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10/12/1985 | CANADA | N°[1985]_2_R.C.S._476

Canada | John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476 (10 décembre 1985)


John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476

Tracy Evans John Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Tracy Evans John Intimé.

Nos du greffe: 18190 et 18292.

1985: 6 mars; 1985: 10 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge G

. Ferguson de la Cour de comté relativement au chef d'accusation de viol et accueilli l'appel des déclarations de culpabilité rela...

John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476

Tracy Evans John Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Tracy Evans John Intimé.

Nos du greffe: 18190 et 18292.

1985: 6 mars; 1985: 10 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge G. Ferguson de la Cour de comté relativement au chef d'accusation de viol et accueilli l'appel des déclarations de culpabilité relatives à tous les autres chefs d'accusation. Pourvois accueillis.

Michael Code, pour Tracy Evans John.

Damien Frost, pour Sa Majesté La Reine.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Les Juges Estey et Lamer—Tracy Evans John a été accusé et déclaré coupable à Toronto par un jury relativement à cinq chefs d'accusation qui découlent tous du même incident:

[TRADUCTION]

1. ...d'avoir, le 11 avril 1981 ou vers cette date, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, enlevé contre son gré Joanne Marie Volk, une personne du sexe féminin, dans l'intention d'avoir avec elle des rapports sexuels illicites, contrairement au Code criminel.

2. ...d'avoir, le 11 avril 1981 ou vers cette date, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, sans autorisation légitime séquestré Joanne Marie Volk, contrairement au Code criminel.

3. ...d'avoir, le 11 avril 1981 ou vers cette date, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, attenté à la pudeur de Joanne Marie Volk, une personne du sexe féminin, contrairement au Code criminel.

4. ...d'avoir, le 11 avril 1981 ou vers cette date, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, violé Joanne Marie Volk, contrairement au Code criminel.

5. ...d'avoir, le 11 avril 1981 ou vers cette date, dans la municipalité de la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, porté une arme, soit un couteau, dans le but de commettre l'acte criminel de viol, contrairement au Code criminel.

2. L'accusé a interjeté appel de ses déclarations de culpabilité à la Cour d'appel de l'Ontario, soutenant qu'il y avait eu erreur donnant lieu à cassation en première instance dans la conduite du procès et, subsidiairement, qu'il ne pouvait y avoir déclaration de culpabilité à l'égard de certains des chefs d'accusation en vertu du principe énoncé par cette Cour dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729. Tous ont reconnu qu'il y avait eu erreur en première instance, mais la cour à la majorité a appliqué le sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel et a rejeté l'appel. Le juge Brooke, dissident, n'aurait pas appliqué la réserve, mais aurait accueilli l'appel des déclarations de culpabilité et aurait ordonné un nouveau procès. Le jugement a été rendu le 17 novembre 1983. Le jugement ne fait pas mention de la question des déclarations de culpabilité multiples.

3. Avant de délivrer la minute du jugement, la Cour d'appel a émis, le 1er décembre 1983, un addenda aux motifs originaux. Dans cet addenda, toutes les déclarations de culpabilité sauf celle de viol ont été annulées par application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples.

4. L'accusé se pourvoit en cette Cour à l'encontre de sa déclaration de culpabilité de viol alors que la poursuite se pourvoit contre l'application du principe énoncé dans l'arrêt Kienapple à l'égard de certains chefs d'accusation. La poursuite demande également à la Cour de se prononcer sur certains aspects de procédure que soulève l'application de l'arrêt Kienapple.

5. Les questions soulevées par les présents pourvois se divisent donc en deux parties. La première porte sur l'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel qu'a fait la Cour d'appel à la majorité pour confirmer la déclaration de culpabilité de viol prononcée en vertu de l'art. 143 du Code. La seconde partie vise l'annulation par la Cour d'appel des déclarations de culpabilité relativement aux quatre autres chefs de l'accusation, par suite de l'application du principe énoncé dans l'arrêt Kienapple, précité.

6. La question soulevée par l'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel a trait au fait que la poursuite a appelé la plaignante et neuf autres témoins à déposer pour offrir une contre‑preuve relative aux caractéristiques physiques de l'accusé, notamment sa mobilité et son agilité, malgré qu'il ait eu une jambe artificielle à partir du genou. La plaignante a déposé dans son témoignage principal et dans son contre‑interrogatoire que l'accusé boitait et avait de la difficulté à monter les deux séries de marches qui conduisent à son logement. La plaignante a même reconnu qu'en montant les marches elle aurait eu la possibilité de s'échapper à cause de la difficulté qu'éprouvait l'accusé mais qu'elle était effrayée probablement parce que l'accusé avait un couteau en sa possession. Devant cette preuve, l'accusé a choisi de déposer et il n'a rien fait pour contredire la description de la plaignante quant à la difficulté qu'il éprouvait à se déplacer. Il a peut‑être même corroboré le témoignage de la plaignante en boitant jusqu'à la barre des témoins. En contre‑preuve, d'autres témoins appelés par la poursuite ont contredit l'essentiel de la déposition de la plaignante quant aux difficultés que l'accusé avait à marcher à cause de sa jambe artificielle. La poursuite ne pouvait faire comparaître ces témoins pour contredire son propre témoin, c'est‑à‑dire la plaignante Volk. Permettre à la poursuite d'agir de la sorte en contre‑preuve est doublement répréhensible parce que cela a eu pour effet d'obliger l'accusé à revenir déposer. Lorsque la poursuite a appelé la plaignante en contre‑preuve, celle‑ci a témoigné à propos d'un nouveau sujet qui n'avait absolument rien à voir avec les dépositions faites en défense par l'accusé ou des témoins de l'accusé. Elle a donc parlé au jury d'une déclaration que l'accusé lui aurait faite selon laquelle il avait [TRADUCTION] "planifié...[l'infraction] depuis une semaine et il aurait pu s'agir de n'importe qui". L'effet de ce témoignage sur l'esprit d'un juré est tout probablement sérieux. Il est évidemment impossible de reconstituer ce procès avec jury de manière à savoir quel aurait été le verdict si ce témoignage n'avait pas été donné. La plaignante n'a pas laissé échapper ce renseignement de façon accidentelle, puisque la tournure même de la question de la poursuite donne une indication de la réponse recherchée. Le substitut du procureur général a même admis en toute franchise que c'était le cas. Il s'agit là manifestement de la situation désignée en pratique criminelle comme la division de la preuve de la poursuite. Les effets néfastes qui découlent de cette pratique sont nombreux et elle est interdite depuis le tout début de notre droit criminel.

7. Ce témoignage de la plaignante a aussi eu pour effet de forcer l'accusé à venir témoigner une seconde fois. Il a dû le faire d'abord pour répondre à la preuve relative à son agilité ou sa mobilité, puis pour contredire le témoignage qu'il avait en réalité planifié l'infraction de façon générale depuis quelque temps. Le contre‑interrogatoire de l'accusé par la poursuite a tourné autour de sa capacité à monter les escaliers et à jouer au basket. Le premier sujet visait les dépositions offertes par les témoins appelés en contre‑preuve qui contredisaient celle de la plaignante sur le même sujet et le second avait trait aux dépositions des mêmes témoins qui ont amené un sujet purement accessoire soit la capacité de l'accusé de jouer au basket sans utiliser un fauteuil roulant. Au cours de ce contre‑interrogatoire, on a carrément reproché à l'accusé d'avoir menti au cours de son interrogatoire principal lorsqu'il a dit ne pouvoir jouer au basket qu'à l'aide d'un fauteuil roulant. Le procédé consistait simplement à mettre directement en doute la crédibilité du témoin en présence du jury sur une question tout à fait incidente.

8. Ce sont là les conséquences qui découlent de la violation d'un des préceptes fondamentaux de notre procédure criminelle, c'est‑à‑dire la division de la preuve de la poursuite de manière à coincer la défense. C'est une tactique particulièrement destructrice si le témoignage donné en contre‑preuve soulève une nouvelle question et met en cause la crédibilité de l'accusé, puisqu'il s'agit du dernier témoignage que les membres du jury entendent avant de délibérer. Cette pratique pose également la question de la justesse de la conduite de la poursuite eu égard au droit de l'accusé de choisir de garder le silence ou de choisir de témoigner pour sa propre défense. Il doit avoir la possibilité de prendre cette décision en toute connaissance de la totalité de la preuve de la poursuite. Ce n'est pas ce qui s'est produit dans ces procédures.

9. Le sous‑alinéa 613(1)b)(iii) du Code criminel ne peut être invoqué dans ces circonstances. La Cour d'appel ne peut, de façon vraiment réaliste, juger de nouveau l'affaire pour déterminer la valeur des témoignages qui restent après avoir retiré du dossier ceux offerts illégalement. La Cour d'appel n'a pas l'avantage de voir les témoins et, de toute façon, on n'a jamais voulu qu'elle remplace le jury en matière criminelle. Il n'est pas nécessaire de réétudier la jurisprudence abondante de cette Cour qui porte sur l'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel parce que la situation qui résulte du procès tenu en l'espèce ne correspond nullement à celles des arrêts relatifs à l'application de la réserve énoncée au sous‑al. 613(1)b)(iii).

10. Le pourvoi de l'accusé est accueilli, la déclaration de culpabilité de viol est annulée et un nouveau procès est ordonné relativement au chef d'accusation de viol. Puisque la déclaration de culpabilité de viol à cause de laquelle les autres déclarations de culpabilité au procès ont été annulées par application du "principe de l'arrêt Kienapple" n'existe plus, il est inutile d'aborder les points soulevés par les pourvois de la poursuite au sujet de l'application irrégulière du principe de l'arrêt Kienapple qu'aurait fait la Cour d'appel à ces déclarations de culpabilité. Il suffit, en l'espèce, d'accueillir les pourvois de la poursuite dans le but d'ordonner un nouveau procès relativement aux cinq chefs d'accusation.

Pourvois accueillis.

Procureurs de Tracy Evans John: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de Sa Majesté La Reine: Procureur général de l’Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1985] 2 R.C.S. 476 ?
Date de la décision : 10/12/1985
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Appel - Droit criminel - Appel rejeté pour absence de tort important ou d’erreur judiciaire grave - Division de la preuve de la poursuite - Présentation d’une contre‑preuve - L’accusé a‑t‑il subi un tort important ou a‑t‑il été victime d’une erreur judiciaire grave? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 613(1)b)(iii).

Droit criminel - Preuve - Division de la preuve de la poursuite - Faits incidents - La permission donnée par le juge à la poursuite de présenter une contre‑preuve a‑t‑elle causé à l’appelant un tort important ou l’a‑t‑elle rendu victime d’une erreur judiciaire grave? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 613(1)b)(iii).

Droit criminel - Principe de l’arrêt Kienapple - Acquittement sur les chefs réduits d’accusation, suite à une déclaration de culpabilité de viol - Le principe de l’arrêt Kienapple a‑t‑il été bien appliqué?.

L'accusé a été inculpé et déclaré coupable relativement à cinq chefs d'accusation découlant du même incident, savoir: (1) enlèvement d'une femme contre son gré dans l'intention d'avoir des rapports sexuels illicites, (2) séquestration de cette personne, (3) attentat à la pudeur, (4) viol et (5) port d'une arme dans le but de commettre l'acte criminel de viol.

Au procès, la plaignante a déposé, dans son témoignage principal et dans son contre‑interrogatoire, que l'accusé boitait et avait de la difficulté à monter les escaliers. L'accusé a alors choisi de déposer et il n'a rien fait pour contredire le témoignage relatif à la difficulté qu'il éprouvait à se déplacer. En contre‑preuve, la poursuite a appelé des témoins pour contredire l'essentiel du témoignage de la plaignante quant aux difficultés que l'accusé avait à marcher. Lorsque la poursuite a appelé la plaignante en contre‑preuve, celle‑ci a témoigné à propos d'un nouveau sujet qui n'avait absolument rien à voir avec les dépositions antérieures, ce qui a obligé l'accusé à venir témoigner une seconde fois. Le contre‑interrogatoire de l'accusé par la poursuite a porté sur une question incidente et a consisté à mettre directement en doute la crédibilité de l'accusé. L'accusé a interjeté appel en soutenant qu'il y avait eu erreur donnant lieu à cassation en première instance dans la conduite du procès et, subsidiairement, que le principe de l'arrêt Kienapple s'appliquait à certains chefs d'accusation. La Cour d'appel a reconnu qu'il y avait eu erreur en première instance, mais la cour à la majorité a appliqué le sous‑al. 613(1)b)(iii) du Code criminel et a rejeté l'appel. Toutes les déclarations de culpabilité sauf celle de viol ont par la suite été annulées dans un addenda aux motifs originaux, émis avant de délivrer la minute du jugement.

Arrêt: Les pourvois sont accueillis.

La division de la preuve de la poursuite de manière à coincer la défense viole un des principes fondamentaux de notre procédure criminelle. L'accusé doit avoir la possibilité de choisir de garder le silence ou de témoigner en toute connaissance de la totalité de la preuve de la poursuite. Ce n'est pas ce qui s'est produit ici.

Le sous‑alinéa 613(1)b)(iii) du Code criminel ne peut être invoqué en l'espèce. La Cour d'appel ne peut, de façon vraiment réaliste, juger de nouveau l'affaire pour déterminer la valeur des témoignages qui restent après avoir retiré ceux offerts illégalement. La situation qui résulte du procès ne correspond nullement à celle des arrêts relatifs à l'application de la réserve énoncée au sous‑al. 613(1)b)(iii). Puisque la déclaration de culpabilité de viol a été annulée et qu'un nouveau procès a été ordonné par cette Cour, il n'est pas nécessaire d'aborder les points soulevés au sujet de l'application du principe de l'arrêt Kienapple parce que son application découlait de la déclaration de culpabilité de viol. Il suffit d'accueillir les pourvois de la poursuite dans le but d'ordonner un nouveau procès relativement aux cinq chefs d'accusation.


Parties
Demandeurs : John
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence
Arrêt mentionné: Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 143, 613(1)(b)(iii).

Proposition de citation de la décision: John c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 476 (10 décembre 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-12-10;.1985..2.r.c.s..476 ?
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