La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/11/1983 | CANADA | N°[1983]_2_R.C.S._364

Canada | Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364 (3 novembre 1983)


Cour suprême du Canada

Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364

Date: 1983-11-03

Le procureur général de la province de Québec et la Régie du logement Appelants;

et

Marcel Grondin et la Quincaillerie Laberge Intimés;

et

La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (C.O.R.P.I.Q.) Mise en cause;

et

Le procureur général du Canada Intervenant.

et entre

L’Atelier 7 Inc. et autres Appelants;

et

Marie-Ange Babin, la Régie du logement et tous et chacun de ses régisse

urs, Gilles Joly, régisseur, et autres Intimés;

et

Le procureur général de la province de Québec et la Corporation des propriétaires immobil...

Cour suprême du Canada

Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364

Date: 1983-11-03

Le procureur général de la province de Québec et la Régie du logement Appelants;

et

Marcel Grondin et la Quincaillerie Laberge Intimés;

et

La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (C.O.R.P.I.Q.) Mise en cause;

et

Le procureur général du Canada Intervenant.

et entre

L’Atelier 7 Inc. et autres Appelants;

et

Marie-Ange Babin, la Régie du logement et tous et chacun de ses régisseurs, Gilles Joly, régisseur, et autres Intimés;

et

Le procureur général de la province de Québec et la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (C.O.R.P.I.Q.) Mis en cause;

et

Le procureur général du Canada Intervenant.

Nos du greffe: 17470 et 17487.

1983: 16 juin; 1983: 3 novembre.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOIS contre des arrêts de la Cour d’appel du Québec, [1982] C.A. 325, qui ont confirmé des jugements de la Cour supérieure portant sur la constitutionnalité de certains pouvoirs exercés par la Régie du logement. Pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement accueilli. Pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres rejeté.

Jean-K. Samson et Jean Bouchard, pour l’appelant et mis en cause le procureur général du Québec.

Freddy Henderson et France Desjardins, pour l’appelante et intimée la Régie du logement.

Raynold Langlois et Claude Vergé, pour les appelants L’Atelier 7 Inc. et autres, les intimés Grondin et Quincaillerie Laberge et de la mise en cause la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (C.O.R.P.I.Q.).

James Mabbutt, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

[Page 367]

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD — Ces deux pourvois réunis pour fins d’audition soulèvent autant de questions constitutionnelles ainsi formulées:

La Régie du logement du Québec, telle que constituée selon l’article 6 de la Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1979, chap. 48, a-t-elle constitutionnellement compétence pour connaître, ainsi que le prévoient les articles 6 et 28 de cette loi, des demandes relatives aux matières visées aux articles 1656 et 1656.1 du Code civil?

La Régie du logement du Québec, telle que constituée selon l’article 6 de la Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1979, chap. 48, est-elle légalement investie, au point de vue constitutionnel, de la juridiction qui lui est conférée par l’article 28 de sa loi constitutive et plus particulièrement, la Régie du logement du Québec a-t-elle compétence pour connaître des demandes relatives aux matières visées aux articles 1653.1, 1658.6, 1658.5 alinéa 2 et 1658.21 par. 3, et 1659 du Code civil?

La Régie du logement a été créée par la Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, 1979 (Qué.), chap. 48, que j’appellerai la Loi sur le logement. Cette loi remplace la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires, L.R.Q. 1977, chap. C-50, qui avait été adoptée initialement en 1951 et prolongée par la suite d’année en année. La Régie succède à la Commission des loyers qui avait été instituée par cette dernière loi, telle que modifiée.

Suivant l’art. 5 de la Loi sur le logement:

5. La Régie exerce la juridiction qui lui est conférée par la présente loi et décide des demandes qui lui sont soumises.

Elle est en outre chargée:

1° de renseigner les locateurs et les locataires sur leurs droits et obligations résultant du bail d’un logement et sur toute matière visée dans la présente loi;

2° de favoriser la conciliation entre locateurs et locataires;

3° de faire des études et d’établir des statistiques sur la situation du logement;

[Page 368]

4° de publier périodiquement un recueil de décisions rendues par les régisseurs.

La compétence de la Régie est définie à l’art. 28:

28. La Régie connaît en première instance, à l’exclusion de tout tribunal, de toute demande:

1° relative au bail d’un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l’intérêt du demandeur dans l’objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour provinciale;

2° relative à une matière visée dans les articles 1658 à 1659.7, 1660 à 1660.3, 1660.5 et 1662 à 1662.10 du Code civil;

3° visée dans la section II.

Par cet article la Régie se voit conférer, outre la compétence de la Commission des loyers à laquelle elle succède, toute la compétence relative au bail d’un logement exercée antérieurement par la Cour provinciale de même qu’un grand nombre de nouveaux pouvoirs. Il convient de noter que le montant de la compétence de la Cour provinciale était de 6 000$ en 1979. Bien que ceci soit sans conséquence en l’espèce, ce montant a été augmenté à 10 000 $ par suite d’une modification apportée par l’art. 19 du chap. 58 des Lois du Québec 1982. Il convient de noter par ailleurs que la compétence de la Régie porte sur les baux de logements et ne s’étend pas aux baux commerciaux ou autres. Je note enfin que la Loi sur le logement par les nombreuses modifications qu’elle apporte au Code civil et à d’autres lois constitue un véritable code du logement locatif.

Les matières visées par les articles du Code civil mentionnés dans les questions constitutionnelles auxquelles se rapporte cette affaire sont les suivantes:

1. — La résiliation d’un bail en cas d’inexécution d’une obligation par le locateur. L’article 1656 C.c. tel qu’édicté par la Loi sur le logement stipule:

1656. En cas d’inexécution d’une obligation par le locateur, le locataire peut demander l’autorisation de retenir le loyer afin d’exécuter ou de faire exécuter lui-même l’obligation, en outre du fait qu’il peut demander l’exécution en nature de l’obligation dans les cas qui le permettent, des dommages-intérêts, la résiliation du

[Page 369]

bail si l’inexécution lui cause un préjudice sérieux ou la diminution du loyer. Les articles 1613 à 1615 s’appliquent à la demande de retenue de loyer.

Le locataire peut aussi déposer son loyer au tribunal s’il donne au locateur un avis préalable de dix jours indiquant les motifs du dépôt.

2. — Le dépôt du loyer conformément à l’art. 1656, précité, et la remise du loyer ainsi déposé au locateur en vertu de l’art. 1656. 1 C.c.:

1656.1 Le locateur peut s’adresser au tribunal pour récupérer le loyer ainsi déposé.

Le tribunal peut alors notamment:

1° autoriser la remise du dépôt au locateur si ce dernier a exécuté son obligation ou si le dépôt a été fait sans motif valable;

2° permettre au locataire de continuer à déposer son loyer jusqu’à ce que le locateur ait rempli son obligation; ou

3° autoriser la remise du dépôt au locataire pour lui permettre d’exécuter lui-même l’obligation.

3. — La fixation du loyer suivant l’art. 1658.6 C.c.:

1658.6 Si le locataire avise le locateur qu’il refuse l’augmentation ou la modification demandée, le locateur peut, dans le mois de la réception de l’avis, s’adresser au tribunal pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur la durée ou la modification du bail, sinon le bail est prolongé de plein droit.

4. — La diminution de loyer autorisée par l’art. 1656 Ce précité en cas d’inexécution d’une obligation par le locateur.

5. — La reprise de possession d’un logement par le locateur au cas de refus du locataire suivant l’art. 1659. 3 C.c. qu’il faut lire avec l’art. 1659:

1659. Le locateur d’un logement peut en reprendre possession pour s’y loger ou pour y loger ses ascendants ou descendants, son gendre, sa bru, son beau-père, sa belle‑mère, son beau-fils, sa belle-fille, ou tout autre parent dont il est le principal soutien.

1659.3 Si le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, sur autorisation du tribunal, en reprendre possession, pourvu qu’il en fasse la demande dans le mois du refus et qu’il démontre qu’il est de bonne foi, qu’il entend réellement reprendre possession du loge-

[Page 370]

ment pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins.

6. — La fixation de conditions par la Régie au cas d’évacuation forcée du locataire aux fins d’effectuer des réparations majeures suivant l’art. 1653.1 C.c. qu’il faut lire avec l’art. 1653:

1653. Une amélioration majeure ou une réparation majeure autre qu’urgente ne peut être entreprise dans un logement avant que le locateur ait donné au locataire un avis de dix jours indiquant la nature des travaux, la date prévue pour leur début et leur durée. Cet avis indique, s’il y a lieu, la période d’évacuation nécessaire et les autres conditions dans lesquelles s’effectueront les travaux si elles sont susceptibles de diminuer substantiellement la jouissance des lieux.

Si la période d’évacuation nécessaire est de plus d’une semaine, l’avis doit être d’un mois.

1653.1 Si une condition est abusive, le locataire peut, dans les dix jours de la réception de l’avis, demander au tribunal de la modifier ou de la supprimer. Toutefois, il ne peut contester la nature ou l’opportunité des travaux.

La demande du locataire est instruite et jugée d’urgence. Elle suspend l’exécution des travaux sauf si le tribunal en ordonne autrement.

Le tribunal peut imposer des conditions qu’il estime justes et raisonnables.

7. — Suivant l’art. 1658.5 C.c., la fixation du loyer, la détermination relative à l’applicabilité de l’exception prévue au par. 3 de l’art. 1658.21, et l’éviction du locataire:

1658.5 Le locataire doit, dans le mois de la réception de l’avis prévu par l’article 1658.1, aviser le locateur qu’il quitte le logement ou refuse l’augmentation ou la modification demandée, sinon il est réputé avoir accepté le nouveau loyer ou les nouvelles conditions.

Toutefois, dans le cas d’un bail prévu par l’article 1658.21, le locataire qui refuse l’augmentation de loyer ou la modification demandée doit quitter le logement à la fin du bail.

1658.21 Les articles 1658.6, 1658.7 et 1658.9 à 1658.20 ne s’appliquent pas:

3° au bail d’un logement situé dans un immeuble dont les travaux de construction ont débuté après le 31 décembre 1973, pour les cinq années qui suivent la date à laquelle l’immeuble est prêt pour l’usage auquel il est destiné.

[Page 371]

La Régie a été saisie de ces matières à l’occasion de demandes qui lui ont été soumises dans neuf dossiers différents. C’est alors que neuf requêtes en évocation ont été prises visant, pour certaines, la révision de décisions rendues par la Régie et pour d’autres, l’évocation avant jugement de dossiers pendants devant cet organisme.

Dans deux cas le juge de la Cour supérieure a autorisé l’émission du bref d’évocation au motif que la compétence conférée à la Régie est assimilable ou analogue à celle exercée ou susceptible d’être exercée par une cour supérieure en 1867, qu’il s’agit dans les deux cas d’une fonction judiciaire et que les pouvoirs judiciaires exercés par la Régie ne sont pas un accessoire de ses pouvoirs administratifs, mais qu’ils constituent la majeure partie de ses fonctions. Les matières ainsi déclarées ne pas pouvoir être conférées à la compétence de la Régie sont les deux premières énumérées plus haut, soit: 1. — La résiliation d’un bail en cas d’inexécution d’une obligation par le locateur et 2. — Le dépôt du loyer conformément à l’art. 1656 et la remise du loyer ainsi déposé au locateur en vertu de l’art. 1656.1.

Quant aux cinq autres matières visées le juge a conclu qu’elles n’étaient pas assimilables ou analogues à la juridiction ou aux pouvoirs exercés ou susceptibles d’être exercés par une cour supérieure au moment de la Confédération. Il a en conséquence rejeté les requêtes pour l’émission d’un bref d’évocation.

Les neuf jugements de la Cour supérieure ont fait l’objet de douze appels à la Cour d’appel qui a confirmé la Cour supérieure sur le tout.

D’où le pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement à l’encontre des arrêts de la Cour d’appel qui ont jugé inconstitutionnelle la compétence de la Régie dans les deux premiers cas décrits plus haut et le pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres quant aux autres cas.

Le procureur général du Canada est intervenu au soutien du procureur général du Québec et de la Régie du logement et à ce propos je note le passage suivant des motifs du juge Dickson dans

[Page 372]

l’arrêt Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, à la p. 138:

Il y a un facteur qui, sans influer sur la détermination de la validité constitutionnelle de la Loi, a quand même, en pratique, une valeur non négligeable. C’est le fait que les autorités fédérales et provinciales soutiennent toutes deux la validité de la Loi. Même si cela ne résout pas la question constitutionnelle, il est intéressant de noter que même si, en l’espèce, une loi provinciale est contestée pour le motif qu’elle relève de la compétence fédérale, le procureur général du Canada n’attaque pas la constitutionnalité de cette loi provinciale. Il aimerait que la loi provinciale soit maintenue.

Pour sa part, le procureur général de l’Ontario qui était intervenu au début a retiré son intervention avant l’audition.

Le critère applicable

Il s’agit une fois de plus d’une affaire qui met en cause la constitutionnalité de dispositions relatives à un tribunal dont les membres sont nommés par l’autorité provinciale, et qui porte sur l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867:

96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle‑Ecosse et le Nouveau-Brunswick.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’historique de cette question constitutionnelle qui a été fait notamment dans le Renvoi sur l’adoption, [1938] R.C.S. 398 et plus récemment dans le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714.

Outre les arrêts qui précèdent et les autres arrêts de cette Cour auxquels je me référerai plus loin, il sera fait référence également, par le biais de citations, aux arrêts suivants du Conseil privé et de cette Cour: Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works Ltd. (l’arrêt John East), [1949] A.C. 134; Toronto Corporation v. York Corporation (l’arrêt Toronto v. York), [1938] A.C. 415; Ville de Mississauga c. Municipalité régionale de Peel (l’arrêt Mississauga), [1979] 2 R.C.S. 244; Dupont c. Inglis, [1958] R.C.S. 535; Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle-Écosse) (l’arrêt Tomko), [1977] 1 R.C.S. 112; Procureur général du Québec c. Farrah (l’arrêt Farrah), [1978] 2 R.C.S. 638.

[Page 373]

Dans le Renvoi: Family Relations Act (C.-B.), [1982] 1 R.C.S. 62, le juge Estey écrit, au nom de la majorité, aux pp. 112 et 113:

Sur le plan constitutionnel, l’évolution historique de nos cours tend vers une reconnaissance graduelle du pouvoir constitutionnel des provinces d’instituer, en respectant le cadre que leur impose la Constitution, des programmes qui comportent l’établissement de tribunaux administratifs ou qui font appel aux services des cours constituées par la province et dont les membres sont nommés par cette dernière. Cette évolution n’est guère surprenante vu la transformation radicale de la collectivité canadienne à tous les égards depuis 1867. Le gouvernement en général joue un rôle plus important au sein de la collectivité et les ressources financières dont disposent les deux ordres de gouvernement ont rendu possible la mise en œuvre de programmes sociaux que les rédacteurs de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’ont jamais envisagés. La souplesse de la Constitution qui permet aux gouvernements fédéral et provinciaux d’assumer leurs responsabilités accrues se manifeste dans un bon nombre de domaines. L’article 96 en est peut-être l’un des exemples les plus importants. La reconnaissance accrue accordée à la mise en œuvre de programmes provinciaux valides par le biais d’organismes administratifs et judiciaires provinciaux ne compromet nullement l’objet ni le rôle de cet article dans la Constitution. Il en sera ainsi tant que l’attribution de compétence à l’organisme provincial n’aura pas essentiellement pour effet de conférer à cet organisme une fonction judiciaire qui “correspond … d’une manière générale au type de compétence qu’exercent les cours supérieures, de district ou de comté” (arrêt John East, précité,…).

La présente affaire est une illustration de l’évolution dont parle le juge Estey. Au Québec cette évolution a entraîné l’institution de ce que l’on a qualifié de code du logement locatif, qui comporte l’établissement d’un tribunal administratif dont les membres sont nommés par la province. La Régie du logement, selon les représentations faites à la Cour, est saisie de quelque cent mille cas par année.

Dans le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, précité, la Cour, par la voix du juge Dickson, a défini en regard de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, un critère à trois volets. Le juge Dickson écrit aux pp. 734 à 736:

Depuis l’arrêt John East, la jurisprudence nous amène à conclure que le critère doit maintenant être formulé en

[Page 374]

trois étapes. La première porte sur l’examen dans le contexte des conditions qui prévalaient en 1867, de la compétence ou du pouvoir particuliers attribués au tribunal. Il s’agit ici de savoir si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la compétence qu’exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération. Cette distinction ou cet isolement dans le temps du pouvoir attaqué n’a pas pour objet de faire un retour en arrière et d’appliquer l’arrêt Toronto v. York; l’arrêt Mississauga a rejeté cette façon de procéder. Il s’agit plutôt de la première étape d’un processus qui en compte trois.

Si la recherche historique mène à la conclusion que le pouvoir ou la compétence ne correspondent pas à la compétence qu’exerçaient auparavant les cours visées à l’art. 96, la question s’en trouve réglée. Comme l’a souligné le juge Rand dans l’arrêt Dupont et autre c. Inglis et autres, [1958] R.C.S. 535, [TRADUCTION] «Un pouvoir judiciaire autre que celui-là [c.-à-d. celui qu’exerçaient les cours visées à l’art. 96 à la Confédération] comme par exemple celui qu’exercent les tribunaux inférieurs, peut être attribué à un tribunal provincial quel que soit son caractère premier» (à la p. 542). Si, cependant, l’histoire indique que le pouvoir attaqué est identique ou analogue à un pouvoir que les cours visées à l’art. 96 exerçaient au moment de la Confédération, il faut alors passer à la deuxième étape de l’enquête.

La deuxième étape porte sur l’examen de la fonction dans son cadre institutionnel pour établir si la fonction elle-même est différente lorsqu’elle est envisagée dans ce cadre. En particulier, la fonction peut-elle encore être considérée comme une fonction «judiciaire»? Face à cette question il importe de se rappeler une autre déclaration du juge Rand dans l’arrêt Dupont c. Inglis portant que [TRADUCTION] « … ce qui est déterminant c’est l’objet de la décision plutôt que le mode d’adjudication». Ainsi, on ne peut répondre à la question de savoir si une fonction donnée est «judiciaire» en se fondant uniquement sur les façades de la procédure. Il faut d’abord établir la nature de la question que le tribunal doit trancher. Lorsque le tribunal fait face à un litige privé entre des parties et qu’il est appelé à décider en appliquant un ensemble reconnu de règles d’une manière conforme à l’équité et à l’impartialité, il agit alors normalement en qualité d’«organisme judiciaire». Pour emprunter les termes du professeur Ronald Dworkin, la fonction judiciaire soulève des questions de «principe», c’est-à-dire l’examen des droits opposés de personnes ou de groupes de personnes. On peut les mettre en opposition avec les questions de «politique» qui soulèvent des opinions divergentes quant au bien-être de l’ensemble de la collectivité. (Voir l’ouvrage de Dworkin, Taking Rights Seriously (Duckworth, 1977) aux pp. 82 à 90.)

[Page 375]

Si, après avoir examiné le contexte institutionnel, il devient évident que le pouvoir n’est pas exercé comme un «pouvoir judiciaire», alors on n’a pas à poursuivre l’enquête, puisque le pouvoir, dans son contexte institutionnel, ne correspond plus à un pouvoir ou à une compétence qui peuvent être exercés par un tribunal visé à l’art. 96 et l’initiative provinciale est valide. D’autre part, si le pouvoir ou la compétence s’exercent d’une manière judiciaire, il devient alors nécessaire de passer à la troisième et dernière étape de l’analyse et d’examiner la fonction globale du tribunal afin d’évaluer dans tout son contexte institutionnel la fonction attaquée. La proposition «il ne faut pas considérer la juridiction dans l’abstrait ou les pouvoirs en dehors du contexte, mais plutôt la façon dont ils s’imbriquent dans l’ensemble des institutions où ils se situent» est le point essentiel de l’arrêt Tomko. Il ne suffit plus simplement d’examiner le pouvoir ou la fonction précise d’un tribunal et de se demander si ce pouvoir ou cette fonction a déjà été exercé par un tribunal visé à l’art. 96. Ce serait examiner le pouvoir ou la fonction «dans l’abstrait», contrairement au raisonnement de l’arrêt Tomko. C’est le contexte dans lequel le pouvoir s’exerce qu’il faut considérer. L’arrêt Tomko nous mène au résultat suivant: les tribunaux administratifs peuvent exercer les pouvoirs et la compétence que les tribunaux visés à l’art. 96 ont déjà exercés. Tout dépendra du contexte dans lequel le pouvoir est exercé. Les «pouvoirs judiciaires» attaqués peuvent être simplement complémentaires ou accessoires aux fonctions administratives générales attribuées au tribunal (les arrêts John East et Tomko), ou ils peuvent être nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges de la législature (l’arrêt Mississauga). Dans ce cas, l’attribution d’un pouvoir judiciaire à des organismes provinciaux est valide. La loi ne sera invalide que si la seule fonction ou la fonction principale du tribunal est de juger (l’arrêt Farrah) et qu’on puisse dire que le tribunal fonctionne «comme une cour visée à l’art. 96».

Dans ce renvoi les deux questions constitutionnelles posées par le Conseil exécutif de la province de l’Ontario étaient les suivantes:

1. L’Assemblée législative de l’Ontario a-t-elle compétence pour conférer à la Commission du logement le pouvoir d’ordonner l’éviction d’un locataire comme le prévoit la Loi de 1979 sur la location résidentielle?

2. L’Assemblée législative de l’Ontario a-t-elle compétence pour conférer à la Commission du logement le pouvoir d’exiger que les propriétaires et les locataires se conforment aux obligations que leur impose la Loi

[Page 376]

de 1979 sur la location résidentielle, comme le prévoit cette Loi?

La Cour, après avoir examiné les questions au regard de chacun des trois volets du critère élaboré par le juge Dickson, a répondu par la négative aux deux questions soumises.

Ce critère à trois volets a été résumé de la façon suivante par le juge en chef Laskin, au nom de la Cour, dans Massey-Ferguson Industries Ltd. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1981] 2 R.C.S. 413, à la p. 429:

1. Est-ce que le pouvoir ou la compétence attaqué correspond généralement au pouvoir ou à la compétence qu’exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération?

2. La fonction du tribunal provincial dans son cadre institutionnel est-elle une fonction judiciaire, examinée du point de vue de la nature de la question que le tribunal doit trancher ou, en d’autres mots, est-ce que le tribunal touche à un litige privé qu’il est appelé à trancher en appliquant un ensemble reconnu de règles d’une manière conforme à l’équité et à l’impartialité?

3. Si le pouvoir ou la compétence du tribunal provincial s’exerce d’une manière judiciaire, est-ce que sa fonction globale dans tout son contexte institutionnel enfreint l’art. 96?

Jusqu’à ce qu’une autre solution soit apportée, ce qui nécessiterait vraisemblement une modification à la Constitution, c’est à mon avis le critère qui doit s’appliquer et c’est sur cette base que l’affaire a été débattue devant la Cour.

Il ne fait aucun doute que toutes les matières visées par les questions constitutionnelles soumises sont de compétence provinciale et la seule question est de savoir si de les conférer à la compétence de la Régie du logement viole l’art. 96.

La fixation du loyer

Avant de procéder à l’examen du premier volet du critère soit la recherche historique, il est possible, comme le suggèrent le procureur général du Québec et la Régie du logement, de mettre à part la matière mentionnée en troisième lieu dans l’énumération ci-dessus, savoir la fixation du loyer suivant l’art. 1658.6 C.c., au motif qu’en tout état de

[Page 377]

cause il ne s’agit pas d’un pouvoir judiciaire. Comme l’écrivent ces appelants dans leur mémoire:

La Régie, dans ce domaine, ne rend pas justice à la manière d’une cour. Elle applique davantage une politique administrative de contrôle du marché des logements, fondée avant tout sur le bien-être de l’ensemble de la collectivité. Ainsi, les droits des parties sont-ils intimement liés à la mise en œuvre d’une politique commune en matière de contrôle du prix des loyers.

Dans le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, le juge Dickson écrit à la p. 725:

En 1975, la législature de l’Ontario a adopté The Residential Premises Rent Review Act, 1975, 1975 (Ont.), chap. 12 pour établir le contrôle des loyers. Bien sûr, le pouvoir de la province de gérer un système de révision des loyers n’empiétait aucunement sur la compétence traditionnelle des tribunaux établis en vertu de l’art. 96 d’ordonner la résiliation d’un bail, l’éviction d’un locataire ou l’application de la Loi.

S’appuyant sur cet arrêt de notre Cour, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a depuis décidé dans le même sens dans Re Fort Massey Realties Ltd. and Rent Review Commission (1982), 132 D.L.R. (3d) 516.

Il y a lieu, en conséquence, de confirmer la Cour d’appel et la Cour supérieure quant à cette matière.

Le volet historique

Passant aux autres matières et au volet historique du critère applicable, il importe avant tout d’examiner les dispositions législatives en vigueur au Québec en 1867. Le Code de procédure civile de 1867, 29-30 Vict., chap. 25, est entré en vigueur quelques jours à peine avant la Loi constitutionnelle de 1867, soit le 28 juin 1867.

L’article 887 de ce Code était ainsi rédigé:

887. Les actions en résiliation ou rescision de bail, ou pour recouvrement de dommages provenant de l’infraction à quelques unes des conventions du bail, ou pour l’inexécution des obligations qui en découlent d’après la loi, ou résultant des rapports entre locateur et locataire, sont intentées soit devant la Cour Supérieure, ou devant la Cour de Circuit, suivant la valeur ou le montant du loyer réclamé, ou le montant des dommages allégués.

[Page 378]

Quant à la Cour de circuit, l’art. 1105 ajoutait:

1105. La Cour de Circuit a juridiction sur les différends entre locateurs et locataires, dans tous les cas où le loyer, la valeur annuelle, ou le montant des dommages réclamés n’excède pas deux cents piastres.

Il ne fait pas de doute aujourd’hui que la Cour de circuit était un tribunal visé par l’art. 96, tout comme la Cour supérieure (Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681, aux pp. 689 à 692). Ces deux tribunaux ont été créés en 1849 par l’Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, 12 Vict., chap. 38. La Cour de circuit a été abolie en 1953 par la Loi modifiant le Code de procédure civile, 1952-53 (Qué.), chap. 18.

La Cour supérieure et la Cour de circuit avaient donc en 1867 compétence sur tout le domaine des relations entre locateurs et locataires.

Sous le titre de «Juridictions Inférieures» le Code de 1867 mentionnait en premier lieu la Cour des commissaires. L’article 1188 C.p.c. était ainsi rédigé:

1188. La Cour des Commissaires prend connaissance et juge en dernier ressort, de toute demande d’une nature purement personnelle et mobilière résultant d’un contrat ou quasi-contrat, et n’excédant pas la somme ou valeur de vingt-cinq piastres:

1. Contre un défendeur résidant dans la localité même;

2. Contre un défendeur résidant dans une autre localité, et dans un rayon n’excédant pas cinq lieues, si la dette a été contractée dans la localité pour laquelle la cour est établie;

3. Contre un défendeur résidant dans une localité voisine où il n’y a pas de commissaires, ou dont les commissaires ne peuvent siéger à raison de maladie, absence ou autre cause d’incompétence, pourvu que telle localité soit dans le district et dans un rayon n’excédant pas dix lieues.

Avec l’article 1188 il faut lire la première partie de l’art. 1191:

1191. Elle peut, dans les matières de sa juridiction, accorder:

La saisie-gagerie;

[Page 379]

C’est donc que la Cour des commissaires avait une certaine compétence dans les rapports entre locateurs et locataires puisque la saisie-gagerie est la procédure par laquelle un locateur peut, pour la garantie de ses droits, faire saisir avant jugement les effets mobiliers qui se trouvent sur les lieux et qui appartiennent au locataire (art. 734 C.p.c. et art. 1637 C.c.).

Les cours des commissaires ont été créées en 1821 par la loi 1 Geo. IV, chap. 2, intitulée: Acte pour la décision sommaire de certaines Petites Causes dans les Paroisses de Campagne dans cette Province. L’article I stipule notamment que:

… depuis et après le premier jour de Mai prochain, il fera et pourra être loifible au Gouverneur, Lieutenant Gouverneur, ou à la perfonne ayant l’Administration du Gouvernement de cette Province pour le temps d’alors, […] de nommer telles ou autant de perfonnes qu’il jugera à propos, dans aucunes des Paroiffes et Townfhips de cette Province, pour prendre connoiffance de telles caufes et pourfuites qui font ci-après fpécifiées, et qui auront lieu dans la Paroiffe ou Townfhip dans lequel tel Commiffaire ou Commiffaires pourront réfider (les Comtés de Québec, Montréal et la Ville et Paroiffe des Trois-Rivières exceptés) […] et d’entendre, juger et déterminer d’une manière fommaire, conforme à la loi et à la preuve faite devant eux, toutes caufes et plaintes qui feront intentées et faites devant lui ou eux, et qui pourront s’élever dans la Paroiffe, Townfhip où tel Commiffaire ou Commiffaires pourront réfider, touchant le recouvrement de dettes qui n’excéderont pas la fomme de Quatre livres, trois chelins et quatre deniers, argent courant de cette Province, de la manière fuivante; c’eft-à-dire, pour marchandifes, animaux ou autres effets mobiliers vendus et livrés, […] et pour loyer à prix fait et convenu de maifon ou autres immeubles; chevaux, beftiaux ou autres meubles et effets, …

Certes, la compétence des commissaires était fort limitée quant au territoire et quant au montant qui, en 1867 était de 25 $. J’ajouterai cependant que suivant les représentations du procureur général du Québec et de la Régie du logement qui n’ont pas été contredites, il y avait en 1867 deux cent vingt-deux localités du Québec qui étaient dotées d’une cour des commissaires et il a subsisté de telles cours jusqu’en 1960. Ces cours ont été abolies en 1965 par la Loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires, 1965 (Qué.), vol. 1, chap. 17, art. 36.

[Page 380]

D’autre part, les art. 1217 et 1219 du Code de procédure civile de 1867 conféraient juridiction à la Cour de recorder dans certaines villes relativement aux différends entre locateurs et locataires:

1217. Dans certaines villes la cour de Recorder a aussi juridiction pour le recouvrement de certaines créances municipales, ainsi que relativement aux différends entre locateurs et locataires, et entre maîtres et serviteurs.

1219. L’étendue de ces juridictions particulières et la manière d’y procéder sont réglées par les statuts qui constituent chacun de ces tribunaux spéciaux ou y ont rapport, et à certains égards par la pratique qui y est suivie.

Or, l’on doit observer qu’à cette époque la Cour du recorder de Montréal possédait en matière de rapports entre locateurs et locataires la même compétence et les mêmes pouvoirs que la Cour supérieure et la Cour de circuit en vertu de la même loi intitulée Acte concernant les locateurs et locataires, S.R.B.C. 1861, chap. 40. Cette compétence et ces pouvoirs étaient toutefois limités «aux cas de lieux occupés dont le prix ou la valeur annuelle n’excède pas la somme de cent dollars, et qui ont pour objet des propriétés situées dans les limites de la dite cité.» Cette compétence était donnée à la Cour du recorder de Montréal en 1864 par l’art. 53 de l’Acte pour amender les actes relatifs à la corporation de la cité de Montréal, et pour d’autres fins, 27-28 Vict., chap. 60:

53. La cour du recorder de la dite cité de Montréal aura juridiction concurrente avec la cour de circuit ou avec un des juges de la cour supérieure dans le district de Montréal, en ce qui concerne les rapports entre propriétaires et locataires, et pourra agir en vertu de l’acte des statuts refondus du Bas Canada, chapitre quarante, intitulé: Acte concernant les locateurs et locataires, et des dispositions législatives qui l’amendent, de la même manière et avec les mêmes formalités que la dite cour de circuit ou aucun des juges de la dite cour supérieure sont tenus de procéder par l’acte en dernier lieu mentionné, au sujet de l’expulsion du locataire pour cause de détérioration par lui faite à la propriété louée, ou partie de propriété louée, pour refus ou négligence de payer tout ou partie de son loyer, ou parce que le locataire a changé la destination des lieux loués, ou parce que le terme du bail, soit écrit, soit verbal, ou présumé, est expiré; et la dite cour du recorder aura à cette fin tous les pouvoirs et l’autorité nécessaires, y compris le pouvoir de faire émettre des writs de sommation, exécution et possession, et de fixer et déterminer les

[Page 381]

frais à être payés par la partie qui succombera, lesquels frais néanmoins ne comprendront aucuns honoraires d’avocat; pourvu toujours que la compétence de la dite cour de recorder soit limitée aux cas de lieux occupés dont le prix ou la valeur annuelle n’excède pas la somme de cent dollars, et qui ont pour objet des propriétés situées dans les limites de la dite cité.

Cette compétence de la Cour du recorder a été réaffirmée lors de la refonte de la Charte en 1899, Loi revisant et refondant la charte de la cité de Montréal, 1899 (Que.), chap. 58, art. 485 et 486.

Lors d’une refonte postérieure de la Charte en 1960 par la Loi revisant et refondant la charte de la cité de Montréal, 1959-60 (Qué.), chap. 102, ces articles sont devenus les art. 1119 et 1120. Ces articles se trouvent toujours dans la Charte bien qu’ils sont sans doute devenus inopérants par l’effet de l’art. 28 précité de la Loi sur le logement qui confère à la Régie sa compétence «à l’exclusion de tout tribunal».

Non seulement en 1867 la Cour du recorder de Montréal avait-elle compétence en cette matière, mais encore l’art. 1217 C.p.c. de 1867 reconnaissait que les rapports entre locateurs et locataires pouvaient être de la compétence de tribunaux inférieurs.

C’est ainsi qu’éventuellement la Cour de magistrat, créée en 1869 par l’Acte concernant les Magistrats de District en cette Province, 1869 (Qué.), chap. 23, s’est vu conférer pareille compétence. La Cour de magistrat est devenue depuis la Cour provinciale et c’est la compétence de celle-ci relative au bail d’un logement qui est transférée à la Régie par la Loi sur le logement.

C’est ainsi également qu’en 1903 une compétence analogue à celle de la Cour du recorder de Montréal fut conférée à toutes les cours municipales par les art. 572 et 573 de la Loi des cités et villes, 1903 (Qué.), chap. 38. Ces articles ont été conservés depuis et sont maintenant, bien que sans doute inopérants, les art. 621 et 622 de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q. 1977, chap. C-19:

621. La Cour municipale a juridiction concurrente avec la Cour provinciale, en ce qui concerne les relations

[Page 382]

entre locateurs et locataires, et elle a, à cette fin, tous les pouvoirs et l’autorité nécessaires, y compris le pouvoir de faire émettre des brefs d’assignation, d’exécution et de possession, et de fixer et déterminer les frais qui doivent être payés par la partie perdante; pourvu toujours que la compétence de la Cour municipale soit limitée aux cas où la somme réclamée n’excède pas vingt-cinq dollars et où il s’agit de propriétés occupées à raison d’une considération ou valeur locative qui ne dépasse pas la somme de cent dollars et que lesdites propriétés soient situées dans la municipalité; et pourvu qu’il soit apposé sur toutes procédures devant cette cour les mêmes timbres judiciaires qui devraient être apposés si la procédure était intentée devant la Cour provinciale.

622. Après le jugement ordonnant l’expulsion d’un locataire, en vertu de l’article 621, le demandeur peut, après l’expiration des trois jours qui suivent la signification du jugement à ce locataire, obtenir de la Cour municipale un mandat ou bref de possession, qui est exécuté par un huissier ou un huissier de la Cour municipale, ou par un constable ou un membre du corps de police, chacun desquels est, pour cette fin, revêtu de l’autorité nécessaire.

Dans le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, le juge Dickson écrit à la p. 738:

Il est évident, comme l’indique l’arrêt de la Cour d’appel, qu’au Haut-Canada avant 1867, seules la Cour du Banc de la Reine, la Cour des plaids communs (Court of Common Pleas) et la Cour de comté dans certains cas restreints pouvaient ordonner l’expulsion, et que seule la Court of Chancery pouvait ordonner l’exécution d’une obligation ou délivrer des ordonnances de faire ou de ne pas faire. Tant avant qu’après la Confédération, les cours supérieures, de comté ou de district ont donc toujours exercé une compétence exclusive sur le règlement des litiges entre propriétaires et locataires, y compris la résiliation des baux et l’éviction des locataires.

À la lumière de ce qui précède, on ne peut certes pas appliquer ce passage au Bas-Canada.

On ne peut dire non plus comme l’écrivait le juge en chef Fauteux dans Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, précité, en référant au Code de procédure civil de 1867, au sujet de la cassation de règlements municipaux pour cause d’excès de pouvoir, à la p. 688:

Aucun texte de ce Code ne permet d’affirmer qu’un tribunal autre que la Cour supérieure avait juridiction, en première instance, en matière de cassation de règlements municipaux pour cause d’excès de pouvoir.

[Page 383]

En effet, les cours de commissaires qui ont existé de 1821 à 1965 ont toujours eu une certaine compétence en matière de rapports entre locateurs et locataires, au moins en ce qui touche la perception des loyers. Le Code de procédure civile de 1867 pose le principe d’une compétence des cours de recorder et la Cour du recorder de Montréal avait compétence en 1867 dans le territoire de Montréal relativement aux baux d’une valeur annuelle n’excédant pas 100 $ (par comparaison à 200 $ dans le cas de la Cour de circuit): elle pourra, selon le texte qui lui confère sa compétence, agir en vertu de l’Acte concernant les locateurs et locataires de la même manière que la Cour de circuit et que la Cour supérieure.

À mon avis, cela est suffisant au regard du volet historique du critère établi par le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle et vaut pour toutes les matières visées dans ce pourvoi.

Confirmant la Cour supérieure, la Cour d’appel par les motifs du juge Malouf, avec lequel les deux autres juges sont d’accord, écrit:

La Régie n’a ni le pouvoir ni la juridiction de statuer sur les demandes suivantes:

1 — une demande de récupération de loyer suite à un dépôt par le locataire qui allègue l’inexécution d’une obligation par le locateur, selon l’article 1656.1 du Code civil;

2 — résiliation de bail en vertu de l’article 1656 du Code civil;

Avec égard, la distinction entre ces matières et les autres ne m’apparaît pas justifiée si l’on considère que, sous réserve des limites fixées quant au territoire et quant au montant, la Cour du recorder de Montréal avait en 1867 exactement la même compétence que la Cour supérieure et la Cour de circuit relativement à tous les différends entre locateurs et locataires.

La clause privative

Les appelants L’Atelier 7 Inc. et autres soumettent par ailleurs que la clause privative édictée par l’art. 18 de la Loi sur le logement et les dispositions relatives à l’appel à la Cour provinciale, invalident la compétence attribuée à la Régie. Ils s’appuient sur les arrêts Farrah, précité, et Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220.

[Page 384]

L’article 18 stipule:

18. Aucun recours extraordinaire prévu par les articles 834 à 850 du Code de procédure civile ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre la Régie ou les régisseurs agissant en leur qualité officielle.

Un juge de la Cour d’appel peut, sur requête, annuler sommairement un bref, une ordonnance ou une injonction délivrés ou accordés à l’encontre du présent article.

Les pouvoirs de la Cour provinciale en appel sont définis aux art. 101 et 102:

101. Le tribunal peut confirmer, modifier ou infirmer la décision qui fait l’objet de l’appel et rendre le jugement qui aurait dû être rendu.

102. Le jugement est sans appel; il doit être écrit, motivé, signé par le juge qui Ta rendu et signifié aux parties en la manière prévue par les règles de pratique.

Sur ce point la Cour d’appel a donné raison aux appelants, L’Atelier 7 Inc. et autres. Le juge Malouf écrit:

La Cour suprême, dans l’arrêt Crevier c. P.G. du Québec [1981], 2 R.C.S. 220, s’est déjà prononcée sur l’effet d’une clause privative quant au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure. Voici ce que le juge en chef, parlant au nom de la Cour, dit, à la page 234:

A mon avis, chaque fois que le législateur provincial prétend soustraire l’un des tribunaux créé par la loi à toute révision judiciaire de sa fonction d’adjuger, et que la soustraction englobe la compétence, la loi provinciale doit être déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle a comme conséquence de faire de ce tribunal une cour au sens de l’art. 96.

et à la page 236:

C’est la première fois, il est vrai, que cette Cour déclare sans équivoque qu’un tribunal créé par une loi provinciale ne peut être constitutionnellement à l’abri du contrôle de ses décisions sur des questions de compétence. À mon avis, cette limitation, qui découle de l’art. 96, repose sur le même fondement que la limitation reconnue du pouvoir des tribunaux créés par des lois provinciales de rendre des décisions sans appel sur des questions constitutionnelles.

et, finalement, à la page 238:

Il ne peut être accordé à un tribunal créé par une loi provinciale, à cause de l’art. 96, de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision.

[Page 385]

Ce que la Cour suprême a dit à l’égard du Tribunal des professions dans ledit arrêt s’applique à la Régie du logement dans le présent cas.

Les appelants, L’Atelier 7 Inc. et autres, s’appuient plus particulièrement sur le passage suivant du juge en chef Laskin dans l’arrêt Crevier, précité, aux pp. 238 et 239:

En bref, l’arrêt Farrah a établi qu’attribuer à un tribunal créé par une loi provinciale la compétence d’appel sur des questions de droit sans restriction et renforcer cette compétence d’appel par la suppression de tout pouvoir de surveillance de la Cour supérieure du Québec équivaut à créer une cour visée par l’art. 96. L’affaire en l’espèce n’est pas différente en principe, même si l’on ne trouve pas dans les art. 162 et 175 du Code des professions, lesquels traitent de la compétence d’appel du Tribunal des professions, le mot «droit» ni le mot «compétence». Si je considère les dispositions privatives des art. 194 et 195, et que j’ajoute le fait qu’en vertu de l’art. 175 les décisions du Tribunal des professions sont sans appel, je ne vois pas de distinction significative entre la présente affaire et l’affaire Farrah en ce que la compétence attribuée au tribunal d’appel l’était «exclusivement à tout autre tribunal». Dans les deux affaires, on a voulu écarter le pouvoir de contrôle de tout autre tribunal, sous forme d’appel ou d’évocation.

Ces appelants écrivent dans leur mémoire:

La Loi prévoit un droit d’appel des décisions de la Régie du logement à l’article 91 dans tous les cas autres que ceux où la demande porte sur l’un des objets suivants:

— fixation ou révision de loyer;

— recouvrement d’une créance visée à l’article 73;

— démolition d’un logement (sauf quant à l’indemnité payable en cas d’éviction);

— aliénation d’un immeuble situé dans un ensemble immobilier;

— copropriété;

Dans ces cinq (5) cas, la décision que rend la Régie est finale et sans appel et l’article 18, précité, fait obstacle au contrôle judiciaire de la Cour supérieure.

Le résultat est le même que celui qui a été mis de côté par cette Cour dans l’affaire «Crevier» et les commentaires du Juge Laskin reproduits plus haut s’appliquent aussi bien en l’espèce.

À mon avis, plusieurs distinctions s’imposent.

[Page 386]

Contrairement au Tribunal des transports dans l’arrêt Farrah et au Tribunal des professions dans l’arrêt Crevier, la Régie du logement n’est pas un tribunal d’appel mais un tribunal de première instance. Ce n’est donc pas, comme il est dit dans le passage précité du juge en chef Laskin dans l’arrêt Crevier, un tribunal créé par une loi provinciale auquel a été attribuée la compétence d’appel sur des questions de droit sans restriction et dont la compétence d’appel est renforcée par la suppression de tout pouvoir de surveillance de la Cour supérieure.

Dans l’arrêt Crevier relatif au Tribunal des professions, outre la clause privative de l’art. 194 du Code des professions qui était au même effet que celle de l’art. 18 en l’espèce, il y avait l’art. 195 excluant le pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure en vertu de l’art. 33 C.p.c. Il n’y a pas de clause semblable dans le cas de la Régie du logement et la Cour supérieure conserve donc son pouvoir traditionnel de surveillance et de contrôle pour défaut ou excès de juridiction, qui peut s’exercer par action directe ou encore par requête pour jugement déclaratoire (Vachon c. Procureur général du Québec, [1979] 1 R.C.S. 555, aux pp. 560 à 562).

Dans les cas où il y a appel à la Cour provinciale des décisions de la Régie du logement, il est vrai que les jugements de la Cour provinciale sont sans appel. Mais cette dernière cour n’est aucunement à l’abri des recours extraordinaires. Il n’existe dans son cas aucune clause privative.

Je suis d’opinion que les arrêts Farrah et Crevier n’ont pas d’application en l’espèce.

Conclusion

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir sans frais le pourvoi n° 17470 du procureur général du Québec et de la Régie du logement, et de rejeter, sans frais, le pourvoi n° 17487 de l’Atelier 7 Inc. et autres. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens pour ou contre le procureur général du Canada, intervenant.

Aux deux questions constitutionnelles, je réponds par l’affirmative.

[Page 387]

Pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement accueilli. Pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres rejeté.

Procureurs de l’appelant et mis en cause le procureur général du Québec: Jean-K. Samson et Jean Bouchard, Ste-Foy.

Procureurs de l’appelante et intimée la Régie du logement: Henderson, Mathieu & Beaudoin, Montréal.

Procureurs des appelants L’Atelier 7 Inc. et autres, des intimés Grondin et Quincaillerie Laberge et de la mise en cause la Corporation des propriétaires du Québec (C.O.R.P.I.Q.): Langlois, Drouin & Associés, Québec.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: R. Tassé, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 2 R.C.S. 364 ?
Date de la décision : 03/11/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement est accueilli. Le pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Tribunaux - Nominations des juges - Locateurs et locataires - Certains des pouvoirs attribués à la Régie du logement enfreignent-ils l’art. 96 de la Constitution? - Critère applicable - Effet de la clause privative - Loi constitutionnelle de 1867, art. 96 - Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, 1979 (Qué.), chap. 48, art. 5, 6, 18, 28, 111 - Code civil, art. 1653.1, 1656, 1656.1, 1658.5, 1658.6, 1658.21, 1659, 1659.3.

[Page 365]

La Régie du logement, créée en vertu de la Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, est un tribunal administratif habilité à connaître de tous litiges qui peuvent découler de la relation locateur-locataire en matière de bail d’habitation lorsque l’objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour provinciale. Peu de temps après la création de la Régie, la Cour supérieure a été saisie de neuf requêtes en évocation qui ont remis en question certains des pouvoirs que possède cet organisme en vertu de l’art. 28 de sa loi constitutive. Ces requêtes attaquent la compétence de la Régie de statuer sur (1) la résiliation d’un bail en cas d’inexécution d’une obligation par le locateur (art. 1656 C.c.); (2) la récupération d’un loyer déposé selon l’art. 1656.1 C.c.; (3) la fixation du loyer suivant l’art. 1658.6 C.c.; (4) la diminution d’un loyer en cas d’inexécution d’une obligation par le locateur (art. 1656 C.c.); (5) la reprise de possession d’un logement pour un membre de sa famille (art. 1659.3 C.c.); (6) la fixation des conditions en cas de travaux majeurs (art. 1653.1 C.c.) et (7) la fixation d’un loyer, l’exception prévue au par. 3 de l’art. 1658.21 C.c. et l’éviction du locataire prévue à l’art. 1658.5 C.c. Les requérants ont allégué que, du point de vue constitutionnel, ces pouvoirs étaient assimilables ou analogues à ceux exercés par une cour supérieure en 1867 et que, par conséquent, la Régie usurpait des fonctions réservées aux tribunaux dont les membres sont nommés conformément à l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour supérieure a autorisé la délivrance d’un bref d’évocation dans les deux premiers cas seulement. Les autres requêtes ont été rejetées. La Cour d’appel a confirmé la Cour supérieure sur le tout. D’où le pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement à l’encontre des arrêts de la Cour d’appel qui ont jugé inconstitutionnelle la compétence de la Régie et le pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres dans les autres cas.

Arrêt: Le pourvoi du procureur général du Québec et de la Régie du logement est accueilli. Le pourvoi de L’Atelier 7 Inc. et autres est rejeté.

La Régie du logement a constitutionnellement compétence pour connaître des demandes relatives aux matières visées dans les présents pourvois. En conférant ces matières à la compétence de la Régie, la législature du Québec n’a pas violé l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Au Bas-Canada, à l’époque de la Confédération, la compétence sur le domaine des relations entre locateurs et locataires n’était pas exercée exclusivement par les cours supérieures. Cette compétence était partagée entre tribunaux inférieurs et supérieurs. Pour ce qui est de la clause privative édictée à l’art. 18 de la loi

[Page 366]

instituant la Régie elle n’a pas pour effet d’invalider la compétence attribuée à cet organisme. Les arrêts Farrah et Crevier n’ont pas d’application en l’espèce.


Parties
Demandeurs : Procureur général du Québec
Défendeurs : Grondin

Références :

Jurisprudence: arrêt suivi: Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714

distinction faite avec les arrêts: Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638

Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220

arrêts mentionnés: Re Fort Massey Realties Ltd. and Rent Review Commission (1982), 132 D.L.R. (3d) 516

Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112

Renvoi sur l’adoption, [1938] R.C.S. 398

Renvoi: Family Relations Act (C.-B.), [1982] 1 R.C.S. 62

Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works Ltd., [1949] A.C. 134

Toronto Corporation v. York Corporation, [1938] A.C. 415

Ville de Mississauga c. Municipalité régionale de Peel, [1979] 2 R.C.S. 244

Dupont c. Inglis, [1958] R.C.S. 535

Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle-Écosse), [1977] 1 R.C.S. 112

Massey-Ferguson Industries Ltd. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1981] 2 R.C.S. 413

Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681

Vachon c. Procureur général du Québec, [1979] 1 R.C.S. 555.

Proposition de citation de la décision: Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364 (3 novembre 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-11-03;.1983..2.r.c.s..364 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award