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27/03/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._278

Canada | La Reine c. Valois, [1986] 1 R.C.S. 278 (27 mars 1986)


La Reine c. Valois, [1986] 1 R.C.S. 278

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Jean Valois Intimé.

No du greffe: 17788.

1985: 23 mai; 1986: 27 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1983), 35 C.R. (3d) 166, qui a confirmé l'acquittement prononcé par le juge Lanctôt de la Cour des sessions de la paix1 relativement à trois chefs d'accusation d'emploi de documents contrefaits. Pourv

oi rejeté.

1 C.S.P. (District de Québec), no 200‑01‑1145‑81, 29 janvier 1982.

Claude Haccoun, pour l'ap...

La Reine c. Valois, [1986] 1 R.C.S. 278

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Jean Valois Intimé.

No du greffe: 17788.

1985: 23 mai; 1986: 27 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1983), 35 C.R. (3d) 166, qui a confirmé l'acquittement prononcé par le juge Lanctôt de la Cour des sessions de la paix1 relativement à trois chefs d'accusation d'emploi de documents contrefaits. Pourvoi rejeté.

1 C.S.P. (District de Québec), no 200‑01‑1145‑81, 29 janvier 1982.

Claude Haccoun, pour l'appelante.

Jean‑Claude Hébert et Sophie Bourque, pour l'intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1. Le Juge Lamer—Jean Valois a été accusé à Québec de douze chefs de complot pour fraude, fraude, commission de faux et emploi de documents contrefaits suite aux faits ci‑après relatés. Il fut acquitté de toutes ces accusations par le juge Lanctôt de la Cour des sessions de la paix. La Couronne s'est pourvue en appel de l'acquittement relativement à seulement trois de ces chefs d'accusation, savoir, les trois chefs d'emploi de documents contrefaits. Ces trois chefs bien que référant à trois transactions ayant eu lieu à des dates différentes, reprochent essentiellement la même chose savoir que,

. . . sachant qu'un document est contrefait, à savoir, une facture de $3,000...adressée à Ciment Québec Inc., s'en est illégalement servi comme si elle était authentique, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 326(1)(a) du Code Criminel.

L'appel fut rejeté à l'unanimité par la Cour d'appel du Québec (1983), 35 C.R. (3d) 166 et la Couronne, avec notre autorisation, se pourvoit maintenant devant cette Cour. Je suis d'avis de rejeter ce pourvoi.

Les faits

2. Le juge Bisson, rédigeant les motifs pour la Cour d'appel, les résume comme suit aux pp. 168 et 169:

Ciment Québec Inc., connut des difficultés financières entre 1965 et 1969 en raison du manque de fonds de roulement de l'une de ses filiales.

Ciment Québec Inc. faisait affaires avec la Banque provinciale dont l'un des cadres était Grégoire Doyon.

Grégoire Doyon s'intéressa au dossier et fit accepter par sa banque un financement qui eut pour effet de remettre sur pied Ciment Québec.

Gustave Papillon, président, âme dirigeante et détenant la très grande majorité des actions de Ciment Québec Inc., reconnaissant envers Doyon, décida de le recompenser et de lui verser $3,000 par année pendant trois ans.

Toutefois, il était préférable que les paiements ne soient pas faits directement par Ciment Québec à Doyon et on convint de passer par l'intermédiaire de l'intimé, jeune avocat admis au Barreau en novembre 1975 et gendre de Doyon, qui prépara des comptes d'honoraires fictifs à Ciment Québec.

De cette façon, $3,000 furent payés chacune des années 1975, 1976 et 1977.

Comme ce revenu était imposable pour l'intimé, après avoir encaissé les chèques, il en gardait une partie pour le surplus d'impôt que ça lui occasionnait et remettait le reste à son beau‑père.

Quant à Grégoire Doyon, il a reçu évidemment moins que $9,000 en raison de ces retenues au sujet desquelles personne ne s'est plaint, note le juge.

Le juge fit une autre constatation. Les paiements faits à Grégoire Doyon furent légitimes et n'ont causé aucun préjudice à Ciment Québec. En outre, les trois participants étaient au courant de l'objet des comptes d'avocat et, en conséquence, personne n'a été induit erronément à croire qu'il s'agissait de documents authentiques.

3. En l'espèce les par. 324(1) et 326(1) du Code criminel sont les textes d'incrimination pertinents:

324. (1) Commet un faux, quiconque fait un faux document le sachant faux, avec l'intention

a) qu'il soit employé ou qu'on y donne suite, de quelque façon, comme authentique, au préjudice de quelqu'un, soit au Canada, soit ailleurs, ou

b) d'engager quelqu'un, en lui faisant croire, que ce document est authentique, à faire ou à s'abstenir de faire quelque chose, soit au Canada, soit ailleurs.

326. (1) Quiconque, sachant qu'un document est contrefait,

a) s'en sert, le traite, ou agit à son égard, ou

b) détermine ou tente de déterminer une personne à s'en servir, à le traiter ou à y donner suite,

comme si le document était authentique, est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de quatorze ans.

Les jugements

4. Le jugement en Cour d'appel a porté principalement sur la question de savoir si un document doit, pour être contrefait au sens de l'art. 326, satisfaire aux conditions de fond du par. 324(1) du Code ou s'il suffit qu'il soit un document faux au sens littéral du mot. L'essentiel de la décision de la Cour d'appel se retrouve dans le passage suivant des motifs du juge Bisson, à la p. 172:

Ce que l'appelante voudrait c'est de nous faire interpréter l'art. 326 comme si étaient simplement écrits les mots «faux document» plutôt que «document contrefait».

Je ne peux être d'accord avec la proposition de l'appelante qu'il suffit pour qu'un document soit contrefait au sens de l'art. 326 qu'il soit un faux document.

Pour que les comptes puissent être considérés comme des documents contrefaits au sens de l'art. 326, il fallait que la preuve révélât tous et chacun des éléments essentiels de l'art. 324.

Or, si nous sommes en présence de faux documents que l'intimé savait faux et qu'il avait l'intention qu'on y donne suite comme authentiques, est par ailleurs absente la preuve de l'intention du préjudice.

En l'espèce, manquant un des éléments essentiels, soit le document contrefait (‘forged’) tel que défini à l'art. 324, c'est à juste titre que l'intimé fut déclaré non coupable.

5. En première instance, le juge Lanctôt, après avoir analysé les arrêts R. v. Keshane (1974), 20 C.C.C. (2d) 542 (C.A. Sask.) et R. v. Paquette (1977), 42 C.C.C. (2d) 57 (C.A. Qué.), infirmé [1979] 2 R.C.S. 168, portant sur la connexité entre les art. 324 et 326, disait:

Malgré l'intérêt suscité par ces deux décisions, il importe peu, dans l'espèce soumise, que la fausse facture doive être vue sous l'éclairage d'un faux document au sens du dictionnaire. Nous savons déjà qu'il n'a pas été fabriqué pour causer préjudice. Il n'en reste pas moins que c'est un faux document, et qu'on reproche à l'accusé de s'en être servi comme s'il était authentique.

Mais est‑ce bien l'usage qu'on en a fait?

Il est plus vraisemblable de penser qu'on n'a jamais utilisé ce faux compte comme s'il était authentique. Au contraire, on s'en est servi comme d'un faux. Les trois protagonistes de toute l'affaire ont délibérément décidé de contribuer à sa fabrication et s'en sont servis comme faux et non comme authentique. Dans cette veine, CIMENT QUEBEC, personne morale, vit par son représentant Papillon.

Et même si, par quelque contorsion intellectuelle, il fallait tenir qu'il a été utilisé comme authentique, il reste que personne n'a été berné par le truc. Se servir d'un faux comme d'un original suppose un destinataire du subterfuge. Il faut un interlocuteur. Or quels sont les interlocuteurs en l'occurrence! Les autorités bancaires? Qu'à cela ne tienne, à leur égard, l'usage du faux est latent. Il n'est pas en preuve qu'elles aient vu ce compte. Le ministère de l'impôt, non plus, n'a pas vu ce faux compte même s'il en a profité.

S'il est vrai que l'article 326 ne contient rien qui édicte expressément que l'utilisation d'un faux document doive causer préjudice à quelqu'un, il n'en reste pas moins qu'une personne, même non préjudiciée, doive être témoin de la supercherie, et alors, il serait absurde que ce témoin puisse être l'un des auteurs du faux.

Pour toutes ces raisons, la Cour en vient à la conclusion que l'accusé n'a pas fait usage de faux, et il doit être acquitté de tous les chefs relatifs à cette accusation.

6. À mon avis le juge Lanctôt a raison. Il a, quoique en termes différents, fondé sa décision d'acquitter Valois des chefs d'emploi de documents contrefaits sur le fait que, si tant est que les factures aient été contrefaites au sens de l'art. 326, l'accusé n'est point allé au delà d'une préparation ou d'un complot pour emploi, et que rien dans la preuve ne révèle qu'il ait commencé à s'en servir ou qu'il les ait traitées ou agi à leur égard auprès de qui que ce soit comme de documents authentiques.

7. En effet, la fabrication par Valois de documents contrefaits (présumons pour fins de discussion qu'il s'agit effectivement de documents contrefaits), le fait d'en remettre la possession à M. Papillon de Ciment Québec, l'encaissement et la remise de l'argent par l'accusé à son beau‑père de la façon que l'on sait constituent certainement tous des éléments matériels d'un complot pour emploi de documents contrefaits et pour commettre les infractions ayant donné naissance aux autres chefs d'accusation qui pesaient contre l'accusé. Mais ce ne sont, en regard du crime d'emploi ou de tentative d'emploi, que des faits préparatoires à l'utilisation et ne constituent point des gestes d'utilisation ou encore le commencement d'une telle utilisation. L'accusé, son beau‑père et Papillon ont mis en place tout ce qu'il fallait pour, si et lorsque cela s'avérait nécessaire, utiliser ces comptes d'honoraires fictifs comme s'ils étaient authentiques. Ils n'ont pas eu à le faire, du moins la preuve ne le révèle pas. L'acquittement prononcé par le juge Lanctôt est donc bien fondé et le pourvoi doit être rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante: Claude Haccoun, Montréal.

Procureur de l’intimé: Jean‑Claude Hébert, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 278 ?
Date de la décision : 27/03/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Faux et infractions similaires - Emploi d’un document contrefait - Infractions non prouvées - Comptes d’honoraires fictifs non utilisés comme documents authentiques - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 324(1), 326.

La compagnie Ciment Québec Inc. a obtenu de la Banque provinciale le financement nécessaire à la poursuite de ses opérations. Pour remercier un dénommé Doyon, l'employé de la banque qui s'est occupé du dossier, le président de la compagnie a décidé de lui verser une somme de 3 000 $ annuellement pendant trois ans. Les paiements ont été effectués par l'intermédiaire de l'intimé, avocat et gendre de Doyon, qui préparait des comptes d'honoraires fictifs adressés à la compagnie. L'intimé encaissait les chèques émis par la compagnie, déduisait un montant pour fins d'impôt et remettait le reste de l'argent à son beau‑père. Accusé de fraude, complot pour fraude, commission de faux et emploi de documents contrefaits, l'intimé a été acquitté de toutes les accusations par un juge de la Cour des sessions de la paix. L'appel du ministère public relatif seulement aux trois chefs d'accusation d'emploi de documents contrefaits a été rejeté.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Même en tenant pour acquis que les factures préparées par l'intimé sont des documents contrefaits au sens de l'art. 326 du Code criminel, l'intimé n'est pas allé au delà d'une préparation ou d'un complot pour emploi. Rien dans la preuve n'indique qu'il se soit servi ou qu'il ait utilisé les comptes d'honoraires fictifs comme des documents authentiques. Des faits préparatoires à l'utilisation ne constituent pas des gestes d'utilisation.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Valois

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. v. Keshane (1974), 20 C.C.C. (2d) 542
R. c. Paquette, [1979] 2 R.C.S. 168, infirmant (1977), 42 C.C.C. (2d) 57 (C.A. Qué.)
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 324(1), 326.

Proposition de citation de la décision: La Reine c. Valois, [1986] 1 R.C.S. 278 (27 mars 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-03-27;.1986..1.r.c.s..278 ?
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