La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/09/1985 | CANADA | N°[1985]_2_R.C.S._150

Canada | Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150 (19 septembre 1985)


Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150

The Winnipeg School Division No. 1 Appelante (Intimée);

et

Doreen Maud Craton Intimée (Requérante);

et

The Winnipeg Teachers' Association No. 1 of the Manitoba Teachers' Society (Intimée).

No du greffe: 17933.

1985: 15 mai; 1985: 19 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba, [19

83] 6 W.W.R. 87, 149 D.L.R. (3d) 542, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Deniset qui avait fait droit à u...

Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150

The Winnipeg School Division No. 1 Appelante (Intimée);

et

Doreen Maud Craton Intimée (Requérante);

et

The Winnipeg Teachers' Association No. 1 of the Manitoba Teachers' Society (Intimée).

No du greffe: 17933.

1985: 15 mai; 1985: 19 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba, [1983] 6 W.W.R. 87, 149 D.L.R. (3d) 542, qui a rejeté l'appel d'un jugement du juge Deniset qui avait fait droit à une demande visant à faire déclarer qu'une disposition d'une convention collective concernant la retraite obligatoire était invalide. Pourvoi rejeté.

Robert Simpson, pour l'appelante.

Mel Myers, c.r., pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge McIntyre—Dans ce pourvoi, il faut résoudre le conflit entre le par. 6(1) de The Human Rights Act, 1974 (Man.), chap. 65 et modifications, C.C.S.M., chap. H175, qui interdit la discrimination dans l'emploi en raison de l'âge, et l'art. 50 de The Public Schools Act, 1980 (Man.), chap. 33, C.C.S.M., chap. P250, qui confère à un conseil scolaire le pouvoir de fixer l'âge auquel les enseignants doivent obligatoirement prendre leur retraite.

2. Les faits peuvent être exposés brièvement. L'intimée, Doreen Maud Craton, est une enseignante au service du Winnipeg School District No. 1. Elle est employée conformément à une convention collective intervenue entre la division scolaire et la Manitoba Teachers' Society. La convention collective comporte une clause fixant à soixante‑cinq ans l'âge de la retraite obligatoire des enseignants. Mme Craton a eu soixante‑cinq ans en janvier 1983 et a été avisée qu'on mettrait fin à son emploi le 31 août 1983. Par avis de requête introductive d'instance, elle a demandé à la Cour du Banc de la Reine de rendre un jugement qui déclarerait, d'une part, que la clause de mise à la retraite obligatoire de la convention collective est invalide parce qu'elle est contraire à The Human Rights Act du Manitoba, et, d'autre part, qu'on ne peut mettre fin à son emploi pour le motif qu'elle a atteint l'âge de soixante‑cinq ans. L'intimée a eu gain de cause en première instance et en appel (le juge en chef Monnin et les juges Hall et Huband). L'autorisation de pourvoi en cette Cour a été accordée le 24 novembre 1983.

3. Voici les dispositions législatives pertinentes:

The Human Rights Act, 1974 (Man.), chap. 65 et modifications, C.C.S.M., chap. H175, par. 6(1):

[TRADUCTION] 6 (1) Toute personne a droit à l'égalité des chances fondée sur les exigences réelles relatives à son occupation ou emploi, ou à sa formation en vue d'un emploi, ou à une occupation, à un emploi, à un avancement ou à une promotion qu'elle a en vue, et relatives à son adhésion ou projet d'adhésion à un syndicat, à une organisation patronale ou à une association professionnelle; et, sans limiter la généralité de ce qui précède,

a) aucun employeur ni aucune personne agissant au nom d'un employeur ne doit refuser d'employer ou de continuer d'employer ou de former cette personne en vue d'un emploi, ou de lui donner de l'avancement ou une promotion, ni ne peut lui faire subir de la discrimination à l'égard de son emploi ou de ses conditions d'emploi;

b) aucun bureau de placement ne doit refuser de recommander cette personne pour un emploi ou pour de la formation en vue d'un emploi, et

c) aucun syndicat, aucune organisation patronale ni aucune association professionnelle ne doit refuser l'adhésion à cette personne, l'expulser, la suspendre ou lui faire subir de la discrimination, ni négocier en son nom une convention qui lui ferait subir de la discrimination;

en raison de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de sa couleur, de son sexe, de son âge, de son état matrimonial, d'un handicap physique ou mental, de son origine ethnique ou nationale, de ses convictions politiques ou de sa situation familiale.

The Public Schools Act, R.S.M. 1970, chap. P250, par. 39(2):

[TRADUCTION] 39 (2) Le conseil d'un secteur peut fixer l'âge de la retraite obligatoire des enseignants qu'il emploie; mais l'âge de la retraite obligatoire ne doit pas être inférieur à soixante‑cinq ans.

The Public Schools Act, 1980 (Man.), chap. 33, C.C.S.M., chap. P250, art. 50:

[TRADUCTION] 50 Un conseil scolaire peut fixer l'âge de la retraite obligatoire des enseignants qu'il emploie, mais l'âge de la retraite obligatoire ne doit pas être inférieur à 65 ans.

Les dispositions pertinentes de la convention collective se trouvent à l'article 14:

[TRADUCTION] 14. Date de mise à la retraite—La date de mise à la retraite obligatoire de chaque enseignant sera le 31 août correspondant à la date, ou suivant celle‑ci, à laquelle l'enseignant atteint l'âge de soixante‑cinq ans et aucun enseignant ne demeurera au service de la Division après la date normale de la retraite.

4. En Cour d'appel du Manitoba, le juge en chef Monnin a conclu qu'il y avait manifestement conflit entre l'art. 50 de The Public Schools Act et le par. 6(1) de The Human Rights Act. L'article 50 de The Public Schools Act avait été adopté en 1980, mais il visait le même résultat que le par. 39(2) de la refonte de 1970 (qui ne faisait que reprendre le texte original adopté en 1964); il n'avait donc pas pour objet de constituer une exception aux dispositions de The Human Rights Act. De plus, une loi sur les droits de la personne est une loi d'application générale d'intérêt public et fondamentale qui prévaut en cas de conflit avec d'autres lois particulières, à moins qu'une exception n'ait été créée. En conséquence, l'art. 50 de The Public Schools Act et l'article 14 de la convention collective sont nuls et ne peuvent s'appliquer pour forcer Mme Craton à prendre sa retraite. Le juge Hall a souscrit à l'avis du Juge en chef, ajoutant que le par. 39(2) adopté en 1964, quoiqu'il ait été abrogé par la refonte générale de 1980, a été adopté de nouveau sans modification majeure en tant qu'art. 50 de The Public Schools Act. Il répond à l'argument de l'appelante que The Public Schools Act de 1980 a été adoptée après le par. 6(1) et constitue donc implicitement une exception à The Human Rights Act:

[TRADUCTION] Je ne puis accepter que le simple mécanisme d'abrogation et de nouvelle adoption soit déterminant quant à la question de savoir si la Human Rights Act l'emporte sur la Public Schools Act.

Le juge Huband a exprimé sa dissidence. Il aurait accueilli l'appel pour le motif que, même si The Human Rights Act prévaudrait sur le par. 39(2) de l'ancienne loi, le fait que la nouvelle Public Schools Act ait été adoptée en 1980, après The Human Rights Act, confirme le pouvoir du Conseil de fixer un âge de mise à la retraite obligatoire. Il considérait l'art. 50 comme un texte de loi spécifique qui ne visait que les enseignants et qui créait une exception limitée au par. 6(1) de The Human Rights Act.

5. Est sans fondement l'argument, soulevé en Cour d'appel mais sur lequel on n'a pas insisté en cette Cour, portant que les parties, en acceptant l'article 14 de la convention collective, ont renoncé par contrat aux dispositions du par. 6(1). The Human Rights Act est une loi qui énonce une politique générale et à laquelle on ne saurait déroger par contrat privé. Voir: Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, aux pp. 213 et 214. Il n'y a donc qu'un seul point litigieux en l'espèce: l'art. 50 de The Public Schools Act de 1980 a‑t‑il pour effet de créer une exception à l'interdiction de discrimination fondée sur l'âge énoncée au par. 6(1) de The Human Rights Act?

6. L'appelante soutient que The Public Schools Act de 1980 constitue non pas simplement une nouvelle adoption et refonte de la loi antérieure, mais en fait une loi spécifique visant à réaffirmer le droit du Conseil de fixer un âge de mise à la retraite obligatoire pour les enseignants, malgré les dispositions de The Human Rights Act. On invoque, à l'appui de cette thèse, la décision Winnipeg School Division No. 1 v. MacArthur, [1982] 3 W.W.R. 342, rendue par le juge Kroft de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Cette affaire n'est, à mon avis, d'aucun secours à l'appelante. Elle portait en grande partie sur la question de savoir si une école constituait [TRADUCTION] "un lieu, un service ou une installation auxquels le public a habituellement accès", point qui n'a aucune importance en l'espèce. Dans une opinion incidente, le juge Kroft affirme, à la p. 356, que:

[TRADUCTION] Lorsque la législature a adopté en 1980 la Public Schools Act, il faut présumer qu'elle l'a fait en connaissant parfaitement les dispositions de la Human Rights Act.

Cette affaire, toutefois, a été tranchée avant l'arrêt de cette Cour Heerspink, ci‑après, et, pour les raisons énoncées plus loin, je ne pense pas que le passage cité favorise la position de l'appelante.

7. Le dossier montre, comme nous venons de le voir, que le par. 39(2) est le premier texte législatif qui nous intéresse. N'eût été la refonte de 1980, qui comprend l'art. 50, la question de savoir quelle disposition prévaut ne se serait pas posée. Le paragraphe 6(1) de The Human Rights Act adopté en 1974 est nettement un texte législatif ultérieur et constitue une interdiction expresse de la discrimination dans l'emploi en raison de l'âge et, même en écartant toute notion de primauté de la législation sur les droits de la personne, il aurait prévalu et abrogé implicitement le par. 39(2). Il n'y a aucune différence importante entre les deux dispositions, savoir le par. 39(2) et l'art. 50, et je suis d'accord avec la Cour d'appel à la majorité pour dire que l'adoption du par. 39(2) comme art. 50 de la refonte de 1980 ne peut être considérée comme ayant eu pour effet d'abroger implicitement le par. 6(1). Me renforcent dans ce point de vue les observations du juge Williams dans l'affaire Morisse v. Royal British Bank (1856), 1 C.B. (N.S.) 67; 140 E.R. 27, à la p. 35:

[TRADUCTION] Le seul point qu'il ait été plausible de débattre était l'idée que le 10e article de 7 & 8 Vict., chap. 111, a été abrogé par le 182e article de la plus récente loi en matière de faillite, 12 & 13 Vict., chap. 106. Mais il est clair que cette dernière disposition ne saurait, du seul fait de la nouvelle adoption d'un ancien article de 6 G.4, chap. 16, avoir pour effet d'abroger la disposition intermédiaire.

Et celles du juge Willes, dans la même affaire, à la p. 36:

[TRADUCTION] Quant à l'interprétation du 182e article de la loi relative à la faillite, il y a l'affaire récente Wallace v. Blackwell, 3 Drewry, 538, dont a été saisi le vice‑chancelier Kindersley et où on a jugé que le déplacement d'une clause, par sa nouvelle adoption dans une loi ultérieure, ne modifie en rien son application.

Je suis donc d'avis que l'appelante doit échouer sur ce point. L'article 50 de The Public Schools Act de 1980 ne saurait être considéré comme un texte ultérieur ayant pour effet de créer une exception aux dispositions du par. 6(1) de The Human Rights Act.

8. Quoi qu'il en soit, je partage l'avis du juge en chef Monnin lorsqu'il dit:

[TRADUCTION] Une loi sur les droits de la personne est une loi d'application générale d'intérêt public et fondamentale. S'il y a conflit entre cette loi fondamentale et une autre loi particulière, à moins qu'une exception ne soit créée, la loi sur les droits de la personne doit prévaloir.

Cela est conforme au point de vue exprimé par le juge Lamer dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145. Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. Adopter et appliquer une théorie quelconque d'abrogation implicite d'une loi de ce genre au moyen d'un texte législatif ultérieur équivaudrait à la dépouiller de sa nature spéciale et à protéger fort inadéquatement les droits qu'elle proclame. En l'espèce, on ne peut pas dire que l'art. 50 de la refonte de 1980 est une indication suffisamment explicite de l'intention du législateur de créer une exception aux dispositions du par. 6(1) de The Human Rights Act.

9. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Fillmore & Riley, Winnipeg.

Procureurs de l’intimée: Skwark, Myers, Baizley & Weinstein, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1985] 2 R.C.S. 150 ?
Date de la décision : 19/09/1985
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Libertés publiques - Discrimination - Age - Retraite obligatoire - Conflit entre les dispositions de The Public Schools Act prescrivant la retraite obligatoire et celles de The Human Rights Act - L’exigence de retraite obligatoire est‑elle nulle? - The Human Rights Act, 1974 (Man.), chap. 65, art. 6(1); C.C.S.M., chap. H175, art. 6(1) - The Public Schools Act, R.S.M. 1970, chap. P250, art. 39(2); The Public Schools Act, 1980 (Man.), chap. 33, art. 50; C.C.S.M., chap. P250, art. 50.

La convention collective de l'intimée, une enseignante, l'obligeait à prendre sa retraite à une date fixe après son soixante‑cinquième anniversaire de naissance. Cependant, The Human Rights Act interdisait la discrimination dans l'emploi en raison de l'âge, alors que The Public Schools Act, dont l'adoption a précédé mais la refonte a suivi l'adoption de The Human Rights Act, permettait de fixer un âge de retraite obligatoire pour les enseignants. L'intimée a obtenu de la Cour du Banc de la Reine un jugement déclarant que la retraite obligatoire contrevenait à The Human Rights Act et était invalide, et qu'on ne pouvait donc mettre fin à son emploi. La Cour d'appel a confirmé cette décision. Ce pourvoi porte sur le conflit entre les dispositions de The Human Rights Act et celles de The Public Schools Act.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La disposition de The Public Schools Act relative à la retraite obligatoire est invalide parce que contraire à The Human Rights Act. Vu qu'elle a été adoptée après The Public Schools Act, The Human Rights Act prévaut sur tout texte législatif antérieur qu'elle abroge implicitement dans la mesure où il y a conflit. The Public Schools Act de 1980 est non pas une loi spécifique qui vise à réaffirmer le droit du Conseil de fixer un âge de retraite obligatoire nonobstant les dispositions de The Human Rights Act, mais plutôt simplement une nouvelle adoption et une refonte. D'ailleurs, compte tenu de la nature spéciale d'une loi sur les droits de la personne, toute modification, abrogation ou exception relative à cette loi doit se faire par déclaration législative claire et non implicitement. S'il en était autrement, la loi sur les droits de la personne serait dépouillée de sa nature spéciale et ne protégerait que fort inadéquatement les droits qu'elle proclame.

The Human Rights Act est une loi qui énonce une politique générale et à laquelle on ne saurait donc déroger par contrat privé. Les parties ne pouvaient pas renoncer par contrat aux dispositions de la Loi en acceptant l'article 14 de la convention collective.


Parties
Demandeurs : Winnipeg School Division No. 1
Défendeurs : Craton

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202
Morisse v. Royal British Bank (1856), 1 C.B. (N.S.) 67
140 E.R. 27
Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145
distinction faite d'avec Winnipeg School Division No. 1 v. MacArthur, [1982] 3 W.W.R. 342.
Lois et règlements cités
Human Rights Act, 1974 (Man.), chap. 65, art. 6(1).
Public Schools Act, R.S.M. 1970, chap. P250, art. 39(2).
Public Schools Act, 1980 (Man.), chap. 33, art. 50.

Proposition de citation de la décision: Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150 (19 septembre 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-09-19;.1985..2.r.c.s..150 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award