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22/05/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._678

Canada | Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678 (22 mai 1986)


Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678

Canadien Pacifique Limitée Appelante;

et

Le procureur général du Canada (le ministre du Revenu national) Intimé.

No du greffe: 18422.

1986: 30 janvier; 1986: 22 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 859, qui a infirmé la décision du juge Dubinsky, NR 1207, siégeant en tant que juge‑arbitre en

vertu de l'art. 84 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. Pourvoi rejeté, les juges Beetz, McIntyre et Cho...

Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678

Canadien Pacifique Limitée Appelante;

et

Le procureur général du Canada (le ministre du Revenu national) Intimé.

No du greffe: 18422.

1986: 30 janvier; 1986: 22 mai.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 859, qui a infirmé la décision du juge Dubinsky, NR 1207, siégeant en tant que juge‑arbitre en vertu de l'art. 84 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. Pourvoi rejeté, les juges Beetz, McIntyre et Chouinard sont dissidents.

Denis Courcy et Robert Décary, pour l'appelante.

Alban Garon, c.r., et Daniel Verdon, pour l'intimé.

Le jugement du juge en chef Dickson et des juges Lamer, Le Dain et La Forest a été rendu par

1. Le Juge La Forest—La Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, 1970‑71‑72 (Can.), chap. 48, comme l'indique son nom, crée un régime qui prévoit le paiement de prestations en espèces aux personnes exerçant un emploi assurable en cas de cessation de leur emploi. Les fonds requis proviennent en partie de cotisations des employés et de leurs employeurs. Ces cotisations, fixées pour chaque année par la Commission d'assurance‑ chômage établie par la Loi, sont exprimées en pourcentages des «rémunérations assurables» des employés pour l'année. Ceci est fait en vertu de l'art. 62 de la Loi, que voici:

62. (1) Pour chaque année, la Commission fixe, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, les taux de cotisations que les personnes exerçant un emploi assurable et leurs employeurs devront verser au cours de l'année pour couvrir le coût de base réajusté des prestations de la présente loi au cours de l'année, déterminé en vertu de l'article 63.

(2) Les taux de cotisations d'une année sont exprimés en pourcentages des rémunérations assurables de l'années et le pourcentage des cotisations ouvrières de l'année est le même pour tous les assurés.

(3) Le pourcentage des rémunérations assurables d'une année représentant les cotisations patronales de l'année est déterminé conformément à l'article 64.

2. Ce pourvoi soulève la question du calcul de ces cotisations. Plus précisément, comme l'exprime le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 859 à la p. 860, «faut‑il, dans le calcul de ces cotisations, prendre en considération les sommes qu'un employeur a versées à ses employés après les avoir reçues de ses clients qui les lui avaient payées volontairement pour qu'il en fasse la distribution aux employés à titre de pourboires?»

3. L'appelante, Canadien Pacifique Limitée, exploite plusieurs hôtels, y compris le Château Frontenac à Québec. La convention collective qui régissait les conditions de travail des employés du Château Frontenac à l'époque qui nous intéresse, stipulait qu'il était convenu que lorsque l'organisateur d'une réunion telle qu'une convention ou un banquet laisse des pourboires à l'hôtel pour distribution, quatre‑vingts pour cent (80%) de ces pourboires seront distribués par l'hôtel aux employés régis par la convention collective qui auront travaillé lors de ces réunions.

4. Conformément à cette stipulation, l'appelante a distribué certaines sommes à ses employés. Il est constant que ces montants provenaient de clients de l'appelante qui, sans obligation de leur part, les lui avaient versés pour qu'elle en fasse la distribution à ses employés à titre de pourboires. Le ministre du Revenu national a pris ces montants en considération en calculant les cotisations que devait payer l'appelante pour l'année 1978.

5. Suite à cette évaluation, l'appelante, en conformité avec l'art. 75(2) de la Loi, a demandé au Ministre de la reconsidérer et celui‑ci l'a confirmée. L'appelante a alors interjeté appel devant le juge‑arbitre Dubinsky qui décida que les sommes payées par les clients de l'appelante pour distribution à ses employés ne devaient pas être comprises dans le calcul du montant des cotisations payables par l'appelante en vertu de la Loi. Cette décision fut par la suite infirmée par la Cour d'appel fédérale. L'appelante se pourvoit contre cette décision.

6. Pour le juge‑arbitre, c'est l'art. 68 de la Loi qui définit le montant des cotisations que doit payer l'employeur. La Cour d'appel fédérale, pour sa part, est d'opinion que la disposition applicable est l'art. 66. Pour les motifs qui suivent je suis complètement d'accord avec la Cour d'appel.

7. Les dispositions des art. 66 et 68 qui nous intéressent se lisent comme suit:

66. (1) Toute personne doit, pour toute semaine au cours de laquelle elle exerce un emploi assurable, payer par voie de retenue prévue à la Partie IV, une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation ouvrière pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

(2) Tout employeur doit, pour toute semaine au cours de laquelle une personne exerce à son service un emploi assurable, payer pour cette personne et de la manière prévue à la Partie IV une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation patronale payable, selon le cas, par les employeurs ou par une catégorie d'employeurs dont cet employeur fait partie pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

...

68. (1) Tout employeur qui paie une rémunération à une personne exerçant, à son service, un emploi assurable doit retenir sur cette rémunération la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 66 pour la ou les semaines pour lesquelles cette rémunération est payée et doit la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l'article 66, au moment et de la manière que prescrivent les règlements.

8. Ma première observation se rapporte à la structure de la Loi. L'article 66 se trouve dans la Partie III qui est intitulée «Cotisations». L'article 68, lui, se trouve dans la Partie IV qui est intitulée «Perception des cotisations». J'ajoute que les titres, contrairement aux notes marginales, forment partie intégrante de la Loi; voir Elmer Driedger, The Composition of Legislation (1957), à la p. 103. Comme on pourrait s'y attendre, la Partie III traite du fond de la Loi en matière de cotisations. En effet, on y trouve une série d'articles qui ont pour objet, selon le titre applicable, la «détermination des cotisations», dont l'art. 62 précité. Cet article, nous l'avons vu, prévoit que la Commission doit fixer le montant des cotisations exprimé en pourcentages des rémunérations assurables des employés. On y trouve également, comme je viens de le signaler, l'art. 66.

9. Même sans s'appuyer sur la structure de la Loi, la simple lecture de l'art. 66, comme le dit le juge Pratte, indique clairement que c'est lui qui impose le paiement des cotisations et fixe leurs montants. En plus, il nous amène à la partie de la Loi qui en prescrit le mode de perception. Le paragraphe 66(1) traite des cotisations des employés tandis que le par. 66(2) traite de celles perçues des employeurs. Ce sont des dispositions parallèles et je me limite à une discussion du par. 66(2) qui est celui spécifiquement en jeu dans cette affaire.

10. Cette disposition ordonne d'abord que tout employeur retienne et verse au receveur général une somme égale au pourcentage de la «rémunération assurable» de l'employé que fixe la Commission à titre de cotisation patronale. Elle précise aussi la façon de percevoir ces cotisations, soit «de la manière prévue à la Partie IV» où, on s'en souviendra, se trouve l'art. 68.

11. Examinons de plus près maintenant le par. 68(1) qui constitue la disposition principale de la Partie IV qui, nous l'avons vu, traite de la «perception des cotisations». Cette disposition s'adresse à «tout employeur qui paie une rémunération à une personne exerçant, à son service, un emploi assurable», y compris évidemment l'appelante. Le paragraphe 68(1) ordonne, donc, à l'appelante de retenir sur la rémunération de ses employés les cotisations payables par les employés, et de les verser au receveur général ave la cotisation patronale payable en vertu de l'art. 66 qui, nous l'avons vu, prévoit que ces cotisations sont égales à certains pourcentages de la «rémunération assurable» d'un employé.

12. Donc ce qu'il est important de déterminer est la signification de l'expression «rémunération assurable» dans la version française de la Loi, «insurable earnings» dans la version anglaise. Ces expressions manquent peut‑être de précision, bien qu'il me semble pour ma part qu'elles ont une portée plus large que, par exemple, salaire. Le juge Pratte leur a donné un sens large. Il s'est surtout appuyé sur deux décisions anglaises, une de la Cour d'appel d'Angleterre, Penn v. Spiers & Pond Ltd., [1908] 1 K.B. 766 et l'autre de la Chambre des lords, Great Western Railway Co. v. Helps, [1918] A.C. 141, où on s'était servi de l'expression earnings.

13. Dans l'affaire Penn v. Spiers & Bond, Ltd., précitée, la Cour d'appel d'Angleterre était saisie d'une question semblable à celle en l'espèce, soit: fallait‑il dans le calcul des indemnités payables en vertu de la Workmen's Compensation Act alors en vigueur en Angleterre, prendre en considération les pourboires reçus par l'employé? La disposition applicable exigeait que le calcul de ces indemnités se fasse en fonction des «earnings in the employment». La Cour décida que les pourboires étaient compris dans cette expression. Prononçant le jugement de la Cour, le maître des rôles Cozens‑Hardy a dit (à la p. 769):

[TRADUCTION] On a souvent fait remarquer à la Cour que l'indemnité prévue par la Loi ne représente pas un salaire, mais bien des gains. Les intimés en conviennent et admettent qu'il faut prendre en considération la valeur du logement. Cependant, il ne faut pas nécessairement prendre en considération toutes les sortes de gains. Il doit s'agir de gains provenant d'un emploi. Si un employé gagne de l'argent durant ses heures de loisir en exerçant ses talents comme, disons, prestidigitateur ou musicien, l'argent ainsi gagné augmentera son revenu, mais non ses «gains» au sens de la Loi. Tous les «gains provenant d'un emploi» ne viennent pas nécessairement de l'employeur. On sait bien qu'un grand nombre de catégories d'employés tirent une bonne part de leur rémunération d'étrangers. Mentionnons à titre d'exemples le portier d'hôtel et le conducteur de chaises de poste. Il serait absurde d'avancer que seul l'argent reçu de l'hôtelier ou du receveur des postes représente le taux hebdomadaire auquel l'employé est rémunéré.

14. Dans l'arrêt Great Western Railway Co. v. Helps, précité, la Chambre des lords est arrivée à la même conclusion. Voici ce qu'en dit lord Dunedin, à la p. 145:

[TRADUCTION] La question essentielle est donc de savoir si ces pourboires sont compris dans le terme «gains» qu'emploie la Loi. Si vous demandez à une personne de vous dire en langage ordinaire ce que gagne un portier, elle vous répondra: «Bien, je vous dirai ce qu'il reçoit: il reçoit une certaine somme en salaire de son employeur et il reçoit en moyenne une certaine somme en pourboires.»

Vos Seigneuries, les appelants vous demandent, dans leur plaidoirie, de limiter le sens du mot «gains» à ce que l'employé reçoit par, ce que j'appellerais, un contrat direct avec ses employeurs. Il suffit de répondre que ce n'est pas ce que dit la Loi: elle emploie le terme général «gains» plutôt que «salaires» ou que l'expression «ce qu'il reçoit de son employeur»; pratiquement, l'employeur, dans les cas où il est commun de donner des pourboires, engage, de toute évidence, un employé pour un salaire moindre qu'il ne l'aurait fait si cette autre source de rémunération n'avait pas été offerte à l'homme qui occupe ce poste.

15. Le fait que le législateur se soit servi du mot earnings dans la version anglaise, compte tenu de ces décisions sur la signification du mot dans une loi du même genre, c'est‑à‑dire une loi touchant la «sécurité sociale», est certainement une indication de son intention. Il est à noter que la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage elle aussi prévoit que les prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi seront versées en fonction d'un pourcentage de leur rémunération assurable. Le paragraphe 24(1), modifié par 1976‑77 (Can.), chap. 54, art. 35, se lit comme suit:

24. (1) Le taux des prestations hebdomadaires qui peuvent être servies à un prestataire pour une semaine de chômage qui tombe dans sa période de prestations est une somme égale à soixante‑six et deux tiers pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne au cours de ses semaines de référence.

(C'est moi qui souligne.)

16. Au Canada, dans l'affaire Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, NR 1168, 29 mars 1983, où on a traité d'une situation très semblable à celle en l'espèce, le juge Marceau, agissant comme juge‑arbitre, en est arrivé à la même conclusion. Il a tenu les propos suivants:

En choisissant le terme rémunération et non pas celui communément utilisé de salaire ou gages, le Parlement a certes voulu exprimer sa volonté d'atteindre plus que le seul salaire fixe attaché à l'emploi et ce «plus que le seul salaire» ainsi visé ne peut être que les sommes calculées à pourcentage ou autrement qu'un employé reçoit de son patron, par‑delà un salaire de base, en contrepartie des services qu'il fournit. La façon adoptée par le patron pour obtenir de ses clients ces sommes qu'il doit payer à ses employés (pourcentage inclus dans le calcul d'un prix global ou ajouté à un prix de base) et le fait que leur quotité reste à déterminer n'ont rien à voir; ce qui importe est qu'il s'agisse de sommes payables et promises par le patron en contrepartie du travail de l'employé.

17. La conclusion à laquelle j'en suis venu est, à mon avis, fortement appuyée par d'autres dispositions de la Loi. Le paragraphe 3(1), par exemple, définit un emploi assurable notamment en ces termes:

3. (1) Un emploi assurable est un emploi ... qui est

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de d'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de quelque autre manière;

(C'est moi qui souligne.)

Voir aussi l'al. 2(1)k) qui définit «rémunération assurable» comme étant «le total de la rémunération ... provenant de tout emploi assurable».

18. Les règlements adoptés en vertu de l'al. 90(1)i) de la Loi appuient aussi mon point de vue. Cet article donne au Ministre le pouvoir d'établir des règlements, en particulier:

90. (1) Le Ministre peut ... établir des règlements

...

g) concernant la définition et la détermination de la rémunération et de la période de paie;

...

i) prévoyant la façon de déterminer le montant de la rémunération assurable des assurés et celui des cotisations à payer;

19. En vertu de cette disposition, le Ministre a établi un règlement qui précise la signification de l'expression «rémunération assurable» de la façon suivante:

3. (1) Le montant qui sert à déterminer la rémunération assurable d'un assuré est le montant de la rétribution, qu'elle soit entièrement ou partiellement versée en espèces, qui lui est payée par son employeur pour une période de paie, et comprend

a) toute somme que lui paie son employeur au titre, au lieu ou en règlement

(i) d'un boni, d'une gratification, d'une augmentation de rémunération avec effet rétroactif, d'une participation aux bénéfices, du paiement d'heures supplémentaires accumulées ou d'une sentence arbitrale.

(C'est moi qui souligne.)

20. Le préambule de cet article soulève la même question concernant la signification du mot rémunération dont on a déjà parlé. En plus, l'expression «rétribution ... qui lui est payée par son employeur» dans la version française, «remuneration ... paid by his employer» dans la version anglaise, peut sembler équivoque. Selon Le Petit Robert (1984), «rétribution» signifie «ce que l'on gagne par son travail», ce qui ne nous éclaire pas tellement. Mais nous avons plus d'éclaircissement sur le mot remuneration qui se trouve dans la version anglaise. Dans l'arrêt Skailes v. Blue Anchor Line Ltd., [1911] 1 K.B. 360, la Cour d'appel d'Angleterre a interprété cette expression, pour les fins de la Workmen's Compensation Act de l'époque, comme englobant non seulement une prime payée au commissaire d'un navire par son employeur mais aussi les profits de vente d'alcool aux voyageurs. Si nous acceptons cette façon de voir ce mot, il me semble qu'il peut aussi bien comprendre un pourboire qui a été versé à l'employeur pour distribution à ses employés. Quant au mot «payer» qui peut aussi bien signifier une simple distribution par l'employeur que le paiement d'une créance de l'employeur, je souligne simplement que si on donne au mot «rétribution» une portée large, il faut aussi donner une signification large au mot «payer».

21. Quoi qu'il en soit, la signification du mot rémunération n'est pas restreinte aux seules situations comprises dans le préambule du par. 3(1). Les alinéas de cette disposition énumèrent toute une série de bénéfices qui reviennent à l'employé en raison de son emploi. Ceux‑ci servent à clarifier ou même à ajouter à ce qui est compris dans le préambule. Une jurisprudence constante appuie cette façon de voir. Un passage dans Maxwell on Interpretation of Statutes (12th ed. 1969) nous en donne un résumé à la p. 270:

[TRADUCTION] Dans certains cas, on dit qu'un mot «signifie» ce que la définition dit qu'il signifie: dans ces cas, le mot a le sens restreint que lui donne la définition. Cependant, dans d'autres cas, on emploie l'expression «comprend» «afin d'étendre le sens des mots ou expressions contenus dans le corps du texte législatif; ces mots et expressions doivent alors être interprétés comme signifiant non seulement ce qu'ils signifient normalement, mais aussi ce que la disposition d'interprétation dit qu'ils comprennent». Autrement dit le mot dont on dit qu'il «comprend» quelque chose conserve, outre le sens élargi que lui donne ainsi sa définition dans la loi, «son sens ordinaire, courant et naturel, chaque fois qu'il se déduit normalement du contexte».

Maxwell cite à l'appui de ce passage les arrêts suivants: Dilworth v. Commissioner of Stamps, [1899] A.C. 99, lord Watson aux pp. 105 et 106; Robinson v. Local Board of Barton‑Eccles (1883), 8 App. Cas. 798, le lord chancelier Earl of Selborne à la p. 801.

22. Nos plus grands spécialistes canadiens dans le domaine de la législation nous en disent autant. Le regretté Elmer Driedger dans son volume, The Composition of Legislation (1957), à la p. 48, s'exprime ainsi:

[TRADUCTION] Mais il est des cas où il convient de définir un mot comme signifiant une chose et comprenant autre chose.

«valeurs» ou «titres» signifie les titres du Canada et comprend les obligations, billets, certificats de dépôt, certificats non productifs d'intérêt, débentures, billets et effets du Trésor et toute autre valeur représentant une partie de la dette publique du Canada.

Il s'agit là en réalité d'une définition double. On précise d'abord le sens de valeurs et de titres, puis on dissipe les doutes qui peuvent subsister.

Voir aussi aux pp. 43 et 44, où il démontre que le mot «comprend» peut servir à élargir la portée d'un mot ou à le clarifier.

23. Le professeur Louis‑Philippe Pigeon, plus tard membre de cette Cour, exprime la même opinion dans son volume intitulé Rédaction et interprétation des lois (1965), à la p. 21 dans le passage qui suit:

«Désigne» ou «signifie» implique une définition restrictive; autrement dit, une définition qui limite le sens du mot à ce qui est exprimé dans le texte législatif. Au contraire, «comprend» indique une définition extensive, c'est‑à‑dire que l'on ajoute au sens normal.

24. Or, le sous‑al. 3(1)a)(i) clarifie ou élargit la portée de rémunération en nous disant qu'il comprend «toute somme que lui paie son employeur ... en règlement ... d'une ... gratification». (C'est moi qui souligne). À mon avis, c'est précisément la situation qui existe en l'espèce. Le mot «gratification» qu'on retrouve à la version française comprend certainement un pourboire. Le mot gratuity que l'on retrouve dans la version anglaise est le synonyme ordinaire de pourboire.

25. L'interprétation que je donne à l'expression «rémunération assurable» est conforme à l'objectif de la Loi qui est de verser des prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi en fonction d'un pourcentage de leur rémunération assurable. Autrement l'employé qui reçoit une bonne partie de sa rémunération sous forme de pourboires n'aurait pas droit aux avantages que lui confère la Loi au même degré que ses confrères qui reçoivent la totalité de leur rémunération directement de la poche de leur employeur. Le règlement cité, en ajoutant à la définition de rémunération toute une gamme de bénéfices qu'un employé reçoit en raison de son emploi, indique bien que l'expression doit recevoir une portée large. En plus, comme je l'ai noté, une loi ayant pour objet la sécurité sociale doit être interprétée de façon à atteindre ce but. Il ne s'agit pas d'une loi fiscale. Les arrêts Penn v. Spiers & Pond Ltd. et Great Western Railway Co. v. Helps, précités, ne sont que des illustrations du principe que je viens de formuler.

26. J'ajoute que si l'appelante est obligée de payer des cotisations en fonction seulement de la partie de la rémunération de l'employé qui vient de sa poche, elle se trouve dans une situation avantageuse par rapport aux employeurs qui paient ces cotisations en fonction de toute la rémunération que l'employé reçoit en vertu de son emploi. Il est évident que l'employeur bénéficie du fait que certains de ses employés sont dans une situation qui leur donne la possibilité de toucher des pourboires. Il peut retenir leurs services à meilleur marché. Or il me paraît injuste qu'il puisse aussi se débarrasser d'une partie de l'obligation dont tout autre employeur est obligé de s'acquitter, ou restreindre le montant des bénéfices que retirent les employés dont la rémunération vient en bonne partie de pourboires.

27. Il est vrai que ces arguments s'appliquent jusqu'à un certain point aux situations où les employés eux‑mêmes reçoivent des pourboires, bien que le par. 3(1) du règlement n'en tienne pas compte. Mais ceux qui ont rédigé le règlement ont sans doute conclu que cette façon de procéder s'impose pour des raisons administratives. Voir sur ce sujet l'arrêt Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, précité. Il est presque impossible de percevoir des cotisations sur des pourboires obtenus de cette façon et c'est pour cette raison que le règlement n'en tient pas compte. Il va de soi que la rémunération assurable comprend bien d'autres pourboires que ceux prélevés de la façon prévue en l'espèce, par exemple, ceux qui sont ajoutés en payant par carte de crédit.

28. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Les motifs des juges Beetz, McIntyre et Chouinard ont été rendus par

29. Le Juge Chouinard (dissident)—Ce litige se rapporte aux cotisations payables en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, 1970‑71‑72 (Can.), chap. 48.

30. De façon plus particulière il faut déterminer si doivent être prises en considération les sommes qu'un employeur a versées à ses employés après les avoir reçues de ses clients qui les lui avaient payées volontairement pour qu'il en fasse la distribution aux employés à titre de pourboires.

31. Sont en cause les pourboires payés par les clients à l'occasion des banquets tenus au Château Frontenac à Québec.

32. Je signale que la réclamation du ministre du Revenu national aurait dû être dirigée contre la Société hôtelière Canadien Pacifique Limitée qui exploite cet hôtel, plutôt que contre l'appelante. Celle‑ci a toutefois jugé à propos de ne pas faire de cas de cette irrégularité.

33. Par une entente consignée en annexe à la convention collective liant le syndicat et l'employeur, il avait été convenu que celui‑ci recevrait ces pourboires pour en faire la distribution aux employés. C'est par souci d'efficacité et d'économie que le syndicat et l'employeur ont eu recours à cette procédure vu le nombre d'employés travaillant lors des banquets et les problèmes qu'engendraient la répartition et la distribution des pourboires.

34. Les faits suivants sont constants:

35. Ce sont les clients qui décidaient de laisser ou non des pourboires.

36. Le montant des pourboires était à l'entière discrétion des clients.

37. L'appelante n'imposait pas à ses clients de frais de service.

38. Aucun des montants payés par les clients à titre de pourboires n'entrait dans les revenus de l'appelante.

39. Le montant total des pourboires était remis aux employés.

40. L'appelante ne faisait que distribuer les pourboires aux employés conformément à l'entente.

41. L'intimé apporte les précisions suivantes que ne conteste pas l'appelante:

Les pourboires en question étaient payés à l'hôtel Le Château Frontenac lors de banquets ou réceptions qu'il organisait: l'hôtel facturait alors le client pour le montant qu'il lui avait indiqué (généralement un pourcentage de 12 à 15%) et recevait le montant en question.

Selon la convention collective intervenue avec ses employés, l'hôtel distribuait ensuite les sommes en question de la façon suivante: 80% de ces pourboires aux employés couverts par la convention collective qui ont travaillé lors de telles réunions et 20% aux employés non syndiqués. L'hôtel payait par chèque à chaque employé qui avait travaillé lors de ce genre de réceptions, un montant correspondant à sa part de la somme que le client avait convenu de verser à l'hôtel à titre de pourboires.

Les employés travaillant lors de ces banquets recevaient aussi un salaire horaire fixé par la convention collective.

42. Le 2 mai 1980 le ministre du Revenu national adressait à l'appelante un avis de cotisation lui réclamant les cotisations ouvrières et patronales afférentes aux pourboires reçus par l'appelante et distribués par elle aux employés au cours de l'année 1978. L'appelante demanda au Ministre de reconsidérer l'évaluation. Le Ministre la confirma.

43. L'appelante interjeta appel à un juge‑arbitre. Ce dernier conclut que l'avis de cotisation était mal fondé et accueillit l'appel. Ses motifs sont que d'une part, les pourboires laissés par les clients lors des banquets ne pouvaient pas être considérés comme de la rémunération au sens du par. 68(1) de la Loi et que d'autre part, ces sommes n'étaient pas payées par l'appelante mais plutôt par les clients, l'appelante n'étant que l'intermédiaire entre les clients et les employés.

44. Par un arrêt unanime, [1984] 1 C.F. 859, la Cour d'appel fédérale a cassé la décision du juge‑arbitre. Y sont cités certains articles de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage sur lesquels je reviendrai. Aux pages 861 et 862 on peut lire:

Il est clair, à la lecture de ces dispositions, que c'est l'article 66 qui impose l'obligation de payer les cotisations et en fixe le montant. Ces cotisations doivent être, l'une et l'autre, versées par l'employeur et elles sont, l'une et l'autre, fixées, nous dit l'article 66, à un pourcentage de la rémunération assurable des employés concernés. Il faut donc, dans le calcul du montant des cotisations, prendre en considération toute la rémunération assurable des employés. Si les sommes que l'intimée a remises à ses employés conformément aux stipulations précitées de la convention collective faisaient partie de la rémunération assurable des employés, elles devaient donc être prises en considération dans le calcul des cotisations; dans le cas contraire, elles ne le devaient pas.

45. La Cour d'appel examine ensuite les sens de l'expression «rémunération assurable». Elle cite la définition de l'al. 2(1)k) de la Loi:

«rémunération assurable» désigne, relativement à une période quelconque, soit le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable pour cette période, soit le maximum de la rémunération assurable pour cette période tel que prescrit en vertu de la présente loi, si ce maximum est inférieur au total;

46. La Cour d'appel s'appuie sur un arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre et un arrêt de la Chambre des lords dont il sera question plus loin et qui portent sur le sens du mot earnings. Dans la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage le mot earnings correspond au mot «rémunération» de la version française. La Cour d'appel fédérale conclut, à la p. 863:

En l'espèce, il me paraît clair que les sommes dont il s'agit constituent pour les employés des gains provenant de leur emploi; c'est grâce à leur travail qu'ils ont gagné ces sommes qui leur ont été payées parce qu'ils étaient employés. Ces sommes faisaient donc partie de leur rémunération assurable et devaient, à cause de cela, être prises en considération dans le calcul des cotisations payables en vertu de l'article 66 de la Loi.

47. Les passages précités montrent bien que la Cour d'appel fédérale a considéré que «c'est l'article 66 qui impose l'obligation de payer les cotisations et en fixe le montant», et qu'elle s'est principalement arrêtée à déterminer le sens de l'expression «rémunération assurable». C'est la position de l'intimé dont le procureur nous dit que sa proposition principale est à l'effet que les pourboires constituent une rémunération assurable.

48. L'appelante soumet plutôt que c'est l'art. 68 de même que le par. 3(1) du règlement d'application qui définissent l'obligation de l'employeur.

49. Voici les parties pertinentes des art. 66 et 68, tels que modifiés par 1974‑75‑76 (Can.), chap. 80, art. 24 et 25:

66. (1) Toute personne doit, pour toute semaine au cours de laquelle elle exerce un emploi assurable, payer par voie de retenue prévue à la Partie IV, une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation ouvrière pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

(2) Tout employeur doit, pour toute semaine au cours de laquelle une personne exerce à son service un emploi assurable, payer pour cette personne et de la manière prévue à la Partie IV une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation patronale payable, selon le cas, par les employeurs ou par une catégorie d'employeurs dont cet employeur fait partie pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

...

68. (1) Tout employeur qui paie une rémunération à une personne exerçant, à son service, un emploi assurable doit retenir sur cette rémunération la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 66 pour la ou les semaines pour lesquelles cette rémunération est payée et doit la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l'article 66, au moment et de la manière que prescrivent les règlements.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), tout employeur qui n'effectue pas, aux conditions et au moment prévus au paragraphe (1), la retenue sur la rémunération d'un assuré et son versement, est débiteur envers Sa Majesté, à partir de la date où la retenue aurait dû être effectuée, de la somme globale qui aurait dû être retenue et versée.

...

(6) Tout employeur qui n'a pas versé en temps voulu au receveur général l'intégralité des sommes qu'il devait verser est passible d'une pénalité égale, soit à dix dollars, soit à dix pour cent du total non versé s'il dépasse cent dollars. Il est en outre tenu de payer pour le retard, sur le total non versé, un intérêt à un taux annuel prescrit jusqu'à la date du versement.

50. À mon avis, l'appelante a raison de dire que c'est l'art. 68 qui impose une obligation à l'employeur et que l'objet de l'art. 66 auquel l'art. 68 réfère est de fixer la quotité des cotisations.

51. L'article 68 se trouve dans la Partie IV de la Loi, intitulée «Perception des cotisations» et il est précédé du titre «Paiement des cotisations».

52. L'article 66 se trouve dans la Partie III intitulée «Cotisations» et il est placé sous le titre «Détermination des cotisations».

53. Le paragraphe (1) de l'art. 68 porte que «Tout employeur qui paie une rémunération à une personne ... à son service, ... doit retenir ... la cotisation ouvrière ... et doit la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante ...»

54. Le paragraphe (2) de l'art. 68 rend l'employeur «débiteur envers Sa Majesté, à partir de la date où la retenue aurait dû être effectuée, de la somme globale qui aurait dû être retenue et versée».

55. Le paragraphe (6) de l'art. 68 impose une peine à l'employeur en défaut.

56. C'est, je le dis avec égards, cet art. 68 qui crée l'obligation de retenir et de verser, qui rend l'employeur débiteur des sommes et qui prévoit la sanction du défaut. L'article 68 ne détermine pas la quotité des cotisations mais renvoie à cette fin à l'art. 66.

57. Alors qu'à l'art. 68 il est simplement question de «rémunération», on trouve à l'art. 66 l'expression «rémunération assurable».

58. L'expression correspondante dans la version anglaise est «insurable earnings».

59. La Cour d'appel d'Angleterre dans Penn v. Spiers & Pond Ltd., [1908] 1 K.B. 766, a décidé qu'il fallait, dans le calcul des indemnités payables en vertu de la loi des accidents du travail alors en vigueur en Angleterre, prendre en considération les pourboires reçus par l'employé parce que ces pourboires constituaient des «earnings in the employment». Lord Cozens‑Hardy, maître des rôles, écrit au nom de la Cour, à la p. 769:

[TRADUCTION] On a souvent fait remarquer à la Cour que l'indemnité prévue par la Loi ne représente pas un salaire, mais bien des gains. Les intimés en conviennent et admettent qu'il faut prendre en considération la valeur du logement. Cependant, il ne faut pas nécessairement prendre en considération toutes les sortes de gains. Il doit s'agir de gains provenant d'un emploi. Si un employé gagne de l'argent durant ses heures de loisir en exerçant ses talents comme, disons, prestidigitateur ou musicien, l'argent ainsi gagné augmentera son revenu, mais non ses «gains» au sens de la Loi. Tous les «gains provenant d'un emploi» ne viennent pas nécessairement de l'employeur. On sait bien qu'un grand nombre de catégories d'employés tirent une bonne part de leur rémunération d'étrangers. Mentionnons à titre d'exemples le portier d'hôtel et le conducteur de chaises de poste. Il serait absurde d'avancer que seul l'argent reçu de l'hôtelier ou du receveur des postes représente le taux hebdomadaire auquel l'employé est rémunéré.

60. La même question fut résolue dans le même sens par la Chambre des lords dans Great Western Railway Co. v. Helps, [1918] A.C. 141. Lord Dunedin écrit à la p. 145:

[TRADUCTION] La question essentielle est donc de savoir si ces pourboires sont compris dans le terme «gains» qu'emploie la Loi. Si vous demandez à une personne de vous dire en langage ordinaire ce que gagne un portier, elle vous répondra: «Bien, je vous dirai ce qu'il reçoit: il reçoit une certaine somme en salaire de son employeur et il reçoit en moyenne une certaine somme en pourboires.»

Vos Seigneuries, les appelants vous demandent, dans leur plaidoirie, de limiter le sens du mot «gains» à ce que l'employé reçoit par, ce que j'appellerais, un contrat direct avec ses employeurs. Il suffit de répondre que ce n'est pas ce que dit la Loi: elle emploie le terme général «gains» plutôt que «salaires» ou que l'expression «ce qu'il reçoit de son employeur»; pratiquement, l'employeur, dans les cas où il est commun de donner des pourboires, engage, de toute évidence, un employé pour un salaire moindre qu'il ne l'aurait fait si cette autre source de rémunération n'avait pas été offerte à l'homme qui occupe ce poste.

61. Dans ces deux arrêts l'expression en cause était «earnings in the employment of the same employer». Force est de constater par ailleurs qu'il s'agissait de déterminer la compensation à laquelle un accidenté du travail avait droit. Il n'était pas question des cotisations exigées de l'employé et de l'employeur.

62. Enfin comme l'a fait observer le procureur de l'appelante, lord Dunedin dans le passage cité s'appuie sur le fait que la Loi utilisait le mot earnings au lieu de wages ou de l'expression «what he gets from his employer».

63. En l'espèce l'art. 68 pose bien que «Tout employeur qui paie une rémunération ... doit retenir sur cette rémunération ...». L'obligation de retenir, soumet l'appelante, porte sur la rémunération que paie l'employeur et non sur ce que les employés peuvent recevoir d'une autre source.

64. L'on conçoit que la définition de «rémunération assurable» comprenne «le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable ...». La rémunération d'un assuré peut en effet provenir de plus d'un emploi et aux termes du par. (1) de l'art. 66, l'assuré doit payer une cotisation.

65. En vertu du par. (2) de l'art. 66, l'employeur, quant à lui, doit, «de la manière prévue à la Partie IV», c'est‑à‑dire à l'art. 68, payer une somme correspondant à un pourcentage de sa rémunération assurable pour toute semaine où une personne exerce un emploi à son service. Ce paragraphe se concilie bien avec l'interprétation voulant que l'obligation de l'employeur se rapporte à la rémunération qu'il paie à son employé.

66. Cette interprétation est également appuyée, soumet l'appelante, par les dispositions du règlement d'application, Règlement sur l'assurance‑chômage (perception des cotisations), C.R.C. 1978, chap. 1575.

67. Le paragraphe 2(2) du règlement définit «employeur» de la façon suivante:

(2) Aux fins des Parties III et IV de la Loi et du présent règlement, «employeur» désigne une personne qui paie ou a payé une rétribution ou autre rémunération d'un assuré pour des services fournis dans le cadre d'un emploi assurable.

68. L'employeur est donc celui qui paie ou a payé une rétribution ou une rémunération.

69. Voici les parties pertinentes du par. 3(1):

Calcul du montant de la rémunération assurable

3. (1) Le montant qui sert à déterminer la rémunération assurable d'un assuré est le montant de la rétribution, qu'elle soit entièrement ou partiellement versée en espèces, qui lui est payée par son employeur pour une période de paie, et comprend

a) toute somme que lui paie son employeur au titre, au lieu ou en règlement

(i) d'un boni, d'une gratification, d'une augmentation de rémunération avec effet rétroactif, d'une participation aux bénéfices, du paiement d'heures supplémentaires accumulées ou d'une sentence arbitrale,

(ii) de la paie de vacance, des crédits de congé de maladie, de l'indemnité de cessation d'emploi ou de toute autre compensation semblable compris dans le dernier versement de sa rétribution ou dans un versement antérieur, en prévision de la cessation de son emploi;

b) toute somme que lui paie son employeur pour une période durant laquelle l'assuré continue d'occuper un emploi assurable tout en étant absent

(i) pour cause de maladie, blessure ou mise en quarantaine,

(ii) alors qu'il est payé pour du travail accompli un jour non ouvrable ou durant des heures supplémentaires,

(iii) à cause d'un congédiement suivi de sa réintégration dans l'emploi,

(iv) pendant un jour férié, un congé ou une vacance, généraux ou non, ininterrompus ou non,

(v) en attendant de retourner au travail ou de commencer à travailler, et

(vi) alors que l'établissement où il est employé est fermé,

c) la valeur de la pension, du logement et de tous autres avantages de quelque sorte accordés à l'assuré par son employeur ou dont bénéficie l'assuré à l'égard de son emploi assurable, dans le cadre de celui‑ci ou en raison de celui‑ci, si l'assuré reçoit une rétribution en espèces, payée par son employeur, qui s'ajoute à cette pension, à ce logement ou à ces autres avantages; et

d) le montant de toute rémunération provenant d'un emploi assurable que reçoit un assuré ou qui est réputée, aux termes du présent règlement, être reçue par lui ou lui être versée,

...

70. On le voit, il s'agit bien de la détermination de la rémunération assurable afin de retenir et de payer les cotisations ouvrières et patronales.

71. Le préambule du par. 3(1) porte que le montant qui sert à déterminer la rémunération assurable d'un assuré est le montant de la rétribution «qui lui est payée par son employeur». Cette rétribution comprend «toute somme que lui paie son employeur ...» aux fins indiquées aux al. a) et b), et suivant l'al. c), «la valeur de la pension, du logement et de tous autres avantages de quelque sorte accordés à l'assuré par son employeur ... si l'assuré reçoit une rétribution en espèces, payée par son employeur ...»

72. Il s'agit dans chaque cas de rétributions ou de bénéfices payés par l'employeur.

73. Le procureur de l'intimé fait valoir par contre que le terme «rémunération» repris à l'al. d) doit recevoir un sens plus large sans quoi cet alinéa serait inutile, la rémunération étant déjà comprise.

74. Avec égards, je suis d'avis que ce que vise l'al. d), ce sont les multiples imputations et présomptions établies ailleurs dans le règlement, aux art. 7 et suivants. L'alinéa d) est rédigé de cette façon afin de distinguer entre la rémunération réellement reçue et la rémunération qui est réputée être reçue et pour inclure cette dernière dans la définition de rémunération assurable.

75. Le règlement détermine ainsi par imputation la répartition de la rémunération assurable et des cotisations exigibles y afférentes dans le cas où la période de paie équivaut à une semaine de paie ou un multiple d'une semaine, ainsi que dans le cas où la période de paie est bi‑mensuelle ou mensuelle,—art. 7. Le règlement dispose de nombreux autres cas dont par exemple, celui des cheminots:

Cheminots

12. Nonobstant le paragraphe 7(2), un assuré qui est à l'emploi d'une compagnie de chemin de fer, selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur les chemins de fer, qui est rémunéré au parcours et qui touche pendant sa période de paie de deux semaines une rémunération non inférieure au maximum de la rémunération hebdomadaire assurable est réputé avoir touché une rémunération pendant toute la durée de cette période de paie.

76. Ce que le règlement d'application entend donc par rémunération assurable c'est ce que l'employeur paie à son employé et ce règlement appuie l'interprétation suggérée de l'art. 68, savoir que l'objet de l'obligation de l'employeur de retenir et de payer des cotisations est la rémunération payée par l'employeur.

77. Dans l'Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, NR 1168, 29 mars 1983, le juge Marceau maintenant de la Cour d'appel fédérale, mais alors juge de la Division de première instance et siégeant comme juge‑arbitre, a eu l'occasion d'examiner les dispositions à l'étude.

78. Le juge Marceau résume les faits de la façon suivante:

L'appelante, parmi ses activités, tient depuis plusieurs années une salle de réception où elle organise, prépare et sert des banquets à la demande de clients. En 1979, elle avait adopté comme politique d'inclure dans les comptes réclamés de ses clients 15% de frais de service qu'elle distribuait par la suite mensuellement, sur la base d'une entente interne, à tous ceux de ses employés—cuisiniers, serveurs, serveuses, adjoint de l'hôtellerie, assistants‑gérants—appelés à jouer un rôle pour la tenue des banquets. L'appelante n'avait pas cru devoir ajouter au salaire régulier de base de ses employés ces sommes qu'elle leur versait ainsi à même les frais de service facturés à ses clients, et elle n'en avait donc pas tenu compte pour le calcul des primes d'assurance‑chômage. Par ses avis de cotisations, le Ministre venait réclamer rétroactivement tant les cotisations patronales que les cotisations ouvrières sur toutes ces sommes versées aux employés mensuellement.

79. Quant à la source de l'obligation de l'employeur le juge Marceau écrit:

L'obligation à laquelle est soumis l'employeur quant au versement des primes d'assurance‑chômage et sur laquelle s'appuie le pouvoir du Ministre de cotiser, est définie au paragraphe 68(1) de la Loi sur l'assurance‑chômage...

Plus loin le juge Marceau ajoute:

En choisissant le terme rémunération et non pas celui communément utilisé de salaire ou gages, le Parlement a certes voulu exprimer sa volonté d'atteindre plus que le seul salaire fixe attaché à l'emploi et ce «plus que le seul salaire» ainsi visé ne peut être que les sommes calculées à pourcentage ou autrement qu'un employé reçoit de son patron, par‑delà un salaire de base, en contrepartie des services qu'il fournit. La façon adoptée par le patron pour obtenir de ses clients ces sommes qu'il doit payer à ses employés (pourcentage inclus dans le calcul d'un prix global ou ajouté à un prix de base) et le fait que leur quotité reste à déterminer n'ont rien à voir; ce qui importe est qu'il s'agisse de sommes payables et promises par le patron en contrepartie du travail de l'employé.

Le juge Marceau poursuit:

Les représentants de l'appelante s'étonnent que le Ministre veuille traiter différemment les frais de service d'hôtellerie inscrits sur factures par un patron et ensuite distribués aux employés comme ici, et les pourboires que le client d'un restaurant laisse à la table en quittant ou encore ajoute à sa note sur son ordre de paiement à crédit. Mais je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'étonner car les deux situations diffèrent justement en ce que dans un cas l'employeur est celui qui est tenu de payer et effectivement paie à son employé, aucun lien juridique n'intervenant entre le client et l'employé, alors que dans l'autre c'est le client qui en principe de plein gré rémunère directement son serveur, l'employeur là n'ayant rien à faire, si ce n'est recevoir pour son employé le produit de l'ordre de paiement, le cas échéant.

80. Dans cette affaire‑là le juge Marceau conclut que les frais de service faisaient partie de la rémunération des employés, mais il expose bien la distinction à faire selon que l'employeur a ou non une obligation envers ses employés.

81. Cette distinction répond à l'argument du procureur de l'intimé qui écrit dans son mémoire:

En outre, l'intimé soutient que même si on interprétait l'article 3(1) du Règlement comme exigeant un paiement des montants qui y sont visés par l'employeur, cette disposition trouverait quand même une application puisqu'il y a eu en faits et en droit paiement de la part de l'appelante à ses employés.

82. S'appuyant sur les définitions du verbe «payer» que donnent les dictionnaires français et anglais, en vertu desquelles le sens premier est «donner ou verser une somme d'argent», il soumet que l'appelante a effectivement payé ces sommes à ses employés.

83. Le procureur de l'intimé ajoute:

De plus, si l'on recourt au sens juridique du mot «payer», la conclusion à l'effet que l'hôtel a payé les sommes en litige serait la même puisqu'il a exécuté une obligation qui lui incombait en vertu de la convention collective.

84. Je ne puis souscrire aux propositions du procureur de l'intimé. Le paiement est bien sûr un mode d'extinction des obligations. Encore faut‑il qu'il y ait une obligation. En l'espèce, l'obligation de l'employeur est tout au plus une obligation de mandataire. S'il reçoit des clients des sommes destinées à ses employés il est obligé de les remettre. Mais s'il ne reçoit rien des clients il ne doit rien à ses employés.

85. Enfin, le procureur de l'intimé s'appuie sur l'al. 3(1)a) de la Loi qui définit l'emploi assurable:

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de quelque autre manière;

86. L'on aura noté les mots «que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne». Il n'y a pas lieu dans ces motifs d'analyser les effets de cette définition de l'emploi assurable sur les autres articles de la Loi ou du règlement. Il suffit de dire que cette définition n'a pas pour effet, à mon avis, de modifier l'obligation imposée à l'employeur par l'art. 68 de la Loi, confirmée par le par. 3(1) du règlement, de retenir et de verser des cotisations et qui se rapportent à la rémunération payée par l'employeur: «Tout employeur qui paie une rémunération ... doit retenir sur cette rémunération ...».

87. Pour ces motifs je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir la décision du juge‑arbitre, avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Beetz, McIntyre et Chouinard sont dissidents.

Procureurs de l'appelante: Wendlandt, Bennett & Paré, Montréal.

Procureur de l'intimé: Roger Tassé, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 678 ?
Date de la décision : 22/05/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Assurance‑chômage - Retenue et paiement des cotisations - Pourboires reçus par l'employeur et versés aux employés conformément à une entente - Ces pourboires doivent‑ils être pris en considération dans le calcul des cotisations d'assurance‑chômage payables par l'employeur? - Sens de l'expression "rémunération assurable" - Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, 1970‑71‑72 (Can.), chap. 48 et modifications, art. 66, 68.

Aux termes d'une entente annexée à la convention collective, l'appelante a convenu de recevoir les pour‑ boires payés par ses clients à l'occasion des banquets tenus à son établissement et de les distribuer par la suite aux employés. Les pourboires étaient payés volontairement par les clients et aucun de ces montants n'entrait dans les revenus de l'appelante. La Cour d'appel fédérale, cassant la décision d'un juge‑arbitre, a statué que ces sommes devaient être prises en considération dans le calcul des cotisations payables par l'appelante en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage. L'appelante conteste cette décision.

Arrêt (les juges Beetz, McIntyre et Chouinard sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Le Dain et La Forest: Les sommes versées à titre de pourboire doivent être prises en considération dans le calcul des cotisations d'assurance‑chômage payables par l'appelante. C'est l'art. 66 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, et non l'art. 68, qui impose le paiement des cotisations ouvrières et patronales et qui fixe les montants. Ces montants sont fixés à un pourcentage de la "rémunération assurable" de l'assuré. L'article 68 ne vise que le mode de perception de ces cotisations. L'expression "rémunération assurable" englobe non seulement le salaire payé par l'employeur mais aussi les pourboires versés à l'employeur pour distribution aux employés. En choisissant le terme "rémunération"—earnings dans la version anglaise—et non pas celui communément utilisé de salaire ou gages, le Parlement a indiqué son intention de donner à l'expression "rémunération assurable" une portée plus large que le seul salaire fixe attaché à l'emploi. Les dispositions de la Loi et du règlement appuient cette interprétation qui est également conforme à l'objectif de la Loi.

Les juges Beetz, McIntyre et Chouinard, dissidents: Le paragraphe 68(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage prévoit que "Tout employeur qui paie une rémunération à une personne ... à son service ... doit retenir la cotisation ouvrière ... et doit la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante". L'obligation imposée par ce paragraphe de retenir et de verser des cotisations porte sur la rémunération que paie l'employeur et non sur ce que les employés peuvent recevoir d'une autre source. Les dispositions du règlement d'application appuient cette interprétation qui se concilie bien également avec l'art. 66 de la Loi qui fixe la quotité des cotisations. En l'espèce, les sommes contestées n'ont pas été payées par l'appelante mais par ses clients. Ces sommes ne peuvent donc pas être prises en considération dans le calcul des cotisations d'assurance‑chômage payables par l'appelante.


Parties
Demandeurs : Canadien Pacifique Ltée
Défendeurs : P.G. (Can.)

Références :

Jurisprudence
Citée par la majorité
Arrêts mentionnés: Penn v. Spiers & Pond Ltd., [1908] 1 K.B. 766
Great Western Railway Co. v. Helps, [1918] A.C. 141
Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, NR 1168, 29 mars 1983
Skailes v. Blue Anchor Line Ltd., [1911] 1 K.B. 360
Dilworth v. Commissioner of Stamps, [1899] A.C. 99
Robinson v. Local Board of Barton‑Eccles (1883), 8 App. Cas. 798.
Citée par la minorité
Penn v. Spiers & Pond Ltd., [1908] 1 K.B. 766
Great Western Railway Co. v. Helps, [1918] A.C. 141
Association des employés civils c. Ministre du Revenu national, NR 1168, 29 mars 1983.
Lois et règlements cités
Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, 1970‑71‑72 (Can.), chap. 48, art. 2(1)k), 3(1)a), 24(1) [abr. & rempl. 1974‑75‑76 (Can.), chap. 80, art. 6
abr. & rempl. 1976‑77 (Can.), chap. 54, art. 35], 62 [mod. 1976‑77 (Can.), chap. 54, art. 50], 66 [mod. 1974‑75‑76 (Can.), chap. 80, art. 24], 68 [mod. 1974‑75‑76 (Can.), chap. 80, art. 25], 75(2), 90(1)g), i).
Règlement sur l'assurance‑chômage (perception des cotisations), C.R.C. 1978, chap. 1575, art. 2(2), 3(1), 7, 12.
Doctrine citée
Driedger, E. The Composition of Legislation, Ottawa, Queen's Printer, 1957.
Le Petit Robert, Paris, Le Robert, 1984, "rétribution".
Maxwell on Interpretation of Statutes, 12th ed., by P. St. J. Langan, London, Sweet & Maxwell, 1969.
Pigeon, L.‑P. Rédaction et interprétation des lois, Québec, Imprimeur de la Reine, 1965.

Proposition de citation de la décision: Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678 (22 mai 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-05-22;.1986..1.r.c.s..678 ?
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