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14/03/1985 | CANADA | N°[1985]_1_R.C.S._87

Canada | King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87 (14 mars 1985)


King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87

Karen King Appelante;

et

George Low et Barbara Jean Low Intimés.

No du greffe: 17759.

1984: 23 mai; 1985: 14 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Ritchie*, Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

*Le juge Ritchie n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel des territoires du nord‑ouest

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel des territoires du Nord‑Ouest, sub nom. A. v. B., [1983] N.W.T.R. 1, 148 D.L.R. (3d) 247, 45 A.R. 88, qui a confirmé un jugement de

la Cour suprême, sub nom. K.K. v. G.L., [1983] N.W.T.R. 97, qui avait rejeté la demande de l'appelante en vu...

King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87

Karen King Appelante;

et

George Low et Barbara Jean Low Intimés.

No du greffe: 17759.

1984: 23 mai; 1985: 14 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Ritchie*, Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

*Le juge Ritchie n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel des territoires du nord‑ouest

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel des territoires du Nord‑Ouest, sub nom. A. v. B., [1983] N.W.T.R. 1, 148 D.L.R. (3d) 247, 45 A.R. 88, qui a confirmé un jugement de la Cour suprême, sub nom. K.K. v. G.L., [1983] N.W.T.R. 97, qui avait rejeté la demande de l'appelante en vue d'obtenir la garde de son enfant. Pourvoi rejeté.

James R. Scott et Teresa Bereznicki‑Korol, pour l'appelante.

B. A. Crane, c.r., pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge McIntyre—Le présent pourvoi porte sur la contestation de la garde d'un enfant né hors des liens du mariage, par la mère appelante et les intimés, à qui la mère a confié son enfant pour adoption quelques jours après la naissance de ce dernier. En première instance, la Cour suprême des territoires du Nord‑Ouest et, en appel, la Cour d'appel des territoires du Nord‑Ouest se sont prononcées en faveur des parents adoptifs. Cette Cour a autorisé le pourvoi de la mère le 27 septembre 1983.

2. Jusqu'à récemment, la mère a habité les territoires du Nord‑Ouest. Elle a actuellement environ 27 ans. Elle s'y est installée avec sa famille, à l'âge de 16 ans, et y est demeurée lorsque sa famille a déménagé en Ontario. Après avoir terminé l'école secondaire, elle a reçu une formation complète d'opérateur de machinerie lourde et n'a apparemment pas eu de difficulté à obtenir de l'emploi dans ce domaine. Elle a aussi travaillé à l'occasion comme monitrice d'enfants dans un foyer d'accueil à Inuvik et s'est occupée activement de garde d'enfants et de surveillance de programmes de loisirs pour les jeunes.

3. Dès que l'appelante est devenue enceinte, le père de l'enfant a abandonné son emploi et quitté les territoires du Nord‑Ouest. Il n'a manifesté aucun intérêt pour l'enfant et il n'y a pas de possibilité de réconciliation quelconque ni de possibilité qu'il participe d'une façon ou d'une autre. En conséquence, la mère a été laissée seule pour faire face à la situation. Elle craignait la désapprobation de ses parents. Elle avait eu dans le passé des difficultés qui lui ont fait craindre d'être ostracisée par sa famille. Elle a donc décidé de leur cacher sa grossesse et de donner l'enfant en adoption à sa naissance.

4. Elle voulait placer l'enfant dans un bon foyer et en même temps se réserver au moins la possibilité de le voir à l'occasion quand il grandirait. Elle a opté pour une adoption privée. Elle a envisagé plusieurs couples possibles mais a finalement arrêté son choix sur les intimés comme les plus aptes. Les intimés étaient amis avec la mère, qui était "presque devenue un membre" de la famille de l'intimée. L'appelante était convaincue que les intimés constitueraient un excellent foyer pour l'enfant. Elle savait que l'intimée désirait avoir un enfant et croyait qu'elle ne le pouvait pas. Toutes les parties reconnaissent, et les cours d'instance inférieure ont conclu, que son choix avait été judicieux. L'enfant a eu un bon foyer dans un milieu stable.

5. L'enfant, John Michael, est né à Yellowknife le 4 avril 1982. Les intimés, qui habitent à Hay River, sont arrivés à Yellowknife le lendemain. Pendant que la mère et l'enfant étaient encore à l'hôpital, les intimés leur ont rendu visite régulièrement. L'intimée a pris part aux soins du bébé et elle et son mari semblaient avoir hâte d'avoir l'enfant, mais voulaient aussi être certains que la mère consentait à le leur confier. L'appelante a quitté l'hôpital le 9 avril 1982. Le même jour, les intimés ont amené l'enfant, avec le consentement de la mère, qui reconnaît avoir donné ce consentement librement et en connaissance de cause. Les intimés ont quitté Yellowknife pour retourner à Hay River et l'enfant habite avec eux depuis.

6. La naissance de l'enfant a réveillé chez la mère une poussée d'amour maternel et d'affection beaucoup plus intense que ce à quoi elle s'attendait. Elle a presque immédiatement changé d'avis à propos de l'adoption. Elle n'a plus voulu abandonner l'enfant, mais elle s'était entendue avec les intimés et des amis lui ont dit que, à long terme, c'était pour elle la meilleure solution. Elle est retournée chez elle à Inuvik et le 19 avril 1982, quinze jours après la naissance de l'enfant, elle a signé la formule de consentement à l'adoption comme l'exige l'Ordonnance sur la protection de l'enfance, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. C‑3, art. 84 et 85.

7. Plutôt que de finir par accepter la perte de son enfant, la mère a souffert de dépression. Elle avait très envie de ravoir son enfant. Elle est allée dans sa famille, en Ontario, au cours du printemps 1982, mais s'est vue dans l'impossibilité d'en parler. Elle est retournée dans les territoires du Nord‑Ouest et a informé les intimés le 23 juin 1982 qu'elle voulait reprendre son enfant. Elle avait aussi parlé à sa mère et découvert que, contrairement à ce qu'elle croyait, sa mère était prête à l'aider et était désireuse de voir l'enfant et de le traiter comme son petit‑fils. Les intimés ont refusé de rendre l'enfant et, à la suite de ce refus, sur l'avis de conseillers juridiques, l'appelante a répudié son consentement à l'adoption et entrepris la présente action. L'adoption n'a pas été complétée.

8. Les intimés se sont mariés le 14 mai 1981. L'intimé avait déjà été marié et était divorcé. Lui et sa première épouse avaient adopté un enfant, dont les intimés ont présentement la garde. Au moment des procédures en première instance, l'intimée était enceinte, bien qu'on ait d'abord cru que cela lui était impossible. À l'heure actuelle, John Michael vit dans un foyer avec deux autres enfants et ses parents adoptifs. Le père de John Michael est d'origine indienne tout comme l'enfant adopté au cours du précédent mariage de l'intimé. La mère adoptive est aussi partiellement d'origine indienne.

9. En première instance, [1983] N.W.T.R. 97, le juge de Weerdt a donné gain de cause aux intimés. Il a considéré les dispositions législatives applicables à l'espèce, les par. 28(1), 35(2) et l'art. 37 de l'Ordonnance sur les relations familiales, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. D‑9, dont le texte suit:

28. (1) Sauf décision contraire de la Cour, le père et la mère d'un mineur en sont conjointement les tuteurs; la mère d'un enfant illégitime en est la seule tutrice.

35. (1) ...

(2) Lorsque le père, la mère ou une autre personne responsable demande qu'une ordonnance portant présentation ou tutelle d'un mineur soit rendue et que la Cour estime que le père, la mère ou cette autre personne responsable

a) a abandonné ou délaissé l'enfant, ou

b) s'est conduit d'une façon telle que la Cour serait fondée à refuser de sanctionner son droit de garde,

la Cour peut, à sa discrétion, refuser de rendre l'ordonnance demandée.

37. Lorsque le père, la mère ou une autre personne responsable

a) a abandonné ou délaissé le mineur, ou

b) a permis que le mineur soit élevé par une autre personne, une école ou une institution, aux frais de celles‑ci, pour une période de temps et dans des circonstances permettant à la Cour de constater que le père, la mère ou l'autre personne responsable a négligé ses devoirs de parent,

la Cour ne doit pas ordonner que le mineur soit rendu au père, à la mère ou à l'autre personne responsable à moins d'être convaincue qu'une telle ordonnance répond au bien‑être du mineur.

Il a conclu que, puisque l'appelante était la seule tutrice de l'enfant conformément au par. 28(1), sa demande dépendait du par. 35(2) et de l'art. 37. Il n'a pas conclu que la mère avait abandonné ou délaissé l'enfant ou qu'elle s'était conduite de manière à justifier la Cour de refuser de sanctionner son droit de garde. Il a donc estimé que l'art. 35 ne s'appliquait pas. Il a cependant conclu que l'al. 37b) s'appliquait à la demande. Il a conclu que la décision de la mère de confier l'enfant à des parents adoptifs parce qu'elle craignait la réprobation de sa propre famille avait été inspirée par un souci de ses propres intérêts et, qu'en conséquence, elle avait négligé ses devoirs de parent. Concluant que laisser l'enfant avec ses parents adoptifs favoriserait son bien‑être, il était tenu, en vertu de l'art. 37, de refuser la garde de l'enfant à la mère.

10. Il a relaté les faits en détail et conclu que l'une ou l'autre des parties pouvait fournir à l'enfant une éducation saine et satisfaisante. Il a été amené à se prononcer en faveur des parents adoptifs à cause de la preuve des liens affectifs établis entre l'enfant et ceux‑ci. Il a souligné que dès l'âge de cinq jours l'enfant avait été confié à la garde et aux soins des parents adoptifs. La preuve l'a convaincu que l'attachement, c.‑à‑d. la création d'une relation d'amour et de reconnaissance si nécessaire au développement normal d'un enfant, s'était formé et développé à un point tel que retirer l'enfant de son foyer lui causerait un traumatisme qui pourrait entraver son développement et affecter sa santé. Ce processus d'attachement est devenu un facteur de la décision à cause de la décision de la mère de renoncer à l'enfant. Même si cette décision était compréhensible, elle a amené l'attachement de l'enfant aux parents adoptifs. Le juge ne pouvait donc conclure qu'il était dans l'intérêt de l'enfant de le rendre à sa mère.

11. En Cour d'appel (les juges Prowse, Moir et McClung), [1983] N.W.T.R. 1, 148 D.L.R. (3d) 247, 45 A.R. 88, la majorité a été d'avis que la preuve soumise au juge de première instance était suffisante pour étayer ses conclusions et qu'il n'avait pas commis d'erreur dans son analyse du problème. Ils ont rejeté l'appel. Le juge Prowse, dissident, l'aurait accueilli. À son avis, le juge de première instance a accordé trop d'importance à la question de l'attachement. Il n'a pas estimé que cela devrait avoir un effet déterminant sur la garde de l'enfant.

12. Le droit relatif à la garde des enfants et aux droits des parents dans les affaires de garde d'enfant a évolué depuis le début du 19e siècle, alors que l'un des parents, ordinairement le père, avait le droit à la garde de l'enfant mineur à moins d'être déchu à cause de circonstances graves, reliées au bien‑être de l'enfant, qui le rendaient incapable d'en avoir la garde. La législation et la jurisprudence ont modifié cette situation. Le droit a d'abord évolué dans le sens d'une augmentation des droits de la mère, puis d'une diminution graduelle des droits des parents et enfin, dans le sens de l'augmentation consécutive de l'importance de l'intérêt ou du bien‑être de l'enfant comme facteur déterminant de la garde. Ce dernier facteur a pris de plus en plus d'importance avec le temps de sorte qu'on peut maintenant dire que le bien‑être de l'enfant est la considération primordiale lorsque les tribunaux se penchent sur la question.

13. Le juge Dubin, s'exprimant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Kelly, Dubin et Estey) dans l'arrêt Re Moores and Feldstein (1973), 12 R.F.L. 273, fait dans ses motifs un exposé concis de l'évolution du droit sur cette question. Cette affaire découlait de la demande faite par la mère naturelle d'un enfant, qui était mariée mais dont le mari n'était pas le père de l'enfant, pour avoir la garde d'une fillette de quatre ans qu'elle avait abandonnée aux défendeurs quelques jours après sa naissance; les défendeurs en avaient eu la garde depuis cette époque jusqu'à l'introduction de l'action. Le juge de première instance avait rendu jugement en faveur de la mère naturelle, mais le juge Dubin, après analyse de la jurisprudence antérieure (notamment les arrêts qu'on a désormais baptisés "la trilogie", c.‑à‑d.: Re Baby Duffell: Martin v. Duffell, [1950] R.C.S. 737; Hepton v. Maat, [1957] R.C.S. 606; et Re Agar; McNeilly v. Agar, [1958] R.C.S. 52) a accueilli l'appel et confié la garde de l'enfant aux parents adoptifs.

14. Il signale, à la p. 281, l'opinion plus générale et, à son avis, plus éclairée, adoptée par la Chancery Court à laquelle lord Cranworth se réfère dans l'arrêt Hope v. Hope (1854), 43 E.R. 534, aux pp. 540 et 541, quant à l'application de la fonction parens patriae de la Cour.

[TRADUCTION] La compétence de cette Cour, qui est attribuée au détenteur du grand sceau à titre de représentant de Sa Majesté, quant à la garde des enfants tire son origine de ce qu'il est dans l'intérêt de l'état et du souverain que les enfants soient convenablement élevés et instruits; et selon les principes de notre droit, le souverain, à titre de parens patriae, est tenu de s'occuper du soutien et de l'éducation de tous ses sujets (pour autant qu'il a les moyens d'en juger).

Il souligne ensuite que la Court of Chancery qui dispose de pouvoirs plus étendus en matière d'equity, a donné de l'importance au bien‑être de l'enfant pour trancher les questions de garde, en en faisant la considération primordiale à laquelle toutes les autres doivent être subordonnées. Il a souscrit aux paroles du lord juge Lindley dans Re McGrath, [1893] 1 Ch. 143, à la p. 148:

[TRADUCTION] La question primordiale dont la Cour doit se préoccuper est le bien‑être de l'enfant. Cependant le bien‑être de l'enfant ne se mesure pas uniquement en termes d'argent ou de confort matériel. Le terme bien‑être doit s'entendre dans son sens le plus large. Le bien‑être moral et religieux de l'enfant doit compter autant que son bien‑être matériel. On ne peut pas non plus ne pas tenir compte des liens affectifs.

Il fait ensuite remarquer qu'en raison de la réunion des cours de common law et de Chancery, les premières ont dû exercer la compétence des secondes. À cet égard, il s'est appuyé sur les motifs du lord juge FitzGibbon dans l'arrêt Re O’Hara, [1900] 2 I.R. 232, aux pp. 239 et 240. Il fait ensuite remarquer qu'en Ontario, l'art. 3 de The Infants Act, R.S.O. 1970, chap. 222, prévoit qu'en matière de garde et d'éducation des enfants, les règles d'equity ont préséance. Après avoir mentionné les arrêts de la trilogie, il conclut que, dans toutes les affaires de garde, notamment celles qui comportent un litige entre un parent naturel et un étranger, le bien‑être de l'enfant en cause est la considération primordiale à laquelle toutes les autres sont subordonnées.

15. Cet arrêt‑là a été largement cité et a fait l'objet de commentaires abondants, tant favorables que défavorables à ce point de vue. Dans Re Moores and Feldstein, le juge Dubin a distingué les arrêts de la trilogie en soulignant que, dans chaque cas, il semblait que la solution du litige ait été déterminée en fonction du bien‑être de l'enfant. Cette distinction peut se justifier d'après les faits de ces arrêts, au moins dans la mesure où le bien‑être des enfants, comme la cour l'a perçu, coïncidait, dans chaque affaire, avec la règle de common law qui donne la préférence à la mère naturelle en cas de litige avec une personne étrangère; voir, par contre, le commentaire du juge Locke dans l'arrêt Re Agar; McNeilly v. Agar, précité, pp. 55 et 56. Avec égards cependant pour le juge Dubin, après avoir analysé une bonne partie de ce qui a été écrit sur le sujet depuis l'arrêt Re Moores and Feldstein, je suis d'avis que cet arrêt constitue un tournant dans l'analyse des affaires de garde et que la cour s'est alors écartée de la règle de common law, énoncée expressément dans la trilogie, selon laquelle la mère d'un enfant illégitime a droit à sa garde à moins qu'un aspect important relatif au bien‑être de l'enfant ne la rende incapable de l'assumer.

16. L'attitude adoptée par cette Cour jusqu'à une époque récente (voir les arrêts Beson c. Director of Child Welfare (Nfld.), [1982] 2 R.C.S. 716; et Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173, auxquels je reviendrai plus loin) est énoncée dans la trilogie. Dans les affaires de garde d'enfant entre les parents, le bien‑être de l'enfant est devenu la considération primordiale sans préférence de principe en faveur de l'un ou de l'autre parent. Dans les affaires où l'un des parents, habituellement la mère, conteste l'octroi de la garde à des étrangers, c.‑à‑d. qui ne sont ni le père ni la mère, on faisait droit à la demande de la mère à moins que celle‑ci ne soit déclarée incapable d'assumer la garde. C'est là le fondement du droit appliqué dans la trilogie qui a été largement suivi, sauf lorsqu'une disposition législative permettait de s'en écarter. Ces dernières années, la réaction des tribunaux à l'égard de la trilogie n'a pas été constante et ils ont fréquemment préféré une application plus libérale de la compétence parens patriae ou compétence d'equity et se sont écartés de l'application stricte de la règle suivie dans la trilogie.

17. Il y a eu des affaires où, à cause de modifications législatives, on n'a pas suivi la trilogie. L'arrêt Re Wells (1962), 33 D.L.R. (2d) 243 en est un exemple; le juge Wilson, qui a rédigé les motifs au nom de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Bird, Tysoe et Wilson), y invoque une modification apportée en 1957 à la loi d'adoption de la Colombie‑Britannique qui interdit la révocation du consentement à l'adoption à moins qu'il ne soit démontré qu'elle vise l'intérêt de l'enfant. Il dit à la p. 247:

[TRADUCTION] Il m'apparaît qu'en adoptant une disposition législative après la décision de l'arrêt Duffell, la législature de la Colombie‑Britannique a fait exactement ce que le juge Cartwright avait suggéré et elle a changé le fondement même de la révocation: la législature a modifié le droit et placé les parties au litige, c'est‑à‑dire les parents naturels et les parents adoptifs, sur un pied d'égalité lorsque le parent naturel a consenti à l'adoption.

Plus loin, à la p. 249, il conclut:

[TRADUCTION] Dans ces circonstances, ayant tenu compte du seul bien‑être de l'enfant et non des droits de la mère, je crois que le juge de première instance a pris la bonne décision.

Les affaires Re Jenkins (1973), 5 Nfld. & P.E.I.R. 325 (C.S.T.‑N.), aux pp. 332 et 333, et C.A.C. v. F.D.R. and S.J.R. (1977), 21 N.S.R. (2d) 631 (C.A.), aux pp. 649 à 651, sont au même effet.

18. D'autres décisions se sont écartées de l'application stricte de la trilogie parce que le droit a évolué pour s'adapter aux changements d'attitudes et de conditions sociales. La plus importante de ce groupe est évidemment l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Re Moores and Feldstein, précité. Plusieurs décisions s'y sont référées et avec plus ou moins de force l'ont approuvé et suivi: Elias v. Elias (1980), 14 R.F.L. (2d) 228 (B.R. Man.), à la p. 234; Nelson v. Findlay and Findlay (1974), 15 R.F.L. 181 (C.S. Alb.), aux pp. 188 à 191; C.A.C. v. F.D.R. and S.J.R., précité, aux pp. 646 à 650; Power v. Crowe (1982), 52 N.S.R. (2d) 165 (C. de comté), à la p. 174.

19. Toute la jurisprudence n'a cependant pas suivi la tendance en s'écartant de la trilogie. Voir Re Mugford, [1970] 1 O.R. 601 (C.A.), approuvé par cette Cour, [1970] R.C.S. 261; Re Blenus (1979), 35 N.S.R. (2d) 396 (D.P.I.); C. v. K. (1959), 30 W.W.R. 310 (C.S. Sask.), à la p. 317; Gerk v. Ventress (1964), 48 W.W.R. 245 (C.S. Alb.), aux pp. 248 et 249. On peut dire que ces affaires se distinguent des arrêts de la trilogie pour le motif exprimé par le juge Dubin dans l'arrêt Re Moores and Feldstein, c.‑à‑d. que, dans chacune de ces affaires, le bien‑être de l'enfant coïncidait avec la préférence pour le parent mentionnée dans la trilogie. Il serait cependant plus difficile de faire une distinction entre ces arrêts et les arrêts Re Ezekiel (1980), 30 N.B.R. (2d) 343 (B.R.) et Meikle v. Authenac (1970), 3 R.F.L. 84 (D.A.C.S. Alb.) Ces arrêts appliquent le principe de la "préférence pour le parent" énoncé dans la trilogie.

20. Il me semble indiscutable qu'on s'est mis de façon marquée à écarter le recours au principe de la common law de la préférence pour le parent énoncé dans la trilogie. On a trouvé la justification de cette tendance dans la compétence parens patriae en equity de la Cour qui a accordé une place primordiale au concept du bien‑être de l'enfant. Il faut, sur ce point, faire état de deux arrêts récents dans lesquels cette Cour a exercé la compétence parens patriae: Beson c. Director of Child Welfare (Nfld.), précité, et Racine c. Woods, précité.

21. Dans l'affaire Racine, le litige opposait la mère naturelle et les parents adoptifs qui avaient la garde de l'enfant depuis environ trois ans sans le consentement de la mère naturelle. Le litige se limitait à la délivrance de l'ordonnance d'adoption en vertu du par. 103(2) de The Child Welfare Act du Manitoba, 1974 (Man.), chap. 30, alors que les parents adoptifs avaient eu la garde de fait pendant plus de trois ans sans le consentement de la mère. On a soutenu que les parents adoptifs étaient irrecevables à faire valoir un droit en vertu du par. 103(2) à cause de leur omission de remettre l'enfant à sa mère lorsque cette dernière le leur a demandé. Le juge Wilson, au nom de cette Cour, en disposant de ce moyen rapproche nettement cette affaire de celle en l'espèce. Elle dit, à la p. 184:

Avec égards, je ne vois rien d'"inopportun" au fait que les Racine ont procédé par voie d'adoption de fait. Cette procédure est prévue dans la Loi. Je suis en outre d'avis que la question primordiale n'est pas de savoir ce qu'une cour aurait décidé dans le cas d'une demande d'adoption faite en 1978, mais ce qu'elle aurait fait dans le cas d'une demande d'habeas corpus. Si Mme Woods avait fait une demande en ce sens en 1978, elle aurait pu avoir gain de cause. Comme elle ne l'a pas faite, son enfant s'est attachée aux Racine qui sont devenus ses parents psychologiques. Il me semble que lorsque ses droits ont été contestés, Mme Woods avait la responsabilité de les faire valoir, en justice si nécessaire, et de ne pas attendre que son enfant s'attache aux Racine, avec tous les problèmes que la rupture de ce lien était susceptible de causer à l'enfant.

Il aurait été beaucoup plus facile de répondre à la question décisive si la mère naturelle avait abandonné l'enfant. Le juge Wilson, en désaccord avec la conclusion du juge de première instance sur ce point, a considéré que la conclusion d'abandon était injustifiée. Même en l'absence d'une telle conclusion, le juge Wilson a considéré que le facteur décisif était le bien‑être de l'enfant et elle a accordé beaucoup moins de poids aux liens biologiques que ne le font les arrêts de la trilogie rendus il y a trente ans. Elle dit, à la p. 185:

Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que conclure à l'abandon était nécessaire à la décision du juge de première instance. À mon avis, la Loi est claire et le par. 103(2) dispense de l'autorisation parentale dans le cas d'une adoption de fait. Cela ne signifie évidemment pas que le lien de l'enfant avec ses parents naturels n'a rien à voir avec une ordonnance en vertu de cet article. Il a manifestement tout à voir avec la détermination de l'intérêt de l'enfant. Mais la cour doit se soucier du lien parental comme force positive et significative dans la vie de l'enfant, et non dans la vie du parent. Comme on l'a souvent souligné dans les affaires de garde d'enfant, un enfant n'est pas un bien sur lequel les parents ont un droit de propriété; c'est un être humain envers lequel ils ont des obligations sérieuses. Lorsqu'il a donné à la cour le pouvoir de se passer de l'autorisation des parents dans le cas d'une adoption de fait, le législateur a reconnu un aspect de la condition humaine, savoir que notre propre intérêt obscurcit parfois notre perception de ce qui convient le mieux aux personnes dont nous sommes responsables. Un père ou une mère doit avoir un très haut degré d'altruisme et de maturité, à un degré que la plupart d'entre nous ne pouvons probablement pas atteindre, pour reconnaître qu'il vaut mieux pour son enfant qu'il soit élevé par un autre. Dans sa sagesse, le législateur a protégé l'enfant contre cette faiblesse humaine lorsque d'autres personnes ont comblé la brèche et ont fourni à l'enfant pendant une période minimale de trois années consécutives un foyer heureux et stable. De fait, ces personnes ont assumé les obligations des parents naturels et ont pris leur place. Dans les circonstances, il n'est plus nécessaire d'obtenir le consentement des parents naturels.

22. Dans l'affaire Beson, il n'y avait pas de litige entre la mère naturelle et les parents adoptifs, mais plutôt entre deux couples de parents adoptifs avant l'adoption proprement dite. Les faits de l'affaire Beson sont très différents de ceux de l'espèce, mais ils donnent un exemple clair d'application par cette Cour de la compétence parens patriae pour écarter toutes les autres considérations dans les affaires de garde.

23. Les dispositions législatives pertinentes en l'espèce ont déjà été citées. Ce sont les par. 28(1), 35(2) et l'art. 37 de l'Ordonnance sur les relations familiales, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. D‑9. Le juge de première instance et la Cour d'appel les ont analysées et appliquées. En outre, je souligne l'art. 39 qui prévoit que les règles d'equity s'appliqueront dans les questions relatives à la garde d'enfant lorsqu'elles ne sont pas contraires à l'Ordonnance. Dans le débat devant les cours d'instance inférieure, on a peu ou pas mentionné l'application de la compétence parens patriae. Le juge de première instance a appliqué l'al. 37b) et, ayant conclu qu'en remettant l'enfant aux intimés la mère avait négligé ses devoirs de parent, il a tenu compte du bien‑être de l'enfant et décidé qu'il ne serait pas dans l'intérêt de celui‑ci de le rendre à la mère. La Cour d'appel a, à la majorité, confirmé cette décision.

24. Ayant conclu que la mère avait négligé ses devoirs de parent, le juge de première instance ne pouvait ordonner que l'enfant lui soit rendu "à moins d'être convaincu qu'une ordonnance de renvoi de l'enfant répond au bien‑être de l'enfant". Il n'en était pas convaincu, comme il le signale dans sa conclusion formulée comme suit:

[TRADUCTION] Les avantages pour l'enfant de maintenir le lien du sang avec sa mère naturelle sont, à mon avis, bien moindres que ceux qu'il y a à le laisser à la stabilité de son foyer actuel et à maintenir ses liens avec ses parents adoptifs.

25. Il est évident que, dès lors que l'on accepte la conclusion du juge de première instance que la mère a négligé ses devoirs de parent en laissant l'enfant aux intimés, on ne saurait modifier l'ordonnance du juge de première instance. L'article 37 ne permet pas de rendre une ordonnance qui aurait pour effet de retourner l'enfant à sa mère. J'ai de la difficulté à accepter cette conclusion parce qu'il me semble qu'en décidant de se séparer de l'enfant, la mère a bien pris soin de s'assurer que l'enfant serait placé dans un bon foyer, chez des parents adoptifs qui lui prodigueraient de l'amour et agiraient dans l'intérêt de l'enfant. D'autre part, il est indéniable, selon la preuve, que la mère a agi de la sorte à cause de la crainte de la réprobation de ses parents et pour résoudre ses propres problèmes. C'est cette décision, il ne faut pas l'oublier, qui a engendré les problèmes en l'espèce et qui a placé l'enfant dans un foyer où il viendrait à considérer ses parents adoptifs comme ses propres père et mère et dépendrait d'eux de la même façon que des enfants élevés dans un foyer stable et sûr. Je suis cependant d'avis qu'indépendamment de la constatation défavorable à la mère, que je préfère ne pas faire, cette affaire peut être tranchée selon la considération générale du bien‑être de l'enfant.

26. L'article 39 de l'Ordonnance sur les relations familiales prévoit que les règles d'equity doivent s'appliquer aux questions de garde lorsqu'elles ne sont pas incompatibles avec les dispositions de l'Ordonnance. L'application des règles d'equity en l'espèce permettrait à la Cour d'exercer la compétence parens patriae et de considérer que le bien‑être de l'enfant constitue la considération primordiale. Je ne constate aucune incompatibilité à cet égard avec l'Ordonnance. Si l'art. 37 s'appliquait à la présente situation, il exigerait lui‑même que l'on prouve qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant de le rendre à sa mère. Il faut donc appliquer les règles d'equity à cette décision.

27. Cette conclusion est compatible avec la jurisprudence récente de cette Cour et d'autres tribunaux: voir Racine, Beson et Re Moores and Feldstein. Je conclus donc qu'en l'instance, la considération primordiale à laquelle toutes les autres considérations doivent rester subordonnées doit être le bien‑être de l'enfant. Cela ne signifie pas qu'on doit trancher la question de la garde en évaluant la situation matérielle des parties. Cette question ne sera pas déterminée seulement à partir du confort physique et des avantages matériels que peut offrir le foyer de l'une ou de l'autre des parties. Le bien‑être de l'enfant doit être déterminé en tenant compte de ces facteurs et de tous les autres éléments pertinents, dont le bien‑être général de l'enfant sur les plans psychologique, spirituel et émotif. Lorsque la Cour est appelée à trancher des différends entre des parties réclamant la garde d'un enfant, elle doit avoir comme objectif de choisir la solution qui sera la plus à même d'assurer à l'enfant une croissance, une éducation et un développement sains qui l'armeront pour faire face aux problèmes de la vie quand il sera adulte. Les demandes des parents ne doivent pas être écartées à la légère et il faut les examiner avec attention avant d'en arriver à une décision. Cependant, elles doivent être écartées lorsqu'il est évident que le bien‑être de l'enfant l'exige.

28. Après un examen des faits de l'espèce, on doit immédiatement faire remarquer que le juge de première instance a conclu que les parents adoptifs d'une part et la mère de l'autre pouvaient fournir à l'enfant un foyer satisfaisant. Il ne s'agit manifestement pas en l'espèce d'un cas où le choix est facilité par l'incapacité d'une partie ou de l'autre de satisfaire à la norme exigée. J'ai lu le dossier en entier et il est remarquable de constater en l'espèce l'absence totale des récriminations mutuelles habituellement présentes dans de tels cas. Chaque partie a accepté la proposition que l'autre partie peut remplir adéquatement les obligations parentales; toutefois, chacune réclame la garde de l'enfant: la mère en raison de son amour pour l'enfant qu'elle a porté et dont elle a été séparée et les parents adoptifs parce qu'ils en sont venus à considérer l'enfant comme le leur, comme un membre de leur famille auquel ils se sont attachés comme à leurs propres enfants.

29. La mère a reçu une éducation stricte contre laquelle elle semble s'être rebellée. Elle a quitté ses parents en demeurant dans les territoires du Nord‑Ouest lorsque sa famille a déménagé en Ontario, et elle a fait preuve de beaucoup de force de caractère et d'indépendance en se débrouillant toute seule et en acquérant une situation solide dans son milieu. Ses amis et ses connaissances ont une haute opinion d'elle et, bien qu'elle ait donné son enfant librement et volontairement, elle montre maintenant un désir sincère d'en reprendre la garde et de jouer le rôle de mère auprès de son enfant. Elle s'est apparemment mise en ménage de façon stable avec un jeune homme qu'elle a rencontré en mai 1982. Ils ont l'intention de se marier. Ils semblent tous les deux capables d'assumer les responsabilités parentales et de fonder un foyer pour l'enfant. Son futur époux est ingénieur mécanicien. Il gagne bien sa vie, il a fait des économies et il est désireux et impatient d'accueillir l'enfant dans sa famille. Ils prévoient s'installer à Toronto où le jeune homme travaille et ils créeraient là‑bas un foyer dont l'enfant ferait partie si la garde était accordée à la mère.

30. L'intimé a grandi dans une petite ville du Manitoba. Il travaille, du moins à temps partiel, depuis l'âge de onze ans lorsqu'il a commencé à aider son père dans un magasin. L'éducation a toujours constitué une question d'importance dans sa famille, et il a reçu une bonne éducation, ayant obtenu un baccalauréat ès sciences en agriculture. Il travaille actuellement comme biologiste à Hay River (territoires du Nord‑Ouest). Il a déjà été marié, mais il a divorcé en raison des problèmes d'alcoolisme de sa femme. Lui et l'intimée ont la garde du fils adopté au cours de ce mariage, en plus de leur propre enfant et de John Michael. L'intimée a grandi dans la région d'Inuvik; elle est bien adaptée et les gens de son milieu l'estiment. Tout comme John Michael, elle a du sang indien, facteur qui joue en sa faveur car on peut s'attendre à ce qu'elle soit capable de comprendre et de régler les problèmes que l'enfant pourra connaître à cet égard. Les parents adoptifs ont créé un foyer rassurant et stable au sein duquel les enfants, y compris John Michael, se développent bien. Il ressort du témoignage indépendant du travailleur social, auquel nous reviendrons plus loin, que l'enfant semble bien adapté et heureux dans son milieu actuel.

31. Il est évident que c'est ainsi que le juge de première instance a abordé cette question lorsqu'il a déclaré, après avoir fait remarquer que dans les décisions publiées l'accent s'était déplacé vers [TRADUCTION] "l'intérêt de l'enfant" (à la p. 105):

[TRADUCTION] Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas tenir compte des droits ou des désirs de la mère naturelle, ni qu'on doit considérer que les liens du sang qui l'unissent à son enfant sont sans importance. Il faut évidemment accorder une attention particulière et sérieuse à ces éléments, comme je l'ai fait en l'espèce. Je dois tenir compte, comme je crois l'avoir fait, de la dépendance apparente de la mère naturelle envers l'opinion de ses parents quant à la légitimité de l'enfant et, par conséquent, de son acceptation dans le cercle familial de la mère naturelle, et aussi, du rejet de la mère naturelle par son père en raison de l'illégitimité de son enfant. Je dois aussi tenir compte du caractère incertain des espoirs de la mère naturelle de créer un foyer stable et durable avec son fiancé à Toronto, endroit que pour l'instant elle ne connaît pas. Je dois examiner ensemble ces éléments et toutes les autres circonstances, notamment la stabilité comparative des relations entre les parents adoptifs (et leur fils de sept ans) et l'enfant, le besoin pour l'enfant que cette stabilité se poursuive et que l'éducation reçue en bas âge soit cohérente, et l'importance d'éviter, si possible, la perturbation du genre de vie de l'enfant au stade actuel de sa croissance et de son développement.

32. Un bonne partie des témoignages présentés en première instance se rapportait au phénomène de l'attachement, c.‑à‑d. à la création d'un lien entre parent et enfant qui est essentiel au développement de l'enfant et qui a une grande importance, même dans les tout premiers mois de la vie du nouveau‑né. Un travailleur social au service de la santé publique a préparé sur l'ordre du tribunal un rapport détaillé sur les parties et sur le foyer des intimés et, parlant des observations qu'il a faites, s'est dit d'avis que le processus d'attachement était déjà très avancé avant le procès, alors que l'enfant n'était âgé que de quelques mois. Un psychiatre a également témoigné. Il a insisté sur l'importance de l'attachement, a décrit sa nature, et il a invoqué les rapports soumis par le travailleur social et s'est dit d'avis que leur auteur avait correctement expliqué le phénomène et avait observé les réactions de l'enfant qui étaient caractéristiques du processus de développement. Il a aussi déclaré qu'à son avis, il serait dommageable pour l'enfant de rompre le lien ainsi formé et de le placer dans un foyer étranger et éloigné où la mère serait une inconnue pour lui. Ayant entendu les témoignages, le juge de première instance a dit (aux pp. 103 et 104):

[TRADUCTION] Il ressort de la preuve dont j'ai été saisie que l'enfant a déjà établi un lien solide avec ses parents adoptifs qui, par conséquent, ont la même relation avec l'enfant que s'ils étaient ses parents naturels. Cela va plus loin que le fait qu'ils aiment l'enfant et s'en occupent, et qu'ils ont agi ainsi depuis le jour de sa naissance ou presque. Cela touche les racines mêmes de l'expérience que l'enfant possède de son monde depuis ce temps. Il serait extrêmement traumatisant pour l'enfant d'être maintenant arraché à son foyer actuel et renvoyé à une étrangère, même si cette étrangère est sa mère naturelle. Quoique légal, un tel déracinement causerait à l'enfant des dommages psychologiques graves et peut‑être permanents car il détruirait les véritables liens étroits qu'il entretient en ce moment avec les autres humains et diminuerait ses chances de fonctionner comme un être humain sain lorsqu'il vieillira.

La loi accorde des droits aux parents naturels d'un enfant de manière à protéger et encourager le développement de ce très important attachement naturel, dans l'intérêt de l'enfant. La Cour reconnaît l'existence de ces droits à cette fin. Mais lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un tel attachement n'existe pas entre le parent naturel et l'enfant mais s'est plutôt établi entre l'enfant et d'autres figures parentales, la Cour doit inévitablement prendre acte des faits de l'espèce en conséquence. Agir autrement équivaudrait à substituer une règle vaine à la réalité que la loi doit contenir et exprimer.

Comme la preuve le révèle clairement, il ressort des faits de l'espèce que l'enfant a été élevé par les parents adoptifs depuis le jour de sa naissance ou presque. Sa mère a pu le voir et en prendre soin pendant les cinq jours qu'ils ont passés tous les deux à l'hôpital, mais (malgré son appréhension grandissante) c'est par un choix volontaire et planifié qu'elle a placé son enfant. Elle a plus tard signé et remis un consentement écrit, rédigé selon la formule habituelle, permettant l'adoption de son enfant et elle ne nie pas qu'elle l'a fait volontairement et en connaissance de cause. Les parents adoptifs étaient également avec l'enfant pendant les jours qu'il a passés à l'hôpital et ils ont l'enfant avec eux depuis toujours, attendant le jour où la Cour leur accordera l'adoption. Les parents adoptifs ont été le seul soutien de l'enfant pendant les sept mois et demi de sa vie. Ces faits en disent long pour établir la situation des parents adoptifs dans la présente demande, compte tenu des art. 35 et 37 de l'Ordonnance sur les relations familiales, déjà cités.

33. La Cour d'appel, à la majorité, a considéré que la preuve permettait de conclure en faveur des parents adoptifs et a rejeté l'appel interjeté par la mère. À mon avis, ils ont eu raison et je n'interviendrai pas dans leur décision.

34. À mon avis, que j'estime corroboré par la jurisprudence récente de ce pays et du Royaume‑Uni (voir Re Moores and Feldstein, Beson, Racine, et J. v. C., [1970] A.C. 668 (H.L.)), et en particulier lorsque la loi applicable maintient les règles d'equity et en prescrit l'application, la Cour lorsqu'il s'agit de litiges relativement à la garde d'enfant, et notamment de litiges entre un parent naturel et des parents adoptifs, doit considérer que le bien‑être de l'enfant est le facteur primordial et lui donner effet dans sa décision. C'est ce qu'ont fait le juge de première instance et les juges de la Cour d'appel à la majorité. Ils ont pris, à mon avis, la décision qui s'imposait, et je suis d'avis de rejeter l'appel. Les intimés ont droit à leurs dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Scott & Associates, Edmonton.

Procureurs des intimés: Boyd & Tancock, Yellowknife.


Synthèse
Référence neutre : [1985] 1 R.C.S. 87 ?
Date de la décision : 14/03/1985
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Mineurs - Garde - Réclamation par la mère naturelle de la garde de son enfant après l’avoir donné en adoption - Importance primordiale du bien‑être de l’enfant - Compétence parens patriae - Intérêts de l’enfant mieux servis en le laissant avec ses parents adoptifs - Ordonnance sur les relations familiales, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. C‑3, art. 28(1), 35(2), 37, 39.

L'appelante, une mère célibataire qui craignait la désapprobation de ses parents, a donné son fils en adoption quelques jours après sa naissance à un couple qu'elle avait soigneusement choisi. Moins de trois mois plus tard, l'appelante a demandé à ravoir son enfant et, devant le refus des parents adoptifs intimés, elle a répudié son consentement à l'adoption non encore complétée et a demandé d'ordonner que l'enfant lui soit rendu conformément au par. 28(1) de l'Ordonnance sur les relations familiales. Le juge de première instance a rejeté cette demande conformément à l'al. 37b) de l'Ordonnance après avoir conclu que la mère avait "négligé ses devoirs de parent" en remettant l'enfant aux intimés. Il a ensuite pris en considération le bien‑être de l'enfant comme le prescrit cette disposition et il a conclu que, même si les deux parties pouvaient fournir à l'enfant une éducation satisfaisante, il ne serait pas dans l'intérêt de celui‑ci de le rendre à sa mère. Les avantages pour l'enfant de maintenir le lien du sang avec sa mère naturelle sont moindres que ceux qu'il y a à le laisser à la stabilité de son foyer actuel et à maintenir ses liens avec ses parents adoptifs. La Cour d'appel à la majorité a confirmé ce jugement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Cette affaire peut être tranchée selon la considération générale du bien‑être de l'enfant. En fait, lorsque la loi applicable maintient et prescrit l'application des règles d'equity (art. 39 de l'Ordonnance sur les relations familiales), la Cour, en exerçant sa compétence parens patriae dans des litiges portant sur la garde d'un enfant, y compris dans des litiges opposant un parent naturel et des parents adoptifs, doit considérer que le bien‑être de l'enfant est le facteur primordial et lui donner effet dans sa décision. C'est ce qu'ont fait le juge de première instance et la Cour d'appel à la majorité.

Le bien‑être de l'enfant doit être déterminé en fonction de tous les facteurs pertinents, dont le bien‑être général de l'enfant sur les plans psychologique, spirituel et émotif. La Cour doit choisir la solution qui sera la plus à même d'assurer à l'enfant une croissance, une éducation et un développement sains qui l'armeront pour faire face aux problèmes de la vie quand il sera adulte. Les demandes des parents doivent être examinées avec attention, mais doivent être écartées lorsque le bien‑être de l'enfant l'exige.


Parties
Demandeurs : King
Défendeurs : Low

Références :

Jurisprudence
Arrêt suivi: Re Moores and Feldstein (1973), 12 R.F.L. 273
arrêts examinés: Beson c. Director of Child Welfare (Nfld.), [1982] 2 R.C.S. 716
Racine c. Woods, [1983] 2 R.C.S. 173
J. v. C., [1970] A.C. 668
arrêts non suivis: Re Baby Duffell: Martin v. Duffell, [1950] R.C.S. 737
Hepton v. Maat, [1957] R.C.S. 606
Re Agar
McNeilly v. Agar, [1958] R.C.S. 52
Re Ezekiel (1980), 30 N.B.R. (2d) 343
Meikle v. Authenac (1970), 3 R.F.L. 84
arrêts mentionnés: Re Mugford, [1970] 1 O.R. 601, approuvé à [1970] R.C.S. 261
Re Blenus (1979), 35 N.S.R. (2d) 396
C. v. K. (1959), 30 W.W.R. 310
Gerk v. Ventress (1964), 48 W.W.R. 245
Re Wells (1962), 33 D.L.R. (2d) 243
Re Jenkins (1973), 5 Nfld. & P.E.I.R. 325
C.A.C. v. F.D.R. and S.J.R. (1977), 21 N.S.R. (2d) 631
Elias v. Elias (1980), 14 R.F.L. (2d) 228
Nelson v. Findlay and Findlay (1974), 15 R.F.L. 181
Power v. Crowe (1982), 52 N.S.R. (2d) 165
Hope v. Hope (1854), 43 E.R. 534
Re McGrath, [1893] 1 Ch. 143
Re O’Hara, [1900] 2 I.R. 232.
Lois et règlements cités
Ordonnance sur la protection de l’enfance, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. C‑3, art. 84, 85.
Ordonnance sur les relations familiales, O.R.T.N.‑O. 1974, chap. D‑9, art. 28(1), 35(2), 37, 39.

Proposition de citation de la décision: King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87 (14 mars 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-03-14;.1985..1.r.c.s..87 ?
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