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09/05/1985 | CANADA | N°[1985]_1_R.C.S._570

Canada | Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570 (9 mai 1985)


Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570

John Henry Sansregret Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

No du greffe: 18186.

1984: 11 octobre; 1985: 9 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1983), 37 C.R. (3d) 45, 25 Man. R. (2d) 123, 10 C.C.C. (3d) 164, [1984] 1 W.W.R. 720, qui a accueilli un appel interjeté par le ministère public de l'acquittement de l'accusé sur u

ne accusation de viol (1983), 34 C.R. (3d) 162, 22 Man. R. (2d) 115. Pourvoi rejeté.

Richard J. Wolso...

Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570

John Henry Sansregret Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

No du greffe: 18186.

1984: 11 octobre; 1985: 9 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1983), 37 C.R. (3d) 45, 25 Man. R. (2d) 123, 10 C.C.C. (3d) 164, [1984] 1 W.W.R. 720, qui a accueilli un appel interjeté par le ministère public de l'acquittement de l'accusé sur une accusation de viol (1983), 34 C.R. (3d) 162, 22 Man. R. (2d) 115. Pourvoi rejeté.

Richard J. Wolson, pour l'appelant.

David Rampersad, c.r., pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge McIntyre—L'espèce soulève encore une fois la question de l'application du moyen de défense d'erreur de fait dans une affaire de viol. Cette fois, sa pertinence est mise en question relativement à une accusation portée en vertu du sous‑al. 143b)(i) du Code criminel, maintenant abrogé, mais qui était en vigueur au moment où l'affaire est survenue. Compte tenu des changements importants qu'a subi cette partie du droit par suite des modifications adoptées à 1980‑81‑82‑83 (Can.), chap. 125, on pourrait peut‑être penser que la question n'a plus beaucoup d'importance, mais il semble que des causes semblables comportant le recours à des moyens de défense semblables peuvent bien se présenter en vertu des nouvelles dispositions du Code et il sera encore nécessaire d'examiner les principes applicables.

2. L'appelant, un homme d'une vingtaine d'années, et la plaignante, une femme de trente et un ans, ont vécu ensemble chez la plaignante pendant environ une année avant les événements du 15 octobre 1982. Leurs rapports ont été marqués par des disputes et des dissensions accompagnées de violence de la part de l'appelant; celui‑ci parle de giffles et de rudesse, selon elle il s'agit de coups. L'appelant avait quitté la maison pour de courtes périodes, mais en septembre 1982 la plaignante a décidé de mettre fin à leur liaison. Elle a dit à l'appelant de partir, ce qu'il a fait.

3. Le 23 septembre 1982, quelques jours après son départ, l'appelant s'est introduit par effraction dans la maison, vers 4 h 30 du matin. Il était fou de colère contre elle et furieux à cause de son expulsion. Il l'a terrorisée avec un outil semblable à une lime dont il était armé. Elle a eu peur de ce qui pouvait se produire et, pour le calmer, lui a donné quelque espoir de réconciliation puis ils ont eu des rapports sexuels. La plaignante a rapporté cet incident à la police, affirmant qu'elle avait été violée, mais aucune procédure n'a été entreprise. L'agent de probation de l'appelant est intervenu et il y a des éléments de preuve selon lesquels il a demandé à la plaignante de ne pas insister, probablement parce que cela pourrait nuire à la probation de l'appelant.

4. Le 15 octobre 1982, encore une fois vers 4 h 30 du matin, l'appelant s'est introduit par effraction dans la maison de la plaignante par une fenêtre du sous‑sol. Elle était seule et, réveillée par l'effraction, elle s'est emparée du téléphone, qui était dans sa chambre, dans le but d'appeler la police. L'appelant s'est emparé d'un couteau de boucherie dans la cuisine et est entré dans la chambre à coucher. Il était furieux et violent. Il l'a accusée d'avoir un autre ami de coeur. Il a arraché le fil du téléphone de la prise et a jeté l'appareil dans le vivoir. Il l'a menacée de son couteau et lui a ordonné d'enlever sa robe de nuit et de se tenir dans l'entrée de la cuisine, vêtue seulement d'une chemise sur les épaules, de sorte qu'il sache bien où elle était pendant qu'il réparait la fenêtre pour cacher son effraction, au cas où la police viendrait. Il l'a frappée à la bouche avec suffisamment de violence pour faire jaillir du sang et, à trois reprises, il a enfoncé la lame du couteau dans le mur avec beaucoup de force, dont une fois très près d'elle. Il lui a dit que si la police arrivait il lui planterait le couteau dans le corps et a ajouté que s'il l'avait trouvée avec un homme, il les aurait tués tous les deux. À un moment donné, il lui a lié les mains derrière le dos avec un foulard. La plaignante affirme qu'elle a craint pour sa vie et sa santé d'esprit.

5. Vers 5 h 30 du matin, après une heure de ce comportement de la part de l'appelant, elle a essayé de le calmer. Encore une fois, elle a prétendu qu'il y aurait quelque espoir de réconciliation entre eux si l'appelant s'assagissait et se trouvait du travail. Cela a eu l'effet recherché. Il s'est calmé et après quelque conversation, il l'a rejointe au lit et ils ont eu des rapports sexuels. La plaignante a juré qu'elle n'a consenti aux rapports sexuels que dans le seul but de le calmer et d'éviter de subir d'autres actes de violence. C'est quelque chose que, dit‑elle, elle avait appris de l'expérience antérieure qu'elle avait eue avec lui. Dans son témoignage elle a dit:

[TRADUCTION] Je n'ai jamais consenti.

J'étais très effrayée. Tout mon corps tremblait. J'étais sûre de faire une crise de nerfs. Je suis venue très près de perdre la raison. Tout ce que je savais c'est que je devais calmer cet homme, sinon il me tuerait.

6. Vers 6 h 45 du matin, après avoir conversé de nouveau avec l'appelant, elle s'est habillée et s'est préparée pour aller travailler. Elle avait un rendez‑vous d'affaires à 8 h 00. Elle a conduit l'appelant à un endroit qu'il a choisi lui‑même et, pendant le trajet, il lui a remis les clés et l'argent qu'il avait pris dans sa bourse au moment de son arrivée, au petit matin. Tout de suite après l'avoir laissé, elle s'est rendue chez sa mère où elle s'est plainte d'avoir été violée. La police a été appelée et l'appelant arrêté le soir même.

7. L'appelant a été accusé de viol, de séquestration, de vol qualifié, d'introduction par effraction dans l'intention de commettre un acte criminel et de possession d'une arme. Au procès sans jury devant madame le juge Krindle de la Cour de comté de Winnipeg, il a été acquitté de l'accusation de viol, mais déclaré coupable d'introduction par effraction et de séquestration. La Cour d'appel (les juges Matas, Huband et Philp, le juge Philp étant dissident) a accueilli l'appel interjeté par Sa Majesté relativement à l'accusation de viol, a déclaré l'appelant coupable et lui a imposé une sentence de cinq ans d'emprisonnement. La Cour d'appel a jugé que la séquestration était comprise dans le viol. L'appelant se pourvoit en cette Cour en soutenant qu'une personne accusée en vertu du sous‑al. 143b)(i) du Code criminel, tout comme celle accusée en vertu de l'al. a), peut invoquer le moyen de défense d'erreur de fait, c.‑à‑d. en l'espèce qu'il a cru que la plaignante a consenti aux rapports sexuels, et que c'est la sincérité de cette conviction qui est déterminante pour ce qui est du moyen de défense, et non son caractère raisonnable. Il a invoqué l'arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120.

8. L'acte d'accusation énonce ainsi le chef d'accusation de viol:

[TRADUCTION] 1. QUE ledit John Henry Sansregret, une personne du sexe masculin, le 15 octobre 1982 ou vers cette date, dans la ville de Winnipeg, dans le district judiciaire est, province du Manitoba, a eu illégalement des rapports sexuels avec Terry Wood, une personne du sexe féminin qui n'était pas son épouse, avec le consentement de cette dernière qui lui avait été arraché par des menaces ou par la crainte de lésions corporelles.

L'accusation relève manifestement de l'al. 143b)(i) du Code criminel. Selon les faits de la présente affaire qui sont résumés brièvement plus haut, il peut sembler étrange, à première vue, qu'on puisse parler du moyen de défense d'erreur de fait et encore plus l'invoquer. Pour savoir comment la question se pose, il faut se référer aux conclusions de fait du juge du procès (1983), 34 C.R. (3d) 162, et aux motifs de jugement de la Cour d'appel (1983), 37 C.R. (3d) 45.

9. Le juge du procès a décrit la plaignante comme une femme brillante, raffinée, instruite, douée et ayant une bonne situation. Le juge a considéré que l'appelant n'était ni particulièrement intelligent ni habile à s'exprimer et s'est dite surprise que des relations intimes aient pu jamais s'établir entre eux. Elle a relaté les événements du 23 septembre 1982, survenus un mois avant ceux en cause en l'espèce, et a estimé qu'il n'y avait pas de preuve que l'appelant savait que la plaignante avait porté une plainte de viol par suite de cet incident. Je reviendrai sur cette question plus loin. Elle aborde ensuite le moyen de défense d'erreur de fait et dit (à la p. 164):

[TRADUCTION] S'il m'avait été soumis quelque élément de preuve selon lequel l'accusé savait, le 15 octobre, que la plaignante considérait que les rapports sexuels du 23 septembre 1982 avaient eu lieu sans son consentement, j'aurais rejeté ce moyen de défense immédiatement. Il n'y a pas d'élément de preuve en ce sens. Je puis faire des suppositions, mais cela ne constitue pas une preuve.

Elle a relaté en détail les événements du 15 octobre et a affirmé qu'elle acceptait la version de la plaignante dans la mesure où elle différait de celle de l'appelant, mais elle a fait remarquer que, sur de nombreux points, le témoignage de l'appelant confirmait celui de la plaignante. Elle poursuit (à la p. 166):

[TRADUCTION] Je suis convaincue hors de tout doute que l'accusé s'est introduit par effraction dans le domicile de la plaignante, le 15 octobre, poussé principalement par la jalousie et je ne doute pas un seul instant que, si la plaignante avait été accompagnée d'un autre homme, le couteau aurait été utilisé d'une manière agressive. N'ayant pas trouvé d'autre homme, il était déterminé à forcer la plaignante à entendre ce qu'il avait à lui dire en la séquestrant. Il s'est certainement introduit par effraction dans une maison d'habitation dans l'intention d'y commettre un acte criminel et il s'est certainement emparé du couteau de boucherie dans un dessein dangereux pour la paix publique.

Après être entré dans la maison et avoir constaté que la plaignante était au téléphone, ne sachant pas si elle avait appelé la police, deux choses comptaient pour l'accusé. La première était de cacher les traces de son effraction de sorte qu'elles ne soient pas visibles de la rue et de dissimuler sa présence dans la maison en y éteignant toute lumière. Sa seconde préoccupation était d'empêcher la plaignante de s'enfuir ou d'utiliser le téléphone, ce qui risquait tout probablement de se produire pendant qu'il serait à l'extérieur à réinstaller la fenêtre du sous‑sol. Quel meilleur moyen y avait‑il de la séquestrer que de lui enlever ses clés d'auto, ses clés de maison, son argent, de la dévêtir, de lui lier les mains et de la forcer à rester près de la porte arrière et à siffler pour qu'il puisse savoir où elle était.

Je conclus que l'accusé a forcé la plaignante à se dévêtir et lui a lié les mains non pas comme préparatifs pour la violer, mais pour la séquestrer. Je conclus également que la prise de force de ses clés et de son argent faisait partie de la séquestration.

Elle mentionne que, dès que l'appelant fut persuadé que la police ne viendrait pas, il s'est employé à convaincre la plaignante de se réconcilier avec lui. Le juge a accepté le témoignage de la plaignante selon lequel cette dernière était absolument terrifiée et n'a donné son consentement que dans le but d'éviter d'autres actes de violence ou la mort. Elle lui a dit ce qu'il voulait entendre à propos de la réconciliation et l'a assuré qu'elle ne s'intéressait à aucun autre homme. Le juge du procès poursuit (aux pp. 167 et 168):

[TRADUCTION] Comme je l'ai déjà dit, aucune personne raisonnable n'aurait pu sincèrement commettre une erreur de fait. Toutefois, les gens ont une étrange habileté à fermer les yeux devant bien des choses qu'ils ne veulent pas voir et à croire à l'existence de faits comme ils voudraient qu'ils soient. L'accusé affirme que malgré le règne de terreur qui a précédé leur conversation, malgré qu'il ait eu un couteau à la main pendant qu'ils parlaient, malgré que ce soit surtout lui qui ait parlé et qu'il est clair que la plaignante a répondu de façon équivoque, il a présumé et cru que tout allait pour le mieux entre eux. Cela malgré que trois semaines auparavant, suite à un épisode semblable, l'agent de probation de l'appelant soit intervenu et que la plaignante ait quitté sa maison. Très sincèrement, malgré que je sois persuadée de l'habileté des gens de fermer les yeux devant la réalité et même si l'accusé n'avait pas menti au sujet d'autres parties de son témoignage, j'aurais été très réticente à ajouter foi à la sincérité de sa conviction.

Cependant, le témoignage de la plaignante confirme la sincérité de la conviction de l'accusé. Elle le connaît et, à son avis, malgré tous les faits objectifs indiquant le contraire, il a réellement cru que tout était revenu à la normale entre eux au moment où ils ont eu des rapports sexuels. Sa conduite ultérieure l'atteste également.

Je n'aime pas la conclusion à laquelle cela m'amène. Il n'y a pas eu de consentement véritable. Il y a eu soumission par suite d'une crainte très réelle et justifiable. Nulle personne normale n'aurait cru que le changement radical d'attitude de la plaignante résultait d'autre chose que de la peur. Mais l'accusé l'a cru. Il a vu ce qu'il voulait voir, entendu ce qu'il voulait entendre et cru ce qu'il voulait croire.

Les faits de l'affaire Pappajohn c. R., [1980] 2 R.C.S. 120, ... sont très différents de ceux de l'espèce. L'arrêt de la Cour suprême du Canada est cependant clair et général et ne semble nullement se limiter aux circonstances particulières de cette affaire. Il se peut que la poursuite interjette appel de la présente décision pour obtenir des directives de la Cour suprême quant à savoir si la Cour a eu l'intention de viser les situations où un accusé, qui fait preuve de la clarté et de la sagacité que l'accusé en l'espèce a démontrées pour assurer sa propre sécurité dans un premier temps, peut changer d'attitude et, parce que cela ne lui convient pas, s'aveugler volontairement devant l'évidence tout de suite après. De toute façon, le motif déterminant de l'arrêt Pappajohn est clair et ne me laisse pas d'autre possibilité que de prononcer l'acquittement.

10. En résumé, le juge du procès a conclu que l'appelant ne s'est pas introduit dans la maison dans l'intention de commettre une agression sexuelle sur la plaignante, que la plaignante n'a consenti aux rapports sexuels qu'en raison de la peur engendrée par les menaces de l'appelant et pour assurer sa sécurité et que l'appelant a cru sincèrement que la plaignante a donné un consentement libre et véritable aux rapports sexuels. Le juge a également conclu que la plaignante, qui connaissait l'appelant, a cru elle aussi à la sincérité de la conviction de ce dernier.

11. Chacun des trois juges qui formaient la Cour d'appel a rédigé des motifs. Le juge Matas, après avoir analysé les faits et les conclusions du juge du procès, conclut ses motifs par les mots suivants (à la p. 53):

[TRADUCTION] En l'espèce, c'est la conduite de M. Sansregret qui a terrorisé la plaignante et l'a amenée à répondre de façon conciliante. Ce serait le comble de l'ironie si l'accusé pouvait invoquer, comme moyen de défense de conviction sincère mais erronée que la plaignante a consenti, l'apparence de consentement qu'elle a réussi à donner, mais qui découlait d'une crainte légitime pour sa vie. Pour paraphraser les mots du juge McIntyre dans l'arrêt Pappajohn, l'idée de la possibilité de recourir à ce moyen de défense dans les circonstances a une apparence d'invraisemblance. À mon avis, il n'est pas possible à M. Sansregret de terroriser sa victime, de faire suivre cette terreur de rapports sexuels et de finir par prétendre innocemment qu'il a sincèrement cru au consentement de sa victime. J'ai conclu qu'il n'était pas possible d'invoquer le moyen de défense d'erreur de fait en l'espèce.

Le juge Huband, qui concourt au résultat, est arrivé à sa conclusion pour des motifs différents. Il a considéré que la mens rea requise dans le cas de viol est l'intention d'avoir des rapports sexuels avec la plaignante sans son consentement ou sans se soucier de savoir si elle a consenti ou non. Il invoque à l'appui de sa proposition les paroles du juge Dickson (alors juge puîné) dans l'arrêt Pappajohn et le passage tiré de l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Morgan, [1976] A.C. 182, où lord Hailsham affirme, à la p. 209:

[TRADUCTION] . . . si l'accusé a l'intention d'avoir des rapports sexuels avec ou sans consentement, qu'il ne se soucie pas et qu'il ne lui importe pas que la victime consente ou non, cela équivaut, en principe, à l'intention d'accomplir l'acte prohibé sans le consentement de la victime.

Puis, il mentionne les paroles de lord Simon quant à la preuve de viol que doit présenter la poursuite quand il dit, à la p. 216:

[TRADUCTION] . . . l'intention d'avoir des rapports sexuels avec une femme en sachant qu'elle n'y consent pas (ou sans se soucier du consentement ou de l'absence de consentement).

Il est d'avis que même si le moyen de défense d'erreur de fait peut être invoqué dans le cas d'une accusation de viol en vertu du sous‑al. 143b)(i) du Code criminel lorsqu'il y a eu consentement, il est nécessaire de reformuler ses éléments. Il affirme (à la p. 55):

[TRADUCTION] Mais dans le cas d'un consentement extorqué par menace, pour constituer un moyen de défense, la conviction sincère de l'accusé doit avoir trait non pas au consentement, mais à l'effet de la menace.

Il attire alors l'attention sur les conclusions du juge du procès quant à la nature du consentement de la plaignante et dit (à la p. 56):

[TRADUCTION] Il ne sert à rien à l'accusé de dire maintenant "Mais elle a donné son consentement", lorsque l'accusation porte sur un consentement arraché par des menaces. Tous reconnaissent que tout portait à croire que la plaignante était consentante.

À partir de cela, il a tiré sa conclusion, disant que le seul fait d'avoir des rapports sexuels, immédiatement après un épisode prolongé d'actions destinées à asservir la plaignante, constitue une insouciance suffisante pour justifier une accusation de viol avec consentement arraché par des menaces. Il a souscrit à l'avis du juge Matas qu'il y avait lieu d'accueillir l'appel de la poursuite et d'inscrire une déclaration de culpabilité de viol.

12. Le juge Philp a été dissident. Il a accepté les conclusions de fait du juge du procès selon lesquelles l'appelant a sincèrement cru au consentement et il a fait état du témoignage de la plaignante elle‑même qui, à son avis, appuie la conclusion du juge du procès. Invoquant l'arrêt Pappajohn à l'appui de la proposition selon laquelle il n'est pas nécessaire que la conviction sincère qu'il y a consentement de la victime soit fondée sur des motifs raisonnables pour constituer un moyen de défense à une accusation de viol, il aurait rejeté l'appel de la poursuite et confirmé l'acquittement relativement au chef d'accusation de viol.

13. Devant cette Cour, l'appelant prétend qu'il n'a jamais soupçonné ni jamais eu de motif de soupçonner que la victime avait consenti à cause de ses menaces. Il soutient que tous les faits et toutes les conclusions du juge du procès étayent cette affirmation. Il nie qu'il y a eu ignorance volontaire et insouciance de sa part et soutient que l'arrêt Pappajohn est déterminant en sa faveur.

14. Selon la définition qu'en donne l'al. 143a) du Code criminel, le viol est évidemment l'acte qui consiste à avoir des rapports sexuels sans consentement. La question qui nous intéresse en l'espèce se pose directement dans une accusation fondée sur l'al. a). Cette question est la suivante: L'accusé a‑t‑il cru sincèrement que la personne du sexe féminin a donné son consentement? C'est sous cette forme que la question a été soulevée dans les arrêts Pappajohn et Morgan, précités, et R. v. Plummer and Brown (1975), 24 C.C.C. (2d) 497 (C.A. Ont.) Bien que ces arrêts soient la source du moyen de défense et de son application lorsque le consentement est en cause, j'estime qu'ils ne s'appliquent pas à une accusation portée en vertu du sous‑al. 143b)(i) où on présume qu'il y a consentement dès le départ. En d'autres termes, l'existence du consentement est établie et seule sa nature, savoir s'il a été donné librement ou arraché par des menaces, est en cause. Si dans une affaire qui relève du sous‑al. 143b)(i), l'accusé affirme qu'il a sincèrement cru au consentement de la victime, sa conviction sincère doit englober plus que l'existence de ce consentement. Elle doit comprendre la conviction qu'il a été donné librement et non arraché par des menaces. Je souscris, sous ce rapport, à l'avis du juge Huband. Le moyen de défense s'appliquerait alors, sous réserve de ce qui est dit plus loin au sujet de l'ignorance volontaire, en faveur d'un accusé qui a cru sincèrement que le consentement ne découlait pas de menaces mais qu'il a été donné librement.

15. On a affirmé que le moyen de défense d'erreur de fait repose sur le principe que la conviction erronée, mais sincère, enlève à l'accusé la mens rea requise pour qu'il y ait infraction. Dans l'arrêt Pappajohn, le juge Dickson de cette Cour a examiné la question de la mens rea requise pour qu'il y ait déclaration de culpabilité de viol. Il a passé en revue la jurisprudence des tribunaux anglais, australiens et canadiens sur la question. Il n'est pas nécessaire ici de mentionner de nouveau la jurisprudence analysée, mais on peut en résumer l'effet et les conclusions que le juge Dickson en a tirées. Il fait observer ce qui suit à la p. 140: "L'actus reus du viol est complet lorsqu'il y a a) des rapports sexuels; b) sans consentement". En vertu du sous‑al. 143b)(i), je substituerais: "b) avec consentement s'il est arraché par des menaces ou par la crainte de lésions corporelles". Il soulève ensuite la question de savoir si, en common law et selon l'art. 143 du Code criminel, l'intention coupable dans le cas du viol s'étend au consentement. Il conclut par l'affirmative et dit, à la p. 145:

On voit donc que la jurisprudence penche lourdement en faveur de l'opinion que la perception qu'a l'accusé du consentement de la femme est un élément important de toute poursuite pour viol.

En guise de conclusion sur ce point, il affirme à la p. 146:

En résumé, il faut établir l'intention ou l'insouciance à l'égard de tous les éléments de l'infraction, y compris l'absence de consentement. Cela étend simplement au viol une intention du même genre que celle que l'on requiert dans les autres crimes.

Je suis d'avis de conclure alors que la mens rea requise dans le cas d'un viol, en vertu de l'al. 143a) du Code, doit comporter la connaissance du fait que la personne du sexe féminin n'est pas consentante ou l'insouciance quant à savoir si elle est consentante ou non et, dans le cas du sous‑al. 143b)(i), la connaissance du fait que le consentement a été donné à cause des menaces ou de la crainte de lésions corporelles, ou l'insouciance quant à la nature de ce consentement. Il s'ensuit, comme cette Cour l'a conclu à la majorité dans l'arrêt Pappajohn, que la conviction sincère, même déraisonnable, de la part de l'accusé que la personne du sexe féminin a consenti aux rapports sexuels librement et volontairement et non à cause de menaces a pour effet d'écarter la mens rea requise au sous‑al. 143b)(i) du Code et de permettre à l'accusé de bénéficier d'un acquittement.

16. Le concept de l'insouciance comme fondement de la responsabilité criminelle a fait l'objet de nombreux débats. La négligence, c'est‑à‑dire l'absence de diligence raisonnable, est un concept de droit civil qui, de façon générale, ne s'applique pas pour déterminer la responsabilité criminelle. Néanmoins, elle est souvent confondue avec l'insouciance au sens criminel et il faut prendre bien soin de distinguer les deux concepts. La négligence s'apprécie selon le critère objectif de la personne raisonnable. La dérogation à sa conduite pondérée habituelle, sous la forme d'un acte ou d'une omission qui démontre un niveau de diligence inférieur à ce qui est raisonnable, entraîne une responsabilité en droit civil mais ne justifie pas l'imposition de sanctions criminelles. Conformément aux principes bien établis en matière de détermination de la responsabilité criminelle, l'insouciance doit comporter un élément subjectif pour entrer dans la composition de la mens rea criminelle. Cet élément se trouve dans l'attitude de celui qui, conscient que sa conduite risque d'engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque. En d'autres termes, il s'agit de la conduite de celui qui voit le risque et prend une chance. C'est dans ce sens qu'on emploie le terme "insouciance" en droit criminel et il est nettement distinct du concept de négligence en matière civile.

17. De prime abord, on pourrait croire ou penser qu'un homme qui intimide et menace une femme et obtient par la suite son consentement à des rapports sexuels devrait savoir que le consentement obtenu découle de ces menaces. Si on ne peut lui imputer la connaissance précise de la nature du consentement, alors on pourrait croire qu'il y a, à tout le moins, insouciance de sa part. On pourrait donc dire que la présente affaire aurait pu être tranchée en fonction de l'insouciance. Toutefois, le juge du procès ne l'a pas fait en raison de son application du moyen de défense d'"erreur de fait".

18. En réalité, il y avait de nombreux éléments de preuve sur lesquels le juge du procès pouvait se fonder pour conclure à l'insouciance. Après une période orageuse de cohabitation, la plaignante a chassé l'appelant de chez elle en septembre 1982, démontrant ainsi qu'elle ne voulait plus de lui. L'appelant s'est introduit par effraction chez elle le 23 septembre et il y a fait une scène qui a entraîné des rapports sexuels auxquels la plaignante a consenti par crainte pour sa vie. Cet incident a entraîné le dépôt d'une plainte à la police et l'intervention de l'agent de probation de l'appelant. Aux petites heures du matin, le 15 octobre, il s'est de nouveau introduit par effraction chez la plaignante et a répété le même scénario sur lequel se fondent les présentes accusations.

19. Il y avait également des éléments de preuve qui permettent nettement de conclure que l'appelant savait qu'une plainte de viol avait été déposée relativement au premier incident. Bien que la plaignante se soit plainte de l'incident auprès de la police, aucune accusation n'a été portée. Elle a été persuadée de ne pas donner suite à l'affaire par l'agent de probation de l'appelant qui avait fait des démarches auprès d'elle et lui avait dit qu'il trouverait un emploi à Sansregret si elle ne portait pas d'accusations. Un policier a témoigné au sujet de la conversation qu'il a eue avec Sansregret après son arrestation. Quand on lui a demandé pourquoi il avait fui les policiers lorsqu'ils se sont approchés de lui dans la soirée du 16 octobre, l'appelant a répondu: [TRADUCTION] "Auparavant, elle a déjà téléphoné à la police à mon sujet." Cette réponse a été confirmée par Sansregret lors de l'interrogatoire principal, mais niée pendant le contre‑interrogatoire. Sansregret a reconnu qu'il savait que son agent de probation avait communiqué avec la plaignante au sujet de l'incident survenu en septembre et qu'il savait qu'il n'était pas le bienvenu chez elle. Il y avait donc des preuves que l'appelant connaissait son attitude envers lui, qu'il savait qu'elle s'était plainte à la police au sujet de l'incident du 23 septembre et qu'il savait que c'était grâce uniquement à l'intervention de son agent de probation que des accusations n'avaient pas été portées suite à cet incident. Je ne suis donc pas d'accord avec le juge du procès qui, à mon avis, a commis une erreur en ne concluant pas que l'appelant savait que la plaignante s'était plainte d'avoir été violée par suite de l'incident du 23 septembre.

20. Il est évident que, n'eût été du moyen de défense d'erreur de fait, le juge du procès aurait déclaré l'appelant coupable de viol. Le juge a estimé que la conviction exprimée par l'appelant qu'il y avait eu consentement était sincère et que, par conséquent, compte tenu de l'arrêt Pappajohn, même si cette conviction était déraisonnable, comme le juge l'a manifestement cru, il avait le droit d'être acquitté. Cette application du moyen de défense d'erreur de fait pourrait se justifier n'était‑ce du fait que le juge du procès a en outre conclu que l'appelant a ignoré volontairement la réalité dans son comportement du 15 octobre. Une telle conclusion a eu pour effet d'empêcher l'application du moyen de défense et d'engendrer un résultat différent. Par conséquent, je suis d'avis que le juge du procès a commis une erreur sur cette question parce que, bien qu'elle ait tiré les conclusions de fait nécessaires portant que l'appelant a ignoré volontairement les conséquences de ses actes, elle ne les a pas appliquées conformément à la loi.

21. On a dit que le concept de l'ignorance volontaire dans des circonstances comme celles qui se présentent en l'espèce est une forme d'insouciance. Bien que ce puisse fort bien être vrai, il est sage de maintenir la distinction entre les deux concepts, parce qu'ils découlent d'attitudes psychologiques différentes et entraînent des résultats différents sur le plan juridique. Une conclusion d'insouciance en l'espèce ne pouvait pas l'emporter sur le moyen de défense d'erreur de fait. L'appelant fait valoir qu'il a cru sincèrement que le consentement de la plaignante n'était pas dû à la crainte et à des menaces. Le juge du procès a conclu à l'existence de cette conviction sincère. D'après les faits de l'espèce, en raison de la conduite insouciante de l'appelant, on ne pouvait pas dire qu'une telle conviction était raisonnable, mais, comme on l'a conclu dans l'arrêt Pappajohn, le seul fait que la conviction est sincère justifie le moyen de défense d'"erreur de fait", même si elle est déraisonnable. Par contre, une conclusion d'ignorance volontaire quant aux faits mêmes au sujet desquels on fait maintenant valoir qu'il y a eu conviction sincère ne permettrait pas d'appliquer le moyen de défense parce que, lorsque l'on démontre qu'il y a eu ignorance volontaire, la loi présume qu'il y avait connaissance de la part de l'accusé, en l'espèce qu'il savait que le consentement avait été arraché par des menaces.

22. L'ignorance volontaire diffère de l'insouciance parce que, alors que l'insouciance comporte la connaissance d'un danger ou d'un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise, l'ignorance volontaire se produit lorsqu'une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu'elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l'ignorance. La culpabilité dans le cas d'insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d'agir malgré celui‑ci, alors que dans le cas de l'ignorance volontaire elle se justifie par la faute que commet l'accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu'il sait qu'il y a des motifs de le faire. Ces principes sont illustrés notamment par des arrêts comme R. v. Wretham (1971), 16 C.R.N.S. 124 (C.A. Ont.); R. v. Blondin (1970), 2 C.C.C. (2d) 118 (C.A.C.‑B.), pourvoi rejeté en cette Cour à (1971), 4 C.C.C. (2d) 566 (voir [1971] R.C.S. v, non publié); R. v. Currie (1975), 24 C.C.C. (2d) 292 (C.A. Ont.); R. v. McFall (1975), 26 C.C.C. (2d) 181 (C.A.C.‑B.); R. v. Aiello (1978), 38 C.C.C. (2d) 485 (C.A. Ont.); Roper v. Taylor’s Central Garages (Exeter), Ltd., [1951] 2 T.L.R. 284. La doctrine aborde également le sujet, particulièrement Glanville Williams (Criminal Law: The General Part, 2nd ed., 1961, aux pp. 157 à 160). Il affirme, à la p. 157:

[TRADUCTION] La connaissance s'entend alors soit de la connaissance personnelle soit (comme dans les affaires relatives à des licences) de la connaissance présumée. Dans l'un ou l'autre cas, il y a quelqu'un qui a une connaissance réelle. Il y a une seule exception bien définie à l'exigence de la connaissance réelle. Les gens considèrent facilement leurs soupçons comme non fondés s'il y va de leur avantage. Face à cela, la règle veut que celui qui a des doutes, mais omet délibérément de se renseigner parce qu'il préfère demeurer dans l'ignorance, est présumé avoir connaissance.

Il mentionne ensuite les paroles de lord Sumner dans The Zamora No. 2, [1921] 1 A.C. 801, aux pp. 811 et 812, une affaire où un navire et sa cargaison ont été déclarés contrebande par la Prize Court. Le directeur de la compagnie d'expédition a nié savoir que le navire transportait de la marchandise de contrebande et lord Sumner a fait le commentaire suivant à ce propos, aux pp. 811 et 812:

[TRADUCTION] Lord Sterndale (le président de la Prize Court) exprime ainsi sa conclusion définitive : "Je crois qu'il faut conclure que si M. Banck ne savait pas qu'il s'agissait là d'une opération de contrebande, c'est parce qu'il ne voulait pas le savoir et qu'il n'a pas repoussé la présomption découlant du fait que toute la cargaison était de la contrebande."

Leurs seigneuries ont été invitées à interpréter cela comme signifiant qu'il n'a pas été prouvé que M. Banck connaissait le caractère de contrebande de l'expédition; que s'il ne le savait pas parce qu'il ne voulait pas le savoir, il en avait le droit et n'avait aucune obligation envers les belligérants de se renseigner; et que le Zamora est condamné contrairement à l'extrait déjà cité de l'arrêt The Hakan, [1918] A.C. 148, sur la présomption en droit qui découle uniquement et de façon arbitraire du fait que toute la cargaison était de la contrebande. Il se peut que dans son souci de ne pas dépasser sa pensée en exprimant ses conclusions défavorables à M. Banck le savant président semble dire moins, mais il y a deux manières de dire qu'une personne ne sait pas quelque chose parce qu'elle ne veut pas le savoir. Une chose peut être troublante à apprendre et la connaissance qu'on en a peut être sans intérêt ou désagréable. Refuser d'en savoir plus sur la question ou de savoir quoi que ce soit constitue alors de l'ignorance volontaire mais réelle. D'autre part, on peut dire qu'une personne ne sait pas quelque chose parce qu'elle ne veut pas le savoir alors que l'essence de la chose est présente à son esprit avec la conviction que toutes les particularités ou les preuves précises peuvent être dangereuses parce qu'elles peuvent gêner ses dénégations ou compromettre ses protestations. Dans ce cas, une personne s'illusionne en pensant que s'il est prudent de ne pas savoir, ce serait folie d'être sage, mais en cela elle a tort puisqu'elle a déjà des doutes et, bien qu'elle soit réelle et totale, son ignorance n'est que prétention et mascarade.

Glanville Williams signale cependant que la règle de l'ignorance volontaire comporte des dangers et a une application limitée. Il dit, à la p. 159:

[TRADUCTION] La règle selon laquelle l'ignorance volontaire équivaut à la connaissance est essentielle et se rencontre partout dans le droit criminel. En même temps, c'est une règle instable parce que les juges sont susceptibles d'en oublier la portée très limitée. Une cour peut valablement conclure à l'ignorance volontaire seulement lorsqu'on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s'est abstenu d'en obtenir confirmation définitive parce qu'il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu'il savait. Cela, et cela seulement, constitue de l'ignorance volontaire. Il faut en effet qu'il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l'administration de la justice. Toute définition plus générale aurait pour effet d'empêcher la distinction entre la doctrine de l'ignorance volontaire et la doctrine civile de la négligence de se renseigner.

Le professeur Stuart aborde aussi ce sujet dans Canadian Criminal Law, 1982, aux pp. 130 et suiv. où il traite de son rapport avec l'insouciance.

23. À mon avis, l'espèce comporte un ensemble de circonstances qui permettent d'appliquer la règle de "l'ignorance volontaire". J'ai souligné les circonstances qui forment le contexte. J'ai mentionné les conclusions du juge du procès selon lesquelles l'appelant s'est fermé les yeux devant l'évidence et ne s'est pas renseigné sur la nature du consentement donné. Si la preuve soumise à cette Cour se limitait aux événements du 15 octobre, il serait en effet difficile de conclure à l'ignorance volontaire. Imputer une responsabilité criminelle en fonction de ce seul incident reviendrait presque à appliquer un critère de présomption qu'il aurait dû savoir qu'elle consentait par crainte. Il en va cependant autrement lorsque les éléments de preuve révèlent l'incident antérieur et la plainte de viol qui en a résulté, et dont l'accusé avait, comme je l'ai déjà dit, manifestement eu connaissance. Considérant l'ensemble de la preuve, il n'est pas nécessaire d'appliquer de critère de présomption de connaissance. L'appelant connaissait la réaction probable de la plaignante à ses menaces. Avoir des rapports sexuels dans ces circonstances équivaut, à mon avis, à s'illusionner à tel point que cela constitue de l'ignorance volontaire.

24. À mon avis, le juge du procès a commis une erreur en faisant droit au moyen de défense d'"erreur de fait" dans ces circonstances qui lui ont fait conclure que la plaignante avait consenti par crainte et que l'appelant s'est volontairement fermé les yeux devant les circonstances en présence, voyant seulement ce qu'il souhaitait voir. Lorsque l'accusé ignore un fait délibérément parce qu'il se ferme lui‑même les yeux devant la réalité, le droit présume qu'il y a connaissance, en l'espèce connaissance de la nature du consentement. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer ce moyen de défense.

25. On ne doit pas interpréter cela comme un éloignement de la position adoptée dans l'arrêt Pappajohn, selon laquelle il n'est pas nécessaire que la conviction sincère soit raisonnable. Il ne faut pas conclure que, chaque fois qu'un accusé a une conviction sincère mais déraisonnable, il ne pourra pas se prévaloir du moyen de défense d'erreur de fait. L'espèce repose sur un principe différent. Après s'être volontairement fermé les yeux devant les faits, la possibilité que l'accusé puisse conserver ce qu'on pourrait appeller une conviction sincère, dans le sens qu'il n'a pas de connaissance précise de faits contraires, ne constitue pas un moyen de défense parce que, lorsque l'accusé ferme délibérément les yeux devant la réalité, la loi détermine qu'il a une connaissance réelle et sa croyance en un autre état de choses est sans importance.

26. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant: Walsh, Micay and Company, Winnipeg.

Procureur de l’intimée: Le ministère du Procureur général de la province du Manitoba, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1985] 1 R.C.S. 570 ?
Date de la décision : 09/05/1985
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Viol - Consentement - Défense d'erreur de fait inapplicable - Ignorance volontaire - Connaissance de la nature du consentement présumée - Code criminel, art. 143b)(i).

L'appelant a été accusé d'avoir commis plusieurs infractions, notamment d'avoir commis un viol avec le consentement de la plaignante arraché par des menaces ou par la crainte de lésions corporelles, contrairement au sous‑al. 143b)(i) du Code criminel. Après avoir vécu avec l'appelant pendant un an, la plaignante a mis fin à leur relation mouvementée. Par la suite, l'appelant s'est introduit par effraction chez elle à deux reprises. À ces deux occasions, la plaignante a craint pour sa sécurité en raison de menaces et d'un comportement violent. Pour le calmer et pour éviter de subir d'autres actes de violence, elle lui a donné quelque espoir de réconciliation et a consenti à des rapports sexuels. Bien qu'elle ait rapporté les deux incidents à la police et se soit plainte d'avoir été violée, aucune procédure n'a été engagée à la suite du premier incident parce que l'agent de probation de l'appelant lui avait demandé de ne pas persister. L'appelant a été arrêté et accusé à la suite du second incident. Au procès, le juge a conclu que la plaignante n'a consenti aux rapports sexuels qu'en raison de la peur engendrée par les menaces mais que l'appelant a cru sincèrement que la plaignante a donné un consentement libre et véritable aux rapports sexuels. Appliquant l'arrêt Pappajohn, le juge du procès a acquitté l'appelant. En appel, la Cour d'appel a annulé l'acquittement et inscrit une déclaration de culpabilité de viol.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le moyen de défense d'erreur de fait repose sur le principe que la conviction erronée, mais sincère, enlève à l'accusé la mens rea requise pour qu'il y ait infraction. La mens rea requise dans le cas d'un viol, en vertu de l'art. 143b)(i) du Code criminel, doit comporter la connaissance du fait que le consentement a été donné à cause des menaces ou de la crainte de lésions corporelles, ou l'insouciance quant à la nature du consentement. La conviction sincère, même déraisonnable, de la part de l'accusé que la personne du sexe féminin a consenti aux rapports sexuels librement et volontairement et non à cause de menaces a pour effet d'écarter la mens rea et de permettre à l'accusé de bénéficier d'un acquittement. Dans les présentes circonstances, l'accusé ne pouvait invoquer le moyen de défense d'erreur de fait. Le juge du procès a conclu que la plaignante avait consenti par crainte et que l'appelant s'est fermé les yeux devant l'évidence et ne s'est pas renseigné sur la nature du consentement donné. La preuve révèle qu'il était au courant de la plainte de viol résultant du premier incident et que, par conséquent, il connaissait la réaction probable de la plaignante à ses menaces. Avoir des rapports sexuels dans de tels circonstances équivaut à s'illusionner à tel point que cela constitue de l'ignorance volontaire. Lorsque l'accusé ignore un fait délibérément parce qu'il se ferme lui‑même les yeux devant la réalité, le droit présume qu'il y a connaissance, en l'espèce connaissance de la nature forcée du consentement. Il n'y avait donc pas lieu d'appliquer le moyen de défense.


Parties
Demandeurs : Sansregret
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
arrêts mentionnés: Director of Public Prosecutions v. Morgan, [1976] A.C. 182
R. v. Plummer and Brown (1975), 24 C.C.C. (2d) 497
The Zamora No. 2, [1921] 1 A.C. 801
R. v. Wretham (1971), 16 C.R.N.S. 124
R. v. Blondin (1970), 2 C.C.C. (2d) 118 (C.A.C.‑B.), confirmé (1971), 4 C.C.C. (2d) 566 (C.S.C.)
R. v. Currie (1975), 24 C.C.C. (2d) 292
R. v. McFall (1975), 26 C.C.C. (2d) 181
R. v. Aiello (1978), 38 C.C.C. (2d) 485
Roper v. Taylor’s Central Garages (Exeter), Ltd., [1951] 2 T.L.R. 284.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 143a), 143b)(i).
Doctrine citée
Stuart, Don. Canadian Criminal Law, Toronto, Cars­wells, 1982.
Williams, Glanville. Criminal Law: The General Part, 2nd ed., London, Stevens & Sons Ltd., 1961.

Proposition de citation de la décision: Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570 (9 mai 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-05-09;.1985..1.r.c.s..570 ?
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