La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/10/1985 | CANADA | N°[1985]_2_R.C.S._288

Canada | La Reine c. Imperial General Properties Ltd., [1985] 2 R.C.S. 288 (31 octobre 1985)


La Reine c. Imperial General Properties Ltd., [1985] 2 R.C.S. 288

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Imperial General Properties Limited (autrefois Speedway Realty Corporation Limited) Intimée.

No du greffe: 17627.

1985: 30 avril; 1985: 31 octobre.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 402, [1983] CTC 27, 83 DTC 5055, qui a rejeté l'appel d'un jugement de la Division de première inst

ance de la Cour fédérale qui avait accueilli l'appel de la décision de la Commission de révision de l'imp...

La Reine c. Imperial General Properties Ltd., [1985] 2 R.C.S. 288

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Imperial General Properties Limited (autrefois Speedway Realty Corporation Limited) Intimée.

No du greffe: 17627.

1985: 30 avril; 1985: 31 octobre.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 402, [1983] CTC 27, 83 DTC 5055, qui a rejeté l'appel d'un jugement de la Division de première instance de la Cour fédérale qui avait accueilli l'appel de la décision de la Commission de révision de l'impôt d'accueillir en partie des appels interjetés contre les cotisations établies par le Ministre. Pourvoi accueilli, les juges McIntyre, Lamer et Wilson sont dissidents.

Ian MacGregor et Harry Erlichman, pour l'appelante.

Wolfe D. Goodman, c.r., et Joanne E. Swystun, pour l'intimée.

Version française du jugement des juges Beetz, Estey, Chouinard et La Forest rendu par

1. Le Juge Estey—Encore une fois, c'est le sens du mot "contrôle", dans la détermination du statut fiscal d'une société en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui fait surface en cette Cour. L'alinéa 39(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, modifié par 1960 (Can.), chap. 43, par. 11(1), dispose:

39....

(4) ... une corporation est associée à une autre ... si ...

a) une des corporations contrôlait l'autre,

La question en litige est simplement de savoir quel est le taux d'imposition applicable à l'intimée. Cette question exige par contre qu'on décide si l'intimée a été associée avec une autre société (Validor Limited) pendant l'une ou l'autre des années d'imposition en cause.

2. Immédiatement avant la réorganisation de décembre 1960 dont il sera question plus loin, l'intimée n'avait en vertu de ses lettres patentes qu'une seule catégorie d'actions qui, toutes émises et en circulation, étaient réparties comme suit:

La famille Wingold: 90 actions

Meyer Gasner: 10 actions

Gasner n'avait aucun lien de parenté, ni par le sang ni par alliance, avec la famille Wingold. Il était l'ami et l'associé d'affaires de l'un des membres de cette famille. Les 100 actions en circulation à l'époque avaient été émises par la société pour la somme totale de 1 000 $.

3. En décembre 1960, l'intimée a été autorisée, par lettres patentes supplémentaires, à augmenter son capital social par la création de 10 000 actions privilégiées à dividende cumulatif, avec droit de vote et non participantes d'une valeur nominale de 1 $ chacune. L'intimée a émis quatre‑vingts (80) des actions privilégiées nouvellement autorisées à Gasner et à son épouse pour le prix total de 80 $. En décembre 1960 également, les actions des Wingold (à l'époque 90 actions ordinaires de l'intimée) ont été cédées à Validor Limited, une société appartenant à la famille Wingold et contrôlée par elle. Par suite de ces transferts et émissions d'actions, les participations au capital‑actions de l'intimée se présentaient comme suit à la fin de 1960:

Validor (la famille Wingold): 90 actions

(un vote par action) ordinaires

Meyer Gasner: 10 actions

(un vote par action) ordinaires

M. et Mme Gasner: 80 actions

(un vote par action) privilégiées

En définitive, le groupe Wingold détenait des actions ordinaires qui lui procuraient 90 voix et les Gasner détenaient 10 actions ordinaires et 80 actions privilégiées qui leur procuraient, en tout, 90 voix.

4. Les années d'imposition en cause sont 1962, 1963, 1966 et 1967. Les participations au capital‑actions et les droits de vote relatifs à l'intimée étaient, pendant ces années, comme je viens de l'exposer. Pendant ces années, le conseil d'administration de l'intimée était composé de quatre personnes. Avant décembre 1960, tous les administrateurs étaient des membres de la famille Wingold. De décembre 1960 à octobre 1968, deux des quatre administrateurs étaient des membres de la famille Wingold, les deux autres étant M. et Mme Gasner. Le 31 octobre 1968, après les années d'imposition en cause, toutes les actions appartenant aux Gasner, qu'elles soient ordinaires ou privilégiées, ont été cédées à Validor, les actions privilégiées l'étant en contrepartie d'une somme totale de 88 $ composée de 80 $ de valeur nominale et de 8 $ de dividendes.

5. Les détenteurs des actions privilégiées avaient droit à un vote par action et à un dividende cumulatif préférentiel fixe de 10 pour 100 l'an. En cas de liquidation ou de dissolution de la société, les détenteurs d'actions privilégiées avaient la priorité sur les détenteurs d'actions ordinaires et avaient droit au remboursement de la valeur nominale des actions privilégiées et de tout dividende accumulé mais non payé. Les actionnaires privilégiés n'avaient cependant pas le droit de participer à la distribution de tout surplus de la société. Ce qui est peut‑être le plus important est cette autre disposition prévue aux lettres patentes de l'intimée selon laquelle la société peut être liquidée par suite d'une résolution en ce sens appuyée par 50 pour 100 de tous les droits de vote dont sont assorties les actions de la société. L'effet de cette disposition est que l'un ou l'autre des Wingold (et par la suite Validor) ou des Gasner pouvaient causer la liquidation de l'intimée, sans motif. Le cas échéant, la famille Gasner toucherait la valeur nominale de ses actions privilégiées et tout dividende accumulé mais non payé, alors que Meyer Gasner recevrait 10 pour 100 des biens de l'intimée correspondant au pourcentage des actions ordinaires qu'il détenait et que les Wingold recevraient tous les autres biens de la société. L'importance de ce droit est accentuée par le fait que l'entreprise de la société intimée était exploitée par la famille Wingold conjointement avec dix‑sept autres sociétés qui ont toutes fusionné avec la société intimée en octobre 1968. Donc les maux que cause normalement la liquidation d'une société ne constitueraient pas un facteur très important en l'espèce parce que l'entreprise exploitée par la société intimée, moins 10 pour 100 des droits revenant à Meyer Gasner, demeurerait essentiellement inchangée et dans l'orbite des sociétés appartenant aux Wingold. Suite à une liquidation (sauf pour les 10 pour 100 susmentionnés d'actions ordinaires détenues par Meyer Gasner), les Gasner toucheraient, d'autre part, leur placement de 80 $ en actions privilégiées plus tout dividende échu et non payé, qui en réalité n'a jamais dépassé 8 $. C'est en fonction de ces faits qu'il nous faut maintenant aborder l'aspect juridique.

6. La seule question soulevée par les faits du présent pourvoi est de savoir si, pendant la période qui nous intéresse, Validor contrôlait l'intimée au sens du par. 39(4).

7. Il est établi depuis longtemps que pour les fins de ce paragraphe de la Loi de l’impôt sur le revenu [TRADUCTION] "... le mot "contrôlait" vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un certain nombre d'actions donnant droit à la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration"; le président Jackett, dans l'arrêt Buckerfield’s Ltd. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l'É. 299, à la p. 303, point de vue adopté par cette Cour dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., [1967] R.C.S. 223, à la p. 228, le juge Hall. Le juge Hall a adopté par la même occasion une notion de contrôle un peu plus large tirée de l'arrêt British American Tobacco Co. v. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13, à la p. 15, le vicomte Simon, lord Chancelier:

[TRADUCTION] Les détenteurs de la majorité des voix dans une compagnie sont ceux qui ont le contrôle réel de ses affaires et de ses destinées.

8. On a dit que le contrôle en ce sens a trait à des considérations de droit et non de fait (voir les arrêts Buckerfield’s Ltd., précité, aux pp. 302 et 303, et Dworkin, précité, à la p. 227). Bien que cette distinction puisse en quelque sorte servir de guide pour évaluer les conséquences juridiques d'une situation de fait, elle ne constitue pas, comme nous le verrons, une description tout à fait exacte de la façon de déterminer si, pour les fins du par. 39(4), il y a contrôle par un seul ou plusieurs des actionnaires.

9. Dans l'arrêt Dworkin, précité, la Cour était appelée à déterminer le taux d'imposition applicable à plusieurs sociétés, dont deux groupes détenaient chacun 50 pour 100 des actions avec droit de vote. Dans chaque cas, aucun des deux groupes n'avait le droit de liquider la société ni même de faire quoi que ce soit d'autre à l'égard des affaires de la société ou de sa structure sans l'assentiment, donné sous forme de vote, de l'autre groupe. Dans certains cas, le président avait voix prépondérante, mais nous n'avons pas à nous arrêter à cette question en l'espèce puisque personne ne détenait ce droit. La Cour a conclu que, par application du critère énoncé dans l'arrêt Buckerfield’s, aucune de ces sociétés n'était contrôlée au sens du par. 39(4) parce que le pouvoir de diriger la société était bloqué entre les deux groupes. Il faut souligner que le juge Hall a appliqué le critère de l'arrêt Buckerfield’s au niveau des actionnaires et non à celui des administrateurs (Dworkin, précité, à la p. 236).

10. Dans l'affaire Oakfield Developments (Toronto) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 1032, cette Cour était appelée à trancher exactement la même question que dans l'arrêt Dworkin. Dans l'affaire Oakfield, il y avait deux catégories d'actions, les actions ordinaires et les actions privilégiées, qui comportaient des droits de vote égaux. Un groupe détenait toutes les actions ordinaires, et l'autre groupe, toutes les actions privilégiées. Les actionnaires privilégiés avaient, comme en l'espèce, la priorité sur les actionnaires ordinaires jusqu'à concurrence du remboursement du capital représenté par les actions privilégiées lors d'une liquidation, plus les dividendes accumulés et une prime de 10 pour 100. De la même façon, l'un ou l'autre des actionnaires ordinaires ou des actionnaires privilégiés pouvaient, à eux seuls comme groupe, amener l'abandon des lettres patentes de la société. En cas d'abandon, les biens résiduels, après remboursement préalable aux actionnaires privilégiés du capital, de la prime et des dividendes accumulés, était remis aux actionnaires ordinaires. La seule question qui se posait était de savoir si les détenteurs d'actions privilégiées avaient un lien de parenté, par le sang ou par alliance, avec les détenteurs des actions ordinaires. Comme en l'espèce, les détenteurs d'actions privilégiées avaient acquis leurs actions quelques années après la création de la société. De plus, dans l'affaire Oakfield, précitée, aucun des administrateurs ou des actionnaires n'avait voix prépondérante. Après avoir soupesé les droits de vote et autres droits respectifs des actionnaires ordinaires et des actionnaires privilégiés, le juge Judson, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour, affirme à la p. 1037:

Le nombre de voix dont il [le groupe des actionnaires ordinaires] jouissait était suffisant pour autoriser l'abandon des lettres patentes de la compagnie. À mon avis, ces circonstances suffisent à donner le contrôle au groupe lorsque les propriétaires d'actions privilégiées non participantes détiennent l'autre moitié des voix.

11. En déterminant la manière dont le par. 39(4) doit être appliqué aux circonstances qui lui sont soumises, une cour n'est pas restreinte à une interprétation très formaliste et étroite des droits qui, en vertu de la loi, sont liés aux actions d'une société. La cour n'est pas astreinte non plus à examiner ces droits dans le seul contexte de leur application immédiate lors d'une assemblée de la société. On a dit, il y a longtemps, que ces droits doivent s'évaluer selon leur effet "à long terme". Voir le juge Thurlow (alors juge puîné) dans l'arrêt Donald Applicators Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C. de l'É. 43, à la p. 51, confirmé par cette Cour à [1971] R.C.S. v, 71 DTC 5202.

12. L'intimée a invoqué en cette Cour l'arrêt Oakfield, précité, où le juge Judson affirme, à la p. 1037, en faisant la distinction avec l'arrêt Dworkin, précité:

... les voix étaient, là aussi, également partagées entre les deux groupes, mais il n'y avait qu'une seule catégorie d'actions. Chaque groupe avait les mêmes droits de jure et chaque actionnaire avait le droit, lors de l'attribution de dividende ou de la liquidation, à sa part proportionnelle des bénéfices et de l'actif de la compagnie. De plus, aucun des deux groupes ne pouvait, seul, mettre la compagnie en liquidation.

Je ne crois pas que le point d'appui de cet arrêt ait été l'existence de deux catégories d'actions dans l'affaire Oakfield et d'une seule catégorie dans l'affaire Dworkin. La mention répétée, par le juge Judson, de l'importance du droit absolu et définitif de liquider la société retenu par les actionnaires qui la contrôlaient auparavant constitue le fondement de l'arrêt Oakfield. Lorsqu'ils ont prétendu mettre fin à leur contrôle de l'intimée en lui faisant émettre 80 actions privilégiées, pour la somme de 80 $, aux actionnaires minoritaires qui détenaient 10 pour 100 des actions ordinaires, les Gasner, les Wingold ont retenu un droit capital, qu'ils ont par la suite cédé à Validor, celui de liquider la société intimée si jamais il était dans leur intérêt de le faire. La seule pénalité que subiraient les Wingold, et plus tard Validor, par suite d'une telle liquidation, serait (outre le paiement de sommes nominales pour le remboursement du capital des actions privilégiées et des dividendes accumulés mais non payés) la remise de 10 pour 100 à Meyer Gasner, ce qui représentait exactement la même pénalité qui existait avant la prétendue fin du contrôle des Wingold.

13. Tout comme dans l'affaire Oakfield, la subsistance, après la réorganisation de 1960, du droit de liquider la société si la présence d'actionnaires ordinaires et privilégiés minoritaires devenait non souhaitable pour le détenteur de 90 pour 100 des actions ordinaires, c.‑à‑d. Validor, est, à mon avis, la pierre angulaire du programme fiscal aménagé à la suite des modifications apportées en 1960 à la loi de l'impôt. Le contrôle, au sens véritable du terme, n'a pas été abandonné par les Wingold (et leur successeur, Validor) en 1960, par suite de l'émission au groupe Gasner d'actions privilégiées pour la somme de 80 $. En conséquence, l'intimée est demeurée contrôlée par Validor au sens que le législateur donne à ce terme au par. 39(4).

14. L'avocat de l'intimée a soutenu qu'une conclusion, fondée sur les faits de l'espèce, que Validor contrôlait l'intimée équivaudrait à la création judiciaire d'un nouveau principe de droit qui serait essentiellement identique à la disposition présentée par le Parlement du Royaume‑Uni et que l'on trouve maintenant au par. 302(2) de l'Income and Corporation Taxes Act 1970, 1970 (U.K.), chap. 10 et ses modifications. Ce paragraphe prévoit ceci:

[TRADUCTION] 302. ...

(2) Pour les fins du présent chapitre, une personne est présumée avoir le contrôle d'une société si elle exerce, est capable d'exercer ou a le droit d'acquérir le contrôle direct ou indirect des affaires de la société et plus particulièrement, sans diminuer la généralité des mots qui précèdent, si elle a ou a le droit d'acquérir—

a) la majorité des actions du capital social ou du capital social émis de la société ou des voix dans une société; ou

b) la part du capital social émis de la société qui lui donnerait le droit, si tout le revenu de la société était effectivement distribué aux participants (sans égard aux droits qu'elle ou toute autre personne possède comme créancier), de recevoir la majeure partie des sommes ainsi distribuées; ou

c) les droits qui, advenant la liquidation de la société ou toute autre circonstance, lui permettraient de recevoir la majeure partie des biens de la société qu'il serait alors possible de distribuer aux participants.

15. Cette disposition a une portée beaucoup plus générale que les principes énoncés relativement au "contrôle" dans les présents motifs. De plus, l'intimée soutient que le Parlement du Royaume‑Uni a adopté cette disposition pour remplacer la disposition précédente, suite à l'arrêt Himley Estates, Ltd. v. Commissioners of Inland Revenue (1932), 17 T.C. 367 (C.A.) Il se peut que cela ait été le cas, même si la nouvelle disposition a fait son apparition plus de trente ans après cet arrêt. De toute façon, cette situation n'existe pas dans le contexte canadien. La façon d'aborder le mot "contrôle" adoptée en l'espèce ne comporte aucune dérogation à la jurisprudence antérieure ni aucune "modification" de la loi existante. Les conclusions tirées plus haut résultent simplement de l'application de la jurisprudence et des textes législatifs existants aux faits particuliers de l'espèce. L'application du concept du "contrôle", selon les arrêts antérieurs des tribunaux, aux circonstances soumises à cette Cour, constitue, à mon avis, un cheminement normal du processus judiciaire et n'équivaut d'aucune manière à une incursion dans le domaine du législateur.

16. L'avocat de l'intimée nous a aussi invités à étudier d'autres combinaisons de participations au capital‑actions et à les examiner en fonction de diverses situations économiques d'un contribuable. En l'espèce, seule la structure de la société intimée pendant les années d'imposition en cause nous intéresse. Les tribunaux étudieront d'autres combinaisons et circonstances si elles leur sont soumises dans des appels ultérieurs.

17. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'ordonnance de la Commission de révision de l'impôt qui a rejeté les appels de l'intimée contre les cotisations d'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1962, 1963, 1966 et 1967, avec dépens à l'appelante en cette Cour, en Division de première instance de la Cour fédérale et en Cour d'appel fédérale.

Version française des motifs des juges McIntyre, Lamer et Wilson rendus par

18. Le Juge Wilson (dissident)—Le présent pourvoi soulève la question de savoir si, lorsque le nombre de voix attachées aux actions d'une société est partagé également entre deux groupes d'actionnaires, on peut avoir recours à d'autres indices pour déterminer quel groupe contrôle une société au sens du par. 39(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, modifié par 1960 (Can.), chap. 43, par. 11(1). Si on peut ainsi avoir recours à d'autres indices, lesquels sont pertinents?

19. Il n'y a pas de doute que jusqu'à l'arrêt de cette Cour Oakfield Developments (Toronto) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 1032, le nombre de voix était le facteur déterminant et, si ce contrôle était partagé également, aucun des groupes d'actionnaires ne contrôlait la société: voir Buckerfield’s Ltd. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l'É. 299; Minister of National Revenue v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., [1967] R.C.S. 223. À mon avis, l'arrêt Oakfield s'est écarté de cette solution. La Cour y a en effet conclu que le nombre de voix étant également partagé, le contrôle se trouve dans les mains du groupe qui a les droits de jure les plus importants, en l'occurrence une plus grande participation aux biens au moment de la liquidation. Il me semble que, puisque dans l'affaire Oakfield chacun des deux groupes pouvait amener la mise en liquidation de la société, ce droit précis ne pouvait pas être déterminant en soi. Ce qui a été déterminant ce fut la présomption exprimée par la Cour que le groupe qui avait droit à une plus grande participation au moment de la liquidation était celui qui était le plus susceptible de la provoquer. Il pouvait, en d'autres mots, dissoudre la société, se débarrasser de l'autre groupe et récupérer la plus grande partie des biens. Pour ces motifs, il était vraisemblable que ce serait le groupe qui en réalité mettrait la société en liquidation lorsque ce serait le plus avantageux pour lui de le faire.

20. Il me semble que dans l'arrêt Oakfield, la Cour est passée d'un contrôle de droit à un contrôle de fait, lorsque le contrôle de droit n'apportait pas de réponse. Elle a conclu que le contrôle de fait est détenu par celui qui a le plus grand nombre de droits de jure à la dissolution.

21. Dans ses motifs de jugement en Cour d'appel fédérale, le juge Le Dain a essayé de cerner le fondement précis de l'arrêt Oakfield. Il a conclu qu'il représentait une dérogation à la jurisprudence antérieure et, sur ce point, je suis d'accord avec lui. Il a donc cherché à en restreindre l'application strictement aux cas où un groupe d'actionnaires détient toutes les actions comportant le plus grand nombre de droits de jure. Il me semble cependant que le juge Judson a fait une distinction d'avec l'arrêt Dworkin Furs pour le motif que chaque groupe avait les mêmes droits de jure et que ni l'un ni l'autre ne pouvait, à lui seul, amener la liquidation de la société. Il s'agissait, en d'autres termes, d'une situation sans issue et il n'y avait aucun moyen de distinguer un groupe de l'autre en fonction du contrôle de droit ou de fait. À mon avis, l'arrêt Oakfield étaye la proposition portant que lorsque le nombre de voix est partagé également, il faut examiner les autres droits dont sont assorties les actions détenues par les deux groupes pour voir s'ils fournissent un motif d'attribuer le contrôle de fait à l'un des groupes plutôt qu'à l'autre, quelle que soit la répartition de la propriété des actions entre les deux groupes. Dans l'arrêt Oakfield, on a conclu à un tel contrôle à cause de la part plus grande qu'obtiendrait un groupe à la liquidation, mais je ne vois pas de motif logique de ne pas appliquer le principe à d'autres circonstances, si on l'adopte.

22. L'analyse des arrêts montre clairement, je crois, que l'arrêt Oakfield constitue une dérogation importante à la jurisprudence antérieure. Dans l'arrêt Vancouver Towing Co. v. Minister of National Revenue, [1946] R.C. de l'É. 623, l'appelante a soutenu que la société mère n'avait pas d'intérêt dominant dans sa filiale à cause d'une entente de direction avec un nommé Jones qui avait été désigné comme administrateur‑gérant en vertu des statuts et qui avait reçu [TRADUCTION] "l'autorisation absolue et exclusive d'exercer tous les pouvoirs et privilèges" des administrateurs. L'appelante a soutenu que c'était Jones et non la société mère qui contrôlait la société. Se fondant sur les deux arrêts de principe anglais British American Tobacco Co. v. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13 (H.L.), et Inland Revenue Commissioners v. J. Bibby and Sons, Ltd., [1945] 1 All E.R. 667 (H.L.), la Cour de l'échiquier du Canada a rejeté cet argument pour le motif que l'expression "intérêt dominant" signifie [TRADUCTION] "avoir suffisamment d'actions dans la société pour l'emporter sur tous les autres actionnaires réunis à une assemblée générale de la société".

23. Les deux arrêts anglais invoqués dans l'arrêt Vancouver Towing portent sur le sens de l'expression "intérêt dominant" dans le contexte de la Finance Act du Royaume‑Uni. Il est cependant manifeste, d'après ces décisions, qu'on a statué que l'intérêt dominant est celui des personnes qui "contrôlent" les affaires de la société et que, dans les deux cas, on a jugé que ces personnes sont celles qui, ayant le nombre de voix nécessaire, peuvent décider de la façon dont la société doit être exploitée. Dans l'arrêt British American Tobacco, le vicomte Simon conclut à la p. 15:

[TRADUCTION] Les détenteurs de la majorité des voix dans une compagnie sont ceux qui ont le contrôle réel de ses affaires et de ses destinées.

Lord Russell of Killowen exprime le même point de vue dans l'arrêt Bibby, à la p. 669:

[TRADUCTION] Lorsque cet article parle d'intérêts dominants des administrateurs dans la compagnie, ce qui est directement visé par les mots "intérêts dominants", ce n'est pas la mesure dans laquelle tels administrateurs pourraient avoir un droit en equity (beneficial interest) sur les profits de la compagnie tant qu'elle est en activité, ou encore dans l'excédent de l'actif au moment de sa liquidation, mais bien plutôt la mesure dans laquelle ils ont le pouvoir de contrôler, en les votant, les décisions qui engagent la compagnie, exprimées par résolutions de l'assemblée générale des actionnaires. En d'autres mots, le critère qui fait exclure de l'al. (9)a) l'entreprise d'une compagnie et la fait inclure dans l'al. (9)b), c'est le nombre de voix dont disposent ses administrateurs, et non la mesure de leur droit en equity dans la compagnie.

Aux fins de ce critère, le fait qu'une action conférant droit de vote est assignée à un administrateur à titre de fiduciaire semble sans importance. Le droit de vote est là et même si, en l'exerçant, on commettait un abus de confiance, ou même une désobéissance à un ordre formel, la voix serait validement donnée quant à la compagnie, et la résolution lierait péremptoirement cette dernière tant qu'elle ne serait pas abrogée. La prétention selon laquelle, d'après le texte de l'art. 13 l'intérêt doit se restreindre à l'intérêt en equity me paraît être une répétition de l'argument rejeté par cette Chambre dans l'arrêt British American Tobacco Co. v. C.I.R.... en rapport avec la National Defence Contribution et la Finance Act, 1937.

Lord Macmillan est du même avis que lord Russell of Killowen et dit, à la p. 670:

[TRADUCTION] Le contrôle d'une compagnie réside dans le droit de vote de ses actionnaires. Dans la compagnie intimée, seules les actions ordinaires confèrent le droit de vote à une assemblée générale. Les administrateurs sont les propriétaires inscrits d'une majorité des actions ordinaires. Il semblerait donc s'ensuivre que les administrateurs ont un intérêt dominant dans la compagnie.

Il en est de même pour lord Simonds qui dit, aux pp. 672 et 673:

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, qu'est‑ce qui constitue un intérêt dominant dans une compagnie? Il s'agit de la capacité, par l'exercice du droit de vote, de faire adopter une résolution à l'assemblée générale de la compagnie. Les administrateurs de la compagnie intimée peuvent‑ils, en exerçant leur droit de vote, faire adopter une telle résolution? Oui, parce qu'ils sont les détenteurs inscrits de plus de la moitié des actions ordinaires de la compagnie. En conséquence, ils ont un intérêt dominant dans la compagnie.

Sa Majesté cherche à éviter cette conséquence en prétendant que les actions détenues par un administrateur à titre de fiduciaire ne doivent pas entrer dans le calcul de l'intérêt dominant. Dans l'argumentation des appelants en cette Chambre et dans les motifs formels de cette dernière, ce veto absolu est atténué par la proposition selon laquelle, si l'administrateur a non seulement la propriété en droit des actions, mais y a aussi un intérêt dominant en equity, elles peuvent être incluses dans le calcul.

Vos Seigneuries, j'estime que la prétention de Sa Majesté n'est pas fondée. Ceux qui contrôlent la compagnie par leur vote ne la contrôlent pas moins parce qu'ils sont eux‑mêmes assujettis à un contrôle extérieur quelconque. Le contrôle leur appartient, bien que dans l'exercice de celui‑ci ils puissent se rendre coupables de manquement à leurs obligations morales ou juridiques. Il est impossible (ce qui est reconnu depuis longtemps en droit des compagnies) de rechercher si le détenteur inscrit d'une action en est le propriétaire en equity et dans quelle mesure. Il faut une règle précise.

24. Dans l'arrêt Buckerfield’s Ltd. v. Minister of National Revenue, précité, le président Jackett a examiné la contestation d'une cotisation fondée sur la conclusion que plusieurs sociétés étaient "associées" au sens de l'art. 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le président Jackett a analysé l'al. 39(4)b) et il a fait observer aux pp. 302 et 303:

[TRADUCTION] Il est concevable qu'il puisse exister plusieurs façons de comprendre le mot "contrôle" dans un texte législatif tel que la Loi de l’impôt sur le revenu, quand on applique ce mot à une corporation. Il peut par exemple se rapporter au contrôle par les "membres de la direction", lorsque la direction et le conseil d'administration sont distincts, ou il peut se rapporter au contrôle par le conseil d'administration. Le genre de contrôle qu'exercent les membres de la direction ou le conseil d'administration n'est évidemment pas, toutefois, celui que vise l'article 39 en parlant du contrôle d'une corporation par une autre de même que du contrôle d'une corporation par des particuliers (voir le paragraphe (6) de l'article 39). On conçoit très bien que le mot "contrôle" puisse se rapporter à un contrôle de fait par un actionnaire ou plus détenant ou non une majorité des actions. Je crois cependant qu'à l'article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le mot "contrôlée" vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un nombre d'actions suffisant pour donner la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration. Voir British American Tobacco Co. v. I. R. C....où le lord Chancelier, le vicomte Simon, a déclaré, à la p. 15:

Les détenteurs de la majorité des voix dans une compagnie sont ceux qui ont le contrôle réel de ses affaires et de ses destinées.

Voir aussi Minister of National Revenue v. Wrights’ Canadian Ropes Ltd.... par lord Greene, Maître des Rôles, à la p. 118, où il a été décidé que le simple fait qu'une compagnie détient moins de 50 pour cent des actions d'une autre compagnie établit "péremptoirement" que l'une des compagnies n'est pas "contrôlée" par l'autre, au sens de l'article 6 de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu.

25. Dans l'arrêt Vineland Quarries and Crushed Stone Ltd. v. Minister of National Revenue, 66 DTC 5092 (C. de l'É.), le juge Cattanach s'est demandé si, pour déterminer le contrôle de droit au sens de l'al. 39(4)b), la cour doit examiner les noms de société portés au registre pour découvrir qui détient réellement la majorité des voix. Dans cette affaire, la moitié des actions de la société appelante appartenait à un nommé Sauder et l'autre moitié à Bold Investments dont un nommé Thornborrow possédait toutes les actions. La moitié des actions de Sauder and Thornborrow Company appartenait à Thornborrow et l'autre moitié à McMaster Company dont Sauder possédait toutes les actions. Sauder et Thornborrow détenaient chacun la moitié des actions de Verben Company. Le Ministre a cotisé la société appelante, Sauder and Thornborrow Company et Verben en tant que sociétés associées pour le motif que les trois sociétés étaient contrôlées par le même groupe de personnes, savoir Sauder et Thornborrow. L'appel de l'appelante a été rejeté. Le juge Cattanach souligne que dans les arrêts Bibby et British American Tobacco Ltd., on a rejeté le critère de la propriété en equity et il conclut à la p. 5098:

[TRADUCTION] À mon avis, le mot "contrôlées" à l'al. 39(4)b) prévoit et comprend un rapport de nature à conférer le contrôle en vertu de la majorité des voix, quelle que soit la manière dont ce résultat est obtenu, directement ou indirectement.

...

Il me semblerait inutile de s'arrêter après avoir constaté, dans le registre des actionnaires de la société appelante et celui de Sauder and Thornborrow Limited, que dans chaque cas Bold Investments (Hamilton) Limited et McMaster Investments Limited détiennent chacune 50 pour 100 des actions alors qu'un examen du registre des actionnaires de Bold Investments (Hamilton) Limited et de McMaster Investments Limited révèle que toutes (ou presque toutes) les actions de ces sociétés sont détenues par Vernon Thornborrow et Benjamin Sauder respectivement.

En vertu de l'arrêt British American Tobacco, je ne crois pas approprié d'arrêter l'analyse après avoir examiné le registre des actionnaires de l'appelante et celui de Sauder and Thornborrow Limited. Il est bon et nécessaire d'examiner les registres des actionnaires de Bold Investments (Hamilton) Limited et de Sauder and Thornborrow Limited pour répondre à la question de savoir si l'appelante et les deux autres sociétés sont contrôlées par le même "groupe de personnes". Lorsque l'actionnaire inscrit dans le premier cas est un corps constitué, il faut aller au delà du registre des actionnaires.

26. Cette Cour a approuvé et appliqué le raisonnement de l'arrêt Buckerfield’s dans l'arrêt Dworkin Furs, précité. La question en litige dans l'arrêt Dworkin Furs était de savoir si cinq sociétés étaient "associées" au sens de l'art. 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1952, du fait qu'elles étaient toutes "contrôlées" par une personne ou un groupe de personnes déterminé au sens des al. 39(4)a) et b). Le juge Hall, s'exprimant au nom de cette Cour, conclut aux pp. 227 et 228:

[TRADUCTION] Le mot contrôlée, tel qu'il est employé dans ce paragraphe, signifie, selon le président Jackett, contrôle de droit et non contrôle de fait; sur ce point, je partage son avis. Il a dit dans l'arrêt Buckerfield's Limited et al. v. Minister of National Revenue...

Il est concevable qu'il puisse exister plusieurs façons de comprendre le mot "contrôle" dans un texte législatif tel que la Loi de l’impôt sur le revenu, quand on applique ce mot à une corporation. Il peut par exemple se rapporter au contrôle par les "membres de la direction", lorsque la direction et le conseil d'administration sont distincts, ou il peut se rapporter au contrôle par le conseil d'administration. Le genre de contrôle qu'exercent les membres de la direction ou le conseil d'administration n'est évidemment pas, toutefois, celui que vise l'article 39 en parlant du contrôle d'une corporation par une autre de même que du contrôle d'une corporation par des particuliers (voir le paragraphe (6) de l'article 39). On conçoit très bien que le mot "contrôle" puisse se rapporter à un contrôle de fait par un actionnaire ou plus détenant ou non une majorité des actions. Je crois cependant qu'à l'article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le mot "contrôlée" vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un nombre d'actions suffisant pour donner la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration. Voir British American Tobacco Co. v. I.R.C., [1943] 1 All E.R. 13 où le lord Chancelier, le vicomte Simon, a déclaré, à la p. 15:

Les détenteurs de la majorité des voix dans une compagnie sont ceux qui ont le contrôle réel de ses affaires et de ses destinées.

Voir aussi Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ld., [1947] A.C. 109, par lord Greene, Maître des Rôles, à la p. 118, où il a été décidé que le simple fait qu'une compagnie détient moins de 50 pour cent des actions d'une autre compagnie établit "péremptoirement" que l'une des compagnies n'est pas "contrôlée" par l'autre, au sens de l'article 6 de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu.

Cette définition de "contrôlée" s'applique à tous les cinq pourvois.

Dans l'affaire Dworkin Furs (Pembroke) Limited, Dworkin Furs Ltd. détenait 48 pour 100 des actions émises en son propre nom et 2 pour 100 au nom de Roy Saipe et Helen Saipe et de ses mandataires. Les autres 50 pour 100 appartenaient à une nommée Sadie Harris. Roy Saipe était président de cette intimée, mais les règlements de la société disposaient qu'en cas d'égalité des voix, le président n'avait pas voix prépondérante.

Il est clair, vu l'arrêt Buckerfield, que dans ces circonstances Dworkin Furs (Pembroke) Limited n'était pas contrôlée par Dworkin Furs Ltd.

Le juge Hall souligne à l'égard de l'une des sociétés qu'une entente entre deux détenteurs de 50 pour 100 des actions donnerait à l'un d'eux le contrôle de fait. Il dit à la p. 229:

[TRADUCTION] Même si on pourrait dire que l'arrangement ou l'accord intervenu entre Wagenaar et Jager donnait à Wagenaar le contrôle de fait, elle ne lui donnait pas le contrôle de droit qui est le critère véritable...

27. Cette Cour a suivi l'arrêt Dworkin Furs qui insiste sur le contrôle de droit comme étant le critère applicable en vertu du par. 39(4), dans l'arrêt Vina‑Rug (Canada) Ltd. v. Minister of National Revenue, [1968] R.C.S. 193 (le juge Abbott).

28. Dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Consolidated Holding Co., [1974] R.C.S. 419, 72 DTC 6007 le juge Judson, qui a rédigé les motifs de cette Cour à la majorité, a appliqué l'arrêt Vina‑Rug, allant au delà du registre des actionnaires pour déterminer qui détient la majorité des voix. Le juge Spence, dissident, aurait limité l'examen de la Cour au registre des actionnaires qui est "... la seule base ... sur laquelle on puisse déterminer les droits de vote afférents aux actions et, par conséquent, il est la seule base sur laquelle on peut décider qui contrôle une compagnie" (à la p. 434).

29. Dans l'arrêt Donald Applicators Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C. de l'É. 43, 69 DTC 5122 (confirmé à [1971] R.C.S. v, 71 DTC 5202), la Cour de l'échiquier a, en interprétant les mots "une des corporations contrôlait l'autre", conclu que même si un actionnaire pouvait ne pas avoir les voix nécessaires pour faire élire les administrateurs, s'il a suffisamment de voix pour faire adopter une résolution ordinaire des actionnaires pour enlever les pouvoirs aux administrateurs et réserver les décisions à la classe d'actionnaires à laquelle il appartient, pour renvoyer les administrateurs et, en définitive, s'assurer le droit d'élire des administrateurs, il a alors le contrôle de droit de la société. Le juge Thurlow a expressément rejeté le recours au critère du contrôle de fait, aux pp. 5124 et 5125:

[TRADUCTION] Je puis me prononcer sur le moyen subsidiaire en disant qu'à mon avis il ne faut pas tenir compte du contrôle de fait, que c'est le contrôle de droit qu'envisage la Loi et que, pour déterminer s'il y a association aux fins de la Loi, c'est le contrôle lui‑même et non quelque élément ou fragment du contrôle qui est requis pour appuyer la conclusion que les corporations sont en fait associées. Cette prétention, à mon avis, n'est donc pas fondée.

...

La déclaration que fait le président de cette Cour dans l'arrêt Buckerfield’s (1965), 1 R.C. de l'É. 299, à la p. 303 [64 DTC 5301, à la p. 5303], lorsqu'il dit "Je crois cependant qu'à l'article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le mot "contrôlée" vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un nombre d'actions suffisant pour donner la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration" doit, à mon avis, s'interpréter comme étant applicable à une situation où les administrateurs élus ont les pouvoirs ordinaires qu'ont les administrateurs de présider aux destinées de la société.

30. Le concept de personne morale et le fait que les actionnaires n'ont aucun droit de propriété sur les biens des sociétés jusqu'à la liquidation de l'entreprise a, je crois, amené les tribunaux à opter pour le contrôle de droit plutôt que pour le contrôle de fait. La distinction entre propriété et contrôle d'une personne morale en exploitation a été maintenue. Comme le souligne le juge Cattanach dans l'arrêt Vineland Quarries, précité, à la p. 5096:

[TRADUCTION] Je ne m'intéresse pas en l'espèce à la proposition selon laquelle une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires, ni à des questions relatives à la capacité ou aux pouvoirs de la société. Je reconnais volontiers le principe incontesté qu'aucun actionnaire, même celui qui détient toutes les actions de la société, n'a de droit de propriété en droit ou en equity sur les biens de la société, et le principe que la société n'est, comme telle, ni la mandataire ni la fiduciaire de ses actionnaires.

La question en l'espèce est de savoir qui "contrôle" l'appelante et Sauder and Thornborrow Limited. Est‑ce Benjamin Sauder et Vernon Thornborrow ou est‑ce Benjamin Sauder, Bold Investment (Hamilton) Limited, Vernon Thornborrow et McMaster Investments Limited?

31. Bien que la portée de l'analyse ait été étendue, par application du critère du contrôle de droit, au delà du simple examen du registre des actionnaires pour déterminer qui détient réellement la majorité des voix, il n'y a pas eu, jusqu'à l'arrêt Oakfield, de dérogation au principe selon lequel la majorité des voix est le véritable indice du contrôle. Je suis donc d'avis que l'arrêt Oakfield est anormal et qu'il ne doit pas être suivi. À mon avis, il n'est pas du tout approprié que les tribunaux changent soudainement d'orientation à l'égard d'un principe bien établi depuis longtemps dans notre jurisprudence fiscale. Si le législateur souhaite modifier la loi comme on l'a fait au Royaume‑Uni pour décourager le genre de planification fiscale pratiquée en l'espèce, il a bien sûr toute la liberté de le faire. Mais je ne crois pas qu'il s'agit d'un domaine qui se prête à la créativité judiciaire. Les gens planifient leurs affaires personnelles et commerciales en fonction du droit existant et ils ont le droit de le faire. Il est important, je crois, de reconnaître que toute dérogation subite des tribunaux à une jurisprudence bien établie dans un domaine comme le droit fiscal peut avoir des conséquences rétroactives graves sur le contribuable.

32. Mis à part les considérations d'équité et d'impartialité, je crois que l'intimée a tout à fait raison lorsqu'elle souligne l'incertitude du critère de contrôle de fait fondé sur une évaluation de droits de jure dans différents contextes relatifs aux sociétés et dans des conditions économiques et commerciales différentes. À vrai dire, il me semble parfaitement concevable que, si l'on adoptait un tel critère, le contrôle de fait pourrait passer d'un groupe d'actionnaires à un autre selon la situation de la société.

33. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli, les juges McIntyre, Lamer et Wilson sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Roger Tassé, Ottawa.

Procureurs de l’intimée: Goodman & Carr, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Impôt sur le revenu - Compagnies - Contrôle - Société actionnaire ordinaire - Actionnaire minoritaire détenteur d’actions ordinaires et d’actions privilégiées avec droit de vote - Société actionnaire et actionnaire minoritaire détenteurs d’un nombre égal de voix et en mesure d’élire un nombre égal d’administrateurs - Possibilité de liquidation si cela est appuyé par cinquante pour cent des voix - L’intimée est‑elle contrôlée par la société actionnaire? - Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 39(4) modifié par 1960 (Can.), chap. 43, art. 11(1).

La détermination du taux d'imposition applicable à l'intimée est liée à la question de savoir si l'intimée était contrôlée par une autre société au sens du par. 39(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Sur cent actions ordinaires émises par l'intimée, quatre‑vingt‑dix étaient détenues par la famille Wingold (et plus tard par sa société Validor), et dix par Gasner, un associé d'affaires qui n'avait aucun lien de parenté, ni par le sang ni par alliance, avec la famille Wingold. Dans le cadre d'une réorganisation de la société intimée, on a créé des actions privilégiées à dividende cumulatif, avec droit de vote et non participantes, dont quatre‑vingts ont été émises à Gasner et à son épouse. Les Wingold et les Gasner avaient donc respectivement quatre‑vingt‑dix voix. Par suite de la réorganisation, c'était M. et Mme Gasner et deux des Wingold et non plus seulement des Wingold qui occupaient les quatre postes d'administrateur. Cinquante pour cent des voix suffisaient pour mettre la société en liquidation. Le cas échéant, l'actif de la société serait réparti entre les actionnaires ordinaires après paiement de la valeur nominale des actions privilégiées émises et de tout dividende accumulé mais non payé.

Arrêt (les juges McIntyre, Lamer et Wilson sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges Beetz, Estey, Chouinard et La Forest: En déterminant la façon d'appliquer le par. 39(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une cour n'est pas restreinte à une interprétation très formaliste et étroite des droits qui, en vertu de la loi, sont liés aux actions d'une société; elle n'est pas astreinte non plus à examiner ces droits dans le seul contexte de leur application immédiate lors d'une assemblée de la société. En l'espèce, la subsistance du droit de liquider la société si la présence d'actionnaires ordinaires et privilégiés minoritaires devenait non souhaitable pour l'actionnaire ordinaire majoritaire est la pierre angulaire du programme fiscal. Le contrôle, au sens véritable du terme, n'a été abandonné ni par les Wingold ni par leur successeur par suite de l'émission des actions privilégiées. Ils pouvaient encore procéder à une liquidation et, s'ils l'avaient fait, leurs obligations envers l'actionnaire ordinaire minoritaire seraient demeurées pratiquement les mêmes qu'avant la réorganisation, savoir la remise de 10 pour 100 des biens excédentaires, en plus seulement du paiement de sommes nominales pour le remboursement du capital des actions privilégiées et des dividendes accumulés mais non payés. En conséquence, l'intimée a continué d'être contrôlée par Validor, le successeur des Wingold, au sens du par. 39(4).

Les juges McIntyre, Lamer et Wilson, dissidents: Bien que la portée de l'analyse ait été étendue, par application du critère du contrôle de droit, au delà du simple examen du registre des actionnaires pour déterminer qui détient la majorité des voix, il n'y a pas eu, jusqu'à l'arrêt Oakfield, de dérogation au principe selon lequel la majorité des voix est le véritable indice du contrôle. Dans l'arrêt Oakfield, l'application du critère du contrôle de fait était fondée sur une évaluation des droits en equity des actionnaires et, comme cet arrêt est anormal, il ne doit pas être suivi. Il n'est pas du tout approprié que les tribunaux changent soudainement d'orientation à l'égard d'un principe bien établi depuis longtemps dans la jurisprudence fiscale, étant donné qu'une telle dérogation peut avoir des conséquences rétroactives graves sur les contribuables qui planifient leurs affaires personnelles et commerciales en fonction du droit existant. Ce n'est pas un domaine qui se prête à la créativité des tribunaux même s'il peut se prêter à celle du législateur.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Imperial General Properties Ltd.

Références :

Jurisprudence
Citée par la majorité
Arrêts examinés: Minister of National Revenue v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., [1967] R.C.S. 223
Oakfield Developments (Toronto) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 1032
arrêts mentionnés: Buckerfield’s Ltd. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l'É. 299
British American Tobacco Co. v. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13
Donald Applicators Ltd. v. Minister of National Revenue, [1971] R.C.S. v, 71 DTC 5202, confirmant [1969] 2 R.C. de l'É. 43, 69 DTC 5122
Himley Estates, Ltd. v. Commissioners of Inland Revenue (1932), 17 T.C. 367.
Citée par la minorité
Oakfield Developments (Toronto) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1971] R.C.S. 1032
Minister of National Revenue v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., [1967] R.C.S. 223
Vancouver Towing Co. v. Minister of National Revenue, [1946] R.C. de l'É. 623
British American Tobacco Co. v. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13
Inland Revenue Commissioners v. J. Bibby and Sons, Ltd., [1945] 1 All E.R. 667
Vineland Quarries and Crushed Stone Ltd. v. Minister of National Revenue, 66 DTC 5092 (C. de l'É.)
Ministre du Revenu national c. Consolidated Holding Co., [1974] R.C.S. 419, 72 DTC 6007
Vina‑Rug (Canada) Ltd. v. Minister of National Revenue, [1968] R.C.S. 193
Donald Applicators Ltd. v. Minister of National Revenue, [1971] R.C.S. v, 71 DTC 5202, confirmant [1969] 2 R.C. de l'É. 43, 69 DTC 5122
Buckerfield’s Ltd. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l'É. 299.
Lois et règlements cités
Income and Corporation Taxes Act 1970, 1970 (U.K.), chap. 10, art. 302(2)a), b), c).
Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 39(4)a), b) modifié par 1960 (Can.), chap. 43, art. 11(1).

Proposition de citation de la décision: La Reine c. Imperial General Properties Ltd., [1985] 2 R.C.S. 288 (31 octobre 1985)


Origine de la décision
Date de la décision : 31/10/1985
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1985] 2 R.C.S. 288 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-10-31;.1985..2.r.c.s..288 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award