée, ou pour en élever déraisonnablement le prix

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Les mots soulignés renvoient à l’al. a) qui portait sur la limitation indue des facilités de transport, de production ... ou de commerce de tout article ou denrée qui peut faire l’objet d’un trafic ou d’un commerce.

Ainsi, même en 1892 il existait un lien entre la disposition qui a précédé l’al. 32(1)c) et les échan­ges et le commerce, du moins dans son sens litté­ral. La question qui se pose, bien entendu, n’est pas de savoir si la définition littérale de l’expres­sion «réglementation des échanges et du com­merce» s’applique à l’al. 32(1)c) ou aux disposi­tions qui l’ont précédé. C’est manifestement le cas. La question est plutôt de savoir s’il existe une raison constitutionnelle de restreindre le sens de cette expression de manière à exclure ce genre de dispositions.

Le juge Prowse de la Cour d’appel [(1982) 135 D.L.R. (3d) 89, à la p. 112] a traité ainsi cette question:

[TRADUCTION] Si l’on examine l’al. 32(1)c) par rapport au par. 91(27) de l’A.A.N.B., 1867, il devient évident que cet alinéa vise un comportement qui est à la fois nocif et inique. Si, par contre, on l’examine en fonction du par. 91(2), savoir «la réglementation des échanges et du commerce», c’est l’aspect commercial qui ressort. Dans ce dernier cas, l’al. 32(1)c) viserait non pas un comportement comme tel, mais des questions comme celle des pratiques commerciales relatives aux contrats. Selon moi, ce n’est pas simplement parce que l’exercice d’un pouvoir fédéral en vertu du par. 91(27) comporte un aspect commercial qu’il relève également du par. 91(2). S’il doit s’appuyer sur la compétence en matière de droit criminel, il ne s’agit pas alors d’un exercice valide du pouvoir que confère le par. 91(2). Considéré sous son aspect commercial, l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne fait qu’interdire certaines pratiques commerciales qui, si elles ne sont pas perçues comme un exercice de la compétence en matière de droit criminel, relèvent du par. 92(13), savoir «la propriété et les droits civils dans la province».

Le juge Prowse a reconnu que, dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précité, le juge en chef Laskin était prêt à envisager la possibilité de fonder la validité d’une législation en matière économique sur le par. 91(2), à la condition qu’elle fasse vraiment partie d’un système de réglementa­tion. Mais, citant ce que dit le Juge en chef dans

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cet arrêt quant à la caractérisation de l’al. 7e) de la Loi sur les marques de commerce, il a conclu qu’on pourrait dire la même chose de l’al. 32(1)c) et des parties analogues de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions:

L’objet de la disposition n’est pas le commerce mais l’éthique des personnes qui s’adonnent au commerce ou aux affaires, et, à mon avis, on ne peut maintenir une semblable disposition seule et sans lien avec un système général régissant les relations commerciales dépassant l’intérêt local. Même en disant qu’elle vise des pratiques commerciales, son application par action civile à l’instance des particuliers lui donne un caractère local parce qu’elle vise, dans ses termes, des concurrents locaux ou à l’intérieur d’une même pro­vince aussi bien que des concurrents au niveau interprovincial.

[TRADUCTION] La Loi relative aux enquêtes sur les coalitions vise elle aussi «l’éthique des personnes qui s’adonnent au commerce ou aux affaires» et tout man­quement à cette éthique est considéré comme une fraude commerciale. Le caractère local d’une telle conduite est reconnu par l’art. 39 (abrogé et remplacé idem) et par l’art. 31.1 (adopté idem) de la Loi, partie V.

Est-il vraiment exact de dire que l’al. 32(1)c) n’a rien à voir avec un système de réglementation? Si l’on s’en tient pour le moment à l’al. 32(1)c) pris isolément, ce qui est remarquable au sujet de cette disposition c’est l’imprécision de l’infraction qu’elle crée. Le critère de base de la criminalité est le fait de restreindre «indûment» la concurrence. Considérée comme du droit criminel, cette exi­gence d’une restriction «indue» a posé aux tribu­naux des problèmes d’interprétation délicats. Voir l’arrêt Aetna Insurance Co. c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731. Vue comme une disposition en matière économique, cette spécification d’une restriction «indue», en l’absence d’un principe directeur fourni par un contexte plus large, rend tout à fait impré­visible l’incidence du par. 32(1). Pour cette raison, il convient maintenant d’élargir les paramètres de cette analyse.

L’article 32 lui-même contient des éclaircisse­ments sur son par. (1). Le paragraphe (2) soustrait certains types d’associations d’intérêts et d’accords à l’application du par. 32(1). Le paragraphe (3) apporte une restriction au par. (2). Sous réserve

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des restrictions et des précisions énoncées au par. (5), le par. (4) rend le par. 32(1) inapplicable aux complots relatifs à l’exportation. Finalement, les par. (6) et (7) limitent davantage l’application du par. (1). On ne saurait prétendre que ces inclu­sions et exclusions ont pour fondement la moralité des actes visés. Elles semblent avoir pour objet d’inclure les actes et les accords jugés économiquement nocifs, tout en passant sous silence les mêmes actes et accords lorsqu’ils ont des conséquences bénéfiques ou, tout au moins, inoffensives dans ce pays.

Élargissons davantage le champ de notre analyse. Les six articles qui suivent l’art. 32 dans la partie V de la Loi — Infractions relatives à la concurrence — répètent la même chose à l’égard d’autres infractions commerciales précises. Ces dispositions interdisent certains types de conduite commerciale touchant la concurrence, puis, soit directement, soit par renvoi à l’article d’interpréta­tion, elles limitent la portée de ces infractions de manière à n’inclure que ce qui peut être considéré comme économiquement nuisible.

Avec égards, tout cela met grandement en doute la déclaration du juge Prowse portant que, tout comme l’ancien al. 7e) de la Loi sur les marques de commerce, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions vise simplement «l’éthique des personnes qui s’adonnent au commerce ou aux affaires ...

b

et tout manquement à cette éthique est considéré comme une fraude commerciale. La raison d’être de l’article est au moins autant d’ordre économi­que que d’ordre moral.

Dans les lignes qui précèdent immédiatement l’extrait de l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada, reproduit par le juge Prowse, où figure le membre de phrase que je viens de citer, le juge en chef Laskin affirme:

C’est en vain qu’on cherche dans l’art. 7, à plus forte raison dans l’al. e), un système de réglementation. L’ap­plication en est laissée à l’initiative des particuliers, sans contrôle public par un organisme qui surveillerait de façon permanente l’application des règlements, ce qui donnerait au moins quelque apparence de fondement à la prétention que l’al. e) de l’art. 7 est de portée natio­nale ou qu’il vise tout le Canada.

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À cet égard aussi, le contexte de l’al. 32(1)c) diffère de celui de l’article contesté de la Loi sur les marques de commerce. Les premières parties de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions énoncent des mécanismes administratifs com­plexes. La partie I de la Loi établit une procédure d’enquête et de recherche en vertu de laquelle le directeur des enquêtes et recherches peut procéder à des enquêtes. La partie II complète la procédure d’enquête par des dispositions qui autorisent le directeur à dresser un rapport qui doit être soumis à la Commission sur les pratiques restrictives du commerce qui, à son tour, doit remettre au minis­tre de la Consommation et des Corporations un rapport contenant une appréciation de l’effet sur l’intérêt public des arrangements et pratiques en question ainsi que des recommandations sur l’ap­plication de certains recours à ces arrangements et pratiques. Ces dispositions sont utiles pour analy­ser l’al. 32(1)c) parce qu’elles révèlent l’existence d’un processus d’élaboration d’une politique desti­née à préciser l’infraction qui consiste à limiter «indûment» la concurrence.

Même avant la promulgation des modifications de 1976 qui ont mis au point cette procédure administrative, la détermination de ce qui consti­tuait une coalition commerciale illégale était, du moins en partie, une décision administrative fondée sur des considérations relevant du domaine de la politique économique. Dans [Constitutional Aspects of Canadian Anti-Combines Law Enfor­cement] (1969), 47 R. du B. Can. 161, le profes­seur McDonald affirme, aux pp. 211 à 213:

[TRADUCTION] Habituellement, la décision de poursui­vre n’est prise dans chaque cas qu’au terme d’une enquête sur les parties et sur les faits menée par le directeur des enquêtes et recherches et à l’issue d’une audience devant la Commission sur les pratiques restric­tives du commerce conformément à la Loi. En fait, celle-ci envisage que la décision de poursuivre sera prise seulement après un examen minutieux des pouvoirs dis­crétionnaires administratifs, après examen de l’avis de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce quant à l’effet de l’arrangement sur l’intérêt public et après l’exercice, s’il y a lieu, d’un jugement politique.

Souvent la question délicate que pose l’application est de savoir non pas qui en assumera le coût, mais plutôt qui exercera le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il

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y aura des poursuites et, dans l’affirmative, contre qui. Cela peut revêtir une importance capitale dans les affai­res relatives aux coalitions parce que ce n’est qu’à ce stade qu’on peut tenir compte de facteurs tels que l’inégalité des pressions commerciales, l’étendue de la complicité ou l’incidence sur le plan économique. De plus, la décision se fonde vraisemblablement, en partie, sur l’appréciation que fait la Commission de l’intérêt public qui est en jeu, et sur les recours qu’elle recommande.

L’alinéa 32(1)c) est assujetti aux mécanismes administratifs qui régissent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

Pour donner encore plus d’ampleur à notre analyse, soulignons que les mesures pénales prévues à la partie V ne constituent pas l’unique mode d’ap­plication de la Loi et des principes de réglementa­tion qu’elle véhicule. Les articles 28 à 31 prévoient d’autres moyens auxquels peuvent avoir recours différentes autorités judiciaires et gouvernementa­les devant différents tribunaux. Sans se prononcer sur la sagesse ou la constitutionnalité de ces dispo­sitions, il est clair qu’elles ont pour objet de fournir un arsenal souple de recours visant à assurer l’ap­plication des politiques sous-jacentes de la Loi. L’existence des art. 28 à 31 constitue malgré tout un autre indice que le par. 32(1) fait partie d’un système de réglementation.

Ayant conclu que l’al. 32(1)c), loin d’être une disposition isolée, fait partie d’un système de régle­mentation, il reste à examiner si ce système est valide en vertu du second volet du par. 91(2). Le fait de faire partie d’un tel système n’est qu’un signe de validité et n’est pas en soi déterminant. De nombreux arrêts ont établi que le système créé par la Loi affiche d’autres indices tels qu’une portée nationale, une application générale et le fait qu’il vise le commerce dans son ensemble plutôt qu’une seule entreprise. Dans l’affaire P. G. du Canada c. Miracle Mart Inc., [1982] C.S. 342, à la p. 353, le juge Ryan fait un résumé complet des facteurs qui militent en faveur d’une conclusion de validité fondée sur la compétence générale en matière d’échanges et de commerce:

... il me semble clair que l’article 37.1 fait partie, comme je l’ai indiqué plus haut, d’un schème de régle­mentation complet en soi et visant à éliminer des prati­ques commerciales contraires à une saine concurrence à

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travers le pays et non à quelque endroit spécifique, ni dans un commerce ou une industrie en particulier. Autrement dit, la partie V de la loi et l’article 37.1 en particulier ne visent pas à empêcher des pratiques particulières à une province ni à une industrie: elle veut éliminer la concurrence déloyale à travers le pays. Je ne vois pas de meilleure illustration de l’exercice du pouvoir de «réglementation du trafic et du commerce» au Canada, article 91 paragr. 2 A.A.N.B..

Le juge Linden dresse une liste semblable de motifs de validité dans la décision R. v. Hoffman-LaRoche Ltd., précitée, aux pp. 191 et 192:

[TRADUCTION] ... j’estime que l’al. 34(1)c) peut aussi avoir pour fondement constitutionnel le par. 91(2). Il fait partie d’un régime législatif visant à empêcher toute une variété de pratiques déloyales en matière de concur­rence qui touchent les échanges et le commerce en général dans tout le Canada et qui ne se limitent pas à une seule industrie, denrée ou région. En règle générale, la conduite interdite a une portée à la fois nationale et internationale. L’économie de tout le pays peut se ressentir de la présence ou de l’absence d’une saine concur­rence. Il est donc de la compétence du Parlement fédéral de tenter de réglementer la concurrence dans l’intérêt de tous les Canadiens. (Toutefois, il en serait vraisembla­blement autrement si la concurrence réglementée revê­tait un caractère purement local, auquel cas la compé­tence fédérale en matière d’échanges et de commerce pourrait ne pas s’appliquer.)

Comme l’indique le passage entre parenthèses en fin de citation, il est encore nécessaire, même en présence de tous ces facteurs, d’examiner la ques­tion de l’équilibre constitutionnel et de se deman­der si une conclusion de validité fondée sur le pouvoir en matière d’échanges et de commerce n’est pas susceptible de porter atteinte à l’autono­mie locale envisagée par la Constitution dans le domaine de la réglementation économique. C’est la crainte qu’exprime le juge Marceau dans la déci­sion Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc., [1980] 1 C.F. 184 (Division de première instance), à la p. 203:

C’est parce qu’une loi générale sur la concurrence en tant que telle, donc une loi qui réglementerait la concur­rence par-delà la détection, la prévention et la sanction d’actes réprouvés et prohibés, permettrait un tel accapa­rement [des pouvoirs provinciaux] qu’il ne me paraît pas possible de l’appuyer sur le pouvoir du Parlement en matière d’échanges et de commerce. La concurrence, en tant que moteur de notre système de production et de

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circulation des biens et des services, dépend de tant d’éléments et se présente sous tellement d’aspects qu’elle peut donner lieu à des législations aussi vastes que diversifiées. Admettre que, comme telle, elle est couverte par le pouvoir du Parlement en vertu du paragraphe (2) de l’article 91, ce serait ouvrir la porte à une possibilité d’empiétement sur les pouvoirs des provinces que la jurisprudence a, à mon sens, malgré ses hésitations persistantes, définitivement condamnée.

Pour les raisons déjà mentionnées, je suis porté de toute manière à rejeter ce point de vue. Le retenir équivaudrait à toujours refuser au Parlement la possibilité d’exercer validement son pouvoir général en matière d’échanges et de com­merce, pouvoir qui, à condition de bien l’interpréter et de lui imposer les restrictions appropriées, complète l’autonomie locale plutôt que de la miner. Je tiens toutefois à mentionner un autre facteur. Un système visant à réglementer la concurrence est, selon moi, un exemple du genre de législation qu’il serait pratiquement et constitu­tionnellement impossible à un gouvernement pro­vincial d’adopter. Étant donné le libre mouvement des échanges interprovinciaux que garantit l’art. 121 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Canada constitue, du point de vue économique, un seul vaste marché. Si jamais la concurrence doit être réglementée, c’est au fédéral qu’il appartient de le faire. Cela mène au syllogisme formulé par Hogg et Grover dans The Constitutionality of the Com­petition Bill (1977), 1 Can. Bus. L.J. 197, à la p. 200:

[TRADUCTION] ... le fédéral est seul à pouvoir régle­menter d’une manière efficace la concurrence dans l’éco­nomie. Si le fédéral n’a pas compétence pour adopter une politique en matière de concurrence, il s’ensuit que le Canada ne peut avoir de politique dans ce domaine. Le déni du pouvoir constitutionnel fédéral a donc pour conséquence pratique la création d’une lacune dans le partage des pouvoirs législatifs.

On a laissé entendre que, dans l’arrêt The King v. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, à la p. 448, [1925] 3 D.L.R. 1, à la p. 12, le juge Duff a reconnu l’existence d’une telle lacune lorsqu’il a qualifié d’erreur cachée dans un argu­ment fédéral la proposition selon laquelle [TRA­DUCTION] «le Dominion a ce pouvoir parce que ni une seule province ni, d’ailleurs, toutes les provinces réunies ne pourraient mettre en vigueur un

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programme d’une telle envergure». Selon moi, le juge Duff parle dans cet extrait d’obstacles d’ordre logistique ou pécuniaire à l’action provinciale. S’il a voulu aller plus loin et identifier un domaine où, selon la Constitution, ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement d’une province n’est habilité à légiférer, alors, avec les plus grands égards, j’estime qu’il a commis une erreur. Cette même erreur aurait pour effet de nier au fédéral le pouvoir constitutionnel de légiférer en vertu de sa compé­tence générale en matière d’échanges et de commerce.

Toutes ces considérations mènent à la conclu­sion que l’al. 32(1)c) a été validement adopté par le fédéral tant en vertu du par. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qu’en vertu du par. 91(27). Le procureur général du Canada soutient également que l’al. 32(1)c) est valide en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, mais, vu la conclusion de validité en vertu du par. 91(2), il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument.

Le pouvoir d’intenter des poursuites en vertu de l’al. 32(1)c)

Conclure que l’al. 32(1)c) est valide en vertu à la fois du pouvoir en matière de droit criminel et du pouvoir en matière d’échanges et de commerce équivaut, selon moi, à conclure que le fédéral et les provinces détiennent des pouvoirs concurrents d’engager des poursuites. La majorité dans l’arrêt Hauser a conclu que le pouvoir de présenter des actes d’accusation et de diriger des poursuites relativement à une législation qui n’a pas été adop­tée en vertu du par. 91(27) était validement con­féré au procureur général du Canada. Par consé­quent, dans la mesure où l’al. 32(1)c) relève de la compétence en matière d’échanges et de com­merce, il revient au procureur général fédéral d’intenter des poursuites. Quant au pouvoir de poursuivre fondé sur la caractérisation de l’al. 32(1)c) comme une disposition en matière de droit crimi­nel, je suis toujours d’avis que seul le procureur général d’une province peut légitimement poursui­vre les infractions à une loi criminelle. Voir les motifs que j’ai rédigés dans l’arrêt R. c. Wetmore [[1983] 2 R.C.S. 284], rendu en même temps que le présent arrêt.

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Dans l’arrêt Hauser, je me suis prononcé contre l’idée que les par. 91(27) et 92(14) confèrent respectivement au fédéral et aux provinces des pouvoirs concurrents en matière de poursuites. Il faut toutefois se garder de conclure qu’en approu­vant maintenant la compétence concurrente lorsqu’un texte constitue un exercice valide de deux pouvoirs fédéraux distincts, j’ai changé d’avis quant à la compétence concurrente dans la situa­tion susmentionnée.

Du point de vue pratique, dire que le fédéral et les provinces possèdent des pouvoirs concurrents en matière de poursuites peut peut-être signifier qu’en application de la doctrine de la prépondérance fédérale, on peut à bon droit, et ce à n’importe quel moment, refuser au procureur général d’une province le droit d’intenter des poursuites. C’est d’ailleurs là l’effet apparent du par. 2(37) du Code criminel.

À la fois pour les raisons d’ordre juridique et d’ordre pratique mentionnées dans l’arrêt Hauser, cette situation est inacceptable dans le cas d’une législation fondée exclusivement sur le pouvoir en matière de droit criminel. Cependant, la situation est différente lorsqu’un texte qui est valide en vertu du par. 91(27) se justifie également par un autre chef de compétence fédérale.

Dans l’arrêt Hauser, j’ai fait remarquer qu’il existe entre les trois aspects de la mise en applica­tion de la loi (les investigations, le maintien de l’ordre et les poursuites), une unité et une cohésion qui seraient ébranlées si le pouvoir d’investigation était exercé par un ordre de gouvernement et celui d’intenter des poursuites, par l’autre. Dans l’affaire Hauser, ce raisonnement aurait joué en faveur du point de vue provincial, puisque j’étais d’avis que la Loi sur les stupéfiants est une loi en matière criminelle. J’étais alors d’avis, tout comme je le suis aujourd’hui, que le par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 investit les provinces de compétence pour appliquer les lois pénales et pour enquêter sur les activités criminelles, et que le pouvoir de diriger et de surveiller les poursuites criminelles fait partie intégrante de cette compé­tence.

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Le Conseil privé et cette Cour ont respectivement conclu dans les affaires P.A.T.A. et Domi­nion Trade and Industry Commission, que l’aspect investigations de l’application des lois contre les coalitions est du ressort légitime de commissions et de fonctionnaires fédéraux, à titre d’exercice du pouvoir en matière de droit criminel. Qui plus est, les deux mêmes arrêts ont confirmé la validité des dispositions habilitant le procureur général du Canada à déposer des dénonciations, à intenter des poursuites et à participer aux procédures se rapportant à des accusations relatives aux coalitions portées par le fédéral. Même si ces conclusions n’avaient pas eu pour fondement le par. 91(27), ces mêmes pouvoirs relèveraient clairement de la compétence fédérale comme nécessairement inci­dents à la compétence en matière d’échanges et de commerce. Dans ces circonstances, l’attribution du pouvoir de poursuivre aux seules provinces en vertu du par. 92(14) aurait précisément pour effet de séparer la fonction relative aux enquêtes de celle relative aux poursuites, ce que j’ai jugé inacceptable dans le domaine du droit purement crimi­nel. Par conséquent, en ce qui concerne la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, l’existence de pouvoirs concurrents en matière de poursuites, avec la prépondérance fédérale que cela peut com­porter, ne compromet nullement son application efficace, pas plus qu’elle ne s’oppose aux vieilles traditions et aux précédents constitutionnels. Il en va tout autrement lorsque les textes en question relèvent exclusivement du pouvoir en matière de droit criminel.

Pour ces raisons, tant du point de vue juridique que du point de vue pratique, on a raison de conclure que le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et le par. 2(37) du Code criminel, dans la mesure où ils visent des poursuites en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, sont tous les deux intra vires.

Conclusion

Je suis d’avis de répondre aux questions de la manière suivante:

Question 1: «Oui», en ce sens que l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peut s’appuyer sur le par. 91(27) et aussi sur le par. 91(2). Si la question était de savoir si l’al.

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32(1)c) peut s’appuyer seulement sur le par. 91(27), je répondrais par la négative.

Question 2: «Oui» quant au par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et quant au par. 2(37) du Code criminel dans la mesure où ils se rapportent au par. 32(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Toutefois, dans la mesure où le par. 2(37) du Code criminel confère généralement au procureur général du Canada le pouvoir d’intenter et de diriger des poursuites fondées sur des infractions à des lois fédérales adoptées seulement en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, il est ultra vires.

En définitive, le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions autorise le procu­reur général du Canada à diriger les poursuites présentement en cause.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de modifier l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta en répondant aux questions soulevées en l’espèce de la manière énoncée ci-dessus.

Version française des motifs rendus par

LES JUGES BEETZ ET LAMER — Ayant eu le

grand avantage de lire les motifs de jugement du Juge en chef et de notre collègue le juge Dickson, nous souscrivons pour l’essentiel à ceux du juge Dickson portant que l’al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, modifié par 1974-75-76 (Can.), chap. 76, par. 14(1), a été validement adopté par le Parlement du Canada en vertu du pouvoir de légiférer en matière d’échanges et de commerce que lui confère le par. 91(2) de la Loi constitu­tionnelle de 1867.

Il s’ensuit que la validité constitutionnelle de l’al. 32(1)c) ne dépend pas du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue au Parlement compétence en matière de droit criminel et ce, même si l’alinéa en question peut également s’appuyer sur ledit par. 91(27).

En conséquence, nous sommes d’avis de répon­dre «non» à la première question formulée par le Juge en chef et, puisque la seconde dépend d’une

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réponse affirmative à la première, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’y répondre.

Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta et de rétablir le jugement que le juge Medhurst a rendu en première instance.

Il ne devrait pas y avoir d’adjudication de dépens pour ou contre les parties ou les intervenants.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelant: Roger Tassé, Ottawa.

Procureurs des intimées les Transports Natio­naux du Canada, Limitée et la Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada: R. W. Lusk et P. G. Foy, Vancouver.

Procureurs des intimés la Compagnie de Transport Canadien Pacifique Limitée et Kenneth G. Paulley: N. D. Mullins et L. Taylor, Vancouver.

Procureurs de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: W. Henkel et Nolan D. Steed, Edmonton.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: John Cavarzan, Toronto.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Québec: Henri Brun, Lorraine Pilette et Jean-François Dionne, Québec.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick: John H. Evans et Claude Pardons, Fredericton.

Procureurs de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique: E. R. A. Edwards and Joseph J. Arvay, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan: James C. MacPherson, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 2 R.C.S. 206 ?
Date de la décision : 13/10/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Droit criminel - Adminis­tration de la justice - Accusation en vertu de l’art. 32(1)(c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coali­tions - Procédures dirigées par un avocat mandaté par le procureur général fédéral - Demande de prohibition pour empêcher la cour provinciale de procéder pendant la poursuite dirigée par le procureur général fédéral - L’article 32(1)(c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions relève-t-il du pouvoir en matière de droit criminel (art. 91(27) de la Loi constitutionnelle)? - Si oui, le Parlement a-t-il la compétence pour autoriser le procureur généra! ou ses substituts à porter des accusa­tions et à conduire des procédures? - Loi constitution­nelle de 1867, art. 91(27), 92(14) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2 - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2) - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 15(2), 32(1)(c).

[Page 207]

Les intimés et d’autres personnes et sociétés ont été accusés d’avoir comploté illégalement en vue de dimi­nuer la concurrence dans le transport interprovincial au sens de l’al. 32(1)(c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et les procédures ont été confiées à un avocat mandaté par le procureur général du Canada. Le Parlement a accordé aux autorités provinciales le pouvoir de poursuivre en vertu du Code criminel et a limité les poursuivants fédéraux aux procédures intentées sur l’instance du gouvernement du Canada relativement à une violation ou à un complot en vue de la violation d’une loi ou d’un règlement fédéral autre que le Code criminel.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Estey et McIntyre: Même en présumant que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ressortit seulement à la com­pétence en matière criminelle, le procureur général fédé­ral a le droit de poursuivre en vertu de la Loi et peut faire appliquer les lois criminelles fédérales sans le consentement des provinces. Le pouvoir de la province de poursuivre est uniquement fondé sur l’abstention des autorités fédérales d’intervenir dans les poursuites relati­ves à des infractions à des lois fédérales.

Le paragraphe 92(14) ne vise pas le pouvoir de poursuivre en matière de droit criminel fédéral et ne diminue pas l’effet ex facie du par. 91(27) qui comprend la procédure en matière criminelle. Bien que le par. 92(14) accorde la compétence sur l’administration de la justice, il ne réduit la portée de la compétence en matière criminelle conférée par l’art. 91 seulement pour ce qui touche la «création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction ... criminelle» et on ne saurait dire qu’il vise la compé­tence en matière de poursuites criminelles. En outre on ne peut préférer le pouvoir général sur l’administration de la justice au pouvoir particulier sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle; ni le texte du par. 92(14) ni la logique n’appuient pareille interprétation. La pratique des poursuites par les provinces a été maintenue pour des motifs pratiques au cours de la période qui a suivi la Confédération. La jurisprudence indique que cet arrangement ne met pas en doute le pouvoir fédéral d’accorder aux provinces le pouvoir d’engager des poursuites en vue d’appliquer le droit criminel fédé­ral et de réglementer ce pouvoir. Le paragraphe 92(14) est attributif de compétence législative. S’il accordait le pouvoir sur les poursuites criminelles, les lois fédérales qui confèrent le pouvoir en matière de poursuites seraient ultra vires et si le Parlement n’accordait le pouvoir de poursuivre qu’avec le consentement des pro­vinces, il y aurait une délégation inconstitutionnelle de compétence législative.

[Page 208]

Le Parlement est compétent pour légiférer en matière de poursuites à l’égard de toutes les infractions au droit fédéral peu importe que ces infractions relèvent du pouvoir en matière de droit criminel. Même si les poursuites relatives à une infraction qui ne relève pas du Code peuvent obliger de recourir à la compétence en matière criminelle, cela n’en fait pas une infraction au Code criminel. Le Parlement peut ne pas considérer d’un seul tenant la compétence très générale en matière de droit criminel, comme définissant des infractions et les assortissant de peines. C’est ce que le Parlement a fait ici en conférant le pouvoir de poursuivre au procu­reur général fédéral en vertu de l’art. 2 du Code criminel Iorsqu’il parle d’infractions qui ne relèvent pas du Code criminel, tout en laissant la question de la responsabilité pénale dépendre de ce qui est prescrit en vertu de ces infractions.

Le juge Dickson: L’alinéa 32(1)(c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions en tant que législation fédérale valide peut être confirmée tant en vertu de la compétence en matière de droit criminel que de celle en matière d’échanges et de commerce. L’interprétation de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce au par. 91(2) ne peut être littérale. Cette dernière est restreinte par l’existence de la compétence réglementaire accordée aux provinces par le par. 92(13). Le pouvoir fédéral comprend les ententes relatives au commerce international et interprovincial et la régle­mentation du commerce qui touche tout le pays. La réglementation d’un seul commerce ne peut constituer une question d’interêt [sic] général pour tout le pays de façon à s’appuyer sur le pouvoir «général» du par. 91(2). Cette réglementation constitue un aspect fondamental de l’au­tonomie locale envisagée par la Loi constitutionnelle de 1867. Il en va autrement lorsqu’on se trouve en présence d’une législation d’application générale ayant pour objet l’économie non en tant que série d’entreprises locales distinctes, mais en tant qu’entité nationale intégrée. Parmi les indices possibles d’un exercice valide de la compétence générale en matière d’échanges et de com­merce, on trouve l’existence d’un système de réglementa­tion nationale, la surveillance exercée par un organisme de réglementation et le fait de viser le commerce en général. Des indications encore plus sûres seraient que les provinces ne puissent pas, conjointement ou séparément, adopter une telle loi et que l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités compromettent l’application de cette loi dans d’autres parties du pays.

Interprété dans le contexte global de l’art. 32, de l’ensemble de la partie V de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et de la loi entière, l’al. 32(1)c) n’est

[Page 209]

pas une disposition isolée, mais fait partie d’un système de réglementation. Ce système a une portée nationale, une application générale et vise le commerce dans son ensemble plutôt qu’une seule entreprise. Le système visant à réglementer la concurrence est un exemple du genre de législation qu’il serait pratiquement et constitu­tionnellement impossible à un gouvernement provincial d’adopter.

Puisque l’al. 32(1)c) est valide à la fois en vertu de la compétence en matière criminelle et de la compétence en matière d’échanges et de commerce, le fédéral et les provinces détiennent des pouvoirs concurrents d’engager des poursuites. Si l’al. 32(1)c) relevait seulement de la compétence en matière criminelle, seul le procureur général de la province pourrait validement engager des poursuites. Puisque l’aspect investigation de l’application des lois contre les coalitions est du ressort légitime de commissions et de fonctionnaires fédéraux, l’existence de pouvoirs concurrents en matière de poursuites, avec la prépondérance fédérale que cela peut comporter, ne compromet nullement l’application efficace de l’al. 32(1)c), ni ne s’oppose aux vieilles traditions et aux précédents constitutionnels. Par conséquent, le par. 15(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et l’art. 2 du Code criminel dans le mesure où ils visent des poursuites en vertu de la première loi sont tous les deux intra vires et le procureur général du Canada a le pouvoir en vertu du par. 15(2) de diriger les poursuites en cause ici. Toutefois, dans la mesure où l’art. 2 du Code criminel confère au procureur général du Canada le pouvoir d’intenter et de diriger des poursuites fondées sur des infractions créées seulement en vertu de la compétence en matière criminelle, il est ultra vires puisque la compétence relativement à ces infractions ressortit exclusivement à la province.

Les juges Beetz et Lamer: L’alinéa 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions a été validement adopté par le Parlement en vertu de sa compétence sur les échanges et le commerce. Par conséquent sa validité ne dépend pas de la compétence en matière criminelle, peu importe qu’on puisse aussi l’appuyer sur ce pouvoir.


Parties
Demandeurs : P.G. (Can.)
Défendeurs : Transports Nationaux du Can., Ltée

Références :

Jurisprudence: arrêts examinés: R. v. Pelletier (1974), 4 O.R. (2d) 677

R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984, infirmant pour d’autres motifs, (1977), 37 C.C.C. (2d) 129

R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 694, 24 C.R. (3d) 193, confirmant (1980), 28 O.R. (2d) 164, 14 C.R. (3d) 289

Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, (arrêt sur la marque de commerce «Canada Standard»), [1937] A.C. 405, con­firmant Reference re Dominion Trade and Industry Commission Act, [1936] R.C.S. 379

R. c. Pontbriand (1978), 1 C.R. (3d) 97

Re Board of Commerce Act,
[Page 210]
1919, and the Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C. 191, en appel de (1920), 60 R.C.S. 456
Attorney-General of Nova Scotia v. Attorney-General of Canada, [1937] R.C.S. 403
Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96
MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134
Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914
arrêts mentionnés: Toronto v. Attorney-General for Canada, [1946] A.C. 32
R. v. Lawrence (1878), 43 U.C.Q.B. 164
Ex parte Duncan (1872), 16 L.C.J. 188
R. v. Bush (1888), 15 O.R. 398
R. v. St. Louis (1897), 1 C.C.C. 141
Re Public Inquiries Act (1919), 3 W.W.R. 115
Attorney General of Nova Scotia v. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31
Tennant v. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31
Attorney-General of Ontario v. Attor­ney- General of Canada (arrêt sur les Cessions volontai­res), [1894] A.C. 189
Attorney General of Canada v. C.P.R. and C.N.R., [1958] R.C.S. 285
Nykorak v. Attorney-General of Canada, [1962] R.C.S. 331
Grand Trunk Railway Company of Canada v. Attorney-Gene­ral of Canada, [1907] A.C. 65
Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152
Proprietary Articles Trade Association v. Attorney-General for Canada, [1931] A.C. 310
Reference re Section 498A of the Criminal Code, [1936] R.C.S. 363
Attorney-Gene­ral for British Columbia v. Attorney-General for Canada, [1937] A.C. 368
R. v. Campbell (1965), 58 D.L.R. (2d) 673, confirmant (1964), 46 D.L.R. (2d) 83
Goodyear Tire and Rubber Co. v. The Queen, [1956] R.C.S. 303
Jabour c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307
Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee, [1931] R.C.S. 357
Bank of Toronto v. Lambe (1887), 12 App. Cas. 575
City of Montreal v. Montreal Street Railway Co. (1912), 1 D.L.R. 681
Reference re Natural Products Marketing Act, [1936] R.C.S. 398
Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100
Reference re Farm Products Mar­keting Act, [1957] R.C.S. 198
John Deere Plow Co. v. Wharton, [1915] A.C. 330
Toronto Electric Commis­sioners v. Snider, [1925] A.C. 396, [1925] 2 D.L.R. 5
Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Alberta (renvoi sur les assurances), [1916] 1 A.C. 588
Aetna Insurance Co. c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 731
P.G. du Canada c. Miracle Mari Inc., [1982] C.S. 342
Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc., [1980] 1 C.F. 184
The King v. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, [1925] 3 D.L.R. 1
R. v. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284.

Proposition de citation de la décision: P.G. (Can.) c. Transports Nationaux du Can., Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206 (13 octobre 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-10-13;.1983..2.r.c.s..206 ?
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