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06/11/1985 | CANADA | N°[1987]_1_R.C.S._246

Canada | R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246 (6 novembre 1985)


R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246

Gerald Michael Wigman Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. wigman

No du greffe: 17940.

1985: 6 novembre; 1986: 6 février; 1987: 9 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard[1], Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 6 C.C.C. (3d) 289, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité d

e tentative de meurtre. Pourvoi rejeté, mais la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre prononcée au proc...

R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246

Gerald Michael Wigman Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. wigman

No du greffe: 17940.

1985: 6 novembre; 1986: 6 février; 1987: 9 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard[1], Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 6 C.C.C. (3d) 289, qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. Pourvoi rejeté, mais la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre prononcée au procès est remplacée par une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise consistant à avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne.

Sheldon Goldberg, pour l'appelant.

Allan Stewart, c.r., pour l'intimée.

Version française du jugement rendu par

1. La Cour—En 1974, dans l'arrêt Lajoie c. La Reine, [1974] R.C.S. 399, la Cour, s'exprimant par l'intermédiaire du juge Martland, a jugé que lorsque le par. 24(1) du Code criminel mentionne "l'intention de commettre une infraction" relativement à un meurtre, cela signifie l'intention de commettre cette infraction de l'une ou l'autre des façons décrites aux art. 212 ou 213 du Code. Cette décision a fait que, dans le cas d'une accusation de tentative de meurtre, le ministère public pouvait obtenir gain de cause, pour ce qui est de l'élément moral du crime, en prouvant hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait l'intention (i) soit de causer la mort, (ii) soit de causer des lésions corporelles qu'il savait de nature à causer la mort et qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non.

2. Quelque dix années plus tard, dans l'arrêt R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225, la Cour à la majorité, s'exprimant par l'intermédiaire du juge McIntyre, a jugé que l'arrêt Lajoie ne devait plus être suivi, que la mens rea nécessaire dans le cas d'une tentative de meurtre était l'intention spécifique de tuer. La présence d'un élément moral différent pourrait bien entraîner une déclaration de culpabilité d'une autre infraction comme, par exemple, une des formes aggravées de voies de fait, mais non une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre.

3. En 1981, après l'arrêt Lajoie de 1974 mais avant l'arrêt Ancio de 1984, l'appelant Gerald Michael Wigman a été jugé et reconnu coupable, par un juge et un jury, de tentative de meurtre par coups sur la personne de Margaret Hill. Le juge a instruit le jury de la possibilité qu'il avait de reconnaître l'accusé coupable s'il concluait que ce dernier avait eu l'une ou l'autre des deux intentions mentionnées. C'était là le droit applicable selon l'arrêt Lajoie. Mais cela constitue une erreur de droit si l'on applique l'arrêt Ancio, comme le reconnaît le ministère public. L'appelant, qui se pourvoit maintenant devant cette Cour contre sa déclaration de culpabilité, affirme qu'il a le droit de bénéficier de l'arrêt Ancio. Le ministère public dit que non. C'est là le principal point litigieux en l'espèce. Une seconde question se pose, celle de la possibilité d'appliquer le principe dit de l'arrêt Kienapple, qui se dégage de l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.

I

Les faits et le procès

4. Monsieur Wigman a été inculpé de trois chefs d'introduction par effraction et de vol qualifié par acte d'accusation daté du 26 octobre 1981. Le deuxième chef concernait un appartement de la ville de Vancouver où Mme Margaret Hill résidait. Monsieur Wigman, comparaissant devant le juge Toy de la Cour suprême de la Colombie‑ Britannique, a plaidé coupable relativement aux trois chefs.

5. Le 30 octobre 1981, M. Wigman a été accusé de tentative de meurtre, laquelle aurait eu lieu au cours de l'introduction par effraction mentionnée dans le deuxième chef. Madame Hill, une femme de 69 ans, vivait seule dans un appartement situé au rez‑de‑chaussée. Elle s'était couchée à 20 h 30 le 16 mai 1981. Le lendemain, vers 16 h, une voisine l'a découverte gisant sur le plancher de sa chambre et il était évident qu'elle avait subi des blessures très graves. Dans l'appartement régnait [TRADUCTION] "un désordre indescriptible". Plusieurs objets avaient disparu. Le fil du téléphone avait été coupé. D'après les éléments de preuve médicale, elle avait été frappée à la tête à six reprises au moins et elle avait d'énormes ecchymoses sur d'autres parties du corps. Sans traitement, elle serait probablement morte. On a trouvé les empreintes digitales de l'accusé dans l'appartement.

6. L'accusé a subi son procès devant le juge Toy et un jury. À l'ouverture du procès, l'accusé a reconnu, par l'intermédiaire de son avocat, qu'il avait pénétré dans l'appartement de Mme Hill, en enlevant une porte coulissante de son balcon, et qu'il avait volé divers bijoux et une somme d'argent. Au cours du procès, aucune mention n'a été faite du plaidoyer de culpabilité que M. Wigman avait inscrit antérieurement quant à l'inculpation d'introduction par effraction. Aucune mention n'a été faite non plus de l'argument, fondé sur l'arrêt Kienapple, selon lequel l'accusé ne pouvait être reconnu coupable à la fois de vol qualifié et de tentative de meurtre, la violence étant un élément commun aux deux infractions.

7. Monsieur Wigman a opposé, comme moyen de défense à l'accusation de tentative de meurtre, qu'il était accompagné d'un dénommé "Dave" et que c'était lui qui s'était livré à des voies de fait sur la personne de Mme Hill et qui l'avait sauvagement battue.

8. Dans son exposé au jury, le juge a décrit ainsi l'intention requise dans le cas d'une tentative de meurtre:

[TRADUCTION] . . . vous pouvez choisir l'une ou l'autre possibilité, l'intention de tuer ou l'intention de causer des lésions corporelles alors qu'on sait qu'elles sont de nature à causer la mort et que l'on ne se soucie pas que la mort s'ensuive ou non.

Des termes qui donnent au jury le choix entre deux intentions reviennent à maintes reprises dans l'exposé. C'était là le droit applicable selon l'arrêt Lajoie, mais non celui applicable selon l'arrêt Ancio.

9. Le juge Toy a mentionné au jury deux infractions comprises dans celle de tentative de meurtre: (1) l'infliction de lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne, et (2) les voies de fait causant des lésions corporelles. Le jury s'est retiré pour délibérer à 17 h 12 le 6 novembre 1981 et est revenu rendre un verdict de culpabilité de tentative de meurtre le 7 novembre 1981, à 17 h 28.

10. Le juge a souligné, au moment de prononcer la sentence, que le témoignage de l'accusé portant qu'un certain "Dave X" était celui qui avait assené les coups à l'insu ou sans le consentement de l'accusé, avait été rejeté en totalité ou en partie par le jury, bien qu'il fût impossible de dire si le jury avait déclaré M. Wigman coupable à titre d'auteur principal, ou plutôt en tant que partie à la réalisation d'une fin commune, conformément au par. 21(2) du Code criminel. Nous ajouterons qu'on ne peut dire avec certitude si le jury a conclu que M. Wigman avait l'intention de causer la mort ou qu'il avait l'intention moindre, et maintenant sans importance, de causer des lésions corporelles alors qu'il savait qu'elles étaient de nature à causer la mort et qu'il ne se souciait pas que la mort s'ensuive ou non.

11. Le 4 décembre 1981, le juge Toy a condamné l'appelant à une peine d'emprisonnement de dix ans relativement à l'accusation d'introduction par effraction et de vol qualifié, et à une peine d'emprisonnement à perpétuité relativement à la déclaration de culpabilité portant sur l'accusation de tentative de meurtre.

II

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique

12. Monsieur Wigman, après avoir changé d'avocat, a interjeté appel à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique contre sa déclaration de culpabilité de tentative de meurtre. Son avocat a soutenu comme moyen principal que l'accusé, ayant plaidé coupable relativement à l'accusation d'introduction par effraction et de vol qualifié, n'aurait pas dû être jugé à nouveau pour une tentative de meurtre découlant des mêmes circonstances. C'est la question de principe de l'arrêt Kienapple. La cour s'est dite d'avis que ce principe ne s'appliquait pas aux faits de l'espèce. Dans une décision publiée à (1983), 6 C.C.C. (3d) 289, le juge Hutcheon passe en revue un certain nombre de précédents examinés dans l'arrêt Sheppe c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 22, ainsi que la déclaration du juge en chef Laskin, à la p. 27:

Dans Kienapple c. La Reine, précité, où un seul acte était à l'origine de deux infractions distinctes, cette Cour a jugé qu'on ne pouvait justifier des déclarations de culpabilité multiples pour le même délit ou pour la même cause ou chose ou lorsque les mêmes éléments ou fondamentalement les mêmes se retrouvent dans deux infractions distinctes.

Le juge Hutcheon a conclu à la p. 292 que le point de vue exact à cet égard était celui contenu dans l'argumentation du ministère public:

[TRADUCTION] L'introduction par effraction et le vol qualifié impliquent que l'accusé est entré dans l'appartement de la victime, qu'il s'est emparé des bijoux et de l'argent de la femme et qu'il a eu recours à la violence. L'infraction de tentative de meurtre implique que l'accusé a frappé la femme en ayant l'une des deux intentions énoncées à l'al. 212a) du Code criminel, ou implique à tout le moins que l'accusé était partie à une telle infraction, aux termes du paragraphe 21(2) et de l'alinéa 212a).

Le juge Hutcheon conclut que, d'après les faits, deux infractions comportant la même violence ont été commises, mais il constate sans difficulté que des éléments de fait et de droit différents sous‑ tendent les deux infractions.

III

La Cour suprême du Canada

13. Monsieur Wigman a demandé à cette Cour une autorisation de pourvoi qui a été accordée le 15 décembre 1983 par une formation composée du juge en chef Laskin et des juges Dickson et Estey, [1983] 2 R.C.S. xv. Cette autorisation était générale, c.‑à‑d. qu'elle n'était pas confinée à des points spécifiés. L'ordonnance d'autorisation de pourvoi est ainsi conçue:

[TRADUCTION] CONSIDéRANT LA REQUÊTE, soumise par l'avocat du requérant, en vue d'obtenir l'autorisation de se pourvoir contre l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, en date du 28 juin 1983, et considérant les allégations de l'avocat du requérant et de celui de l'intimée présentées le 5 décembre 1983;

L'ORDONNANCE d'autorisation de pourvoi est accordée.

14. Dans son mémoire, déposé le 25 juin 1984, l'appelant énonce les points qu'il se propose de débattre:

[TRADUCTION] QUE l'appelant, ayant plaidé coupable relativement à l'accusation d'introduction par effraction et de vol qualifié, n'aurait pas dû être jugé à nouveau pour une tentative de meurtre découlant des mêmes circonstances;

QUE le juge de première instance a commis une erreur en ne décidant pas si les faits révélés par l'introduction par effraction et le vol qualifié justifient une accusation de tentative de meurtre ou en n'autorisant pas le jury à le faire;

QUE l'appelant, s'étant vu imposer une peine de prison de 10 ans pour une introduction par effraction et un vol qualifié, n'aurait pas dû recevoir de plus une sentence pour tentative de meurtre;

QUE la Cour d'appel a commis une erreur en statuant que deux déclarations de culpabilité relativement aux mêmes actes de violence devaient être maintenues et que l'arrêt Kienapple v. The Queen (1974), 15 C.C.C. (2d) 524, ne s'appliquait pas aux faits de l'espèce.

15. Le pourvoi devait être entendu le 6 novembre 1985 en matinée. Peu avant que la Cour ne se réunisse ce matin‑là, l'avocat de l'appelant a informé celui du ministère public qu'il avait l'intention de soulever la question de l'arrêt R. c. Ancio. À l'ouverture de la séance, il en a fait part à la Cour. L'avocat du ministère public s'y est opposé pour le motif qu'il n'avait pas été prévenu de l'intention de l'avocat de la partie adverse d'invoquer l'arrêt Ancio et que le ministère public n'était pas en mesure de répondre à un tel argument. La Cour a en conséquence ajourné l'audience afin de permettre à l'avocat de l'appelant de préparer des observations écrites relativement à la question de l'arrêt Ancio et pour que l'avocat du ministère public puisse y répondre. Des mémoires supplémentaires ont été produits.

16. À l'audition subséquente du pourvoi, la question de l'arrêt Kienapple et celle de l'arrêt Ancio ont été débattues. Le ministère public fait valoir trois points. Il soutient qu'entendre la question de l'arrêt Ancio reviendrait à entendre un pourvoi sur une question à l'égard de laquelle aucune autorisation de pourvoi n'a été accordée. Il soutient en outre que si l'autorisation devait être accordée, la réserve du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel devrait de toute façon être appliquée dans la mesure où elle peut être fondée sur la contestation de l'exposé du juge au jury. Enfin, il soutient que si cette Cour décidait de ne pas appliquer au présent pourvoi la réserve du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code, elle devrait remplacer la déclaration de culpabilité déjà prononcée par une déclaration de culpabilité de l'infraction visée à l'art. 228 du Code en vigueur à la date de l'infraction.

IV

La question de l'arrêt Kienapple

17. Nous faisons nôtre la conclusion de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique que le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas et que M. Wigman pouvait être déclaré coupable des deux infractions en question. Compte tenu de l'examen approfondi qui a été effectué dans l'arrêt R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, il suffit de réitérer simplement qu'un critère en deux parties doit être satisfait pour que le principe de l'arrêt Kienapple s'applique: il doit y avoir un lien factuel et juridique entre les diverses accusations. Le principe de l'arrêt Kienapple empêche les déclarations de culpabilité multiples seulement si elles résultent de la même "cause", de la même "chose" ou du même "délit", et s'il y a un lien suffisamment étroit entre les infractions reprochées. Cette exigence d'un lien suffisamment étroit entre les infractions ne sera satisfaite que si l'infraction à l'égard de laquelle on tente d'éviter une déclaration de culpabilité en invoquant le principe de l'arrêt Kienapple ne comporte pas d'éléments supplémentaires et distinctifs.

18. En l'espèce, l'infraction de tentative de meurtre impliquait que l'appelant avait frappé Mme Hill dans l'intention de causer la mort ou, à ce moment‑là, dans l'intention de causer des lésions corporelles qu'il savait être de nature à causer la mort et qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non. Les éléments de l'infraction d'introduction par effraction et de vol qualifié comportaient l'introduction par effraction dans l'appartement, le fait de s'emparer des bijoux et de l'argent et de recourir à la violence. Il n'y a pas de chevauchement des éléments essentiels des deux infractions, le seul élément commun est la violence et les intentions spécifiques nécessaires sont nettement différentes. Le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas et l'appelant doit échouer sur ce point.

V

La question de l'arrêt Ancio

19. Comme nous l'avons déjà dit, l'arrêt Ancio n'avait pas encore été rendu au moment où l'appelant a demandé et obtenu l'autorisation de pourvoi.

20. L'appelant soutient toutefois que l'exposé du juge du procès au jury est contraire à la nouvelle interprétation du Code criminel qui est donnée dans l'arrêt Ancio. Comme le reconnaît le ministère public, il est évident que les directives sont inadéquates à cet égard. Le principal point en litige est de savoir si l'appelant peut invoquer ce qui est maintenant considéré comme la bonne interprétation du Code.

21. Le critère qu'il faut appliquer est de savoir si l'affaire de l'accusé est toujours en cours. Comme le dit le mémoire du ministère public, ce critère permet d'établir un équilibre entre [TRADUCTION] "le rêve très peu réaliste d'assurer une justice parfaite à tous ceux qui ont été déclarés coupables en vertu du précédent rejeté et la nécessité pratique d'un certain caractère définitif du processus en matière criminelle". Il est de la plus haute importance qu'une instance criminelle ait un caractère définitif, mais l'application normale du principe de l'autorité de la chose jugée répond adéquatement à ce besoin. Une affaire jugée définitivement ne peut être soumise de nouveau aux tribunaux. Ainsi la personne reconnue coupable en vertu de l'arrêt Lajoie ne sera pas en mesure de rouvrir son dossier à moins, bien entendu, que la déclaration de culpabilité ne soit pas définitive. Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la p. 757, la Cour fait observer que le principe de l'autorité de la chose jugée empêcherait même de rouvrir les dossiers sur lesquels les tribunaux ont statué en fonction de lois inconstitutionnelles. Le principe de l'autorité de la chose jugée s'appliquerait au moins tout autant aux affaires jugées en fonction d'une jurisprudence subséquemment rejetée.

22. Toutefois, le ministère public soutient que M. Wigman ne devrait pas être en mesure de tirer avantage de l'arrêt Ancio. L'avocat du ministère public soutient que l'appelant a obtenu l'autorisation de pourvoi exclusivement sur la règle de l'arrêt Kienapple étant donné que le mémoire déposé à l'appui de sa requête en autorisation et que l'argument oral à l'audition de la requête se rapportaient uniquement à cet argument.

23. La faille dans l'argument du ministère public réside dans l'absence de toute distinction entre l'autorisation de pourvoi limitée à certaines questions et la même autorisation accordée d'une manière générale. Il est évident que la Cour a le pouvoir de limiter un pourvoi à certaines questions précises: Lizotte v. The King, [1951] R.C.S. 115, aux pp. 117 et 118; R. v. Warner, [1961] R.C.S. 144, aux pp. 147 et 148; Kienapple, précité, à la p. 732, et Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662, à la p. 669; (1981), 56 C.C.C. (2d) 576 (sub nom. R. v. McNamara). Dans de tels cas, la Cour suprême n'est pas compétente pour entendre des arguments qui traitent de questions autres que celles qui sont énumérées dans l'ordonnance accordant l'autorisation de pourvoi: Lizotte, précité, à la p. 133; Warner, précité, à la p. 151; Kienapple, précité, à la p. 732, et Canadian Dredge & Dock Co., précité, à la p. 671. Toutefois, la situation est différente lorsque le droit d'appel n'a pas été limité à une question de droit précise. L'appelant a alors le droit de soulever des questions de droit additionnelles, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour, par exemple, de ne pas statuer sur une affaire en fonction d'une question soulevée tardivement.

24. À cet égard, il convient de citer l'al. 618(1)b) du Code, qui régit le droit d'appel en l'espèce, dans le contexte de l'article au complet:

618. (1) La personne déclarée coupable d'un acte criminel et dont la condamnation est confirmée par la cour d'appel peut interjeter appel à la Cour suprême du Canada

a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d'appel est dissident, ou

b) sur toute question de droit, si l'autorisation d'appel est accordée par la Cour suprême du Canada dans un délai de vingt et un jours après qu'a été prononcé le jugement dont il est interjeté appel ou dans tel délai supplémentaire que la Cour suprême du Canada, ou l'un de ses juges, peut accorder pour des raisons spéciales. [C'est nous qui soulignons.]

25. La formulation différente des al. 618(1)a) et b) est révélatrice. Selon l'argument de l'intimée, cette Cour serait tenue d'interpréter l'al. 618(1)b) comme s'il était rédigé de la manière suivante:

618. (1) La personne déclarée coupable d'un acte criminel et dont la condamnation est confirmée par la cour d'appel peut interjeter appel à la Cour suprême du Canada

a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d'appel est dissident, ou

b) sur toute question de droit au sujet de laquelle l'autorisation d'appel est accordée par la Cour suprême du Canada dans un délai de vingt et un jours après qu'a été prononcé le jugement dont il est interjeté appel ou dans tel délai supplémentaire que la Cour suprême du Canada, ou l'un de ses juges, peut accorder pour des raisons spéciales. [C'est nous qui soulignons.]

26. Cette interprétation ne peut être juste lorsque l'autorisation de pourvoi a été accordée de manière générale comme l'illustre bien l'arrêt R. c. Caouette, [1973] R.C.S. 859, qui visait la portée de l'al. 621(1)b), l'équivalent de l'al. 618(1)b) pour le ministère public:

621. (1) Lorsqu'un jugement d'une cour d'appel annule une déclaration de culpabilité par suite d'un appel interjeté aux termes de l'article 603 ou 604 ou rejette un appel interjeté aux termes de l'alinéa 605(1)a) ou du paragraphe 605(3), le procureur général peut interjeter appel devant la Cour suprême du Canada

a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d'appel est dissident, ou

b) sur toute question de droit, si l'autorisation d'appel est accordée par la Cour suprême du Canada dans un délai de vingt et un jours après qu'a été prononcé le jugement dont il est interjeté appel ou dans tel délai supplémentaire que la Cour suprême du Canada, ou l'un de ses juges, peut accorder pour des raisons spéciales.

(Texte en vigueur à l'époque.)

27. Dans cette affaire, le ministère public a revendiqué un appel de plein droit, fondé sur les questions de droit à l'égard desquelles il y avait eu une dissidence, contre l'acquittement de Caouette par la Cour d'appel. Toutefois, le ministère public a également obtenu, en vertu de l'al. 621(1)b), l'autorisation d'interjeter appel "sur toute question de droit". Après avoir déclaré que la compétence de la Cour suprême constituait la question fondamentale du pourvoi, le juge Laskin, plus tard Juge en chef, dissident quant à un autre point, formule les observations suivantes à la p. 881 au sujet du droit d'appel du ministère public après que l'autorisation a été accordée de manière générale:

Cette permission [. . .] doit, selon moi, être considérée comme ayant trait à toute question de droit influant sur la validité du verdict d'acquittement; elle ne peut s'interpréter comme ayant trait à une question de droit dont la solution ne changerait rien à la conclusion tirée par la majorité de la Cour d'appel du Québec. Le caractère illimité de l'autorisation nous oblige à déterminer quels sont les motifs pour lesquels la Cour d'appel du Québec a infirmé la condamnation prononcée en l'espèce et à examiner les motifs invoqués en cette Cour à l'encontre de l'acquittement; sur ce dernier point, il n'est pas nécessaire de se restreindre aux motifs sur lesquels la Cour d'appel du Québec s'est fondée. [C'est nous qui soulignons.]

(Voir également les observations de la majorité aux pp. 868 et 869.)

28. Pour des raisons d'équité, la Cour hésite à régler une affaire en fonction d'un moyen qui n'a pas été plaidé par les parties et sur lequel les tribunaux provinciaux ne se sont pas prononcés. Toutefois, on est loin de laisser entendre par cela que la Cour ne peut se pencher sur une question qui ne figure pas dans la demande d'autorisation, mais qui pourrait justifier un acquittement ou une déclaration de culpabilité. Par exemple, supposons que l'affaire Ancio n'a jamais été entendue ni tranchée par la Cour et que l'affaire Wigman a été débattue uniquement sur la question de l'arrêt Kienapple. La Cour aurait pu demander des plaidoiries supplémentaires sur la justesse de l'arrêt Lajoie. La Cour peut, et il n'est pas rare qu'elle le fasse, soulever des questions auxquelles les parties ne s'étaient pas intéressées au moment de la demande d'autorisation. En bref, cette affaire s'est présentée alors que l'accusé disposait toujours de voies de recours — elle était toujours "en cours" pour ainsi dire. La possibilité qu'un appelant soulève une nouvelle question de droit devrait toutefois être assujettie à la communication d'un avis à la partie adverse que le point sera soulevé et à une possibilité suffisante de répondre, ce qui a été assuré en l'espèce en accordant l'ajournement demandé.

29. À la condition que son affaire soit toujours en cours, l'accusé inculpé d'une infraction a droit à ce que sa culpabilité soit fondée sur l'interprétation du Code qui est considérée appropriée et exacte. Le même raisonnement a été inévitablement, bien qu'implicitement, adopté dans l'arrêt Ancio. De toute évidence, l'affaire de l'intimé Ancio était toujours en cours; une fois établi en l'espèce que l'affaire de l'appelant est toujours en cours, alors le raisonnement permettant d'appliquer l'arrêt Ancio à son cas est le même que celui qui a été tenu pour acquis dans l'affaire Ancio en ce qui a trait à l'intimé d'alors.

30. Ce raisonnement est fondé sur le principe qu'un accusé ne doit pas être condamné en fonction de l'interprétation d'une loi que l'on sait erronée en temps utile. Ce principe est bien exprimé dans le passage suivant rédigé par le lord juge en chef Goddard au nom de la Court of Criminal Appeal siégeant au complet dans l'affaire R. v. Taylor, [1950] 2 K.B. 368, à la p. 371:

[TRADUCTION] Cette cour [ . . . ] doit traiter des questions relatives à la liberté du citoyen et si elle conclut, après un nouvel examen que, de l'avis d'une cour siégeant au complet constituée pour cette fin, le droit a été soit mal appliqué soit mal interprété dans une décision qu'elle a précédemment rendue, et que, en vertu de cette décision, un accusé a été condamné et emprisonné, la cour a le devoir impérieux d'examiner de nouveau la décision précédente pour voir si cette personne a été déclarée coupable à juste titre.

31. L'arrêt Taylor est une affaire de bigamie où la Court of Criminal Appeal a réexaminé l'interprétation précédemment donnée dans l'arrêt R. v. Treanor (1939), 27 Cr. App. Rep. 35, au sujet d'un moyen de défense prévu par la loi et qui permettait à une [TRADUCTION] "Personne se mariant une seconde fois" d'invoquer une absence de sept ans. Le passage précité porte sur les limites du principe du stare decisis, mais il explique également pourquoi la nouvelle interprétation, vraisemblablement correcte, d'une loi qui crée une infraction devrait être appliquée à l'accusé dont l'affaire est encore en instance lorsque l'interprétation correcte est rendue.

32. Ce raisonnement a été suivi récemment dans R. v. Hotte (1984), 13 W.C.B. 224, une décision quasi identique à celle en l'espèce. Le 21 octobre 1982, Hotte a été reconnu coupable de tentative de meurtre à son procès. Le juge du procès avait considéré que l'intention dont le ministère public devait faire la preuve était celle spécifiée dans l'un ou l'autre des sous‑al. 212a)(i) ou 212a)(ii) du Code. Cette Cour a rendu l'arrêt Ancio avant que la Cour d'appel de l'Alberta ne procède à l'audition de l'appel de la déclaration de culpabilité. Le juge Laycraft, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, en est venu à la conclusion qu'en raison de l'interprétation donnée dans l'arrêt Ancio, l'appelant avait été déclaré à tort coupable de tentative de meurtre et il a annulé la déclaration de culpabilité relative à cette accusation. Toutefois, compte tenu de la preuve soumise en l'espèce et des constatations du juge du procès, le juge Laycraft a, conformément à l'art. 613 du Code, substitué une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise consistant à causer des lésions corporelles dans l'intention de blesser, de mutiler ou de défigurer une personne, en vertu de l'art. 228 du Code, tel qu'il se lisait à l'époque. L'arrêt Hotte n'est qu'une des diverses décisions dans lesquelles différentes cours d'appel ont appliqué uniformément l'arrêt Ancio à des déclarations de culpabilité inscrites avant la décision de cette Cour: voir R. v. Braun (1984), 12 W.C.B. 281 (C.A. Alb.); R. v. Beaver (1984), 64 N.S.R. 158 (C.A.); R. v. Bains and Grewal (1985), 7 O.A.C. 67, autorisation de pourvoi refusée, [1985] 1 R.C.S. v; R. v. Singh (Inderjit) (1985), 8 O.A.C. 100, et Czubak c. La Reine, R.J.P.Q., 86‑180 (C.A.)

33. Il convient finalement d'ajouter que la possibilité pour l'appelant de soulever la nouvelle interprétation donnée dans l'arrêt Ancio est conforme à la faculté qu'a cette Cour de recourir au pouvoir discrétionnaire général d'ordonner un nouveau procès lorsque "les fins de la justice paraissent l'exiger", que lui confère l'art. 48 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19.

VI

Conclusion

34. Le facteur déterminant en l'espèce réside dans le fait que l'appelant a obtenu le droit de remettre en question la validité de sa déclaration de culpabilité relativement à toute question de droit à un moment où cette Cour venait tout juste d'infirmer sa propre interprétation de la tentative de meurtre. L'appelant a donc, conformément à l'al. 618(1)b) du Code, le droit d'invoquer cette nouvelle question de droit qui découle de l'arrêt Ancio. Il a démontré que son affaire était "en cours" puisqu'il avait encore un appel non résolu devant cette Cour au moment où l'arrêt Ancio a été rendu.

35. Il est admis que l'exposé au jury n'était pas conforme à l'arrêt Ancio. On ne saurait avoir recours à la disposition curative du sous‑al. 613(1)b)(iii), puisqu'il n'est pas certain que le jury aurait reconnu M. Wigman coupable de tentative de meurtre si on lui avait dit que l'intention nécessaire était l'intention de tuer. Premièrement, on ne peut déterminer avec certitude que le jury a complètement rejeté la version de M. Wigman selon laquelle "Dave" était la personne qui avait porté les coups. Le jury peut avoir conclu que M. Wigman était une partie à l'infraction commise par "Dave". Deuxièmement, malgré la brutalité de l'agression, on ne peut conclure que le jury a conclu ou aurait dû conclure que l'agresseur avait l'intention de tuer plutôt que l'intention de causer des lésions corporelles qu'il savait de nature à causer la mort.

36. Néanmoins, le ministère public a indiqué qu'il serait satisfait si on substituait une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise d'avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne, selon l'art. 228 du Code, tel que rédigé à l'époque en cause:

228. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans, quiconque, dans l'intention

a) de blesser, mutiler ou défigurer une personne,

b) de mettre en danger la vie d'une personne, ou

c) d'empêcher l'arrestation ou la détention d'une personne,

décharge une arme à feu, un fusil à vent ou un pistolet à vent contre quelqu'un ou lui cause de quelque manière des lésions corporelles, que cette personne soit ou non celle qui est mentionnée à l'alinéa a), b) ou c).

37. Cette infraction comprise a été soumise au jury mais, naturellement, aucun verdict n'a été rendu à son égard puisque celui‑ci a déclaré M. Wigman coupable de tentative de meurtre. Les deux éléments moraux dont le jury a été saisi dans l'exposé du juge au sujet de la tentative de meurtre sont: (i) l'intention de tuer et (ii) l'intention de causer des lésions corporelles alors que l'accusé sait qu'elles sont de nature à causer la mort et qu'il ne se soucie pas que la mort s'ensuive ou non. Comme les jurés l'ont reconnu coupable en fonction de l'un de ces deux éléments moraux, il s'ensuit qu'ils auraient aussi reconnu M. Wigman coupable de l'infraction définie à l'art. 228. Les commentaires précédents sur l'arrêt Kienapple sont également applicables à l'infraction définie à l'al. 228b). L'intention requise en vertu de l'al. 228b) constitue une intention grave distincte et supplémentaire à celle qui suffirait à entraîner une déclaration de culpabilité d'introduction par effraction et de vol qualifié.

38. Par conséquent, nous sommes d'avis, en application du sous‑al. 613(1)b)(i) et du par. 613(3), de rejeter le pourvoi mais de substituer une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise d'avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne (art. 228 du Code criminel); voir R. v. Nantais, [1966] 4 C.C.C. 108 (C.A. Ont.); R. v. Fyfe, [1968] 1 C.C.C. 295 (C.A.C.‑B.); R. v. Ruggiero (1972), 9 C.C.C. (2d) 546 (C.A. Ont.); R. v. Hotte et R. v. Singh (Inderjit), précités.

39. Nous sommes d'avis de renvoyer l'affaire à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour qu'une sentence soit déterminée.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelant: Sheldon Goldberg, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

[1]Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 1 R.C.S. 246 ?
Date de la décision : 06/11/1985
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté, mais la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre prononcée au procès est remplacée par une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise consistant à avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne

Analyses

Droit criminel - Principe de l'arrêt Kienapple - Déclarations de culpabilité d'introduction par effraction et de vol qualifié, ainsi que de tentative de meurtre - Infractions découlant du même incident - La règle contre les déclarations de culpabilité multiples s'applique‑t‑elle pour empêcher la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre?.

Droit criminel - Exposé au jury - Mens rea - Tentative de meurtre - Exposé du juge du procès relativement à l'intention requise pour la tentative de meurtre conforme à l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lajoie - Cour suprême modifie dans l'arrêt Ancio son interprétation de l'élément moral requis pour une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre - L'arrêt Ancio rendu après que l'accusé eut obtenu une autorisation générale de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada - L'accusé peut‑il bénéficier de la nouvelle interprétation du Code criminel donnée dans Ancio? - Portée de l'autorisation de pourvoi - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 212a), 618(1)b).

Droit criminel - Appel d'une déclaration de culpabilité - Erreur dans l'exposé du juge au jury concernant l'intention nécessaire pour une déclaration de culpabilité de tentative de meurtre - Pourvoi contre la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre rejeté mais substitution d'une déclaration de culpabilité d'une infraction comprise - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 228b), 613(1)b)(i), (iii), (3).

En 1981, l'appelant a plaidé coupable relativement à une accusation d'introduction par effraction et de vol qualifié et a par la suite été accusé de tentative de meurtre. La seconde infraction aurait été commise au cours de l'introduction par effraction. La victime a été brutalement battue et a subi des blessures graves. Sans traitement, elle serait probablement morte. Dans son exposé au jury, le juge a dit que l'appelant pouvait être déclaré coupable de tentative de meurtre s'il avait eu l'intention de tuer ou l'intention de causer des lésions corporelles alors qu'il savait qu'elles étaient de nature à causer la mort et qu'il ne s'est pas soucié que la mort s'ensuive ou non. L'exposé au jury était conforme à l'arrêt Lajoie c. La Reine, [1974] R.C.S. 399. L'appelant a été déclaré coupable. En appel contre sa déclaration de culpabilité, l'appelant a invoqué la règle contre les déclarations de culpabilité multiples énoncée dans l'arrêt Kienapple, [1975] 1 R.C.S. 729, et a allégué que, ayant plaidé coupable relativement à l'accusation d'introduction par effraction et de vol qualifié, il n'aurait pas dû être jugé à nouveau pour une tentative de meurtre découlant des mêmes circonstances. La Cour d'appel a conclu que le principe de l'arrêt Kienapple ne s'appliquait pas et a rejeté l'appel. L'appelant a ensuite obtenu une autorisation générale de se pourvoir devant cette Cour. À l'audience, il a indiqué qu'il avait l'intention de soulever la question de l'arrêt Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225. L'arrêt Ancio qui a été rendu après que l'appelant eut obtenu l'autorisation de pourvoi devant cette Cour, a renversé l'arrêt Lajoie et a jugé que la mens rea nécessaire dans le cas d'une tentative de meurtre était l'intention spécifique de tuer. La Cour a ajourné l'audience pour permettre aux parties de produire des mémoires sur la nouvelle question. À la nouvelle audience, la question de l'arrêt Kienapple et celle de l'arrêt Ancio ont été débattues. Le ministère public a reconnu que l'exposé du juge du procès constituait une erreur de droit si l'on appliquait l'arrêt Ancio mais il a soutenu (1) qu'entendre la question de l'arrêt Ancio reviendrait à entendre un pourvoi sur une question à l'égard de laquelle aucune autorisation de pourvoi n'a été accordée; (2) si l'autorisation devait être accordée, la réserve du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel devrait de toute façon être appliquée dans la mesure où elle peut être fondée sur la contestation de l'exposé du juge au jury; et (3) si cette Cour décidait de ne pas appliquer au présent pourvoi la réserve du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code, elle devrait remplacer la déclaration de culpabilité par une déclaration de culpabilité de l'infraction visée à l'art. 228 du Code.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté, mais la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre prononcée au procès est remplacée par une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise consistant à avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne.

(1) La question de l'arrêt Kienapple

Le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce. Pour que ce principe s'applique, il doit y avoir un lien factuel et juridique entre les diverses accusations. Le principe de l'arrêt Kienapple empêche les déclarations de culpabilité multiples seulement si elles résultent de la même "cause", de la même "chose" ou du même "délit", et s'il y a un lien suffisamment étroit entre les infractions reprochées. Cette exigence d'un lien suffisamment étroit entre les infractions ne sera satisfaite que si l'infraction à l'égard de laquelle on tente d'éviter une déclaration de culpabilité en invoquant le principe de l'arrêt Kienapple ne comporte pas d'éléments supplémentaires et distinctifs. En l'espèce, l'infraction de tentative de meurtre impliquait que l'appelant avait frappé la victime dans l'intention de causer la mort ou, à ce moment‑là, dans l'intention de causer des lésions corporelles qu'il savait être de nature à causer la mort et qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non. Les éléments de l'infraction d'introduction par effraction et de vol qualifié comportaient l'introduction par effraction dans l'appartement, le fait de s'emparer des bijoux et de l'argent et de recourir à la violence. Il n'y a pas de chevauchement des éléments essentiels des deux infractions, le seul élément commun est la violence et les intentions spécifiques nécessaires sont nettement différentes.

(2) La question de l'arrêt Ancio

À la condition que son affaire soit toujours en cours, l'accusé inculpé d'une infraction a droit à ce que sa culpabilité soit fondée sur l'interprétation du Code criminel qui est considérée appropriée et exacte. Ce critère permet d'établir un équilibre entre le rêve très peu réaliste d'assurer une justice parfaite à tous ceux qui ont été déclarés coupables en vertu du précédent rejeté et la nécessité pratique d'un certain caractère définitif du processus en matière criminelle. Il est de la plus haute importance qu'une instance criminelle ait un caractère définitif. Toutefois, l'application normale du principe de l'autorité de la chose jugée répond adéquatement à ce besoin de caractère définitif. Ainsi, une personne condamnée en vertu de l'arrêt Lajoie ne sera pas en mesure de rouvrir son dossier, à moins que la déclaration de culpabilité ne soit pas définitive.

Le fait que le mémoire de l'appelant déposé à l'appui de sa requête en autorisation et que l'argument oral à l'audition de la requête se rapportent uniquement à la question de l'arrêt Kienapple ne l'empêche pas d'invoquer l'arrêt Ancio. L'autorisation de pourvoi à cette Cour n'était pas limitée à la question de l'arrêt Kienapple mais a été accordée sans restriction. L'appelant a obtenu le droit de remettre en question la validité de sa déclaration de culpabilité relativement à toute question de droit à un moment où cette Cour venait tout juste d'infirmer sa propre interprétation de la tentative de meurtre. L'appelant a donc, conformément à l'al. 618(1)b) du Code, le droit d'invoquer cette nouvelle question de droit qui découle de l'arrêt Ancio. Il a démontré que son affaire était "en cours" puisqu'il avait encore un appel non résolu devant cette Cour au moment où l'arrêt Ancio a été rendu.

Il est admis que l'exposé au jury n'était pas conforme à l'arrêt Ancio. On ne saurait avoir recours à la disposition curative du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code pour maintenir la déclaration de culpabilité de tentative de meurtre, puisqu'il n'est pas certain que le jury aurait reconnu l'appelant coupable de tentative de meurtre si on lui avait dit que l'intention nécessaire était l'intention de tuer. Le pourvoi doit être rejeté mais une déclaration de culpabilité de l'infraction comprise d'avoir causé des lésions corporelles dans l'intention de mettre en danger la vie d'une personne contrairement à l'al. 228b) du Code doit être substituée conformément au sous‑al. 613(1)b)(i) et au par. 613(3) du Code. Cette infraction comprise a été soumise au jury mais aucun verdict n'a été rendu à son égard puisque celui‑ci a déclaré l'appelant coupable de tentative de meurtre. Comme les jurés l'ont reconnu coupable en fonction de l'un des deux éléments moraux qui leur ont été présentés dans l'exposé du juge du procès, il s'ensuit qu'ils auraient aussi reconnu l'appelant coupable de l'infraction définie à l'al. 228b).

Finalement, l'analyse de la question de l'arrêt Kien‑ apple est également applicable à l'infraction définie à l'al. 228b). L'intention requise en vertu de l'al. 228b) constitue une intention grave distincte et supplémentaire à celle qui suffirait à entraîner une déclaration de culpabilité d'introduction par effraction et de vol qualifié.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Wigman

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués: R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480
R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225
distinction d'avec l'arrêt: Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729
arrêts examinés: R. v. Taylor, [1950] 2 K.B. 368
R. c. Caouette, [1973] R.C.S. 859
arrêts mentionnés: Lajoie c. La Reine, [1974] R.C.S. 399
R. v. Treanor (1939), 27 Cr. App. Rep. 35
R. v. Warner, [1961] R.C.S. 144
Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662
Canadian Dredge & Dock Co. v. The Queen (1981), 56 C.C.C. (2d) 576 (sub nom. R. v. McNamara)
Lizotte v. The King, [1951] R.C.S. 115
R. v. Nantais, [1966] 4 C.C.C. 108
R. v. Fyfe, [1968] 1 C.C.C. 295
R. v. Ruggiero (1972), 9 C.C.C. (2d) 546
Sheppe c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 22
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721
R. v. Hotte (1984), 13 W.C.B. 224
R. v. Braun (1984), 12 W.C.B. 281
R. v. Beaver (1984), 64 N.S.R. 158
R. v. Bains and Grewal (1985), 7 O.A.C. 67, autorisation de pourvoi refusée, [1985] 1 R.C.S. v
R. v. Singh (Inderjit) (1985), 8 O.A.C. 100
Czubak c. La Reine, R.J.P.Q., 86‑180.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 21, 212a), 228, 613(1)b)(i), (iii), (3), 618(1)a), b) [mod. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 18], 621(1)b).
Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, chap. S‑19, art. 48.

Proposition de citation de la décision: R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246 (6 novembre 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-11-06;.1987..1.r.c.s..246 ?
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