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11/10/1984 | CANADA | N°[1984]_2_R.C.S._280

Canada | Ken Gordon Excavating c. Edstan Construction, [1984] 2 R.C.S. 280 (11 octobre 1984)


Cour suprême du Canada

Ken Gordon Excavating c. Edstan Construction, [1984] 2 R.C.S. 280

Date: 1984-10-11

Ken Gordon Excavating Limited Appelante;

et

Edstan Construction Limited, Société d’hypothèques de l’Ontario et Société de logement de l’Ontario Intimées;

et entre

Société de logement de l’Ontario Appelante;

et

Ken Gordon Excavating Limited, Société d’hypothèques de l’Ontario et Edstan Construction Limited Intimées.

Nos du greffe: 17143 et 17132.

1984: 16 et 17 mai; 1984: 11 octobre.
>Présents: Les juges Ritchie, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un ...

Cour suprême du Canada

Ken Gordon Excavating c. Edstan Construction, [1984] 2 R.C.S. 280

Date: 1984-10-11

Ken Gordon Excavating Limited Appelante;

et

Edstan Construction Limited, Société d’hypothèques de l’Ontario et Société de logement de l’Ontario Intimées;

et entre

Société de logement de l’Ontario Appelante;

et

Ken Gordon Excavating Limited, Société d’hypothèques de l’Ontario et Edstan Construction Limited Intimées.

Nos du greffe: 17143 et 17132.

1984: 16 et 17 mai; 1984: 11 octobre.

Présents: Les juges Ritchie, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1982), 133 D.L.R. (3d) 114, 36 O.R. (2d) 130, accueillant un appel interjeté par Ken Gordon Excavating Limited (en son propre nom) et rejetant un appel interjeté par Ken Gordon Excavating Limited (en sa qualité de représentante) contre un jugement de la Cour divisionnaire, qui avait modifié une décision du juge Doyle. Pourvoi accueilli.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1982), 133 D.L.R. (3d) 114, 36 O.R. (2d) 130, rejetant un appel interjeté par la Société de logement de l’Ontario contre un jugement de la Cour divisionnaire, qui avait modifié une décision du juge Doyle. Pourvoi rejeté.

Paul Leamen et Renée-Marie Barrette, pour Ken Gordon Excavating Limited (en sa qualité de représentante).

Tom Marshall, c.r., et Leith Hunter, pour la Société de logement de l’Ontario.

John Tavel, c.r., et Robert Steinberg, pour la Société d’hypothèques de l’Ontario.

Peter J. Bishop, pour Ken Gordon Excavating Limited (en son propre nom).

[Page 284]

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE ESTEY — Ce pourvoi porte sur la validité d’un ensemble de revendications de privilège que des fournisseurs ont déposées à l’égard d’un projet mis en oeuvre par la Société de logement de l’Ontario, une société d’État (ci-après appelée «SLO»), de concert avec un constructeur maintenant failli et la Société d’hypothèques de l’Ontario, une autre société d’État (ci-après appelée «SHO»). Les faits sont assez complexes et, même si en définitive ils ne sont pas déterminants sur le plan des questions de droit, ils sont essentiels pour comprendre le problème juridique en présence et dégager des solutions. Le constructeur failli, Edstan Construction Limited (ci-après appelée «Edstan»), ne participe pas à ces procédures, sauf que le jugement personnel de 136 319,10 $ rendu contre lui n’a pas été porté en appel et demeure exécutoire.

Les revendications de privilège se divisent en deux catégories:

a) Deux créancières privilégiées, S. Henry & Sons Limited et Ken Gordon Excavating Limited, ont signifié des avis aux deux sociétés d’État, SLO et SHO, en plus de déposer leurs revendications de privilège au bureau d’enregistrement de la manière habituelle prescrite par The Mechanics’ Lien Act, infra. Le montant total de ces revendications s’élève à 54 900,01 $.

b) Les dix autres créanciers privilégiés ont enregistré leurs privilèges grevant les biens-fonds d’Edstan de la façon habituelle conformément à The Mechanics’ Lien Act, R.S.O. 1970, chap. 267, modifiée par 1975 (Ont.), chap. 43 (la «Loi»). Ils n’ont toutefois pas donné l’avis exigé par cette loi dans le cas d’un [TRADUCTION] «ouvrage public» au sens de l’al, 1(1)da) de la Loi. (Les modifications apportées en 1975 sont reprises dans R.S.O. 1980, chap. 261; seule la numérotation a changé. Dans les présents motifs, nous gardons l’ancienne numérotation.) Le montant total de ces dix revendications de privilège s’élève à 81 419,09 $.

Le projet concerne un petit lotissement appartenant à SLO et situé dans la région d’Ottawa. Selon

[Page 285]

le plan contenu dans un contrat en date du 5 mai 1977, Edstan devait acheter les vingt-cinq terrains à SLO en consentant à cette dernière une seconde hypothèque en garantie du prix total de ces biens-fonds. Ce prix était de 670 500 $ et comprenait a) le montant désigné comme le «capital principal», soit la somme de 350 930 $ représentant ce qu’il en a coûté à SLO pour acquérir et aménager le bien-fonds, et b) le montant désigné comme le «capital restant», soit la somme de 319 570 $ représentant la différence entre les coûts mentionnés en a) et la valeur marchande convenue du bien-fonds. Cette hypothèque, qui devait devenir une hypothèque de second rang, n’exigeait aucun paiement d’intérêts de la part d’Edstan. À l’expiration de l’hypothèque, au bout d’environ trente-trois ans, les derniers acquéreurs seraient tenus de payer le «capital restant» en un versement unique sans intérêts. Quant au «capital principal», il devait être remboursé avec intérêts au moyen de versements échelonnés sur la durée de la seconde hypothèque.

De plus, en vertu du contrat intervenu entre Edstan et SLO, Edstan devait consentir à SHO ou à un autre prêteur approuvé par SLO, une première hypothèque dont le montant devrait représenter au moins 95 pour 100 du prix de vente maximal des maisons elles-mêmes, soit 625 740 $, tel que stipulé dans le contrat. Le montant de l’hypothèque devrait donc s’élever à au moins 594 453 $. Ainsi, le prix de vente total de l’ensemble des terrains et des maisons qui y seraient construites était le suivant:

Prix de vente des maisons selon le contrat —

625 740 $

Valeur totale des biens-fonds —

670 500 $

Total

129 6240 $

Le 9 août 1977, SHO a consenti à Edstan un prêt hypothécaire de 931 001,84 $, ce qui dépassait largement le montant minimum spécifié dans le contrat.

Le 22 août 1977, à la suite d’un échange de correspondance entre les parties, le contrat entre SLO et Edstan a été modifié de manière à ce que le «capital principal» soit garanti non plus par la seconde hypothèque qu’Edstan devait consentir à SLO, mais par la première hypothèque dont le

[Page 286]

montant serait augmenté en conséquence. Le contrat ainsi modifié portait:

[TRADUCTION]… un montant égal à celui du capital principal payé pour ce bien-fonds sera déduit des avances consenties au constructeur en vertu de la première hypothèque et versé à SLO…

SLO a peut-être voulu par là «vendre» à SHO son droit hypothécaire de second rang, représenté par le «capital principal», mais le mécanisme juridique adopté n’a pas eu pour effet de réaliser une telle intention. Par conséquent, l’hypothèque de SHO portait maintenant non seulement sur le financement de la construction, mais également sur le «capital principal». Ce «capital principal» s’élevait à 350 930 $ et représentait une partie du coût du bien-fonds qu’Edstan devait payer à SLO. SLO, pour sa part, détenait une seconde hypothèque relativement au solde du coût du bien-fonds payable par Edstan à SLO en vertu du contrat. La modification qu’on a apportée en août au contrat intervenu en mai a eu pour effet d’accélérer le paiement du «capital principal» à SLO qui, désormais, recevrait ce montant en espèces, le paiement devant être effectué soit par Edstan à la conclusion du marché, soit par SHO, sur l’ordre d’Edstan, la débitrice hypothécaire, à même le capital garanti par la première hypothèque consentie à SHO.

L’opération est compliquée davantage par deux engagements hypothécaires contractés par SHO en faveur d’Edstan. Le premier de ces engagements, en date du 9 août 1977, prévoyait une première hypothèque de 931 001,84 $ qui, comme nous l’avons déjà souligné, semble dépasser d’environ 300 000 $ le 95 pour 100 du coût de construction fixé dans le contrat de base comme montant minimal de la première hypothèque. Cet engagement a été modifié le 22 août 1977 de manière à ce que le «capital principal» soit garanti non plus par la seconde hypothèque, mais par la première hypothèque, l’objet déclaré étant de consolider en une seule hypothèque tous les paiements qui portaient intérêts et qui devaient être remboursés progressivement pendant la durée de l’hypothèque.

Suivant le plan établi par l’engagement hypothécaire, SHO devait verser, à l’occasion, des acomptes [TRADUCTION] «autorisés par la Société centrale d’hypothèques et de logement» (la «SCHL»).

[Page 287]

La SCHL n’était partie ni aux engagements hypothécaires, ni au contrat de base, ni à la modification de ce dernier. Fait à souligner, SLO n’était pas elle non plus partie à ces engagements hypothécaires ni aux arrangements qui y étaient prévus. Plus précisément, aucun des documents en cause n’indique la façon dont le versement des acomptes devait être autorisé par la SCHL, ni si le montant de ces acomptes devait comprendre plus que les sommes qui devaient être avancées à la débitrice hypothécaire, Edstan, à mesure que celle‑ci engageait des dépenses pour la construction des maisons. Chose certaine, SHO n’avait rien à voir avec les avances qu’on est «censé» avoir versées à SLO.

Les travaux de construction ont débuté en juin ou vers le début de juillet 1977 et ils se sont poursuivis jusqu’à ce que Edstan abandonne le projet le 7 octobre 1977. D’après les estimations, les travaux étaient à ce moment-là terminés dans une proportion de 25 pour 100 à 30 pour 100.

Le 26 septembre 1977, SLO a cédé les vingt-cinq terrains à Edstan et les première et seconde hypothèques (en réalité des charges) ont été enregistrées au nom de SHO et SLO respectivement, conformément à The Land Titles Act. À la suite de l’abandon du projet, les douze privilèges ou avis de privilège ont été, selon le cas, enregistrés ou signifiés entre le 18 octobre et le 18 novembre 1977.

Passons maintenant à un examen des avances consenties par SHO à Edstan en vertu de la première hypothèque. Le 6 octobre 1977, SHO a avancé à Edstan, en vertu de la première hypothèque, la somme totale de 26 225 $. Cette somme représentait l’ensemble des acomptes autorisés par la SCHL à l’égard de cinq terrains, soit 96 100 $, moins la somme de 69 875 $, c’est-à-dire le montant du capital principal relativement aux cinq terrains en question. Ce montant de 69 875 $ a été payé à SLO par SHO au moyen de ce qui semble être un chèque intraministériel en date du 1er décembre 1977. Toutefois, le montant de ce chèque était de 69 870 $ et la différence de 5 $ demeure inexpliquée. Je reviendrai un peu plus loin sur la question des autres paiements faits par SHO à SLO.

[Page 288]

De même, au moyen d’un autre chèque daté du 1er novembre 1977, SHO a payé à SLO la somme de 281 060 $. Là encore, ce paiement ne semble pas avoir fait l’objet d’une autorisation expresse écrite de la part d’Edstan. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du peu de documentation qui figure dans le dossier que la titulaire de la première hypothèque, savoir SHO, a avancé ces sommes à la suite de déclarations ou de certificats émanant de la SCHL et dont la date se situe entre le 5 août et le 4 octobre. D’après ces certificats, la créancière privilégiée semble s’être exécutée le 6 octobre au moment où le montant net susmentionné a effectivement été versé à Edstan. Aucune autre somme n’a jamais été payée par SHO à Edstan ou à quelqu’un d’autre sur l’ordre d’Edstan. Aucun représentant de la SCHL n’a été cité comme témoin pour déposer sur la question de savoir si elle n’a autorisé que des avances relatives à la construction, tel que mentionné dans l’engagement hypothécaire, ou si elle a autorisé des avances relatives au «coût du bien-fonds» ou les deux.

Il ressort de la preuve que, dès le 26 septembre, la SCHL avait autorisé des avances s’élevant au total à 286 585 $ (y compris les 96 100 $ susmentionnés) à l’égard de vingt et un des vingt-cinq terrains. Contrairement à la pratique suivie dans le cas de l’autorisation des 96 100 $, aucune somme n’a été avancée à Edstan en ce qui concerne ces autorisations. Bien que le chiffre utilisé dans les décisions des cours d’instance inférieure soit de 286 785 $, le total net des avances autorisées par la SCHL est de 286 585 $. Comme aucun montant total des avances autorisées n’a été soumis ni par les témoins ni dans la preuve documentaire, l’origine de ce chiffre est inconnue. Il ressort de la preuve que quelque temps après, SHO a payé à SLO, par chèque daté du 1er novembre 1977, la somme de 281 060 $. (On n’a pas fourni d’explication au sujet de l’écart entre le montant versé et le montant autorisé.) Les deux chèques susmentionnés, qui ont passé d’une créancière hypothécaire à l’autre, ont été tirés par SHO sur la Banque Royale du Canada et portent la mention [TRADUCTION] «non négociable». C’est vraisemblablement ainsi que s’effectuent les transferts intraministériels entre ces deux sociétés qui relèvent du même ministère du gouvernement de la province de l’On-

[Page 289]

tario. En tout état de cause, bien qu’elle eût jusqu’alors dépensé la somme totale d’environ 167 448,02 $ pour les travaux de construction, Edstan n’a reçu aucune de ces sommes ni aucune des sommes dont le paiement a été autorisé par la SCHL.

Le 7 octobre 1977, soit vers l’époque où elle a reçu son avance de 26 225 $, Edstan, à court de fonds, a abandonné le projet. Edstan avait alors déjà signé des promesses de vente avec vingt-cinq acheteurs relativement aux maisons en question.

Il est important de noter qu’entre le 18 octobre et le 18 novembre 1977, chacun des douze privilèges a été enregistré et qu’en plus de cela deux des créanciers privilégiés ont donné des avis. Ce n’est qu’après l’enregistrement et la signification des avis que SHO a versé à SLO les deux sommes s’élevant au total à 350 930 $.

Le 24 octobre 1977, SLO a signifié à Edstan son intention d’exercer les droits que lui conférait leur contrat passé en mai et modifié en août, dans le cas où celle-ci ne reviendrait pas sur sa décision de se retirer du projet dans un délai de dix jours. Il importe de noter que SHO, n’étant pas partie à ce contrat, n’a pas été partie à l’avis donné à Edstan et que SLO ne s’est pas prévalue des recours prévus en cas de manquement aux obligations contractuelles.

Le 2 décembre 1977, SHO, alléguant le non-paiement des sommes exigibles aux termes de la première hypothèque, a engagé des procédures en vertu du pouvoir de vendre conféré par cette hypothèque. La même procédure a été suivie à l’égard de chaque terrain. D’après ce qu’on allègue, le montant impayé semble comprendre une partie inexpliquée du capital garanti par chaque première hypothèque, des intérêts pour une période indéterminée, des [TRADUCTION] «coûts d’hivérisation d’urgence» plus [TRADUCTION] «des frais de 750 $». Chacune des hypothèques contenait une clause exigeant que la débitrice hypothécaire, Edstan, construise une maison sur chaque terrain conformément aux plans approuvés par SHO. La violation de cette condition n’est alléguée expressément dans aucun des différents avis. La légitimité des procédures de vente n’est toutefois pas contes-

[Page 290]

tée en cette Cour. Il faut également se rappeler qu’il n’est question ici des droits qu’Edstan peut faire valoir contre SLO, SHO ou n’importe quelle autre personne que dans la mesure où ces droits peuvent avoir une incidence sur l’exercice des privilèges présentement en cause.

Les problèmes financiers éprouvés par Edstan découlent essentiellement du défaut manifeste des responsables de SHO et de SLO, et peut-être d’Edstan, de préciser dans le contrat la nature des hypothèques et des engagements de prêt, les modalités du paiement par Edstan à SLO du prix d’achat des terrains et le mode de paiement au cours des travaux des acomptes à valoir sur le montant de la première hypothèque consentie à SHO. Selon le plan modifié, Edstan était tenue de payer à SLO le même prix pour les vingt-cinq terrains, savoir 670 500 $; à cette fin, elle devait consentir au vendeur, SLO, une seconde hypothèque en garantie de la somme de 319 570 $ représentant les dépenses en capital engagées par SLO à l’égard de ces terrains. Quant au solde de 350 930 $ jusqu’alors payable par Edstan à SLO en vertu de la seconde hypothèque, il devait maintenant être payé par Edstan en espèces, au moyen des fonds qu’elle recevrait de SHO en vertu de la première hypothèque. Le plan modifié a permis à Edstan et à SHO d’augmenter de cette somme de 350 930 $ la première hypothèque et, selon toute vraisemblance, SHO allait alors, sur l’ordre d’Edstan, avancer ces fonds à SLO et cette dernière porterait ainsi au crédit d’Edstan le paiement du solde du prix d’achat des terrains. La documentation portant sur cet aspect de l’opération est nettement insuffisante et, en fait, si on l’interprète de manière précise et littérale, elle ne touche aucunement le problème. Pour ce qui est des avances à verser à Edstan en vertu de la première hypothèque, la SCHL, qui n’est partie à aucun contrat ni à aucun document, mais a simplement été mentionnée dans les engagements hypothécaires, n’a apparemment pas reçu de directive sur la façon d’autoriser le paiement à SLO, pour le compte d’Edstan, des 350 930 $ à même les fonds prêtés en vertu de l’hypothèque de SHO. Par conséquent, la SCHL a simplement autorisé des avances au fur et à mesure que les travaux de construction étaient exécutés, sans tenir compte du capital principal ni

[Page 291]

du coût du bien-fonds qui étaient maintenant garantis par la première hypothèque et, évidemment, sans tenir compte non plus du bénéficiaire de ces avances. La formule délivrée par la SCHL semble viser à autoriser le versement d’acomptes au fur et à mesure que les travaux sont exécutés. Donc, quand SHO, agissant apparemment en vertu de l’engagement hypothécaire modifié, a ordonné que les paiements soient faits à SLO, elle l’a fait indépendamment de toute autorisation de la SCHL relativement au paiement du capital principal ou du coût du bien-fonds que devait faire Edstan à SLO conformément au plan modifié. Le dossier n’explique pas pourquoi SHO a partagé entre Edstan et SLO un des paiements hypothécaires autorisés par la SCHL, mais non pas l’autre. De plus, le dossier n’explique pas pourquoi la SCHL n’a pas autorisé d’avances au titre des dépenses de construction en sus du [TRADUCTION] «coût du bien-fonds payable à SLO».

Avant de terminer notre examen de ces faits complexes, soulignons que le plan, dans sa forme initiale et dans sa forme modifiée, autorisait Edstan à grever le bien-fonds de deux hypothèques. Le montant total des première et seconde hypothèques est resté inchangé, les modifications ne touchant que la répartition entre les créanciers hypothécaires du capital de 1 264 953 $ qui devait être ainsi garanti. Aux termes du contrat intervenu entre SLO et Edstan, les terrains et les bâtiments seraient vendus aux derniers acquéreurs à un prix total de 1 296 240 $. L’écart de 31 287 $ entre le prix de vente autorisé et la dette hypothécaire représente le montant total de la contribution en espèces des derniers acquéreurs des maisons. Il y a tout lieu de croire que le profit d’Edstan dans cette opération devait consister en cette somme de 31 287 $ plus l’excédent, s’il y a lieu, entre le montant de la première hypothèque et les dépenses engagées par celle-ci pour la construction des maisons. Tel était le plan. Il va toutefois sans dire que les conséquences financières ont été désastreuses pour Edstan en raison des mécanismes adoptés par SLO et SHO en vertu de données insuffisantes, ce qui a eu pour effet d’imposer à Edstan l’obligation d’achever en grande partie les travaux de construction des maisons avant que ses dépenses ne lui soient remboursées. Or, il appert que le crédit

[Page 292]

bancaire et le fonds de roulement d’Edstan ne suffisaient pas à la tâche.

Le 2 décembre, SHO, prétendant agir en vertu de la première hypothèque, a engagé des procédures de vente. Avec l’assentiment de toutes les parties, les 425 000 $ provenant de la vente des terrains et des bâtiments sont détenus par SHO en attendant l’issue de la présente instance.

Les questions en litige, tant principales qu’accessoires, sont nombreuses. La première question qui se pose est de savoir si SLO est un «propriétaire» au sens de la Loi. Ce mot a un sens spécial dans la Loi et sa portée dépasse celle de la notion de propriété en common law. L’alinéa 1(1)d) est ainsi rédigé:

[TRADUCTION] 1. — (1)…

d) «propriétaire» désigne toute personne physique ou morale, y compris une municipalité et une compagnie de chemin de fer, ayant un droit de tenure ou un autre droit sur le bien-fonds sur lequel ou à l’égard duquel des travaux sont exécutés ou des matériaux placés ou fournis, à sa demande et

(i) sur la foi de son crédit,

(ii) en son nom,

(iii) à sa connaissance ou avec son consentement, ou

(iv) à son profit personnel,

des travaux sont exécutés ou des matériaux placés ou fournis et toutes les personnes qui revendiquent comme ses ayants droit, dont les droits ont été acquis après le commencement des travaux ou de la mise en place ou de la fourniture des matériaux qui font l’objet d’une revendication de privilège;

Cette définition et son importance dans le contexte de la Loi fait l’objet d’une étude approfondie dans l’arrêt récent de cette Cour Phoenix Assurance Co. c. Bird Construction Co. Cet arrêt a été rendu le 17 septembre 1984 et est maintenant publié à [1984] 2 R.C.S. 199. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de reprendre l’examen du concept de «propriétaire» que l’on trouve dans la Loi. Les trois cours d’instance inférieure ont conclu que la définition de «propriétaire» que donne la Loi s’applique à la société d’État SLO. Un bref examen des arrangements intervenus entre Edstan et SLO suffit largement pour confirmer le bien-fondé de

[Page 293]

cette conclusion. Le contrat de base conclu par SLO et Edstan:

a) fixe le prix maximal auquel Edstan peut vendre les maisons;

b) prévoit la construction des maisons conformément aux modèles et aux plans et devis approuvés par SLO;

c) exige que la répartition des différents modèles sur les vingt-cinq terrains soit approuvée par l’architecte de SLO;

d) interdit toute modification des plans en l’absence d’une renonciation expresse de la part de SLO;

e) prévoit que, dans le cas d’un transfert à Edstan, SLO se réserve le droit d’inclure dans l’acte translatif de propriété les modalités de son contrat de base avec Edstan;

f) prévoit qu’Edstan ne peut vendre les maisons, une fois achevées, qu’aux acquéreurs approuvés par SLO, et que SLO a le [TRADUCTION] «droit absolu» de déterminer le mode de sélection des acquéreurs et le genre de publicité qui sera faite pour vendre les maisons;

g) prévoit que SLO peut choisir, en tout temps, d’acheter, au prix de vente fixé dans le contrat, la totalité ou une partie des maisons achevées;

h) exige que tous les contrats de vente entre Edstan et les acquéreurs revêtent la forme prescrite par SLO;

i) prévoit qu’en cas de violation d’une clause quelconque du contrat de base, SLO a le droit de se rendre sur les biens-fonds en question afin de remédier à cette violation, les dépenses ainsi entraînées pouvant être mises sur le compte d’Edstan;

j) reconnaît à SLO le droit de se rendre en tout temps sur ces biens-fonds pendant une période de trois ans, afin de vérifier le nivellement, le drainage, etc. et afin d’effectuer les réparations nécessaires.

Il est évident que SLO, en sa qualité de société d’État, peut être un propriétaire au sens de l’al. 1(1)d) de la Loi. SLO a un droit de tenure ou un autre droit sur les biens-fonds en question. De par ses arrangements et ses rapports avec Edstan, SLO

[Page 294]

possède un droit très étendu, au sens le plus large de ce mot. Mais, au delà de tous ces facteurs, il y a la similitude des rapports entre SLO et Edstan avec ceux examinés par cette Cour dans les arrêts Northern Electric Co. c. Compagnie d’assurance-vie Manufacturers, [1977] 2 R.C.S. 762, Hamilton (Municipalité de) c. Cipriani, [1977] 1 R.C.S. 169, et Phoenix, précité. Dans chacun de ces arrêts, la Cour a conclu que l’entrepreneur du projet, peu importe sa situation ou ses droits en fin de compte, était un propriétaire au sens de la Loi. Suivant cette jurisprudence, il ne fait pas de doute que SLO est visée par la définition légale de propriétaire et, à cet égard, je partage respectueusement l’avis exprimé par toutes les cours d’instance inférieure. La conclusion énoncée à ce propos par le juge Rutherford résume le point de vue adopté par toutes ces cours d’instance inférieure:

[TRADUCTION] Compte tenu des faits de la présente espèce, toutefois, j’estime que la Société de logement de l’Ontario ne peut nier que sa participation au projet Borden Farm suffisait pour lui conférer la qualité de «propriétaire». Avant tout comme après le 26 septembre 1977, la Société de logement de l’Ontario avait une connaissance approfondie du projet et a contribué activement à sa réalisation. Elle a donné des directives à Edstan quant aux travaux à exécuter et aux devis auxquels il fallait se conformer. De plus, les travaux ont été exécutés au nom de la Société de logement en ce sens que celle-ci avait pour mandat de fournir des habitations du type qu’Edstan s’est engagée à construire. On peut également affirmer que les travaux ont été exécutés et les matériaux fournis avec le consentement de la Société de logement et à son profit personnel. Pour ces motifs, je souscris entièrement à la conclusion du juge Doyle que la Société de logement de l’Ontario est un apropriétaire» au sens de l’al, 1(1)d) de la Loi.

Passons maintenant à la question de savoir si le projet de construction en cause constitue un «ouvrage public» au sens de l’al, 1(1)da):

[TRADUCTION] 1. — (1)…

da) «ouvrage public» s’entend d’un bien de Sa Majesté et comprend un bien-fonds sur lequel Sa Majesté a un droit de tenure ou un autre droit, ainsi que de tous les ouvrages et biens acquis, construits, étendus, agrandis, réparés, équipés ou améliorés aux frais de Sa Majesté, ou pour l’acquisition, la construction, la réparation, l’équipement, l’extension, l’agrandissement ou l’amélioration desquels il y a

[Page 295]

affectation de deniers publics par la Législature; est toutefois exclu tout ouvrage pour lequel des crédits sont affectés uniquement à titre de subvention.

En 1975, la Loi a été modifiée (1975 (Ont.), chap. 43) de manière à y introduire des droits analogues à des privilèges, qui grèveraient les biens de Sa Majesté. Par suite de ces modifications, les organismes de Sa Majesté relevaient de la Loi et la définition du terme «propriétaire» s’appliquait à Sa Majesté. L’article 5 a été modifié par l’établissement, à son par. (2), d’une procédure comparable à celle suivie en matière de privilège et applicable dans le cas où le fournisseur de matériaux ou de services les a fournis à l’égard d’un bien municipal ou d’un ouvrage public. Plus loin dans la Loi, on a ajouté des dispositions complémentaires exposant en détail la procédure applicable à l’avis qu’il faut donner à l’organisme de sa Majesté ou au ministère gouvernemental au lieu de procéder à l’enregistrement de privilège requis pour tous les autres biens.

Certes, SLO est un mandataire de Sa Majesté et, certes, elle «a un droit de tenure ou un autre droit» sur ces biens-fonds. Les cours d’instance inférieure ont toutes conclu que le projet en question est visé par la définition d’un «ouvrage public» et, avec égards, je suis d’accord. À l’instar du juge Houlden qui a rédigé les motifs de la Cour d’appel, je m’abstiens d’exprimer une opinion sur la question de savoir si, du simple fait qu’un organisme de Sa Majesté soit titulaire d’une hypothèque grevant un bien-fonds, tous les travaux entrepris sur ce bien-fonds deviennent, sans plus, un «ouvrage public» au sens de la Loi. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de statuer sur ce point.

Le savant juge de première instance a conclu que, même si le projet en question était un ouvrage public, les dix créanciers, du fait d’avoir enregistré leurs revendications de privilège, détenaient des privilèges valides qu’ils pouvaient faire valoir contre SLO, et ce, nonobstant leur défaut de se conformer à ce qui était alors l’al. 21a, c’est-à-dire le défaut de donner un avis écrit à SLO. Avec égards, je me dois de me rallier au point de vue de la Cour d’appel qui a infirmé cette conclusion. Les dix créanciers qui ont omis de donner avis ne peuvent revendiquer, en vertu de la Loi, aucun

[Page 296]

privilège grevant le droit de SLO parce que l’enregistrement de la revendication de privilège ne remédie pas à cette omission et parce que, dans ces circonstances, on ne saurait invoquer l’art. 18. Il va sans dire que la notion du privilège de constructeur n’existait pas en common law. Elle doit son existence entièrement au législateur. La loi dont il est question en l’espèce a subi de profondes modifications en 1975 de manière à ce qu’il soit possible de revendiquer et d’exercer un privilège grevant les biens de Sa Majesté et ceux sur lesquels Sa Majesté possède un droit. Les articles insérés dans la Loi à ce moment-là exigent explicitement qu’un avis soit donné à l’organisme de Sa Majesté ou au ministère concerné. Le défaut de donner cet avis écrit constitue une violation de la Loi. Le paragraphe 18(1) est une disposition d’exception:

[TRADUCTION] 18. — (1) L’observation de l’essentiel des articles 16, 17, 21a et 29 est suffisante; aucune revendication de privilège n’est invalidée pour défaut de se conformer à l’une des exigences de ces articles, à moins que le juge ou l’officier qui instruit l’action ne soit d’avis qu’il en résulte un préjudice pour le propriétaire, l’entrepreneur, le sous-traitant, le créancier hypothécaire ou une autre personne, et le cas échéant, seulement dans la mesure du préjudice subi.

(2) Rien dans le présent article ne dispense de l’obligation d’enregistrer la revendication de privilège.

Les dispositions en matière d’avis exigent que la personne qui le donne atteste par voie d’affidavit certains éléments déterminés de cet avis. Ni la revendication de privilège de Henry ni celle de Gordon n’a été assortie de l’affidavit approprié. L’article 18 peut remédier à l’absence d’affidavit, mais non selon moi au défaut de donner avis. Je cite maintenant un extrait tiré des pp. 8 et 9 de l’ouvrage de Macklem et Bristow, Mechanics’ Liens in Canada (4e éd. 1978):

[TRADUCTION]… les tribunaux estiment que la Loi, en raison de son caractère réparateur, doit recevoir une interprétation large. Ce point de vue est appuyé par les dispositions des différentes lois provinciales en matière d’interprétation. Mais un créancier qui néglige de remplir les exigences fondamentales pour la création et la conservation de son privilège le perdra parce que, comme on l’a déjà fait remarquer, la Loi, qui constitue une dérogation à la common law, doit recevoir une interprétation stricte à cet égard. Toutefois, une fois le privilège créé et conservé par voie d’enregistrement, son

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exercice est régi par les dispositions de la Loi qui visent à réaliser cet exercice de la manière la plus sommaire et la plus expéditive possible.

Avec égards, je partage l’avis du juge Houlden de la Cour d’appel, qui a conclu que les dix créanciers privilégiés ne peuvent se fonder sur l’enregistrement pour revendiquer un privilège grevant le droit de SLO, mais que les deux créancières privilégiées qui ont signifié des avis à SLO en plus d’enregistrer leurs privilèges peuvent, malgré l’absence d’un affidavit, exercer leurs privilèges contre SLO. Il se peut que l’exigence de se conformer à l’essentiel de l’al. 21a en donnant avis dans le cas d’un ouvrage public soit onéreuse pour le fournisseur de biens et de services dans un projet de construction. L’exigence imposée par la Loi est toutefois claire et c’est au législateur et non pas aux tribunaux qu’il appartient d’y remédier.

Il s’ensuit donc que les deux créancières qui ont donné un avis conformément à l’al, 21a détiennent et peuvent exercer des privilèges valides grevant le droit de SLO. La question qui se pose ensuite porte donc sur le montant du recouvrement. Le paragraphe 5(2) est ainsi conçu:

[TRADUCTION] 5. — …

(2) Lorsque le bien-fonds ou les lieux sur lesquels ou à l’égard desquels des travaux sont exécutés ou des matériaux placés ou fournis consistent,

a) en une rue ou une route publiques appartenant à une municipalité; ou

b) en un ouvrage public,

le privilège conféré par le paragraphe 1 ne grève en aucun cas ce bien-fonds ou ces lieux, mais constitue plutôt une charge sur les montants retenus en vertu de l’article 11, et les dispositions de la présente loi doivent être interprétées, mutatis mutandis, de manière à s’appliquer sans qu’il soit nécessaire d’enregistrer ou d’exercer un privilège ou une revendication de privilège grevant ce bien-fonds ou ces lieux.

La Cour divisionnaire a limité le montant pouvant être recouvré par ces deux créancières privilégiées au montant total des retenues que SLO aurait dû effectuer en vertu de l’art. 11, savoir 25 117,20 $. La Cour d’appel a accueilli l’appel sur ce point et a accordé à ces deux créancières privilégiées le montant total de leurs revendications de privilège en tenant pour acquis que le par. 5(2), tel qu’il a été

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adopté en 1975, n’oblige pas les personnes qui revendiquent des privilèges grevant un ouvrage public à se fonder uniquement sur les dispositions en matière de retenues des par. 11(7) et 11(9), mais leur permet d’invoquer l’ensemble de l’art. 11, y compris son par. (6). Avec égards, je suis d’accord avec le juge Houlden qui, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a affirmé que, si les montants en question qui restent ou qui auraient dû rester en la possession des propriétaires, dépassent le montant des privilèges revendiqués conformément à l’al. 21a, les créanciers privilégiés ont droit au paiement intégral. D’après les faits en l’espèce, Edstan doit à ces deux créancières privilégiées le plein montant de leurs revendications de privilège et la question de savoir si les sommes réclamées dépassent ou non le montant des retenues prévues aux par. 11(7) et (9) de la Loi n’est pas déterminante. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi de SLO contre l’ordonnance de la Cour d’appel en ce qui concerne les créancières privilégiées Ken Gordon Excavating Limited en son propre nom et S. Henry & Sons Limited.

Voilà qui tranche les questions préliminaires sur lesquelles ont porté en grande partie l’argumentation en cette Cour et les motifs de jugement des cours d’instance inférieure. Reste encore l’aspect le plus délicat de la présente instance, savoir les conséquences juridiques des paiements totaux de 350 930 $ faits par SHO les 1er novembre et 1er décembre 1977 à même les fonds prêtés en vertu de la première hypothèque. Afin de pouvoir déterminer la nature juridique de ces paiements, il faut se reporter aux détails des opérations complexes dont il est question en l’espèce.

La Cour divisionnaire et la Cour d’appel ont conclu toutes les deux que ces paiements ne constituaient pas des «avances» hypothécaires. Le juge Houlden, au nom de la Cour d’appel, a exprimé le point de vue suivant:

[TRADUCTION]… il s’agissait non pas de paiements ou d’avances à valoir sur l’hypothèque de SHO, mais du prix d’achat payé par SHO à SLO, conformément à un contrat intervenu entre elles, en échange du droit de SLO sur l’hypothèque consentie à SHO, ce droit étant égal au montant du capital principal.

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Dans ces conditions, l’art. 14 de The Mechanics’ Lien Act n’a pas eu pour effet de conférer aux dix titulaires de privilège une priorité quelconque sur SLO, de manière à permettre que les fonds en question soient affectés aux dix privilèges qui ont été enregistrés mais qui n’ont pas fait l’objet d’un avis donné conformément à l’al. 21a. C’est là le moyen de défense principal que SLO et SHO opposent aux revendications des dix créanciers privilégiés. La Cour d’appel a fait remarquer et, avec égards j’estime qu’elle l’a fait à juste titre, que les privilèges de ces dix créanciers sont:

[TRADUCTION]… certainement valides à l’égard du droit que possède Edstan Construction Limited sur les biens-fonds et les lieux, mais, parce qu’ils ne sont pas conformes à l’al. 21a de la Loi, ils sont invalides en ce qui concerne les droits de SLO.

L’avocat de SHO, dont on ne peut que louer la franchise, a reconnu que, si les paiements de 350 930 $ faits en novembre et décembre sont des «avances» faites sous forme d’acomptes à un entrepreneur qui est en même temps débiteur hypothécaire, les paiements faits en présence de privilèges validement enregistrés pourraient encore être employés pour désintéresser les créanciers privilégiés qui, envers et contre tous, ont la priorité en vertu de The Mechanics’ Lien Act, sont colloqués en premier dès qu’ils ont satisfait, comme c’est le cas en l’espèce, à l’exigence d’enregistrement posée par la Loi. Dans cette mesure, alors, le produit de la vente des biens-fonds et des lieux en vertu du pouvoir de vendre accordé par la première hypothèque peut servir à l’extinction des dix revendications de privilège.

Il faut donc se demander quelle est la nature juridique des versements de 350 930 $ faits par SHO à SLO? Cette question en soulève une autre, celle de savoir qu’elle était la nature de l’opération triangulaire à laquelle ont participé SLO, Edstan et SHO? Il ne fait pas de doute que, au début du moins, Edstan s’est engagée à acheter à SLO les vingt-cinq terrains à un prix égal aux sommes dépensées pour le bien-fonds par SLO plus son profit (le capital principal plus le capital restant, soit 670 500 $). Il a été convenu que l’acheteur Edstan paierait ce prix en consentant au vendeur SLO, au moment de la conclusion du marché, une seconde hypothèque en garantie du montant de

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670 500 $. Aux termes de son entente avec SLO, Edstan pouvait en outre obtenir sur première hypothèque un prêt dépassant le minimum prévu par le contrat ou, encore, exiger que les acheteurs des maisons versent un montant comptant suffisant pour combler la différence.

Il ne semble faire aucun doute qu’aux termes du contrat initial du 5 mai 1977, il existait entre SLO et Edstan (abstraction faite de l’application de The Mechanics’ Lien Act) un rapport de vendeur et d’acheteur et qu’Edstan, pour réaliser un profit ou rester solvable, devait compter sur la différence variable entre la première hypothèque et le prix maximal des maisons fixé dans le contrat intervenu entre Edstan et SLO et auquel SHO n’était pas partie.

Comme nous l’avons vu, les parties, Edstan et SLO, ont modifié certaines conditions du contrat initial. On continuait toutefois, dans le contrat modifié, de qualifier l’opération de promesse de vente. La clause portant sur la première hypothèque a été modifiée de manière à accorder à Edstan «le droit» d’ajouter à la première hypothèque «le montant du capital principal», c’est-à-dire la somme de 350 930 $ affectée au «coût du bien-fonds» dans la seconde hypothèque consentie à SLO, répartie entre les vingt-cinq terrains, ce qu’Edstan aurait pu faire également en vertu du contrat initial. Le contrat prévoyait ensuite une réduction correspondante du capital garanti par la seconde hypothèque de SLO. Au cas où la première hypothèque serait ainsi augmentée, un montant égal à celui de cette augmentation devrait être payé à SLO à même les avances consenties à Edstan en vertu de la première hypothèque. Il est probable que cette disposition du contrat modificatif devait avoir l’effet d’une directive émanant de la débitrice hypothécaire Edstan à l’intention de sa créancière SHO, quoique cette dernière ne fût pas partie à ce contrat. Suivant le contrat modifié, Edstan était tenue de verser à SLO des intérêts sur le «montant du capital principal» (le coût du bien‑fonds), et ce jusqu’au paiement de ce montant à SLO. Que ce soit voulu ou non, cette clause modificative ne tient pas compte de l’opération initiale et impose à Edstan l’obligation de payer, en vertu de la seconde hypothèque, des intérêts sur ce que le

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bien-fonds a coûté à SLO plutôt que de reporter sur les acheteurs des maisons toute la responsabilité du remboursement de la seconde hypothèque.

Aucune de ces clauses ne modifie le caractère fondamental du contrat qui est une promesse de vente comportant des dispositions connexes applicables au financement de l’achat du bien-fonds par Edstan et, par la suite, à la construction des maisons également par Edstan. Le contrat modificatif paraît défectueux en ce sens qu’il ne contient pas de disposition expresse quant à la date du paiement du capital restant, c’est-à-dire le profit sur le bien‑fonds, qui, par suite de la modification, est le seul montant garanti par la seconde hypothèque consentie à SLO. Toutefois, ne nous intéressent en l’espèce ni cette difficulté éventuelle, ni l’effet désastreux de l’accélération du paiement en espèces du coût du bien‑fonds par Edstan à SLO, ni l’incidence du contrat modifié sur les acheteurs des maisons.

Les seuls autres documents qui se rapportent à la nature de l’opération à laquelle ont participé Edstan et SLO sont l’engagement hypothécaire de SHO en date du 9 août et l’acte daté du 22 août modifiant cet engagement. Ces deux documents ont été signés par Edstan et SHO; SLO n’a pas été partie à ces arrangements. Par conséquent, ces documents ne peuvent en soi avoir pour effet de modifier la nature juridique de l’opération à laquelle ont participé Edstan et SLO. L’engagement hypothécaire initial, intervenu trois mois après le contrat entre SLO et Edstan portait sur un montant de 931 001,84 $. On dit que ce montant comprend le capital principal de 350 930 $ qu’Edstan devait payer à SLO pour l’achat des vingt-cinq terrains. La preuve est vague sur ce point, mais 95 pour cent du prix de vente autorisé des maisons représente la somme de 594 453 $ qui, ajoutée aux 350 930 $ susmentionnés, donne à peu près le montant de l’engagement hypothécaire de SHO. Aux termes de cet engagement, les intérêts de l’hypothèque devaient être déduits des avances hypothécaires jusqu’au 1er avril 1978, date où devait commencer l’amortissement par versements mensuels mixtes. Dans une lettre en date du 22 août 1977, l’engagement a été modifié par l’adjonction des trois alinéas suivants:

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[TRADUCTION] AU moment du transfert du titre de la Société de logement de l’Ontario à la débitrice hypothécaire, une somme égale au «montant du capital principal» fixé dans la promesse de vente avec ladite société sera réputée avoir été avancée à celle-ci.

Cette somme constituera pour la Société de logement de l’Ontario un droit de propriété sur la garantie hypothécaire, comme si elle avait consenti à prêter cette somme sur hypothèque pour le paiement du prix d’achat, et la somme en question sera assujettie aux dispositions relatives aux intérêts contenues dans le contrat intervenu avec ladite Société de logement de l’Ontario.

Lorsque cela se concrétisera ou lorsque la Société centrale d’hypothèques et de logement autorisera une avance relative au biens-fonds, selon la première de ces éventualités, la Société d’hypothèques de l’Ontario se portera acquéreur de la part de l’hypothèque appartenant à la Société de logement de l’Ontario et des frais et intérêts sur celle-ci seront imputés par la Société d’hypothèques de l’Ontario tout comme si elle avait consenti une avance hypothécaire à cette date.

Plusieurs observations s’imposent concernant cette modification de l’engagement. SLO, rappelons le, n’y était pas partie. Suivant le premier alinéa, une avance est réputée avoir été consentie à SLO, vraisemblablement à même les premiers versements du prêt hypothécaire. Cela semble coïncider avec l’alinéa 5a) du contrat modifié susmentionné intervenu entre SLO et Edstan, qui prévoit qu’un montant égal à celui du capital principal sera [TRADUCTION] «déduit des avances consenties au constructeur en vertu de la première hypothèque et versé à SLO». Toutefois, l’engagement hypothécaire va apparemment plus loin; en effet, des fonds sont réputés avoir été avancés sans pour autant qu’il y ait eu vraiment «avance au constructeur». Compte tenu de ce que SLO n’est pas partie à l’engagement, cette disposition est d’une obscurité assez remarquable. Le deuxième alinéa n’est appuyé dans le dossier par aucune cession d’un droit hypothécaire que, il va sans dire, SLO ne détenait pas sur le bien‑fonds au moment de la modification du 22 août et, en fait, SLO n’a jamais détenu un droit hypothécaire relativement au capital principal puisque la seconde hypothèque qu’on lui avait consentie ne portait pas sur ce montant. Il s’agit là d’un fondement des plus fragiles, voire tout à fait incompréhensible, à l’appui d’un argument selon lequel les avances hypothécai-

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res n’ont pas été consenties, du moins nominalement, à la débitrice hypothécaire Edstan à même les sommes qui devaient être garanties par la première hypothèque de SHO. Le contrat intervenu entre SLO et Edstan n’en est pas moins un contrat entre vendeur et acheteur et Edstan demeure tenue par contrat de payer le bien-fonds, en partie au moyen d’une hypothèque accordée au vendeur et en partie en espèces provenant maintenant de la première hypothèque de SHO. Dans le texte anglais du troisième alinéa figure l’expression «the commencement of that interest»; cette expression est ambiguë puisqu’elle peut se rapporter soit à la mention, qui précède immédiatement, des intérêts payables à SLO, soit au droit que SHO doit acquérir de SLO et dont il est question à l’alinéa précédent. Le membre de phrase qui suit cette expression augmente la confusion en ce sens que l’achat subséquent est conditionné à l’obtention d’une «autorisation par la SCHL d’une avance relative au bien‑fonds». L’expression «avance relative au bien-fonds» ne figure nulle part ailleurs et, à plus forte raison, elle n’est pas définie; de plus, l’engagement hypothécaire initial ne mentionne aucune autorisation émanant de la SCHL, sauf dans les cas des [TRADUCTION] «acomptes versés à l’occasion». Si ces trois alinéas pris avec l’alinéa 5a) susmentionné du contrat modificatif visent à créer le concept nouveau de la cession d’un droit hypothécaire de SLO à échoir et qui n’a jamais vu le jour, ils échouent complètement. Le troisième alinéa prévoit que SHO achètera la part de l’hypothèque appartenant à SLO et que SHO imputera des intérêts tout comme si elle avait consenti une avance hypothécaire à «cette date». Vraisemblablement, les mots «cette date» se rapportent à l’expression ambiguë susmentionnée que l’on trouve au début de ce troisième alinéa, c’est-à-dire, soit à la date où SHO acquiert le droit, quel qu’il soit, cédé par SLO, soit à la date d’une autorisation par la SCHL d’une «avance relative au bien-fonds».

Dans tout ce fatras de documents, il ne faut pas oublier qu’Edstan est tenue par contrat d’acheter les vingt-cinq terrains à SLO moyennant le paiement à cette dernière d’une somme composée de son coût en capital et de son profit en capital. Aucun document signé par SLO et Edstan n’annule cette obligation. Aux termes du contrat, SLO

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a le droit de recevoir, en paiement partiel du prix d’achat, une hypothèque consentie par Edstan et le solde en argent comptant, et Edstan a le droit de réunir cet argent comptant en augmentant le montant de la première hypothèque accordée à SHO. Voilà les seuls mécanismes prévus dans les documents complexes portant sur l’opération triangulaire à laquelle ont participé SHO, SLO et Edstan. Quelque temps après, soit le 15 septembre 1977, SHO et SLO ont conclu un accord qui reprend les termes du contrat intervenu entre SLO et Edstan et les engagements hypothécaires de SHO. À l’alinéa 2, SHO s’engage à faire tenir [TRADUCTION] «au constructeur la lettre d’engagement ci-jointe»; cette lettre ne figure toutefois pas dans le dossier. SHO promet ensuite:

[TRADUCTION]… en sa qualité de mandataire de la Société de logement de l’Ontario, de garantir et de protéger, au moyen de la première hypothèque et des garanties nécessaires dont elle est assortie, le droit de ladite société sur le capital principal du prix de vente des terrains, ainsi que ses propres droits.

Je ne puis interpréter ce paragraphe de manière à constituer ou à reconstituer une opération liant Edstan, qui n’y est pas partie, et qui la privera d’une façon quelconque de son droit de recevoir de sa créancière hypothécaire, en vertu de la première hypothèque, les fonds destinés à l’acquittement de l’obligation qu’elle a envers le vendeur SLO en vertu du contrat de base. Il n’y a rien d’autre dans le dossier qui pourrait constituer une directive donnée par Edstan à SHO de verser à SLO les avances consenties en vertu de la première hypothèque. L’alinéa 3 de cet accord pose une autre énigme qui, semble-t-il heureusement, n’a rien à voir avec les problèmes soulevés dans le présent pourvoi. Cet alinéa porte notamment que [TRADUCTION] «la Société de logement de l’Ontario n’imputera au constructeur des intérêts sur le prix de vente du bien-fonds qu’à partir de la date fixée dans …» le contrat de base modifié. Il va sans dire qu’à la date de cet accord, savoir le 15 septembre, SLO n’avait pas d’hypothèque et, évidemment, elle n’en avait non plus au moment de la signature du contrat de base le 5 mai ni au moment de sa modification le 22 août. On devrait peut-être mentionner SHO et non pas SLO.

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L’alinéa suivant de l’accord est ainsi rédigé:

[TRADUCTION] La Société d’hypothèques de l’Ontario se portera acquéreur du droit que possède la Société de logement de l’Ontario sur les parties de l’hypothèque à l’égard desquelles des intérêts commencent à courir conformément à la clause 3 précitée, et ce, aux dates où ces intérêts commencent à courir.

Il s’agit là tout au plus d’une tentative mal formulée d’établir, peut-être, les modalités d’une cession future d’un droit hypothécaire de SLO, dès que ce droit prendra naissance. Malheureusement pour les rédacteurs de cet alinéa, la modification apportée au contrat le 22 septembre, soit trois semaines avant la signature de cet accord, traite différemment du droit hypothécaire, actuel ou futur, que possède SLO relativement au capital principal. Que le contrat de base soit interprété par rapport à la version originale de la première hypothèque ou par rapport à la seconde version qui a entraîné la réduction de la seconde hypothèque, la situation d’Edstan demeure essentiellement la même.

Le paragraphe 14(1) de la Loi prévoit notamment:

[TRADUCTION] 14. — …

(1) Le privilège a priorité sur tous… versements ou avances de fonds à valoir sur un montant payable en vertu… d’une hypothèque, après qu’avis écrit du privilège a été donné à la personne effectuant ces versements ou avances…

Si ces versements constituent des avances, alors, comme le reconnaissent toutes les parties en cette Cour, les privilèges enregistrés ont priorité. Il y a très peu de jurisprudence portant sur le sens du mot «avances» employé au par. 14(1). Dans l’arrêt Smith & Sons Ltd. v. May (1923), 54 O.L.R. 21, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que des fonds versés par le créancier hypothécaire, nominalement au débiteur hypothécaire, mais affectés à une autre dette que le débiteur hypothécaire avait contractée envers le créancier hypothécaire, étaient des «avances» hypothécaires aux fins du par. 14(1), qui revêtait, à cette époque, essentiellement la même forme qu’il avait au moment de l’enregistrement des privilèges présentement en cause. Dans l’affaire Smith & Sons, précitée, les créanciers privilégiés n’ont pas obtenu gain de

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cause parce que les privilèges en question n’avaient pas été enregistrés. Toutefois, en concluant que les fonds versés au débiteur hypothécaire pour rembourser une hypothèque antérieure sont des «avances» hypothécaires au sens de la Loi, le juge Middleton souligne, à la p. 23:

[TRADUCTION] Le fait que les fonds ont été versés au créancier hypothécaire pour réduire son hypothèque sur un autre immeuble n’a pas la moindre importance.

Il fait également remarquer que l’honnêteté reconnue des parties (comme c’est sûrement le cas en l’espèce) est également dénuée d’importance.

Dans sa plaidoirie en cette Cour, l’avocat de SHO a invoqué sur ce point l’arrêt de cette Cour, Dorbern Investments Ltd. c. Banque Provinciale du Canada, [1981] 1 R.C.S. 459, qui porte sur la question de la priorité lorsqu’il n’y a eu ni enregistrement de privilège ni avis écrit au moment où les avances de fonds hypothécaires ont été faites. En rejetant la revendication de privilège en raison de l’absence d’avis ou d’enregistrement au moment où les avances ont été consenties, le juge en chef Laskin affirme, à la p. 463:

Le paragraphe 14(1) souligne ce point quand il conclut qu’«à défaut de cet avis écrit ou d’enregistrement d’une revendication de privilège, tous ces versements et avances ont priorité sur tout privilège». Le paragraphe 14(1) n’est également d’aucun secours en l’espèce au créancier privilégié ni au créancier hypothécaire subséquent; le créancier privilégié ne peut transformer cette disposition qui accorde une priorité limitée et conditionnelle sur un créancier hypothécaire subséquent en une priorité libre de toute condition, comme l’avis écrit ou l’enregistrement.

Plus loin, à la p. 468, le Juge en chef conclut:

…suivant mon interprétation le par. 14(1) accorde au créancier privilégié priorité sur les avances postérieures, malgré l’enregistrement de l’hypothèque en vertu de laquelle elles sont faites, pourvu que le créancier privilégié donne l’avis écrit prescrit ou enregistre le privilège.

À part cela, cet arrêt ne nous aide pas à trancher la question qui se pose en l’espèce, savoir la véritable nature juridique des versements faits à SLO par la créancière hypothécaire SHO.

Aux fins de ce pourvoi, du moment que l’opération est qualifiée à juste titre d’avance hypothécaire faite conformément à une directive contrac-

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tuelle de la débitrice hypothécaire, cela règle tous les problèmes de priorité. Autrement dit, si SHO et SLO n’arrivent pas à prouver de façon adéquate que l’opération consiste, du point de vue juridique, en la vente par SLO à SHO d’un droit sur une hypothèque, la question des priorités devient claire. Quelle qu’ait pu être l’intention de la direction de SLO et de SHO et peu importe ce que les rédacteurs des documents ont pu avoir à l’esprit, ces documents sont bien loin de représenter ce qui serait nécessaire pour prouver que l’opération est la vente d’un droit hypothécaire incomplet non enregistré qui, selon les intentions des principaux intéressés, ne devait jamais prendre naissance. La proposition même est entièrement nouvelle et sa consignation par écrit avant l’enregistrement ou même avant la constitution des hypothèques suscite au rédacteur des difficultés énormes.

Selon moi, il ressort simplement de cet arrangement inhabituel et mal défini et du dossier quelque peu confus que les parties ont constitué au procès que les avances de 350 930 $ consenties par SHO les 1er novembre et 1er décembre 1977 étaient des avances hypothécaires ordinaires imputées à la débitrice hypothécaire, Edstan, et versées à SLO sans directive précise de la part d’Edstan. Si c’étaient des avances hypothécaires autorisées par la SCHL, il ne s’agissait pas d’«avances relatives au bien-fonds», quel qu’ait pu être le sens que les parties prêtaient à cette expression. En tout état de cause, SHO aurait dû verser à Edstan les avances de fonds ordinaires pour la construction en sus des 350 930 $, conformément à l’autorisation de la SCHL. Bien entendu, il aurait suffi, pour éviter tout cela, que SHO reçoive une directive expresse d’avancer à SLO la somme de 350 930 $ qui était réputée avoir été avancée dans l’engagement hypothécaire modifié et qu’après elle donne suite aux autorisations d’acomptes données par la SCHL, en versant à Edstan les sommes ainsi autorisées.

En raison de la décision déjà prise relativement aux diverses revendications de privilège, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments concernant la disposition en matière de fiducie contenue au par. 2(3) de la Loi. Il n’est pas nécessaire non plus d’aborder spécifiquement la question de la qualifi-

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cation juridique des fonds reçus par SHO par suite de l’exercice du pouvoir de vendre que lui accordait son hypothèque, ni celle du droit à ces fonds.

En définitive:

a) Les revendications de privilège faites par Ken Gordon Excavating Limited en son propre nom et par S. Henry & Sons Limited sont valides et SLO doit en payer le montant intégral. Par conséquent, le pourvoi interjeté par SLO échoue et l’ordonnance de la Cour d’appel est confirmée. Ces deux créancières privilégiées ont droit à leur dépens en cette Cour.

b) Les dix autres privilèges sont valides à l’égard d’Edstan et leurs titulaires ont priorité sur SLO en ce qui concerne les avances de 350 930 $ versées par SHO. Le juge de première instance a fixé à 136 319,10 $ le montant total des revendications de privilège et ce montant n’est pas contesté. Des revendications de privilège dont le montant total s’élève à 128 083,49 $ ont été déposées avant le 1er novembre 1977; par conséquent, elles peuvent être payées à même les 281 060 $ que SHO a avancés à SLO le 1er novembre 1977. Les autres revendications dont le montant total s’élève à 8 235,61 $ étaient toutes enregistrées dès le 18 novembre et elles peuvent être payées à même l’avance de 69 870 $ du 1er décembre 1977.

c) Les fonds découlant de l’exercice du pouvoir de vendre, reçus et gardés par SHO en attendant l’issue du présent pourvoi, doivent être affectés, dans la mesure nécessaire, au paiement des revendications de privilège des dix créanciers privilégiés.

d) Tous les paiements à effectuer aux douze créanciers privilégiés porteront des intérêts composés conformément à l’alinéa 1h) de l’ordonnance de la Cour divisionnaire.

e) L’appelante Ken Gordon Excavating Limited en son propre nom et S. Henry & Sons Limited ont droit à leurs dépens contre SLO en cette Cour et dans toutes les cours d’instance inférieure.

f) L’appelante Ken Gordon Excavating Limited en sa qualité de représentante a droit à ses

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dépens contre SHO en cette Cour et dans les cours d’instance inférieure,

g) Le pourvoi de SLO est rejeté sans adjudication de dépens en cette Cour.

Le pourvoi de Ken Gordon Excavating Limited est accueilli et le pourvoi de la Société de logement de l’Ontario est rejeté, avec dépens en conséquence dans les deux cas.

Procureurs de Ken Gordon Excavating Limited (en sa qualité de représentante): Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O’Grady, Morin, Ottawa.

Procureur de la Société de logement de l’Ontario: H. Allan Leal, Toronto.

Procureurs de la Société d’hypothèques de l’Ontario: Goldberg, Shinder, Gardner, Kronick & Tavel, Ottawa.

Procureurs de Ken Gordon Excavating Limited (en son propre nom): Wilson, Dubuc, Ryan & Whillans, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi de Ken Gordon Excavating Limited est accueilli et le pourvoi de la Société de logement de l’Ontario est rejeté

Analyses

Privilèges de constructeur - Propriétaire - Ouvrages publics - Société d’État qui vend un bien‑fonds et qui détient une hypothèque - Projet inspiré par cette société - La société d’État est-elle un «propriétaire»? - Le projet est-il un «ouvrage public»?.

Privilèges de constructeur - Validité - Ouvrages publics - Avis - Sa Majesté est censée recevoir avis du privilège - À défaut d’avis, les privilèges sont-ils valides? - Ce défaut peut-il être corrigé?.

Privilèges de constructeur - Priorités - Avances faites en vertu d’une hypothèque - Caractère juridique des avances - Les montants des privilèges doivent-ils être payés à même les fonds avancés? - La somme à payer est-elle limitée au montant de la retenue prévue par la loi? - The Mechanics’ Lien Act, R.S.O. 1970, chap. 267 (maintenant R.S.O. 1980, chap. 261), modifiée par 1975 (Ont.), chap. 43, art. l(l)d),da), 5(2), 11, 14, 18, 21a.

Le pourvoi porte sur la validité d’un ensemble de revendications de privilège que des fournisseurs ont déposées à l’égard d’un petit projet d’habitations entrepris par deux sociétés d’État ontariennes, savoir la Société de logement de l’Ontario (SLO) et la Société d’hypothèques de l’Ontario (SHO), et un entrepreneur en bâtiments, maintenant en faillite, Edstan Construction Limited (Edstan). Il y a deux groupes de revendications de privilège. Deux créancières privilégiées ont déposé leurs revendications de privilège au bureau d’en-

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registrement et, de plus, ont signifié des avis à SLO et à SHO (comme c’est requis dans le cas d’un ouvrage public). Les dix autres créanciers privilégiés se sont contentés de déposer leurs revendications de privilège de la façon habituelle au bureau d’enregistrement. Compte tenu de l’insolvabilité d’Edstan, les privilèges ont été revendiqués contre SLO en sa qualité de propriétaire qui ne fait pas office d’entrepreneur.

Edstan a acheté à SLO 25 terrains; ces terrains étaient grevés d’une seconde hypothèque détenue par SLO, dont le montant se composait du «capital principal» (le capital investi) et du «capital restant» (le profit en capital). Les coûts de construction devaient être payés au moyen d’un prêt sur première hypothèque consenti par SHO à Edstan. Par la suite, un contrat est intervenu entre SLO et Edstan, qui a eu pour effet de modifier ces modalités de manière que le «capital principal» soit déduit du montant de la seconde hypothèque pour être affecté à la première hypothèque, augmentant d’autant celle-ci. La Société centrale d’hypothèques et de logement (SCHL) était censée autoriser le versement d’acomptes, mais les contrats ne précisaient pas de quelle manière, pas plus qu’ils n’indiquaient les dépenses auxquelles les acomptes devaient être imputés. Quelque temps après, SHO et SLO ont conclu un accord dans lequel SHO, en sa qualité de mandataire de SLO, s’est engagée à garantir et à protéger le droit de cette dernière sur le «capital principal»; Edstan n’était pas partie à l’accord.

Les travaux ont commencé bien avant l’enregistrement des engagements financiers, mais un manque de fonds a provoqué l’abandon du projet peu après le versement du premier acompte. SHO a d’abord déduit le «capital principal» afférent aux terrains en question et a payé SLO avant de remettre le restant à Edstan. Le second acompte (postérieur à l’abandon du projet) a été versé intégralement à SHO. Le dépôt des douze revendications de privilège et la signification des deux avis ont également fait suite à l’abandon du projet par Edstan. SHO a vendu le bien-fonds en vertu de son pouvoir de vendre et, conformément à un accord intervenu à cet effet, a gardé le produit en attendant l’issue des procédures. Les questions en litige sont de savoir (1) si SLO est un propriétaire au sens de la Loi, (2) si le projet constitue un «ouvrage public» de sorte que Sa Majesté ou un de ses organismes intéressés avait droit à un avis de toute revendication de privilège, (3) si les titulaires d’un privilège valide avaient droit au paiement intégral ou seulement au montant de la retenue prévue par la Loi et (4) quelles sont les conséquences et la nature juridiques des versements effectués par SHO à même les fonds avancés en vertu de la première hypothèque.

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Arrêt: Le pourvoi de Ken Gordon Excavating Limited est accueilli et le pourvoi de la Société de logement de l’Ontario est rejeté.

La Société de logement de l’Ontario est un propriétaire au sens de la définition donnée par l’al. 1(1)d) de la Loi. Le contrat intervenu entre Edstan et SLO et la ressemblance des rapports entre eux avec ceux qui existent dans d’autres affaires où la Cour a jugé opportun d’appliquer la définition légale de «propriétaire» suffisent largement pour confirmer le bien‑fondé d’une conclusion dans ce sens.

Les dix créanciers qui n’ont pas donné d’avis ne peuvent se fonder sur l’enregistrement pour revendiquer un privilège sur le droit de SLO, puisque le projet de construction en cause constitue un «ouvrage public» défini à l’al. 1(1)da). La Loi exige expressément qu’un avis soit donné à l’organisme de Sa Majesté ou au ministère concerné, cet avis étant une exigence fondamentale pour la création et la conservation du privilège. Le défaut d’avis enfreint la Loi sans que les tribunaux puissent y remédier. Toutefois, les deux créancières qui ont donné un avis détiennent des privilèges valides qu’elles peuvent exercer contre SLO, car l’art. 18 remédie à l’absence d’affidavit.

Les deux créancières en question ont droit au plein montant revendiqué et il est sans intérêt que ce montant dépasse ou non celui de la retenue prévue au par. 11(7). Le paragraphe 5(2), tel qu’il a été adopté en 1975, n’oblige pas les personnes qui revendiquent des privilèges grevant un ouvrage public à se fonder uniquement sur les par. 11(7) et (9) relatifs aux retenues, mais leur permet d’invoquer l’ensemble de l’art. 11, y compris son par. (6). Si les montants en question qui restent ou qui auraient dû rester en la possession des propriétaires dépassent le montant des privilèges revendiqués conformément à l’al. 21a, les créanciers privilégiés ont droit au paiement intégral.

Les versements effectués par SHO à SLO étaient des avances hypothècaires faites conformément à une directive contractuelle de la débitrice hypothécaire. Puisqu’il y avait des privilèges validement enregistrés au moment des avances, on pouvait puiser dans ces montants pour désintéresser les créanciers privilégiés. Edstan était obligée d’acheter les terrains à SLO moyennant paiement à celle-ci d’une somme composée de son coût en capital et de son profit en capital. Aucun document signé par SLO et Edstan n’a annulé cette obligation. Aux termes du contrat, SLO pouvait recevoir, en paiement partiel du prix d’achat, une hypothèque consentie par Edstan et le solde en espèces, montant que le contrat autorisait Edstan à réunir à cette fin en augmentant le montant de la première hypothèque accordée à SHO. L’accord

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intervenu entre SHO et SLO ne peut jouer de manière à porter atteinte au droit d’Edstan, qui n’y est pas partie, de recevoir de sa créancière hypothécaire, en vertu de la première hypothèque, les fonds destinés à l’acquittement de son obligation envers la venderesse SLO conformément au contrat de base. Les documents en cause sont bien loin de représenter ce qui serait nécessaire pour prouver que l’opération est la vente d’un droit hypothécaire incomplet non enregistré qui, selon les intentions des principaux intéressés, ne devait jamais prendre naissance.


Parties
Demandeurs : Ken Gordon Excavating
Défendeurs : Edstan Construction

Références :

Jurisprudence: Phoenix Assurance Co. c. Bird Construction Co., [1984] 2 R.C.S. 199

Northern Electric Co. c. La compagnie d’assurance-vie Manufacturers, [1977] 2 R.C.S. 762

Hamilton (Municipalité de) c. Cipriani, [1977] 1 R.C.S. 169

Smith & Sons Ltd. v. May (1923), 54 O.L.R. 21

Dorbern Investments Ltd. c. La Banque Provinciale du Canada, [1981] 1 R.C.S 459.
Doctrine: Macklem and Bristow, Mechanics’ Liens in Canada (4e éd. 1978).

Proposition de citation de la décision: Ken Gordon Excavating c. Edstan Construction, [1984] 2 R.C.S. 280 (11 octobre 1984)


Origine de la décision
Date de la décision : 11/10/1984
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1984] 2 R.C.S. 280 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-10-11;.1984..2.r.c.s..280 ?
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